L’Encéphale (2010) 36, 314—325 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP NEUROPSYCHOLOGIE Dans la maladie d’Alzheimer, l’expression des troubles psychologiques et comportementaux est précoce et spécifique des stades lésionnels In Alzheimer’s disease, the clinical expression of behavioral and psychological signs and symptoms is early and specific of neuropathological stages B.F. Michel a,b,d,e,∗, V. Luciani a, Y.E. Geda b,c, N. Sambuchi a,b, V. Paban d, J.-M. Azorin e a Unité de neurogériatrie, hôpital Sainte-Marguerite, 270, boulevard de Sainte-Marguerite, 13009 Marseille, France Groupe de recherche sur la maladie d’Alzheimer, faculté de pharmacie, boulevard Jean-Moulin, 13005 Marseille, France c Alzheimer’s Disease Research Center, Mayo-Clinic College of Medicine, Rochester, Minesota, États-Unis d UMR-CNRS 6149, université de Provence, pôle 3 C, avenue Victor-Hugo, 13003 Marseille, France e Pôle de psychiatrie universitaire, hôpital Sainte-Marguerite, 270, boulevard de Sainte-Marguerite, 13009 Marseille, France b Reçu le 16 octobre 2008 ; accepté le 2 juin 2009 Disponible sur Internet le 3 décembre 2009 MOTS CLÉS Maladie d’Alzheimer ; SSCPD ; Inventaire neuropsychiatrique ; Anxiété ; Dépression ; Agitation ; Irritabilité ∗ Résumé Le diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer (MA) est devenu une nécessité médicale de plus en plus évidente. Cette étude a porté sur 50 patients atteints de maladie d’Alzheimer (MA), 34 femmes (68 %) et 16 hommes (32 %), dont les critères de diagnostic obéissaient aux recommandations NINCDS-ADRDA. En vue d’évaluer de façon systématique, chez tous les patients, l’importance des signes et symptômes comportementaux et psychologiques de la démence (SSCPD) en fonction du stade de gravité de la MA, nous avons séparé notre population en deux sous-groupes, en fonction du score au « Mini Mental State » (MMS). Le premier sous-groupe était formé de patients ayant un score MMS compris entre 21 et 28 (huit hommes et 15 femmes). Les patients appartenant au second sous-groupe avaient un score MMS compris entre 10 et 20 (huit hommes et 19 femmes). L’inventaire neuropsychiatrique (NPI) a été utilisé pour recueillir des informations sur la présence de SSCPD chez les patients atteints de MA. Les scores du NPI ont été corrélés à ceux de l’Alzheimer’s Disease Assesment Scale (ADAS) qui Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (B.F. Michel). 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2009. doi:10.1016/j.encep.2009.10.012 Expression des troubles psychologiques et comportementaux selon les stades lésionnels de l’Alzheimer 315 permet, dans sa partie cognitive (ADAS-Cog) d’évaluer la sévérité des troubles cognitifs des patients atteints de MA. Avant d’entrer dans l’étude, les patients ont été informés par écrit du protocole et ont signé un consentement éclairé pour participer à l’étude clinique sur les SSCPD dans la MA. Le traitement statistique des données a été réalisé grâce au logiciel STATVIEW. Notre étude démontre que les SSCPD peuvent être présents, aussi bien aux stades légers, qu’aux stades modérés de la MA. Comme les troubles cognitifs, les SSCPD font partie intégrante du tableau clinique de la MA. Avec une fréquence de 74 % pour l’ensemble de notre population, « l’anxiété » représente le SSCPD prédominant pour tous nos patients et à tous les stades de la MA. Aux stades très précoces de la MA, les SSCPD paraissent précéder les troubles cognitifs. L’association symptomatique « dépression », « agitation » et « irritabilité de l’humeur » pourrait rester pendant de longs mois isolée, précédant l’apparition des troubles de la mémoire épisodique verbale, caractéristiques de l’atteinte hippocampique. L’irritabilité de l’humeur semble caractériser de façon spécifique la phase de début de la MA. A contrario, deux SSCPD caractérisent la phase évoluée de la MA : « troubles du sommeil » et « hallucinations ». © L’Encéphale, Paris, 2009. KEYWORDS Alzheimer’s disease; Behavioral and psychological signs and symptoms of dementia; Neuro-Psychiatric Inventory; Anxiety; Depression; Agitation; Irritability Summary Introduction. — The early diagnosis of Alzheimer’s disease is a new challenge. This study concerns 50 patients, 34 females (68 %) and 16 males (32 %) with Alzheimer (AD), according to NINCDS-ADRDA diagnostic criteria. Objectives. — To systematically evaluate in all patients behavioral and psychological signs and symptoms of dementia (BPSSD), according to the stage of AD, with the patients of our population separated into two MMS groups. Methods. — The first group was composed of patients with an MMS score from 10 to 20 (eight males and 19 females). Patients of the second group had an MMS score between 21 and 28 (eight males and 19 females). The Neuro-Psychiatric Inventory (NPI) was used to collect information on the presence of BPSSD in AD patients. NPI scores were correlated to the cognitive part of the Alzheimer’s Disease Assessment Scale (ADAS-Cog) that permits evaluation of the severity of cognitive impairment in AD patients. Before starting the study, all patients gave their informed consent to participate in the study of BPSSD in AD. Statistical treatment of data was performed using STATVIEW. Results. — Our study demonstrates that BPSSD are present not only in early but also in moderate stages of AD. As cognitive impairment, BPSSD are an integrate part of the clinical picture. With a frequency of 74 % for the whole population, ‘‘anxiety’’ represented the more predominant BPSSD for all our patients at all stages of AD. At the very early stages of AD, BPSSD appeared to precede