DOSSIER THÉMATIQUE Chirurgie des MICI La prise en charge des complications des anastomoses iléo-anales Management of complications after ileo-anal pouch anastomosis Stéphane V. Berdah, Thierry Bege* L a coloproctectomie totale avec anastomose iléo-anale (AIA) est, actuellement, l’intervention de référence pour le traitement chirurgical des malades atteints de rectocolite hémorragique (RCH) ou de polyadénomatose familiale. Si sa mortalité est quasi nulle, cette chirurgie lourde reste grevée d’une morbidité importante, variant de 20 et 60 % selon les séries (1). En outre, ces complications postopératoires sont parfois graves et peuvent mettre en péril le résultat fonctionnel de l’intervention, voire conduire à la perte du réservoir et à l’iléostomie définitive. Il paraît donc important d’aborder le sujet des complications des AIA et de leur prise en charge, ce d’autant que cette intervention s’adresse souvent à des sujets jeunes. Cet article traite uniquement les aspects spécifiques des complications postopératoires après AIA pour RCH, à l’exclusion des complications néoplasiques à long terme ou des pochites. De même, les complications liées à la voie d’abord (laparotomie, laparoscopie, cœlio-assistée, etc.) ne seront pas traitées ici. En effet, après une augmentation initiale du taux de complications postopératoires (2), la laparoscopie est maintenant une voie d’abord validée pour la réalisation des AIA, sans surmorbidité (3). Occlusions * Service de chirurgie digestive, CHU Nord, Marseille, université de la Méditerranée, Marseille. Les occlusions du grêle représentent la complication la plus fréquente après AIA. Il faut distinguer deux types d’occlusion : ➤➤ les occlusions survenant pendant la période où des stomies (iléostomie ou iléocolostomie) sont encore en place ; 20 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XIII - n° 1 - janvier-février 2010 ➤➤ les occlusions liées aux adhérences postopératoires après fermeture des stomies ou chez les malades n’ayant pas eu de stomie de protection. Occlusion avec stomies en place Elles peuvent être liées à une sténose de l’anse grêle extériorisée qui est volvulée ou trop serrée dans sa traversée de la paroi abdominale. Le tableau clinique est celui d’une non-reprise du transit par la stomie en postopératoire alors que les suites opératoires semblent simples. Le scanner abdominal, en général prescrit (trop) facilement, retrouve une distension du grêle jusqu’à la stomie. Dans ce cas de figure, on peut utiliser une sonde urinaire souple pour cathétériser l’anse d’amont. Cela permet de lever immédiatement l’occlusion. En outre, des sondages répétés peuvent régler définitivement le problème en levant un œdème de l’anse extériorisée. En revanche, en cas de malfaçon, notamment d’orifice pariétal trop étroit, une reprise chirurgicale sera nécessaire. Ces occlusions précoces peuvent aussi être dues à une incarcération d’anse(s) dans un espace en partie cloisonné par l’anse extériorisée en stomie. Dans ce cas, il s’agit d’un tableau de volvulus du grêle conduisant à une reprise chirurgicale si le tableau clinique est inquiétant ou ne s’améliore pas dans les 24 à 48 heures. Autres occlusions du grêle Il s’agit d’occlusions qui ne diffèrent pas de l’ensemble des occlusions postopératoires du grêle, si Points forts »» La coloproctectomie totale avec anastomose iléo-anale (AIA) est le traitement chirurgical de référence de la rectocolite hémorragique (RCH). Si la mortalité est quasi nulle, les complications postopératoires sont fréquentes et parfois graves. Cet article traite des complications postopératoires spécifiques des AIA pour RCH en insistant sur leur prise en charge actuelle. ce n’est par une incidence élevée notée dans la littérature : 30 % avec 7,5 % de réinterventions lorsque les malades sont suivis pendant 10 ans (4). Il faut toutefois noter que la population des malades ayant eu une AIA est particulièrement surveillée, soit en raison de la pathologie chronique pour laquelle ils ont été opérés, soit pour assurer le suivi fonctionnel d’une intervention digestive lourde ; cela peut donc expliquer ce taux plus élevé publié d’occlusions. Le site de l’ancienne stomie de protection est relevé dans plusieurs études (4, 5) comme étant un site fréquemment responsable de l’occlusion. Si ce fait ne peut à lui seul