CONGRÈS RÉUNION Colloque 2013 de la SOFRESC Paris, 16 novembre 2013 D. Bouccara* Le colloque 2013 de la Société française de réflexion sensori-cognitive (SOFRESC) s’est déroulé le 16 novembre 2013 à Paris, à l’Institution nationale des Invalides. Il a réuni une centaine de participants, médecins, rééducateurs, audioprothésistes, intervenants médicosociaux et responsables d’établissements. Les objectifs de ce colloque étaient, d’une part, de faire le point des connaissances sur l’impact des atteintes sensorielles, en particulier auditives, sur les troubles cognitifs, et d’autre part, de définir les aspects pratiques qu’elles impliquent dans la prise en charge des personnes âgées. Les travaux et publications du Pr F. Lin (Baltimore, ÉtatsUnis) ont démontré de façon robuste les liens entre hypoacousie et troubles cognitifs. Invité à ce colloque, il a présenté la synthèse de ses travaux et, surtout, les perspectives en termes de prise en charge précoce des troubles sensoriels, avec un enjeu en matière de santé publique : réduire la sévérité et l’impact des troubles cognitifs liés au vieillissement. Troubles sensoriels et cognitifs liés à l’âge : données actuelles * SOFRESC ; service d’ORL, groupe hospitalier de la Pitié-Salpêtrière, AP-HP, Paris. S’agissant des troubles auditifs, Xavier Perrot (Lyon) a rappelé d’emblée que, parmi les plus de 6 millions de malentendants en France, les 2/3 ont plus de 60 ans, et que seuls 20 % à 30 % d’entre eux sont appareillés. Du point de vue physiopathologique, l’atteinte est triple : système auditif périphérique (cellules ciliées internes et externes, avec possibles zones inertes cochléaires sans fonctionnalité), système auditif central (vieillissement propre et effet de la désafférentation auditive) et système cognitif avec altération des processus attentionnels, mnésiques et automatiques. Les processus cognitifs seront d’autant plus sollicités que la déficience auditive est importante, mais seront d’autant moins efficaces que le vieillissement cognitif est marqué. L’évaluation de la presbyacousie est clinique (oto­ scopie, acoumétrie, audiométrie tonale et vocale dans le calme et dans le bruit), et les questionnaires permettent d’évaluer, pour une personne donnée, l’impact de la déficience auditive sur la qualité de vie. Le traitement est fondé sur l’appareillage : adaptation prothétique, associée, selon le cas, à une rééducation auditive pour améliorer, grâce à 32 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 336 - janvier-février-mars 2014 la rééducation orthophonique, la compréhension avec les aides auditives, et d’éventuelles mesures psychosociales. Plusieurs études présentées lors de ce colloque ont montré les bénéfices perceptifs, cognitifs et psychologiques apportés par l’appareillage, ainsi qu’en termes de qualité de vie. Les troubles visuels liés à l’âge ont été présentés par Brigitte Chouard (Paris). Tout comme les troubles auditifs, ils augmentent en fréquence et en gravité avec l’âge, avec un impact négatif sur les activités quotidiennes, la cognition et l’humeur, et une majoration potentielle de la dépendance. La malvoyance, qui correspond à une acuité visuelle entre 1/20 et 3/10, touche 21 % des personnes de plus de 80 ans, et la cécité, définie par une acuité visuelle inférieure à 1/20, 6 % des personnes de ce même groupe d’âge. La malvoyance est caractérisée par des difficultés importantes à bien lire de près et à reconnaître le visage d’une personne à 4 mètres, malgré une correction visuelle. Le vieillissement physiologique s’accompagne d’un besoin de lumière : 2 fois plus à 60 ans qu’à 20 ans et 4 fois plus à 80 ans. Les 4 pathologies les plus fréquentes sont la cataracte, la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), le glaucome à angle ouvert et la rétinopathie diabétique. La cataracte a une prévalence qui augmente avec l’âge : plus de 60 % à partir de 85 ans et 100 % à 100 ans. Elle est la première cause de baisse d’acuité visuelle des personnes âgées, et son traitement est le premier acte chirurgical réalisé en France : de l’ordre de 80 000 interventions par an. Les résultats de cette chirurgie sont moindres en cas de grand âge, de comorbidités générales et de troubles cognitifs. Une étude réalisée à l’hôpital Tenon (Paris) avait montré l’impact de la chirurgie de la cataracte en cas de troubles cognitifs : amélioration visuelle importante, mais