L’Encéphale (2011) Hors-série 3, 9-11 Actualités sur le thermalisme Médecine thermale et troubles psycho-somatiques. Faits, preuves, hypothèses C.-F. Roques Service de médecine physique, CHU de Rangueil, Toulouse, France La médecine thermale est classiquement utilisée dans certains troubles psycho-somatiques. Ces dernières années des études cliniques ont abordé l’intérêt du service médical rendu et des études biologiques l’impact de cette thérapeutique sur les systèmes biologiques. On présente ici la synthèse de ces principales données. Faits La médecine thermale est utilisée depuis l’antiquité dans une optique sanitaire ; c’est à Hippocrate en effet que revient le mérite de la codification de la balnéothérapie. En France, les romains, dès le premier siècle avant JésusChrist, utilisèrent les sources d’eaux minérales en particulier chaudes, pour prendre en charge les maux physiques, principalement musculo-squelettiques, dont les légionnaires étaient porteurs. C’est à la fin du XVIIIe siècle que Théophile de Bordeu proposa une classification chimique des eaux minérales avec des indications préférentielles en fonction de la thermo-minéralité ; cette classification garde encore une réelle pertinence et sert de support à la classification des stations thermales en France et dans divers pays européens. La médecine thermale utilise les produits thermo-minéraux naturels (eaux de source, boues, vapeurs et gaz) validés par l’Académie Nationale de Médecine, mis en œuvre dans des établissements agréés Correspondance. Adresse e-mail : [email protected] (C.-F. Roques) © L’Encéphale, Paris, 2011. Tous droits réservés. par le Ministère de la Santé et reconnus par l’Assurance Maladie. Les soins consistent en : a) cures de boisson (absorption orale d’eau minérale en vue d’une action de type pharmacologique prépondérant) ; b) mise en contact des produits avec les tissus lésés (domaine respiratoire, dermatologique, gynécologique, digestive principalement) en vue d’une action directe sur les processus de cicatrisation ; et c) applications externes (bains, douches, applications de boue, utilisation des gaz) qui visent à une action non seulement physique (liée aux effets de la chaleur, de l’immersion notamment) mais aussi chimique (en rapport avec la minéralité de l’eau). L’hydrothérapie en psychiatrie s’est structurée, en France, au XIXe siècle avec les travaux de Henry Dagonet, mais elle avait déjà été recommandée dès le XVIIe siècle par Jean Foyer et au XVIIIe siècle par Pierre Pomme. Elle associe des soins thermaux proprement dits (bains, douches, massages sous affusion d’eau minérale, soins collectifs en piscine…) avec des soins complémentaires. Ces derniers consistent principalement en soutien psychologique, éducation thérapeutique, activités physiques, sans omettre l’importance du suivi médical ; 3 consultations avec le psychiatre durant les trois semaines de cure. Les domaines de recours à la cure thermale sont principalement l’anxiété, les états dépressifs, les douleurs chroniques (notamment diffuses comme dans le cas de la fibromyalgie), les sevrages, le stress, le burn out … 10 C.-F. Roques Preuves Elles concernent essentiellement la maladie dépressive, le trouble anxieux généralisé, la fibromyalgie, le burn out. La dépression a fait l’objet d’une étude qui montrait que les dépressifs étaient améliorés par la prise en charge en médecine thermale [3]. Elle a montré que dans le groupe thermal de 78 patients on observait une amélioration globale du score MADRS à 6 mois de 58 % alors que l’amélioration n’était que de 11 % dans le groupe des 31 patients témoins. Les patients du groupe thermal réduisaient leur consommation d’antidépresseurs de 14 % alors que la consommation dans le groupe témoin était augmentée de 25 %. Le trouble d’anxiété généralisé a fait l’objet d’une évaluation clinique rigoureuse dans le cadre d’un essai contrôlé avec tirage au sort et dans lequel on a pu enrôler des populations de patients dont l’effectif avait été préalablement calculé sur la base du critère de jugement principal [4]. On a pu observer ainsi une diminution significative du trouble anxieux mesuré par l’échelle de Hamilton à la 8e semaine dans le groupe thermal qui était comparé à un groupe de patients prenant de la paroxétine. Le taux de patients améliorés d’au moins 50 % était le double dans la population thermale et dans cette même population on observait 3 fois plus de guéris (Tableau 1). L’amélioration chez les patients répondeurs (i.e. présentant une diminution d’au moins 30 % du score de Hamilton) se maintenait au sixième mois. La réponse thérapeutique à la cure thermale était d’autant plus nette que le niveau d’anxiété était élevé et/ou qu’il existait une note dépressive concomitante. La prise en charge balnéothérapique de la fibromyalgie a fait l’objet de nombreux essais thérapeutiques contrôlés randomisés, réalisés essentiellement en médecine thermale. L’intensité de la douleur, le