Évaluation des effets à court terme d’une thérapie cognitivo-

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THÉRAPEUTIQUE
Évaluation des effets à court terme d’une thérapie cognitivocomportementale de groupe dans la phobie sociale :
résultats auprès de soixante patients
N. CAMART (1), C. ANDRÉ (2), V. TRYBOU (3), M.-C. BOURDEL (4)
Short-term effects of a cognitive-behavioural group therapy in social phobia : evaluation of sixty patients
Summary. This study analyses the short term effects of a cognitive-behavioral group therapy with 60 patients suffering
from social phobia according to the diagnostic criteria of the DSM IV. The therapeutic program is based on 12 sessions
of 2 hours (for 6 to 9 subjects) and includes exposure, cognitive restructuring and social skills training. The sample included
34 women and 26 men, with an average age of 34.8 years (SD = 9.3). Most patients presented generalized social phobia
(n = 42 ; not generalized social phobia : n = 18), and 24 received at least one comorbid axis I diagnosis. Subjects were
evaluated before and after the therapy with instruments measuring the intensity of social phobia (Liebowitz Social Anxiety
Scale), the assertiveness (Rathus Assertiveness Schedule), the disability associated with the disorder (Sheehan Disability
Scale), anxiety and depression (Hospital Anxiety Depression Scale and Beck shortened Depression Inventory), and selfesteem (Rosenberg Self-Esteem Scale). The results show significant differences (p < 0.001) between the pre and the
post-test for all instruments. The effect sizes (ES) range from 1.29 (Liebowitz Scale, total score) to 0.51 (Sheehan item
3), exhibiting patients' improvement on all variables. The highest effect sizes are observed with the instruments specifically
designed for the assessment of social phobia (Liebowitz, Rathus and Sheehan scales). Our patients show the major
improvements in the Liebowitz Scale (ES = 1.29), the best indicator for social phobia, concerning the intensity of anxiety
in social situations (ES = 1.28) and concerning the frequency of avoidance (ES = 1.16). Logically, the effect sizes are
somehow lower on Sheehan (ES = 1.06) and Rathus (ES = 1.00) scales, which are less specifically centered on the
score symptoms of social phobia. The improvement is also significant but less remarkable in the other measurements.
The Hospital Anxiety Depression Scale reveals a reduction in the level of anxiety and depression, however more significant
for anxiety (ES = 0.88) than for depression (ES = 0.60), that is consistent with the fact that social phobia is an anxious
disorder. The shortened Beck Depression Inventory confirms the level of depression decreases after therapy (ES = 0.67)
and we also observe a significant enhancement of self-esteem (ES = 0.85). These findings confirm the short-term strong
effectiveness of this therapeutic program. The present study shows that the therapeutic cognitive-behavior group techniques used are specifically effective both on the principal symptoms of social phobia as on other psychological aspects,
which were not specifically the focus of this therapy, like general anxiety, depression, and self-esteem. However, this
efficient study on 60 subjects needs to be extended to the evaluation of long term effects. It also needs to be reproduced
to assess personality disorders that may make the treatment more difficult and are frequently comorbid with generalized
social phobia.
Key words : Anxiety ; Cognitive-behavioural group therapy ; Depression ; Self-esteem ; Social phobia.
(1) Laboratoire de Psychologie Clinique des Faits Culturels, Université Paris-X, 200, avenue de la République, 92001 Nanterre cedex et
Unité de Thérapie Comportementale et Cognitive, Service Hospitalo-Universitaire de Santé mentale et de Thérapeutique (Professeurs Lôo
et Olié), Hôpital Sainte-Anne, 7, rue Cabanis, 75014 Paris.
(2) Unité de Thérapie Comportementale et Cognitive, Service Hospitalo-Universitaire de Santé mentale et de Thérapeutique (Professeurs
Lôo et Olié), Hôpital Sainte-Anne, 7, rue Cabanis, 75014 Paris et Université Paris-X, 200, avenue de la République, 92001 Nanterre cedex.
(3) Université Paris-X, 200, avenue de la République, 92001 Nanterre cedex et Unité de Thérapie Comportementale et Cognitive, Service
Hospitalo-Universitaire de Santé mentale et de Thérapeutique (Professeurs Lôo et Olié), Hôpital Sainte-Anne, 7, rue Cabanis, 75014 Paris.
(4) INSERM E0117, Université Paris-V, Service Hospitalo-Universitaire, Hôpital Sainte-Anne, 7, rue Cabanis, 75014 Paris.
Travail reçu le 8 février 2005 et accepté le 27 juin 2005.
Tirés à part : N. Camart (à la première adresse ci-dessus ou adresse e-mail : [email protected]).
L’Encéphale, 2006 ; 32 : 1011-8, cahier 1
1011
N. Camart et al.
Résumé. Cette étude analyse les effets à court terme d’une
psychothérapie cognitivo-comportementale de groupe suivie
auprès de 60 sujets souffrant de phobie sociale. Le programme thérapeutique comprend 12 séances de 2 heures
auxquelles participent 6 à 9 patients et inclut des techniques
d’exposition, de restructuration cognitive et d’affirmation de
soi. Les sujets ont été évalués avant et après la thérapie à
l’aide de différents instruments permettant de mesurer l’intensité de la phobie sociale (Échelle d’anxiété sociale de Liebowitz), le degré d’affirmation de soi (Échelle de Rathus),
l’incapacité liée au trouble (Échelle d’incapacité de Sheehan),
l’anxiété et la dépression (Échelle hospitalière d’anxiété et de
dépression et Inventaire abrégé de dépression de Beck) et
l’estime de soi (Échelle de Rosenberg). Les résultats montrent une amélioration significative des patients sur l’ensemble des variables mesurées. Le changement, particulièrement significatif en ce qui concerne les symptômes de phobie
sociale, est également notable au niveau des autres dimensions évaluées. Nous présentons et discutons les grandeurs
d’effet des améliorations observées. Ces résultats nous incitent à recommander ce type de prise en charge en institution
pour les patients phobiques sociaux.
