Médecine & enfance ECHANGES F. Lacaille, service d’hépatologie, gastroentérologie et nutrition pédiatriques, hôpital Necker-Enfants Malades, Paris Cet article reprend l’exposé fait lors d’une réunion de l’association Echanges pédiatre de ville-pédiatre hospitalier Exploration et prise en charge d’une augmentation des transaminases Les transaminases ne sont pas des protéines habituellement circulantes, et les valeurs normales de leur concentration sérique sont bien connues depuis longtemps : une augmentation persistante de ces valeurs ne doit jamais rester inexpliquée. La « transaminite » bénigne n’existe pas. La cause la plus fréquente chez l’enfant est une infection virale aiguë. Il ne faut toutefois pas ignorer la gravité possible d’une hépatite virale ou toxique, et savoir penser à la révélation d’une maladie chronique. es transaminases ou aminotransférases (1) sont des enzymes tissulaires catalysant le transport de radicaux α-aminés de l’alanine et l’acide aspartique à l’acide α-cétoglutarique. Elles sont exprimées dans le foie, mais aussi dans d’autres organes, dont le muscle et, pour les ASAT, dans les hématies. L’augmentation de leur concentration sérique peut donc être due à une maladie hépatique, mais aussi à une myopathie et, pour les ASAT, à une hémolyse. Les ALAT sont plus spécifiques d’une atteinte hépatique. La concentration sérique normale est très basse (< 25 à 60 UI selon les laboratoires). Elle n’est pas bien corrélée à l’importance des lésions hépatiques : elle peut atteindre 2 000 UI dans une hépatite virale non compliquée, et être à peine élevée dans certaines cirrhoses. C’est l’occasion de rappeler que le foie est un organe « traître », qui s’explore mal de l’extérieur… L QUAND DEMANDER UNE MESURE DE LA CONCENTRATION SÉRIQUE DES TRANSAMINASES ? Rubrique réalisée avec l’association Echanges pédiatre de ville-pédiatre hospitalier Un ralentissement de la croissance, une diarrhée chronique, des douleurs abdominales, sont rarement des signes révélateurs de maladie hépatique. Les symptômes évocateurs d’une maladie du foie peuvent être bruyants : nausées, éruption, fièvre, hépatomégalie, hémorragie décembre 2008 page 462 digestive, ascite, ictère. Mais la présentation est plus souvent indolente : hépatomégalie, splénomégalie, signes d’hypertension portale, asthénie, prurit. Un épisode « d’allure virale » aigu, sans caractère de gravité, n’est pas une bonne indication, car beaucoup de virus ont un tropisme hépatique, et vont donc être la cause d’une augmentation des transaminases. Il faudra contrôler la normalisation de la biologie à distance, alors que l’enfant aura guéri cliniquement. Cette source d’inquiétude et de dépenses supplémentaires n’aide en rien à la prise en charge de l’infection aiguë. ANALYSE DES ANTÉCÉDENTS Il faut d’abord rechercher une prise de toxique, en particulier de paracétamol, dont il faut comptabiliser exactement la dose reçue (combien de cuillères, de sachets, à quel dosage). Chez l’adolescent, quoique ce soit plus rare en France qu’en Angleterre étant donné le conditionnement individuel des comprimés, il peut s’agir d’une intoxication volontaire. Quasiment tous les antibiotiques et les anti-inflammatoires non stéroïdiens peuvent entraîner une élévation modérée des transaminases. Il faut immédiatement suspendre la prise de tout médicament non vital, surtout les (1) ASAT = aspartate aminotransférase = SGOT. ALAT = alanine aminotransférase = SGPT. Médecine & enfance antipyrétiques (aggravation possible de l’évolution d’une hépatite virale). Il faut s’enquérir d’une infection d’allure virale dans l’entourage, de la consommation de champignons sauvages, d’un contage possible d’hépatite A (voyage en pays à bas niveau d’hygiène, mais aussi sur la côte Atlantique !). Sauf en cas d’obstacle biliaire, l’enfant se plaint rarement de douleurs abdominales importantes, mais seulement d’un vague « malaise gastrique ». La courbe de croissance (qu’il faut bien sûr reconstituer !) donne rarement des renseignements, car l’infléchissement staturopondéral est inconstant et tardif dans les maladies hépatiques chroniques, sauf en cas de cholestase chronique anictérique. Par