Démarche diagnostique devant une diarrhée et/ou une colite aiguë infectieuse de l’adulte ● P. Desreumaux* P O I N T S F O R T S P O I N T S F O R T S ■ La prise en charge diagnostique d’une diarrhée aiguë nécessite de sélectionner les patients à explorer. ■ La coproculture standard ne permet d’identifier qu’une minorité d’agents pathogènes : Salmonella, Shigella et, selon les laboratoires, Campylobacter et Yersinia. Les autres germes ne seront recherchés que sur demande spécifique du clinicien. ■ Les sérologies pour Salmonella, Shigella, Campylobacter et Yersinia n’ont pas d’intérêt en pratique courante devant une diarrhée aiguë. ■ La recherche de toxines de Clostridium difficile doit se faire dans les selles. Elle n’a pas d’intérêt au niveau des prélèvements muqueux. La toxine disparaît après 24 heures de traitement par une antibiothérapie adaptée. ■ En présence d’une prise d’antibiotique, la mise en évidence de pseudo-membranes lors de la coloscopie est un élément fortement évocateur de colite à Clostridium difficile. Cependant, la majorité des colites à Clostridium difficile correspond à des formes non pseudo-membraneuses. ■ La recherche de rotavirus et d’adénovirus dans les selles chez l’adulte n’a pas d’intérêt ■ Les examens histologiques et la mise en culture de biopsies muqueuses sur milieux sélectifs sont des compléments utiles à la coproculture et sont indispensables pour porter le diagnostic de colite herpétique. a démarche à visée diagnostique chez les patients présentant une diarrhée aiguë présumée infectieuse nécessite de poser deux questions fondamentales : quels patients faut-il explorer et quels sont les examens à proposer ? Les critères de sélection des patients à explorer sont importants à connaître car il n’est pas envisageable en France, pour des raisons L économiques, d’effectuer des examens complémentaires chez les 3 millions de patients qui présentent annuellement une diarrhée aiguë. Les types d’examens complémentaires à proposer peuvent être multiples et leur choix doit se limiter à ceux permettant la mise en évidence d’agents infectieux accessibles à une thérapeutique spécifique dont les buts seront de hâter la guérison clinique et de protéger les patients d’éventuelles complications. CRITÈRES DE SÉLECTION DES PATIENTS PRÉSENTANT UNE DIARRHÉE AIGUË À EXPLORER (TABLEAU I) Cinq groupes principaux de malades peuvent être déterminés sur des critères cliniques. Les deux premiers sont liés au terrain. Le premier groupe correspond aux patients les plus fragiles face à une éventuelle déshydratation ou un syndrome septique : les personnes âgées, les insuffisants et transplantés rénaux, les patients présentant une valvulopathie ou un anévrisme aortique connu, les Tableau I. Définition des cinq principaux groupes de patients présentant une diarrhée aiguë à explorer. Groupe 1 : Patients fragiles face à une déshydratation ou un syndrome septique – Personnes âgées – Insuffisants et transplantés rénaux – Patients avec valvulopathie ou anévrisme aortique – Patients immunodéprimés – Prise d’immunosuppresseurs ou de corticoïdes ● Groupe 2 : Patients susceptibles à une infection – Patients avec achlorhydrie – Retour d’un voyage en pays d’endémie – Prise d’antibiotiques – Notion d’épidémie à un germe accessible à un traitement – Toxi-infection alimentaire ● Groupe 3 : Patients présentant des signes de gravité – Déshydratation importante – Septicémie – Défense abdominale – Troubles neurologiques – Fièvre > 38° 5 C ● ● Groupe 4 : Patients présentant un syndrome dysentérique Groupe 5 : Patients présentant une diarrhée persistante depuis plus de 3 jours ● * Service des maladies de l’appareil digestif et de la nutrition, hôpital Huriez, CHU Lille. La lettre de l’hépato-gastroentérologue - no 1 - vol. IV - janvier-février 2001 21 D O S S I E R T patients immunodéprimés ou traités par immunosuppresseurs ou corticoïdes. Le second groupe comprend les patients ayant une forte probabilité de diarrhée bactérienne, virale ou parasitaire accessible à un traitement spécifique : achlorhydrie, retour d’un voyage en pays d’endémie, prise d’antibiotiques, notion d’épidémie à un germe connu, toxi-infection alimentaire. Le troisième groupe est représenté par les patients ayant des signes de gravité de l’infection intestinale : déshydratation importante, septicémie, défense abdominale, troubles neurologiques, fièvre élevée supérieure à 38°5 C. Le quatrième groupe correspond aux patients ayant un syndrome dysentérique : émission de glaires, de pus, rectorragies et faux besoins. Ce syndrome dysentérique est relativement rare en France puisqu’il complique 5 à 10 % des diarrhées aiguës. Cependant, il indique que l’infection intestinale est associée à des lésions organiques de l’intestin grêle ou du côlon qui nécessiteront un traitement médical. Enfin, les malades dont la diarrhée persiste plus de 3 jours malgré le traitement symptomatique représentent le cinquième groupe de patients à explorer. PRINCIPAUX EXAMENS