Corpus_l_education

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Séquence 4 – Renaissance et Humanisme 1ère L
Corpus 1 : comprendre l’Humanisme, l’éducation. Orthographe modernisée.
Quelles sont les stratégies de persuasion mises en œuvre par Rabelais et Montaigne ?
Texte 1 : Rabelais Gargantua Chapitre XXI, 1534.
Quand Ponocrates prend en charge l’éducation de Gargantua, il s’étonne de ce qu’il n’a encore rien
appris. Il lui demande donc de se comporter comme il le faisait avec ses anciens maîtres, les sophistes,
pour mieux comprendre les raisons de l’ignorance de son élève.
Il s’éveillait entre huit et neuf heures, fût jour ou non ; ainsi l’avaient ordonné ses régents antiques
alléguant ce que dit David : Vanis est vobis ante lucem surgere.1
Puis se gambayait, penadait et paillardait2 parmi le lit quelque temps pour mieux ébaudir ses esprits
animaux3 ; et s’habillait selon la saison, mais volontiers portait-il une grande et longue robe de grosse
frise4 fourrée de renards ; après se peignait du peigne d’Almain5, c’était des quatre doigts et le pouce,
car ses précepteurs disaient que soi autrement peigner, laver et nettoyer était perdre temps en ce monde.
Puis fientait, pissait, rendait sa gorge, rotait, pétait, bâillait, crachait, toussait, sanglotait, éternuait et se
morvait en archidiacre, et déjeunait pour abattre la rosée et mauvais air : belles tripes frites, belles
charbonnades, beaux jambons, belles cabirotades6 et force soupes de prime7.
Après avoir bien à point déjeuné, allait à l’église, et lui portait-on de dans un grand panier un gros
bréviaire empantouflé, pesant, tant en graisse qu’en fermoirs et parchemin, peu plus peu moins, onze
quintaux six livres. Là oyait vingt et six ou trente messes. Cependant venait son diseur d’heures en
place8, empaletoqué comme une huppe, et très bien antidoté son haleine à force sirop vignolat9; avec
icelui marmonnait toutes ces kyrielles, et tant curieusement les épluchait qu’il n’en tombait un seul grain
en terre. Au partir de l’église, on lui amenait sur une traîne de bœufs un farat de patenôtres de SaintClaude10, aussi grosses chacune qu’est le moule d’un bonnet ; et ; se promenant par les cloîtres, galeries
ou jardins, en disait plus que seize ermites. Puis étudiait quelque méchante demi-heure, les yeux assis
sur son livre ; mais (comme dit le comique11) son âme était en la cuisine.
Pissant donc plein urinal, s’asseyait à table, et parce qu’il était naturellement flegmatique, commençait
son repas par quelques douzaines de jambons, de langues de bœuf fumées, de boutargues, d’andouilles,
et tels autres avant-coureurs de vin. Cependant quatre de ses gens lui jetaient en la bouche, l’un après
l’autre, continûment, moutarde à pleines palerées. Puis buvait un horrifique trait de vin blanc pour lui
soulager les rognons. Après mangeait selon la saison, viandes à son appétit, et lors cessait de manger
quand le ventre lui tirait. A boire n’avait point fin ni canon, car il disait que les mètes 12 et bornes de
boire étaient quand, la personne buvant, le liège de ses pantoufles enflait en haut d’un demi-pied.
Texte 2 : Rabelais, Gargantua, Chapitre XXIII, 1534.
Gargantua enfin peut s’adonner à l’enseignement de son nouveau maître.
S’éveillait donc Gargantua environ quatre heures du matin. Cependant qu’on le frottait, lui était lue
quelque pagine de la divine Ecriture hautement et clairement avec prononciation compétente en la
matière, et à ce était commis un jeune page natif de Basché, nommé Anagnostes13. Selon le propos et
argument de cette leçon souventes fois s’adonnait à révérer, adorer, prier et supplier le bon Dieu, duquel
la lecture montrait majesté et jugements merveilleux. Puis allait ès lieux secrets faire excrétion des
digestions naturelles. Là son précepteur répétait ce qui avait lu, lui exposant les points plus obscurs et
difficiles. Eux retournant, considéraient l’état du ciel : si tel était comme l’avaient noté au soir précédent,
1
Il est vain de se lever avant le jour, psaume 127
Gambadait, bondissait, se roulait sur le lit.
3
Petits corps destinés à animer les membres selon la physiologie de l’époque.
4
Laine grossière.
5
Professeur à la Sorbonne au XVI ème siècle, théologien.
6
Viande rôtie
7
Soupe dans laquelle les moines trempaient du pain, après la messe de six heures du matin.
8
Celui qui est affecté pour lire le livre de prières.
9
Ayant purifié son haleine avec force vin
10
Un tas de chapelets de Saint-Claude (ville du Jura).
11
L’auteur latin Térence.
12
Limites.
13
Lecteur en grec.
2
et quels signes entrait le soleil, aussi la lune, pour icelle journée. Ce fait, était habillé, peigné, testonné14,
accoutré et parfumé, durant lequel temps on lui répétait les leçons du jour d’avant. Lui-même les disait
par cœur, et y fondait quelques cas pratiques et concernant l’état humain lesquels ils étendaient aucunes
fois jusque deux ou trois heures mais ordinairement cessaient lorsqu’il était du tout habillé. Puis par
trois bonnes heures lui était faite lecture.
