L’Encéphale (2009) Supplément 7, S241–S242 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep Éditorial A. Gérard 17, rue des Marronniers, 75016 Paris À l’origine, l’adjectif sévère (severus) traduit un caractère d’inflexibilité. Plus tard, dans le contexte médical, son sens s’est rapproché de la notion de gravité et de pénibilité. En clinique, une maladie peut-être redoutable soit par son intensité, soit par sa durée, et le handicap qui en résulte peut-être aigu ou chronique ; intensité, durée et handicap peuvent être mesurés par des échelles. Il a été reproché au savoir médical de se constituer avant tout comme un savoir sur les maladies, et au médecin de ne s’intéresser à l’homme qu’en tant que « terrain » sur lequel des maladies surviennent et évoluent. Il faut convenir que la psychiatrie contemporaine s’écrit trop souvent en chiffres plus qu’en lettres, même s’il est possible d’utiliser des mesures quantitatives sans pour autant déréaliser la clinique. Constituer la dépression sévère comme objet d’étude, et cela à partir de l’association des simples éléments cliniques, constitue cependant une sorte de piège : le choix des données retenues ne peut exclure l’analyse du contexte, l’histoire de la maladie, les dimensions sociologiques et environnementales, car pour l’essentiel, la gravité est générée par ces interactions. Michael Crichton écrivait « Il y a toujours au moins deux réponses à la même question… ». Proposons donc deux approches : la description de la sévérité d’une dépression à partir des seuls éléments cliniques actuels ; ou l’attribution d’un sens à la sévérité par le contexte de vie d’un patient. * Auteur correspondant. E-mail : [email protected] L’auteur n’a pas signalé de conflits d’intérêts. © L’Encéphale, Paris, 2009. Tous droits réservés. Si l’on veut décrire la sévérité à partir des seuls éléments cliniques actuels, force est de reconnaître qu’il n’existe, à l’exclusion de la dimension suicidaire, aucun déterminant clinique exclusif de sévérité. Il est par ailleurs impossible d’affecter à chacun des symptômes un coefficient singulier de sévérité. En prenant en compte le risque suicidaire, un sous groupe de patients, très hétérogène quant à sa configuration clinique, est probablement le plus sévère si l’on se réfère à des critères de dangerosité immédiate. Il regroupe les tableaux dépressifs d’intensité mélancolique avec idées de dévalorisation, les tableaux de mélancolie délirante avec des thèmes d’auto-accusation, les dépressions avec idées suicidaires chez des patients impulsifs, et les dépressions avec idées suicidaires chez des sujets alcooliques. Ces tableaux posent toujours la question d’une hospitalisation, consentie ou sous contrainte. En prenant en compte certaines configurations symptomatiques, il apparaît d’emblée que l’analyse de la sévérité ne se fait pas par simple sommation de facteurs, mais plutôt par des configurations symptomatiques particulières qui permettent de caractériser la gravité d’une situation dépressive : même si l’état dépressif est d’intensité modérée, le patient est un sujet à haut risque et donc à réelle gravité lorsqu’il est impulsif, souffre d’alcoolisme, a des antécédents de tentatives de suicides. De même, un état dépressif d’intensité modérée survenant chez un sujet âgé, à l’état général altéré, présentant S242 des contre-indications médicamenteuses et vivant seul est une situation à haut risque. On peut considérer que l’association à toute dépression de comorbidités addictives ou somatiques sévères confère au trouble de l’humeur un caractère de gravité. Dans d’autres cas, la sévérité est liée à la sommation de symptômes. Dans une dépression, les divers aspects symptomatiques apparaissent rarement simultanément avec la même intensité. Ainsi, la constatation d’un tableau clinique associant un trouble de l’humeur, une réduction de l’efficience psychomotrice et cognitive, une anhédonie, des troubles du sommeil, une anorexie, traduit, par la simple coexistence de ces groupes de symptômes, une dépression sévère. Enfin, la sévérité peut être liée à l’intensité de certains symptômes, comme les troubles de l’humeur (dévalorisation), les troubles de mémoire (hypermnésie douloureuse), le ralentissement (mimique moins vive, mouvements lents, rares, laborieux, de faible amplitude, démarche pesante), une agitation anxieuse (activité trompeuse, désordonnée, inefficace), des troubles marqués du sommeil (insomnie matinale précoce avec réduction importante du temps total de sommeil), des troubles physiques (anorexie intense, amaigrissement massif, refus de se nourrir). On peut aussi ne pas décrire la sévérité à partir des seuls éléments cliniques actuels, mais considérer que la gravité d’une dépression ne prend son sens que dans le contexte de vie du patient. L’anamnèse est le premier élément à prendre en compte. L’analyse d’une situation clinique actuelle doit se compléter, pour une meilleure évaluation des risques, de l’analyse des éventuels épisodes dépressifs antérieurs : leur mode de début (soudain ou progressif), leur âge de survenue, leur nombre, leur profil clinique (plus ou moins grande sévérité, plus ou moins grande durée d’évolution), les traitements ayant conduit à la rémission et ceux ayant échoué. A. Gérard Il faut également prendre en compte les facteurs contextuels environnementaux : stresseurs psychosociaux persistants, précarité professionnelle, sociale, financière, isolement, constituent des facteurs de risque d’aggravation de la dépression. Au contraire l’inscription dans une communauté cohérente, une bonne insertion familiale, un niveau socio-économique satisfaisant constituent des facteurs de protection. S’ils ne réduisent pas la sévérité du trouble, ils laissent espérer une meilleure évolution sous traitement et un risque moindre de récidive. Il existe également une gravité liée aux complications évolutives. À l’issue d’un épisode, l’établissement d’un bilan et d’un plan de traitement préventif doit viser à éviter récidives et chronicisation, autres formes de sévérité et de handicap. L’information sur la maladie et ses origines diverses, l’éducation thérapeutique, la mise en place d’une relation d’aide ou d’une relation plus directement psychothérapique, réduisent les risques de complications et donc de sévérité. Cette seconde phase du traitement est trop rarement mise en œuvre, la prévention est insuffisante, et le trouble qui peut s’installer devient sévère par sa durée et les handicaps qu’il provoque. Définir le caractère de sévérité d’un trouble ou d’une maladie est en psychiatrie un exercice difficile. Le standardiser est complexe pour deux raisons au moins : l’association d’éléments objectifs et d’éléments subjectifs, mais surtout la difficulté d’intégrer dans un même modèle des variables hétérogènes. Plusieurs dimensions doivent contribuer à la caractérisation de la sévérité et de la gravité d’une dépression : le sujet, dans sa biologie, son histoire, son enracinement social, sa condition économique, est aussi important à prendre en compte que la nature purement thymique de la pathologie qui l’affecte.