DOSSIER La chirurgie robotique Chirurgie robotisée en oncologie gynécologique Robotic surgery in gynecologic oncology A.S. Bats1, 2, 3, P. Capmas1, J. Bady1, C. Bensaid1, A. Achouri1, 2, C. Nos1, F. Lécuru1, 2, 3 D epuis l’apparition en 1995 des premiers robots chirurgicaux, le développement de la chirurgie robotique a été constant. En réalité, il est préférable de parler d’“assistance robotisée à la chirurgie” ou de “cœlioscopie télécommandée”, puisque ces appareils n’ont aucune autonomie et ne font que transmettre les gestes de l’opérateur, en dehors du champ opératoire physique. La gynécologie est l’une des disciplines concernées par la chirurgie robotisée et son essor s’accélère nettement depuis 3 ans. Si elle s’est initialement développée et implantée pour la chirurgie des pathologies bénignes, de la statique pelvienne et de l’infertilité, sa place en chirurgie cancérologique est plus récente. Nous développerons ici ses aspects oncologiques. Intérêts potentiels de la chirurgie robotisée 1. Chirurgie gynécologique et cancérologique, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris. 2. Université Paris-Descartes, Sorbonne Paris-Cité, faculté de médecine, Paris. 3. Inserm UMR-S 747, université ParisDescartes, Sorbonne Paris-Cité, Paris. La qualité de la vision et l’ergonomie sont les avantages principaux du robot. La vision en 3 dimensions (3D) et le contrôle de la caméra par l’opérateur permettent d’avoir en permanence une exposition idéale du champ opératoire. Tandis que la cœlioscopie classique utilise un écran à 2 dimensions (2D) et une caméra, manipulée par un aide à l’expérience variable, la 3D facilite la gestique et son apprentissage. L’opérateur dispose d’une image de haute qualité, stable, choisie par lui. Les instruments sont manipulés via des commandes qui permettent tous les mouvements naturels du poignet et de la main. On retrouve instantanément la gestique de la laparotomie, bien supérieure aux mouvements limités des instruments de cœlioscopie. Les instruments possèdent également un nombre de degrés de liberté supérieur à celui des matériels cœlioscopiques et reproduisent fidèlement les mouvements de la main. Le filtrage des tremblements et la démultiplication variable des instruments permettent de contrôler totalement le geste et d’obtenir une précision inégalable. Il ne faut pas négliger non plus le caractère fixe du point d’entrée pariétal des trocarts, qui procure un contrôle total du mouvement des instruments, notamment lors des gestes d’avancée ou de recul dans le trocart (à la différence de la cœlioscopie, où les frottements entre l’instrument et le trocart induisent des à-coups dans le déplacement de l’instrument). La chirurgie oncologique pelvienne, qui requiert l’accès à des secteurs anatomiques parfois difficiles, des expositions complexes, une précision importante de certaines dissections lors des curages, urétérolyses, hémostases ou lymphostases, apparaît donc comme un terrain parfait d'observation. Avec la prostatectomie élargie, les urologues, soumis aux mêmes contraintes, ont massivement adopté le robot… Que peut-on faire avec le robot ? Tous les gestes nécessaires à la stadification et au traitement des cancers de l’endomètre et du col de l’utérus ont été réalisés par cœlioscopie robotisée (1-38). L’hystérectomie standard ou élargie, le curage pelvien (ainsi que le prélèvement des ganglions sentinelles), le curage aortico-cave, l’omentectomie, la trachélectomie et même la pelvectomie ont été effectuées avec cet abord. L’utilisation du robot pour la pathologie ovarienne nous semble plus discutable, en dehors des gestes de restadification qui ont déjà été développés pour les cancers du col de l’utérus et de l’endomètre. L’hystérectomie dans le cancer de l’endomètre est l’un des gestes qui fait l'objet du plus grand nombre de publications. L’installation est classique, avec 2 ou 3 bras opérateurs. Beaucoup d’opérateurs utilisent un manipulateur, mais ce dernier, en réalité, n’est 20 | La Lettre du Gynécologue • n° 365 - octobre 2011 LG-robotique.indd 20 17/10/11 15:30 Points forts »» La chirurgie robotique offre une qualité de vision ainsi qu’une ergonomie considérable au chirurgien. »» La chirurgie robotique a prouvé sa faisabilité en chirurgie oncologique gynécologique. »» Elle apparaît très adaptée aux interventions délicates, telles que l’hystérectomie radicale, en raison de la facilité de dissection qu’elle permet. »» Comparée à la laparotomie, la chirurgie robotique permet une réduction des pertes sanguines, des complications péri-opératoires, de la durée du séjour et de la