Sous la responsabilité de son auteur n° 47 fiche technique Carina Peyrin-Biroulet*, Nathalie Wirth*, Laurent Peyrin-Biroulet**, Yves Martinet* Sevrage tabagique et MICI : comment s’y prendre ? * Unité de coordination de tabacologie, service de pneumologie, hôpital de Brabois, Vandœuvre-lès-Nancy. ** Service d’hépato-gastroentérologie, CHU de Nancy. ou d’un antidépresseur (5). La même équipe a pu montrer en 2009 qu’une faible consommation tabagique (1 à 10 cigarettes par jour) était suffisante pour être associée à une évolution péjorative dans la MC (6). L’une des premières étapes consiste à interroger le patient systématiquement et à chaque consultation sur une éventuelle consommation tabagique avant de l’orienter vers une consultation de tabacologie et/ou vers Tabac Info Service (39 89 et/ ou www.tabac-info-service.fr/). Les traitements applicables à la population générale, non atteinte de MICI (maladie inflammatoire chronique de l’intestin), sont bien entendu extrapolables aux patients avec une MICI. Les grandes étapes à respecter sont décrites ci-dessous (2). Évaluer la consommation tabagique du patient Il faut préciser l’âge de début du tabagisme, une durée, la quantité totale de tabac fumé (nombre de paquets-années), les tentatives de sevrage antérieures, la quantité fumée actuellement, et ne pas négliger l’exposition au tabagisme passif, car la fumée libérée à l’extrémité d’une cigarette est plus toxique que celle qui est inhalée directement par le fumeur. Il faut également mesurer le taux de monoxyde de carbone (CO) dans l’air expiré, une mesure simple, non invasive et reproductible. Une consommation associée de tout autre produit psychotrope doit être dépistée (cannabis, alcool, etc.). Évaluer la motivation à l’arrêt et construire une stratégie avec le fumeur S’assurer que le patient connaît les pathologies liées au tabac est indispensable, mais finalement peu efficace. Il est important de distinguer 4 types de fumeurs selon le schéma de Prochaska (figure 1) : F I C H E À D É T A C H E R L a fumée de tabac possède un effet délétère bien connu sur l’histoire naturelle de la maladie de Crohn (MC), alors qu’elle possède un effet protecteur au cours de la rectocolite hémorragique (RCH) [1]. Le sevrage tabagique permet notamment de réduire la fréquence des poussées, de diminuer le recours à la chirurgie et de diminuer le risque de récidive postopératoire dans la MC (1). L’intérêt d’un sevrage tabagique est donc évident au cours de la MC et doit faire partie intégrante du traitement à proposer à ces malades, 50 % des patients atteints de MC étant des fumeurs actifs. Dans la RCH, il faut également encourager les patients à arrêter toute intoxication tabagique en raison du risque de cancers liés au tabac (poumon, sphère ORL, œsophage, vessie, pancréas, etc.) et du risque de maladies cardiovasculaires et bronchopulmonaires chroniques (2). En France, chaque année, environ 73 000 personnes décèdent d’une maladie due à leur consommation tabagique (3). Un fumeur qui fume toute sa vie a 1 chance sur 2 de décéder d’une affection liée au tabac. La dépendance liée au tabac est essentiellement due à la présence de nicotine dans la fumée de cigarette (2). Près de 3/4 des sujets fumeurs souhaitent arrêter de fumer, et, chaque année, 40 % d’entre eux arrêtent de fumer pendant au moins 1 journée (4).Toutefois, peu de patients réussissent à arrêter sur le long terme en raison de la dépendance nicotinique, et les rechutes sont fréquentes. Les taux de réussite d’un sevrage à long terme varient de 2 à 37 % sous placebo et de 3 à 49 % avec les traitements substitutifs nicotiniques, selon les études (2). L’équipe de Saint-Antoine a pu montrer, lors d’une étude d’intervention, que 59 sur 474 patients (12 %) avec une MC avaient pu stopper toute intoxication tabagique pendant une durée minimum de 1 an grâce à une consultation de tabacologie avec, si nécessaire, la prescription de patchs nicotiniques et/ La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue • Vol. XV - n° 4 - juillet-août 2012 | 193 Rechute Action f i c h e t e c h n i q u e Maintien Préconsidération ration Prépa Considération Préconsidération Act io n Considération Préparation Figure 1. Schéma de Prochaska : modèle en spirale des différentes étapes de changement de comportement au cours d’une dépendance (adapté d’après Wirth et al. [7]). Considération Préparation Action Conseil minimal Renforcement de la motivation Information sur le sevrage Sevrage Analyser les envies de fumer et expliquer la dépendance On peut s’aider du test de Fageström (tableau) pour évaluer la dépendance nicotinique. Le plaisir ressenti par le fumeur et lié à la libération immédiate de dopamine renforce son comportement : rapidement, il apprend à rechercher la quantité de nicotine dont il a besoin, en contrôlant très précisément la dose qu’il s’administre. Puis il fumera pour retrouver les effets agréables de la nicotine et également pour éviter les effets désagréables liés à son manque. Les principales situations qui incitent à fumer sont les suivantes : cigarettes rituelles (cigarette après le repas, cigarette à la pause sur le lieu de travail, etc.), convivialité (prise de café et d’alcool), dépression, recherche de stimulation intellectuelle, gestion du stress (anxiété) et cigarettes mécaniques (consommation sans envie ni raison apparente). La conduite à tenir dépend de la situation (schéma de Prochaska) Préconsidération rappeler qu’il est bénéfique pour sa santé d’arrêter, en l’invitant à en reparler ultérieurement (conseil minimal : stade de préconsidération) ; ➤➤ le fumeur qui réfléchit à l’arrêt mais n’envisage pas de passer à l’action dans l’immédiat, qu’il faut encourager en l’informant sur les bénéfices de l’arrêt, les traitements disponibles et le déroulement pratique du sevrage (stade de considération) ; ➤➤ le fumeur qui souhaite arrêter et se considère prêt, à qui il faut proposer un traitement de sevrage (stade d’action) ; ➤➤ le fumeur qui envisage une action dans les prochains mois et/ou a tenté une action sans réussite dans l’année écoulée (stade de préparation). La stratégie sera adaptée au stade de Prochaska (figures 2 et 3). Une réduction de la consommation avec prescription de substituts nicotiniques peut amener le fumeur à un arrêt définitif et peut donc être discutée dans certains cas. Figure 2. Arbre décisionnel : conduite à tenir face à un fumeur (adapté d’après Wirth et al. [7]). Fumez-vous ? Oui Non E R 2 Avez-vous déjà fumé ? A C Voulez-vous arrêter de fumer ? H Conseil minimal 1 Non T Oui Non À D É Oui Renforcer la motivation à l’arrêt Prévenir les rechutes Pas d’intervention C H E Prise en charge adaptée et personnalisée F Figure 3. Arbre décisionnel : algorithme pour la prise en charge du tabagisme (adapté d’après Wirth et al. [7]). I n ° 47 ➤➤ le fumeur heureux qui n’envisage pas d’arrêter, à qui il faut Achèvement 194 | La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue • Vol. XV - n° 4 - juillet-août 2012 Items Réponses Nombre de points Dans les 5 premières minutes 3 Entre 6 et 30 minutes 2 Entre 31 et 60 minutes 1 Après 60 minutes 0 Avez-vous du mal à ne pas fumer lorsque c’est interdit (église, bibliothèque, cinéma, etc.) ? Oui 1 Non 0 Quelle est la cigarette que vous détesteriez le plus perdre ? La