herpétologie Serpents et amphibiens Une raréfaction rampante Les reptiles et les amphibiens souffrent particulièrement de la disparition progressive de leur habitat. Hormis quelques espèces dont l’effectif se maintient, leur nombre semble diminuer, parfois de manière spectaculaire. Par David Perrault « Ci-dessous, le lézard vert. Page de droite, le triton marbré et la couleuvre vipérine, souvent confondue avec la vipère aspic. R égulièrement, des gens nous appellent, paniqués, parce qu’ils ont aperçu un serpent dans leur jardin. Ils nous le décrivent, on leur explique de quelle espèce il s’agit, on essaie de les rassurer. Mais ça ne suffit pas toujours…» Miguel Gailledrat, de l’association Vienne Nature, doit lutter contre une des plus vieilles phobies occidentales. Les serpents figurent en effet en bonne place au hit parade des animaux qui font se dresser les cheveux sur la tête, avec les rats et les araignées. Pourtant, ces reptiles sont protégés par la loi, utiles à l’homme – ils régulent notamment les populations de rongeurs –, essentiels à la chaîne alimentaire et, pour la plupart, inoffensifs. Une exception : la vipère aspic. «Mais c’est un petit animal craintif, il fuit quand on l’approche.» On enregistre chaque année en France un à deux décès par morsure d’aspic, beaucoup moins que ceux liés aux piqûres de guêpes… D’ailleurs, il est de plus en plus improbable de rencontrer cette vipère. «Je n’en ai vu que deux en quatre ans ! précise Miguel Gailledrat. L’habitat de l’aspic, les coteaux calcaires, les haies, est malmené par l’homme. En revanche, on dénombre de plus en plus de couleuvre verte et jaune. Son aire de répartition remonte vers le nord, peut-être en raison du réchauffement climatique. Et c’est un gros serpent qui s’adapte bien à différents milieux, jusque dans les zones périurbaines.» La couleuvre verte et jaune est un cas à part. Les six autres espèces de serpents présentes dans la région semblent au mieux se maintenir, au pire régresser. Circulation automobile, urbanisation et agriculture intensive, pesticides et insecticides, destruction volontaire… les serpents ne sont pas gâtés par la modernité. Rapts de cistudes Michel Bramard C’est d’ailleurs le cas de la majorité des reptiles (quinze espèces au total dans la région). Même les effectifs de lézard vert, un animal qui reste répandu, accusent une diminution. Certaines espèces sont dans une situation critique. Le lézard ocellé – le plus gros d’Europe, jusqu’à 80 cm de long –, n’est plus présent significativement dans la région que dans l’île d’Oléron. L’île marque aussi son point le plus septentrional, son milieu d’origine étant les côtes méditerranéennes. Il est en danger d’extinction : il fait l’objet, depuis cette année, d’un plan de sauvegarde national. Un plan dont bénéficie déjà la cistude, qui figure même sur la liste rouge des 52 ■ L’Actualité Poitou-Charentes ■ N° 85 ■ Michel Bramard Miguel Gailledrat ■ L’Actualité Poitou-Charentes ■ N° 85 ■ 53 Une tortue cistude sur les bords du Michel Bramard Clain à Saint-Benoît. espèces au niveau européen. Cette tortue d’eau douce pâtit de la diminution des espaces naturels humides, drainés pour l’agriculture ou l’habitat. Dans le marais de Brouage, en Charente-Maritime, qui abrite la plus grosse colonie régionale, les observateurs recensent principalement des individus adultes. «On trouve peu de jeunes», s’inquiètent Sandra Laborde et Thomas Dupeyron, de Nature et Environnement 17. Les lieux de pontes, sur les coteaux, sont moins nombreux et très vulnérables. Entretenus en prairies, ils sont favorables au dépôt des œufs. Mais s’ils sont abandonnés par l’homme, ils se transforment en zones boisées et les cistudes n’y mettent plus les pattes. La tortue bénéficie pourtant, contrairement au serpent, d’un gros capital sympathie. «Les gens la prennent pour Caroline, la tortue de la BD Boule et Bill, constate Thomas Dupeyron. A tel point que parfois, ils en voient une sur la route et l’embarquent dans leur coffre. Or si vous la transportez chez vous, elle ne pourra plus se reproduire, et n’aura probablement pas de bonnes conditions de vie. C’est une tortue aquatique et carnivore, elle ne se plaît pas dans un jardin, et inutile de lui donner de la salade…» Un quart des mares rayées de la carte Comme la cistude, les amphibiens souffrent de la destruction et du morcellement des zones humides. «On estime que 26 % des mares du Poitou-Charentes ont disparu en vingt ans, souligne Miguel Gailledrat. Et dans celles qui subsistent, on note des chutes de densité inquiétante. Sur un site où on observait une centaine de tritons palmés il y a quelques années, on ne va plus en trouver que quatre ou cinq…» Les amphibiens (22 espèces dans la région) ont besoin non seulement d’une mare mais d’un ensemble de points d’eau entouré d’un milieu propice (bocage, prairies…) pour proliférer, et ces conditions sont de moins en moins réunies. Les spécialistes constatent donc une régression générale. Même le crapaud commun se fait