BRAF en oncologie dossier thématique Mutations activatrices de BRAF et potentiel thérapeutique dans les tumeurs humaines BRAF-activating mutations and therapeutic developments in human malignancies Olivier Mir* RÉSUMÉ définir un groupe de tumeurs ayant une sensibilité particulière aux récents inhibiteurs de BRAF. Le rôle de ces mutations pour prédire la sensibilité au vémurafénib dans les mélanomes métastatiques semble établi, mais reste incertain pour d’autres sous-types tumoraux. »»Les données récentes du développement clinique d’autres inhibiteurs de BRAF semblent indiquer que cette nouvelle classe de médicaments anticancéreux pourrait avoir un large spectre d’activité. Il reste cependant à établir si cette activité clinique est liée à l’inhibition de BRAF en elle-même ou à l’inhibition concomitante d’autres cibles. Summary »»Les mutations activatrices de BRAF pourraient permettre de * Oncologie médicale et pharmacologie clinique, groupe hospitalier CochinBroca-Hôtel-Dieu, AP-HP ; université Paris-Descartes, Sorbonne Paris Cité. 30 Recent data from early clinical trials of BRAF inhibitors suggest that this new class of anti-cancer drugs could have a broad spectrum of anti-tumour activity. Whether clinical activity is underlied by BRAF inhibition per se, or by the inhibition of other targets remains to be determined. Keywords: MAP-kinases – BRAF – Cancer – Mutation – Melanoma – Angiogenesis inhibitors. Mots-clés : MAP-kinases – BRAF – Cancer – Mutation – Mélanome – Antiangiogéniques. L’ BRAF-activating mutations may contribute to identify a group of tumours with a particular sensitivity to recent BRAF inhibitors. The role of such mutations in the prediction of response to vemurafenib in metastatic melanoma seems established, but remains to be demonstrated for other tumour types. intérêt pour le développement clinique d’inhibiteurs de BRAF n’est pas nouveau, même si les données disponibles dans le traitement des mélanomes sont récentes (cf. article de C. Robert et C. Mateus, p. 24). Historiquement, le développement thérapeutique d’inhibiteurs de la voie de signalisation de RAF a suivi la découverte du fait que RAF constituait un effecteur direct de RAS et de récepteurs de facteurs de croissance situés en amont de la voie des MAP-kinases, tels que le récepteur à l’EGF (1, 2). Par ailleurs, la découverte de mutations activatrices de BRAF (dans environ 7 % des tumeurs solides, tous types confondus ; cf. article de J.F. Émile, p. 20) a renforcé l’intérêt pour ces inhibiteurs dans les mélanomes métastatiques (près de 50 % des tumeurs), mais aussi dans les carcinomes papillaires de la thyroïde (40 à 50 %) et les cancers colorectaux (10 %) [3, 4]. Le sorafénib : premier inhibiteur historique de BRAF Le premier inhibiteur de BRAF dont l’activité clinique a été bien établie est le sorafénib (BAY43-9006, Nexavar®, Bayer Healthcare), développé à la fin des années 1990. Quatre essais de phase I ont permis de fixer la dose recommandée pour les essais de phase II (RP2D) à 400 mg × 2/j par voie orale, l’augmentation de l’exposition plasmatique au-delà de la RP2D étant infraproportionnelle à la dose (5). Les principaux effets indésirables observés étaient la diarrhée et la fatigue de grade 3 à 800 mg × 2/j, et la toxicité cutanée de grade 3 à 600 mg 2 × 2/j (5). Le fait que le sorafénib inhibe non seulement BRAF et CRAF, mais aussi les récepteurs au PDFG et au VEGF, a orienté son développement vers des indications où la voie du VEGF semblait critique, en particulier le car- Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. I - n° 1 - janvier-février-mars 2012 Mutations activatrices de BRAF et potentiel thérapeutique dans les tumeurs humaines cinome hépatocellulaire (CHC) et les cancers du rein métastatiques. Le sorafénib est à ce jour le seul traitement pharmacologique approuvé pour le