Présentation d`nn crftne défor

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Présentation d'nn crftne défor;
d'Aynrara
par J. R . F. COLETTE., Dr. Sc.
Le cráne d'Aymara que j'ai l'honneur de vous présenter ce jour a
été rapporté d'Amérique par notre distingué collégue, le Dr. Rouma.
Monsieur P. Minnaert de la Section d'Archéologie Américaine des
Musées Royaux d'Art et d'Histoíre m'en a trés obligeamment confié
l'étude ; je l'en remercie ici bien cordialement.
Ce cráne est celui d'une femme ágée ; les molaires sont tombées
et le tissu alvéolaire est fortement résorbé.
Ce cráne est d'abord remarquable par son métopisme, qui est
complet (1). Les sinuosités de la suture métopique bien que trés fines
sont encore nettement visibles. La suture métopique de ce cráne est
située sensiblement dans le prolongement de la suture sagittale, tandis
qu'en général il arrive plus fréquemment qu'elle se trouve légérement
déplacée á droite, et plus rarement á ganche ; ce cas exceptionnel
semblant d'aillcurs correspondre avec une anomalie du fonctionnement
cérébral.
Alors que la suture sagittale se trouve logée dans une dépression,
la suture inétopique chevauche sur une créte médio - frontale, vestige
probable de la caréne métopique effacée par I'aplatissement des frontaux,
qui laissent encore cependant deviner les bosses frontales. Dans la région proximale du nregma, les frontaux se renflent en un bourrelet qui
ourle plus ou moins la suture coronale.
La norme verticale est sphénoYdale ; son indice longueur-largeur
(77, 27) est Bous - dolichocranien. La norme occipitale est pentagonale
son indice largeur-hauteur (101, 46) est acrocranien. Quant á la norme
latérale elle est élevée ; malgré l'aplatissement des frontaux, elle reste
hypsieranienne avec un indice longueur-hauteur de 76, 40. Sa créte
temporale est faiblement accusée ; les bosses pariétales sont également
bien marquées.
L'angle gnathique (basion-prosthion-nasion) mesure 70°, c'est-á-dire
que ce cráne se trouve á la limite du prognathisme et du mesognathísme.
(1) Le métopisme est le phénoméne caractérisé par la persistance de la suture frontale appel€e aussi suture métopique.
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sociÉ i é. ROVALE BELGE D 'ANTHROPOLOGIE ET DE PRÉHISTOIRE
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Tablean des mensurations d'un cráne déformé de femme Aymara.
Mensurations :
en millímétres.
A.) Diamétre antéro-postérieur.
B.) » transverse maximum.
C.) » basilo-bregmatique.
D.) » frontal minimum.
E.) » stéphanique.
F.) Bizygomatique.
H.) Ligne naso-alvéolaire.
1.) Ligne basilo-alvéolaire.
J.) » basilo-nasale.
K.) » basilo-lambdoide.
L.) » basilo-iniaque.
M.) » basilo-opisthiaque.
N.) Diamétre transverse du trou occipital.
O.) Hauteur du nez.
P.) Largeur du nez.
Q.) Hauteur de l'orbite.
R.) Longueur de l'orbite.
176.
136.
138.
88.
108.
132.
79.
91.
98.
121.
79.
38.
2860.
28,
41.
38.
De minuscules os wormiens chevauchent sur la suture lambdoide. L'indice fronto-pariétal est métriométope aves une valeur de 67, 40 ; quant
á ]'indice frontal stéphanique (81, 48), il est microséme.
Le nez est allong_é ; son indice (46, 66) classe le cráne parmi les
leptorhiniens.
Les orbites sont hautes ; leur indice extériorise une hypsiconchie
de 92, 68. Les arcades sourciliéres sont assez peu accusées sauf dans la
région glabellaire oú elles sont un peu plus épaisses.
Enfin, ]'indice facial supére atteint une valeur leptoprosope de
59, 84.
Ce cráne est encore plus remarquable par la déformation intentionnelle qu'on lui a fait subir lorsque l'individu était trés jeune.
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d'un crfMe défol;
d'Aymara
par J. R. F. COLETTE., Dr. Se.
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Présentation
Le cráne d'Aymara que j'ai l'honneur de vous présenter ce jour a
été rapporté d'Amérique par nutre distíngué collégue, le Dr. Rouma.
Monsieur P. Minnaert de la Section d'Archéologie Américaine des
Musées Royaux d'Art et d'Histoire m'en a trés obligeamment confié
i'étude ; je ]'en remercie ici bien cordialement.
Ce cráne est celui d'une femme ágée ; les molaires sont tombées
et le tissu alvéolaire est fortement résorbé.
