La petite paysannerie et l’exploitation oléicole dans la région montagneuse de

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La petite paysannerie et l’exploitation oléicole dans la région montagneuse
de Grande-Kabylie en Algérie.
Communication aux journées d’études sur les petites paysanneries. Université
de Nanterre, France novembre 2012.
DOUFENE Hocine, enseignant- chercheur. Faculté des Sciences Biologiques et
des Sciences Agronomiques, Université MAMMERI M, Tizi-Ouzou, Algérie.
E.mail : [email protected]
Résumé de la communication.
Ce travail examine le développement local d’un territoire, situé en zone rurale de montagne,
dont l’influence des différents acteurs a été déterminante. Bien avant l’application du
programme d’ajustement structurel (P.A.S.) en 1994 et la promulgation du Programme
National de Développement Agricole et Rural ( P.N.D.A.R) en 2002, la commune de Boghni
a connu une forte implantation de petites et moyennes entreprises (P.M.E.) à dominante agroalimentaire. En matière de nouvelles dynamiques de développement rural, ce territoire a donc
su diversifier ses activités grâce à l’articulation entre les activités anciennes dont la filière
huile d’olive à fort ancrage territorial que nous pouvons qualifier de Système
Agroalimentaire Localisé (SYAL) et les nouvelles comme le commerce et surtout la petite
industrie qui présente les caractéristiques d’un Système de Production Localisé (SPL). Cette
articulation est rendue possible grâce à la solidarité familiale, et aux synergies d’action entre
les différents acteurs.
Mots clés : Montagne, Industrie, SYAL, SPL, industrie oléicole.
.
Abstract.
This work examines the development of a local territory, located in rural mountain area, and
different actors which affect this development. Long before the structural adjustment
program
(S.A.P.) and the
promulgation of the National Program for Agricultural and
Rural Development (N.P.A.R.D.) in 2002, the territory of Boghni has a strong experience in
the
small and medium enterprises (S.M.E.) mainly agro-alimentary.
1
In terms of new
dynamics of rural development, this territory has diversified its activities through joint
activities between the old like olive oil industry then we can qualified of food local systems
(FLS) and the new one such as trade and the small industry qualified of localized system of
production( LSP). This articulation is made possible thanks to family united and the
solidarity between different actors.
Keywords : mountain, industry, FLS, LSP, olive oil industry.
Introduction
L’éclatement du modèle national de développement économique mis en œuvre les années
1970 et la crise des formes de régulation étatique centralisées n’ont que faiblement touché le
territoire de Boghni. Ce dernier a connu une avance dans le développement rural
comparativement aux autres zones rurales de montagne en Algérie. Le développement des
tissus infrastructurel et économique a été réalisé bien avant la promulgation du programme
national de développement agricole et rural (P.N.D.A.R). La tendance économique, qui s’est
manifestée par la diversification du tissu économique, a rendu possible le développement
local qui a porté essentiellement sur les activités industrielles et les systèmes de production
oléicole. Cet objectif a pu être atteint grâce à la volonté et à l’engagement des différents
acteurs qui entretiennent des relations surtout au niveau familial. En effet c’est au sein du
système familial qui repose sur plusieurs sources de revenus que se nouent les relations entre
les acteurs et que se créent de nouvelles entreprises. Ces stratégies familiales allaient être
élargies à d’autres acteurs, surtout les jeunes, par le mouvement associatif fortement
représenté par l’association de solidarité (la Touiza). Cette dernière assure les contacts, la
circulation de l’information et contribue financièrement à tout nouveau projet. Les synergies
d’action entre les élus locaux et cette association ont abouti à la mise en place d’une
pépinière d’entreprises. Le territoire de Boghni n’est pas une création spontanée mais le
résultat d’un long processus historique qui a démarré avant la période coloniale. L’enquête
exploratoire que nous avons menée à Boghni nous a permis de formaliser les concepts de
Système Agroalimentaire Localisé (SYAL) pour la filière huile d’olive et Système de
Production Localisé (SPL) pour le secteur industriel.
2
I. Les SPL et les SYAL : deux notions d’approche du développement local de l’espace
rural de Boghni.
