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Regards historiques
sur le monde actuel
Histoire
LIVRE DU PROFESSEUR
T
les
L/ES
Sous la direction de
Vincent ADOUMIÉ
Pascal ZACHARY
Lycée Dumont-d’Urville, Toulon (83)
Lycée Henri-Poincaré, Nancy (54)
Auteurs
Géraldine ANCEL-GERY Lycée Charles-Baudelaire, Cran-Gevrier (74)
Christian BARDOT Lycée Lakanal, Sceaux (92)
Catherine BARICHNIKOFF Lycée Carnot, Paris (75)
Fabien BÉNÉZECH Lycée Rouvière, Toulon (83)
Fabien CONORD Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand II (63)
Emmanuelle IARDELLA-BLANC Lycée Christophe-Colomb, Sucy-en-Brie (94)
Pascale JOUSSELIN-MISERY Lycée Charles-Baudelaire, Cran-Gevrier (74)
Sahondra LIMANE Lycée Albert-Schweitzer, Le Raincy (93)
Emmanuel MOUREY Lycée Jacques-Callot, Vandœuvre-lès-Nancy (54)
Étienne PAQUIN Lycée Henri-Poincaré, Nancy (54)
Jean-Yves PENNERATH Lycée Jean-Victor-Poncelet, Saint-Avold (57)
Corentin SELLIN Lycée de Costebelle, Hyères (83)
Alain VIGNAL Lycée Dumont-d’Urville, Toulon (83)
David YENDT Lycée René-Descartes, Saint-Genis-Laval (69)
© Hachette Livre
SOMMAIRE
THÈME 1
Le rapport des sociétés à leur passé
Chapitre 1
Le patrimoine : lecture historique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
Chapitre 2
Les mémoires : lecture historique
THÈME 2
Idéologies, opinions et croyances en Europe et aux États-Unis
de la fin du xixe siècle à nos jours
Chapitre 3
Socialisme, communisme et syndicalisme en Allemagne depuis 1875 . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
Chapitre 4
Médias et opinion publique dans les grandes crises politiques en France
depuis l’affaire Dreyfus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
Chapitre 5
Religion et société aux États-Unis depuis 1890
THÈME 3
Puissances et tensions dans le monde
de la fin de la Première Guerre mondiale à nos jours
Chapitre 6
Les chemins de la puissance : les États-Unis et le monde depuis 1918
Chapitre 7
Les chemins de la puissance : la Chine et le monde depuis 1919 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88
Chapitre 8
Un foyer de conflits : le Proche et le Moyen Orient
depuis la fin de la Première Guerre mondiale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102
THÈME 4
Les échelles de gouvernement dans le monde
de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours
Chapitre 9
Gouverner la France depuis 1946
Chapitre 10
Le projet d’une Europe politique depuis 1948 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
Chapitre 11
La gouvernance économique mondiale depuis 1944
17
..................................................................
...............................................
...............
..................................................................
......................................
60
72
120
145
 1 Le rapport des sociétés à leur passé
 1
p. 16-53
Le patrimoine : lecture historique
Thème 1 – Le rapport des sociétés à leur passé
Question
Mise en œuvre
Le patrimoine : lecture historique
Une étude au choix parmi les trois suivantes :
- le centre historique de Rome ;
- la vieille ville de Jérusalem ;
- le centre historique de Paris.
La question aborde sous un angle historique la notion de patrimoine. Cette approche est nouvelle et doit permettre aux
lycéens, à travers l’exemple que le professeur choisira (Rome,
Jérusalem ou Paris), de poser les problématiques essentielles
liées à la lecture historique du patrimoine des villes anciennes.
L’histoire du patrimoine urbain n’est pas synonyme de l’étude
de l’histoire de la ville. Pour autant on ne saurait s’abstraire des
connaissances factuelles et chronologiques. C’est pourquoi les
études débutent par une double page « Repères » consacrée à
dresser un tableau synthétique de l’histoire plurimillénaire de
chacune des trois villes. La transmission du patrimoine se fait
toujours au présent, et c’est ce dernier qu’il s’agit de faire émerger pour chaque époque, le regard de l’histoire permettant cette
mise à distance. Pour l’élève, il s’agit d’apprendre à voir.
négligeables pour valoriser ceux qui s’accordent avec les impératifs nouveaux.
•
Patrimoine et histoire
Le patrimoine est à décrypter, le paysage urbain ne parle pas de
lui-même. L’historien est le médiateur qui donne à comprendre
le bâti en le replaçant dans un passé restauré dans toutes ses
dimensions. L’histoire révèle les usages successifs que chaque
époque attribue au patrimoine des périodes qui l’ont précédée.
