ÉDITORIAL Hormones et cancer du sein : des relations conflictuelles “ Hormone and breast cancer: conflicting connection Q Christian Jamin AFACS, 169, bd Haussmann, 75008 Paris ue les estrogènes soient indispensables à la naissance et à la promotion du cancer du sein ne fait aucun doute pour personne. Ainsi, il n’y aura pas de cancer du sein en cas d’impubérisme et moins de cancers du sein si la vie ovarienne a été émaillée de longs épisodes d’hypoestrogénie. À partir de cette certitude sont nés des syllogismes qui ont la vie dure : “Il faut des estrogènes pour avoir un cancer du sein, donc un excès d’estrogènes en doses et/ou en durée entraînera un excès de cancers du sein”. “Les progestatifs sont des antiestrogènes, donc ils protègent du cancer du sein”. À partir de là, des hypothèses se sont construites, vite prises pour des certitudes : à chaque facteur de risque épidémiologique découvert, on associait l’une ou l’autre de ces explications, comme par exemple l’âge bas de la puberté et/ou tardif de la ménopause sont des facteurs d’hyperestrogénie relative, donc de cancer du sein, le surpoids et l’alcool augmentent l’estrogénie, c’est donc par ces biais que l’on découvre davantage de cancers du sein, etc. Mais les études épidémiologiques ne vont pas toutes dans ce sens, loin de là, et malgré l’imagination déployée pour adapter la réalité à la théorie, nombre de situations ne rentrent pas dans ces schémas. On peut citer parmi les bizarreries de l’“hormonalement” correct le fait suivant : la ménopause naturelle qui s’accompagne d’une carence estrogénique n’entraîne aucunement de diminution de l’incidence du cancer du sein, en revanche, l’arrêt de certains traitements hormonaux de la ménopause, ceux précisément qui augmentent l’incidence du cancer du sein, est suivi d’une décroissance de cette incidence du cancer du sein. Ainsi, la disparition naturelle de l’imprégnation hormonale ne diminue pas le risque, alors que la disparition iatrogène de cette même imprégnation le diminue ! Autre paradoxe, parmi de nombreux autres, l’obésité de la femme préménopausée est plutôt un facteur protecteur de cancer du sein, alors que l’obésité postménopausique est, elle, liée à un excès de cancer. Force est donc de revoir ces certitudes et de chercher d’autres logiques que celles citées plus haut. Il apparaît de plus en plus certain que les traitements estrogéniques isolés n’augmentent pas le risque de cancer du sein et même le diminuent de manière durable. Les progestatifs sont sur la sellette. Les traitements hormonaux de la ménopause ont des effets différents selon qu’ils sont associés ou non à la prise de progestatifs, et, si oui, c'est dans le cas de progestatifs artificiels, de progestérone ou rétroprogestérone. Comment expliquer de telles différences entre les progestatifs ? Elles pourraient être liées à des affinités différentes des progestatifs pour d’autres récepteurs de stéroïdes, comme celui des androgènes, des glucocorticoïdes ou d’autres. Mais aussi à des affinités différentes pour les sous-types de récepteurs de la progestérone ou pour les enzymes qui la métabolisent. Et enfin, c’est la piste privilégiée actuellement, à des effets indirects, comme l’influence différente des stéroïdes sur les facteurs de croissance tels que l’insuline, l’IGF-1 et les adipocytokines. La vision simple du rôle délétère des stéroïdes sexuels, en particulier exogènes, sur le risque de cancer du sein, a donc vécu. N’oublions pas non plus que les risques relatifs induits sont très faibles et les stéroïdes sexuels n’ont probablement que des effets promoteurs, et non initiateurs. Cet effet promoteur ne sera mesurable que si le risque spontané est présent, ce qui peut expliquer les effets différents des hormones suivant l’âge. 4 | La Lettre du Sénologue • n° 57 - juillet-août-septembre 2012 Séno 57sept.indd 4 10/10/12 09:48