convalescence, en dépit d’un allongement de la durée opératoire. »» L’apprentissage de la technique est beaucoup plus simple que celui de la cœlioscopie. »» Le pronostic oncologique des patientes prises en charge par chirurgie robot-assistée reste à évaluer. »» Le coût de la procédure est une de ses principales limites. pas indispensable. Comparé à la laparotomie et à la cœlioscopie, le robot donne de meilleurs taux en termes de conversion, de complications per- et postopératoires, de saignement et de durée d’hospitalisation. Dans une série rétrospective de plus de 300 cas, Paley et al. (39) observent moins de pertes sanguines, de complications majeures, de jours d’hospitalisation avec la chirurgie robotisée qu’avec la laparotomie. De plus, le nombre de ganglions prélevés semble supérieur. Si le robot peut paraître peu utile pour accomplir un geste aussi simple, les nouveaux impératifs chirurgicaux imposés par la désescalade des indications d’irradiation adjuvante justifient son utilisation. Il faut en effet que le geste soit parfaitement réalisé pour respecter la pièce et garantir la sécurité oncologique. Enfin, chez les patientes obèses, qui constituent une part importante des femmes prise en charge pour un cancer de l’endomètre, le “temps console” (temps passé à la console par le chirurgien), la fréquence des complications postopératoires majeures, celle des complications pariétales et la durée d’hospitalisation ne sont pas augmentés de façon significative par rapport au résultat obtenu chez les femmes plus minces. Et le robot conserve ses avantages en comparaison avec la cœlioscopie et, surtout, la laparotomie. Le robot facilite à l’évidence le geste du chirurgien, et cette population semble être une très bonne candidate à la chirurgie robotisée (40). L’hystérectomie élargie, avec ses impératifs de dissection et sa morbidité urinaire, constitue à l’évidence une indication de choix en faveur de cette chirurgie. L’installation est la même que pour l’hystérectomie standard. Les principales publications montrent un bénéfice en termes de durée opératoire (temps console), de saignements peropératoires, de complications per- et postopératoires, de durée d’hospitalisation, de convalescence et de morbidité urinaire, par rapport à la laparotomie, et parfois même par rapport à la cœlioscopie. Le taux de conversion est équivalent à celui de la cœlioscopie non robotisée. Pour le cancer du col, les techniques de nerve sparing surgery, pourtant décrites il y a de nombreuses années, prennent un nouvel essor grâce à la chirurgie robotisée (41). De même, les techniques de chirurgie conservatrice des cancers débutants du col utérin bénéficient de cet accès. L’abord le plus logique a longtemps été la voie vaginale, avec un développement limité en raison de la courbe d’apprentissage. Le robot permet de réaliser ces interventions “par voie abdominale”, donc avec une approche anatomique plus classique et plus facile (42). Les curages pelviens appellent peu de commentaires. Ils requièrent la même installation que la chirurgie utérine et sont facilement effectués en association avec l’hystérectomie. Les données publiées montrent un excellent taux de faisabilité, un nombre de ganglions prélevés supérieur à celui obtenu par laparotomie ou par cœlioscopie, et des complications opératoires moins fréquentes. Il faudra néanmoins vérifier que l’augmentation du nombre de ganglions prélevés ne s’accompagne pas d’une élévation de la fréquence des lymphocèles ou des lymphœdèmes. En effet, le nombre de ganglions n’est pas un objectif en soi mais traduit simplement la facilité et la sécurité d’exécution du geste. Les techniques de ganglion sentinelle qui se développent pour les cancers du col et de l’endomètre sont également facilitées par la cœlioscopie robotisée. Les curages aortico-caves soulèvent davantage de questions. Les abords transpéritonéaux nécessitent une installation différente, qui varie selon l’ancienneté de la machine utilisée. Différents placements ont été proposés : classique, entre les jambes de la patiente, ou, au contraire, à sa tête, mais aussi parfois latéral. Si un temps pelvien doit être associé, une autre installation sera nécessaire, ce qui rallonge la durée totale de l’intervention. Ces limites techniques mises à part, les curages aortico-caves sont effectués avec la même efficacité et la même sécurité que par cœlioscopie. En particulier, le nombre de ganglions prélevés et le taux de complications (y compris les conversions) sont acceptables. Ces données restent cependant fragiles, avec une littérature constituée essentiellement