Devenez ce que vous recevez

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Basilique de Saint Laurent sur Sèvre — Dimanche 2 avril 2017
Devenez ce que vous recevez
Introduction
Nous allons réfléchir aujourd'hui sur la communion, ce moment de la célébration eucharistique vers lequel nous
marchons en procession : ce déplacement physique devrait être accompagné à chaque fois d'un déplacement
intérieur, comme on le fait comprendre aux enfants lors de leur première communion. Est-ce toujours le cas ?
N'avons-nous pas, au fil de nos communions successives, cédé à la routine et à la banalité ?
Le mot "communion" lui-même nous parle-t-il encore ? Il y a dans ce mot le préfixe "com" qui induit une idée de
partage : qu'est-ce que je partage en venant communier, et avec qui ? Il y a aussi le mot "union" : qu'est-ce qui est
uni ?
Regardons une procession de communion ordinaire dans nos paroisses : observons celui qui "distribue" (quel
vilain mot, à moins qu'il ne s'agisse d'une triste réalité !) et ceux qui reçoivent : assistons-nous à un partage et à
une union ? Nous savons beaucoup nous quereller sur la façon de recevoir le pain consacré, nous en parlons
souvent avec agressivité ou ironie, nous cherchons à rabaisser l'autre : et l'on en vient plus à se tourner le dos
qu'à partager, on est plus dans la désunion que dans la communion.
Il me revient alors un refrain qui a bercé mes premières communions : « J'ai reçu le Dieu vivant, et mon cœur est
plein de joie ! » Si nous pouvions, dans ces quelques instants de méditation, retrouver la fraîcheur de ces paroles
en reprenant conscience de ce qui nous est donné dans ce moment de grâce !
I – Communier : devenir un avec Jésus
Depuis notre première communion, nous avons entendu ce genre de phrases : « Nous recevons Jésus en nous… Il
vient demeurer dans nos cœurs ». Nous chantons encore « Devenez ce que vous recevez» ou « Tu fais ta demeure
en nous, Seigneur ». Mais est-ce que nous réalisons bien ce que cela signifie en profondeur ?
Revenons alors aux paroles mêmes de Jésus : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi
en lui » (Jn 6,56)… Demeurez en moi, et moi en vous (Jn 15,4) ». Si nous réfléchissons à ces paroles, nous
comprenons qu'il y a dans la communion une prise de possession réciproque. Jésus s'empare de nous, et nous
nous emparons de lui, ou pour le dire comme saint Jean-Paul II : « Chacun de nous reçoit le Christ, mais aussi le
Christ reçoit chacun de nous » (Ecclesia de Eucharistia n°22). Ce don réciproque suppose un dessaisissement
réciproque : je me laisse saisir comme Lui se laisse saisir; Il y a consentement mutuel à se laisser envahir par
l'autre, et sans ce consentement, rien ne pourrait se faire. Mais là où Jésus va jusqu'au bout de l'amour en se
laissant entièrement "manger" par nous, nous, pécheurs, n'arrivons jamais à nous laisser complètement saisir. Et
c'est bien pourquoi c'est toujours à refaire ; c'est bien pourquoi il nous faut souvent revenir communier. Nous
comprenons mieux ici la parole du pape François dans La Joie de l'Évangile : « L'eucharistie n'est pas un prix
destiné aux parfaits, mais un généreux remède et un aliment pour les faibles » (Evangelii gaudium n°47). Là où
Jésus réussit parfaitement à s'unir à nous, nous n'arrivons qu'imparfaitement à nous unir à Lui. Toujours nous
gardons en nous quelque chose qui ne veut pas se livrer, et c'est pourquoi à chaque communion, nous avons à
demander cette grâce d'un dessaisissement de nous-mêmes qui ne se réalisera totalement que dans l'au-delà :
« La communion eucharistique, disait Jean-Paul II, nous est donnée pour nous rassasier de Dieu sur cette terre,
dans l'attente que cette faim soit entièrement comblée au ciel » (Mane nobiscum Domine n° 19).
