R U M E U R S Revue de presse grand public ● M. Escoute* “Le citoyen soviétique possède à mon avis une entière liberté de critique. (...) Vers 1960, avant 1965, si la France continue à stagner, le niveau de vie moyen en URSS sera de 30 à 40 % supérieur au nôtre.” J.P. Sartre. Libération, juillet 1954 (coreligionnaire d’Elizabeth Teyssier) À part ceux de Sartre, que nous disaient nos parents, déjà, en même temps qu’une bonne torgnole sur l’occiput ? Ah oui : “Tourne sept fois ta langue dans ta bouche avant de parler, ça t’évitera de dire des âneries”. S’il est une question pour laquelle cette acrobatie linguale est malheureusement tombée en désuétude, c’est bien celle des traitements hormonaux substitutifs ! On nage ici dans le domaine du passionnel, de l’exaltation et du fanatisme, avec, d’un côté, l’étendard mortifère du cancer et, de l’autre, le “jeunisme” dictatorial. Et cela d’autant plus facilement que la plupart des études sont contradictoires ou, du moins, ne peuvent jamais certifier l’impossible “risque zéro”. Sans compter que cela concerne dix millions de femmes en France et 400 000 supplémentaires chaque année. Et leur vie de ressembler à une grande vallée de larmes : prenant “J’ai la mémoire qui flanche, j’me souviens plus très bien” pour l’hymne national, elles observent, atterrées, le collagène qui se défile, l’infiltration adipeuse qui se profile, associés à des fluctuations caractérielles sismiques, le tout couronné de slogans publicitaires pour des crèmes “antiâge” vantées par des nymphettes prépubères ! On conçoit aisément que toutes ces femmes se prennent à rêver d’un fantasmatique élixir de jouvence. Aucun doute : quel prodigieux marché ! De quoi rendre fou de bonheur le CAC 40 ! Il y a donc les prosélytes (en gros, les allopathes) : “Ne souffrez plus de la ménopause” (Tribune et Santé), “Rester jeune : les molécules de l’avenir” (Questions de femmes), “Quand la femme est l’avenir de l’homme” (Réponses santé), “Ménopause, un cap à passer” (Bien-être et Santé), “Comment aider la nature” (Univers santé), “La ménopause : les femmes mal informées des possibilités de traitement” (La Presse de la Manche, La Nouvelle République des Pyrénées), etc., où sont clairement expliqués les troubles physiologiques et psychologiques inhérents à la ménopause et les possibilités de contourner ces effets par un traitement adapté et modulé. Mais c’est surtout l’intérêt des ces thérapeutiques pour l’ostéoporose qui est mis en exergue : “L’ostéoporose, la maladie chronique la plus fréquente au monde” (Le Monde), “L’ostéoporose, maladie silencieuse” (La République du Centre), “L’ostéoporose en Europe : deux fractures par minute” (La Voix du Nord), où il est précisé qu’avec un coût de 23 milliards de francs (impliquant les consolidations orthopédiques), la déminéralisation osseuse est plus fréquente que les cancers du sein, de l’utérus et des ovaires réunis ! Alors quoi ! Encore un * Clinique Sainte-Catherine, Avignon. La Lettre du Sénologue - n° 8 - mai 2000 choix cornélien pour nos mamies : Amazone ou Robocop ? Mais la sagesse est peut-être apportée par Le Monde : “Il est conseillé de faire de la gymnastique toute sa vie… et de limiter les chutes”. (Quand est-ce qu’on supprime enfin les escaliers, les trottoirs, les chiens, les tapis, les bananes et les mauvaises nouvelles ?) De plus, on voit fleurir, dans ces documentaires (Le Nouvel Économiste, L’Est républicain, Pour la science…), la notion de nouvelles molécules “anticancer” révolutionnaires, dont l’équation est aussi simple qu’OGM = JBFF (José Bové from France), à savoir SERM = THSF ou traitement hormonal substitutif du futur ! (Il y a peu, une patiente m’a négligemment demandé si elle ne pouvait pas prendre du raloxifène plutôt que des estrogènes… ça devait être une MGEN…) Car il y a quand même une constante dans tous ces articles s’appuyant sur les résultats bénéfiques de ces traitements du cancer du sein : ce sont les explications des effets délétères incontournables, même faibles (tout étant relatif – cf. le risque zéro). Et, justement, à l’AFP, le 25 janvier 2000 à 21 h GMT, Enola Gay reprenait du service et lâchait un autre Little Boy : “L’association estrogènes-progestérone accroît le risque de cancer du sein”. On obtenait alors des gros titres tels : “Les traitements hormonaux de la ménopause augmentent le risque de cancer du sein” (L’Indépendant), “Gare aux estrogènes” (Le