IMAGE COMMENTÉE EN... ... Proctologie Des hémorroïdes pas comme les autres… Agnès Senéjoux (Institut de proctologie Léopold-Bellan, Paris) Observation Madame D., âgée de 43 ans, consultait pour des “hémorroïdes” depuis 3 mois. Cette patiente, tabagique (25PA), dépressive, avait pour antécédent une conisation pour dysplasie du col utérin 5 ans auparavant. Dans un premier temps, cette patiente avait consulté son médecin traitant qui lui avait prescrit un traitement à base de veinotoniques et de suppositoires anti-hémorroïdaires qui n’avaient pas été efficaces. Madame D. reconnaissait qu’à son grand soulagement son généraliste ne l’avait pas examinée. L’interrogatoire de madame D. permettait de préciser sa symptomatologie : sa principale plainte était un prurit anal chronique sans véritable douleur, sans rectorragie et I M A G E 112 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XIII - n° 3 - mai-juin 2010 sans trouble du transit, d’apparition récente (madame D. allait à la selle 1 jour sur 2 depuis plus de 20 ans). L’examen proctologique retrouvait une plage érythémateuse assez bien limitée postéro-droite, indolore, non indurée, ainsi que de petites marisques (image). Le toucher rectal et l’anuscopie étaient sans particularité. L’examen physique général était normal. Le diagnostic de maladie de Bowen était évoqué par le gastroentérologue consulté qui l’adressait au proctologue pour avis diagnostique et thérapeutique. Ce diagnostic paraissant en effet probable compte tenu de l’aspect des lésions et des antécédents de dysplasie du col de la patiente, une biopsie-exérèse de la lésion était d’emblée préconisée. IMAGE COMMENTÉE L’intervention était réalisée sous anesthésie générale et consistait en une résection complète de la lésion au bistouri électrique. L’examen anatomopathologique confirmait le diagnostic de maladie de Bowen en mettant en évidence une néoplasie intraépithéliale de niveau 3 (AIN3). Sur un niveau de coupe, un micro-foyer de carcinome épidermoïde micro-invasif était retrouvé. Compte tenu des artéfacts d’électrocoagulation, l’anatomopathologiste était dans l’impossibilité de préciser si ce foyer avait été réséqué de façon complète ou non. Après discussion en réunion de concertation pluridisciplinaire de cancérologie, il était décidé de compléter le bilan de la lésion et de reprendre chirurgicalement la cicatrice de la lésion pour nouvel examen anatomopathologique. L’échoendoscopie anale était normale, la sérologie VIH était négative, l’examen gynécologique et les frottis cervico-vaginaux étaient normaux. Une exérèse large de la cicatrice était réalisée et l’examen anatomopathologique ne retrouvait aucune lésion sur la pièce chirurgicale. Une surveillance simple était mise en place et aucune récidive n’était mise en évidence après 2 ans de suivi. Discussion La maladie de Bowen de l’anus est plutôt actuellement appelée AIN3 par les anatomopathologistes. Cette néoplasie intraépithéliale est liée à l’infection aux papillomavirus humains oncogènes comme les lésions intraépithéliales du col utérin (Cervical Intra- epithelial Neoplasia [CIN]). Le carcinome épidermoïde de l’anus est une complication possible des lésions d’AIN3 mais l’histoire naturelle de ces lésions est mal connue. Pour le cancer du col utérin il a été estimé dans des travaux anciens que 20 à 30 % des CIN3 se transforment en cancer invasif. Pour les lésions anales, il est comme pour le col utérin difficile de connaître le pourcentage de malades évoluant de l’AIN3 vers le cancer invasif. Il est probable que la transformation ne soit pas systématique, notamment chez les patients immunocompétents (1). La prévalence des lésions d’AIN3 est élevée chez les malades VIH positifs, et ce surtout chez les homosexuels masculins. Les taux de prévalence sont très variables d’une série à une autre, allant de 0 à 57 %... L’infection à VIH et l’immunodépression (malades transplantés, par exemple) favorisent la survenue des lésions dysplasiques de l’anus. Les femmes ayant des lésions dysplasiques du col utérin ou de la vulve VHP induites ont un risque accru de lésions anales du même type (2). Enfin, le tabagisme est également reconnu comme l’un des facteurs de risque des dysplasies et du cancer de l’anus (3). Le traitement de la dysplasie anale n’a donné lieu aujourd’hui à aucune autre évaluation que celle de courtes séries de cas. Comme pour le traitement de la dysplasie du col de l’utérus, les gestes de résection, de photo- ou d’électrocoagulation des zones de dysplasie sont proposés. Chez madame D., l’excision était une option thérapeutique simple et logique compte tenu du caractère limité des lésions. Chez les malades infectés par le VIH, les lésions sont volontiers extensives, multifocales et canalaires rendant leur traitement parfois bien plus difficile. ■ Références bibliographiques 1. Scholefield JH, Castle MT, Watson NF. Malignant transformation of high-grade anal intraepithelial neoplasia. Br J Surg 2005;92:1133-6. 2. Edgren G, Sparen P. Risk of anogenital cancer after diagnosis of cervical intraepithelial neoplasia: a prospective population-based study. Lancet Oncol 2007; 8:311-6. 3. Palefsky JM, Shiboski S, Moss A. Risk factors for anal human papillomavirus infection and anal cytologic abnormalities in HIV-positive and HIV-negative homosexual men. J Acquir Immune Defic Syndr 1994;7:599-606. 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