cognitive disorders. Conclusion. — The symptomatic association of ‘‘depression’’, ‘‘agitation’’, and ‘‘irritability of mood’’ may remain in a steady state for a few months before the appearance of verbal episodic memory impairment, which is characteristic of hippocampus involvement. ‘‘Irritability’’ seems to specifically characterise the initial phase of AD. On the other hand, two BPSSD are characteristic of the late stages of AD: ‘‘sleep disorder’’ and ‘‘hallucinations’’. © L’Encéphale, Paris, 2009. Introduction Du fait de la fréquence de la maladie, de la généralisation des consultations mémoire et des progrès de la thérapeutique, le diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer (MA) est devenu une nécessité médicale de plus en plus évidente. De très nombreuses approches ont été développées, pour tenter d’identifier les patients à risque, aux phases les plus précoces de la MA. Des marqueurs biologiques ont été proposés, dans le sang ou dans le liquide céphalorachidien (LCR) [1]. D’autres marqueurs anatomiques, comme la mesure de l’atrophie hippocampique en imagerie par résonance magnétique (IRM) nucléaire ont fait l’objet de travaux remarquables [2]. Toutefois, l’approche clinique est restée prépondérante dans le domaine du diagnostic précoce. Elle s’est limitée cependant à mettre en exergue les premiers troubles cognitifs et à décrire les différentes phases d’altération des systèmes de mémoire, corrélées à la progression des lésions au sein de l’hippocampe [3]. De nouveaux concepts ont été proposés, pour tenter d’appréhender la phase prédémentielle de la MA, comme celui de mild cognitive impairment (MCI) [4]. Ces concepts sont en cours de validation, mais ils restent très attachés aux corrélations cognitivoanatomiques, au sein du système hippocampique. Hormis la dépression tardive qui a fait l’objet de travaux épidémiologiques relativement importants, les troubles non cognitifs — ou comportementaux — ont continué à être considérés comme tardifs, associés à la diffusion des lésions au néocortex, en particulier aux lobes frontaux [5]. Peu d’études se sont attachées à décrire l’ensemble des « signes et symptômes comportementaux et psychologiques de la démence » (SSCPD) de la phase précoce de la MA [6]. Nous-nous sommes donc proposés d’évaluer de façon systématique, grâce à l’inventaire neuropsychiatrique (NPI) [7], 316 tous les SSCPD d’une population de 50 patients atteints de MA, à deux stades différents — stade léger ou IV de Braak et stade modéré ou V de Braak [3]. Puis nous avons corrélé les SSCPD à l’atteinte cognitive, mesurée par « l’Alzheimer’s Disease Assessment Scale » [8], dans sa partie cognitive (ADAS-Cog). Nos hypothèses étaient que : • les SSCPD sont précoces dans la MA et détectables tôt si on les recherche systématiquement ; • l’expression clinique des SSCPD est spécifique de chaque stade anatomoclinique défini selon Braak ; • les SSCPD reflètent la topographie des lésions cérébrales sous-jacentes dans des structures spécifiques. Methologie Sujets La population de notre étude est composée de 50 patients atteints de MA, dont le diagnostic a été posé dans les unités de neurogériatrie (UNG) de l’hôpital Sainte-Marguerite à Marseille (pôle de psychiatrie universitaire), au cours d’une consultation mémoire, puis d’une hospitalisation en hôpital de jour, sous la responsabilité de l’un d’entre nous (B.-F. Michel, neurologue). Les patients ont tous bénéficié d’un bilan neuropsychologique approfondi et d’une exploration de neuro-imagerie en IRM. Les critères de diagnostic obéissaient aux recommandations NINCDS-ADRDA [9]. La répartition selon le sexe correspondait à ce que l’on observe habituellement dans la MA : 34 femmes (68 %) et 16 hommes (32 %). En vue d’évaluer de façon systématique, chez tous les patients, l’importance des SSCPD en fonction du stade de gravité de la MA, nous avons séparé notre population en deux sous-groupes, en fonction du score au « Mini-MentalState » (MMS) [10]. Dans le premier sous-groupe (MMS hauts), comprenant 23 patients (huit hommes et 15 femmes), le score MMS était compris entre 21 et 28. Dans le second sousgroupe (MMS bas), le score MMS se situait entre 10 et 20 ; ce groupe était composé de 27 individus (huit hommes et 19 femmes). Protocole expérimental Inventaire neuropsychiatrique Le NPI a été développé aux États-Unis et traduit en français par P. Robert et al., en 1998 [11]. Le but du NPI est de recueillir des informations sur la présence de SSCPD chez les patients atteints de MA, en analysant 12 séries de symptômes : « idées délirantes », « hallucinations », « agitation », « dépression », « anxiété », « exaltation de l’humeur », « apathie », « désinhibition », « irritabilité », « comportements moteurs aberrants », « troubles du sommeil », « troubles de l’appétit ». Il s’agit d’un entretien semi-dirigé basé sur les réponses d’un accompagnant. En plus de la présence des troubles, leur fréquence (F de 1 à 4) et leur gravité (G de 1 à 3) sont évaluées, ce qui permet de calculer un score pour chaque item. Le retentissement sur l’aidant (R de 0 à 5), de chaque symptôme est aussi estimé. Après avoir multiplié le score de chaque item, (F × R) on obtient un score noté sur 12. La mesure de R n’intervient B.F. Michel et al. pas dans le calcul du score. Pour chaque item du NPI, nous avons calculé la moyenne des scores, l’écart-type, la fréquence des réponses et le pourcentage de réponses positives. Le score global est la somme des 12 scores qui va de 0 à 144 points. Un score global supérieur à 24 est considéré comme pathologique. Mini Mental State Le MMS permet de quantifier rapidement