L’histoire montre que le patrimoine est constitué de morceaux
choisis, sélection faite à chaque époque pour des motifs qui
varient selon les enjeux que l’on prête au patrimoine. Pour comprendre la notion de patrimoine et son usage, celui-ci doit faire
l’objet d’une enquête historique. Les méthodes de l’historien
arrachent au vestige et à l’archive les éléments qui expliquent
l’action d’origine, l’élément déclencheur.
Évolution de la notion
La notion de monument historique se construit progressivement
entre le xve siècle et la première moitié du xixe siècle. Celle de
patrimoine urbain historique est plus tardive et date du milieu du
xixe siècle. Les « secteurs sauvegardés », créés par André Malraux,
ont pour but d’amener le visiteur à découvrir le bâti dans son environnement. Car ce n’est pas seulement la qualité du bâtiment qui
fait son intérêt mais également le tissu urbain auquel il est lié, qui
le rattache à une histoire, à des pratiques collectives. Les quartiers
anciens sont alors pris en compte dans leur globalité, constituant
des tissus dont la trame doit être traitée dans son ensemble. Cet
intérêt pour le patrimoine s’inscrit dans une volonté de se prémunir contre la perte de mémoire et la dilution d’une identité, et
c’est ainsi que ce fort désir de mémoire émerge pour faire face aux
mutations économiques et sociales contemporaines. La réflexion
porte sur ce qui doit être préservé, comme témoignage exceptionnel ou signifiant d’une époque, d’une société.
Le culte du patrimoine amène parfois à des versions d’un passé
qui se teinte de nostalgie. La dévotion au patrimoine ne fait pas
histoire.
Le concept est d’une grande richesse, les champs concernés
s’étendent du patrimoine matériel au patrimoine immatériel
mais le programme, par les choix des « Mises en œuvre », invite
à concentrer la réflexion sur le patrimoine urbain. Il s’agit de
mettre en valeur les sens politique, culturel et sociétal qui, dans
leurs liens avec la mémoire collective, l’héritage national et
l’identité, forgent la compréhension des centres historiques des
trois villes du programme.
•
•
◗ Problématiques scientifiques du chapitre
•
Les villes anciennes
Les villes anciennes sont le fruit de contributions millénaires,
de couches successives qui forment des strates à l’origine d’un
patrimoine archéologique à découvrir. Elles sont formées d’une
partie visible et d’une autre enfouie. La dialectique entre ville
ancienne et ville nouvelle émerge à chaque époque. La superposition des époques conduit à détruire, à construire mais l’usage
fréquent du remploi, qui consiste à réutiliser dans une construction un élément architectural qui a appartenu à un édifice
antérieur, peut être considéré comme un fil liant les époques et
les hommes. Le vandalisme dénoncé pendant la Révolution française oblige à s’interroger sur la conservation ou non des vestiges
d’un passé avec lequel on se considère en rupture. Comment se
défaire des emblèmes de la monarchie tout en conservant les
bâtiments ? L’évolution du patrimoine des villes est marquée par
de vastes entreprises de modernisation, d’interventions autoritaires, sélection de modèles, éliminations d’éléments jugés
Enjeux contemporains
Depuis les années 1960, les pays occidentaux portent davantage d’attention à la notion de patrimoine, notamment à travers
les politiques culturelles qu’ils développent. Le patrimoine et
sa conservation s’inscrivent dans un cadre plus large, celui des
modalités politiques, culturelles, sociales par lesquelles une
société définit son rapport avec le passé et la conception de son
présent comme de son futur. Les villes anciennes fascinent par le
pittoresque de leurs monuments et de leurs rues mais les nécessités de la modernité et des besoins contemporains obligent à
s’interroger sur les usages du passé. Aujourd’hui, de nouveaux
usages sont assignés au patrimoine, il doit être rentable. Les
coûts de préservation, de conservation, de restauration, mènent
parfois à des choix qui soulèvent des oppositions, font appel à la
privatisation d’un patrimoine public. Les enjeux commerciaux ou
les concurrences mémorielles freinent parfois les investigations
critiques du passé.
Chapitre 1 - Le patrimoine : lecture historique
•3
© Hachette Livre
◗ Nouveauté du programme de terminale
La question est bien celle de savoir pour quel usage conserver
ou restaurer et quel état privilégier tout en s’affranchissant
des modes et des pressions. Le xixe siècle négligeait le xviiie et
n’admirait que les bâtiments anciens ; le désintérêt du xxe siècle
pour l’architecture du xixe est largement lié à la méconnaissance
de techniques de conservation efficaces pour l’architecture
métallique ; actuellement, la prime à l’ancien s’accompagne souvent d’une certaine indifférence pour l’actuel. Le patrimoine a un
rôle fédérateur, c’est un instrument de lien social et d’identité
collective, mais la vigilance est nécessaire car nul pays n’est à
l’abri de tentatives de récupération à des fins nationalistes ou
identitaires.
