HYGIENE ET PRÉVENTION DES INFECTIONS DANS LES ÉTABLISSEMENTS DE SOINS POUR PERSONNES AGÉES LA PRISE EN CHARGE DU PATIENT INFECTÉ 3.1 Le dépistage des patients à risque d’infection nosocomiale ou de portage de bactéries multirésistantes E DÉPISTAGE DES PATIENTS À RISQUE d’infection no- L socomiale ou de portage de bactéries multirésistantes Les personnes âgées sont particulièrement exposées aux infections nosocomiales et ceci d’autant plus qu’elles sont dans un état de dépendance. Lors d’enquêtes de prévalence (1), les taux d’infections nosocomiales sont par exemple de 2,9 % chez les patients non dépendants, de 8,8 % lors de dépendance moyenne, de 38,2 % lors de dépendance importante, de 50 % lors de dépendance totale. Ces infections nosocomiales évoluent sur des modes endémique ou épidémique : il s’agit soit d’infections d’origine endogène, liées à des bactéries sélectionnées à partir de la flore résidente, soit d’infections d’origine exogène, liées à des bactéries le plus souvent manuportées. La prévalence des bactéries multirésistantes (BMR) dans les infections nosocomiales fait de certains établissements de moyen et long séjour ou de rééducation, de véritables réservoirs de BMR, réservoirs constitués par des sujets infectés, colonisés* ou porteurs*. Une politique de prévention des infections nosocomiales dans des services de patients dépendants nécessite un dépistage des sujets à risque. Il s’agit : • d’identifier les patients particulièrement à risque d’acquérir une infection nosocomiale • d’identifier les patients susceptibles « d’héberger » des bactéries multirésistantes. Les objectifs d’un tel dépistage sont la prévention de l’infection et la prévention de la dissémination des BMR. Qui dépister ? Tableau XIV - Patients à risque d’acquisition de bactéries multirésistantes. 352 De nombreuses études (1,2,3,4) ont permis l’identification des facteurs de risque d’infections nosocomiales et des facteurs de risque de colonisation* par des BMR. Il convient de dépister donc de dépister les patients porteurs de ces facteurs de risque (Tableau XIV). W INGARD (3) a étudié pendant deux ans les risques de colonisation par des bacilles à Gram né- gatif résistants, chez des personnes âgées en institution, à partir de prélèvements d’urine, de peau, du périnée et des mains du personnel ; les facteurs de risque de colonisation sont le statut « non ambulatoire », le niveau de dépendance élevé, la présence d’une sonde urinaire, la durée de séjour supérieure à un an. Les facteurs de risque de colonisation croisée au sein de l’établissement par ces bactéries sont le degré de dépendance, la présence d’une sonde urinaire, le statut « non ambulatoire », l’incontinence fécale et/ou urinaire. Quelques soient les BMR, des facteurs de risque communs sont retrouvés chez la plupart des patients ; certaines bactéries sont cependant plus spécifiques de tel ou tel site : bacilles à gram négatif (entérobactéries ßLSE, Acinetobacter, P. aeruginosa) dans les infections urinaires tandis que Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (SARM) prédomine dans les infections cutanées. Risques liés à l’hôte • sévérité de la pathologie sous-jacente (néoplasie, chirurgie lourde, diabète, dénutrition...), • présence de matériel invasif : cathéter veineux, sonde urinaire, sonde gastrique, trachéotomie, jejunostomie, colostomie...), • antibiothérapie à large spectre antérieure, • âge élevé. Risques liés à une probabilité accrue de contacts contaminants et de gestes invasifs • patients dépendants et/ou grabataires, • incontinence urinaire et ou fécale, • durée du séjour élevée, Risques liés au contexte épidémique • patient venant d’un service endémique pour une BMR (réanimation, service de brûlés, chirurgie, maison de retraite ou autre service selon l’épidémiologie locale), • patient antérieurement porteur d’une BMR, • voisin de chambre d’un patient infecté, colonisé ou porteur, • sujet contact voire tous les patients du service si situation endémique dans le service. HYGIENES - 1997 - VOLUME V - N°6 LE DÉPISTAGE DES PATIENTS À RISQUE D’INFECTION