Mots clés : Anxiété ; Dépression ; Estime de soi ; Phobie sociale ;
Thérapie cognitivo-comportementale de groupe.
INTRODUCTION
La phobie sociale est un trouble anxieux caractérisé par
une peur extrême et durable de certaines situations
d’interaction sociale ou de situations de performance.
Cette peur est liée au contact avec des personnes non
familières ou au regard d’autrui et s’accompagne de vives
manifestations physiologiques. Le sujet redoute, dans ces
situations, de manifester des signes visibles de son
malaise. La peur est telle qu’elle peut provoquer un évitement systématique des situations anxiogènes ou, lorsque le patient parvient à les affronter, une détresse
intense. Elle peut concerner quelques situations sociales
spécifiques mais lorsqu’elle est éprouvée au moindre contact social, on parle de phobie sociale généralisée (2).
Des études épidémiologiques montrent qu’il s’agit du
trouble anxieux le plus répandu et de l’affection psychiatrique la plus fréquente après la dépression et la dépendance à l’alcool (4). Elles montrent par ailleurs la comorbidité élevée de ce trouble dont l’évolution souvent
chronique représente un lourd handicap dans la vie du
sujet et un coût élevé en termes de santé publique.
Pour ces raisons, des travaux consacrés à l’évaluation
de l’efficacité des traitements se sont largement développés et montrent, à ce jour, l’efficacité de deux types
d’approches : les psychothérapies cognitives et comportementales, les seules psychothérapies ayant fait leurs
preuves dans la phobie sociale, et certains traitements
pharmacologiques. Plusieurs méta- analyses vont en effet
dans ce sens, comme celle, notamment, de Gould et al.
(13) portant sur 42 études contrôlées et qui compare l’efficacité des thérapies cognitives et comportementales
1012
L’Encéphale, 2006 ; 32 : 1011-8, cahier 1
(TCC) et des traitements pharmacologiques. Les résultats
montrent que les deux approches sont efficaces mais
l’auteur conclut à un meilleur rapport coût/efficacité pour
les TCC. Une autre méta-analyse, menée par Fedoroff et
Taylor (12), compare l’efficacité à court et à long termes
de différents traitements psychologiques et pharmacologiques par rapport à des conditions contrôle (liste
d’attente) et placebo. Les résultats indiquent une supériorité des traitements pharmacologiques (inhibiteurs de la
recapture de la sérotonine et benzodiazépines) et psychologiques (TCC) par rapport aux autres conditions. Par rapport aux TCC, les traitements pharmacologiques se révèlent également plus efficaces, mais seulement à court
terme du fait de l’absence d’études de suivi. Les auteurs
recommandent, pour une prise en charge optimale, l’administration d’un traitement médicamenteux en première
intention suivi d’une TCC. Ces études montrent que les
TCC sont des stratégies efficaces dans le cas de la phobie
sociale ; elles consistent principalement en l’utilisation,
isolée ou combinée, des trois techniques suivantes :
l’exposition aux situations anxiogènes, la restructuration
cognitive et le développement des habilités sociales (affirmation de soi).
L’exposition consiste à amener le patient, dans un
cadre thérapeutique défini, à se confronter progressivement aux situations sociales qu’il redoute (comme être
observé pendant une activité par exemple). Il s’agit précisément de l’exposer graduellement à ses manifestations
physiques et émotionnelles et de provoquer, par le déclenchement répété et progressif de celles-ci, une habituation
et une désensibilisation. Parce qu’elle entraîne une atténuation progressive de l’anxiété, l’exposition permet au
patient de reprendre un certain contrôle sur celle-ci et surtout d’affronter les situations évitées.
La restructuration cognitive est une technique visant
à modifier certaines croyances irrationnelles, dont la principale caractéristique est, chez les phobiques sociaux,
la surestimation du caractère évaluatif de toute interaction. Ces croyances se manifestent par des pensées
automatiques anxiogènes et inhibitrices qui se mettent
en place en situation sociale et qui participent au maintien
du trouble. Elles sont accessibles au thérapeute par
l’intermédiaire du récit du discours intérieur du sujet. La
restructuration cognitive consiste, après avoir aidé le
patient à prendre conscience de ses pensées automatiques, à l’amener à les remettre en question et à modifier
ainsi son raisonnement et ses évaluations de la situation.
En agissant sur les croyances source de blocage et
d’inhibition qu’elle aide à lever, la restructuration cognitive permet au patient d’oser davantage affronter les
situations redoutées.
L’affirmation de soi consiste, par la pratique de jeux de
rôle, dans l’apprentissage comportemental d’habiletés
sociales qui font parfois défaut chez les phobiques sociaux.
Elle permet de développer ou d’améliorer les compétences
sociales du patient dans des situations spécifiques (demander, refuser, engager une conversation par exemple).
Même si la part d’efficacité respective de ces trois techniques réputées actives est encore discutée, elle semble
L’Encéphale, 2006 ; 32 : 1011-8, cahier 1
toutefois incontestable pour l’exposition (3). Des travaux
récents insistent notamment sur la place centrale de
l’exposition, et en particulier de l’exposition aux émotions
dans le traitement des troubles anxieux et, plus généralement, des troubles émotionnels (5).