les capacités cognitives chez les sujets âgés. Le test contient six subtests qui explorent les domaines suivants : « orientation » (temporelle et spatiale), « apprentissage », « attention et le calcul mental », « rappel », « langage », « praxies constructives ». Le MMS est un outil très utilisé car sa passation est rapide (deux à dix minutes) et qu’il ne requiert aucun matériel particulier. C’est un instrument de dépistage qui permet d’évaluer la sévérité de la démence mais un bilan neuropsychologique supplémentaire est nécessaire pour le diagnostic. Le score maximal est de 30 points. Un score inférieur à 26/30 pose la question d’une démence légère, inférieur à 21/30 d’une démence modérée et inférieur à 10/30, d’une démence sévère. Alzheimer’s Disease Assesment Scale L’ADAS est composée de deux sous-ensembles : une partie cognitive (ADAS-Cog) et une partie non cognitive. L’ADAS-Cog est un instrument de diagnostic qui permet d’évaluer la sévérité des troubles cognitifs des patients atteints de MA. Elle comprend 11 sous-tests qui explorent les items : « intelligibilité du langage oral », « compréhension », « manque du mot », « rappel de mots », « dénomination », « orientation », « exécution d’ordres », « praxies », « praxies constructives », « reconnaissance de mots » et « rappel de consignes ». La passation est environ de 30 minutes et le test est bien toléré car il n’y a pas de limites de temps. La cotation se fait sur 70 points. Les scores les plus élevés correspondent aux altérations les plus profondes, en sachant que chez les sujets normaux, le score moyen est environ de 4,3 (±2,1). Dans la mesure où le score de l’ADAS-Cog représente le nombre d’erreurs, pour une meilleure comparaison des échelles, nous avons calculé aussi le pourcentage de bonnes réponses. Réalisation pratique Les patients étaient hospitalisés, en hôpital de jour dans l’UNG de l’hôpital Sainte-Marguerite à Marseille, pour un bilan de démence. Les différentes échelles cognitives (MMS, ADAS-Cog) ont été réalisées au cours de l’hospitalisation par l’un d’entre nous (N. Sambuchi, neuropsychologue). Avant d’entrer dans l’étude, les patients ont été informés par écrit du protocole et ont signé un consentement éclairé pour participer à l’étude clinique sur les SSCPD dans la MA. Lors de la rencontre avec la famille et/ou l’accompagnant, l’interrogatoire du NPI était administré par l’un d’entre nous, pour tous les patients (V. Lucciani, psychiatre). Traitement statistique des données Le traitement statistique des données a été réalisé grâce au logiciel STATVIEW, sous la responsabilité de l’un d’entre nous (V. Pabban). Dans un premier temps, nous avons regardé, sur Expression des troubles psychologiques et comportementaux selon les stades lésionnels de l’Alzheimer 317 Tableau 1 Corrélations statistiques (p < 0,01) entre le neuropsychiatrique (NPI), l’Alzheimer’s Disease Assesment Scale-Cog (ADAS-COG) et le « Mini Mental State »(MMS). Items du NPI Items de L’ADAS-COG Idées délirantes Hallucinations Rappel de consigne Intelligibilité du langage oral Manque du mot Exécution d’ordre Rappel de consignes Intelligibilité du langage oral Praxies constructives Rappel de consigne Comportement moteur aberrant Troubles du sommeil l’ensemble de la population, si certains items de l’échelle NPI, se détachaient d’autres items, grâce au test t de Student. Ensuite, nous avons recherché des corrélations entre items de l’échelle NPI, puis avec les items des échelles cognitives. Enfin, sur chaque sous-groupe MMS (MMS hauts et MMS bas), nous avons effectué les mêmes recherches que sur l’ensemble de la population. Puis, nous avons recherché, grâce au test t de Student, une différence significative entre les deux sous-groupes pour les items de l’échelle NPI. Résultats Étude de l’ensemble de la population Analyse descriptive La distribution des patients de l’ensemble de la population (34 femmes et 16 hommes), selon les tranches d’âge, s’étendait entre 50 et 95 ans, avec un pic de fréquence entre 70 et 90 ans (âge moyen 77,62 ± 1,29 ans). Le score total moyen du MMS était de 18,56 (± 0,73) et le score moyen de l’ADAS-Cog de 19,34 (± 1,63). En ce qui concerne les signes et symptômes comportementaux et psychologiques de la démence, le score total du NPI était de 31 ± 3,50 (donc > 24), ce qui correspond à une fréquence de SSCPD de 56 % dans l’ensemble de notre population. Recherche de corrélations cognitivocomportementales En vue d’établir une relation entre les SSCPD et les troubles cognitifs, nous avons recherché des corrélations entre les items du NPI et ceux de l’ADAS-Cog et du MMS. Le Tableau 1 nous montre que certains items du NPI « idées délirantes », « comportement moteur aberrant » et « troubles du sommeil » sont corrélés aux troubles de la mémoire, trouble cognitif le plus précoce de la MA (toutefois il s’agit de l’item « rappel de consigne » plus tardivement altéré que l’item « rappel de mots » corrélé á aucun item du NPI). Par ailleurs les autres items du NPI « hallucinations » et « troubles du sommeil » sont corrélés à la fois aux troubles du langage « intelligibilité du langage oral » et « manque du mot » et aux troubles praxiques « exécution d’ordre » et « praxies constructives » d’apparition plus tardive. Étude des sous-populations La répartition par tranches d’âge des deux sous-populations montre que les patients à MMS hauts sont plus jeunes (4 % ont Items du MMS Orientation spatiale Orientation spatiale Attention et calcul moins de 59 ans) que les patients à MMS bas (10 % ont plus de 90 ans). L’étude de la répartition des patients par tranches d’âge confirme que la sous-population à