La stratégie de développement mise en œuvre en Algérie au début des années 1970, basée
sur l’industrie lourde comme moteur de développement économique, a occulté les spécificités
économiques, culturelles et historiques propres à chaque territoire et marginalisé les régions à
faibles potentialités agricoles. L’objectif d’introversion de l’économie nationale, tel que
prévu par le planificateur, dépendait pour l’essentiel des échanges de flux entre l’industrie et
l’agriculture. Pour ce faire, la croissance agricole est recherchée dans la grande exploitation
située sur les zones à fortes potentialités, tandis que l’agriculture de montagne représentée
essentiellement par la petite exploitation n’a pas fait l’objet d’intérêt de la part des pouvoirs
publics. Cette approche qui en est faite par le planificateur du développement économique en
général et de la montagne en particulier ne rend pas compte de la diversité des situations
territoriales et du système d’évolution que les changements économiques et sociaux national
et régional imposent à chaque territoire. Or ce dernier est devenu l’élément déterminant dans
la nouvelle approche du développement après la crise du fordisme. Ce modèle ayant montré
ses limites, beaucoup de chercheurs ont proposé de nouvelles alternatives ou d’autres
logiques de développement. Les nombreux travaux orientés dans ce sens ont abouti aux
notions de SPL (Courlet, 2001), de SYAL (CIRAD-SAR, 1996 ; Muchnik, 2000 ), et de
Clusters (Porter,1989 ; Nadvik, et Schmitz 1996).
Dés lors, les formes spatialisées de
régulation furent réhabilitées dont les problématiques ont mis en avant les spécificités
territoriales et locales. Il existe une littérature abondante et des études empiriques très
poussées portant sur les S.P.L. où les territoires deviennent les acteurs actifs. L’intégration de
l’espace ou du territoire dans l’analyse économique est à l’origine de nombreux travaux de
recherches contemporains, entre autres, ceux de (Aubert, 2009) ; (Becattini,1992) ;
(Courlet,2001,2003) ; (Muchnik,2008,2009) ; (Greffe,1984) ; (Leberre,1992) ; (Maillat,
1995) ; (Pecqueur, 1994, 2001, 2003) ; (Porter, 1989, 2001) ; (Rallet et Torre, 1995) ;
(Requier-Desjardins, 2007) ; (Torre, 2003) … La synthèse effectuée par (Courlet,2001)
relative à ces travaux sur les SPL, lui a permis d’affirmer : « Combien les concepts
théoriques développés par Marshall trouvent un large écho dans une série de travaux
contemporains portant sur cette réalité. Le SPL permet de saisir l’organisation qui lie les
entreprises sur un territoire et d’expliciter la nature des avantages (externalités positives,
réduction des coûts de transaction, meilleure coordination des acteurs d’un territoire, …) que
génère la proximité ». L’approche en termes de systèmes de production localisés a l’avantage
de prendre en considération tous les paramètres propres à un territoire donné. Ce dernier est
3
défini par (Leberre, 1992) comme : « La proportion de la surface terrestre appropriée par un
groupe social pour assurer sa reproduction et la satisfaction de ses besoins vitaux ». Par
(Courlet, 2001) comme « Un type d’organisation possédant ses logiques propres de
reproduction et de développement »…et ou les relations non marchandes jouent un rôle très
important. L’approche SYAL, apparue les années 1990, tout en étant proche des SPL insiste
sur l’approche spécifique de l’activité au territoire et la proximité géographique des acteurs
(Requier-Desjardins, 2007). L’étude des territoires c’est aussi l’affaire des anthropologues.
(Hubert, 2001) a dit à juste titre que : « Ce qui me paraît intéressant sociologiquement et
culturellement parlant, c’est la mise en place d’un réseau
de production spécialisé,
fonctionnant en système fondé sur la notion de ressources locales historiquement
constituées ».
Ces approches qui relèvent de plusieurs auteurs s’inscrivent dans une
dynamique de valorisation territoriale par les acteurs locaux organisés. La spécificité de ce
territoire, comparativement aux autres zones rurales d’Algérie, est qu’il n’a pas attendu le
P.N.D.A.R. lancé à partir de l’année 2000 par les pouvoirs publics pour assurer son
développement. Cette situation confirme bien que le développement local dépend avant tout
de la volonté des acteurs et de leur organisation. La dynamique industrielle enclenchée à
Boghni est le résultat de l’histoire et de la géographie du territoire, de l’implantation des
structures logistiques et des services, de l’esprit d’iniative des acteurs locaux et du
mouvement associatif.
II.