◗ Quelques notions-clés du chapitre
• Patrimoine : le terme romain de patrimonium manifeste une
légitimité familiale qu’entretient le patrimoine. Le mot désigne
l’ensemble des biens, des droits hérités du père (quelquefois
par opposition, en ancien français, à matremoigne, matrimoine).
En France, la notion de patrimoine s’élabore au moment de la
Révolution française. L’État doit prendre en charge le patrimoine
de la noblesse et de l’Église, les deux ordres les plus riches, dans
le souci d’inventorier, d’identifier, de reconnaître et d’inscrire au
crédit de la nation « qui donne une sorte d’existence au passé ».
S’élabore alors la notion d’un patrimoine supérieur aux vicissitudes de l’histoire et digne d’échapper à la destruction, soit du
fait de la valeur des œuvres menacées, soit du fait de l’intérêt
pour l’éducation et pour l’histoire.
• Enjeux du patrimoine : concept évolutif qui se conjugue au
pluriel. Longtemps considéré comme une affaire de spécialistes,
le patrimoine est aujourd’hui l’objet de manifestations qui rencontrent un public toujours plus nombreux, mais il ne peut se
résumer à une accumulation de monuments ou d’objets et doit
être mis à disposition de manière raisonnée. Une pédagogie du
patrimoine doit accompagner une politique culturelle refondée
pour éviter deux écueils majeurs : que la pression patrimoniale
soit non sélective, ce qui ferait du tout patrimonial un obstacle
à une cité vivante, et tendre vers un patrimoine qui favoriserait
les divisions au sein des sociétés.
◗ Débat historiographique
L’intérêt grandissant pour le patrimoine convoque un champ de
plus en plus large, tout paraît patrimoine car tout est chargé
d’histoire et de société. Le concept est objet d’histoire récent,
Les Lieux de mémoire, de Pierre Nora, et les travaux d’André
Chastel ont jeté les bases d’un appareil critique. Certains dénoncent un culte du patrimoine qui se transforme en fétichisme
(Françoise Choay). Les débats liés aux questions patrimoniales
ont toujours été virulents, rappelons que les travaux de Violletle-Duc voient encore s’opposer pourfendeurs et partisans, ou
comment les passions patrimoniales déclenchent d’épiques
joutes verbales ici, qui prennent parfois un caractère violent, là.
Les groupes d’intérêts, les pouvoirs de toutes sortes peuvent
instrumentaliser le patrimoine et en faire un espace qui divise. A
contrario, le patrimoine peut permettre la rencontre avec l’altérité, les valeurs qui nous sont parvenues à travers le patrimoine
peuvent être utilisées pour construire.
© Hachette Livre
◗ Bibliographie sélective
Généralités et Paris
J.-Y. Andrieux, Patrimoine et histoire, Belin Sup, 1997.
P. Béghain, Le Patrimoine : culture et lien social, Presses de
Sciences Po, 1996.
F. Bercé, Des monuments historiques au patrimoine, du xviiie siècle
à nos jours, Flammarion, 2000.
P. Bouchain, M. Nuridsany, Histoire du Palais Royal, Actes Sud,
2010.
F. Choay, L’Allégorie du patrimoine, Seuil, 1999.
Paris, une capitale dans l’histoire, Scérén, coll. Dévédoc, CNDP, 2005.
4 • Chapitre 1 - Le patrimoine : lecture historique
Y. Lamy, L’Alchimie du Patrimoine, éditions de la Maison des
sciences de l’homme d’Aquitaine, 1996.
J. Le Goff (dir.) Patrimoine et passions identitaires. Actes des
Entretiens du Patrimoine, Fayard, 1997.
F. Loyer (dir.), Ville d’hier, ville d’aujourd’hui en Europe, Actes des
Entretiens du Patrimoine, Fayard, 2001.
P. Nora (dir.), Les Lieux de mémoire, t. I. et II, Gallimard, 1986.
P. Nora (dir.), Science et conscience du patrimoine, Actes des
Entretiens du Patrimoine, Fayard, 1997.
H. Rousso (dir.), Le Regard de l’Histoire, Actes des Entretiens du
Patrimoine, Fayard, 2003.
