Méthodes explicites pour les groupes arithmétiques

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Méthodes explicites
pour les groupes arithmétiques
Aurel Page
Directeurs : K. Belabas et A. Enge.
Laboratoire : Institut de mathématiques de Bordeaux, équipe de théorie des nombres
École doctorale : École doctorale de Mathématiques et Informatique de Bordeaux
Ob jets d'étude
Les groupes arithmétiques sont des objets d'étude très importants de
la théorie des nombres et de la géométrie arithmétique. En simpliant, un groupe arithmétique est
l'ensemble des points entiers d'un groupe algébrique sur Q. Les exemples les plus simples de groupes
arithmétiques sont les groupes abéliens Z, Zn et plus généralement tout réseau euclidien, dont le rôle
fondamental en théorie des nombres est bien connu. Plus intéressant encore, l'exemple non commutatif
le plus simple est SL2 (Z) ou l'un de ses sous-groupes de congruences, dont l'étude remonte à la théorie
de la réduction des formes quadratiques de Gauss et de façon plus spectaculaire à la théorie des formes
modulaires.
Plus précisément, considérons G ⊂ GLn un groupe algébrique déni sur Q. On peut alors poser G(Z) = G(Q) ∩ GLn (Z) (qui dépend du plongement choisi G ⊂ GLn ). Un sous-groupe Γ ⊂ G(Q)
est arithmétique s'il est commensurable avec G(Z), c'est-à-dire si Γ ∩ G(Z) est d'indice ni dans Γ et
dans G(Z). Cette notion ne dépend pas du plongement choisi.
Groupes arithmétiques.
L'étude des groupes arithmétiques se fait classiquement en les faisant agir
sur des espaces bien choisis. Précisément, soit K ⊂ G(R) un sous-groupe compact maximal. Alors le
quotient X = G(R)/K est une variété riemannienne dont la métrique est G(R)-invariante et tout sousgroupe arithmétique Γ ⊂ G(Q) agit proprement sur X , c'est-à-dire que pour tout compact C ⊂ X ,
l'ensemble {γ ∈ Γ | γC ∩ C 6= ∅} est ni. On dit que X est l'espace symétrique associé à G. L'étude
de ces espaces permet de montrer que tout groupe arithmétique est de type ni et qu'il admet même
une présentation nie.
À cause de cette propriété, il est naturel de vouloir appliquer un traitement algorithmique
aux groupes arithmétiques : on aimerait disposer d'un algorithme qui, étant donné une description
informatique raisonnable d'un groupe arithmétique, calcule une présentation de ce groupe.
Espaces symétriques.
Il existe une construction simple qui donne lieu à une classe très
explicite de groupes arithmétiques, ce sont les groupes d'unités dans une algèbre de quaternions [Vig80].
Précisons cette construction.
Une algèbre de quaternions sur un corps F est une F -algèbre unitaire de dimension 4, engendrée
par deux éléments i, j vériant
Groupes d'unités de quaternions.
i2 = a, j 2 = b et ij = −ji avec a, b ∈ F × .
Une telle algèbre est unique et on la note a,b
F . Pour tout élément w = x + yi + zj + tij d'une algèbre
de quaternions B , on dénit
son conjugué w = x − yi − zj − tij ,
sa trace réduite trd(w) = w + w = 2x, et
sa norme réduite nrd(w) = ww = ww = x2 − ay 2 − bz 2 + abt2 .
1
L'élément w est annulé par le polynôme X 2 − trd(w)X + nrd(w). L'ensemble des éléments de norme
réduite 1 est un sous-groupe du groupe des éléments inversibles B × , on le note B1× .
L'exemple
le plus simple d'une telle algèbre est M2 (F ), qu'on voit comme l'algèbre de quater
en
posant
nions 1,1
F
i=
−1
0
0
−1
et j =
0
1
−1
.
0
Sur un corps algébriquement clos, c'est la seule algèbre de quaternions à isomorphisme près. Dans cette
algèbre, la trace réduite est simplement la trace usuelle des matrices et la
norme réduite est simplement
le déterminant. Sur R on a également l'algèbre à division H = −1,−1
des quaternions de Hamilton,
R
et M2 (R) et H sont les seules algèbre de quaternions sur R.