remettre en cause la confection d’une iléostomie de protection, il est à prendre en compte dans l’analyse bénéfice-risque de son indication. Sepsis pelviens C’est probablement la complication postopératoire la plus fréquente et la plus redoutée. En dehors de la corticothérapie préopératoire, les facteurs déterminants de ces sepsis sont très discutés dans la littérature. Les sepsis pelviens sont indissociables de la notion de fistule anastomotique et doivent être pris en charge comme tels, même si la fistule n’est pas objectivée par un examen d’imagerie. Le taux de sepsis pelvien postopératoire varie entre 10 et 25 % selon les séries (6). Au-delà de la gravité immédiate, cette complication met en péril l’AIA et son réservoir, donc le résultat fonctionnel de l’intervention. Le diagnostic de ces sepsis doit absolument être documenté par un scanner abdomino-pelvien. Plus que la fistule elle-même qui peut être mise en évidence par une opacification anale, le scanner permet de déterminer le nombre de collections, leur taille, leur contenu, leur localisation (intra- et/ ou sous- et/ou rétropéritonéales). Ces collections sont alimentées par une fistule mais peuvent aussi se fistuliser. Le scanner est l’élément déterminant des indications thérapeutiques. La gravité de ces sepsis est amoindrie par la présence d’une iléostomie de protection. C’est le premier geste à réaliser si l’AIA compliquée de sepsis pelvien n’avait pas été protégée initialement. Dans la mesure où l’AIA est hors circuit, la guérison est le plus souvent obtenue sous antibiothérapie associée à des gestes de drainage percutané et/ou transanal. En cas de fistule large, la mise en place de prothèses endoscopiques a permis des guérisons sans réintervention (7). Une réintervention par voie haute ne s’envisagera qu’en cas d’échec (rare) de ces traitements, ou, à distance de l’intervention initiale, en cas de sepsis chronique ayant altéré le réservoir. Ces réinterventions sont difficiles et doivent être discutées avec des équipes spécialisées. Une conservation de la fonction sphinctérienne après réfection du réservoir est cependant possible (8). Mots-clés Anastomose iléo-anale Complications Rectocolite hémorragique Chirurgie Keywords Ileal pouch-anal surgery Complications Ulcerative colitis Surgery Hémorragies Outre les hémorragies pouvant survenir après toute chirurgie abdominale digestive lourde, il faut citer, pour les AIA, les hémorragies du réservoir. Elles sont rares (moins de 2 % des malades), mais peuvent être abondantes (9). Si une inspection et une hémostase peropératoire soigneuse des lignes de suture du réservoir sont indispensables, aucune méthode n’a été avancée dans la littérature comme efficace pour prévenir ce risque hémorragique (suture mécanique ou manuelle, renforcement par surjet des lignes d’agrafes, etc.). Ces hémorragies proviennent soit des lignes de suture (et/ou d’agrafage) du réservoir lui-même, soit de l’anastomose. Dans ce dernier cas, le diagnostic est précoce car l’hémorragie est extériorisée. L’hémostase est en général aisée : une suture directe par voie basse lors d’une brève réintervention sous anesthésie générale règle le problème. En revanche, si l’origine du saignement est plus haut, située dans le réservoir, le problème est plus complexe. Tout d’abord le diagnostic peut être tardif : le sang s’accumule dans le réservoir et le tube digestif sus-jacent ; le diagnostic n’est alors porté qu’au cours d’une décompensation hémodynamique ou de l’extériorisation par l’anus d’une grande quantité de sang. De plus, en cas d’hémorragie persistante, la reprise chirurgicale par voie basse peut être difficile, voire impossible, car le vaisseau responsable est inaccessible. On ne peut donc que recommander la collaboration, lors La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XIII - n° 1 - janvier-février 2010 | 21 DOSSIER THÉMATIQUE Chirurgie des MICI La prise en charge des complications des anastomoses iléo-anales de cette réintervention, d’un collègue endoscopiste interventionnel qui visualisera le site de l’hémorragie et pourra utiliser les techniques d’hémostase endoscopiques à notre disposition (injections, clips, etc.). Cette attitude concertée permettra d’éviter un abord par voie abdominale et un démontage du réservoir. Sténoses Il faut bien différencier les sténoses