plus discret. D’autres espèces sont carrément menacées de disparition à courte échéance dans la région, comme le triton crêté, le pélobate cultripède – un crapaud des milieux dunaires – ou le sonneur à ventre jaune. Le triton alpestre a même été éradiqué de nos contrées au début des années 2000. L’espoir des associations de protection de la nature réside dans les promesses du Grenelle de l’Environnement, notamment celle de créer des «corridors écologiques», des zones protégées permettant aux populations d’amphibiens de se déplacer. Mais cela n’est, pour l’instant, qu’une promesse. Les mesures concrètes, elles, avancent au rythme d’une cistude au galop. n www.vienne-nature.asso.fr/ www.nature-environnement17.org/ www.serpentsdefrance.fr/ Un test de grossesse insolite E n entrant dans un hôpital, des années 1940 à 1960, il était courant de se retrouver nez à nez avec un aquarium contenant non pas des petits poissons rouges mais de bien grosses grenouilles femelles. Phénomène de mode ? Non ! Cette espèce d’amphibien, répondant au doux nom de Xenopus laevis était utilisée comme test de grossesse ! Ce test insolite est mis au point en 1930 par Lancelot Hogben, zoologiste et généticien britannique. A la manière d’un test de grossesse actuel, l’urine de la femme est utilisée. Elle est injectée dans le cloaque, 54 ■ L’Actualité Poitou-Charentes ■ N° 85 ■ orifice intestinal de l’amphibien. Si la femme est enceinte, la femelle Xenope pond ses œufs. Solidarité féminine ? Que nenni ! Une hormone synthétisée par certains mammifères, la gonadotrophine, se retrouve dans l’urine de la femme enceinte tout simplement car elle est sécrétée par l’embryon durant la grossesse. La femelle Xénope, quant à elle, fabrique des œufs toute l’année. La gonadotrophine va stimuler la ponte ; elle peut pondre de 300 à 1 000 œufs en 24 h ! Cette espèce originaire de certains pays sud-africains a été introduite par inadvertance dans le nord des Deux-Sèvres. La pauvre grenouille, qui croit encore aux contes de fée dans lesquels une jolie princesse vient l’embrasser, n’a pas fini d’en baver. En effet bien que les chercheurs, grâce à leurs avancées en biologie moléculaire, aient mis au point des tests de grossesse plus fiables, elle reste aujourd’hui un modèle idéal de compréhension des gènes et des différentes étapes du développement embryonnaire. Elsa Dorey herpétologie Les derniers bastions du sonneur L Un sonneur à ventre jaune à sont aux petits soins, lui aménageant des trous d’eau, prenant garde de ne pas détruire son habitat. Et ça marche. «Depuis 2004, on constate une explosion de la reproduction, constate Nicolas Cotrel, de Deux-Sèvres Nature Environnement. On en compte désormais 50 à 60 sur le site.» Il paraît même que ces crapauds saluent l’adjudant-chef en s’approchant de lui, «alors qu’ils se cachent dès que je suis là», précise le naturaliste. Vexant… D. P. Quelques bons gestes Si vous souhaitez attirer des amphibiens dans votre jardin, creusez une mare ou créez un bassin (avec une bâche imperméable, par exemple), alimenté avec les eaux pluviales récupérées sur le toit d’une habitation. Ensuite, laissez faire la nature. Des plantes vont naturellement pousser près du point d’eau, et les amphibiens suivront. A condition de ne pas introduire de poissons dans votre mare : ils mangent les larves et empêchent certaines espèces de coloniser l’endroit. Quant aux serpents, si vous voulez les tenir à distance sans les tuer, élevez des poules dans votre jardin. Cela éloignera ces reptiles, qui détestent être dérangés. Si en revanche vous souhaitez les attirer, laissez une partie de votre terrain en friche et placez-y des tôles, un abri très recherché par ces animaux. L’immense majorité des serpents que l’on rencontre sont des couleuvres. La couleuvre vipérine (qui porte le surnom, trompeur, «d’aspic d’eau», et qui fréquente les marais) est souvent confondue avec la véritable vipère aspic, qui préfère les milieux secs. Miguel Gailledrat - Vienne Nature Adriers, Vienne. e Poitou-Charentes est le Far West du sonneur à ventre jaune. La région marque en effet la limite occidentale de ce petit crapaud de 5 cm de long, le point le plus à l’est étant situé en Bulgarie. Le sonneur fait partie des sept amphibiens les plus menacés dans l’Hexagone. En Poitou-Charentes, où un plan de sauvegarde a été lancé pour le protéger, sa situation reste critique. Il a disparu de CharenteMaritime et seulement quelques centaines d’individus subsistent dans les trois autres départements. Il faut dire que ce batracien a des goûts délicats. Il aime les ornières, les mares temporaires, des milieux très fragiles et précaires. Résultat : s’il reste assez présent en Charente (une quarantaine de sites), on ne le trouve que dans une demidouzaine d’endroits dans la Vienne et sur un seul lieu des Deux-Sèvres, le terrain d’Avon, dans le sud-est du département, un champ de manœuvre de l’armée. Loin d’écrabouiller les sonneurs, les militaires ■ L’Actualité Poitou-Charentes ■ N° 85 ■ 55