Culture économique et sortie de la crise financière Michel Zerbato La spéculation : une vieille histoire ! La crise financière est due à une spéculation sans frein favorisée par les NTIC et l’opacité des produits financiers. Arrêt du Conseil du roi, 7 août 1785 : « Le roi est informé qu’il s’est introduit dans la capitale un genre de marchés aussi dangereux pour les vendeurs que pour les acheteurs, par lesquels l’un s’engage à fournir, à des termes éloignés, des effets qu’il n’a pas, et l’autre se soumet à les payer sans avoir les fonds ; que ces engagements occasionnent une infinité de manœuvres insidieuses »… …dans laquelle tout est déjà dit ! …« qui met au hasard les fortunes de ceux qui ont l’imprudence de s’y livrer, détourne les capitaux de placements plus solides et plus favorables à l’industrie nationale, excite la cupidité à poursuivre des gains immodérés et suspects, substitue un trafic illicite aux négociations permises et pourrait compromettre le crédit dont la place de Paris jouit à si juste titre dans toute l’Europe. » Clearstream et « shadow banking » vs Tobin ! Autre idée fausse Dans les années 30, le protectionnisme a restreint les échanges et débouché sur la récession générale, le chômage et la misère Non, c’est tout le contraire : sous la contrainte de l’étalon-or, la crise financière a ralenti l’activité mondiale, restreint les débouchés, freiné les exportations et les pays ont dû dévaluer et recourir au protectionnisme pour rétablir leur équilibre extérieur Et la démocratie ? Les agences de notation, ou les marchés, imposeraient leurs desiderata aux États, et évacueraient ainsi la politique du paysage Non, c’est le néo-libéralisme qui fait du marché un deus ex machina dont le seul objectif est de soumettre les choix politiques à la rationalité économique, c’est-à-dire aux intérêts du capital, gérés par l’oligarchie financière, constituée de la classe politique et de la techno-bureaucratie La finance virtualise la démocratie Idées justes Le capitalisme porte la crise économique comme la nuée porte l’orage… …et le néo-libéralisme, la crise financière La crise financière survient quand les politiques d’austérité font que les manigances financières ne peuvent plus masquer la crise économique La crise financière aujourd’hui Les économistes de marché : toujours un problème de régulation des marchés financiers L’explication libérale standard : la mondialisation a bien secouru des économies déstabilisées par l’inflation, mais la dérive financiariste finit par plomber la confiance L’explication par la finance keynésienne : cette même dérive bute sur l’insuffisance des revenus des emprunteurs par suite des politiques néolibérales (monétaristes) L’explication libérale standard Soit, par exemple, le discours du très néoclassique Michel Pébereau (patron de la BNP) à l’Institut de France : « Ce qui est à l’origine de la crise, c’est une foi excessive dans l’efficience du marché. Les États ont un rôle important à jouer pour que la finance soit tout entière au service ce la croissance et de la stabilité financière. » Des explications alternatives ? Pas vraiment Qu’elles soient keynésienne standard, postkeynésienne ou marxo-keynésienne, ces explications ont certes un fond commun : les politiques néo-libérales ont biaisé le partage de la valeur ajoutée en défaveur des salariés - ou de la classe ouvrière, selon la sensibilité politique -, d’où un pouvoir d’achat en baisse qui ne permet plus aux emprunteurs de rembourser, d’où la crise… La finance selon les économistes de marché Origine Premiers pas en France Effets « positifs » Effets pervers Inconséquences Pour en sortir : régulation et rigueur L’origine de la financiarisation « La décision de la communauté internationale, dans les années 70, de s’en remettre au marché pour fixer la valeur des monnaies est à l’origine du basculement dans un monde financier nouveau. » (M. P.) « Dans les années 1980, les pays avancés ont déréglementé, décloisonné et désintermédié leurs activités financières pour attirer les capitaux nécessaires à leur développement. Les marchés, jusqu’alors essentiellement nationaux, se sont globalisés. » (M. P.) Premiers pas de la finance en France Dès les années 1966-1969, les lois Debré (1er ministre) commencent la libéralisation de la finance en assouplissant le statut des banques En 1973, la loi Pompidou (1er ministre, ancien banquier) interdit à la Banque de France de financer directement le Trésor public La loi bancaire de 1984 (gouvernement Mauroy) crée le « grand marché » des créances et la banque universelle « à la française » Effets « positifs » « Elle a alimenté le moteur de la croissance : l’essor des échanges. Elle a géré, au niveau international, l’argent des uns, là où ils épargnent, et elle l’a mis au service des autres, là où ils investissent. » « Elle a aidé