contre, une diminution du rendement scolaire peut être précoce (maladie de Wilson). Des antécédents familiaux d’auto-immunité doivent être recherchés (diabète insulinodépendant, vitiligo, goitre, polyarthrite, sclérose en plaques…), de même que des symptômes musculaires (myopathie). EXAMEN On recherche : un ictère, qui est d’abord conjonctival (visible à partir de 50-60 μM de bilirubine) avant d’être cutané ; une hépatomégalie, dont la consistance doit être précisée (ferme ou dure, orientant vers une maladie chronique), souvent sensible s’il s’agit d’une hépatite aiguë ; une splénomégalie, qui évoque soit une infection virale (herpesviridae), soit une hypertension portale, soit, mais rarement dans ce contexte, certaines maladies métaboliques ; une circulation veineuse collatérale (hypertension portale) ; une érythrose palmaire et un hippocratisme digital (maladie hépatique chronique) ; des adénopathies ou une angine (infection virale). Des douleurs abdominales vagues sont fréquentes en cas d’hépatite aiguë, mais il est rare de provoquer à la palpation Démarche diagnostique Augmentation des transaminases Recherche d’une prise de toxique, d’un contage Dosage des IgM anti-VHA Positif Négatif Hépatite A Autre virus (VHB, VHC, CMV, EBV) ? Positif Négatif Dosage du TP Hépatite auto-immune Wilson Déficit en α1-AT Maladie métabolique Cholestase chronique Lithiase Maladie coeliaque Obésité Myopathie Dosage du TP TP : taux de prothrombine VHB : virus de l'hépatite B VHC : virus de l'hépatite C CMV : cytomégalovirus. EBV : Epstein-Barr Virus α1-AT : α1-antitrypsine. sous-hépatique des douleurs de type vésiculaire. Chez un jeune enfant, il faut aussi chercher des signes en faveur d’une maladie métabolique : visage poupin, hépatomégalie volumineuse et molle, vomissements. (Dépakine ® ) peuvent évoluer sur un mode fulminant : il faut contrôler en urgence la fonction hépatique (taux de prothrombine) et demander un avis spécialisé. Si l’enfant est ictérique, il faut aussitôt rechercher des signes de gravité : Virus Le premier à rechercher est celui de l’hépatite A, par le dosage des IgM spécifiques. Une hépatite A ictérique sur mille évolue de façon fulminante : il faut contrôler le taux de prothrombine (TP) au pic de l’ictère (ne pas hésiter à revoir l’enfant, recontrôler l’hémostase si l’enfant a été vu au tout début) et demander un avis spécialisé en urgence s’il est abaissé. Une hépatite A sans ictère n’est jamais fulminante (car le virus entraîne une nécrose hépatique). La normalisation des transaminases peut prendre plusieurs mois après l’épisode aigu, et il n’y a pas d’intérêt à la vérifier car l’évolution n’est jamais chronique. Si les IgM antihépatite A sont négatives, et en fonction du contexte et de la gravité du tableau, on peut rechercher inversion du rythme du sommeil (premier signe de l’encéphalopathie hépatique) ; troubles de la coagulation (hématomes faciles). EXAMENS COMPLÉMENTAIRES SUSPICION D’HÉPATITE TOXIQUE En cas de doute, il faut demander un dosage sanguin de paracétamol en urgence et commencer un traitement par N-acétylcystéine (sans danger), oral de préférence. Les hépatites dues au paracétamol, aux antituberculeux (isoniazide et pyrazinamide) ou au valproate décembre 2008 page 463 PAS DE PRISE DE TOXIQUE Médecine & enfance d’autres virus (le laboratoire a obligation légale de garder le sérum, il n’y a donc pas besoin de faire un nouveau prélèvement). Une hépatite aiguë B peut être observée dans trois situations : après quarante-cinq jours de vie chez un nourrisson contaminé par sa mère et non vacciné à la naissance (situation très rare dans l’absolu et qui, théoriquement, ne se produit « jamais en France » étant donné le dépistage légal pendant la grossesse et la vaccination néonatale ; attention cependant aux « ratages » de plus en plus fréquents !) ; chez un adolescent contaminé par voie sexuelle ou sanguine (drogues intraveineuses, acupuncture, piercing, tatouages) ; dans une famille où vit un porteur chronique (généralement originaire d’un pays d’endémie et non « dépisté »). Le risque d’évolution fulminante est de 1 % des hépatites ictériques, et il est là aussi