Aperçu géographique et historique du territoire de Boghni.
C’est par souci d’opérationnalité et d’originalité que nous avons limité le territoire de
Boghni à une définition géographique et administrative. De ce fait notre champ
d’investigation est la commune. La réussite de ce territoire dans le
développement
économique est d’abord le résultat de deux facteurs importants : sa situation géographique et
son histoire. Cette commune est située à 35 kilomètres (KM) de Tizi-Ouzou, chef lieu de
wilaya de la région de Grande Kabylie (équivalent département) et à 120 km de la capitale
Alger. Elle occupe une position stratégique en tant que zone de transition entre la capitale, la
région de kabylie et la région des hauts plateaux à fortes potentialités céréalières avec
laquelle elle entretenait des échanges marchands en troc. Cette économie de montagne,
durant la période précoloniale, a été donc articulée avec l’agriculture des plaines par des
échanges de complémentarité : huile d’olive et produits artisanaux contre les céréales. Cet
équilibre, même précaire, qui a prévalu durant la période antérieure sera en partie rompu avec
l’introduction des rapports marchands par le capitalisme colonial. L’activité artisanale recule
4
devant l’industrie manufacturière, les relations de complémentarité avec les autres régions
baissent d’intensité et la population locale sera refoulée vers les terrains pauvres et à forte
déclivité. Ces contraintes imposées par les colons avaient un double objectif : valoriser leurs
propres produits d’une part et dégager un excédent de main d’œuvre pour alimenter les flux
migratoires vers la France. Dés lors que le capitalisme colonial a fait de la région un
réservoir de main d’œuvre, un nouvel équilibre économique est apparu à travers l’insertion de
la force de travail adulte masculine au marché lointain de la métropole et au secteur agricole
colonial en Algérie. (Trébous, 1974) a relevé que : « C’est dés 1871 que des fellahs les plus
déshérités commencent à émigrer. En 1912, ils sont déjà quelques milliers en France. S’ils
s’exilent, ce n’est pas pour fuir leur pays, mais pour subvenir aux besoins de leurs familles ».
Malgré l’introduction de l’ordre économique nouveau, la rupture n’a pas été totale avec les
anciennes conditions de reproduction anciennes basées sur la valorisation des potentialités
locales (agriculture vivrière, huile d’olive, produits de l’artisanat). Si la société n’est pas
totalement laminée, pour reprendre l’expression de (Cote, 1993), c’est grâce au travail ardu
des femmes et des enfants au niveau de l’exploitation. Après l’indépendance de l’Algérie en
1962, le territoire de Boghni a bénéficié d’infrastructures de base et de services, qui
constituent des préalables au développement local, qui ont été mises en valeur par les acteurs
locaux.
III.
Les infrastructures et les acteurs locaux: bases du développement rural.
Le développement local à Boghni n’a pu être concrétisé que grâce à l’apport de l’état, des
élus locaux et des acteurs privés portant sur une implantation relativement importante de
plusieurs infrastructures. Ces dernières sont très diverses et concernent l’économie, les
routes, les finances, l’administration, la formation, l’éducation, la santé, la culture, le social…
Nous citons, à titre d’exemple, la Banque Nationale d’Algérie (B.N.A.) ; la Banque de
Développement Local (B.D.L.) ; deux agences d’assurances ; l’agence foncière ; la recette
des impôts ; la protection civile ; le bureau de main d’œuvre ; l’entreprise de travaux publics ;
l’abattoir ; un marché hebdomadaire…Il est utile de souligner que la majorité de ces
infrastructures, dont a bénéficié cette commune (exemple des banques), n’existent pas à
l’échelle communale dans les autres régions d’Algérie. Elles se situent à un niveau supérieur
de la hiérarchie administrative : Daira (Arrondissement) ou Wilaya (Département). Toutes
ces structures d’appui technique et logistique ont constitué des supports déterminants pour le
développement local. Cet engagement de l’état est complété par le secteur privé qui a investi
dans divers secteurs prestataires de services comme la coopérative de services en
5
mécanisation, la pépinière apicole, les bureaux d’étude agricoles, les unités de vente
d’intrants, les cabinets vétérinaires, la crèche, les commerces de gros et de détail…A
l’ensemble de ces structures s’ajoute la contribution des associations de solidarité intracommunautaires et surtout familiales, et des organisations traditionnelles(comités de villages)
qui ont fondé leurs activités sur des valeurs morales, historiques et culturelles. La société
civile, à travers « la Touiza », et d’autres associations socioculturelles ont été d’un apport
important à l’organisation du territoire. (Walzer, 1997) a souligné à juste titre que : « l’Etat
solidaire ne fonctionnera jamais bien et ne pourra pas se maintenir dans ces temps difficiles
de restrictions budgétaires, s’il ne repose pas sur une société solidaire, où le travail des
fonctionnaires et des travailleurs socioprofessionnels n’est pas relayé par celui d’amateurs, de
voisins, de bénévoles qui sont de simples concitoyens ».