L'invitation nous est donc sans cesse lancée : « Devenez ce que vous recevez : devenez Christ ! » Si chacun de nous,
après avoir communié, pouvait déjà prendre conscience de cela : maintenant, je suis Christ ! Ou bien avec les
mots de saint Paul : « Ce n'est plus moi qui vis ; c'est le Christ qui vit en moi » (Ga 2,20)… Non pour en tirer orgueil,
mais pour convertir radicalement la manière de nous respecter nous-mêmes et d'entrer en relation avec les
autres.
II – Communier : devenir un avec les autres
Mais alors, si je regarde ceux qui viennent de communier avec moi, eux aussi sont devenus Christ. Ce Christ qui
est en moi se reconnaît en chacun d'eux. Or, il n'y a qu'un Christ, et donc, ceux que je regarde font un avec moi
puisqu'ils font un avec lui. Avez-vous pris le temps quelquefois de cette forme de prière qui consiste à contempler
dans le visage des autres celui de Jésus ? Et donc forcément à les reconnaître comme membres du même Corps.
Voilà encore des refrains que nous chantons : « Nous formons un même Corps, nous qui avons part au même
pain » ou bien : « Nous sommes le Corps du Christ ; chacun de nous est un membre de ce Corps »… En ce sens,
communier au Christ construit l'unité de l'Église. Vous connaissez tous la métaphore du Corps que saint Paul a
développée au chapitre 12 de sa 1ère lettre aux Corinthiens : l'unité des divers membres pour former un seul
corps, c'est dans la communion eucharistique qu'elle se fonde et s'accomplit. C'est ce qu'affirmait Paul lui-même :
« Puisqu'il y a un seul pain, la multitude que nous formons est un seul corps » (1 Co 10, 17). A son tour, saint Jean
Chrysostome disait : « Qu'est donc ce pain ? C'est le Corps du Christ. Que deviennent ceux qui le reçoivent ? Le
Corps du Christ, non pas plusieurs corps, mais un seul Corps. En effet, comme le pain est tout un bien qu'il soit
constitué de multiples grains, …] de la même manière, nous sommes unis les uns aux autres et nous sommes unis
tous ensemble au Christ » (cité en EdE n°23). Et Jean-Paul II d'en conclure que « l'eucharistie renforce
l'incorporation au Christ qui se réalise dans le baptême par le don de l'Esprit » (EdE n° 23).
« Et ce don, ajoute-t-il, accomplit avec une surabondante plénitude tous les désirs d'unité fraternelle qui habitent
le cœur humain » (Ibid. n°24). C'est nous rappeler qu'on ne peut pas communier sans reconnaître en chaque
homme et femme de ce monde un frère ou une sœur à aimer, à commencer par ceux avec qui nous communions.
Le grand mystique Maurice Zundel disait cela avec puissance, et je vous demande de bien l'entendre :
« L'eucharistie, il ne faut jamais l'oublier, cette Présence communautaire par la Communauté, dans la
Communauté, pour la Communauté, cette Présence est un appel constant à l'universel. On ne peut pas prendre la
communion pour soi tout seul. On communie toujours avec les autres, pour les autres, […] pour que personne ne
soit abandonné, […] pour que toute détresse ressuscite à l'espérance, pour que tout malade éprouve un
soulagement, pour que tous enfin se sentent appelés, entourés et que, s'ils passent de cette vie à l'invisible, nous
ayons communié pour eux et qu'ils aient communié à travers nous » (Ta Parole comme une source, p.295).
Vous voyez que notre communion a une dimension qui nous dépasse infiniment puisque nous unissant à Jésus,
elle nous unit à tous les hommes, jusqu'à « ces plus petits qui sont mes frères » comme Jésus l'a dit lui-même,
mais au-delà encore à tous ceux qui nous ont précédés auprès de lui, à l'Église du ciel. Si parfois nous ne savons
pas trop de quoi demander pardon dans nos confessions, voilà une question à nous poser : quand je communie,
suis-je bien dans un esprit de communion fraternelle avec tous ? Saint Augustin a eu cette phrase bien claire :
« Notre Seigneur a consacré sur la table le mystère de notre paix et de notre unité. Celui qui reçoit le mystère de
l'unité sans être dans les liens de la paix ne reçoit pas son mystère pour son salut : il reçoit un témoignage qui le
condamne » (Cité en EdE n° 40).
