Quelques résultats des travaux menés sur la variabilité génétique chez la perdrix grise r › INTRODUCTION v Un travail de recherche a été mené par le Laboratoire de Zoogéographie de l'Université de Montpellier, sur la variabilité génétique de la Perdrix grise, à la demande de l'Office National de la Chasse. Les méthodes d'analyses couramment employées par ailleurs sur des espèces animales par des laboratoires de recherche spécialisés ont ainsi été appliquées à cette espèce. La question posée était de savoir si on pouvait mettre en évidence des particularités génétiques chez les perdrix grises des Pyrénées qui les distinguent des perdrix grises de plaine. Ce travail a répondu positivement à cette question. Il a également montré quels pouvaient être les apports et les limites de travaux de ce type pour les gestionnaires de la faune. Des confirmations devront être apportées en multipliant les échantillons et en recherchant le maximum de précisions biologiques et écologiques sur les populations étudiées. Un rappel de définitions de termes génétiques employés dans ce texte est sans doute nécessaire au non spécialiste pour comprendre les résultats présentés: Gènes Les gènes sont les supports des caracteres d'un individu. Ils lui sont transmis par ses parents. Par exemple, le caractère de couleur de la lleur «Belle de nuit» est porté par un gène qu'on peut appeler le gène «couleur de la lleur››. Locus Dans chaque cellule d'un organisme, les gènes sont portés par les chromosomes. La position qu'ils occupent sur ces chromosomes est appelée locus; c'est le lieu où ils se trouvent. Les chromosomes étant en double dans chaque cellule, chaque caractere est représenté par deux gènes. Dans notre exemple, le caractère de la lleur est donc supporté par deux gènes. Hllèle Ces deux gènes peuvent être identiques ou de type différent. On appelle allèle, ces différents types d'un même gène. Les genes situés sur un même locus sont des allèles. Dans notre exemple, le gène «couleur de la lleur» comporte deux allèles R et B. Génotype Les deux gènes supportant un même caractère forment le génotype cle l'individu pour ce caractère. Dans notre exemple, les génotypes seront de trois types: RR, RB ou BB. Une fleur aura, pour le caractère couleur, un génotype RR, RB ou BB. Phénoty-pe L'expression, ou réalisation, d'un génotype est appelé phénotype. Dans notre exemple, les individus présenteront trois phénotypes différents: 0 couleur rouge (génotype RR), 0 couleur rose (génotype RB), 0 couleur blanche (génotype BB). Population C'est la collectivité la plus élémentaire au sein de laquelle les échanges genétiques sont absolument libres et constants (Dobzhansky, 1952). Exemple les «Belles de Nuit» d'une même serre. l Polymorphisme allélique Si cette population présente une fréquence élevée du taux de présence de chacune des allèles, ici R ou B, on dira qu'elle présente un taux de polymorphisme allélique élevé (par exemple: 45% de R et 55% de B). A l'inverse, si les proportions étaient de 98% de R et 2% de B, on aurait une population à faible taux de polymorphisme allélique, puisqu'il n'y aurait praliquement que l'allèle R qui serait représenté. Polymorphisme génotypique Si cette population présente une fréquence élevée du taux de présence de cha~ cun des génotypes, ici RR, RB ou BB, on dira qu'elle présente un taux de polymorphisme génotypique élevé (par exemple: RR = 30% _ RB = 35% - BB = 35%). A l'inverse, une population présentant cles proportions de 96% pour le génotype RR, 2% pour RB et 2% pour BB, serait presque monomorphe et son taux de polymorphisme génotypique, faible. G. CHANTREL Photo O.N.C. B.M. O.N.C. N°113. Mai 1987 11 PROBLÉMATIQU1: La Perdrix grise est présente dans les plaines de toute la partie Nord de la France et en montagne dans les Pyrénées et dans les Alpes. On peut considérer qu'au Nord d'une ligne Bordeaux-Genève, la Perdrix grise est présente partout, alors qu'en altitude elle n'existe que dans certains secteurs limités. L'aire de répartition géographique de cette espece est donc discontinue et, qui plus est, elle présente des îlots bien séparés, en particulier dans la chaîne Pyrénéenne. Cette répartition particulière peut correspondre à des compositions génétiques différentes entre les diverses populations de perdrix grises. On serait alors en présence de «souches» présentant chacune des caractéristiques