Nous pouvons dire que la
dynamique de développement enclenchée à Boghni est le résultat de l’histoire de la région,
de la présence d’un fort appui infrastructurel et logistique, de la disponibilité de capitaux
(provenant, pour l’essentiel, de l’émigration), et surtout de l’esprit d’iniative des acteurs
locaux qui ont mis en place une structure d’encouragement et d’orientation pour les
investisseurs : « la pépinière d’entreprises ».
IV.
La pépinière d’entreprises ou la structure d’appui aux investisseurs.
Les différents acteurs du développement local ont compris que pour maintenir la dynamique
industrielle, entamée durant les années 1970-1980, il fallait mettre en place une structure
d’accueil
capable de canaliser toutes les potentialités et énergies locales. De ce fait,
l’assemblée populaire communale (A.P.C., équivalent Mairie) et l’association « Touiza »
créée en 1989, ont mis en place cette pépinière dont les objectifs sont multiples. Elle permet
le contact entre les entrepreneurs, l’orientation des nouveaux investisseurs et elle assure
l’appui technique et financier pour les projets en phase d’étude et de démarrage. L’octroi de
micro crédits, essentiellement
aux jeunes diplômés, est d’un apport important pour le
développement de la commune, à travers la création de nombreuses micro entreprises
industrielles et la relance de certaines activités agricoles comme l’apiculture, l’aviculture et
l’oléiculture. Selon (Mokrane, 2006) entre 1998 et 2004, 73 micro- activités furent créées
grâce à la contribution de cette pépinière. La stratégie de la pépinière, qui ressort à travers
ses actions, est d’encourager le maintien des activités d’origine très anciennes et du terroir
(olivier, le petit élevage, l’artisanat.), tout en accordant plus d’intérêt aux activités
industrielles jugées plus rémunératrices.
6
V. Le SYAL : la filière huile d’olive.
V.1 Caractéristiques des exploitations oléicoles.
Nous sommes en présence d’une agriculture de montagne à caractère familial, fortement
marquée par le microfundisme des exploitations et avec un grand degré de monoculture
d’oliviers. Les exploitations de moins un hectare représentent prés de 50% et celles de moins
trois hectares 86% du total des exploitations. L’olivier occupe en moyenne 70% de la
superficie agricole utile. Ces assiettes foncières de très faibles dimensions ajoutées aux
conditions de relief, de sol et de climat difficiles limitent le développement des cultures
annuelles. De ce fait ce sont les revenus monétaires provenant d’activités hors exploitation,
exercées par les hommes, qui conditionnent la reproduction des familles. L’enquête que nous
avons réalisée en 2008 auprès des familles propriétaires oléicoles a révélé que l’adhésion aux
exploitations oléicoles est surtout le fait des femmes. Les trois quarts de la force de travail
exerçant à temps partiel dans le secteur agricole sont du sexe féminin. L’exploitation apparaît
pour la majorité du sexe masculin plus un lieu de résidence qu’un support du procès de
production agricole. Nous pouvons affirmer que la pérennité de la production oléicole est en
partie conditionnée par la participation des femmes au travail au niveau de l’exploitation. Ce
dernier se limite essentiellement à la taille des arbres et à l’activité de récolte car la variété
cultivée (Chemlal) est très résistante et nécessite peu d’entretien pour produire. Le non
recours à la fertilisation et aux pesticides explique la dénomination de l’arbre écologique
donnée à l’olivier. En plus de son rapport spécifique au territoire, de la proximité physique
des acteurs, l’olivier participe au développement durable. Ce sont tous ces facteurs qui nous
ont permis d’investir le concept de SYAL pour l’approche de la filière huile d’olive. En
tenant compte de la technologie de transformation utilisée, du mode de rémunération de la
prestation de services (la valorisation des olives en huile) et du régime de propriété, nous
avons deux types de filières, une artisanale et une moderne.