NOSOCOMIALE OU DE PORTAGE DE BACTÉRIES MULTIRÉSISTANTES Quand dépister ? ◆ L’identification d’un patient à risque d’infection nosocomiale se fait dès l’entrée par l’histoire du patient et l’examen clinique (5). Elle impose la prise des mesures de prévention et l’application stricte des règles d’hygiène de base. ◆ L’identification d’un patient susceptible d’héberger une bactérie multirésistante est plus complexe. Dans une situation de prévalence élevée, l’idéal pour la prévention de la dissémination des BMR est le dépistage de chaque entrant et son isolement en attendant les résultats. Les contraintes de l’architecture hospitalière (absence ou nombre insuffisant de chambres seules) et les contraintes économiques imposent de cibler les patients. ◆ Si on se réfère aux données de la littérature, on peut proposer un dépistage systématique à l’entrée pour certains patients, tandis que le dépistage se fera au cours du séjour pour les autres selon les risques individuel ou collectif (Tableau XV). Le rythme de la réalisation des prélèvements bactériologiques est très discuté et n’a pas fait l’objet d’un consensus. Le portage* d’une BMR peut être très long (plusieurs mois) ou intermittent. Un malade dont les prélèvements se sont apparemment négativés, peut redevenir colonisé quelques jours ou semaines plus tard. Il est donc primordial de maintenir l’information du personnel par la signalisation des antécédents de BMR sur le dossier du patient. On peut proposer l’attitude suivante : • pour un patient porteur d’une BMR, il est impératif d’avoir deux prélèvements négatifs à 72 heures d’intervalle avant de lever l’isolement. Le suivi ultérieur du statut bactériologique devra être réalisé à un rythme à adapter au cas par cas, par exemple hebdomadaire pendant un mois puis mensuel afin de dépister précocement une recolonisation. • en cas de persistance d’une situation endémique dans un service, un dépistage systématique plus fréquent de tous les patients peut être justifié. Comment dépister ? Le dépistage des patients infectés, colonisés ou porteurs se fait par des prélèvements bactériologiques ciblés. Dans un souci de cohérence, d’économie et d’efficacité, il est indispensable de connaître les réservoirs naturels humains des BMR (Tableau XVI) et d’organiser ce dépistage en collaboration avec le bactériologiste afin cibler les recherches et d’adapter les milieux de culture utilisés au laboratoire. Dans tous les cas, il faut chercher le portage au niveau du réservoir principal, rechercher des colonisations asymptomatiques au niveau de réservoirs secondaires (urines, plaies) et éventuellement rechercher des infections en fonction des signes cliniques. HYGIENES - 1997 - VOLUME V - N°6 Dépistage du SARM Dépistage dès l’entrée • le portage doit être essentiellement recher• patient venant d’un service à risque, d’un service endémique, ché au niveau nasal. • patient antérieurement porteur, colonisé ou inL’écouvillonnage nasal fecté par une BMR, permet l’identification • patient présentant un risque élevé : présence de de 60 à 85 % des porplaie, escarre, sonde urinaire, trachéotomie, multeurs. Une amélioration tiples antibiothérapies antérieures, de la sensibilité peut se • politique du service : dans le cas d’épidémie ou de forte endémie. faire en associant des prélèvements au niveau Dépistage durant le séjour du périnée. • signes cliniques ou paracliniques d’infection, • des plaies (plaie opéra• voisin de chambre d’un sujet infecté, colonisé ou toire, escarres), peuvent porteur, constituer un réservoir : • sujets de chambres adjacentes si deux cas sont leur prélèvement doit reconnus chez des patients proches sur le plan être systématique. géographique, • ensemble de patients présents dans l’unité si plus • une colonisation par du de deux cas sont identifiés ou si deux cas survienSARM est éventuellenent chez des patients hospitalisés dans des ment à rechercher au chambres éloignées, niveau des urines (ban• patient ayant des antécédents de colonisation ou delettes urinaires posiportage de BMR. tives, patient sondé) ou dans les