Ce cráne est d'abord remarquable par son métopisme, qui est
complet (1). Les sinuosités de la suture métopique bien que trés fines
sont encore nettement visibles. -La suture métopique de ce cráne est
située sensiblement dans le prolongement de la suture sagittale, tandis
qu'en général il arrive plus fréquemment qu'elle se trouve légérement
déplacée á droite, et plus rarement á gauche ; ce cas exceptionnel
semblant d'aillcurs correspondre aves une anomalie du fonctionnement
cérébral.
Alors que la suture sagittale se trouve logée dans une dépression,
la suture inétopique chevauche sur une créte médio - frontale, vestige
probable de la caréne métopique effacée par l'aplatissement des frontaux,
qui laissent encore cependant deviner les bosses frontales. Dans la région proximale du nregma, les frontaux se renflent en un bourrelet qui
ourle plus ou moins la suture coronale.
La norme verticale est spliénordale ; son indice longueur-largeur
(77, 27) est sous - dolichocranien. La norme occípitale est pentagonale ;
son indice largettr-hauteur (101, 46) est acrocranien. Quant á la norme
latérale elle est élevée ; malgré l'aplatissement des frontaux, elle reste
hypsicranienne aves un indice longueur-hauteur de 76, 40. Sa créte
temporale est faiblement accusée ; les bosses pariétales sont également
bien marquées.
L'angle gnathique (basion-prosthion-nasion) mesure 70°, c'est-á-dire
que ce cráne se trouve á la limite du progna.thisme et du mesognathisme.
(1) Le métopisme est le phénomi?ne caractérisé par la persistance de la suture frontale appel€e aussi suture métopique.
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SOC IÉTÉ ROYALE BELGE D'ANTHROPOLOGIE ET DE PRÉIIISTOIRE
Parmí tous les étres vivants, l'anthrope (') semhle vouloir se singulariser coinme le plus capricieux. Parfois certaines catégories d'animaux, en présence d'un danger imminent, se mutilent au point de s'amputer
l'un o.u l'autre membre par réflexe défensif : c'est le phénoméne d'autotomie bien connu chez les lézards, les orvets, les acrídiens, les crustacés,
etc. Mais dans l'exécution de cet acto rapide, aucune de ces bétes ne
parait obéir á des modes comparables á celles des anthropes ; rnodes
que nous trouvons ridicules du mornent qu'elles n'appartiennent pas á
notre siécle, á notre génération, á notre année, á la derniére saison
sinon au dernier batean, ou bien dés qu'elles sont l'apanage d'un autre
continent, d'un pays étranger, d'une région différente, d'un víllage plus
ou moins éloigné ou tout simplement du sexe, dime classe sociale, d'une
chapelle oit méme d'une maison qui ne soit pas nótre.
Qui expliquera jamais le processus compliqué de ces modes qui parfoís
sont remarquables par leur cóté pratique, mais qui plus souvent encore
sont douloureuses ou génantes, ou en tout cas assez rarement agréables
en dehors de la satisfaction d'un vague snobísme.
Certaines ethnies se mutilent simplement la peau ou méme se contentent
de la colorer ; d'autres s'introduisent des accessoires plus ou moins
esthétiques dans le prépuce, dans les nymphes, dans le repli du nombril,
dans le lobo des- oreilles, dans le septum ou dans les ailes du nez,
dans l'une ou l'autre lévre sinon aux deux, dans les commissures de
la bouche, etc. 11 en est qui se líment les dents, les découpent en
formes diverses ou méme se les extirpent. Enfin, quelques-uns se déforment ]'un ou l'autre organe par des mutilations plus ou moins importantes et notamment par des compressions.
Parmi ces derniéres rnodes, l.'une des plus remarquables est certainement la déformation cranienne. Peut-étre a-t-elle obéi, au rnoins au
début, á certaine nécessíté de la thérapeutie empírique ou bien simplement á des couturnes magiques? 11 est trés difficile de se prononcer.
Certains peuples ont appelé 1'aplatissement du front la « déformation
du courage ». Les Chinuks tic réduisaient pas, probablement pour ce
motif, les prisonniers qu'ils avaient capturés, lorsqu'ils s'apercevaient
que ceux-ci avaient la téte déformée.
La déformation cranienne est connue depuis trés longtemps ; la déformation des « macrocéphales » avait attiré l'attention d'Hippocrate et
d'Hérodote ; elle avait aussi frappé Aristote, Pline et Strabon.
(1) J'emploie le terme anfhrope pour désigner 1'entité générique dont l'homme n'est
que le représentant mole et la femme te représentant femelle. Le terme homme pris dans
son sens général n'est qu'une des formes spéciales de 1' anihropocentrisme oil le sexe
mále a voulu se tailler orgueilleusement la place d'honneur.