V.2 La chaîne de valeur oléicole
L’industrie oléicole de Boghni qui comprend treize huileries est dominée par la filière
artisanale qui dispose de neuf huileries traditionnelles et dont la répartition très disparate et la
recherche de l’authenticité du produit de la part des producteurs et des consommateurs lui
permet de collecter une part relativement importante de la production oléicole. Lors de la
campagne oléicole 2008-2009 elle a drainé plus de la moitié du potentiel oléicole de la
commune. Cette filière est dominée par les mêmes groupes sociaux constitués de familles qui
possèdent un fort potentiel oléicole et qui contrôlent les deux segments de la filière, la
7
production et la transformation. Ce régime de propriété explique les similitudes existantes
entre le mode de conduite des vergers (manque d’entretien des arbres), la technologie
artisanale utilisée et le recours uniquement au travail familial le long de la chaîne de valeur.
La rémunération de l’activité de trituration se fait en nature. Le peu d’intérêt accordé aux
économies d’échelle a pérennisé ce SYAL, que nous pouvons qualifier d’artisanal et
fortement territorialisé, malgré l’introduction à partir des années 1980 de la technologie
moderne. Dans ce type de SYAL ce sont généralement les producteurs qui constituent les
acteurs influents de la filière en choisissant le mode de rémunération de la prestation de
services. La filière moderne qui dispose de quatre unités à technologie performante a été
introduite par des groupes sociaux autres que les oléiculteurs mais toujours natifs du
territoire. Pour rentabiliser le capital investi et devant les difficultés d’écoulement du produit,
ces industriels ont introduit la monnaie comme mode de rémunération de l’activité de
trituration (400 dinars par quintal d’olive trituré). Contrairement à la filière ancienne ce sont
les acteurs transformateurs qui dominent la chaîne de valeur oléicole en imposant, dans bien
des cas, le paiement et le coût de la prestation de services. L’évolution de la filière vers
l’industrialisation s’est limitée à la modernisation de la technique de transformation, en
revanche, la distribution a été très faiblement investie par les opérateurs industriels. Le
système d’approvisionnement du marché, qui n’a pas évolué, consiste en la vente directe aux
consommateurs par les industriels et les producteurs ayant dégagé un excédent. Dépourvue
d’unités de conditionnement et de réseaux de distribution, la marge de manœuvre des acteurs
de la filière dans la commercialisation du produit est très limitée. Ce circuit traditionnel de
distribution de l’huile d’olive, relevant de stratégies de proximité et de connaissance, répond
beaucoup plus à la demande locale que nationale. De notre enquête il en est ressorti que nous
avons affaire à un SYAL de type rural à fort ancrage territorial et où les producteurs, les
transformateurs et les consommateurs sont issus du même territoire. Les relations inter
acteurs sont des relations de voisinage, familiale, de connaissances et de confiance. Cette
dernière garantie même la qualité du produit. Ce mode de fonctionnement de la filière,
amputé des segments de la distribution et de la commercialisation, contrarie la mise en place
d’un système de normalisation et standardisation des procédés pouvant garantir la qualité du
produit et sa labellisation.
8
VI. Mutation de l’espace rural de Boghni ; de l’hégémonie agricole à un système
industriel localisé.
Les handicaps de relief, de sol et de climat ont toujours limité les possibilités de valorisation
de l’espace rural de Boghni par des correctifs à apporter au niveau de l’agriculture familiale à
dominante oléicole. Jusqu’aux années 1980, ce sont les activités extraterritoriales comme
l’émigration et le secteur public économique qui procuraient l’essentiel des revenus
monétaires des ménages. A partir des années 1980 cette « soupape de sécurité » allait
s’estomper par le recul de l’émigration et les possibilités d’emploi offertes par le secteur
étatique vu les conditions imposées par le Fond Monétaire International (FMI). De ce fait
l’hégémonie agricole n’est plus de mise sur cet espace rural, d’autres activités extra agricoles
représentées par la petite et moyenne entreprise (PME) et surtout les micro- entreprises
d’origine familiale, seront introduites par les acteurs locaux. Plusieurs facteurs expliquent
cette dynamique de développement de la commune de Boghni et l’évolution de ses usages.