Courrier picard), “Faut-il avoir peur des traitements de la ménopause” (Le Monde). Mais aussi des articles, version intellectuelle : “Des études imparfaites, des conclusions fragiles” (Le Monde), où sont expliqués les risques de biais de sélection, de prescription, de non-prescription, de randomisation quasi impossible, rendant les résultats peu fiables, avec des dangers de surestimation des effets protecteurs ; ou version pragmatique : “Hormones antiménopause : pas de panique” (Elle), où l’on explique que “nihil nove sub sole”, que ces résultats ne sont en aucun cas un scoop, que l’on attend ceux d’un essai européen (d’autant plus que les filles de l’Oncle Sam n’utilisent pas les mêmes molécules que celles du Vieux Continent) et que, de toute façon, l’avenir est aux… OGM, SERM, JBFF (rayez la mention inutile, et si vous avez répondu SERM, bravo, vous avez bien suivi !). Quant à nous, dans notre quotidien, après cette bombe étasunienne, ivres de fatigue, les parotides et les sous-maxillaires agonisants, nous avons fini par distribuer, à la cadence des usines japonaises, l’article photocopié de Claude Jamin paru dans le Quotidien du médecin en réponse au JAMA. Et puis il y a, bien sûr, les contempteurs (à peu près les oh ! mais oh ! pathes, ou ceux qui ne sont pas d’accord). À quoi les reconnaît-on ? Ils ont abandonné le tonneau, peu rentable, pour les allocutions médiatiques, beaucoup plus lucratives, mais conservent leurs anathèmes terroristes, une lueur mercantile dans leur rétine étrangement tapissée de portraits d’Abraham Lincoln. Parfois, certains (pour enfumer l’ennemi ?) portent même une blouse blanche ! Et leurs harangues donnent à peu près ceci : “Ménopause, les plantes s’imposent” (Alternative santé et L’Impatient), “Le soja contre le cancer” (Objectif et Actions mutualistes), 43 R U M E U R “Les hormones végétales : une autre approche de la ménopause” (Réponses santé), “Les aliments qui remplacent les hormones” (Médecine douce), “Femmes, on vous ment depuis 40 ans ! Ce que les laboratoires et médecins vous cachent à propos de la ménopause” (La vie naturelle), où l’on retrouve des camouflets du style : “Les médecins : une sclérose invraisemblable face aux avancées de la recherche. (…) Des millions de femmes victimes d’une information mensongère de la part de ceux à qui elles confient leur santé. Les laboratoires : le triomphe de la publicité sur la science”. Article où il est rapporté que “les symptômes de la ménopause, hormis bouffées de chaleur et sécheresse vaginale, ne cèdent pas aux estrogènes mais, pire, s’aggravent” et que “seule la progestérone naturelle est efficace (sic)” ! Quand on voit poindre, au vu de quelques études, les effets précurseurs cancéreux de certaines progestérones, on peut suggérer au grand Dr Lee (maître ès progestérones) d’acheter vite fait un lopin de terre en Argentine : la junte militaire, comme chacun sait, y étant beaucoup plus clémente avec certains… De toute façon, après Suzuki, Sony, Nissan, Kawasaki, Honda, Toyota, voilà le soja, en grains, en pousses, en lait, en purée, en tofu, à ingurgiter, à mâcher, à cuisiner, à fumer (?)... Car, sociologiquement parlant, il est intéressant de constater que, si certaines Françaises ne savent pas combien de brosses à dents se vendent par an en France, elles sont en revanche incollables sur les mœurs culinaires du pays des geishas ! Vous me direz, c’est normal, car, comme le souligne Jean Yanne : “Il est impossible de comparer le QI des femmes et leurs seins, car il se vend plus de soutiens-gorge que de biographies du père Teilhard de Chardin”. Le “hic”, c’est que, pour l’instant, malgré une inflation galopante d’articles sur le sujet, toutes ces plantes miraculeuses n’ont fait leurs preuves qu’in vitro ou chez l’animal. Et, en plus, hormis l’équation inconnue du dosage efficient, semble pointer la notion de longévité thérapeutique efficace. Car on se pose la question de savoir si les Japonaises ne développent pas moins de cancers du sein en raison d’une imprégnation génistéique in utero ! Ce qui rendrait l’intérêt du soja caduc après 50 ans ! À suivre… ✘ Un très bel article, dans La Recherche (octobre 1999), qui lapide quelques idées reçues et risque fort de contrarier Mme Voynet : “Neuf idées reçues passées au crible de la science”, et ces quelques contrevérités : • Les taux de cancers sont en plein essor : si l’on élimine les cancers du poumon dus pour 