M.-A. Sire, La France du patrimoine, Découvertes Gallimard,
1996.
Rome
M. Augé, Le Temps en ruines, Galilée, 2003.
A. Augenti, Rome, Art et Archéologie, Scala, Florence, 2000.
« Fellini Roma », l’Avant-Scène Cinéma, n° 129, 1972.
« Rome et ses palais », Dossiers d’archéologie, n° 336, nov.-déc.
2009.
A. Giardina, A. Vauchez, Rome, L’idée et le Mythe, du Moyen Âge
à nos jours, Fayard, 2000.
C. Moatti, À la recherche de la Rome antique, Découvertes
Gallimard, 1989.
J. Neutres, Rome, ville ouverte au cinéma, édition de L’Aube,
2010.
J.-N. Robert, Rome, Les Belles Lettres, 2002.
Jérusalem
J.-P. Chagnollaud, S.-A. Souiah, Atlas des Palestiniens, un
peuple en quête d’un État, éditions Autrement, 2011.
Dossiers Archéologie, Jérusalem, 5000 ans d’histoire, n° 165-166,
nov.-déc. 1991.
F. Encel, A. Nicolas, Atlas géopolitique d’Israël, éditions
Autrement, 2008.
F. Encel, F. Thual, Géopolitique d’Israël, Point essais, 2006.
l. Grabas, S. Nuseibej, Dôme du Rocher, Albin Michel, 1996.
R. Grover, Les Mosquées, Novebook, 2006.
A. Grynberg, Vers la terre d’Israël, Découvertes Gallimard, 2008.
National Geographic Jerusalem, décembre 2008.
« Jérusalem, La ferveur et la guerre », Qantara, Magazine des
cultures arabe et méditerranéenne, Institut du monde arabe, 2009.
◗ Sites internet
Rome
http://whc.unesco.org/fr/list/91 : site de l’Unesco.
http://fr.museociviltaromana.it/ : site du musée de la civilisation romaine.
Jérusalem
http://whc.unesco.org/fr/list/148 : site de l’Unesco.
Paris
http://alpage.tge-adonis.fr/index.php/fr/ : Alpage est un
programme de recherche, initié en 2006. Des historiens,
géomaticiens et informaticiens construisent ensemble un système d’information géographique (SIG) sur l’espace parisien
préindustriel.
http://paris-atlas-historique.fr/1.html : ce site est dédié à la
représentation de l’évolution historique de Paris.
http://whc.unesco.org/fr/list/600 : site de l’Unesco.
Une vidéo très intéressante est consultable sur le site de
l’UNESCO à l’adresse suivante : http://whc.unesco.org/fr/
list/600/video
Introduction au chapitre
p. 16-17
À travers l’exemple d’une grande ville ancienne, le programme
invite à s’interroger sur la place du passé dans les sociétés
contemporaines à travers l’étude du paysage urbain. Traiter de
→Doc. 1 : Détail de l’arc de Titus sur le forum antique de Rome,
fin du ier siècle.
Le bas-relief de l’arc de Vespasien et de Titus à Rome rappelle
la prise de Jérusalem par les Romains en 70 et la destruction du
Temple. Les soldats romains portent en triomphe les objets pillés dans le temple de Jérusalem en particulier le chandelier à sept
branches en or. On peut voir les ustensiles du Temple (le chandelier et les trompettes), portés en cortège par des légionnaires
romains couronnés de lauriers. La représentation du chandelier
à sept branches ne correspond pas exactement à celle qui en
était donnée au moment du règne d’Hérode.
→Doc. 2 : La tour Eiffel illuminée par Citroën, 1925.
Inaugurée le 15 avril 1889, la tour Eiffel reçut 28 millions de
visiteurs dès les six premiers mois de son ouverture. Jugée
« monstrueuse et inutile », elle choqua à l’époque. Bâtie en deux
ans à l’occasion de l’Exposition universelle, elle fut, jusqu’en
1931, le plus haut bâtiment du monde. La tour Eiffel, aisément
reconnaissable à sa forme, dominant tout Paris, est omniprésente sur de multiples supports et connaît immédiatement une
rapide et considérable fortune iconographique. Expression de la
France industrielle et de la République triomphante, monument
laïc et démocratique, objet de fierté nationale, la tour Eiffel est
le symbole du progrès technique. À la veille de l’ouverture de
l’exposition internationale des Arts Décoratifs en 1925, le fabricant d’enseignes lumineuses Jacopozzi vient proposer à André
Citroën de faire de la tour Eiffel une enseigne publicitaire. Elle
s’éteindra définitivement en 1935 lors de la reprise de l’entreprise
par Michelin. La tour Eiffel est le monument le plus visité de
Paris, elle reçoit chaque année 6 millions de visiteurs.