Les capitaux provenant de l’émigration ont permis au territoire de Boghni de se redéployer
dans l’activité commerciale, fortement représentée par les commerces de gros
(essentiellement dans la branche agro-alimentaire), et par un marché hebdomadaire dont
l’importance et les flux de marchandises qui y transitent dépassent le cadre local et régional.
En plus des opérations marchandes, ce marché constitue un lieu de rencontre important où se
nouent des échanges d’informations, d’idées et de savoir-faire entre « affairistes de tous
bords ». Cette étape a permis, d’une certaine manière, la formation des premiers réseaux qui
vont favoriser le passage à une économie industrielle représentée par la petite et moyenne
entreprise (P.M.E) et la micro entreprise relevant essentiellement de la propriété familiale.
(Souidi, 1997) a relevé cet état de fait en soulignant : « L’agglomération de Boghni est un site
où les populations quittant les montagnes (villages), se sont installées après l’indépendance et
ont constitué une petite ville commerciale où le commerce de gros était l’une des activités
primaires des populations avant de se reconvertir vers l’industrie à la fin des années 1970.
Ainsi, les anciens commerçants constitueront le premier jalon industriel de Boghni et vont
contribuer à la création d’un territoire maillé de relations ». Le passage au système de
production industriel est favorisé par l’expérience acquise dans le secteur commercial,
l’esprit d’entrepreneuriat des acteurs locaux, la solidarité familiale, l’héritage productif et
culturel, la promulgation en 1981 d’une législation favorable à l’investissement privée et la
mise en place des infrastructures de base et de services. La maîtrise des circuits
d’approvisionnement et de distribution, acquises grâce à l’expérience commerciale, ont été
déterminantes
dans la transition du commerce vers la micro entreprise et la PME
9
à
dominante agroalimentaire. Sur environ 76 P.M.E. que nous avons recensées en 2007, le
secteur agro-alimentaire est le plus fortement représenté avec près de 53% d’unités, suivi des
industries plastiques, chimiques et du verre avec 25%. Ces unités de production sont
implantées sur un espace restreint représenté par le centre urbain. D’après les statistiques du
Ministère de la PME et de l’artisanat de 2009, l’espace rural de Boghni dispose de 683
entreprises industrielles, artisanales et de services dont 80 PME environ et 600 microentreprises (3éme rang de la wilaya de Tizi-Ouzou). Cette dynamique industrielle, relevant
surtout de stratégies familiales, commence à donner des signes de fragilisation du fait de la
mondialisation et de l’ouverture des marchés. Une mise à niveau s’impose par le recours à
des techniques de gestion modernes et plus performantes.
Conclusion.
La particularité du territoire de Boghni, comparativement aux autres territoires ruraux
présentant les mêmes potentialités naturelles, réside dans la réussite de son passage d’une
économie traditionnelle à une économie industrielle. La mise en place des services de
proximité et des structures prestataires de services par les pouvoirs publics et relayés par le
secteur privé a été déterminante quant à l’engagement des acteurs locaux à investir dans leur
propre territoire. Les sources d’accumulation de capitaux, provenant, pour l’essentiel de
l’émigration puis du commerce de gros, ont été déployées dans la P.M.E. et la micro
entreprise à caractère surtout familial. Les synergies entre les différents acteurs, comprenant
les pouvoirs publics, les élus, les entrepreneurs, le mouvement associatif…ont permis
l’émergence des systèmes de production industriels dominés par le secteur agro-alimentaire.
Ce développement local dans une zone rurale de montagne a permis une certaine stabilisation
des populations locales, lesquelles, même si leurs sources de revenus proviennent
principalement des activités hors exploitation, assurent la pérennité des activités du terroir
dominées par le système de production oléicole. Ce dernier pour évoluer vers un SYAL
moderne doit renforcer l’identité du produit huile d’olive par la mise en place des réseaux de
distribution et de commercialisation appropriés et d’une organisation socioprofessionnelle
pour structurer la filière. Le maintien de la dynamique industrielle est conditionné par
l’adaptation des entreprises aux nouvelles techniques de gestion : le management et le
marketing. Pour ce faire, la gouvernance de ces unités de production doit s’ouvrir à des
compétences extrafamiliales pour dépasser la gestion de type patriarche. Il y va de soi, que
seules les entreprises ayant assuré leur mise à niveau
rentabiliser le capital investi.
10
peuvent être compétitives et
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