MMS hauts (28 à 21) est plus représentée dans les tranches d’âge les plus jeunes que la sous-population à MMS bas (20 à 10). Inversement, la sous-population à MMS bas est proportionnellement mieux représentée dans les tranches d’âge les plus âgées, que la sous-population à MMS hauts. Sous-population à MMS hauts (28—21) Les données du NPI sont résumées dans le Tableau 2. Nous observons que, même dans une sous-population de patients MA peu évolués (MMS > 20), les SSCPD sont présents de façon importante, puisque le score global du NPI est à 32,17 ± 5,62, supérieur à celui de notre population générale [31], ce qui correspond à une fréquence de 56 %. L’étude des fréquences des différents SSCPD montre nettement que cinq SSCPD sont particulièrement fréquents (> 50 %) dans cette sous-population. Il s’agit des items : « anxiété » (70 %), « dépression » (70 %), « agitation » (61 %), « irritabilité de l’humeur » (61 %) et « apathie » (56 %). Par ailleurs, les deux SSCPD relativement rares (< 20 %) en population générale — « exaltation de l’humeur » (10 %) et « hallucination » (18 %) — se retrouvent chez les patients MA à MMS hauts, à des scores encore plus faibles : « l’exaltation de l’humeur » à 13 % et « hallucinations » à 9 %. Sous-population à MMS bas (20—10) Les données du NPI sont résumées dans le Tableau 3. Nous observons que, dans cette sous-population de patients MA plus évolués (MMS < 20), les SSCPD sont présents de façon relativement moins importante que dans la population de patients MA moins évolués, puisque le score global du NPI est à 30 ± 4,45, inférieur à celui de la souspopulation des MMS hauts (32,17 ± 5,62). Cela correspond toutefois à une fréquence identique de 56 %. L’analyse des fréquences des différents SSCPD montre nettement que les quatre SSCPD, particulièrement fréquents dans l’ensemble de notre population (> 50 %), sont retrouvés avec une haute fréquence dans la sous-population à MMS bas : « anxiété » (78 %), « apathie » (74 %), « dépression » (63 %) et « agitation » (60 %). Les « troubles du sommeil » paraissent spécifiques à cette sous-population de sujets relativement évolués dans leur MA, puisqu’ils s’observent avec une fréquence de 48 %, alors que leur fréquence n’est que de 35 % chez les MMS hauts. Par ailleurs, parmi les deux SSCPD qui sont relativement rares en population générale (< 20 %), seul l’item 318 Tableau 2 B.F. Michel et al. Données du neuropsychiatrique (NPI) dans la sous-population à « Mini Mental State »(MMS) hauts. Differents items du NPI Idées délirantes Hallucinations Agitation Dépression Anxiété Exaltation de l’humeur Apathie Désinhibition Irritabilité de l’humeur Comportement moteur aberrant Troubles du sommeil Troubles de l’appétit Total Score moyen (12) Écart-type Pourcentage (%) 2,17 0,70 3,96 4,91 5,17 0,61 3,74 2,30 3,65 2,00 1,74 1,22 0,76 0,53 0,86 0,85 0,91 0,39 0,83 0,74 0,84 0,66 0,63 0,45 30 9 61 70 70 13 56 35 61 39 35 30 32,17 5,62 56 « exaltation de l’humeur » (7 %) est retrouvé chez les MMS bas. Il est à noter que les « hallucinations » qui n’ont une fréquence que de 9 % dans les MMS hauts, augmentent nettement de fréquence aux stades évolués de la MA, pour atteindre 33 %. Comparaison des SSCPD dans les sous-populations à MMS hauts et MMS bas Trois SSCPD sont clairement plus représentés à la phase de début de la MA (MMS hauts) qu’à la phase modérée de la MA (MMS bas). Il s’agit des modifications de l’humeur : « dépression », « exaltation de l’humeur » et « irritabilité de l’humeur ». Sept SSCPD caractérisent plus particulièrement la phase évoluée de la MA (MMS bas) : « hallucinations », « anxiété », « apathie », « désinhibition », « comportement moteur aberrant », « troubles du sommeil » et « troubles de l’appétit ». Deux SSCPD se retrouvent tout au long de l’évolution de la MA, d’une intensité à peu près égale au début (MMS hauts) et en fin de l’évolution (MMS bas) de la MA : « idées délirantes », « agitation ». La comparaison des moyennes de chaque item du NPI montre de façon très nette que trois items se détachent nettement entre les deux souspopulations (Fig. 1). Il s’agit des items : Tableau 3 Recherche de corrélations internes au NPI La recherche de corrélations interne au NPI, entre les différents items qui le composent, montre que les items corrélés ne sont pas les mêmes dans les deux souspopulations, MMS hauts et MMS bas (Fig. 2). Nous avons retrouvé 66 corrélations internes. Trente huit corrélations sont congruentes entre MMS hauts et bas, 27 ne le sont pas. Cela permet de penser que l’origine des SSCPD est différente aux deux stades évolutifs de la MA que nous avons étudiés et que les SSCPD ne recouvrent probablement pas les mêmes mécanismes physiopathogéniques. Évaluation des fonctions cognitives L’ensemble des données concernant l’ADAS-Cog est résumé sur la Fig. 3. L’étude des pourcentages de réponses positives aux items de l’ADAS-Cog, pour la sous-population à MMS hauts, montre que tous les items sont au-dessus de 80 % de réponses positives, hormis l’item rappel de mot, fortement Données du neuropsychiatrique (NPI) dans la sous-population à « Mini Mental State »(MMS) bas. Differents items du NPI Idées délirantes Hallucinations Agitation Dépression Anxiété Exaltation de l’humeur Apathie Désinhibition Irritabilité de l’humeur Comportement moteur aberrant Troubles du sommeil Troubles de l’appétit Total • « irritabilité de l’humeur » caractérisant la souspopulation MMS hauts ; • « hallucinations » et « troubles du sommeil » prédominant dans les MMS bas. Score moyen (12) Écart-type Pourcentage (%) 2,11 1,70 3,48 4,00 5,33 0,22 3,30 1,37 2,00 2,04 2,96 1,48 0,67 0,56 