attitude_Meneveau:boccara 18/11/08 17:29 Page 6 Attitudes I FMC - recommandations - sociétés savantes - pratique clinique I Nicolas Meneveau CHU Jean-Minjoz, Besançon Embolie pulmonaire : les nouvelles recommandations stratifient le risque Les nouvelles recommandations de l’ESC concernant la prise en charge de l’embolie pulmonaire (EP) viennent de paraître. Elles marquent une nette évolution par rapport aux recommandations de 2000 et font appel à une nouvelle stratification du risque qui conditionne à la fois la démarche diagnostique et thérapeutique. Une nouvelle stratification du risque La sévérité de l’EP doit être interprétée en fonction du risque de décès précoce, et non plus en fonction de la sévérité de l’amputation vasculaire pulmonaire. Les nouvelles recommandations européennes suggèrent de remplacer la terminologie des EP massives, submassives, ou non massives, par une terminologie basée sur le risque de décès hospitalier ou à 30 jours lié à l’EP. L’évaluation de ce risque repose sur la présence de marqueurs, témoins de la sévérité du tableau clinique, d’une dysfonction ventriculaire droite, ou d’une ischémie myocardique (Tableaux 1 et 2). La présence d’un choc cardiogénique initial ou d’une hypotension artérielle systémique caractérise les EP à risque élevé, Principaux marqueurs utilisés dans la stratification du risque de l’EP Marqueurs cliniques Marqueurs de dysfonction VD Marqueurs d’ischémie myocardique • Choc • Hypotension artérielle systémique* • ETT : dilatation VD, hypocinésie VD, HTAP • Angioscanner : dilatation VD • Biologique : élévation BNP, NT-proBNP • KT droit : élévation des pressions droites • Elévation troponine I ou T** dont la mortalité précoce est supérieure à 15 %. Parmi les EP à risque « non élevé », on distingue les EP à risque intermédiaire des EP à bas risque, sur la présence ou non de marqueurs de dysfonction ventriculaire droite ou d’ischémie myocardique. Une dilatation du ventricule droit, une élévation des pressions pulmonaires ou des dosages de BNP ou NT-proBNP, ainsi qu’une augmentation de la troponine (I ou T) définissent les EP à risque intermédiaire et sont associées à une mortalité précoce comprise entre 3 et 15 %. À l’inverse, l’absence de ces marqueurs de risque caractérise les EP à bas risque dont la mortalité précoce ne dépasse pas 1 %. Les stratégies diagnostique et thérapeutique de l’EP reposent entièrement sur cette nouvelle stratification. Les éléments diagnostiques Probabilité clinique L’évaluation clinique de l’EP s’intègre aux examens paracliniques de dépistage comme l’ECG, la radiographie pulmonaire et la gazométrie artérielle. Les signes cliniques de l’EP sont peu sensibles et peu spécifiques. Associés à la présence de facteurs de risque et aux antécédents du patient, ils permettent l’évaluation empirique ou standardisée de la probabilité clinique d’EP. Les scores de Wells et de Genève basés sur des évaluations standardisées définissent trois niveaux Stratification du risque de décès précoce lié à l’EP Marqueurs de risque Risque de décès précoce Cliniques Ischémie Dysfonclié à l’EP (choc, myocarOTA) Risque élevé (>15%) Risque intermédiaire Risque non élevé (3-15%) * Définie par PAS < 90 mmHg ou baisse de PAS > 40 mmHg pendant > 15 min en dehors d’un trouble du rythme ventriculaire, d’un sepsis, ou d’une hypovolémie.** L’utilisation d’une élévation des H-FABP demande à être confirmée. Tableau 1. 6 Bas risque (<1%) + - - tion VD dique + + + + - + + - - - Tableau 2. CONSENSUS CARDIO pour le praticien - N° 43 • Novembre 2008 attitude_Meneveau:boccara 18/11/08 17:29 Page 7 Score de prédiction clinique de Wells Variables Score Antécédents TVP/EP + 1,5 Chirurgie ou immobilisation récente + 1,5 Tachycardie > 100/min + 1,5 Signes cliniques de TVP +3 Autre diagnostic moins probable que l’EP +3 Hémoptysie +1 Cancer +1 Scintigraphie de ventilation-perfusion Une scintigraphie de ventilation-perfusion normale permet d’exclure le diagnostic d’EP. À l’inverse, une scintigraphie pulmonaire de forte probabilité confirme le diagnostic d’EP dans la majorité des cas. La combinaison d’une scintigraphie non diagnostique et d’une probabilité clinique faible est un critère jugé acceptable pour éliminer le diagnostic d’EP, bien que cette association soit moins bien validée. Dans tous les autres