seuil douloureux, le nombre de sites douloureux à la pression, les capacités fonctionnelles sont ainsi améliorés de manière significative. Deux revues ou méta-analyses récentes permettent de retenir l’intérêt de cette approche thérapeutique ; selon les études, l’évidence est classée de modérée [6] à forte [7] et la balnéothérapie est proposée avec un niveau de recommandation de grade B par l’EULAR (European League Against Rheumatism). Tableau 2 Trouble anxieux mesuré par l’échelle de Hamilton à la 8e semaine Score d’anxiété p < 0,05 Groupe cure Groupe paroxétine Amélioré de 30 % au moins 83 % 57 % Améliorés de 50 % au moins 56 % 28 % Guéris (score < 7) 22 % 7% Une étude observationnelle récente a attiré l’attention sur l’intérêt de la médecine thermale pour améliorer le burn out lié au travail. On a, en effet, pu constater que des curistes pour motif rhumatologique et présentant des symptômes de burn out liés au travail voyaient ces symptômes améliorés de façon significative [2]. Cela a été objectivé en comparant les évaluations effectuées en début et en fin de cure. On a vu ainsi s’améliorer les quatre symptômes caractéristiques : fatigue, stress, motivation réduite, sommeil altéré. Cette amélioration a été également observée chez les sujets porteurs d’un burn out modéré (épuisement émotionnel) comme d’un burn out sévère (épuisement émotionnel avec insatisfaction et/ou détachement social). Hypothèses La balnéation notamment chaude rend le corps plus mobile par les effets de relâchement musculaire liés à l’apesanteur et à la chaleur qui se combinent pour agir sur le système de la proprioception (fuseau neuro-musculaire, organe tendineux de Golgi…) ; l’activation du contrôle de porte (gate control), la sécrétion de neuro-médiateurs endorphiniques peuvent également intervenir dans les sensations d’apaisement ressenties par les patients. Mais la balnéothérapie agit également sur les divers systèmes de défense de l’organisme : anti-oxydatif, anti-inflammatoire, neuro-endocrinien… globalement le système anti-stress est renforcé. Ainsi, on a pu observer une action favorable sur le système du transport de la sérotonine [8] ; une modification du taux des β-endorphines [1] des marqueurs salivaires du stress [9], des stéroïdes glucocorticoïdes salivaires [9], sériques [5], de la DHEA [5, 10], des hormones masculines [5]. Conclusions et perspectives Ainsi observations cliniques et données biologiques se combinent pour souligner l’intérêt de la médecine thermale dans la prise en charge d’affections invalidantes pour le patient : anxiété, état dépressif, douleurs diffuses chroniques, burn out. L’impact de ce traitement pourrait s’avérer tout à fait adapté face à la consommation médicamenteuse. Son efficacité pourrait justifier la construction de programmes de sevrage thérapeutiques de médications psychotropes, en particulier benzodiazépiniques. Plus largement le milieu thermal apparait sur le plan médical et humain comme un endroit privilégié pour l’évaluation et la prise en charge du stress de manière structurée, dans le cadre de véritables cliniques du stress. Conflits d’intérêt C.-F. Roques : aucun. Médecine thermale et troubles psycho-somatiques. Faits, preuves, hypothèses Références [1] [2] [3] [4] [5] Bellometti S., Galzigna L. Function of hypothalamic adrenal axis in patients with fibromyalgia syndrom undergoing mud pack treatment. Int J Clin Pharm Res 1999;19(1):27-33. Blasche G, Leibetseder V, Marktl W. Association of spa therapy with improvement of psychological symptoms of occupational burnout: a pilot study. Forsch Komplementmed 2010;17:132-6. Constant J, Boit J, Geindre D. Etude de l’efficacité de la cure thermale à Divonne dans l’indication de dépression. Divonne, Presse thermale et climatique, 1995. Dubois O, Salamon R, Germain C et al. Balneotherapy versus paroxetine in the treatment of generalized anxiety disorder. Complement Ther Med 2010;18:1-7. Jandova D, Bicikova M, Hill M et al. Health resort treatment improve the neurosteroid profile of thyroidectomized women. Endocr Regul 2008;42:17-22. [6] 11 Langhorst J, Musial F, Klose P et al. Efficacy of hydrotherapy in fibromyalgia syndrome--a meta-analysis of randomized controlled clinical trials. Rheumatology 2009;48:1155-9. [7] McVeigh JG, McGaughey H, Hall M et al. The effectiveness of hydrotherapy in the management of fibromyalgia syndrome: a systematic review. Rheumatol Int 2008;29:119-30. [8] Marazziti D, Baroni S, Giannaccini G et al. Thermal balneotherapy induces changes of the platelet serotonin transporter in healthy subject. Prog. Neuropsychopharmacol. Prog Neuropsychopharmacol Biol Psychiatry 2007;31(7):1436-9. [9] Toda M, Morimoto K, Nagasawa S et al. Changes in salivary physiological stress markers by spa bathing. Biomed Res 2006;27:11-4. [10] Wang JS, Chen SM, Lee SP et al. Dehydroepiandrosterone sulfate linked to physiologic response against hot spring immersion. Steroids 2009;74:945-9.