0,72 0,68 0,78 0,15 0,58 0,42 0,54 0,50 0,76 0,50 33 33 59 63 78 7 74 41 52 48 48 37 30,00 4,45 56 Expression des troubles psychologiques et comportementaux selon les stades lésionnels de l’Alzheimer Figure 1 319 Moyenne de chaque item neuropsychiatrique (NPI) chez les « Mini Mental State »(MMS) hauts et des MMS bas. diminué (40 % de réponses positives). L’étude des pourcentages de réponses positives aux items de l’ADAS-Cog, dans la sous-population des patients à MMS bas, montre que, à part les trois premiers items, explorant le langage, qui sont relativement conservés (plus de 80 % de réponses positives), tous les items sont bas, avec de 60 à 70 % de réponses positives. L’item rappel de mot est effondré avec 28,43 % de réponses positives. Recherche de corrélations cognitivocomportementales En vue d’établir une relation éventuelle, entre les SSCPD et les troubles cognitifs, nous avons recherché des corrélations entre les items du NPI et ceux de l’ADAS-Cog, dans nos deux sous-populations. Le Tableau 4 montre que les corrélations sont plus nombreuses, mais ne sont pas les mêmes, pour les patients à MMS hauts [12] que pour les patients à MMS bas [9]. Globalement, ces corrélations reflètent la place des SSCPD dans le cours évolutif de la MA. Discussion Fréquence des signes et symptômes comportementaux et psychologiques de la démence Importance de l’échelle de mesure utilisée L’analyse des SSCPD dans la MA dépend étroitement du type d’instrument utilisé. À coté des échelles unidimentionnelles comme l’inventaire d’agitation de Cohen-Mansfield et al. [12], les échelles utilisées sont multidimentionnelles. Il s’agit du NPI, du « Behavioural Pathology in Alzheimer’s Disease » (BEHAVE-AD) [13], de la « Behaviour Rating Scale » (BRS) [14] et de l’échelle psychopathologique de la d̂émence de type Alzheimer (EPDTA) [15]. Cette diversité rend difficiles les études comparatives. Importance de la méthodologie utilisée Quatre grandes études épidémiologiques multicentriques, sans être comparables, sur le plan de la méthodologie, à notre étude (étude spécifique sur les SSCPD), donnent des informations intéressantes sur la fréquence des différents SSCPD chez des patients MA — dont le score MMS était par ailleurs connu — mesurée par le NPI. L’étude Maastrich Study of Behavior in Dementia (MAASBED) a recherché les SSCPD chez 1999 MA dont le MMS était compris entre 15 et 28 [16]. Dans cette étude, l’item le plus fréquent est la dépression (57,3 %). Dans l’étude REALFR, le NPI a été administré à 255 patients MA dont le MMS était compris entre 11 et 20 et à 244 patients dont le MMS était situé entre 21 et 30 [17]. Dans les deux cas, l’apathie était le SSCPD le plus fréquent (63,5 et 47,9 %). Enfin, dans l’étude European Alzheimer Disease Consortium (EADC) [18], dans laquelle étaient inclus 138 patients MA (4 < MMS < 28), l’item le plus fréquemment retrouvé du NPI était aussi « l’apathie » (48,9 %). Si « l’apathie » était retrouvée dans 66 % de nos cas, ce qui représente un pourcentage beaucoup plus élevé que dans toutes les autres études, l’item le plus fréquent dans notre population était « l’anxiété » (74 %). Il est à noter de plus que l’ensemble de nos items (hormis les « idées délirantes ») sont plus élevés dans notre étude que dans l’ensemble des autres études. L’étude de référence est la Cache County Study [19] qui a suivi longitudinalement pendant cinq ans, sur 408 participants, 255 sujets MA dont les SSCPD ont été évalués par la NPI à dix items à baseline, 1,5 ans, trois ans, 4,1 ans et 5,3 ans. La gravité de 320 B.F. Michel et al. Figure 2 Corrélations des différents items du NPI entre eux pour les MMS hauts et les MMS bas (X corrélations congruentes, + corrélations non congruentes). Figure 3 Comparaison des données de l’Alzheimer’s Disease Assesment Scale-Cog (ADAS-COG) dans les sous-populations à « Mini Mental State »(MMS) hauts et MMS bas. Expression des troubles psychologiques et comportementaux selon les stades lésionnels de l’Alzheimer 321 Tableau 4 Corrélations statistiques (p < 0,01) entre le neuropsychiatrique (NPI) et l’Alzheimer’s Disease Assesment Scale-Cog (ADAS-COG). Items du NPI Items corrélés de L’ADAS-COG MMS bas Délire Hallucinations MMS hauts Intelligibilité du langage oral Compréhension Manque du mot Exécution d’ordre Agitation Dépression Euphorie Compréhension Manque du mot Apathie Rappel de consigne Praxies Rappel de mots Orientation Orientation Praxies constructives Manque du mot Rappel de mots Orientation Reconnaissance de mots Orientation Désinhibition Intelligibilité du langage oral Comportement moteur aberrant Troubles du sommeil Rappel de consignes Intelligibilité du langage oral Praxies constructives la démence était mesurée par l’échelle CDR. Au cours de l’évolution, ces auteurs ont observé une aggravation de la dépression, de l’anxiété et de l’apathie. Analyse quantitative Aucune étude n’a utilisé une méthodologie proche de la nôtre, à savoir une mesure objective par le NPI 12 items des SSCPD dans la MA, chez des patients parfaitement étudiés, à deux stades différents d’évolution (établis par le MMS), en la corrélant à une échelle cognitive comme l’ADAS-Cog. Une autre étude éventuellement comparable à la notre est celle de Mega et al., en 1996 [20]. Ces auteurs ont utilisé le NPI (limité toutefois à 10 items), dans une population de 50 MA. Trois stades évolutifs ont été définis, en fonction du MMS : léger (30—21), modéré (20—11) et sévère. Ils n’ont toutefois pas recherché, comme nous l’avons fait avec l’ADAS-Cog, de corrélation entre les troubles cognitifs et les SSCPD. Le score moyen du NPI pour l’ensemble de la