III – Communier pour une humanité transfigurée :
« Pain rompu pour un monde nouveau… »
Il est important de comprendre que la communion qui nous unit à Jésus et entre nous n'est pas destinée à nous
enfermer dans notre communauté. Comme l'indiquait Maurice Zundel dans le passage que je vous ai lu il y a un
instant, elle élargit notre cœur aux dimensions de l'humanité ; mais elle nous appelle aussi à déployer notre vie au
service de cette humanité. On comprend ainsi pourquoi saint Jean, dans son Évangile, n'a pas relaté l'institution
de l'eucharistie, mais le lavement des pieds, avec la même parole de conclusion : « Faites ceci en mémoire de
moi ». La communion a donc nécessairement une dimension d'engagement au service de tous, puisqu'elle nous
unit au Christ qui n'est pas venu « pour être servi, mais pour servir et donner sa vie pour la multitude » (Mt 20,28).
Je ne veux pas anticiper sur ce que vous dira dimanche prochain le P. Olivier Gaignet concernant la dimension
missionnaire de l'eucharistie. Mais je voudrais simplement vous aider à saisir combien la communion doit nourrir
notre engagement de disciples. Communier, disait Jean-Paul II, « implique l'engagement de transformer la vie
pour qu'elle devienne, d'une certaine façon, totalement eucharistique » et il parlait même de « transfiguration de
l'existence » (EdE n°20). Il faut donc que non seulement nous prenions conscience de cette unité avec Jésus et
entre nous dont nous avons parlé, mais que nous travaillions résolument à la réaliser dans nos couples, dans nos
familles, dans nos quartiers, sur nos lieux de travail, dans nos associations, et bien entendu dans nos
communautés où elle devrait pourtant aller de soi.
Le temps de prière silencieuse qui suit normalement nos communions devrait être à la fois un temps d'action de
grâce pour le don inouï qui nous est fait, mais aussi (et c'est peut-être une pratique à mettre en œuvre) un temps
de promesse au Seigneur : ce que tu viens de me donner, où, comment vais-je aujourd'hui, cette semaine, le faire
fructifier ? Où vais-je porter mes efforts pour faire avancer avec toi le Royaume ? Ou, comme nous y invite le
pape François, dans quelle "périphérie" vais-je porter mes pas ? Sans cet engagement pour une humanité
transfigurée, nos communions sont stériles ; nous sommes comme les sarments unis au cep mais qui ne portent
pas de fruits, ou comme cet homme à qui on avait remis une somme à faire fructifier mais qui l'a enfouie. Nous
savons ce qu'à chaque fois, Jésus nous a dit à ce sujet, et nous devons, à chacune de nos communions, demander
la grâce de nous engager pleinement au service de l'humanité pour, comme l'a dit Jean-Paul II, « construire un
monde qui soit à la mesure de l'homme et qui réponde pleinement au projet de Dieu » (EdE n°20).
Conclusion : « Je te prends dans ma main »
Un poète anglais a écrit : « Qu'est-ce que Dieu ? Dieu est Celui qui tient l'homme dans sa main. Et qu'est-ce que
l'homme ? C'est celui qui tient Dieu dans sa main » (Coventry Patmore). Cette belle expression de l'union intime
entre Dieu et l'homme se réalise particulièrement dans la communion eucharistique, cet "admirable échange" où
Dieu se donne tout entier en nous appelant à faire de même. Que cette année de l'eucharistie, vécue en même
temps que le Jubilé de notre diocèse, nous relie à tous ceux qui ont nourri et nourrissent aujourd'hui leur foi et
leur vie dans la communion eucharistique ; qu'elle nous permette de sortir nos communions de la banalité, pour
leur redonner la profondeur, la saveur et le dynamisme qu'elles devraient toujours susciter en nous. Que
deviennent vraiment authentiques les paroles que nous chantons parfois dans nos démarches de communion :
Mendiant de Dieu, je te prends dans mes mains
Mais tu prends dans ta main la mienne pour ce jour,
Et je deviens l'envoyé aux mendiants de la terre.
Mendiant de Dieu, je te prends dans mes mains.
Bernard COUSIN, diacre.
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