Lire l'article complet

publicité
É
D I T O R I A L
La décision partagée en rhumatologie
" E.
Coudeyre*, S. Poiraudeau**
O
n assiste à une évolution de la pratique médicale
concernant l’information à délivrer aux patients. La
relation paternaliste que les médecins ont longtemps entretenue avec leurs patients semble avoir vécu.
L’obligation d’obtenir le consentement éclairé écrit dans le
cadre de la recherche biomédicale et l’évolution de la jurisprudence ont contribué à faire évoluer les pratiques cliniques courantes. L’information préalable des patients,
indispensable au consentement pour tout acte diagnostique
ou thérapeutique, devient ainsi un enjeu majeur dans l’exercice médical.
L’information médicale peut se définir selon deux axes
complémentaires. L’un est relatif à l’information en général, actions de vulgarisation ou d’éducation pour la santé,
où l’information fournie permet de comprendre le diagnostic, les différents traitements et la gestion de la maladie. L’autre s’adresse à une personne “singulière” : l’information est centrée sur les options thérapeutiques et leurs
conséquences dans un but d’aide à la décision. C’est à cet
aspect que nous nous intéresserons plus particulièrement.
L e s m o d è l e s d e p ri s e d e d é c i s i o n
La relation partenariale qui s’installe lors du colloque singulier entre le patient et le médecin conduit à une prise de
décision. On peut, de façon un peu artificielle, démembrer
trois modes différents de prise de décision (1), même si,
dans la pratique quotidienne, ils sont le plus souvent intriqués.
Le modèle “paternaliste” est le plus connu et le plus traditionnel. Le patient s’en remet au thérapeute pour toute décision le concernant. On présuppose que le médecin choisit
le meilleur traitement pour le patient, sans tenir compte des
caractéristiques personnelles de ce dernier et sans l’impliquer d’aucune manière dans la prise de décision. Ce modèle
disparaît peu à peu, même s’il a encore la préférence de certains patients, surtout parmi les plus âgés.
* Service de rééducation, hôpital Caremeau, 30000 Nîmes.
** Service de rééducation et de réadaptation de l’appareil locomoteur et
des pathologies du rachis, hôpital Cochin, Paris.
Le modèle dit “informé” est fondé sur un partage des rôles.
Le praticien fournit des informations au patient sur les différentes options médicales possibles, établissant ainsi une
communication à sens unique. Le patient assume seul la
réflexion et la décision qui succède.
Ce modèle est le plus couramment rencontré dans la pratique quotidienne pour la gestion des problèmes bénins.
Le modèle de type “décision partagée” requiert une interactivité patient/médecin lors des différentes étapes de la
prise de décision. Ce type de relation implique un échange
constant d’informations à la fois médico-techniques et personnelles aboutissant à un véritable partenariat. L’objectif
de la décision partagée est de permettre au patient de comprendre l’issue des différentes options médicales proposées.
Il peut apprécier le rapport bénéfices/risques et prendre ainsi
une part active à la décision en partenariat avec le corps
médical.
Des outils d’aide à la décision se sont développés en réponse
à l’évolution de la pratique médicale :
! diffusion de données consensuelles et réalisation de travaux scientifiques rigoureux qui fournissent des informations fiables sur les conséquences à terme des différentes
thérapeutiques proposées (médecine fondée sur les preuves) ;
! prise en compte de la satisfaction des patients, qui devient
un critère d’évaluation des soins dans le cadre de programmes d’amélioration de la qualité ;
! modification de l’attitude des patients, qui adoptent un
comportement de “consommateur de médecine”, substituant au consentement éclairé un choix informé.
Ces démarches d’aide à la décision sont destinées à limiter
les situations conflictuelles, à améliorer la connaissance des
patients et à les impliquer davantage dans la prise de décision sans accroître leur anxiété. Toutefois, l’effet sur la satisfaction reste faible (2).
Quelles implications
dans la pratique quotidienne ?
L’information médicale est un préalable indispensable avant
tout consentement aux actes diagnostiques et thérapeutiques. Elle a pour but de diminuer le déséquilibre d’infor.../...
4
La Lettre du Rhumatologue - n° 279 - février 2002
É
D I T O R I A L
.../...
mation entre le patient et le médecin, de mettre en œuvre
un partage du pouvoir de décision, voire de responsabilités, d’améliorer l’acceptabilité des investigations et des traitements, enfin de prévenir le recours au contentieux. Informer les patients comporte certains obstacles qui peuvent
être de nature matérielle. Il paraît difficile d’interroger,
d’examiner et d’informer correctement un patient au cours
d’une même consultation. Les difficultés peuvent être également de nature humaine, par incompréhension mutuelle
ou par peur d’altérer la qualité de la relation médecin/
malade par un excès d’information.