De plus, outre les bénéfices de temps et de coût, les
avantages de l’application en groupe de ces techniques
thérapeutiques dans le cas de la phobie sociale sont clairement établis (3). Le groupe, par sa nature, représente
en effet lui-même une exposition pour les patients et
pourrait accélérer et multiplier les effets des exercices
d’exposition.
DESCRIPTION DU PROTOCOLE THÉRAPEUTIQUE
L’étude s’est déroulée à l’Unité de Thérapie comportementale et cognitive du Service Hospitalo-Universitaire de
Santé mentale et de Thérapeutique du Centre Hospitalier
Sainte-Anne à Paris. Le programme thérapeutique est
basé principalement sur les travaux d’Heimberg et al. (14)
et inclut la combinaison des 3 techniques actives : exposition, restructuration cognitive et affirmation de soi, avec
toutefois une place prépondérante accordée à l’exposition, et en particulier à l’exposition aux émotions. Il se
déroule sur 12 séances hebdomadaires de deux heures
auxquelles participent un petit groupe de 6 à 9 patients,
2 thérapeutes et 1 ou 2 stagiaires (médecins ou psychologues). Les thérapeutes – un psychiatre et une psychologue – sont alternativement animateur principal ou coanimateur, à chaque séance.
Notre échantillon de 60 sujets correspond à l’ensemble
des patients suivis sur une période de 4 ans en thérapie
de groupe – à raison de 2 groupes par an – dans notre
unité. Tous les patients suivent le même programme thérapeutique animé par les mêmes thérapeutes. Les sujets,
consultant dans une unité de soins spécialisés pour des
difficultés en lien avec l’anxiété sociale, sont d’abord reçus
individuellement par le médecin-psychiatre, psychothérapeute. Celui-ci établit le diagnostic principal et la comorbidité éventuelle et évalue, en fonction de la demande et
de la symptomatologie, la pertinence de l’inclusion dans
un groupe thérapeutique. Si tel est le cas, le protocole thérapeutique et d’évaluation est présenté au sujet qui devra
confirmer par écrit sa participation.
Il s’écoule ensuite plusieurs mois avant l’inclusion dans
le groupe, au cours desquels le patient est revu en consultation individuelle à trois reprises. Les deux premières
consistent en des entretiens psychiatriques visant à vérifier les critères d’inclusion et d’exclusion, et à identifier,
évaluer et hiérarchiser les principales situations anxiogènes (situations cibles) qui seront travaillées lors de la thérapie. La troisième est une consultation psychologique où
l’on procède aux évaluations (pré-tests). Les évaluations
en pré et post-test sont réalisées dans les quinze jours
précédant et suivant le groupe.
La première séance de thérapie de groupe a pour objectifs la prise de contact des patients entre eux et la présentation des objectifs et des principes des techniques théra-
Thérapie cognitivo-comportementale et phobie sociale
peutiques. Des informations sur les mécanismes de
l’anxiété et de l’évitement, sur la notion de tâches à domicile
(exercices à pratiquer entre les séances) et sur les principes
de fonctionnement du groupe sont fournies. Les situations
anxiogènes préalablement ciblées et évaluées pour chaque patient sont, si besoin, revues et modifiées. La fin de
cette première séance est consacrée aux questions des
patients, auxquels on demande de définir, pour la semaine
suivante, les principaux exercices à réaliser entre les séances. À la fin de la séance, les thérapeutes et les stagiaires
échangent leurs impressions sur le groupe et se réunissent
ensuite avant chaque séance pour préparer les exercices.
Lors de la seconde séance, chaque patient réalise un
premier exercice d’exposition adapté à ses difficultés et
l’on se réfère pour cela aux situations cibles préalablement
évaluées et hiérarchisées, les exercices d’exposition étant
toujours progressifs et de difficulté croissante. Ce sont
souvent des exercices sur le regard (être observé en
silence par le groupe, par exemple) qui sont d’abord réalisés mais cela varie selon les patients. Comme pour chaque exposition future, on évalue le niveau d’anxiété avant
et après l’exercice et on encourage le groupe à donner un
feed-back sincère au patient, lui-même encouragé à exprimer son ressenti. Le thérapeute intervient également pour
le guider dans ses difficultés, mettre à jour les cognitions
et émotions vécues lors de l’exercice et pour le renforcer
positivement dans ses efforts. Une partie de cette séance
est consacrée aux exercices à domicile dont le rôle fondamental dans l’amélioration est expliqué. Les thérapeutes aident les patients à envisager précisément leur mise
en place et les encouragent à commencer dès à présent.
Ces exercices seront ensuite revus et discutés avec le thérapeute au début de chaque séance (revue des tâches).
Des exercices d’exposition progressive, prolongée,
complète et répétée sont ensuite systématiquement réalisés lors des séances suivantes, après la revue des
tâches. Compte tenu de la durée d’une séance, et afin de
garantir une durée d’exposition suffisamment longue pour
être effective, ces exercices sont proposés à la moitié des
sujets du groupe par séance. Par ailleurs, afin que tous
bénéficient d’une exposition a minima à chaque séance,
les autres patients pratiquent aussi des exercices d’exposition, mais plus courts (brève prise de parole en public,
observation en silence par le groupe, par exemple). Les
patients n’ayant pas réalisé d’exposition prolongée à une
séance en bénéficient systématiquement à la suivante.