de données rétrospectives, le plus souvent monocentriques et numériquement limitées. Les abords rétropéritonéaux ont également été décrits. Ils imposent une installation spécifique. L’opérateur retrouve le confort d’exposition et la maîtrise des gestes précédemment décrits, mais des conflits peuvent apparaître entre les instruments du fait du manque de place… Trop peu de données ont Mots-clés Chirurgie Robot Oncologie Gynécologie Highlights – Robotic surgery provides a high quality of vision and a considerable ergonomy to surgeons. – Robotic surgery has proved its feasibility in gynecologic oncologic surgery. – Robotic surgery appears very suitable for delicate procedures such as radical hysterectomy, because dissection is easier. – Compared to laparotomy, robotic surgery reduces blood loss, perioperative complications, length of stay and recovery, despite a longer operative time. – The learning curve of the technique is far more simple than that of laparoscopy. – The oncologic prognosis of patients with robot-assisted surgery has still to be evaluated. – The cost of the procedure is a major limitation. Keywords Surgery Robot Oncology Gynecology Références bibliographiques 1. Shafer A, Boggess JF. Roboticassisted endometrial cancer staging and radical hysterectomy with the Da Vinci surgical system. Gynecol Oncol 2008;111:18-23. 2. Van der Schatte O, Van’t Hullenaar CD, Ruurda JP, Broeders IA. Ergonomics, user comfort, and performance in standard and robotassisted laparoscopic surgery. Surg Endosc 2009;23:1365-71. La Lettre du Gynécologue • n° 365 - octobre 2011 | 21 LG-robotique.indd 21 17/10/11 15:30 DOSSIER La chirurgie robotique Références bibliographiques 3. Veljovich DS, Paley PJ, Drescher CW, Everett EN, Shah C, Peters WA. Robotic surgery in gynecologic oncology: program initiation and outcomes after the first year with comparison with laparotomy for endometrial cancer staging. Am J Obstet Gynecol 2008;198:679. e1-10. 4. DeNardis SA, Holloway RW, Bigsby GE 4th, Pikaart DP, Ahmad S, Finkler NJ. 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Robotic hysterectomy and pelvic-aortic lymphadenectomy for endometrial cancer. Obstet Gynecol 2008;112:1207-13. 10. Gehrig PA, Cantrell LA, Shafer A, Abaid LN, Mendivil A, Boggess JF. What is the optimal minimally invasive surgical procedure for endometrial cancer staging in the obese and morbidly obese woman? Gynecol Oncol 2008;111:41-5. 11. Jung YW, Lee DW, Kim SW et al. Robot-assisted staging using three robotic arms for endometrial cancer: comparison to laparoscopy and laparotomy at a single institution. J Surg Oncol 2010;101:116-21. 1 2 . S e a m o n LG , C o h n D E , Henretta MS et al. Minimally invasive comprehensive surgical staging for endometrial cancer: robotics or laparoscopy? Gynecol Oncol 2009;113:36-41. été publiées sur le sujet, même si notre expérience est pour le moment favorable. L’omentectomie, en dehors de l’installation “abdominale”, ne pose pas de problème technique particulier. Nous avons réalisé uniquement des gestes infracoliques. Le bénéfice par rapport à un geste purement cœlioscopique reste à démontrer. Plus récemment, un taux plus élevé de métastases cicatricielles a été rapporté. Cependant, les causes réelles de ces complications ne sont pas claires : Ndofor et al. (44) ont observé 2 cas avec des facteurs de risque majeurs. Le robot ne semble donc pas induire de complications spécifiques par rapport à la cœlioscopie. Quels bénéfices ? Apprentissage Le premier bénéfice lié à l’assistance robotique est peut-être d’avoir amené des équipes ou des opérateurs réfractaires à la cœlioscopie classique vers des techniques mini-invasives. Cela s’explique en grande partie par l’apprentissage moins rébarbatif et moins difficile que celui de la cœlioscopie traditionnelle. Les comparaisons avec la laparotomie montrent, au prix d’un allongement du temps d’occupation de salle et de durée opératoire, une réduction des pertes sanguines, des complications per- et postopératoires, de la durée de séjour hospitalier et de la convalescence. Cela semble assez logique puisque la cœlioscopie robotisée est avant tout de la cœlioscopie… Certains auteurs observent également une amélioration des performances par rapport à la cœlioscopie classique. Enfin, la qualité de vie des malades serait meilleure en postopératoire (43). Les données convergent vers un apprentissage plus rapide et plus simple de la cœlioscopie robotisée par rapport à la cœlioscopie classique (13). L’installation de la machine et le passage à la console sont rapides à appréhender. On considère que 20 