expectorations Tableau XV Propositions de (surinfection bronchique ou de trachéotomie). dépistage des • une infection par du SARM est à rechercher au nipatients susceptibles veau des sites infectés en fonction de la clinique. d’être infectés, Dépistage des entérobactéries roductrices de ßLSE colonisés ou porteurs de BMR. Le portage doit être recherché par une bactériologie des selles et/ou un écouvillonnage rectal. Une colonisation peut être recherchée au niveau des urines (bandelette urinaire positive, patient sondé), au niveau des crachats (en cas de surinfection bronchique ou de trachéotomie) ou au niveau des plaies (escarres, plaie opératoire). Une infection est à rechercher au niveau des sites infectés en fonction de la clinique. Bibliographie 1 - MULIN B, TALON D, VIEL JF, et al. Risk factors for nosocomial colonisation with multiresistant Acinetobacter baumannii . Eur. J. Clin. Microbiol. Inf. Dis. 1995, 14: 569576. 2 - CAIRE J, LEMOINE D, BLIT JN, et al. Les leçons d’une enquête de prévalence des infections nosocomiales et des escarres dans un centre de long séjour. Hygiènes 1995, 11, 32-34. 3 - WINGARD E, SHLAES JH, MORTIMER EA, et al. Colonisation and cross-colonization of nursing home patients with trimethoprim-resistant gram negative bacilli. Clin. Inf. Dis. 1993, 16, 75-81. 4 - LEISTEYUO T, OSTEBLAD M, TOIVONEN P, et al. Colonization of resistant faecal aerobic gram negative bacillii among geriatric patients in hospital and the community. J. Antimicrob. Chemother 1996, 37, 169-173. 5 - EDMOND M, WENZEL R, PASCULLE W.Vancomycin-resistant Staphylococcus aureus: perspectives on measures needed for control. Ann. Intern. Med 1996, 124, 329-334. SARM • Muqueuses : nez, périnée ++ • Peau : aisselles ++ • Plaies, escarres ++ • Urines Entérobactéries productrices de ßLSE • Tube digestif ++ • Urines ++ • Périnée ++ • Escarres, plaies Tableau XVI Réservoirs de BMR : SARM et entérobactéries sécrétrices de ßLSE. 353 HYGIENE ET PRÉVENTION DES INFECTIONS DANS LES ÉTABLISSEMENTS DE SOINS POUR PERSONNES AGÉES Lexique AFNOR biofilm Association Française de Normalisation. Association ayant pour mission de coordonner les programmes de normalisation en France et d’encourager la diffusion et l’application des normes. Ensemble de micro-organismes et de leurs sécrétions macromoléculaires qui sont présents sur la surface d’un matériau (Association pour la Prévention et l’Étude de la Contamination). antisepsie bionettoyage Opération au résultat momentané permettant, au niveau des tissus vivants, dans la limite de leur tolérance, d’éliminer ou de tuer les micro-organismes et/ou d’inactiver les virus, en fonction des objectifs fixés. Le résultat de cette opération est limité aux micro-organismes présents au moment de l’opération (AFNOR NF T 72 101). Procédé de nettoyage, applicable dans une zone à risques, destiné à réduire momentanément la biocontamination d’une surface. Il est obtenu par la combinaison appropriée d’un nettoyage, d’une évacuation des produits utilisés et des salissures à éliminer, de l’application d’un désinfectant. cas acquis antiseptique Selon AFNOR NF T 72 101, un antiseptique est un produit ou un procédé utilisé pour l’antisepsie dans des conditions définies. Si le produit ou le procédé sont sélectifs, cela doit être précisé. Ainsi, un antiseptique ayant une action limitée aux champignons est un antiseptique à action fongicide. Le caractère acquis d’une bactérie multirésistante peut être affirmé si un dépistage systématique à l’entrée dans un service a été réalisé et si celui-ci est négatif. La découverte d’une telle bactérie au cours du séjour plus de 48 à 72 heures après l’admission chez un patient antérieurement négatif laisse présumer que la bactérie a été acquise par transmission au cours du séjour. bactéricide Produit ou procédé ayant la propriété de tuer les bactéries dans des conditions définies (AFNOR, Comité Européen de Normalisation). Produit ou procédé ayant la propriété d’inhiber momentanément les bactéries dans des conditions définies (AFNOR). Le caractère importé depuis un autre établissement