traitement des CHC avancés ou métastatiques (6). Il est par ailleurs indiqué dans le traitement des cancers du rein avancés après échec d’un traitement préalable par cytokines (7), bien que des inhibiteurs plus spécifiques de la voie du VEGF semblent plus efficaces en deuxième ligne dans cette indication (8). Les données d’activité clinique obtenues en phase II sont également très prometteuses dans les cancers de la thyroïde différenciés (9, 10) et les ostéosarcomes (11), mais plus mitigées dans d’autres types tumoraux tels que les cancers bronchiques non à petites cellules et les sarcomes des tissus mous (12, 13) [tableau I]. Le fait que les caractéristiques moléculaires des tumeurs n’étaient pas prises en compte lors du choix des patients pourrait en partie expliquer ces résultats décevants. Par ailleurs, le sorafénib est caractérisé par une grande variabilité pharmacocinétique interindividuelle, ce qui suggère que certains patients pourraient être sous-exposés à la dose recommandée de 400 mg × 2/j (14). Par ailleurs, des résultats récents suggèrent également une variabilité intra-individuelle, avec une baisse de l’exposition au fil du temps (15), et une escalade de dose pourrait être nécessaire au moment de la progression (16). Enfin, l’activité du sorafénib dans ces différentes pathologies pourrait reposer sur l’inhibition d’autres cibles que BRAF. À titre d’illustration, on citera l’échec de son développement dans les mélanomes métastatiques et l’absence de corrélation entre l’activité et le statut mutationnel de BRAF dans cette indication (17, 18). Le vémurafénib : mélanomes métastatiques, et au-delà ? Le vémurafénib (PLX4032, R05185426, Zelboraf®, Roche) est un inhibiteur plus spécifique de BRAF, dont le développement en phase I a permis de définir une RP2D à Tableau I. Données d’activité (essais de phase II) du sorafénib dans diverses tumeurs solides. Type tumoral n Taux de réponse (%) Stabilisations (%) Survie sans progression (mois) Survie globale (mois) Cancers différenciés de la thyroïde (9) 41 15,0 56,0 15,0 (IC95 : 10,0-27,5) 23 (IC95 : 18,0-34,0) Cancers médullaires de la thyroïde sporadiques (10) 16 6,3 87,5 17,9 (IC95 : 8,0-non atteint) Non atteinte Sarcomes des tissus mous (13) 122 4,9 50,8 3,2 (IC95 : 2,5-3,7) 14,3 (IC95 : 12,2-19,2) Ostéosarcomes (11) 35 14,0 34,0 4,0 (IC95 : 2,0-5,0) 7 (IC95 : 7,0-8,0) Cancers bronchiques non à petites cellules (12) 25 12,0 24,0 2,8 (IC95 : 1,8-4,6) 8,8 (IC95 : 5,1-16,9) Tableau II. Vémurafénib : essais cliniques en cours (21). Identifiant Titre de l’étude Type d’étude Tumeurs concernées Critère principal de jugement Critères secondaires de jugement NCT01495988 Trial of vemurafenib with or without bevacizumab in patients with stage IV BRAFV600 mutant melanoma Phase II randomisée, Mélanomes BRAFV600 vémurafénib 960 mg × 2/j mutés vs vémurafénib 960 mg × 2/j + bévacizumab 15 mg/kg/3 semaines Survie sans progression Effets indésirables, survie globale, biomarqueurs d’efficacité NCT01531361 Vemurafenib and sorafenib in advanced cancer Phase I, vémurafénib (dose initiale : 240 mg × 2/j) + sorafénib (dose initiale : 200 mg × 2/j) Tumeurs BRAFV600 mutées Dose maximale tolérée Taux de réponse à 8 semaines NCT01524978 A study of vemurafenib in Phase II, vémurafénib patients with BRAF V600 960 mg × 2/j mutation-positive cancers Tumeurs solides et myélomes BRAFV600 mutés, sauf mélanomes et cancers papillaires de la thyroïde Taux de réponse à 8 semaines Survie sans progression, survie globale, taux de réponse à 3 mois, temps jusqu’à progression, durée de réponse, effets indésirables NCT01286753 A study of RO5185426 in Phase II, vémurafénib patients with metastatic 960 mg × 2/j or unresectable papillary thyroid cancer positive for the BRAF V600 mutation Cancers papillaires de la thyroïde BRAFV600 mutés Taux de réponse Survie sans progression, survie