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Ce cráne que je vous presente, n'est pas le seul que le Dr. Rouma
ait rapporté de son voyage en Amérique. 11 fait partie d'une série de
seize cranes déformés, dont six présentent également une suture métopique compléte.
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Ordinairement ces cránes d'Aymaras sont déformés dés Penfance
surtout chez les garcons dont la téte est ainsi allongée d'une facon
extraordinaire.
[,'examen de ces cranes montre plusieurs espéces de déformations
la premiére qui est la plus fréquente, consiste en le rejet de la tete en
arriére par compression des frontaux et par contrepression sous-occipitale. La deuxiéme forme consiste en le rejet du cráne en arriére mais
sans contrepression sous-occipitale ; le cráne est couché presque horizontalement. Enfin la troisiéme forme consiste en une simple compression
frontale qui donne au cráne l'apparence d'un ceuf dont le gros bout
serait situé á l'occiput.
Cette derniére forme rappelle la déformation des macrocéphales du
Caucase ou de Crimée.
P
Les déformations craniennes existaient déjá chez les Aymaras du
Haut Pérou avant la fondation de l'empire des Incas par les Quichuas.
Mais la déformation cranienne longitudinale n'est pas la seule qui ait
été observée au Pérou. La race conquérante d'Ancon, apparentée vraisemblablement aux Nahuas de la Floride, aux Toltéques du Mexique, aux
Natchez du Mississipi et aux Totonaques des lles Sacrificio, pratiquait,
comme tous ces derniers d'aileurs, la déformation cranienne par aplatissement d'arriére en avant. D'autres ethnies ont aussi pratiqué cette déformation cranienne tranversale, pouvant elle méme présenter de fréquentes variantes.
Toutefois c'est la déformation longitudinale qui semble avoir eu la
plus grande vogue. On en retrouve des traces chez les Papous des
Nouvelies-Hébrides et notamment dans les lles Malicolo ; en Europe, chez
les anciens Normands, chez les Toulousains et á 1'Ile de Marcken, dans
les Pays-Bas. Enfin, en Afrique, la déformation longitudinale est connue,
chez certains Tchadiens et au Congo Belge chez les « ma Ngbetu » et
chez les « ma Kére ».
Cette déformation longitudinale, obtenue d'ailleurs selon les différents
pays par des méthodes diverses, ne peut étre un argument bien solide
en faveur du contact ou des migrations des ethnies qui Pont pratiquée.
Cependant il n'est pas douteux, dans certains cas bien établis, que des
ethnies apparentées racialement ou simplement voisines dans le temps
ou 1'espace se la sont transmise par tradition.
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Si, dans d'autres cas, il n'y a pas eu tradition dans le temps
contact dans l'espace, l'apparition de la méme coutume obtenue par d
procédés différents semble une fois de plus étayer la théorie de l' « Uni
de l'esprit anthropique », dont les manifestations identiques doivent ét
nécessairement détermínées par des facteurs semblables.
Les différents aspects de la question techníque des déformatior
craniennes ont été trés bien étudiés au cours de ces derniéres année
par le Professeur J. Immelloni. En revanche un détail sur lequel ]'al
tention n'a pas été, á mon avis, suffisamment attirée, c'est la répercussios
de cette déformation sur le métopisme ou persistance de la suture frontale
Comme je l'ai dít tantét, sur seize cránes déformés d'Aymaras, si>
présentent un métopisme complet et un le métopisme partiel : c'est-á.
dire que sur cette petite série (malheureuseinent trop faible pour en
tirer des conclusions catégoriques) une proportion de 37 11/,, présente un
métopisme complet contre 6 avec le métopisme partiel. Les cránes
de cette série sont tour adultes et certains appartiennent á des individus
morts á un áge trés respectable.
Pour terminer je tiens aussi á faire la remarque que, aussi bien en
Amérique qu'en Afrique les ethnies pratiquant la déformation cranienne
longitudinale se distinguent des populations immédiatement voisines par
leur plus grande intelligence, Cette déformation n'apparait done pas
comme une opération néfaste pour la longévité ni pour le fonctionnement cérébral. Elle constitu.e donc une couturne trés intéressante, ínoffensive, que les autorités coloniales d'Afrique doivent plutót protéger
que contribuer á ¡aire disparaitre par l'un ou l'autre moyen ; nos magnifiques « ma Ngbetu » doivent par la fiére allure de leur téte pouvoir
inspirer encore longtemps, j'espére, le pinceau ou le ciseau de nos
artistes modernes.
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