cas, la scintigraphie pulmonaire ne permet pas de conclure, et d’autres examens diagnostiques doivent être envisagés. Angioscanner multicoupe Probabilité d’EP (3 niveaux) Faible 0-1 Intermédiaire 2-6 Elevée >7 Probabilité d’EP (2 niveaux) Echocardiographie-Doppler transthoracique EP improbable 0-4 EP probable >4 Tableau 3. de risque (faible, intermédiaire ou élevé) en fonction de la prévalence estimée d’EP (respectivement de 10, 30 et 65 %) (Tableau 3). D-dimères La valeur prédictive négative (VPN) d’un dosage de D-dimères < 500 µg/l, réalisé avec un test ELISA, est supérieure à 95 % et permet d’exclure le diagnostic d’EP chez un tiers des patients ambulatoires ayant une probabilité clinique faible ou intermédiaire. Les autres tests diagnostiques, moins sensibles, doivent se limiter aux patients avec probabilité clinique faible. Toutefois, en utilisant la classification du score de Wells à 2 niveaux, un dosage négatif des D-dimères permet d’écarter le diagnostic d’EP quel que soit le test employé, si l’EP est classée « improbable ». Echographie de compression veineuse La recherche d’une thrombose veineuse profonde (TVP) proximale par la réalisation d’une échographie de compression veineuse est positive chez 20 % des patients avec EP documentée. Cet examen est justifié pour réduire le taux de faux négatifs après angioscanner monocoupe, et en cas de contre-indication relative à la réalisation d’un angioscanner (insuffisance rénale, allergie au produit de contraste). CONSENSUS CARDIO pour le praticien - N° 43 • Novembre 2008 L’apport de l’angioscanner constitue une avancée déterminante dans la stratégie diagnostique de l’EP. La sensibilité et la spécificité sont respectivement de 70 et 90 % pour un angioscanner monocoupe, et de 83 et 96 % pour un angioscanner multicoupe. La visualisation d’un thrombus proximal ou segmentaire permet d’affirmer le diagnostic d’EP. À l’inverse, la nécessité d’un traitement anticoagulant devant un thrombus sous-segmentaire isolé n’est pas formellement établie en l’absence de TVP associée. En règle générale, un angioscanner multicoupe négatif permet d’exclure le diagnostic d’EP. Il est associé à un taux d’événements thromboemboliques à 3 mois qui n’excède pas 1,5 % en l’absence de traitement anticoagulant. Un angioscanner monocoupe négatif justifie, quant à lui, le recours à un écho-Doppler veineux, en raison d’une sensibilité et d’une valeur prédictive négative médiocres. L’échocardiographie-Doppler permet rarement d’affirmer le diagnostic d’EP en visualisant la présence d’un thrombus dans l’artère pulmonaire ou les cavités droites. Son intérêt est déterminant dans la prise en charge de l’EP à risque élevé. Dans ce contexte, la présence de signes de cœur pulmonaire aigu permet d’instaurer sans attendre un traitement approprié. Le rôle de l’échographie transthoracique dans la prise en charge des EP à risque « non élevé » se limite à stratifier les patients entre risque intermédiaire et bas risque. Les critères diagnostiques de dysfonction ventriculaire droite varient d’une étude à l’autre, mais s’appuient le plus souvent sur la vitesse du flux d’insuffisance tricuspide et la dilatation ventriculaire droite mise en évidence chez plus de 25 % des patients avec EP et associée à un doublement de la mortalité. D’autres critères ont été décrits, comme l’analyse du flux d’éjection VD, la cinétique segmentaire de la paroi libre du VD ou l’utilisation du Doppler tissulaire dans l’appréciation de la performance myocardique. La stratégie diagnostique Les figures 1 et 2 résument les stratégies diagnostiques possibles dans la prise en charge de l’EP. Ces stratégies privilégient une approche non invasive et s’articulent autour de l’angioscanner. En cas de suspicion d’EP à risque élevé, la probabilité clinique est le plus souvent élevée, et l’examen le plus utile dans ce contexte est l’échographie cardiaque transthoracique. L’échographie permettra d’éliminer un choc cardiogénique post-infarctus, une tamponnade, une valvulopathie aiguë, 7 attitude_Meneveau:boccara 18/11/08 17:29 Page 8 Démarche diagnostique dans les suspicions d’EP à risque « non élevé » Démarche diagnostique dans les suspicions d’EP à risque élevé Suspicion d’EP à risque « non élevé » Suspicion d’EP à risque élevé (choc ou hypotension) Evaluation