Des exercices d’affirmation de soi (jeux de rôle) sont également introduits de façon ponctuelle et au cas par cas,
c’est-à-dire lorsque des situations habituellement travaillées en affirmation de soi (par exemple refuser, exprimer un désaccord) ont été préalablement définies comme
des situations « cibles » pour certains patients. Mais il
s’agit alors surtout de mettre l’accent sur la désensibilisation aux émotions ressenties dans ces situations. Toutefois, lorsqu’un travail approfondi sur ce type d’apprentissage semble nécessaire, nous orientons les patients sur
une prise en charge spécifique en affirmation de soi. Les
exercices d’exposition sont toujours accompagnés des
techniques de restructuration cognitive.
1013
N. Camart et al.
Le thérapeute met à jour les cognitions apparaissant
lors des exercices et pouvant inhiber ou mettre en difficulté
le patient. Il l’aide ainsi à en prendre conscience et à faire
le lien entre celles-ci et les émotions ressenties ou certains
comportements pendant l’exercice. Il amène le patient à
remettre en question son mode de pensée, à envisager
plusieurs manières de considérer les choses et à en tester
la crédibilité dans la réalité. Ceci est facilité par le feedback du groupe qui permet au sujet de prendre conscience
du décalage entre ses propres impressions, souvent
négatives, et celles des autres, plus modérées ou positives. À partir de la huitième séance, un thérapeute et un
stagiaire accompagnent un petit groupe de patients à
l’extérieur pour la mise en place d’exercices d’exposition
in vivo (marcher devant des gens sur le quai du métro,
adresser la parole à un inconnu dans la rue, par exemple).
Lors de la dernière séance, chaque patient fait devant
le groupe un bilan de son expérience de la thérapie. Les
thérapeutes formulent leur feed-back, soulignent et renforcent les progrès constatés, et définissent les objectifs
individuels à moyen terme. Les patients sont ensuite revus
individuellement pour les évaluations (post-test). L’observance est globalement très bonne pendant la durée de la
thérapie ; il est en effet exceptionnel qu’un patient quitte
le groupe en cours. Deux séances de rappel, à 6 mois et
un an sont proposées. Environ la moitié des patients
revient à 6 mois et un peu moins à un an. Ces séances,
plus informelles, permettent de connaître l’évolution des
patients à moyen terme, de les orienter si nécessaire sur
une reprise de soins et de proposer les évaluations.
Cependant, étant donné que les patients ne sont pas systématiquement revus à ce moment en consultation individuelle, il existe une certaine perte dans le taux d’évaluation
en suivi. Nous mettons actuellement en place une évaluation en suivi plus systématique.
L’objectif principal de cette étude est de vérifier l’efficacité d’une thérapie comportementale et cognitive incluant
exposition, restructuration cognitive et affirmation de soi,
sur la symptomatologie principale de la phobie sociale. Il
s’agit également d’étudier les effets de cette méthode sur
différents aspects de la symptomatologie ainsi que sur les
émotions négatives généralement présentes chez les
phobiques sociaux.
MÉTHODE
Sujets
Notre échantillon est composé de 60 sujets souffrant de
phobie sociale diagnostiquée selon les critères du DSM IV
(2). Environ les deux tiers présentent une phobie sociale
généralisée (42 patients), le tiers restant présentant une
phobie sociale non généralisée (18 patients). Il comporte
34 femmes et 26 hommes, âgés de 21 à 57 ans (moyenne
d’âge = 34,8 ans, écart type = 9,3). Une importante majorité (54 patients, soit 90 % de l’effectif) a un niveau d’études égal ou supérieur au baccalauréat (jusqu’à « BAC »
+ 2 = 18 % ; niveau « BAC » + 3 ou + 4 = 41 % ; supérieur
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L’Encéphale, 2006 ; 32 : 1011-8, cahier 1
à « BAC » + 4 : 31 %). L’échantillon est relativement hétérogène en ce qui concerne le tableau clinique (formes
généralisées ou non) et sur le plan de la comorbidité avec
les troubles de l’axe I.
En ce qui concerne les formes non généralisées, elles
portent sur la peur d’une ou de plusieurs situations spécifiques suivantes : prise de parole en public, écrire en
étant observé, échanges informels en groupe, situations
d’intimité.
Pour ce qui est de la comorbidité, elle concerne
24 patients (40 %). Il s’agit pour la majorité (20 sujets)
d’un trouble isolé tel un autre trouble anxieux (7 sujets dont
4 ayant une anxiété généralisée, 2 un trouble obsessionnel-compulsif et 1 une phobie spécifique), la dépendance
et l’abus de substances (à l’alcool pour 2 patients et à
l’alcool et à la cocaïne pour un autre), la boulimie
(1 patient), la dysthymie (5 patients) et la dépression
majeure (4 patients). Quatre autres patients ont deux troubles comorbides : 1 patient souffre d’anxiété généralisée
et de boulimie et 3 autres d’anxiété généralisée et de dysthymie. Ont été écartés à l’issue des entretiens psychiatriques préliminaires les patients susceptibles de présenter un trouble de la personnalité pouvant perturber le
fonctionnement du groupe (personnalité paranoïaque,
antisociale et borderline). Ont été également exclus les
patients présentant un trouble psychotique, neuropsychologique et un épisode dépressif majeur au moment de
l’inclusion dans le groupe. Il est par ailleurs demandé aux
patients déjà sous traitement (pharmacologique ou psychothérapique) de ne pas modifier ce dernier dans les trois
mois précédant leur inclusion dans le groupe et pendant
la durée de celui-ci, afin de contrôler l’effet éventuel de ce
traitement sur l’évaluation de la thérapie.