indispensable de surveiller le TP. Il est rarissime que le virus de l’hépatite C entraîne un tableau d’hépatite aiguë chez un enfant. Par contre, en cas d’hépatite C de contamination néonatale, il est fréquent d’observer une fluctuation des transaminases dans les premières années de vie, sans signes cliniques. Il n’y a pas d’évolution fulminante. Pour les virus B et C, il est important de surveiller l’évolution, qui se fait souvent sur un mode chronique. Les virus CMV et EBV, comme tous les herpesviridae, ont un tropisme hépatique, mais l’hépatite est le plus souvent peu symptomatique, dans un contexte de mononucléose infectieuse : angine, poly-adénopathies, hépatosplénomégalie modérée. Si le diagnostic est confirmé par les IgM spécifiques, il n’est pas nécessaire de contrôler la normalisation du bilan hépatique. De nombreux autres virus ont un tropisme hépatique (adénovirus, entérovirus, etc.) et sont probablement responsables de la majorité des hépatites anictériques de l’enfant : les transaminases ont été dosées dans un contexte viral et se normalisent en quelques semaines. Il n’y a aucun signe clinique inquiétant et pas d’autres explorations à faire. Comme nous l’avons dit plus haut, le dosage des transaminases dans ce contexte n’a que peu d’intérêt. Pas de virus retrouvé On recherche alors une maladie hépatique, ou plus rarement extrahépatique, chronique. On complète donc les examens par : un dosage de la créatine-kinase (CK) : ne s’agit-il pas d’une maladie musculaire ? le dosage de la bilirubine totale et conjuguée, des phosphatases alcalines (PA) et de la γ-glutamyl-transpeptidase (GGT). La concentration sérique de ces deux dernières enzymes est augmentée en cas d’hépatite dans une proportion moindre que celle des transaminases ; c’est généralement le contraire en cas de cholestase aiguë ou chronique ; une étude de la coagulation : signes d’insuffisance hépatocellulaire ; une électrophorèse des protides, qui donne trois renseignements : – étant donné la longue demi-vie de l’albuminémie, si celle-ci est basse, il existe une insuffisance hépatocellulaire ancienne, – l’existence d’un pic d’α1-globulines, qui est absent dans un déficit en α1-antitrypsine (mais attention, il arrive, pour des raisons techniques, qu’un pic soit visible dans d’authentiques déficits), – le taux des gammaglobulines : il est augmenté dans les maladies auto-immunes (hépatite auto-immune, cholangite sclérosante) et aussi, mais de façon moins importante, dans beaucoup de cirrhoses ; une échographie abdominale : aspect du foie, dilatation des voies biliaires, signes d’hypertension portale ; et, en fonction de l’orientation clinique (cf. plus bas) : – une recherche d’auto-anticorps, – le dosage de la céruléoplasmine, de l’haptoglobine et de la cuprurie des vingt-quatre heures, – l’ammoniémie, – le dosage des lactates et un bilan lipidique, – une radiographie du rachis de face, décembre 2008 page 464 – une échographie cardiaque, – un examen ophtalmologique. En l’absence de prise de toxiques et d’atteinte virale, tous les diagnostics possibles sont rares, et il ne faut pas hésiter à demander rapidement un avis spécialisé. DIAGNOSTICS RARES Hépatite auto-immune Elle se révèle soit par un tableau aigu ressemblant à une hépatite virale plus ou moins grave, soit de façon beaucoup plus indolente. Elle touche préférentiellement des jeunes enfants des deux sexes ou des adolescentes, et peut s’associer à d’autres signes d’auto-immunité présents chez l’enfant ou dans sa famille. On retrouve une hypergammaglobulinémie et des anticorps anti-tissus spécifiques (antinucléaires, antimuscle lisse, antimicrosomes de foie et de rein = antiréticuline ou anti-LKM). Maladie de Wilson Elle se révèle chez un enfant de plus de trois-quatre ans (le temps que le cuivre s’accumule) sous forme soit aiguë, soit fulminante, soit chronique (hépatomégalie et augmentation des transaminases). Il peut exister une atteinte neurologique (baisse du rendement scolaire, micrographie), hématologique (hémolyse, évaluée par l’haptoglobine ou les réticulocytes), oculaire (anneau de cuivre « de Kayser-Fleischer », visible seulement à la lampe à fente). La