de la probabilité clinique d’EP Angioscanner immédiatement disponible Non Probabilité clinique basse ou intermédiaire Oui Dysfonction VD échographique Non Oui D-Dimères Angioscanner disponible, pt stable + Autre diagnostic Probabilité clinique élevée Angioscanner non disponible, pt instable Thrombolyse, embolectomie Angioscanner Pas de traitement Autre diagnostic Angioscanner multicoupe + Angioscanner multicoupe - + Pas d’EP Pas de traitement EP Traitement Pas d’EP Pas de traitement Examens complémentaires ? + EP Traitement Figure 2. Figure 1. une dissection aortique, ou un choc hypovolémique. L’existence de signes échographiques de cœur pulmonaire aigu chez un patient instable suspect d’EP peut suffire à envisager un traitement approprié (fibrinolyse ou embolectomie) sans autre confirmation diagnostique. Si l’état clinique du patient le permet, la réalisation d’un angioscanner, s’il est immédiatement disponible, est toutefois souhaitable. L’angiographie pulmonaire doit être évitée, compte tenu du risque hémorragique lié à la thrombolyse et du caractère très instable du patient. La première étape du diagnostic chez les patients suspects d’EP à risque « non élevé » repose sur l’évaluation de la probabilité clinique. En cas de probabilité clinique faible ou intermédiaire, un dosage de D-dimères négatif (< 500 µg/l) permet d’écarter le diagnostic d’EP. Si le dosage de D-dimères est positif, le diagnostic d’EP sera infirmé ou confirmé par la réalisation d’un angioscanner multicoupe. À l’inverse, les patients avec probabilité clinique élevée devront bénéficier de la réalisation d’un angioscanner multicoupe, sans avoir recours aux D-dimères dont la valeur prédictive négative est basse dans cette population. La réalisation d’un écho-Doppler veineux ou d’une scintigraphie pulmonaire de ventilation-perfusion peut être utile chez les patients ayant une contre-indication relative à l’angioscanner (insuffisance rénale, allergie au produit de contraste). Certaines stratégies combinant probabilité clinique, dosage des D-dimères, scintigraphie pulmonaire et écho-Doppler veineux se sont également montrées très efficaces pour exclure ou confirmer le diagnostic d’EP. La prise en charge thérapeutique initié sans délai dès que le diagnostic d’EP est confirmé, mais également en attendant la confirmation du diagnostic lorsque la probabilité clinique d’EP est élevée ou intermédiaire (Tableau 4). Il doit être maintenu au moins 5 jours, et les antivitamines K (AVK) doivent être débutées le plus précocement possible, de préférence dès le premier jour. Les HBPM et le fondaparinux se sont montrés au moins aussi efficaces et sûrs d’utilisation que l’HNF et doivent être privilégiés en raison de leur simplicité d’utilisation et de l’absence de risque de thrombopénie induite avec le fondaparinux. Les indications de l’HNF se limitent aujourd’hui aux patients avec insuffisance rénale sévère (clairance de la créatinine < 30 ml/min) ou risque hémorragique élevé, en association au traitement thrombolytique. Anticoagulants validés dans le traitement de l’EP Dose HNF • 80 UI/kg en bolus suivies d’une perfusion de 18 UI/kg/h Enoxaparine • 1 mg/kg/12h SC Ou 1,5 mg/kg/24h SC Tinzaparine • 175 UI/kg/24h SC Fondaparinux • 5 mg/24h SC (poids < 50 kg) • 7,5 mg/24h SC (poids 50-100 kg) • 10 mg/24h SC (poids > 100 kg) Traitement anticoagulant Le traitement anticoagulant par héparine non fractionnée (HNF), héparine de bas poids moléculaire ou fondaparinux doit être 8 Tableau 4. CONSENSUS CARDIO pour le praticien - N° 43 • Novembre 2008 + ent attitude_Meneveau:boccara 18/11/08 17:29 Page 9 Thrombolytiques validés dans le traitement de l’EP Traitement thrombolytique Les indications de la thrombolyse n’ont pas varié (Tableau 5). Le traitement thrombolytique demeure le traitement de première intention des EP à haut risque. La plupart des contreindications dans ce contexte doivent être considérées comme relatives. La thrombolyse n’est pas recommandée dans les autres types d’EP. Elle ne doit pas être utilisée dans la prise en charge des EP à bas risque, mais peut être considérée dans certains cas d’EP à risque intermédiaire en portant une attention accrue au risque hémorragique. Embolectomie chirurgicale, thrombectomie percutanée, filtre cave L’amélioration des résultats