Instruments
L’échelle d’anxiété sociale de Liebowitz (18) est une
échelle d’évaluation largement utilisée dans les études portant sur la phobie sociale et ayant été validée en France
par Yao et al. (25). Elle permet d’évaluer les symptômes
de phobie sociale, en particulier l’intensité de l’anxiété et la
fréquence des évitements. Elle comporte 24 items qui renvoient à des situations sociales variées comme les situations d’interactions sociales (11 items) et de performance
(13 items). Pour chaque situation, le sujet cote le degré de
peur ou d’anxiété ressenti (de 0 = aucune, à 3 = sévère) et
la fréquence de son évitement (de 0 = jamais, à 3
= habituellement). La cotation donne lieu à un score
d’anxiété sociale, d’évitement et à un score total (anxiété
+ évitement). Un score total compris entre 56 et 65 renvoie
à une phobie sociale modérée, entre 65 et 80 à une phobie
sociale marquée, entre 80 et 95 à une phobie sociale sévère
et, au-delà de 95, signe une phobie sociale très sévère.
L’échelle d’affirmation de soi de Rathus (20), validée en
France par Bouvard et al. (8), est un questionnaire d’autoévaluation en 30 items.
Ces items renvoient à diverses situations en lien avec
l’affirmation de soi, par rapport auxquelles le sujet doit se
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décrire en termes de comportement. La cotation est une
échelle de Likert à 6 valeurs (de 1 = « très caractéristique »
à 6 = « vraiment non caractéristique »). Plus le score est
élevé, moins le sujet s’affirme.
L’échelle d’incapacité de Sheehan (23) est une échelle
d’auto-évaluation en 3 items qui porte sur le degré de gêne
ou d’incapacité généré par la phobie sociale dans le
domaine du travail, de la vie sociale et des loisirs, de la
vie de famille et des responsabilités domestiques. Chaque
item se cote sur une échelle graduée de 0 (pas du tout
perturbé) à 10 (très sévèrement perturbé). Entre 1 et 3, le
domaine considéré est estimé légèrement perturbé, entre
4 et 6 moyennement perturbé et entre 7 et 9 sévèrement
perturbé. Bien qu’elle ne soit pas étalonnée en France,
cette échelle permet, au cours d’une psychothérapie,
d’apprécier l’évolution du ressenti du patient sur le handicap provoqué par son trouble.
L’inventaire abrégé de dépression de Beck (6) est un
questionnaire d’auto-évaluation composé de 13 items (version abrégée de l’inventaire à 21 items) ayant fait l’objet de
plusieurs études de validation en France (9). Il permet
d’effectuer une évaluation rapide de la dépression et, plus
précisément, d’apprécier l’intensité de la sémiologie
dépressive. Chaque item est constitué de quatre affirmations qui correspondent à quatre degrés d’intensité croissante d’un symptôme, cotés de 0 à 3. Un score total inférieur
à 4 signe l’absence de dépression, de 4 à 7 une dépression
d’intensité légère, de 8 à 15 une dépression d’intensité
modérée, et au-delà de 16 une dépression sévère.
L’échelle hospitalière d’anxiété et de dépression (HAD)
(26) est conçue pour dépister les manifestations psychopathologiques les plus courantes, à savoir l’anxiété et la
dépression. Elle a fait l’objet de plusieurs études de validation en France (17) et permet de repérer une symptomatologie anxieuse et dépressive et d’en évaluer la sévérité, sans en préciser la forme. Il s’agit d’un questionnaire
d’auto-évaluation composé de 14 items dont 7 explorent
la sémiologie anxieuse et 7 la sémiologie dépressive. Chaque item est coté de 0 à 3 selon le degré d’intensité du
symptôme. La cotation donne lieu à un score d’anxiété,
de dépression et à un score total (anxiété + dépression).
Plus le score est élevé, plus la symptomatologie est importante. Les auteurs préconisent de retenir la note seuil de
10 (voire de 8 selon les cas) (17) pour chacune des souséchelles dans le dépistage des symptômes anxieux et
dépressifs.
L’échelle d’estime de soi de Rosenberg (21) est
composée de 10 affirmations qui concernent l’évaluation
ou le jugement que l’on porte sur soi-même. Dans la forme
que nous avons utilisée, le sujet évalue son degré d’accord
ou de désaccord avec chaque affirmation à l’aide d’une
échelle de Likert en 4 valeurs (de 1 = « fortement
d’accord » à 4 = « fortement en désaccord ). Plus le score
est élevé, plus l’estime de soi est haute. Les normes (non
publiées) actuellement disponibles pour cette version
indiquent une moyenne de 28, 06 et un écart type de 4,81
(7).
Thérapie cognitivo-comportementale et phobie sociale
Analyse des données
Nous aurons à comparer des distributions de scores en
début de thérapie avec des distributions de scores en fin
de thérapie fournies par les mêmes sujets. Les distributions sont normales, et l’effectif étant largement supérieur
à 30, le test statistique indiqué est le test de Student pour
échantillons appariés. Étant donné le nombre – 13 – de
comparaisons à effectuer, on court le risque qu’une différence atteigne par le simple fait du hasard une valeur significative. Il y a donc lieu d’appliquer la correction de Bonferroni (15) qui consiste à diviser la probabilité exigée de
la différence par le nombre de comparaisons effectuées.