Le programme de l’ANAES
L’ANAES (Agence nationale pour l’accréditation et l’évaluation en santé) a mis en place un programme d’amélioration de l’information médicale. Il a consisté, pour les professionnels de santé, à éditer des recommandations (3)
destinées à la pratique clinique et des conseils pour la rédaction et l’utilisation de fiches d’information.
Pour les établissements de santé, dans le cadre de la procédure d’accréditation, l’information des patients est considérée comme un thème majeur d’amélioration de la qualité
(se reporter au référentiel “droits et information du patient”
du manuel d’accréditation [4]).
Les fiches d’information de la SFR
Cela a conduit la Société française de rhumatologie à élaborer et diffuser des fiches d’information couvrant une
grande partie du champ de la rhumatologie, en particulier
les thérapeutiques invasives ou comportant des risques. Ces
fiches sont une première étape vers un partage de l’information et vers une plus grande implication des patients,
même si ce mode d’information comporte quelques limites.
En effet, l’utilisation de ces notices pose certains problèmes.
Il existe une réticence des praticiens à l’utilisation de ces
notices standardisées. Elles sont associées à une perte de la
maîtrise de l’information et à une obligation à mettre ses
propres pratiques en conformité avec le contenu des notices.
Cette réticence est variable selon l’exercice médical, libéral
ou salarié, la discipline ou la formation initiale (5). De plus,
la diversité des patients rend difficile une systématisation de
l’information et nécessite une adaptation à la relation médecin/malade. Les attentes et l’aptitude à comprendre de
chaque patient sont différentes (barrage de la langue, niveau
d’éducation, troubles cognitifs éventuels), ce qui va à l’encontre d’une standardisation excessive de l’information.
Il paraît donc intéressant de réfléchir sur d’autres modes
d’information des patients : on pourrait par exemple développer l’utilisation de médias modernes, du type vidéo ou cédérom interactif, comme cela a pu être fait avec succès dans
le cadre de la chirurgie du rachis (6), voire faciliter l’accès
à des sites Internet dédiés à l’information en rhumatologie.
La Lettre du Rhumatologue - n° 279 - février 2002
Il faut également réfléchir au cadre dans lequel se déroule
cette information. La consultation ne semble pas toujours
être le lieu idéal d’un échange d’information, en raison des
contraintes matérielles qu’elle impose (en particulier dans
le cadre de l’exercice libéral).
Le champ de la rhumatologie paraît propice à ce type d’approche. En effet, le caractère chronique des pathologies rhumatismales implique une bonne compliance des patients
vis-à-vis de thérapeutiques souvent contraignantes. Cette
adhésion aux traitements peut être accrue par une meilleure
compréhension. En outre, la diversité et la complémentarité de l’arsenal thérapeutique (chirurgie, infiltrations, chimiothérapie, traitements physiques) ainsi que ses effets
indésirables doivent amener à prendre en compte l’avis du
patient. Il devra être à même d’envisager le rapport bénéfices/risques sur un plan individuel. Enfin, la bonne qualité
des réseaux ville/hôpital et l’action des associations de
malades doivent permettre d’améliorer l’information délivrée. Les démarches de partage de décision doivent trouver leur place dans l’exercice de la rhumatologie. Il s’agit
simplement de formaliser les procédures d’échange d’informations qui trouvaient traditionnellement leur place dans
le colloque singulier patient/médecin pour en améliorer la
qualité. Le développement par différentes équipes hospitalières d’écoles de l’os ou de programmes d’éducation pour
les patients souffrant de rhumatismes inflammatoires
témoigne que cette évolution est en marche.
Conclusion
La décision partagée ne doit pas se limiter à la recherche
clinique, mais doit s’intégrer progressivement à l’exercice
médical. À l’heure où le devoir d’information est souvent
considéré comme une dérive juridique, il faut voir là une
chance de modifier nos pratiques en impliquant davantage
les patients dans la prise de décision. C’est l’une des voies
à explorer pour en faire les acteurs de leur santé, et non de
simples consommateurs de médecine.
#
Bibliographie
1. Charles C, Whelan T, Gafni A. What do we mean by partnership in making
decision about treatment ? Br Med J 1999 ; 319 : 780-2.
2. O’Connor AM, Rostom A, Fiset V et al. Decision aids for patients facing treatment or screening decisions : a systematic review. Br Med J 1999 ; 319 : 731-4.
3. Information des patients. Recommandations aux médecins. ANAES, Service
des recommandations et références professionnelles, mars 2000.
4. Manuel d’accréditation des établissements de santé, 1999. ANAES.
5. Jolly D, Durand-Zaleski I. L’information du patient, du consentement éclairé
à la décision partagée. Les dossiers de l’Institut d’études des politiques de santé.
Médecine-Sciences, Flammarion, 1999.
6. Phelan EA, Deyo RA, Cherkin DC et al. Helping patients decide about back
surgery, a randomized trial of an interactive video program. Spine 2001 ; 26 :
206-12.
7
Téléchargement