population de Mega et al., est légèrement inférieur au notre, (21,9 ± 9) sur 120, contre (31,00 ± 3,50) sur 144. La différence la plus importante concerne les stades légers où les SSCPD sont beaucoup moins fréquents dans la cohorte de Mega et al., (9,8 ± 10) sur 120 contre (32,17 ± 5,62) sur 144. L’importance des SSCPD au stade léger de la MA apparaît comme une caractéristique de notre population. Fréquence respective de chaque signe et symptôme comportemental et psychologique Anxiété L’item « anxiété » est le SSCPD le plus fréquent dans notre étude, dans l’ensemble de notre population MA (74 %). Présente à tous les stades de la MA, elle tend à augmenter un peu au cours de l’évolution (70 % en phase de début, 78 % en phase modérée). Elle est corrélée aux autres SSCPD, « irritabilité », « désinhibition », « troubles du sommeil » pour tous les stades et « troubles de l’appétit », pour le stade léger. Elle n’est pas corrélée à l’item « dépression ». Elle n’est pas corrélée non plus aux troubles cognitifs. Elle pourrait donc être interprétée comme une réaction psychologique aspécifique, secondaire au vécu de la MA par le patient. Elle doit être distinguée de la « dépression », car il n’existe pas dans notre cohorte un axe univoque anxiété—dépression [21]. On pourrait aussi la rattacher à un dysfonctionnement secondaire aux lésions de l‘amygdale. Dépression L’item « dépression » est le deuxième item le plus fréquent dans notre population (46 %). Elle est présente surtout aux stades précoces de la MA (70 %). Il faut distinguer la « dysphorie » qui traduit l’état de l’humeur du patient dément, de l’épisode dépressif majeur au sens du DSM-IV [22]. La « dysphorie » est corrélée aux autres SSCPD que sont : « anxiété », « apathie », « désinhibition », « irritabilité de l’humeur », « comportement moteur aberrant », « troubles du sommeil » et « troubles de l’appétit ». La « dépression » est peu liée aux troubles cognitifs, sauf aux troubles de l’orientation, dans les MMS hauts. Dans une étude concernant 100 MA, confirmées à l’autopsie [23], on a montré que la « dépression » pouvait être présente 26 mois avant le début du diagnostic de MA, tandis que les troubles psychotiques étaient contemporains du diagnostic. La « dépression » peut donc précéder le début de la MA. Dans cette phase de début l’apparition d’une « dépression » a été examinée [24] sur une cohorte de 125 patients atteints de MA, dont les scores MMS étaient supérieurs à 24, évalués par le NPI. Une « dépression » était présente dans 44,8 % des cas, mais à un degré peu sévère. Le degré de « dépression » de la 322 population âgée contrôle était toujours inférieur à celui de patients atteints de troubles cognitifs. Apathie Pour certains [25], « l’apathie » serait le SSCPD le plus fréquent dans la MA. Elle pourrait être en relation, comme « l’agitation » avec des lésions amygdaliennes, mais aussi avec des lésions frontales et en particulier cingulaires antérieures [26]. Dans notre cohorte, si l’item « apathie » est seulement le deuxième SSCPD en fréquence (66 %), après « l’anxiété », elle se situe à un niveau élevé, dépassant le pourcentage décrit dans des études récentes [27] où elle concerne 43 % des sujets. Elle tend à augmenter de façon importante en cours d‘évolution, passant de 56 % au stade de début à 74 % au stade modéré. « L’apathie » est reliée à la « dépression », à la « désinhibition », à « l’irritabilité », au « comportement moteur » aberrant et aux « troubles du sommeil ». « L’apathie » est fortement liée aux troubles cognitifs en rapport avec l’atteinte temporale : troubles de la mémoire (rappel de mot, orientation) et du langage (manque du mot, reconnaissance de mots). D’un point de vue neuropsychologique, il est admis aujourd’hui que la présence de « l’apathie » dans la MA est associée au niveau des performances en mémoire verbale. La présence d’une « apathie » serait reliée aux tests qui évaluent de manière spécifique l’amnésie hippocampique [28]. Agitation L’item « agitation » est retrouvé avec une grande fréquence dans le travail de Mega et al. [20], avec une fréquence de 60 %. Dans notre étude, elle vient au quatrième rang après les items « anxiété », « dépression » et « apathie », concernant aussi 60 % des cas. Ces auteurs l’interprètent comme un symptôme associé à la gravité des troubles cognitifs, essentiellement avec les stades sévères de la MA. Cela a été retrouvé par plusieurs auteurs qui ont relié ces manifestations à la densité des dégénérescences neurofibrillaires [29]. Dans notre expérience, la fréquence de « l’agitation » est équivalente chez les MMS hauts (61 %) et chez les MMS bas (59 %). Elle est corrélée, dès le stade précoce de la MA, avec de nombreux SSCPD comme : « dépression », « anxiété », « désinhibition » et « troubles de l’appétit ». « L’agitation » est de plus fortement corrélée aux troubles cognitifs touchant la mémoire et l’orientation. On pourrait soulever l’hypothèse que, comme le SSCPD « anxiété », « l’agitation » pourrait être étroitement liée à des lésions précoces du système hippocampoamygdalien. Irritabilité de l’humeur L’item « irritabilité de l’humeur » est avec 52 % de fréquence le cinquième SSCPD de notre étude. Beaucoup plus fréquente en début de MA (61 % au stade léger), elle a tendance à diminuer de fréquence avec l’évolution (52 % au stade modéré). L’irritabilité de l’humeur caractérise de façon spécifique la phase de début de la MA. L’item « irritabilité de l’humeur » est fortement corrélé à d’autres SSCPD. Il possède une composante qui permet de le rattacher au syndrome anxiodépressif « anxiété », « dépression » et une composante