d’une bactérie multirésistante peut être affirmé si un dépistage systématique à l’entrée du patient dans le service a été réalisé et si celui-ci est positif. La découverte d’une telle bactérie chez un patient moins de 48 à 72 heures après l’admission laisse présumer que la bactérie a été transmise antérieurement par rapport au séjour actuel. biocontamination colonisation (colonisé) Contamination d’une surface (biologique ou inerte) ou d’un fluide par des micro-organismes véhiculés par l’air (contamination aéroportée ou aérobiocontamination), par des êtres vivants (la contamination par contact avec les mains en est la modalité majeure) ou par les objets. (Association pour la Prévention et l’Étude de la Contamination) Présence d’une bactérie dans un site qui en est normalement exempt, mais cette bactérie n’est responsable d’aucun symptôme local ou général d’infection ; exemple : présence d’une bactériurie isolée à Staphylococcus aureus dans les urines sans aucun signe d’infection urinaire. bactériostatique 364 cas importé HYGIENES - 1997 - VOLUME V - N°6 désinfectant nettoyage Produit ou procédé utilisé pour la désinfection, dans des conditions définies. Si le produit ou le procédé est sélectif, ceci doit être précisé. Ainsi, un désinfectant ayant une action limitée aux champignons est désigné par : désinfectant à action fongicide (AFNOR NFT 72 101). Opération d’élimination des salissures (particulaires, biologiques, liquide,...) avec un procédé faisant appel dans des proportions variables les unes par rapport aux autres, aux facteurs suivants : action chimique, action mécanique, temps d’action de ces deux paramètres et température. désinfection nettoyage-désinfectant ◆ Opération au résultat momentané permettant d’éliminer ou de tuer les micro-organismes et/ou d’inactiver les virus indésirables portés par des milieux inertes contaminés, en fonction des objectifs fixés. Le résultat de cette opération est limité aux micro-organismes présents au moment de l’opération (AFNOR NFT 72 101). L’usage du terme « désinfection » en synonyme de « décontamination » est prohibé. Produit présentant la double propriété de détergence et de désinfection (Société Française d’Hygiène Hospitalière). ◆ Terme générique désignant toute action à visée antimicrobienne, quel que soit le niveau de résultat, et utilisant un produit pouvant justifier in vitro des propriétés autorisant à le qualifier de désinfectant ou d’antiseptique. Il devrait logiquement toujours être accompagné d’un qualificatif et l’on devrait ainsi parler de : • désinfection des dispositifs médicaux (= du matériel médical) • désinfection des sols, • désinfection des surfaces par voie aérienne, • et même désinfection des mains ou d’une plaie (Société Française d’Hygiène Hospitalière et Comité Européen de Normalisation). ◆ Élimination dirigée de germes destinée à empêcher la transmission de certains micro-organismes indésirables, en altérant leur structure ou leur métabolisme indépendamment de leur état physiologique (CEN) HYGIENES - 1997 - VOLUME V - N°6 porteur (portage) Présence d’une bactérie dans un site où sa présence est habituelle sans qu’elle soit responsable d’infection ; exemple : présence de Staphylococcus aureus dans les narines ou dans d’entérobactéries dans les selles. précautions standard Ensemble des précautions d’hygiène qui s’appliquent à tout patient sans tenir compte de l’existence d’une éventuelle infection. Ces précautions intègrent la protection du personnel vis à vis des liquides biologiques, la prévention des accidents d’exposition au sang et les bonnes pratiques d’hygiène visant à limiter la transmission des micro-organismes hospitaliers lors des soins. Les précautions standard concernent l’hygiène des mains, les techniques de soins, le nettoyage et la désinfection du matériel de soins, l’entretien des locaux , de la vaisselle et du linge, la prévention des accidents d’exposition aux liquides biologiques dont le sang. L’application des précautions standard est indispensable à l’efficacité d’une politique de contrôle des infections nosocomiales. 365