COMPLÉMENTAIRES À VISÉE DIAGNOSTIQUE De nombreux examens complémentaires peuvent être réalisés pour permettre la mise en évidence des agents infectieux. Examens de selles : examen direct et coproculture Les prélèvements de selles doivent être réalisés idéalement 3 jours de suite et amenés au laboratoire dans les 2 heures suivant l’émission ou être conservés à 4°C pendant 12 heures au maximum. L’examen direct permet la recherche d’hématies et de polynucléaires neutrophiles ou éosinophiles (cristaux de CharcotLeyden). Cet examen permet d’apporter des informations en faveur de lésions organiques bactériennes/virales (hématies, polynucléaires neutrophiles) ou parasitaires (polynucléaires éosinophiles) incitant la réalisation de coprocultures ou d’examens parasitologiques des selles ainsi que la réalisation d’une endoscopie. Il permet également d’identifier parfois des bactéries mobiles ou des formes kystiques d’Entamoeba histolytica. La coproculture est réalisée en France sur des milieux de culture qui permettent la détection de Salmonella, Shigella, Campylobacter et Yersinia. Tous les germes ne sont donc pas recherchés et il est important que le clinicien demande, en fonction des données cliniques, une recherche de bactéries spécifiques qui nécessiteront l’utilisation de milieux de culture particuliers (tableau II). Recherche des toxines de Clostridium difficile dans les selles La mise en évidence des toxines A et B responsables de la colite à Clostridium difficile peut être réalisée par effet cytopathique d’un filtrat de selles ou par technique ELISA. La recherche par effet cytopathique a l’avantage d’une très bonne sensibilité et spécificité (proche de 100 %) mais l’inconvénient d’être longue (48 à 72 heures). La technique ELISA est rapide et spécifique, mais sa sensibilité est moyenne variant entre 60 et 90 % (1). 22 H É M A T I Q U E Tableau II. Principaux moyens diagnostiques des colites bactériennes. Coproculture standard Salmonella Shigella Campylobacter Yersinia Clostridium Toxines de Clostridium Klebsiella oxytoca E. coli O157:H7 + + ± ± _ + Coprocultures Culture de biopsie et sur milieux sélectifs milieux sélectifs + + + + + + + + _ _ + + – + + Examen parasitologique des selles L’examen parasitologique des selles associe un examen direct et deux techniques de concentration. Ces techniques permettent d’identifier les formes végétatives et kystiques d’amibes, les kystes de Giardia lamblia, les helminthiases. Comme pour la coproculture, les prélèvements de selles doivent être réalisés idéalement 3 jours de suite et amenés au laboratoire dans les 2 heures suivant l’émission ou être conservés à 4 °C pendant 12 heures au maximum. Il est important également que le clinicien demande, en fonction des données cliniques, la recherche de parasites spécifiques qui nécessiteront des ensemencements particuliers (2). Recherche de virus dans les selles Des techniques ELISA sont disponibles pour rechercher des rotavirus et adénovirus dans les selles. Ces recherches sont utilisées chez l’enfant ou dans le cadre d’étude épidémiologique. Elles n’ont pas d’intérêt chez l’adulte au cours des diarrhées aiguës. Examens endoscopiques et prélèvements muqueux L’examen endoscopique permet de localiser les lésions muqueuses et d’en préciser leur type et leur intensité. Ces lésions peuvent faire discuter le diagnostic de colites infectieuses, ischémiques, médicamenteuses et inflammatoires. La distinction entre ces différentes entités est souvent difficile car plusieurs mécanismes sont souvent associés (3). L’examen permet également de réaliser un écouvillonnage de glaires ou de pus adhérant à la muqueuse à la recherche d’agents infectieux spécifiques. Il est souhaitable de réaliser des biopsies muqueuses à la pince permettant la recherche de lésions histologiques particulières et de bactéries spécifiques après broyage et ensemencement sur milieux de culture (tableau II). Ces prélèvements permettront notamment la recherche d’éléments en faveur d’une infection à Herpes simplex virus (HSV) : – effet cytopathique caractéristique mis en évidence après 48 à 72 heures de culture sur tapis cellulaire d’un produit d’écouvillonnage rectal ou d’un broyat de biopsies rectales ; La lettre de l’hépato-gastroentérologue - no 1 - vol. IV - janvier-février 2001 – présence de lésions histologiques caractéristiques à type de cellules multinucléées et d’inclusions cellulaires en “verre dépoli” ; – détection des antigènes viraux par méthode ELISA ou immunofluorescence à partir du produit d’écouvillonnage rectal. Diarrhée aiguë à explorer Pas de Sd dysentérique Sérologies et antigénémie Différentes sérologies sont disponibles pour orienter le diagnostic vers une pathologie bactérienne, virale ou parasitaire. Les sérologies des salmonelloses, shigelloses, yersinioses et infections à Campylobacter n’ont d’intérêt que lorsque les coprocultures sont impossibles. Les sérologies virales (HSV, CMV) et la réalisation d’une antigénémie CMV peuvent