Considérons maintenant une algèbre de quaternions B sur un corps de nombres F . Une telle algèbre
donne un groupe algébrique déni sur Q tel que pour toute Q-algèbre A on ait G(A) = (B ⊗Q A)×
1,
de sorte que G(Q) = B1× (ce foncteur est représentable puisque la norme réduite est un polynôme en
les coordonnées). On peut décrire explicitement les sous-groupes arithmétiques de G(Q), sans avoir à
considérer de plongement dans GLn , de la manière suivante : de même qu'un corps de nombres F possède
une structure entière donnée par son anneau des entiers ZF , une algèbre de quaternions possède des
structures entières : les ordres. Un ordre dans une algèbre de quaternions B sur un corps de nombres F
est un ZF -module de type ni O ⊂ B tel que F O = B et qui est également un sous-anneau unitaire.
Alors O1× = {w ∈ O | nrd(w) = 1} ⊂ O× est un sous-groupe arithmétique de G(Q), et les sous-groupes
arithmétiques de G(Q) sont les groupes commensurables avec un groupe O1× .
Examinons quel est l'espace X sur lequel agissent ces groupes. Par dénition on a G(R) = (B ⊗Q R)×
1 . Or on sait que
Espaces hyperboliques.
F ⊗ Q R = Rr × Cc
avec r + 2c égal au degré de F , d'où l'existence d'une décomposition
B ⊗Q R ∼
= M2 (R)d × Hr−d × M2 (C)c .
On dit qu'une place réelle σ de F est décomposée ou ramiée suivant que l'algèbre B ⊗F,σ R est
respectivement isomorphe à l'algèbre des matrices 2 × 2 ou aux quaternions de Hamilton. On obtient
G(R) ∼
= SL2 (R)d × H×
1
r−d
× SL2 (C)c .
La norme sur H étant dénie positive, H×
1 est un groupe compact. Par ailleurs, le groupe orthogonal SO2 (R) est un sous-groupe compact maximal de SL2 (R) et le groupe SU2 (C) est un sous-groupe
compact maximal de SL2 (C). Un sous-groupe compact maximal de G(R) est donné par
K = SO2 (R)d × H×
1
r−d
× SU2 (C)c .
On obtient alors l'espace
X = G(R)/K ∼
= H2d × H3c
en utilisant les isomorphismes SL2 (R)/ SO2 (R) ∼
= H2 et SL2 (C)/ SU2 (C) ∼
= H3 , où H2 et H3 désignent
respectivement l'espace hyperbolique de dimension 2 et 3, i.e. l'unique variété riemannienne connexe,
simplement connexe et de courbure constante −1 de dimension respective 2 et 3.
Nous nous restreignons désormais à ce cas particulier des groupes d'unités dans les algèbres de
quaternions, qui est très explicite et présente déjà beaucoup d'applications. En voici quelques unes.
Applications.
Dans les cas où X = H2 ou X = H3 , on obtient des variétés (ou des orbifolds)
hyperboliques arithmétiques Γ\X . Ces variétés sont très étudiées en géométrie, tout particulièrement
les secondes puisque les variétés hyperboliques de dimension 3 sont loin d'être aussi bien comprises
qu'on le souhaiterait. Le calcul d'une présentation pour les groupes Γ dans ce cas permet par exemple de
calculer la cohomologie de la variété puisqu'on a H ∗ (Γ, Z) = H ∗ (Γ\X, Z). Un exemple d'exploitation de
2
ce type de connexion est le travail de N.M. Duneld et W.P. Thurston sur la conjecture virtuellement
Haken [DT03], dont une continuation dans le cas arithmétique permettrait de comprendre encore
mieux cette conjecture.