On ne pourra donc retenir comme significatives au seuil
p < 0,05 que les différences dont la probabilité théorique
est inférieure à 0,0038. Pour comparer des améliorations
qui s’expriment, on utilisera la notion de grandeur d’effet
(effect size) qui permet d’homogénéiser les mesures en
prenant comme unité l’écart type de chaque distribution.
RÉSULTATS
Le tableau I montre une diminution des scores après
la thérapie sur toutes les échelles sauf pour l’échelle de
Rosenberg, ce qui est normal puisque c’est le seul instrument où l’élévation du score est corrélée à une amélioration.
La comparaison des résultats entre le pré et le post-test
montre une amélioration statistiquement significative de
notre groupe de 60 patients sur l’ensemble des variables
étudiées. Le bénéfice thérapeutique peut être estimé par
la notion de taille d’effet (ou grandeur d’effet) qui est considérée comme petite entre 0,20 et 0,50, moyenne entre
0,50 et 0,80 et grande au-delà de 0,80 [10]. Les valeurs
absolues des grandeurs d’effet obtenues aux différents
instruments de mesure s’échelonnent entre 1,29 (échelle
de Liebowitz, score total) et 0,51 (échelle Sheehan, item
3) et attestent donc les effets positifs globaux. Les différences entre les résultats aux divers instruments au prétest et au post-test sont toutes significatives au risque
d’erreur 0,001 et restent donc significatives au risque
d’erreur 0,05 après correction de Bonferroni (15).
Si l’on analyse en détail les résultats obtenus à chaque
instrument, on observe tout d’abord une nette diminution
des scores à l’échelle d’anxiété sociale de Liebowitz. Le
score total moyen d’anxiété et d’évitement, qui correspond
à une phobie sociale sévère en pré-thérapie (m = 82,57,
σ = 19,45) correspond à celui d’une phobie sociale modérée en post (m = 57,50, σ = 19,70). L’évolution des scores
aux deux sous-échelles nous indique une amélioration de
l’intensité de l’anxiété en situations sociales [grandeur
d’effet ou effect size (ES) à la sous-échelle anxiété = 1,28]
et de la fréquence des évitements (sous-échelle évitement : ES = 1,16).
Par ailleurs, les résultats à l’échelle de Rathus montrent
que les difficultés à s’affirmer s’améliorent significativement (ES = 1,0). Le score moyen de nos patients en postthérapie dépasse d’un peu moins d’un écart type celui de
sujets contrôle (note z ou note centrée réduite = 0,88).
1015
N. Camart et al.
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TABLEAU I. — Résultats des 60 patients phobiques sociaux en pré et post-thérapie.
Instruments
LSAS - Anxiété
LSAS - Évitement
LSAS Total
Rathus
Sheehan – Travail (1)
Sheehan - Vie sociale
et loisirs (2)
Sheehan – Vie de famille
et responsabilités
domestiques (3)
Sheehan Total
HAD - Anxiété
HAD - Dépression
HAD Total
BDI - 13
Rosenberg
Moyennes
pré-thérapie
(écart type)
Moyennes
post-thérapie
(écart type)
Différences
moyennes
pré/post-thérapie
t (test de Student)
(dl = 59, p < 0,001)
Grandeurs
d’effet
(effect size)
45,46 (9,17)
37,11 (11,47)
82,57 (19,45)
126,70 (17,84)
5,98 (2,47)
6,33 (2,17)
33,71 (10,82)
23,79 (10,04)
57,50 (19,70)
108,83 (20,86)
3,93 (2,50)
4,36 (2,20)
11,74
13,31
25,06
17,87
2,05
1,96
8,73
9,02
9,37
7,65
6,27
6,92
– 1,28
– 1,16
– 1,29
– 1,00
– 0,82
– 0,90
4,43 (2,82)
3,00 (2,44)
1,43
4,84
– 0,51
16,75 (5,16)
11,85 (3,31)
5,96 (3,22)
17,82 (5,24)
10,33 (5,86)
24,08 (4,40)
11,30 (5,38)
8,92 (4,07)
4,04 (2,81)
12,96 (6,07)
6,42 (4,94)
27,81 (4,03)
5,45
2,93
1,93
4,85
3,91
3,72
8,69
6,55
4,88
6,88
5,95
6,10
– 1,06
– 0,88
– 0,60
– 0,93
– 0,67
– 0,85
LSAS : échelle d’anxiété sociale de Liebowitz (Liebowitz Social Anxiety Scale) ; HAD : échelle hospitalière d’anxiété et de dépression (Hospital Anxiety
Depression Scale) ; BDI - 13 : inventaire abrégé de dépression de Beck à 13 items (Beck shortened Depression Inventory) ; Sheehan – Travail (1) :
item 1 ; Sheehan – Vie sociale et loisirs (2) : Item 2 ; Sheehan – Vie de famille et responsabilités domestiques (3) : Item 3.
Moyennes (et écarts types) obtenus par des sujets contrôles aux échelles de Liebowitz (LSAS) (23), de Rathus (7), à l’inventaire de Beck (BDI - 13)
(23) et à l’échelle de Rosenberg (6) : LSAS – Anxiété (n = 36) : 20 (13,67) ; LSAS – Évitement (n = 36) : 16 (12,2) ; Rathus (n = 36) : 92,10 (19,01) ;
BDI - 13 (n = 36) : 3,81 (5) ; Rosenberg (n = 200) : 28,06 (4,81).
Remarque : pour les échelles HAD - Anxiété et HAD - Dépression, il n’existe pas de normes mais des notes seuils : 10 (voire 8 selon les cas) (15).