Repères
p. 18-19
Rome
Il ne saurait être question de retracer en détail l’histoire plurimillénaire de Rome tant celle-ci est foisonnante et marquée par
nombre d’affrontements et de conquêtes pour cette ville capitale. Il s’agit ici de rappeler quelques-uns des moments-clés qui
jalonnent l’histoire de la ville pour mieux comprendre les enjeux
politiques et religieux que revêt l’histoire du centre historique de
Rome sans cesse remanié.
→Doc. 1 : La Rome antique vue à l’époque moderne.
Le Colisée est visible à travers les trois colonnes remontées du
temps de Castor et Pollux, les Dioscures. La présence de personnages et la reconquête de la nature sur la pierre donnent à
ce tableau une vision romantique des ruines dont le succès sera
immense au xixe siècle.
→Doc. 2 : Le centre historique de Rome.
La « Rome historique » est comprise dans l’anneau des murs
d’Aurélien (iiie siècle) : la Rome de l’Antiquité et du bas Moyen
Âge, ainsi que celle qui vit le jour entre 1500 et 1600. Elle
condense la majeure partie des témoignages architecturaux
du passé. La Rome contemporaine s’est peu à peu superposée
à cette Rome monumentale. Rome est aussi la capitale d’un
État dit « moderne » et ne peut être traitée comme un grand
monument historique à préserver, soumis à des contraintes et à
des normes. Il faut faire coexister d’exceptionnels témoignages
historiques et artistiques avec les fonctions et les besoins d’une
ville moderne.
→Doc. 3 : Plan du centre historique de Rome.
Centre historique de Rome, les biens du Saint-Siège situés
dans cette ville bénéficient des droits d’extra-territorialité tout
comme Saint-Paul-hors-les-Murs. Le site du patrimoine mondial, étendu en 1990 jusqu’aux murs d’Urbain VIII, comporte
quelques-uns des principaux monuments de l’Antiquité tels que
les forums et le mausolée d’Auguste, les colonnes de Trajan et de
Marc Aurèle, le mausolée d’Hadrien, le Panthéon, ainsi que les
édifices religieux et publics de la Rome papale.
Étude 1
p. 20-23
Rome, une mise en scène de la puissance sans cesse
renouvelée
Rome se prête tout particulièrement à l’étude historique du
patrimoine du fait de l’ancienneté de l’occupation humaine et
de l’imbrication des époques à travers les monuments. Deux
moments phares de l’histoire de Rome sont ici privilégiés : la
Rome antique et la Rome papale. L’accent est mis sur des éléments-clés du patrimoine : le rôle du pouvoir et des mécènes
pour faire de Rome tour à tour la ville maîtresse d’un vaste
empire et la capitale de la chrétienté. Il s’agit aussi de montrer
que le regard porté sur le passé varie à chaque époque et que la
Rome d’aujourd’hui ne restitue pas celle d’hier.
1. Qu’est-ce que la lecture historique du forum nous
apprend de la Rome antique ?
p. 20-21
→Doc. 1 : Les vestiges du forum.
Le Forum romain se développe progressivement à partir du
viie siècle av. J.-C. Pendant plus de 1 000 ans, il fut le cœur de
la vie spirituelle, politique et commerciale de la ville. Pavé, cet
immense espace ouvert s’enrichit progressivement d’un certain
nombre de bâtiments, de statues, de colonnes, de temples et de
sanctuaires, d’arcs de triomphe qui témoignent de la grandeur
de Rome. À partir du viie siècle ap. J.-C., il fut peu à peu délaissé.
Utilisé comme forteresse au Moyen Âge, pillé puis abandonné, il est devenu « champ aux vaches » (Campo Vaccino). Les
seuls édifices conservés furent ceux transformés en église. S’y
côtoient des édifices d’époques différentes rendus uniformes
par le temps.
→Doc. 2 : La colonne Trajane sur le forum antique, IIe siècle.
La colonne de Trajan est haute de plus de 30 m. Elle est constituée de 17 cylindres de marbre. La colonne devait servir de tombe
à l’empereur, ses cendres y furent placées dans une urne. Elles
furent volées au Moyen Âge. Sur l’extérieur de la colonne, se
déroule une spirale recouverte de bas-reliefs racontant les deux
guerres conduites au début du IIe siècle par Trajan contre les
Daces. La précision des détails est extrême (2 500 personnages).
La largeur des bandes augmente au fur et à mesure que l’on va
vers le haut, de sorte que du bas, elles apparaissent toutes de
même dimension. Un escalier en colimaçon occupe l’intérieur.