cas sont nécessaires pour obtenir une stabilisation des durées opératoires et des complications (13). La courbe d’apprentissage (hystérectomie + curage pour le cancer de l’endomètre) est plus rapide avec le robot qu’avec la cœlioscopie ou la laparotomie (45). Il ne faut pas sous-estimer l’entraînement de l’ensemble de l’équipe, en particulier des IBODE (infirmiers de bloc opératoire diplômés d’État), qui ont la charge de la préparation de la machine et de sa mise en œuvre. Ce point a été moins étudié, mais plusieurs interventions sont nécessaires (après une formation théorique et pratique) avant d’obtenir des temps de préparation acceptables et stables. La fonction de l’aide est également importante. Celui-ci joue un rôle indiscutable dans la sécurité de l’intervention (aide à l’exposition) et dans sa rapidité. Son expérience serait corrélée au risque de complications. Enfin, l’apprentissage des interventions par de nouveaux opérateurs est le versant le moins abordé jusqu’à présent. Cela nécessite de codifier les interventions (installation, temps opératoire, placement des instruments, etc.) et d’entraîner les étudiants. Ne disposant pas de simulateurs, nous sommes encore contraints de proposer un apprentissage en situation réelle. Cette tâche est compliquée par le fait que le senior n’est pas à proximité immédiate de l’opérateur junior et qu’il ne participe pas directement au geste. Les consoles à double commande sont encore trop peu répandues pour répondre à cet impératif. Pronostic Le pronostic des malades opérées par cœlioscopie robotisée ne semble pas différent de celui obtenu après cœlioscopie traditionnelle. Cependant, les données en notre possession sont encore très limitées. On peut juste conclure que la chirurgie robotisée n’a été suivie d’aucune récidive précoce ou inhabituelle. Y a-t-il des complications spécifiques ? Une fréquence plus élevée de désunions vaginales a été rapportée. Plusieurs hypothèses ont été formulées, dont l’utilisation intensive du courant monopolaire pour la section vaginale. Il semble surtout qu’un serrage excessif des nœuds soit à l’origine de cette complication, qui semble maintenant disparaître : la réalisation des sutures est facilitée par le robot, mais l’absence de retour de force requiert une attention particulière lors du serrage. Inconvénients et limites L’absence de retour de force, le nombre limité d’instruments disponibles, le changement fastidieux des instruments, l’absence de source d’énergie autre 22 | La Lettre du Gynécologue • n° 365 - octobre 2011 LG-robotique.indd 22 17/10/11 15:30 DOSSIER que les courants mono- ou bipolaires, l’absence de canule d’aspiration manipulée par le chirurgien sont une gêne et une limite qu’il ne faut pas négliger. L’introduction de cette chirurgie dans un bloc opératoire impose de la pédagogie et du dialogue avec les autres acteurs, qui voient souvent de façon négative l’arrivée de cet appareil. Le coût reste un problème majeur, surtout dans la période économique actuelle. L’investissement initial, le prix des consommables et de la maintenance ne peuvent pas être minimisés. Aucune étude médico-économique française n’a encore analysé le ratio entre les surcoûts hospitaliers et les avantages en termes de séjour écourté, de reprise plus rapide d’activité, du plus faible nombre de complications, etc. Les données disponibles sont essentiellement nord-américaines, dans un système de financement différent du nôtre. Elles semblent montrer un avantage par rapport à la laparotomie, essentiellement en raison du séjour écourté et d’une réduction de la morbidité. L’avantage par rapport à la coelioscopie reste encore à démontrer… Perspectives L’accès à de nouveaux instruments semble imminent et facilitera le déroulement de certaines interventions. L’éducation des jeunes opérateurs devrait bénéficier de la diffusion des consoles biplaces et des simulateurs. Enfin, le robot permettra peut-être l’essor de techniques intéressantes mais restées jusque-là confidentielles, tel le single port. Surtout, il est nécessaire de réaliser des essais prospectifs contrôlés, qui montreront les différences réelles par rapport à la cœlioscopie classique. L’initiative du protocole ROBO-GYN (F. Narducci, centre Oscar-Lambret, Lille) va dans le bon sens. ■ Références bibliographiques 13. Seamon LG, Fowler JM, Richardson DL et al. A detailed analysis of the learning curve: robotic hysterectomy and pelvic-aortic lymphadenectomy for endometrial cancer. Gynecol Oncol 2009;114:162-7. 14. Hoekstra AV, Morgan JM, Lurain JR et al. 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