plus neurobiologique, traduisant un trouble des processus de contrôle frontal « apathie », « comportement moteur aberrant », voire même des lésions plus diffuses du B.F. Michel et al. néocortex temporal « idées délirantes », « hallucinations » plus tardives. Elle est peu liée aux troubles cognitifs, si ce n’est aux troubles du langage (intelligibilité du langage oral), traduisant une atteinte temporale gauche. Comportement moteur aberrant Le « comportement moteur aberrant » s’observe avec une égale fréquence (44 %, pour l’ensemble de la population, 39 % au stade précoce et 48 % au stade modéré) à tous les stades de la MA, dans notre série. Anatomiquement, il devrait être lié à la diffusion des lésions de la maladie aux lobes frontaux. Il est pourtant corrélé seulement aux troubles de la mémoire (rappel de consigne). Le « comportement moteur aberrant » est corrélé à pratiquement tous les autres SSCPD, sauf « l’anxiété », la « désinhibition » et les « troubles de l’appétit ». Troubles du sommeil Les modifications du cycle sommeil/éveil représentent le principal trouble du sommeil (42 %) dans la MA [30]. Les « troubles du sommeil » sont tardifs dans notre cohorte. Ils apparaissent essentiellement dans le cadre de la MA au stade modérée (48 %). Ils sont corrélés aux troubles cognitifs qui témoignent d’une diffusion des lésions à l’ensemble du néocortex temporal mais aussi pariétal (intelligibilité du langage oral, apraxie constructive). Les « troubles du sommeil » sont corrélés aux autres SSCPD — « idées délirantes », « hallucinations » qui ont probablement des mécanismes physiopathogéniques communs — mais aussi aux items : « agitation », « dépression », « anxiété », « apathie », « désinhibition » et « comportement moteur aberrant ». Idées délirantes Avec une fréquence de 32 %, les « idées délirantes » s’observent à tous les stades de la MA dans notre étude, ne validant pas la notion que les « idées délirantes » seraient seulement tardives et corrélées au déclin cognitif [31]. Dans notre cohorte, les « idées délirantes » sont seulement corrélées aux troubles de la mémoire (rappel de consigne) dans la MA légère. En revanche, elles sont corrélées avec pratiquement tous les SSCPD, hormis l’item « apathie ». Les « idées délirantes » à type de troubles de l’identification seraient associées à une atteinte frontotemporale droite [32]. Désinhibition Comme le comportement moteur aberrant, la « désinhibition » est un symptôme frontal, traduisant un déficit des processus de contrôle. Pourtant, elle est corrélée avec pratiquement tous les autres SSCPD, hormis les items « irritabilité de l’humeur » et « comportement moteur aberrant ». Son origine est probablement plus complexe, d’autant que la « désinhibition » s’observe dans la MA légère (35 %) et dans la MA modérée (42 %), où elle est corrélée aux troubles de la mémoire (orientation). Troubles de l’appétit Bien qu’ayant été décrits comme pouvant précéder les troubles cognitifs [33], les « troubles de l’appétit » ne sont ni intenses, ni précoces dans notre série, présents essentiellement au stade de MA modérée (37 %). Ils ne sont corrélés à aucun trouble cognitif. Ils sont corrélés à des SSCP de la série « anxiété », « dépression », mais aussi aux « idées Expression des troubles psychologiques et comportementaux selon les stades lésionnels de l’Alzheimer délirantes », à « l’agitation », à la « désinhibition » et aux « troubles du sommeil ». Hallucinations Les « hallucinations » sont présentes chez nos patients, essentiellement dans les MA évoluées (stade modéré), ou elles atteignent une fréquence de 33 %. Elles paraissent reliées aux lésions temporales gauches, car elles sont étroitement corrélées aux troubles du langage (intelligibilité du langage oral, compréhension, manque du mot, exécution d’ordre). Elles sont corrélées aux « troubles du sommeil », avec lesquels elles ont des mécanismes physiopathogéniques intriqués et à différents autres SSCPD : « anxiété », « exaltation de l’humeur », « désinhibition », « irritabilité de l’humeur » et « comportement moteur aberrant ». Pour certains auteurs, les « hallucinations » déclineraient aux stades de MA sévère [20]. Exaltation de l’humeur L’item « exaltation de l’humeur » est le SSCPD le plus rare dans notre série (10 %). Elle n’est pas corrélée aux troubles cognitifs. Elle est corrélée à des SSCPD témoignant d’un dysfonctionnement frontal « désinhibition » et « comportement moteur aberrant » mais aussi aux « idées délirantes », aux « hallucinations », à « l’agitation » et aux « troubles du sommeil ». Place des signes et symptômes comportementaux et psychologiques dans l’évolution Aux stades légers de maladie d’Alzheimer (stade IV de Braak) L’association caractéristique du stade léger de MA, dans notre cohorte de patients, est constituée par les 323 quatre signes : « anxiété », « dépression », « agitation » et « irritabilité ». Ces items sont tous corrélés entre eux. Ils pourraient caractériser un état psychologique particulier, au stade de début de la MA. Cet état anxiodépressif est peu corrélé aux troubles cognitifs et vraisemblablement indépendant des lésions cérébrales. Cette notion soulève l’importante question des troubles de l’humeur comme facteur de risque de la MA. Certains auteurs, comme Broe et al., en 1990 [34], ont trouvé qu’une dépression survenant dans les dix années précédant une MA, pouvait être considérée comme un facteur de risque. D’autres auteurs comme Devanand et al., en 1996 [35] ont démontré que l’apparition d’une dépression chez le sujet âgé, augmentait par trois le risque de démence dans les deux ans. En 1996, Jost et