immédiates des sténoses plus tardives, fibreuses. Les premières sont les plus fréquentes. Elles sont diagnostiquées lors d’un examen proctologique systématique ou dans le cadre de troubles de l’exonération. Il s’agit en général d’un simple diaphragme qui sera aisément dilaté au doigt ou à l’aide de bougies prudemment utilisées. Un diamètre de 15 mm est suffisant. Il convient d’ailleurs de réaliser cet examen proctologique systématiquement lors de la fermeture de l’éventuelle iléostomie de protection. En effet, la sténose est quasi constante lorsque l’AIA est restée hors circuit plusieurs semaines. Les sténoses tardives sont retrouvées dans un peu plus de 10 % des cas. Elles semblent plus fréquentes après AIA manuelle qu’après AIA mécanique (12 % contre 4 % dans la série de la Mayo Clinic) [10]. Elles sont en général liées à une fibrose anastomotique, elle-même favorisée par des difficultés per- ou postopératoire, un sepsis ou un contexte de maladie de Crohn. Là encore des dilatations mécaniques itératives peuvent être efficaces. En cas d’échec ou de récidive trop précoce, une plastie par voie basse a montré son efficacité en réalisant des points radiaires sur l’anastomose (11). Fistules ano-vaginales Elles sont soit précoces – et alors dues à un problème technique chirurgical (plaie vaginale peropératoire, agrafage de la paroi vaginale postérieure lors de l’AIA mécanique, etc.) –, soit plus tardives – et donc liées à une inflammation locale (sepsis chronique, maladie de Crohn, etc.). Leur traitement est complexe. Il paraît préférable de l’envisager sous couvert d’une iléostomie d’amont. Il fait appel à une succession de techniques par voie basse (fermeture directe, lambeau, avancement du réservoir notamment) efficaces dans la majorité des cas en l’absence de maladie de Crohn (12). Une réfection par voie haute n’est indiquée qu’en cas d’échec de ces techniques par voie basse. Conclusion La coloproctectomie totale avec anastomose iléoanale est une intervention complexe et lourde, grevée d’une morbidité spécifique. Cependant, ces complications sont de mieux en mieux connues et prises en charge. En outre, malgré ces complications, le taux de perte du réservoir et de la fonction sphinctérienne reste faible, évalué à moins de 5 %. ■ Références bibliographiques 1. Gorgun E, Remzi FH. Complications of ileoanal pouches. Clin Colon Rectal Surg 2004;17:43-55. 2. Sardinha TC, Wexner SD. Laparoscopy for inflammatory bowel disease: pro and cons. World J Surg 1998;22:370-4. 3. Ahmed Ali U, Keus F, Heikens JT et al. Open versus laparoscopic (assisted) ileo pouch anal anastomosis for ulcerative colitis and familial adenomatous polyposis. Cochrane Database Syst Rev 2009;(1):CD006267. 4. MacLean AR, Cohen Z, MacRae HM et al. Risk of small bowel obstruction after the ileal pouch-anal anastomosis. Ann Surg 2002;235:200-6. 5. Aberg H, Pahlman L, Karlbom U. Small-bowel obstruction after restorative proctocolectomy in patients with ulcerative colitis. Int J Colorectal Dis 2007;22:637-42. 6. Heuschen UA, Hinz U, Allemeyer EH et al. Risk factors for ileal pouch-related septic complications in ulcerative colitis and familial adenomatous polyposis. Ann Surg 2002;235:207-16. 7. Amrani L, Ménard C, Berdah S et al. From iatrogenic digestive perforation to complete anastomotic disunion: endoscopic stenting as a new concept of “stent-guided regeneration and re-epithelialization”. Gastrointest Endosc 2009;69:1282-7. 8. Shawki S, Belizon A, Person B et al. What are the outcomes of reoperative restorative proctocolectomy and ileal pouchanal anastomosis surgery? Dis Colon Rectum 2009;52:88490. 22 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XIII - n° 1 - janvier-février 2010 9. Lian L, Serclova Z, Fazio VW et al. Clinical features and management of postoperative pouch bleeding after ileal pouch-anal anastomosis. J Gastrointest Surg 2008;12:1991-4. 10. Prudhomme M, Dozois RR, Godlewski G et al. Anal canal strictures after ileal pouch-anal anastomosis. Dis Colon Rectum 2003;46:20-3. 11. Benoist S, Panis Y, Berdah S et al. A new treatment for ileal pouch-anal or colo-anal anastomotic stenosis. Dis Colon Rectum 1998;41:935-7. 12. Shah NS, Remzi FH, Massmann A et al. Management and treatment outcome of pouch-vaginal fistulas following restorative proctocolectomy. Dis Colon Rectum 2003;46:911-7.