les pays avancés à maîtriser le fléau de l’inflation. La finance de marché a joué un rôle positif de gendarme pour assurer le respect des engagements pris en matière d’inflation. » (MP, toujours) Effets pervers « Une sphère financière autonome a enflé, atteignant des volumes sans commune mesure avec les besoins de "l’économie réelle", notamment pour les produits dérivés. » (M. P.) Les critères de gestion financière fondés sur la « valeur actionnariale » ont conduit les managers à maximer à court terme le cours boursier, au détriment de l’investissement réel à long terme. Cela a conduit à l’exigence de niveaux de profit excessifs, et à des rémunérations exorbitantes. Inconséquences « L’accès au crédit s’est banalisé au point que certains ont pu penser qu’il était devenu illimité : pour les particuliers et pour les États. » « Certaines banques se sont mises à échanger des produits financiers pour leur propre compte, trop souvent pour spéculer. » Au total, « une foi excessive dans l’efficience des marchés a conduit à oublier l’importance de la confiance pour la stabilité financière » et les banques ont pris trop de risques (superviseurs ?) D’où la crise financière quand les emprunteurs ne peuvent plus rembourser : subprimes, prêts toxiques et dette publique Pour sortir de la crise : régulation et rigueur L’État doit remettre la finance « tout entière au service de la croissance économique et de la stabilité financière. » « Chaque pays doit assurer l’équilibre structurel de ses paiements courants. » »Pour assurer la confiance dans sa monnaie, chaque pays doit en outre gérer avec rigueur ses finances publiques. » Les vraies raisons de la financiarisation : éluder la crise du profit La loi de baisse tendancielle du taux de profit se manifeste à partir du milieu des années 60 par l’inflation, qui combat le chômage Dans les années 70, l’inflation ne contient plus le chômage (stagflation) et euthanasie le rentier ; les pays de l’OCDE s’engagent dans des politiques néo-libérales : dérégulation, financiarisation, etc., c’est la revanche du rentier La financiarisation restaure effectivement les profits, en imposant aux États des politiques d’austérité (désinflation compétitive dans la France des années 80), ce qui finit par l’endettement privé et public (MP l’a bien vu !) La crise de la dette, stade ultime d’une « grande crise » La crise de la dette est la crise de l’euro (et non l’inverse), elle-même crise du néo-libéralisme La zone euro est une sorte de système d’étalonmark, qui met en concurrence les modèles sociaux des pays de la zone (comme l’étalon or) La maîtrise de la dette implique l’austérité salariale, qui finit par enclencher une spirale récessionniste et déclencher la crise financière Quand la finance craint pour les fonds engagés et la confiance des rentiers, elle réagit pour imposer encore plus d’austérité aux États, d’où la crise L’impasse financiariste La sortie de la crise financière implique d’éradiquer ses causes profondes : l’incapacité capitaliste à créer de la richesse réelle Libéraux et « alter » en prennent conscience, qui s’entichent désormais de politique industrielle. Mais en néo-libéralisme, la « concurrence libre et non faussée » tient lieu de toute politique industrielle, sociale, fiscale, etc. Libéraux et « alter » ne peuvent donc pas penser la sortie de crise. S’en tenir à une simple réorientation de la gestion ne peut qu’échouer, la gauche l’a expérimenté en 81-83 Une solution : la démondialisation On ne sortira pas de la crise financière sans poser la question de la crise réelle, dont elle est issue. La mondialisation, 1ère réponse à ladite crise, ne peut donc pas être le cadre de la sortie de la crise financière En restant ouvert, le pays souffre Les solutions en économie ouverte, soit ne font que gagner du temps, soit proposent une utopie. On ne peut plus penser l’euro comme stabilisant et protecteur, il faut en sortir. Se fermer au risque de régresser ? Le protectionnisme implique, suite à la dévaluation, la hausse du coût des importations, la sobriété en ressources extérieures… … et donc l’utilisation des ressources nationales… Ou s’ouvrir sans se perdre ? …mais, en délocalisant ses industries, le pays a perdu ses compétences, ou ne les a pas développées. Sans tissu industriel, que faire ? Sortir en solo de l’euro ne peut rien apporter On ne pourra reconstruire un appareil productif efficace avec le marché idoine qu’à un niveau supérieur, une Europe à redéfinir, fédérale et protégée, mais coopérative, non agressive. L’euro capitaliste de Maastricht est mort, vive l’euro républicain des peuples ! Pour plus d’explications On pourra avantageusement se reporter à : Michel Zerbato Néo-libéralisme et crise de la dette L’heure de la république sociale À paraître le 20 janvier 2012 Éditeur : 2ème édition distributeur : Eyrolles