L’Encéphale (2010) 36, 260—261 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP LETTRE À LA RÉDACTION L’activité onirique dans les psychoses débutantes : à propos des rêves d’une patiente schizophrène Oniric activity in the onset of psychosis: The dreams of a schizophrenic Mademoiselle H., 23 ans, a été hospitalisée pour délire. Depuis deux ans, elle avait progressivement développé les craintes infondées d’être surveillée et menacée d’un danger, s’accompagnant d’un repli sur soi et de bizarreries du comportement. La patiente n’avait pas d’autre antécédent psychiatrique, y compris familial. Ses proches la décrivaient cependant par un ensemble de traits de caractère de toujours évoquant un trouble de la personnalité schizoïde prémorbide. Elle vivait avec son petit ami, sans enfant, et ne travaillait pas malgré une formation de vendeuse. L’examen psychiatrique mettait en évidence un délire de persécution non systématisé à mécanismes intuitifs et interprétatifs, sans syndrome hallucinatoire manifeste et avec déréalisation psychotique. La patiente se sentait surveillée par des caméras dissimulées dans la rue et à son domicile, suivie par des passants, ou encore écoutée lors de ses communications téléphoniques. Elle disait redouter à tout moment être agressée physiquement par des inconnus, ou que son petit ami le soit. Elle suspectait avoir été récemment empoisonnée dans un restaurant. Tout cela était vécu avec un sentiment perplexe d’étrangeté du monde. Associés à cette symptomatologie positive, on constatait également un émoussement affectif et des troubles intellectuels, objectivés par l’examen neuropsychologique (ralentissement psychomoteur, déficits de la mémoire de travail, des mémoires épisodiques verbale et non verbale, troubles du jugement). Après la réalisation d’examens paracliniques (biologie usuelle, hormones thyroïdiennes, recherches toxicologiques et scanner cérébral), tous sans anomalie, le diagnostic de schizophrénie paranoïde a été porté, diagnostic confirmé à l’heure actuelle après un an de traitement. La patiente faisait état de troubles du sommeil. Il s’agissait de réveils nocturnes consécutifs à des rêves vifs 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2009. doi:10.1016/j.encep.2009.10.010 et pénibles. Les soignants de nuits témoignaient en effet de ces éveils en deuxième partie de nuit au décours desquels la patiente faisait appel à eux. Lors des entretiens médicaux, mademoiselle H. relatait des rêves violents vécus avec effroi. Elle disait y être généralement poursuivie avec son petit ami par des individus masqués et se réveiller pleine d’angoisse systématiquement au moment d’être sauvagement agressée. D’autres fois, ses rêves représentaient des explosions et des cadavres dont le souvenir tout aussi angoissant l’accompagnait pendant la journée (onirodynie). Il ne s’agissait pas de réviviscences d’un traumatisme passé. En revanche, le contenu de ces rêves d’angoisse avait bien entendu des similitudes frappantes avec les symptômes délirants vigiles. De fait, la patiente considérait avec une conviction inébranlable que ces rêves étaient annonciateurs de leur réalisation. Cela semblait être à l’origine de sa crainte irraisonnée d’être agressée et se révélait tout à fait inaccessible à un examen critique. Interrogés à ce sujet, ses parents ne décrivaient pas de croyance familiale aux rêves prémonitoires, mais confirmaient qu’elle se plaignait périodiquement depuis plusieurs années de « cauchemars ». Après trois semaines de médication antipsychotique (rispéridone, 4 mg per os le soir), les rêves d’angoisse et les réveils nocturnes disparurent en même temps qu’apparaissait la critique du délire. Par prudence clinique probablement, il est assez rare que les psychiatres interrogent les patients schizophrènes au sujet de leurs rêves [2]. L’étude de l’activité onirique fut pourtant à l’origine un sujet classique en psychiatrie, autour des questions de l’analogie entre rêve et délire et de la confusion rêve—réalité chez le malade mental [1,3]. Les schizophrènes dans leur majorité ont des rêves et sont bien capables de les distinguer de la vie d’éveil et les études cliniques et expérimentales montrent, comme c’est le cas pour notre patiente, une continuité thématique entre l’activité onirique et le délire diurne [2,5]. Ainsi, les rêves violents et angoissants seraient particulièrement fréquents en début de maladie, voire prodromiques [2]. Même discerné de la réalité, le rêve peut chez le schizophrène être le support d’intuitions et d’interprétations délirantes. Le cas classique est celui du « rêve influencé », où l’individu a l’impression que c’est le rêve d’un autre qu’il L’activité onirique dans les psychoses débutantes : à propos des rêves d’une patiente schizophrène lui a été imposé d’éprouver par une force extérieure, ou que l’on se livre sur lui à des expériences pendant son sommeil. Inversement, le patient peut aussi ressentir une impression de devinement ou de vol de ses rêves, ce qu’il exprime alors généralement avec perplexité et méfiance [2]. Dans le cas que nous présentons, la patiente interprète ses rêves d’angoisse comme une prémonition, ce qui semble alimenter le délire de persécution. L’exploration psychométrique des sujets atteints de rêves d’angoisse fréquents montre une prédominance des traits de personnalité psychotiques [2,4]. Avec les résultats issus d’enquêtes rétrospectives menées chez des schizophrènes, cela suggère que le « syndrome des rêves d’angoisse fréquents » [4] fait partie du phénotype clinique de vulnérabilité à la schizophrénie, observable en période prémorbide [2,4]. Toutes ces constatations incitent à prendre en compte l’activité onirique et le sommeil des patients schizophrènes dans la pratique et la recherche cliniques, en particulier lors de la phase de prodromes qui suscite tant d’intérêt chez les psychiatres actuellement. 261 Références [1] Bleuler E. Dementia praecox oder gruppe der schizophrenien. Leipzig: Franz Deuticke; 1911, 95 p. [2] Guénolé F. Rêve et schizophrénie. Thèse de médecine, Lyon, 2007 ; 186 p. [3] Ey H. Brèves remarques historiques sur les rapports des états psychopathiques avec le rêve et les états intermédiaires au sommeil et à la veille. Ann Med Psychol 1934;14:101—10. [4] Hartmann E, Russ D, Oldfield M, et al. Who has nightmares? The personnality of the lifelong nightmare sufferer. Arch Gen Psychiatry 1987;44:49—56. [5] Lusignan FA, Zadra A, Dubuc MJ, et al. Dream content in chronically-treated persons with schizophrenia. Schizophr Res 2009;112:164—73. F. Guénolé Service hospitalo-universitaire de psychiatrie de l’adulte, centre Esquirol, rue du Professeur-Edouard-Zarifian, 14033 Caen cedex, France Adresse e-mail : [email protected]. Disponible sur Internet le 1 décembre 2009