Grossberg [23] ont trouvé que des signes dépressifs étaient évidents chez 50 % des patients, approximativement deux ans avant le diagnostic de MA. Pour vérifier l’hypothèse que les sujets âgés dépressifs avaient un risque plus élevé de développer des troubles cognitifs, une cohorte de 840 sujets normaux, sans dépression, a été suivie par Geda et al. sur une période moyenne de 3,5 ans à la Mayo clinic [36]. Les sujets qui développèrent une dépression ont été comparés aux autres sujets. Les deux cohortes ont été suivies de façon prospective pour étudier l’incidence d’un MCI ou d’une démence. Les individus qui développèrent une dépression avaient un risque plus élevé de développer un MCI. L’association était plus forte chez les hommes, mais ne variait pas avec la sévérité de la dépression. Une simple « irritabilité de l’humeur » est fréquente, plutôt qu’un épisode dépressif majeur, traduisant la « dysphorie ». Nous l’avons retrouvée dans 61 % des cas dans la MA à la phase de début. Des troubles des conduites ont été rapportés à la phase très précoce de la MA. Ils traduisent déjà un déficit Tableau 5 Progression des lésions et des signes et symptômes comportementaux et psychologiques de la démence (SSCPD) du mild cognitive impairment (MCI) à la maladie d’Alzheimer (MA) sévère. Topographie des lésions cérébrales Cingulaires Amygdaliennes Orbitofrontales Temporales Pariétales Occipitales MCI Maladie d’Alzheimer Stades II et III de Braak Stade léger IV de Braak Stade modéré V de Braak Stade sévère VI DE Braak Type de SSCPD Apathie Irritabilité de l’humeur Anxiété Agitation Dépression Délire Comportement moteur aberrant Troubles de l’appétit Désinhibition Euphorie Hallucinations Troubles du sommeil 324 des processus de contrôle. La « désinhibition » a été décrite, comme un symptôme précoce dans 35 % des cas. Aux stades modérés de maladie d’Alzheimer (stade V de Braak) Les « hallucinations » sont fréquentes dans les maladies neurodégénératives. Spécifiques de la démence à corps de Lewy, elles sont également fréquentes dans la MA et doivent être systématiquement recherchées, comme un témoin de la diffusion des lésions cérébrales [37]. Les « troubles du « sommeil », associés aux « hallucinations », sont les SSCPD caractéristiques de la phase modérée de la MA. « Troubles du sommeil » et « hallucinations » ont une origine physiopathogénique commune, associant aux lésions du tronc cérébral, une altération du néocortex temporal. Essais de corrélations anatomocliniques Apparaissant à chaque stade, selon une chronologie bien précise, les SSCPD suivent une progression évolutive parallèle à l’évolution des troubles cognitifs, en corrélation avec l’extension stéréotypée des lésions cérébrales de la MA. Un essai de corrélations anatomoclinique est possible, en fonction de l’apparition des SSCPD, dans le cours évolutif de la MA (Tableau 5). Conclusion Les « signes et symptômes comportementaux et psychologiques de la démence » (SSCPD) ne sont pas l’apanage des formes sévères de MA. Notre étude confirme bien, comme d’autres études l’ont déjà suggéré, qu’ils peuvent être présents, dès les stades légers de la MA (stades IV de Braak). À ces stades peu évolués, les SSCPD peuvent parfaitement passer inaperçus s’ils ne sont pas recherchés de façon systématique. Le NPI présente un progrès indéniable, par rapport aux autres échelles comportementales, grâce à la richesse des informations qu’il fournit. Son utilisation doit être systématique dans l’évaluation d’un sujet suspect de MA. En effet, comme les troubles cognitifs, les SSCPD font partie intégrante du tableau clinique de la MA et ne représentent pas seulement, comme on aurait pu le penser une complication de la MA au stade tardif. Avec une fréquence de 74 % pour l’ensemble de notre population, « l’anxiété » représente le SSCPD prédominant pour l’ensemble de nos patients, à tous les stades de la MA. Aux stades très précoces, dès le stade MCI, les SSCPD pourraient servir de marqueurs cliniques de la MA, car, certains d’entre eux, paraissent précéder les troubles cognitifs et particulièrement les troubles de la mémoire épisodique verbale, comme l’ont souligné Lyketsos et al. (2002) [38]. Mieux, l’association symptomatique « dépression », « agitation » et « irritabilité de l’humeur » pourrait rester pendant de longs mois isolée, précédant l’apparition des troubles de la mémoire épisodique verbale, caractéristiques de l’atteinte hippocampique (stades II et III de Braak). Les troubles de l’humeur et en particulier « l’irritabilité de l’humeur » paraît être très spécifique de la phase précoce de la MA. B.F. Michel et al. À l’opposé deux SSCPD caractérisent la phase évoluée de la MA (stades V de Braak) : « troubles du sommeil » et « hallucinations ». Des études complémentaires sont à développer, visant à corréler les SSCPD, les troubles cognitifs et les lésions cérébrales de la MA, à tous les stades évolutifs de la maladie. Cela permettrait de décrire un véritable « stageing » des SSCPD, comme l’ont fait Braak et al. (1991) [3] pour les troubles cognitifs de la MA et valider le concept de MBI récemment proposé par Taragano et al. [39] qui paraît être un état encore plus à risque d’évolution vers la démence (70 %) que le MCI (38 %). Références [1] Andreasen N, Minthon L, Davidsson P. Evaluation of CSF-tau and CSF-Abeta42 as diagnosis marker for Alzheimer’s disease in clinical practice. Arch Neurol 2001;58:373—9. [2] Jack CR, Petersen RC, O’Brien PCM. R-based hippocampal volumetry im the diagnosis of Alzheimer’s disease. Neurology 1992;42:183—8. [3] Braak H, Braak E. 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