génétiques particulières. On a cherché à mettre en évidence l'existence de ces différences dans la mesure ou si elles existent vraiment, elles devront être prises en compte dans la gestion de l'espece; il faudrait veiller à ce que des souches locales ne disparaissent pas et il serait souhaitable d'éviter l'introduction d'oiseaux «étrangers» au sein d'une souche et en particulier éviter le lâcher d'oiseaux d'élevage. Uétude qui a été entreprise se propose de déterminer l'existence éventuelle: - d'une différenciation génétique des populations des Pyrénées, c'est-à-dire une évolution, que l'on retrouverait dans les gènes, différente entre les perdrix des Pyrénées et celles de plaines. telle que la Beauce, par exemple. Cette différenciation génétique pourrait alors être la conséquence de l'isolement géographique des populations montagnardes; - d'une pollution génétique, c'està-dire l'introduction d'allèles étrangers dans une population, celle-ci serait la conséquence de l'introduction d'oiseaux de repeuplement issus d'élevage; ~ d'une réduction du polymorphisme génétique (voir définition) comme conséquence de la diminution des effectifs. Hautes-Pyrénées (SS): 25 individus provenant de la commune de LuzSaint-Sauveur en 1983. Ariège (}lS).' 9 individus provenant de la commune d'Ascou en 1982. Pyrénées orientales (PO): Z9 individus provenant de la commune de Mantet en 1982 et 1983. Elevage (SB).' 25 individus provenant de l'élevage de Saint-Benoist (78) de l'Office National de la Chasse en 1982. Sur chaque animal, des morceaux de muscle et de foie ont été prélevés et utilisés pour cette étude. Le travail a porté sur l'Z locus différents, parmi les plus couramment utilisés dans ce type d'étude. Les techniques utilisées pour séparer les différents allèles ne sont pas présentées ici. On pourra en trouver une description dans le document intitulé: 0 variation géographique de la diversité génétique chez la perdrix grise (1985), disponible auprès de l'auteur ou du Service Documentation de l'Office National de la Chasse*. RÉSULTATS Différence entre les populations Les résultats obtenus par les différentes méthodes citées ci-dessus sont concordants entre eux. Ils permettent de séparer le groupe de montagne pyrénéen du groupe formé par la population de Beauce et d'élevage. L'axe l qui posséde une inertie relative de 77% sépare le groupe des Pyrénées, du côté négatif de l'axe, du groupe BC-SB du côté positif. La position de l'échantillon d'1-\scou AS, situé du côté des Pyrénées, mais assez éloigné des deux autres échantillons pyrénéens PO et SS, est probablement due à la taille de l'échantillon. Une grande communauté génétique existe entre la population d'élevage de Saint-Benoist et celle de Beauce, suggérant que l'essentiel de l'élevage des perdrix de Saint-Benoist provient de la Beauce. Toutefois, la présence de deux allèles rares mais uniques a SaintBenoist pourrait être le témoin d'un apport «étranger» dans cet élevage. Plusieurs méthodes d'analyse des données ont été utilisées: ~ distance et identité génétiques de Nei, 0 F. statistiques de Wright, 0 analyse factorielle des correspondances appliquées aux effectifs alléliques, aux effectifs génotypiques et aux génotypes individuels. Le poids des différents gènes dans cette différenciation interpopulationnelle a été classé par ordre d'importance. Une analyse factorielle des correspondances montre que cette différenciation est essentiellement due à trois locus génétiques (EST-2, EST 4mu, 1-\AT-2) sur les l'I étudiés. Leur description pourra également être consultée dans ce même document. Introduction d'oiseaux de repeuplement L'examen détaillé des résultats obtenus au locus EST-2 montre qu'il existe dans l'ensemble des cinq * G.F.S. vol. 3, Mars 1986. Axe 2 (6%l 4 ZA // /// Z / // \ \ \ + \ BC › Am 1 (77%) _/ \ l"'_\\ SB + Description de Pétude Celle-ci a porté sur 5 populations de perdrix jugées différentes: Beauce (BC): 50 individus provenant d'un même territoire en 1982. 12 Fig. 1. - Représentation par A.T.D. ( 1) de la matrice des distances génétiques. (1) A.T.D.: Analyse factorielle d'un tableau de distance: c'est la représentation dans un plan de nuage de points formés à partir de la matrice des distances entre uindividusu. 