Plus généralement, l'étude des modules de cohomologie des groupes arithmétiques est un domaine
vaste, qui touche la topologie, la géométrie, et la théorie des nombres. La taille de ces modules est par
exemple un sujet d'étude actuel, abordé par T. Finis, F. Grünewald et P. Tirao dans [FGT08] ou encore
par N. Bergeron et A. Venkatesh dans [BV10]. Une autre raison est que ces modules de cohomologie
sont munis d'une structure très riche d'opérateurs de Hecke. Pour tout élément δ ∈ G(Q), l'opérateur Tδ
est déni par le diagramme
H ∗ (Γ, M )


resy
T
−−−δ−→
H ∗ (Γ, M )
x
cores

H ∗ (Γ ∩ δΓδ −1 , M ) −−−−→ H ∗ (δ −1 Γδ ∩ Γ, M )
δ̃
où res est l'application de restriction, cores est l'application de corestriction, et δ̃ est l'isomorphisme
induit par la conjugaison par δ . Ces opérateurs de Hecke amènent naturellement à reconnaître des
formes automorphes pour G(Q) dans ces modules de cohomologie.
De manière générale, savoir calculer avec les sous-groupes arithmétiques de G(Q) devrait permettre
d'étudier expérimentalement les formes automorphes pour G(Q). En particulier, il serait extrêmement
intéressant d'utiliser ces idées an de mettre à l'épreuve des conjectures du programme de Langlands
pour GL2 (tous les groupes que nous étudions ici se ramènent dans la théorie des formes automorphes
à GL2 sur le même corps de base, via la correspondance de Jacquet-Langlands). Il existe un cas
particulier où ces conjectures sont plus explicites : celui des variétés de Shimura. C'est le cas où le
corps de base de notre algèbre de quaternions est totalement réel. Ainsi, l'espace X est un produit de
demi-plans de Poincaré, et possède donc une structure complexe. La variété quotient Γ\X possède alors
la propriété remarquable qu'il existe une variété algébrique XΓ dénie sur un corps de nombres telle
que XΓ (C) ∼
= Γ\X . On dispose alors naturellement de représentations galoisiennes sur la cohomologie
étale de cette variété, auxquelles confronter les formes automorphes pour G(Q). De plus, ces variétés
ont une interprétation comme espaces de modules qui classient des variétés abéliennes munies de
structures additionnelles, ce qui augmente encore leur intérêt.
État de l'art
Groupes arithmétiques.
Des travaux sur le calcul algorithmique d'une présentation pour ces groupes
ont déjà été menés. On dispose d'un algorithme complètement générique qui traite n'importe quel
groupe arithmétique [GS80], mais comme le reconnaissent les auteurs il est absolument inutilisable en
pratique.
Pour trouver des travaux sur des implémentations pratiques il faut se tourner vers des cas particuliers. Le calcul des sous-groupes de congruences de SL2 (Z) étant bien connu (voir le livre de
W.A. Stein [Ste07]), l'intérêt se porte maintenant sur les groupes d'unités dans des algèbres de quaternions plus générales.
Le cas totalement déni, où l'algèbre est dénie sur un corps totalement réel et ramiée à toutes les
places réelles, est trivial puisque le groupe des unités est alors ni et une simple procédure d'énumération
sut à le déterminer.
Le cas fuchsien, également sur un corps totalement réel mais avec exactement une place réelle décomposée (l'espace X est le demi-plan de Poincaré), a été traité par J. Voight [Voi08] mais la complexité
de l'algorithme n'est absolument pas connue.
Le cas kleinéen est celui où le corps de base admet exactement une place complexe et que toutes
les places réelles sont ramiées dans l'algèbre de quaternions, et l'espace X est alors le demi-espace de
Poincaré. Un algorithme a été proposé par R.G. Swan [Swa71] et implémenté par A. Rahm [Rah10] de
même qu'un autre plus récent proposé et implémenté par D. Yasaki [Yas10] dans le cas particulier des
groupes de Bianchi, c'est-à-dire de la forme SL2 (ZF ) où F est un corps quadratique imaginaire. Un
algorithme pour le cas kleinien général ainsi que son implémentation pour un groupe particulier a été
3
réalisé par C. Corrales, E. Jespers, G. Leal et Á. del Río [CJLdR04]. J'ai décrit dans mon mémoire de
master [Pag10] et implémenté un algorithme pour le cas kleinien général, probablement plus ecace
mais dont la complexité n'est pas non plus connue et pour lequel beaucoup d'améliorations restent
possibles. Aucun cas plus général n'a encore été traité en pratique.