globale, durée de réponse, effets indésirables selon prétraitement par sorafénib ; pharmacocinétique Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. I - n° 1 - janvier-février-mars 2012 31 BRAF en oncologie dossier thématique 960 mg × 2/j (par voie orale), avec un profil de toxicité semblant plus favorable que celui du sorafénib (19). Son développement récent dans le traitement des mélanomes métastatiques BRAFV600 mutés est détaillé dans l’article de C. Robert et C. Mateus, p. 24. On notera que le vémurafénib est caractérisé par une importante variabilité pharmacocinétique interindividuelle (19), l’aire sous la courbe concentration-temps de 0 à 24 heures étant en moyenne de 1 741 ± 639 μmol/l.h, ce qui suggère, là encore, que certains patients pourraient être sousexposés à la dose standard de 960 mg × 2/j. Son activité est en cours d’évaluation, en combinaison avec d’autres agents (notamment les anti-VEGF) et en monothérapie dans les tumeurs solides (dont les cancers papillaires de la thyroïde, qui font l’objet d’une étude dédiée) BRAFV600 mutés (tableau II, p. 31). De façon notable, les inhibiteurs de RAF peuvent exercer un effet paradoxal (activation de la voie des MAPkinases) dans les tumeurs BRAF sauvages mais porteuses de mutations de RAS (20), ce qui souligne l’importance de la caractérisation des tumeurs au niveau moléculaire avant traitement. Cet effet semble aussi expliquer l’apparition de tumeurs cutanées (kératoacanthomes/ carcinomes épidermoïdes) sous traitement (21). Autres inhibiteurs de BRAF : moins sélectifs, aussi prometteurs Si les bons résultats du vémurafénib dans les mélanomes métastatiques porteurs de la mutation V600 de BRAF sont indéniables, les premiers résultats d’autres inhibiteurs moins sélectifs de BRAF sont également prometteurs. ✓✓ Le RAF265 (Novartis) est un inhibiteur multikinases ciblant BRAF mais aussi CRAF, C-Kit, VEGFR2 et PDGFRβ. Trente-neuf patients atteints de mélanomes BRAFV600 mutés, mais aussi 27 patients atteints de mélanomes BRAFV600 sauvages, ont été traités dans un essai de phase I dont les résultats ont été présentés au congrès de l’ASCO en 2011 (22). Les principales toxicités limitant la dose étaient l’élévation de la lipase, la diarrhée, la toxicité rétinienne et un épisode d’embolie pulmonaire. Sept cas de thrombopénie de grade 3-4 ont également été rapportés. La dose maximale tolérée était de 48 mg/j par voie orale. Les auteurs ont cependant rapporté 6 réponses partielles et 1 réponse complète. De façon intéressante, 2 des réponses partielles et la réponse complète étaient observées chez des patients dont la tumeur était BRAFV600 sauvage. Une cohorte d’extension de cette étude (NCT00304525) est actuellement ouverte (23). 32 ✓✓ Le RO5126766 (Roche) est un inhibiteur mixte de RAF et de MEK qui a été étudié dans un essai de phase I chez 52 patients (21 mélanomes, 10 cancers colorectaux) [24]. La dose maximale tolérée était de 2,7 mg/j per os, 1 semaine sur 2. Les principaux effets indésirables incluaient le rash, le flou visuel, la diarrhée et la toxicité musculaire (myosites cliniques et biologiques). L’activité antitumorale de cet inhibiteur mixte de RAF et de MEK était encourageante, avec 3 réponses chez des patients atteints de mélanomes (dont 2 BRAFV600 mutés et 1 NRAS muté) et 9 stabilisations (mélanomes et cancers colorectaux). ✓✓ Par analogie, le GSK2118436 (inhibiteur de RAF, GlaxoSmithKline) a été associé à un inhibiteur de MEK (GSK1120212) dans un essai de phase I chez 109 patients porteurs de tumeurs BRAFV600 mutées (dont 101 cas de mélanome) [25]. Le profil de toxicité comportait rash, diarrhée et asthénie. Les auteurs ont rapporté 47 réponses chez 71 patients naïfs de traitement antiBRAF, ainsi que 3 réponses partielles et 12 stabilisations chez les 24 patients prétraités par un inhibiteur de BRAF. Ces