Ce fait, essaient hors15, toujours conférant des propos de la lecture, et se déportaient 16ès Bracque 17ou
ès prés, et jouaient à la balle, à la paume, à la pile trigone18, galantement s’exerçant les corps comme ils
avaient les âmes auparavant exercé. Tout leur jeu n’était qu’en liberté, car ils laissaient la partie quand
leur plaisait et cessaient ordinairement lorsque suaient parmi les corps ou étaient autrement las. Adonc
étaient très bien essuyés et frottés, changeaient de chemise et, doucement se promenant, allaient voir si
le dîner était prêt. Là attendant, récitaient clairement et éloquentement quelques sentences retenues de
la leçon.
Cependant Monsieur l’Appétit venait, et par bonne opportunité s’asseyaient à table. Au
commencement du repas était lue quelque histoire plaisante des anciennes prouesses, jusqu’à ce qu’il
eût pris son vin. Lors (si bon semblait) on continuait la lecture ou commençaient à deviser joyeusement
ensemble, parlant, pour les premiers mois de la vertu, propriété efficace et nature de tout ce qui leur était
servi à table ; du pain, du vin, de l’eau, du seul, des viandes, poissons, fruits, herbes, racines, et de
l’apprêt d’icelles. […] Après devisaient des leçons lues au matin, se parachevant leur repas par quelque
confection de cotoniat19, se curaient les dents avec un trou de lentisque20, se lavait les mains et les yeux
de belle eau fraîche, et rendaient grâce à Dieu par quelques beaux cantiques faits à la louange de la
magnificence et bénignité divine.
Ce fait, on apportait des cartes, non pour jouer, mais pour y apprendre mille petites gentillesses et
inventions nouvelles, lesquelles toutes issaient21 d’arithmétique.
Texte 3 : Montaigne, Les Essais livre I, chapitre XXVI « De l’institution des enfants » 1580-1592.
Pour tout ceci, je ne veux pas qu’on emprisonne ce garçon. Je ne veux pas qu’on l’abandonne à
l’humeur mélancolique d’un furieux maître d’école. Je ne veux pas corrompre son esprit à le tenir à la
géhenne22 et au travail à la mode des autres quatorze ou quinze heures par jour, comme un portefaix. Ni
ne trouverais bon, quand par quelque complexion solitaire et mélancolique, on le verrait adonné d’une
application trop indiscrète à l’étude des livres, qu’on le la lui nourrît, cela les rend ineptes à la
conversation civile et les détourne de meilleurs occupations. Et combien ai-je vu de mon temps,
d’hommes abêtis par téméraire avidité de science ? Carnéade23 sen trouva si affolé, qu’il n’eut plus le
loisir de se faire le poil et les ongles. Ni ne veux gâter ses moeurs généreuses par l’incivilité et barbarie
d’autrui. La sagesse française a été anciennement en proverbe, pour une sagesse qui prenait de bonne
heure et n’avait guère de tenue. A la vérité, nous voyons encore qu’il n’est rien de si gentil que les petits
enfants en France ; mais ordinairement ils trompent l’espérance qu’on en a conçue, et, hommes faits, on
n’y voit aucune excellence. J’ai ouï tenir à gens d’entendement que ces collèges où on les envoie, de
quoi ils ont foison, les abrutissent ainsi.
Au nôtre, un cabinet, un jardin, la table et le lit, la solitude, la compagnie, le matin et le vêpre24, toutes
les heures lui seront une, toutes places lui seront étude ; car la philosophie, qui, comme formatrice des
jugements et des mœurs, sera sa principale leçon, a ce privilège de se mêler partout. Isocrate25 l’orateur,
étant prié en un festin de parler de son art, chacun trouve qu’il a eu raison de répondre « Il n’est pas
maintenant de ce que je sais faire ; et ce de quoi il est maintenant question, je ne sais pas le faire ». Car
14
Coiffé
Allaient dehors.
16
Faisaient du sport.
17
Au jeu de paume
18
Jeu de balle qui se joue à trois.
19
Pâte de coing.
20
Arbrisseau
21
Venaient de.
22
Torture
23
Philosophe grec
24
Le soir.
25
Orateur athénien
15
de présenter des harangues ou des disputes de rhétorique à une compagnie assemblée pour rire et faire
bonne chère ce serait un mélange de trop mauvais accord. Et autant en pourrait-on dire de toutes les
autres sciences. Mais quant à la philosophie, en la partie où elle traite de l’homme et de ses devoirs et
offices, ç’a été le jugement commun de tous les sages, que, pour la douceur de sa conversation, elle ne
devait être refusée ni aux festins ni aux jeux. […] Ainsi, sans doute, il chômera moins que les autres.
Mais comme les pas que nous employons à nous promener dans une galerie, quoiqu’il y en ait trois fois
autant, ne nous lassent pas comme ceux que nous mettons à quelque chemin desseigné, aussi notre leçon,
se passant comme par rencontre26, sans obligation de temps et de lieu, et se mêlant à toutes nos actions,
se coulera sans se faire sentir. Les jeux mêmes et les exercices seront une bonne partie de l’étude : la
course, la lutte, la musique, la danse, la chasse, le maniement des chevaux et des armes. Je veux que la
bienséance extérieure27, et l’entregent28, et la disposition de la personne, se façonne quant et quant à
l’âme. Ce n’est pas une âme, ce n’est pas un corps qu’on dresse, c’est un homme ; il n’en faut pas faire
à deux. Et comme dit Platon, il ne faut pas dresser l’un sans l’autre, mais les conduire également, comme
un couple de chevaux attelés à un même limon.
26
Par hasard
L’apparence
28
Les relations sociales.
27
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