obtenus avec l’embolectomie chirurgicale permet aujourd’hui de l’envisager comme une alternative thérapeutique efficace en cas de contre-indication au traitement thrombolytique ou d’échec de celui-ci chez les patients à haut risque. La place de la thrombectomie percutanée est, quant à elle, plus difficile à définir, et pourrait s’envisager dans les mêmes indications, lorsque l’accès à la chirurgie cardiothoracique est impossible dans des délais très courts. L’interruption de la veine cave inférieure par un filtre définitif est associée à une réduction du risque de récidive embolique à long terme, mais également à un risque accru de thrombose veineuse profonde (incluant les thromboses de filtre) et de syndrome post-phlébitique. Les indications de filtre cave doivent se limiter aux contre-indications absolues au traitement anticoagulant chez les patients ayant un risque élevé de récidive thromboembolique veineuse. Dose Streptokinase • 250 000 UI IV en dose de charge sur 30 min, suivies d’une perfusion IV de 100 000 UI/h sur 12-24h Ou 1,5 million UI IV sur 2h Urokinase • 4 400 UI/kg IV en dose de charge sur 10 min, suivies d’une perfusion IV de 4 400 UI/kg/h sur 12-24h Ou 3 millions UI IV sur 2h rtPA • 100 mg IV sur 2h Ou 0,6 mg/kg IV sur 15 min (max 50 mg) Tableau 5. de poursuivre le traitement par HBPM ou AVK indéfiniment ou jusqu’à la guérison de la pathologie cancéreuse. Thrombus intracardiaque La présence de thrombus des cavités droites est rapportée dans 4 % des EP. Ce chiffre s’élève à 7-18 % pour les patients pris en charge dans les unités de soins intensifs. Il s’agit d’un facteur de mauvais pronostic associé à un risque accru de mortalité hospitalière et de récidive d’EP, qui justifie un traitement thrombolytique ou une embolectomie chirurgicale urgente. Les cas particuliers Grossesse La démarche diagnostique de l’EP au cours de la grossesse ne diffère en rien de la démarche habituelle. Plus qu’en toute autre circonstance, un diagnostic de certitude est impératif qui justifiera un traitement héparinique prolongé. Toutes les procédures diagnostiques sont applicables à la grossesse, en particulier celles faisant appel à l’angioscanner. La dose maximale de radiation fœtale tolérée est de 50 mSv (50 0000 µGy), très largement supérieure à la dose reçue quel que soit l’examen radiologique choisi. Les héparines de bas poids moléculaire (HBPM) doivent être privilégiées en cours de grossesse en raison des risques d’embryopathie, d’hémorragies fœtales ou placentaires et d’anomalies du système nerveux central liées aux AVK. Pathologie cancéreuse Le risque d’événement thromboembolique veineux est multiplié par 4 en cas de pathologie cancéreuse évolutive, et par 7 si une chimiothérapie est instaurée. À l’inverse, 10 % des patients pris en charge pour une EP idiopathique développent une pathologie cancéreuse dans les 5 à 10 ans. La réalisation dans ce contexte d’un bilan exhaustif à la recherche d’un cancer sousjacent n’a pas fait la preuve de son bénéfice en termes de survie au long cours et n’est donc pas justifiée. Le traitement de l’EP en cas de cancer solide non métastasé évolutif repose au cours des 3 à 6 premiers mois sur les HBPM qui se sont montrées supérieures aux AVK en termes de survie. Au-delà, il convient CONSENSUS CARDIO pour le praticien - N° 43 • Novembre 2008 Ce qu’il faut retenir La prise en charge diagnostique et thérapeutique de l’embolie pulmonaire a beaucoup évolué au cours de ces dernières années. Une nouvelle stratification de la sévérité de l’EP est apparue qui fait appel au risque de décès précoce lié au phénomène thromboembolique. Le diagnostic repose aujourd’hui sur des stratégies séquentielles non invasives s’articulant autour de l’angioscanner multicoupe. Sur le plan thérapeutique, les héparines de bas poids moléculaire (HBPM) et le fondaparinux ont supplanté l’héparine non fractionnée (HNF), alors que la thrombolyse reste le traitement de première intention des EP à risque élevé et que l’embolectomie chirurgicale est devenue une alternative valable en cas de contre-indication ou d’échec du traitement thrombolytique. ■ Pour toute correspondance avec l’auteur [email protected] Pour en savoir plus - Guidelines on the diagnosis and management of acute pulmonary embolism. Eur Heart J 2008 ; 29 : 2276-2315. 9