Des terrasses permettaient, à l’époque, d’admirer les bas-reliefs ;
elles sont évoquées dans le document 4 (l. 24 à 28). Une petite
chapelle fut construite bien plus tard, adossée au soubassement
de la colonne, appelée Saint-Nicolas-de-la-Colonne, dont le clocher était dans la colonne elle-même. Elle fut démolie en 1500
par ordre de Paul III. Autour de 1587, la statue de Trajan sur le
Chapitre 1 - Le patrimoine : lecture historique
•5
© Hachette Livre
ce que nous apprend la lecture du patrimoine par les historiens
sur les sociétés du passé est la question centrale. Il s’agit bien
de montrer comment les historiens interrogent le patrimoine et
quels outils ils élaborent pour le comprendre. Par ailleurs, si le
patrimoine est le résultat des choix faits à toutes les époques, il
est l’objet d’enjeux majeurs pour les sociétés du temps présent.
Ces enjeux ne sont pour autant pas du même ordre selon l’étude
choisie. Si Paris et Rome, malgré leurs particularités, partagent
un nombre important d’enjeux communs, la lecture historique
du patrimoine de Jérusalem invite nécessairement à une analyse
géopolitique de la situation du Moyen-Orient.
sommet de la colonne fut remplacée par celle de saint Pierre en
bronze à la demande du pape Sixte Quint.
→Doc. 3 : Les fouilles sur le forum.
L’histoire des fouilles accompagne celle des différentes phases
de croissance de la ville. Au début du xixe siècle, le forum est
remis en valeur grâce aux fouilles archéologiques entreprises
sous l’ordre de Napoléon. En 1870, la proclamation de Rome
comme capitale du nouveau royaume d’Italie provoque le doublement de sa population, se traduisant par l’urbanisation de
vastes zones accompagnant la découverte, et souvent la destruction d’innombrables vestiges antiques. La restauration
pose de délicats problèmes de restructuration notamment des
forums coupés en deux par la via dei Fori Imperiali percée sous
Mussolini. Les questions financières sont tout autant primordiales. Depuis 1997, les revenus du jeu Lotto financent en partie
les restaurations, et les responsables de l’archéologie s’orientent
actuellement vers une rentabilisation accrue des ressources
patrimoniales et un recours systématique au mécénat.
→Doc. 4 : Une lecture historique du forum.
Même si plusieurs empereurs font construire des fora adjacents,
le forum reste le cœur de Rome. Auguste y place le Milliaire d’or,
km 0, centre de l’Empire. Cette place de 60 m de large comprend
aussi un fouillis de statues, colonnes votives, arbres sacrés… qui
soulignent son caractère hautement symbolique. Plusieurs basiliques s’y trouvent également : émilienne, 179 av. J.-C. ; julienne,
voulue par César. Ce sont des édifices d’origine grecque destinés
au commerce et aux réunions ou à rendre la justice. Le forum est
traversé par la Via Sacra qui descend du Capitole.
◗ Réponses aux questions
1. L’archéologie permet de dater et de connaître la fonction
© Hachette Livre
des bâtiments ou objets découverts au cours des différentes
campagnes de fouilles. Elle permet de confirmer des éléments
connus ou bien de faire de nouvelles découvertes et analyses
montrant mieux l’évolution du patrimoine antique tout au long
de l’histoire. En effet, ce patrimoine a toujours été en perpétuelle évolution. Les démolitions successives l’ont transformé.
La destruction totale ou partielle des constructions, le remploi
des pierres pour de nouveaux usages affectés aux bâtiments
sont les principaux risques encourus par le forum.
2. Dans l’Antiquité, les empereurs transforment le forum et y
adjoignent de nouveaux bâtiments, temples, arcs de triomphe.
Au Moyen Âge, des maisons antiques et médiévales sont
détruites. À l’époque fasciste, des fouilles et des travaux importants transforment le quartier. Aujourd’hui, le forum est l’objet
d’importantes campagnes de fouilles. La construction du forum
s’étend du ve siècle av. J.-C. au iiie siècle, sur huit siècles.
3. Les fouilles du forum et l’étude des auteurs classiques permettent aux historiens de localiser les combats de gladiateurs.
Ils se sont longtemps déroulés dans le forum, avant d’être
circonscrits dans des lieux fermés comme les cirques ou les
amphithéâtres.
4. La place du forum se répartit en trois grands ensembles.
L’espace dédié à la religion, à l’est (sanctuaire de Vesta, viie siècle
av. J.-C.), l’espace politique à l’ouest (les rostres, tribune aux
harangues), l’espace judiciaire (grandes basiliques).