On constate également un changement significatif à
l’échelle d’incapacité de Sheehan où le score total varie
de 16, 75 (σ = 5,16) à 11, 30 (σ = 5,38) entre le pré et posttest. Si l’on regarde en détail les résultats aux trois items
de l’échelle, on constate que le degré de gêne ou de handicap lié à la phobie sociale s’améliore en premier lieu
dans le domaine de la vie sociale et des loisirs (ES = 0,90),
puis dans le domaine du travail (ES = 0,82) et enfin dans
la vie de famille et les responsabilités domestiques
(ES = 0,51). L’évolution des scores entre le pré et le posttest indique que l’on passe d’un handicap considéré entre
moyen et sévère dans la vie sociale et les loisirs à un handicap moyen, tandis que la gêne, estimée moyenne en
pré-thérapie devient légère à moyenne dans le domaine
du travail. Enfin, le degré de gêne ressenti dans la vie familiale, estimé en moyenne comme le moins élevé des trois
domaines en pré-thérapie, passe d’un niveau moyen à un
niveau léger au cours de la thérapie.
L’amélioration, bien que moins spectaculaire, est également significative aux autres instruments. À l’échelle
HAD, on observe une amélioration significative de la
symptomatologie anxio-dépressive (score total) après la
thérapie (ES = 0,93). Cette amélioration concerne davantage la symptomatologie anxieuse que dépressive. En
effet, à la sous-échelle anxiété, les sujets perdent en
moyenne 1 écart type entre le pré et le post-test tandis
qu’ils perdent seulement un demi-écart type à la souséchelle dépression. Mais il faut noter la disparité entre les
scores d’anxiété et de dépression en pré-thérapie, où la
1016
note seuil de 10 ou 8 selon les auteurs (17) est atteinte
pour l’anxiété (m = 11,85, σ = 3,31) et devient juste subclinique en post (m = 8,92, σ = 4,07), tandis que les scores
de dépression déjà faibles en pré (m = 5,96, σ = 3,22) le
sont encore plus en post (m = 4,04, σ = 2,81).
À l’inventaire abrégé de Beck, les résultats indiquent
que l’on passe d’un niveau modéré de dépression en prétest (m = 10,33, σ = 5,86) à un niveau léger en post
(m = 6,42, σ = 4,94), avec une grandeur d’effet de 0,67.
Il faut d’ailleurs noter le décalage entre les deux estimations du niveau de dépression en pré-test : modérée à
l’inventaire de Beck et faible à l’échelle HAD.
Enfin, on constate une amélioration significative de
l’estime de soi (taille d’effet = 0,85). Le score en pré-thérapie (m = 24,08, σ = 4,40), assez nettement inférieur à
la moyenne de sujets « normaux » (note z = – 0,82) se
situe pratiquement dans la moyenne en post-thérapie
(m = 27,81, σ = 4,03) (note z = – 0,052).
DISCUSSION
Cette étude montre clairement une amélioration de
notre groupe de patients sur l’ensemble des symptômes
et des affects négatifs évalués. Les résultats confirment
l’efficacité de la méthode thérapeutique à la fois sur les
symptômes de la phobie sociale, telle que l’ont démontrée
d’autres études citées précédemment (12, 13, 16), mais
L’Encéphale, 2006 ; 32 : 1011-8, cahier 1
également sur d’autres aspects du fonctionnement psychologique. Il est à cet égard logique que les grandeurs
d’effet les plus élevées concernent les instruments qui portent précisément sur la phobie sociale (échelles de Liebowitz, de Rathus et de Sheehan).
Les résultats vont dans le sens de notre objectif thérapeutique puisque c’est particulièrement à l’échelle de Liebowitz, généralement considérée comme le meilleur indicateur de la phobie sociale, que nos patients sont le plus
améliorés. Les tailles d’effet un peu moins élevées aux
échelles de Sheehan et de Rathus peuvent s’expliquer par
le fait que ces instruments sont moins spécifiquement centrés sur les symptômes principaux de phobie sociale.
L’échelle de Rathus évalue en effet le degré d’affirmation
de soi qui, même si l’on peut aisément supposer qu’il leur
soit lié, ne correspond pas directement aux symptômes
principaux de la phobie sociale que sont l’anxiété et l’évitement et sur lesquels est ciblée la thérapie. On peut supposer que l’affirmation de soi a pu influencer ces résultats
positifs à l’échelle de Rathus. Quant à l’échelle de Sheehan, montrant elle-même d’excellents résultats au niveau
de son score total, c’est-à-dire en ce qui concerne l’importance de la gêne en général due à la phobie sociale, elle
évalue davantage le retentissement de la pathologie sur
la qualité de vie que les symptômes eux-mêmes. Par
ailleurs, il n’est pas surprenant de constater que l’amélioration se situe surtout dans le domaine de la vie sociale,
dans lequel s’expriment avant tout les symptômes et où la
gêne était la plus sévère au départ. Il est également logique
que les résultats les plus faibles concernent la vie familiale,
domaine habituellement le moins touché par la phobie
sociale. Si l’on compare les résultats de nos sujets à
l’échelle de Liebowitz en post-thérapie à ceux d’un groupe
de contrôle (sujets non pathologiques) d’une autre étude
(25), on constate qu’ils se situent à un peu plus d’un demiécart type au-dessus de la moyenne pour l’évitement (note
z = 0,64 en post contre 1,73 en pré) et à un écart type audessus pour l’anxiété (note z = 1,0 en post contre 1,86 en
pré). Les patients ont donc, après la thérapie, des scores
qui, sans être équivalents à ceux d’une population normale, ne leur sont que légèrement supérieurs, et ce surtout
au niveau des évitements, où ils s’en rapprochent le plus.