résultats suggèrent que l’inhibition combinée de BRAF et de MEK permettrait de contourner certains mécanismes de la résistance aux inhibiteurs de BRAF. Le GSK2118436 est actuellement en cours de développement en phase II, notamment dans les cancers bronchiques non à petites cellules (NCT01336634), les mélanomes (NCT01153763) et d’autres types tumoraux (NCT01231594), tous BRAFV600 mutés. ✓✓ Le régorafénib (BAY 73-4506, Bayer Healthcare) est un autre inhibiteur multikinases ciblant BRAF (sauvage et muté), CRAF, C-Kit, RET, TIE-2, VEGFR2-3, FGFR1, PDGFRβ et MAP-kinase p38 (26). Deux schémas d’administration ont été déterminés en phase I : 160 mg/j 3 semaines sur 4 et 100 mg/j en continu (27, 28). De façon remarquable, 2 réponses partielles RECIST ont été observées avec le premier schéma (1 cancer du rein et 1 ostéosarcome). Les toxicités limitant la dose étaient la fièvre, l’hyperkératose palmoplantaire (assez semblable à celle observée sous sorafénib) et la leucopénie. Les effets indésirables incluaient également la diarrhée, le rash, l’asthénie et l’hypertension artérielle. Les données de phase II sont prometteuses, en particulier dans les cancers du rein (non traités au préalable) [29], avec 31 % de réponses partielles et 50 % de stabilisations. Des résultats intéressants (69 % de stabilisations) ont également été observés en deuxième ligne chez des patients atteints de CHC prétraités par sorafénib (30). Des études de phase II et III sont en cours dans divers types tumoraux (cancers colorectaux notamment), en monothérapie ou en association Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. I - n° 1 - janvier-février-mars 2012 Mutations activatrices de BRAF et potentiel thérapeutique dans les tumeurs humaines avec des schémas de chimiothérapie conventionnels (NCT01103323, NCT01298570, NCT01289821). Enfin, une étude de phase II récente a évalué le schéma intermittent (160 mg/j, 3 semaines sur 4) chez 34 patients atteints de GIST en progression après un traitement par imatinib et sunitinib (31). Dix-neuf des 22 patients évaluables avaient une maladie contrôlée (réponse ou stabilisation) après 16 semaines de traitement. Les réponses et les stabilisations étaient observées chez des patients dont la tumeur portait ou non des mutations des exons 9 ou 11 de KIT. Un essai de phase III randomisé contre placebo (NCT01271712) est en cours de finalisation, et pourrait confirmer la place du régorafénib en troisième ligne de traitement des GIST. Des résultats préliminaires indiquent par ailleurs que les inhibiteurs de BRAF en monothérapie ont une activité limitée dans les cancers coliques BRAF mutés, probablement du fait de l’activation d’EGFR, suggérant que la combinaison d’un inhibiteur de BRAF et d’un inhibiteur d’EGFR permettrait de lever cette résistance (32). Conclusion Les inhibiteurs de BRAF, plus ou moins sélectifs, représentent une classe émergente de thérapeutiques anticancéreuses non seulement dans le traitement des mélanomes BRAFV600 mutés, mais aussi dans de nombreuses autres indications. Démontrer que l’activité du médicament est liée à l’inhibition de BRAF et non à celle d’une ou de plusieurs autres cibles est cependant délicat, et l’optimisation du développement ultérieur de ces drogues passera nécessairement par des études de biomarqueurs tumoraux, mais aussi par des études pharmacocliniques, compte tenu du profil pharmacocinétique de ces médicaments. ■ Conflit d’intérêts. Le Dr O. Mir est membre d’un advisory board pour les laboratoires Roche et a été consultant ponctuel pour les laboratoires Roche, Bayer, Pfizer et Servier. L’auteur n’a pas de conflit d’intérêts en rapport direct avec le présent travail. Références 1. Chong H, Vikis HG, Guan KL. Mechanisms of regulating the Raf kinase family. Cell Signal 2003;15:463-9. 2. 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