5. L’empereur, en faisant construire un marché, assure l’approvisionnement des Romains mais met aussi à leur disposition les
produits venant du vaste empire qu’il contrôle.
6 • Chapitre 1 - Le patrimoine : lecture historique
2. Que nous apprend la lecture historique
de la Rome des papes ?
p. 22-23
→Doc. 5 : La place et la basilique Saint-Pierre du Vatican, des
symboles de la puissance de l’Église et du Saint-Siège.
La photographie montre la Via Della Concilliazone, percée sous
Mussolini, qui relie le Château Saint-Ange à la place Saint-Pierre
et à la Basilique.
La place, gigantesque théâtre ovale (340 m de long sur 240 m
de large) bordé d’une quadruple colonnade (284 colonnes), fut
commandée en 1656 par Alexandre VII au Bernin. L’obélisque
provient d’Alexandrie en Égypte et fut transporté à Rome en 37
par Caligula pour orner le cirque. Sixte Quint le fit placer en 1586
devant la basilique. Édifié pour faire face à la Réforme protestante, le bâtiment a pour missions de réaffirmer la primauté du
souverain pontife, d’exalter l’unité de l’église universelle et d’impressionner les fidèles. Le Vatican accueille 6 millions de pèlerins
et de touristes par an.
→Doc. 6 : La nouvelle Rome s’édifie sur les vestiges de
l’ancienne.
Dès le xve siècle, nombreux sont ceux qui appellent à la conservation et à une protection des monuments romains. La conversion
de la Ville en carrières qui alimentent les constructions neuves
et les fours à chaux est dénoncée. « Le squelette dépouillé » et
« l’infamie qui succède à la gloire » sont des thèmes développés notamment dans la lettre de Raphaël à Léon X. Un nombre
important de bulles posent des règles strictes pour la conservation et restauration des antiquités. Dans les faits, comme les
deux textes le montrent, les contradictions guident les mécènes,
qui protègent et dégradent à la fois.
→Doc. 7 : Le Laocoon, pièce maîtresse de la collection du pape
Jules II.
Laocoon et ses fils sont prisonniers de deux immenses serpents
et victimes de la vengeance d’Apollon, dont le prêtre troyen
avait profané le sanctuaire. Découvert en 1506, dans la Domus
Aurea, sa datation est incertaine. Il pourrait s’agir d’une copie ou
d’une création de l’époque de Tibère.
→Doc. 8 : Rome à la Renaissance : un chantier au service de la
puissance des papes.
La « haute » Renaissance est l’âge des grandes réalisations
artistiques mais aussi l’apogée de l’humanisme. La destruction
de la Rome médiévale se fait dans un souci de préservation de
l’héritage antique. Les papes veulent faire de Rome la véritable
capitale d’un monde renaissant. Les travaux sont d’une telle
ampleur sous Jules II que Bramante est surnommé il ruinante.
Les musées du Vatican se sont constitués autour d’un premier
groupe de sculptures : l’Apollon, le Laocoon et l’Ariane, enrichies
par le pape Jules II (1503-1513) et rassemblées dans la cour du
palais du Belvédère.
◗ Réponses aux questions
6. La basilique Saint-Pierre a été édifiée sur le lieu présumé
du tombeau de l’apôtre Pierre. À cet emplacement, l’empereur
Constantin avait érigé une première basilique au ive siècle. Il
s’agit donc pour Jules II de s’inscrire dans la continuité historique
à la fois de l’Antiquité et du christianisme.
7. Les constructions ou les vestiges sont détruits et réemployés
pour les besoins des architectes de la Renaissance, les marbres
sont convertis en chaux.
8. Les papes, le haut clergé et la noblesse sont les principaux
acteurs de l’aménagement de la ville.
9. Les grands travaux consistent à élever des églises surmontées
de coupoles, aménager des places, collectionner des sculptures
antiques. Il s’agit de transformer la ville pour faire de la capitale d’un ancien empire de l’Antiquité celle de la chrétienté de la
Renaissance.
marbres au goût des contemporains, cherchent à faire l’admiration des visiteurs. Ils exposent les découvertes dans des espaces
aménagés à cet effet, ancêtres des musées actuels.
◗ Texte argumenté
Rome, dont la fondation mythique date du viiie siècle av. J.-C.,
est une ville en perpétuelle transformation. Les aménagements, à
toutes les époques, s’inscrivent sur ceux du passé : destructions,
reconstructions, transformations, remplois. Ce qui est sauvegardé
ne l’est jamais par le fait du hasard mais le résultat de véritables
choix. C’est pourquoi la ville antique visible aujourd’hui n’est pas
réellement celle de l’Antiquité mais le produit des décisions prises à
différentes époques.