GL2 . Le cas le mieux connu est évidemment celui des formes modulaires
classiques traité par exemple dans le livre de J.E. Cremona [Cre93] ou celui de W.A. Stein [Ste07]. Des
formes modulaires de Hilbert ont également été calculées, d'abord par L. Dembélé et S. Donnelly
en utilisant le cas totalement déni [DD08], puis par J. Voight et M. Greenberg en utilisant le cas
fuchsien [GV10, Voi10]. Enn, quelques formes modulaires de Bianchi ont été calculées pour les corps
quadratiques imaginaires de groupe des classes trivial par M.H. Sengün [Sen10]. Je ne connais pas
d'exemple de tels calculs pour GL2 sur un corps de base plus général, mais des formes automorphes
pour d'autres groupes ont également été calculées, notamment pour les groupes symplectiques.
Formes automorphes pour
Pro jet de travail
Ob jectif et problèmes.
On se propose comme tâche principale de décrire et implémenter un algorithme qui, étant donné un ordre O dans une algèbre de quaternions sur un corps de nombres
quelconque, calcule une présentation pour O1× . On se propose également d'appliquer les algorithmes
existant et ceux qu'on aura mis au point à l'étude expérimentale des variétés hyperboliques et au calcul
de la cohomologie des groupes arithmétiques considérés munis de leurs opérateurs de Hecke.
Pour la première tâche, les algorithmes existant dans des cas particuliers ne sont pas très ecaces
et leur complexité n'est pas toujours connue. De plus ils travaillent souvent en calculant un domaine
fondamental pour l'action du groupe sur l'espace X , et font pour cela des calculs en nombres ottants,
dont la stabilité n'est pas toujours étudiée précisément. Il s'agira donc de les généraliser, et en même
temps d'améliorer leur ecacité, de régler précisément les problèmes d'approximation et si possible
d'analyser la complexité de l'algorithme obtenu. Nous avons plusieurs pistes pour arriver à ces objectifs.
Pistes de travail.
Le principe de l'algorithme serait de calculer un domaine fondamental dans l'espace X . Pour cela on commence par énumérer un ensemble de générateurs pour le groupe, puis on
utilise la théorie de la réduction pour obtenir un domaine fondamental et nalement une présentation.
Le calcul dans l'espace X peut probablement être amélioré. La plupart des travaux existant se
placent dans le modèle du demi-plan/espace ou de la boule/sphère unité. Cependant, le modèle de
Lorentz semble mieux se prêter au calcul en exploitant les algorithmes disponibles pour la géométrie
euclidienne, pourrait permettre d'analyser les problèmes d'approximation en linéarisant les opérations
et de gérer les produits cartésiens de tels espaces, dont nous aurons besoin pour le cas général.
La partie d'énumération est encore peu maîtrisée. On utilise essentiellement une énumération aveugle
associée à un argument de nitude non constructif. Ceci devrait pouvoir être amélioré en utilisant le
cas commutatif (unités des anneaux d'entiers dans les corps de nombres) qui est bien étudié : soit en
imitant autant que possible les algorithmes classiques, soit en les utilisant en plongeant des anneaux
d'entiers de corps de nombres dans l'algèbre de quaternions et calculant leurs unités (il faudrait alors
savoir quels anneaux d'entiers plonger pour obtenir susamment d'unités).
La partie de réduction n'est pas non plus bien comprise. Les preuves de terminaison ne sont pas
encore satisfaisantes dans la mesure où elles nécessitent de modier les algorithmes pour forcer la
terminaison. La complexité est bien entendu très loin d'être connue. L'analyse de complexité semble
dicile et ne sera probablement traitée qu'après les autres problèmes.
Le calcul des modules de cohomologie des groupes est facile en petit degré, bien que pour certains
cas il peut être utile de recourir à des techniques d'induction. En revanche la complexité des algorithmes
est exponentielle en le degré, et il faudra peut-être utiliser des techniques adaptées au cas particulier
considéré.
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Références
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