1 l Population d'élevage 0 _ ,__ ra *r i :› 4-_ i \\\ /°' %_ .Pc È] Anne 87 . '/ Anne 93 Apports de la génétique Auele 100 à la gestion des populations de gibier _ Auele 107 Al/èles ségrégeant au locus EST-2 dans les cinq populations (surfaces proportionnelles aux fréquences alléliques). Fig. 2. Structure génétique au locus Est-2 Sur fond de carte: Répartition de la perdrix grise en France d'après Birkan (1979) populations, quatre allèles différents a ce locus (fig. 2). 1 i L'allèle 87, absent à Ascou et quasi absent à Luz-Saint-Sauveur (fréquence de 2%), est au contraire abondant dans l'échantillon de Beauce (37%) et dans celui d'élevage (35%). Dans ce cas, la question est posée de savoir si on peut le considérer comme marqueur des oiseaux de plaine? Un argument de poids est sa présence dans l'échantillon des P.O. (12%) uniquement chez les individus qui pourraient être issus d'un croisement avec un oiseau lâché, d'après les informations communiquées par le technicien de l'O.N.C. ayant effectué les prélèvements sur le terrain. Si l'absence de cet allèle est confirmée dans d'autres populations de montagne où il n'y a eu aucun lâcher, sa présence dans les P.O. indiquerait la participation d'oiseaux de plaine ou d'élevage à la reproduction du stock sauvage, modifiant par la-même son originalité. Ce point mériterait donc d`être confirmé dans l'avenir. Niveau de polymorphisme génétique Une réduction de la diversité génétique est significative dans l'échantillon d'élevage. Par contre, l'échantillon de Beauce est parfaitement équilibré, ce qui signifie qu'il n'y a pas de consanguinité. L'étude génétique montre que l'essentiel des fondateurs de cette population provenait principalement de Beauce et révèle l'existence de deux témoins d'apports beaucoup plus ponctuels d'oiseaux étrangers. La réduction significative de la diversité génétique observée uniquement dans cette population pourrait s'interpréter par une modification des modalités d'accouplement due aux conditions d'élevage. Cette hypothèse serait à vérifier par une étude éthologique. Dans les échantillons des Pyrénées, aucune réduction n'apparaît significative malgré l'isolement de ces populations d'altitude et l'échantillonnage qui comprend, notamment dans les P.O. quelques oiseaux appartenant très probablement aux mêmes compagnies. Une analyse des génotypes au sein de ces compagnies nous a montré que des échanges d'individus sont possible entre elles. CONCLUSION Populations pyrénéennes Les populations pyrénéennes de perdrix se différencient des exemplaires sauvages de Beauce par la présence de 3 allèles particuliers et une modification des fréquences alléliques à 4 locus polymorphes. Elles ne constituent cependant pas un ensemble homogène: chacune des populations échantillonnées dans les Pyrénées Orientales, l'Ariège et les Hautes-Pyrénées manifeste une certaine originalité. Dans la population des Pyrénées Orientales, une contamination génétique du stock naturel par des individus de repeuplement a été avancée en hypothèse. Population de Beauce Cette population apparaît génétiquement équilibrée puisqu'aucun locus ne montre de déséquilibre significatif. L'étude génétique réalisée se révèle performante pour: - estimer le degré de différence entre populations c'est-a-dire évaluer leur originalité; - estimer la diversité génétique des élevages destinés au repeuplement; - mettre en évidence une éventuelle participation à la reproduction en milieu naturel des individus de lâcher, c'est-à-dire évaluer la contamination génétique qu'ils provoquent dans les populations sauvages; elle peut confirmer, en outre, que les échanges d'individus entre compagnies ne sont pas exceptionnels, par la recherche des relations de filiation à l'aide des marqueurs électrqphorétiques, à condition de disposer d'un minimum de polymorphisme. Les performances d'une telle analyse sont considérablement accrues quand on possède des informations biologiques, écologiques et éthologiques sur les populations étudiées. Nous avons le plaisir de remercier MM. F. Biadi, M. Catusse, R. Garrigues, R. Menaut et C. Novoa, de l'O.N.C. ainsi que M. E. Pelard et les chasseurs des communes de Luz-Saint-Sauveur, Ascou et MantetPy pour leur contribution à la collecte des échantillons. Cette étude a bénéficié du soutien financier du M.U.L.: convention 218-1982 et de l'O.N.C.: convention 1984 et 1985. F. BLANC, P. LEDEME, Ch. BLANC Laboratoire de Zoogéographie Université Montpellier 3 - BP. 50/13 F - 34032 Montpellier Cédex 13