90 % au tabagisme, le taux global de mortalité par cancer a décru de 18 % depuis 1950 (cancer du sein compris). • Les produits chimiques synthétiques sont les principaux responsables de l’exposition humaine aux cancérigènes : dans l’alimentation humaine, 99,99 % des pesticides absorbés sont d’origine naturelle : chaque plante produit son propre arsenal chimique pour se défendre et, ainsi, un Américain absorbe, par jour, en pesticides naturels, 10 000 fois son quota de résidus de pesticides synthétiques ! • Le régime des chasseurs-cueilleurs : notre régime alimentaire ayant évolué très rapidement, nous ne consommons pas les mêmes produits que les chasseurs-cueilleurs, et la sélection naturelle étant très lente, notre organisme n’a pas eu le temps de développer des résistances spécifiques aux toxines contenues dans ces plantes. 44 S À propos du DDT : un rapport de l’Académie des sciences américaine concluait, en 1970 : “En un peu plus de deux décennies, le DDT a permis de prévenir 500 millions de décès”. En effet, celuici a permis d’éradiquer la malaria et certains vecteurs de maladies tels les moustiques, les mouches tsé-tsé, les puces, les poux et les tiques. Sans compter la protection des cultures et, par là-même, leur moindre coût, et ainsi leur accessibilité pour les populations défavorisées. ✘ Que vous ignoriez qu’il existe un nouveau ministère de… l’Économie solidaire, passe encore, mais la déclaration de guerre au cancer du 1er février 2000… Pas moins de 92 quotidiens ou hebdomadaires en ont parlé, annonçant une mobilisation quasi générale des forces vives de la Nation dans un vaste programme s’étendant sur cinq ans ou “plan quinquennal” (avis : tout parallèle douteux et spécieux avec une quelconque planification soviétique ne pourra être le fruit que d’esprits malveillants et béotiens !). On pourra constater que tous les points forts de ce projet, rapportés par Dominique Gillot – lutte contre le tabagisme et l’alcool, dépistage systématique des cancers sein-col-côlon, amélioration de la qualité de la prise en charge, des soins et des besoins psychosociaux et coordination des efforts de recherche –, avaient été élaborés, souhaités et énoncés par Le Cercle (groupe de réflexion de cancérologues français ayant fédéré public, privé, CAC et universitaires, soutenu par Joël Ménard, ancien directeur général de la Santé). Dans le même temps se réunissaient, sous le titre de “Charte mondiale contre le cancer”, 160 représentants de gouvernements, cancérologues, malades et personnalités, pour une ratification, le 4 février 2000, par Jacques Chirac et Koichiro Matsuura. Et enfin les scoops : ✘ Dans Côté Femme, sous le titre “Cancer du sein : il faut que ça bouge”, un encadré surprenant intitulé “Quand faire une mammographie ?”. Il y est écrit : “À partir de 45 ans, une mammographie tous les deux ans, voire plus souvent…” Qui a soufflé ça, hein ? ✘ Quand la presse se veut rassurante… Dans Réponses santé, à propos du gène du cancer du sein : “... heureusement, la présence du gène atteint ne signifie pas automatiquement la survenue du cancer.” Vrai, mais avec 80 % de risques à 70 ans, et vu l’espérance de vie, deux possibilités : la réalité des anges gardiens, ou la traversée subite du macadam par les platanes. ✘ Dans Sciences et Avenir, après les essais oncocapillaires australiens, des études dermatoglyphes (empreintes digitales) américaines pour prédire un avenir schizophrénique, crétinique ou cancéreux mammaire ! Selon le Dr Seltzer (Newark, New Jersey), “la VPP de ces anomalies est comparable à celle des mammographies et des biopsies” ! Vraisemblablement, cet éminent docteur n’a jamais voulu écouter son grand-père – Alka de son prénom –, génial inventeur de la potion miracle contre les excès éthyliques qui porte son nom. ✘ Retrouvé dans le Wall Street Journal, Nord Éclair, Les Échos, L’Indépendant : “Erreurs médicales aux États-Unis : 44 000 à 98 000 morts par an”, où il est rapporté que ces décès sont plus nombreux que ceux par accident de la route, cancer du sein ou sida ! Dans Le Parisien : “Quelque trois cents Allemandes ont été amputées de leur sein, alors qu’elles ne souffraient d’aucun cancer” ; dans Le Figaro et Le Monde : “le scandale d’un essai sudafricain truqué” et, dans Viva Magazine et L’Alsace : “Cancer : le retard britannique”… L’Ordre mondial des avocats aurait-il lancé une fatwa ? ■ La Lettre du Sénologue - n° 8 - mai 2000