première, le matin 1 Une autre 0 10 ou moins 0 11 à 20 1 21 à 30 2 31 ou plus 3 Fumez-vous davantage les premières heures après le réveil que pendant le reste de la journée ? oui 1 Non 0 Fumez-vous si vous êtes malade et alité la majeure partie du jour ? Oui 1 Non 0 Quand fumez-vous votre première cigarette après votre réveil ? Combien de cigarettes fumez-vous par jour ? Interprétation du score 0-2 Dépendance faible ou nulle à la nicotine 3-4 Dépendance faible 5 Dépendance moyenne 6-7 Dépendance forte 8-10 Dépendance très forte Identifier les craintes à l’arrêt et répondre aux inquiétudes des fumeurs Il faut évaluer par une échelle analogique leurs chances de réussite (habituellement jugées comme assez faibles par les patients), et aussi interroger le patient sur les motifs d’échec (peur de l’échec, crainte de la prise de poids, etc.). Proposer les traitements disponibles et prescrire un traitement adapté dans une approche empathique Approches cognitivo-comportementales, avec éventuellement une prescription médicamenteuse, en privilégiant, en première intention, un traitement substitutif nicotinique (patchs, comprimés à sucer, gommes à mâcher, inhaleur) et, en seconde intention, de la varénicline, un agoniste partiel des récepteurs à la nicotine (Champix®). Prévenir les rechutes et les intégrer dans la démarche d’arrêt Les rechutes sont très fréquentes et doivent servir à renforcer la stratégie comportementale du patient pour les tentatives ultérieures de sevrage. Il faut prévenir et informer le fumeur sur les principales circonstances de rechute et envisager des stratégies de prévention adaptées à chaque situation. Conclusion En respectant des règles simples et une prise en charge individuelle adaptée, un sevrage tabagique peut être obtenu dans environ un quart des cas (7). Récemment, une méta-analyse a démontré qu’une meilleure formation des professionnels de santé impliqués dans le sevrage tabagique était efficace (8). Face à ce véritable problème de santé publique, on peut donc agir. Le tabagisme n’est pas une fatalité ! ■ 1. Lakatos PL, Szamosi T, Lakatos L. Smoking in inflammatory bowel diseases: good, bad or ugly? World J Gastroenterol 2007;13:6134-9. 2. Martinet Y, Bohadana A, Wirth N, Spinosa A. Le traitement de la dépendance au tabac : guide pratique. Paris : Elsevier Masson SAS, 2007. 3. Hill C. Épidémiologie du tabagisme. Rev Prat 2012;62:327-9. 4. Benowitz NL. Nicotine addiction. N Engl J Med 2010;362:2295-303. 5. Cosnes J, Beaugerie L, Carbonnel F, Gendre JP. Smoking cessation and the course of Crohn’s disease: an intervention study. Gastroenterology 2001;120:1093-9. 6. Seksik P, Nion-Larmurier I, Sokol H, Beaugerie L, Cosnes J. Effects of light smoking consumption on the clinical course of Crohn’s disease. Inflamm Bowel Dis 2009;15:734-41. 71es Journées scientifiques de l’AFEF 7. Wirth N, Bohadana A, Spinosa A, Martinet Y. Tabagisme et maladies respiratoires. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Pneumologie, 6-020-A-50, 2009. 8. Carson KV, Verbiest ME, Crone MR et al. Training health professionals in smoking cessation. Cochrane Database Syst Rev 2012;5:CD000214. Agenda 3 au 6 octobre 2012, CORUM, Montpellier Service de presse : Vivactis Public Relations Houney Touré Valogne, Brigitte Barron Ligne directe : 01 46 67 63 55 Port. : 06 10 80 72 96 Standard : 01 46 67 63 44 Mail : [email protected] F I C H E À D É T A C H E R Références bibliographiques La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue • Vol. XV - n° 4 - juillet-août 2012 | 195 f i c h e t e c h n i q u e n ° 47 Tableau. Test de Fageström : évaluation de la dépendance à la nicotine.