Infection par le VIH et comorbidité Coordonné par le Dr Jean-Luc Meynard Cette rubrique a été réalisée avec le soutien institutionnel du laboratoire Abbott. Interview du Dr Pascale Leclercq Infectiologue Hôpital Michallon, CHU de Grenoble Dans le respect total de l’indépendance scientifique et éditoriale. Lipodystrophies chez le patient infecté par le VIH Quelle est aujourd’hui la prévalence des lipodystrophies (forme atrophique et hypertrophique) chez les patients infectés par le VIH ? Une étude multicentrique d’observation française récente a inclus 2 131 patients traités depuis plus de 1 an (10 ans en moyenne) [1, 2]. Une lipoatrophie faciale était retrouvée chez 54 % des patients. La moitié d’entre eux avaient également déclaré une lipoatrophie au niveau des fesses ou des membres et 15 % au niveau du pied, source d’inconfort à la marche. Globalement, 60 % de ces lipoatrophies étaient de grade modéré (1, 2). La prévalence des lipohypertrophies était quant à elle de 57 %, une augmentation du tour de taille était retrouvée chez 43,3 % des patients et près de 10 % présentaient une “bosse de bison”. Les femmes représentaient 30 % de la population de l’étude et, alors qu’elles semblaient moins lipoatrophiques que les hommes, elles se plaignaient beaucoup plus de lipohypertrophie (hypertrophie mammaire en particulier), avec un score de qualité de vie inférieur à celui des hommes (65 versus 73). Globalement, 83 % des patients inclus dans la cohorte présentaient au moins 1 signe de lipodystrophie, qu’il s’agisse de lipoatrophie ou de lipohypertrophie. Quels sont les facteurs de risque de survenue de ce type de complication ? Les principaux facteurs de risque de lipoatrophie faciale sont représentés par la durée de traitement (10,8 versus 7,6 ans ; p < 0,001) et le fait d’avoir reçu des analogues thymidiniques (zidovudine [AZT] ou stavudine [d4T]) : 58,4 % versus 22,8 %. Il est constaté moins de lipoatrophies chez les Africains alors que leur prévalence augmente avec l’âge (et, par conséquent, la durée de traitement). Les données de cette étude chez des patients traités depuis 1 à 5 ans (2) ont cependant montré que 28 % des patients se plaignaient d’une lipoatrophie faciale – malgré des schémas thérapeutiques considérés comme a priori moins toxiques : 21,5 % de ceux n’ayant jamais reçu d’analogues thymidiniques se plaignaient de lipoatrophie faciale. La lipohypertrophie semble quant à elle apparaître de façon très précoce, puisqu’elle a été retrouvée chez 43 % de ces patients. Les principaux facteurs de risque sont l’âge et le surpoids initial. Que peut-on proposer aujourd’hui à un patient qui présente un syndrome lipodystrophique ? Concernant la prévention des lipoatrophies, il faut certes éviter les molécules réputées atrophiantes (même si certains patients sous AZT ne deviennent pas lipoatrophiques : inégalité génétique ?), mais les schémas thérapeutiques ne comportant pas d’analogues thymidiniques ne semblent pas exempts de tout impact. Il est encore trop tôt pour évaluer l’impact des stratégies sans analogues nucléot(s)idiques chez le patient naïf mais, chez le patient prétraité, il a été démontré que l’arrêt des analogues (switch par monothérapie d’inhibiteur de protéase, par exemple) permettait de diminuer la lipoatrophie au niveau des bras et des jambes. En curatif des lipoatrophies faciales, il ne faut pas hésiter à proposer aux patients les produits de comblement. Pour les lipohypertrophies, des essais prospectifs avec des schémas sans inhibiteur de protéase et sans analogues sont actuellement en cours d’évaluation. Les règles hygiénodiététiques (réduction de la ration calorique en cas de surpoids, diminution des sucres rapides et des graisses animales) sont d’autant plus efficaces qu’il s’agit souvent de patients avec un indice de masse corporelle de départ élevé : elles permettent de limiter la lipohypertrophie et ses conséquences (hypertension artérielle, diabète, dyslipidémies, atteinte coronarienne, risque d’AVC – qui doivent être dépistés et traités) et d’éviter l’aggravation d’une stéatose hépatique chez les patients co-infectés. L’exercice physique permet quant à lui d’améliorer la sensibilité à l’insuline, et l’arrêt du tabac est bien entendu un objectif à poursuivre prioritairement. Enfin, la chirurgie peut être proposée dans certains cas d’accumulations graisseuses très localisées et traumatisantes pour le patient. Références bibliographiques 1. Leclercq P, Goujard C, Allaert F et al. High prevalence of facial lipoatrophy in HIV-infected patients treated with antiretroviral therapy in France. XVIII International AIDS Conference, Vienne 2010, abstract WEPE0113. 2. Leclercq P, Goujard C, Allaert F et al. Prevalence of lipodystrophy among patients on antiretroviral therapy for up to 10 years. A French observation study. 12th International Workshop on Adverse Drug Reactions and Co-Morbidities in HIV, Londres 2010, poster 69. La Lettre de l’Infectiologue ̐ Tome XXVII - n° 5 - septembre-octobre 2012 | 187