céruloplasminémie est abaissée, la cuprurie des vingt-quatre heures (à récolter dans une bouteille d’eau minérale non gazeuse…) est augmentée. Maladies métaboliques Seules certaines formes modérées se révèlent « fortuitement » par une augmentation des transaminases. La glycogénose se manifeste chez un jeune enfant par un visage poupin, une croissance médiocre, une hépatomégalie volumineuse et molle, des malaises hypoglycémiques pouvant passer inaperçus s’ils ne sont pas sévères. On retrouve à jeun une hypoglycémie, une hyperlactatémie et une hyperlipidémie. L’intolérance héréditaire au fructose Médecine & enfance s’accompagne de vomissements, d’un dégoût pour les sucres et souvent de signes modérés d’insuffisance hépatocellulaire (troubles de la coagulation). Le déficit en OTC (ornithine transcarbamylase, enzyme du cycle de l’urée), lié à l’X, donc le plus souvent chez une fille, s’accompagne aussi de vomissements, d’une somnolence postprandiale, de troubles de la coagulation modérés et d’une hyperammoniémie. Déficit en alpha-1-antitrypsine On retrouve inconstamment une hépatomégalie, plus ou moins ferme selon le stade de fibrose. Le diagnostic est suspecté sur l’électrophorèse des protides et confirmé par le dosage spécifique et le génotypage (M étant l’allèle normal, et Z l’allèle déficitaire). L’évolution est variable, avec un risque (peu important dans cette présentation) de développement d’une cirrhose. Lithiase de la voie biliaire principale L’enfant se plaint le plus souvent de douleurs, qui n’ont un caractère franc de colique hépatique que chez le grand. Le profil biologique est plus souvent cholestatique, mais les transaminases peuvent dépasser 500 UI. L’échographie est la clé du diagnostic. Cholangite sclérosante Elle est le plus souvent d’origine autoimmune et très souvent associée à une maladie inflammatoire du tube digestif (colite ulcéreuse). C’est une maladie cholestatique, et les PA et GGT sont donc proportionnellement plus anormales que les transaminases. Quand l’origine est dysimmune, il existe des auto-anticorps ANCA (anticytoplasme des polynucléaires). Les voies biliaires peuvent être visibles ou dilatées à l’échographie. Le diagnostic repose sur une visualisation des voies biliaires, soit par opacification, soit par IRM, et sur l’éventuelle démonstration d’une maladie digestive associée. Syndrome d’Alagille Ce syndrome associe un visage particulier, une cholestase chronique, une cardiopathie (sténose pulmonaire périphérique), une vertèbre en aile de papillon, un embryotoxon postérieur (visible à la lampe à fente) ; parfois, seuls certains de ces éléments sont présents. Le prurit et la cholestase sont le plus souvent au premier plan, les transaminases étant proportionnellement moins élevées que les GGT. Cholestase fibrogène familiale Appelée aussi maladie de Byler ou progressive familial intrahepatic cholestasis (PFIC). Là aussi, le prurit et la cholestase chronique sont plus souvent au premier plan. Par contre les GGT sont la plupart du temps normales. Stéatose hépatique C’est un diagnostic d’élimination chez un enfant obèse dont le foie est cliniquement un peu gros et hyperéchogène à l’échographie. Bien entendu, ce problème est de plus en plus fréquent avec l’épidémie d’obésité infantile, mais il reste indispensable d’avoir éliminé les autres maladies nécessitant un traitement spécifique. L’évolution de la stéatose hépatique peut être sévère et fibrosante chez certains enfants. Maladies non hépatiques Pièges classiques et pas si rares : myopathie : le taux des transaminases peut aller jusqu’à plusieurs centaines d’unités, autant des ALAT que des ASAT. On retrouve souvent une fatigabilité à l’interrogatoire et des signes évocateurs à l’examen. Les CK sont très élevées ; maladie cœliaque : le diagnostic peut être suspecté sur la courbe de croissance, l’interrogatoire et l’existence d’un ballonnement abdominal. Bibliographie surveillance », Gastroentérol. Clin. Biol., 1998 ; 22 : 117-20. GREGORIO G.V., PORTMANN B., REID F. et al. : « Autoimmune hepatitis in childhood : a 20-year experience », Hepatology, 1997 ; 25 : 541-7. 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