permettre d’étayer le diagnostic de colite herpétique. Enfin, de nombreuses sérologies parasitaires sont disponibles et peuvent contribuer au diagnostique lorsque les examens parasitologiques des selles sont négatifs. Sd dysentérique Coproculture Ex parasitologique Coproculture Ex parasitologique Si présence d'hématies ou de polynucléaires Patient présentant une diarrhée aiguë après la prise d’antibiotiques (figure ) La principale cause de colite nosocomiale ou survenant au cours ou dans les 6 semaines suivant l’arrêt d’un traitement par antibiotiques est secondaire à Clostridium difficile. La preuve repose sur la mise en évidence des toxines dans les selles. En cas de premier test négatif, il est nécessaire de répéter l’examen, notamment lorsque celui-ci a été réalisé par la méthode ELISA et de faire conjointement une coproculture en précisant la recherche spécifique de Klebsiella oxytoca. Il est important de noter que la détection de toxines dans les selles “se négative” 24 heures après la mise en route d’un traitement efficace par le métronidazole et que la recherche de toxines dans les biopsies muqueuses a une mauvaise sensibilité. La réalisation de l’endoscopie permettra de caractériser les lésions coliques. La mise en évidence de fausses membranes confirmera le diagnostic de colite à Clostridium difficile (4). Cependant, la majorité des colites à Clostridium difficile correspondent à des formes non pseudo-membraneuses (5). L’existence d’une colite hémorragique sera davantage en faveur d’une infection à Klebsiella oxytoca qui doit être documentée par ensemencement sur milieu sélectif des selles et des biopsies coliques. La lettre de l’hépato-gastroentérologue - no 1 - vol. IV - janvier-février 2001 Coproculture Toxines (selles) Endoscopie CHOIX DES EXAMENS COMPLÉMENTAIRES À VISÉE DIAGNOSTIQUE À PROPOSER Patient présentant une diarrhée aiguë à explorer sans ou avec syndrome clinique dysentérique (figure) Une coproculture et un examen parasitologique des selles seront systématiquement réalisés. L’examen direct peut permettre d’orienter le diagnostic vers une étiologie bactérienne/virale ou parasitaire et mettre en évidence la présence d’hématies ou de polynucléaires qui justifieront la réalisation d’un examen endoscopique avec biopsies pour une étude histologique, bactériologique et/ou virologique. En cas de syndrome clinique dysentérique, la coloscopie doit être systématiquement proposée. Devant une colite hémorragique survenant après l’ingestion de viande de bœuf insuffisamment cuite, une recherche particulière de E. coli O157:H7 par ensemencement des selles et des broyats de biopsies sera demandée. Prise antibiotique Hémorragique Pseudo-membranes Biopsies Histologie et culture Toxines (selles) Recherche E. coli O157:H7 Sd : syndrome Ex : examen Figure. Une endoscopie sera systématiquement réalisée en cas de syndrome dysentérique et/ou lors de la présence d’hématies ou de polynucléaires à l’examen direct des selles. En cas de prise d’antibiotique, une recherche de toxine sera systématiquement réalisée avant l’exploration endoscopique. La recherche de germes particuliers dans les biopsies sera guidée par l’aspect des lésions endoscopiques. Patient présentant une suspicion de colite herpétique Lorsque le tableau clinique est évocateur, un examen endoscopique doit être réalisé à la recherche de vésicules ou de petites ulcérations classiquement limitées aux dix derniers centimètres de la muqueuse rectale qui peut être friable et hémorragique. Les prélèvements muqueux seront réalisés préférentiellement sur les berges des ulcérations et permettront la réalisation de culture virale (recherche de HSV2 et de CMV) ainsi qu’un examen histologique (recherche des lésions cellulaires caractéristiques, immunomarquage). Des sérologies virales ou la recherche d’une antigénémie à CMV pourront également contribuer au diagnostic de colite herpétique (6). Mots clés. Diarrhée aiguë – Colite aiguë – Coproculture – Toxine – Sérologie – Endoscopie – Culture. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Manabe YC, Vinetz JM, Moore RD et al. Clostridium difficile colitis : an efficient clinical approach to diagnosis. Ann Intern Med 1995 ; 123 : 835-40. 2. Desreumaux P, Seguy D, Dutoit E et al. La gastroentérite à éosinophiles. Hépatogastro 1996 ; 4 : 279-86. 3. Griffin PM, Olmstead LC, Petras RE. Escherichia coli O157:H7-associated colitis. A clinical and histological study of 11 cases. Gastroenterology 1990 ; 99 : 142-3. 4. Fekety R. Guidelines for the diagnosis and management of Clostridium difficile –associated diarrhea and colitis. Am J Gastroenterol 1997 ; 92 : 739-50. 5. Beaugerie L. Imputation des diarrhées et des entérocolites aux médicaments. Gastroenterol Clin Biol 1998 ; 22 : 773-7. 6. Beaugerie L, Cywiner-Golenzer C, Monfort L et al. Definition and diagnosis of cytomegalovirus colitis in patients infected by human immunodeficiency virus. J Acquir Immune Defic Syndr Hum Retrovirol 1997 ; 14 : 423-9. 23