“ A Cathé-croissants TRIBUNE

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TRIBUNE
Cathé-croissants
Denis Chemla
Service des explorations
fonctionnelles
cardiovasculaires, hôpital
Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre.
“
A
ppelons-le Jean-René, JR pour les intimes. C’est un collègue en fin de carrière,
une sommité mondiale dans son domaine, qui a depuis des années deux
vacations de cathétérisme dans un grand hôpital parisien. Parce qu’il aime
les patients et son métier, parce qu’il aime comprendre comment ça marche ensemble,
le cœur et les poumons.
Un sourire aux lèvres, entre deux patients (5 à 6 par vacation, il travaille vite et
bien), il calcule à voix haute ce qu’il gagne pour un cathétérisme droit. Rappelons :
tablier de plomb, ponction jugulaire, mesures complexes et nécessitant une grande
expertise sur des populations souvent à risque, parfois un test au NO, voire un test
dynamique pour démasquer les dysfonctions dans la “zone grise”. Pansement.
Discussion rassurante avec le patient, blagues avec l’équipe infirmière. Interprétation.
Compte-rendu. Tout est opposable. Et on repart travailler. Sans oublier, pour
lui, les nombreux risques : rayons X, contamination sanguine lors d’une piqûre
vasculaire, procès en cas d’accident iatrogène.
“Alors, ça fait à peu près 10 euros par cathé, avant impôt bien sûr.”
À peine plus qu’un café-croissants au bistro du coin.
La rémunération des vacations hospitalières à un salaire horaire souvent inférieur
à celui d’un(e) technicien(ne) de surface officiellement déclaré(e) peut surprendre.
La seule rémunération proposable est souvent bien au-dessous des attentes
du praticien puisque les règles kafkaïennes de prise en compte de son ancienneté ou
de son expérience lui sont toujours défavorables, en particulier lors d’un changement
de rattachement hospitalier. Ne parlons pas de la retraite proposée à l’issue.
L’informatisation des rendez-vous et de la gestion des actes met le chef de service
dans l’illégalité s’il souhaite “surpayer” une ou deux vacations.
On notera que “la jeune génération” ne cautionne plus le quasi-bénévolat pratiqué
par ses aînés : émoussement du sacerdoce, individualisme forcené de la société,
passage du franc à l’euro ? Il serait vain d’en énumérer toutes les raisons. Cette
rémunération particulièrement dérisoire décourage également certains confrères
approchant l’âge de la retraite, souvent spécialistes reconnus, qui pourraient faire
bénéficier les patients de leur expérience irremplaçable, et transmettre leur savoir aux
jeunes médecins – je pense au cas récent d’un rythmologue de renom. Les meilleurs
de nos collègues, toujours prêts à faire des concessions financières pour rester
travailler à l’hôpital public qu’ils aiment, s’en détournent finalement à regret. Il est
désolant de voir s’éloigner des confrères brillants qu’on a appréciés (et parfois formés)
depuis leurs études de médecine, leur internat, leur clinicat, voire même après.
D. Chemla déclare ne pas avoir
de liens d’intérêts.
Quel que soit l’objectif de cette politique, elle amène à la disparition progressive
au sein de l’hôpital public de nombreuses activités du plateau des explorations
fonctionnelles, en cardiologie, en neurologie et ailleurs, ce qui pénalise les patients
les plus pauvres. Elle éloigne des services les médecins qualifiés et motivés et accélère
l’évolution vers une sorte de rêve budgétaire mais de cauchemar sanitaire : un hôpital
sans médecins et donc sans malades.
8 | La Lettre du Cardiologue • N° 498 - octobre 2016
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