Ceci peut s’expliquer par la place majeure de la technique
d’exposition dans notre protocole thérapeutique. Le fait
d’avoir privilégié cette technique, en la pratiquant à chaque
séance et en insistant sur les tâches à domicile, a probablement permis de réduire rapidement les conduites d’évitement mais a impliqué, du fait de la confrontation nouvelle
aux situations anxiogènes, une diminution moins rapide de
l’anxiété qui est réactivée par les expositions.
Les techniques thérapeutiques utilisées sont donc spécifiquement efficaces sur les symptômes principaux de la
phobie sociale mais ont aussi des effets significatifs sur
les autres dimensions qui n’ont pas été spécialement
visées par les thérapeutes. En effet, nous constatons
ensuite une amélioration de la symptomatologie anxieuse
et dépressive à l’échelle HAD qui s’avère notamment plus
importante pour l’anxiété que pour la dépression, ce qui,
compte tenu du fait que la phobie sociale est un trouble
Thérapie cognitivo-comportementale et phobie sociale
anxieux, est cohérent. Il faut cependant noter que le score
de dépression, déjà faible en pré-thérapie (contrairement
à celui d’anxiété) n’a pu évoluer. Il est d’ailleurs intéressant
de constater que l’effet thérapeutique ne se limite pas aux
symptômes d’anxiété sociale proprement dite mais est
aussi repérable sur la symptomatologie anxieuse en général, telle qu’elle est évaluée par la sous-échelle anxiété de
l’échelle HAD.
Le fait que nos sujets obtiennent un niveau de dépression plus faible à l’échelle HAD qu’à l’inventaire de Beck
en pré-test peut s’expliquer par les items de cette première, principalement centrés sur les symptômes de perte
de plaisir de la dépression. Or, cette dimension dépressive
n’est qu’un aspect secondaire de la symptomatologie principale et peut s’exprimer de différentes manières dans la
phobie sociale. On peut supposer que l’échelle HAD,
moins spécifique que l’inventaire de Beck, ne détecte pas
certains symptômes dépressifs pourtant présents.
Enfin, nous ne nous attendions pas à trouver un gain
aussi important pour l’estime de soi, qui se trouve améliorée presque autant que la dimension anxieuse. On peut
l’expliquer en partie par les effets de l’affirmation de soi
dont les bénéfices sur certains mécanismes en lien avec
l’estime de soi ont été démontrés par des travaux antérieurs (1). Par ailleurs, le fait que les patients soient nettement améliorés en ce qui concerne l’anxiété sociale et
les évitements nous amène à supposer qu’ils retrouvent
une certaine confiance en eux-mêmes et dans leurs capacités d’interagir avec autrui, qui atténue leur sentiment
habituel de honte et de dévalorisation.
L’ensemble de ces résultats très positifs ne doit cependant pas nous faire oublier les limites de cette étude, qui
est en cours et dont les évaluations en suivi (follow-up)
ne sont pas présentées. Même si l’efficacité à long terme
des TCC a été démontrée (11, 22), il est en effet important
de s’assurer que les changements survenus chez nos
patients se maintiennent après la thérapie. Une autre limitation de cette étude est l’absence d’évaluation psychométrique des troubles de l’axe II. Elle pourrait notamment
permettre de mieux contrôler certains critères d’exclusion ; en outre, il serait intéressant, dans la mesure où les
troubles de la personnalité, qui sont fréquemment associés à la phobie sociale généralisée et qui, selon certains
auteurs (19, 24), peuvent être source d’échec thérapeutique, d’étudier leur incidence sur la réponse au traitement.
Enfin, la présence exclusive d’instruments d’auto-évaluation a pu induire certains biais. En effet, même si ce
mode d’investigation est intéressant dans le cadre de
l’évaluation des psychothérapies car il permet d’accéder
directement au vécu subjectif du patient et d’en apprécier
l’évolution, il n’en reste pas moins sensible à certaines
déformations, et ce d’autant plus qu’il s’agit de patients
phobiques sociaux. Ces déformations peuvent être liées
aux représentations que le sujet a de lui-même et surtout
à la désirabilité sociale, qu’on suppose en effet ici importante. On ne peut donc exclure le fait que les résultats aient
pu être influencés par une tendance à répondre positivement et conformément aux attentes du thérapeute. Aussi,
il serait intéressant d’utiliser, dans de futures études, en
1017
N. Camart et al.
plus de sa passation en auto, l’échelle de Liebowitz en
hétéro-évaluation et de comparer l’évolution des résultats
en pré et post-test de ces deux méthodes d’évaluation.
CONCLUSION
Cette étude confirme l’efficacité de la thérapie cognitivo-comportementale de groupe. Le protocole thérapeutique se révèle efficace tant sur les symptômes principaux
de la phobie sociale (anxiété sociale et évitements) que
sur d’autres aspects du fonctionnement psychique qui
n’ont pas été spécialement visés, comme la dépression,
l’estime de soi et l’anxiété plus globale. L’étude de cette
combinaison efficace des techniques d’exposition, de restructuration cognitive et d’affirmation de soi auprès d’un
grand nombre de patients devra cependant être évaluée
à plus long terme. Il faudra également, dans un travail ultérieur, reproduire cette étude en tenant compte des troubles de la personnalité associés à la phobie sociale.
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