aussi, potentiellement, troubles du sommeil, troubles de la mémoire à court terme, et troubles de l’humeur. Dans un certain nombre de pathologies, l’évolution vers la basse vision doit faire proposer une rééducation adaptée impliquant plusieurs disciplines : ophtalmologiste, orthoptiste, opticien, ergothérapeute et psychologue. Elle utilise des moyens techniques (correction optique, systèmes avec grossissement, CONGRÈS RÉUNION etc.), et une rééducation intégrant le potentiel visuel à l’ensemble des perceptions sensorielles, en particulier auditives. S’agissant de l’approche gériatrique du vieillissement cognitif, Joël Belmin (Paris, Ivry) a évoqué l’intérêt d’une approche précise. Même en l’absence de maladie, un certain nombre de fonctions sont altérées avec l’âge : sommeil, soif, rythme circadien, et bien sûr les fonctions cognitives : attentionnelles, exécutives et la capacité de mémoire. D’autres fonctions cognitives restent intactes, par exemple le langage. En situation pathologique, les troubles cognitifs vont connaître une intensité variable : du vieillissement cognitif “usuel” modéré à la démence. Pour favoriser un vieillissement cognitif “réussi”, les principaux axes thérapeutiques sont les suivants : ➤➤éviter les agressions cérébrales : traumatismes, maladies cérébrovasculaires, effets de certains médicaments (benzodiazépines…) ; ➤➤maintenir une stimulation cognitive par des activités fréquentes et variées impliquant la mémoire ; ➤➤conserver des activités physiques ; ➤➤favoriser les interactions sociales : lutte contre l’isolement social et les déficits sensoriels. Ces éléments s’intègrent dans de nombreuses modalités thérapeutiques qui bénéficient des progrès technologiques, par exemple avec le support de jeux “d’entraînement cérébral” disponibles sur consoles et tablettes électroniques. Certaines études ont montré l’intérêt cognitif possible et variable selon le type de procédure cognitive lié à ces jeux. Dans le cas de la maladie d’Alzheimer constituée, le traitement des troubles cognitifs comporte plusieurs orientations, comme l’a montré AnneSophie Rigaud (Paris). Ce traitement, formalisé par des recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) en 2011, est fondé sur une approche pluridisciplinaire impliquant les aidants, avec la formalisation de l’annonce diagnostique, une prise en charge médicale (nutrition, comorbidités, interactions médicamenteuses, etc.), et, surtout, une prise en charge coordonnée médicosociale reposant sur différentes structures (centres locaux d’information et de coordination, équipes Alzheimer, unités cognitivo-comportementales, etc.). Certains médicaments sont parfois utilisés : agents cholinergiques et antiglutamates. Les interventions auprès des patients sont importantes : rééducation orthophonique avec stimulation cognitive, ergothérapie, etc. Sans oublier les interventions auprès des aidants : psychoéducation et groupes de soutien. L’ensemble de ces éléments bénéficie des développements technologiques. Les perspectives médicamenteuses existent à plus long terme à partir de l’utilisation des connaissances physiopathologiques sur la maladie d’Alzheimer. Une modalité thérapeutique intéressante est, comme l’a présenté Séverine Samson (Paris et Lille), l’utilisation de la musique, avec des modalités cognitives spécifiques. Les progrès de l’imagerie, en particulier en IRM et en IRM fonctionnelle, ont été montrés par Stéphane Lehericy (Paris). Les modifications anatomiques cérébrales liées à l’âge sont connues : réduction du volume de la substance grise, atrophie précoce des zones frontale, associative et pariétale, et atrophie plus tardive pour le lobe temporal et l’hippocampe. Des études ont montré le lien entre le volume de la substance grise frontale et la cognition. Parmi les éléments étudiés en imagerie, on peut retenir le volume de l’hippocampe, qui peut varier, d’une part, d’un individu à l’autre et, d’autre part, avec le temps, chez une même personne. Ainsi, l’activité physique régulière peut s’accompagner d’une augmentation du volume de l’hippocampe avec un impact sur le déclin mnésique. Concernant les lésions vasculaires de la substance blanche, des lésions sévères pour la topographie périventriculaire peuvent expliquer l’altération de certaines fonctions exécutives. L’imagerie fonctionnelle (IRM, PET-scan) permet de montrer une baisse de l’activité corticale rattachée au vieillissement visuel et auditif. Enfin, la présentation de Christian Corbé, ophtalmologiste et ancien directeur de l’Institution nationale des Invalides (Paris), a montré l’importance de concevoir des projets rééducatifs multidisciplinaires du vieillissement impliquant à la fois les domaines sensoriels et cognitifs. Conférence de Frank Lin (Baltimore, États-Unis) Oto-rhino-laryngologiste spécialisé en otologie, Frank Lin est aussi directement impliqué dans des programmes gériatriques et épidémiologiques centrés sur les liens entre surdité et cognition. Ses publications font référence en la matière. Ses principaux résultats, publiés en 2011 (Archives of Neurology), ont montré, dans le cadre du suivi d’une cohorte de plus de 600 adultes durant plus de 10 ans, un lien certain entre la sévérité des troubles cognitifs et l’importance de l’hypoacousie, en faisant abstraction des autres facteurs (âge, niveau éducatif, tabagisme, HTA, etc.). Cela La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 336 - janvier-février-mars 2014 | 33 CONGRÈS RÉUNION conduit même à s’interroger sur le lien possible entre atteinte auditive périphérique et atteinte neurologique centrale, en particulier une accélération de l’atrophie au niveau du lobe temporal, et, en conséquence, à s’interroger sur l’effet positif attendu de la correction de l’atteinte auditive vis-à-vis des troubles cognitifs. Pour répondre à ces questions, des études prospectives sont envisagées, pour évaluer les effets de la réhabilitation auditive à long terme. Table ronde : comment développer de nouveaux réseaux d’évaluation et de soins ? L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. La table ronde modérée par Murielle Jamot (Paris) et Isabelle Mosnier (Paris) avait pour objectif de montrer les possibilités de prise en charge pratique des troubles sensoriels et cognitifs de manière à obtenir un impact réel sur la qualité de vie et sur les risques de dépendance. Plusieurs démarches ont été effectuées par des structures publiques ou privées, en particulier mutualistes, dans cette direction ; par exemple, le Centre d’évaluation et de réadaptation des troubles de l’audition (CERTA), à Angers, ou l’Institut CLER Basse Vision, à Nancy. Ces établissements permettent une prise en charge pluridisciplinaire et coordonnée des troubles cognitifs et sensoriels. Pour les personnes vivant dans des établissements de soins (EPHAD), la collaboration des différents spécialistes, l’information et la délégation de tâches aux soignants permettent de mieux répondre à ces situations. Enfin, l’information développée dans toutes les directions permet de sensibiliser les médecins généralistes et spécialistes, les rééducateurs et toutes les personnes impliquées dans les soins, sur l’intérêt d’un dépistage précoce des troubles sensoriels, en particulier la presbyacousie. ■ La Société française de réflexion sensori-cognitive (SOFRESC) est une association loi 1901. Ses objectifs sont les suivants : ➤➤ mener une réflexion sur l’évaluation des troubles sensori-cognitifs ; ➤➤ promouvoir les initiatives et les actions de recherche dans le domaine des pathologies dégénératives cérébrales ; ➤➤ organiser des actions de formation pour les professionnels concernés ; ➤➤ favoriser les échanges pluridisciplinaires autour des problématiques sensori-cognitives des personnes âgées. Un maître mot pour cette société savante, créée en 2005 : “pluridisciplinarité”. L’idée est de développer une approche pluridisciplinaire au service d’un diagnostic précoce des pathologies neurodégénératives et neurosensorielles, afin que les patients âgés polypathologiques profitent de la complémentarité des compétences de chaque professionnel de santé. Grâce à un réseau amical, scientifique et médical capable de s’adapter aux différentes situations, la Sofresc souhaite favoriser le lien entre les différentes spécialités pour proposer de nouvelles réflexions et de nouveaux projets. Site internet : www.sofresc.com Encadré. La SOFRESC. …ET TOUJOURS SUR EDIMARK.TV Le regard de l’avocat 14:28 Accédez à la rubrique “Le regard de l’avocat”, afin de tout comprendre de l’actualité du droit médical. Me Gilles Devers (avocat à Lyon) nous livre en vidéo son analyse sur “l’affaire Vincent Lambert”. Scannez ce flashcode pour voir la vidéo “L’affaire Vincent Lambert” sur le vif ! 34 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 336 - janvier-février-mars 2014 www.edimark.tv