L’histoire de Rome est empreinte de la volonté des empereurs ou des
papes de mettre en scène la puissance de la ville. Les aménagements
sont, dans l’Antiquité, destinés à faire de la ville la capitale d’un
vaste empire, glorifiant les exploits des empereurs (arc de triomphe).
Se succèdent des édifices de plus en plus majestueux, aux fonctions
diverses : économique (basilique), politique (rostres) et/ou religieuse (temple). À la Renaissance, les papes veulent faire de Rome
la capitale de la chrétienté. Pour cela, ils transforment à leur tour
le patrimoine antique et médiéval. Le percement de vastes avenues
pour édifier perspectives et places destinées à accueillir les pèlerins
ou la construction de la basilique Saint-Pierre sur l’ancienne basilique de Constantin sont autant d’éléments qui visent à mettre en
évidence à travers la puissance de la ville, la puissance des papes,
commanditaires des grands travaux, et la puissance de l’Église de
Rome elle-même. La ville est considérée comme un théâtre.
Leçon 1
p. 24-25
Lecture historique du patrimoine de Rome
→Doc. 1 : Les vicissitudes du patrimoine.
Promenades dans Rome de Stendhal est un « guide romancé »
sur la ville et ses habitants, à la fois récit de voyage à la première
personne et ouvrage parsemé d’anecdotes, de récits historiques,
de réflexions touristiques, de descriptions, de listes d’églises,
etc. L’auteur a deux griefs majeurs contre la ville. Selon lui, la
ville est trop provinciale, elle manque de créativité artistique, et
Rome « a le moral pollué par les prêtres » (1835).
◗ Réponse à la question
1. La transformation du goût d’une époque à l’autre, le poids
plus ou moins grand de la religion ou de groupes influents,
comme ici les jésuites, la morale oppressive tout comme le remploi de pierres d’anciens édifices sont les principales causes de la
mutilation des œuvres d’art.
→Doc. 2 : De l’Antiquité à nos jours, la louve du Capitole, symbole de Rome.
Cette œuvre du début du ve siècle av. J.-C. représente l’animal
totem de Rome et illustre une des plus importantes légendes de
la cité. Naturalisme et abstraction se côtoient dans ce bronze ;
les narines dilatées, les yeux ouverts, les trois plis du front créent
un sentiment très puissant de réel, tandis que les lignes du corps
sont très stylisées.
◗ Réponse à la question
1. La louve est l’expression mythique de la fondation de Rome,
la légende lui attribue la survie de Remus et Romulus. Symbole
dès l’Antiquité de la cité romaine, elle traverse le temps jusqu’à
aujourd’hui et transmet une mémoire commune à l’ensemble
des habitants de la ville.
→Doc. 3 : Le Jubilé 2000 stimule le renouveau de Rome.
Jean-Paul II annonce la réalisation du Jubilé 2000 en 1994. La
préparation se fait par la collaboration du Vatican avec tous
les acteurs publics des différents niveaux territoriaux opérant à
Rome. Pouvoirs religieux et civil sont associés dans cette opération. Les retombées économiques sont très importantes pour
les deux États.
◗ Réponse à la question
1. Le Grand Jubilé 2000 marque la célébration de la naissance
supposée de Jésus, il y a 2000 ans. Les festivités sont l’occasion
de réaliser des travaux de rénovation et de restructuration de
la ville. Il s’agit là d’une tradition ancienne qui allie la fonction
religieuse de Rome et l’urbanisme. Des temples de l’Antiquité
aux rénovations du xxie siècle, en passant par la basilique SaintPierre à la Renaissance, architecture et urbanisme sont mis au
service de la fonction religieuse.
→Doc. 4 : Comment transformer les villes anciennes ?
G. Giovannoni (1873-1943) accorde une valeur d’usage et une
valeur historique aux ensembles urbains anciens en les intégrant
dans une conception générale de l’aménagement du territoire.
« Une ville historique constitue en soi un monument », mais elle
est en même temps un tissu vivant. La théorie de Giovannoni
anticipe les diverses politiques de « secteurs sauvegardés »
mises au point en Europe dans les années 1960.
La conception urbanistique de Mussolini est annoncée dès 1925 :
« Les monuments millénaires de notre histoire doivent se dresser, tels des géants, dans une nécessaire solitude ». Cet objectif
fut largement accompli et modifia profondément l’image de la
ville.
◗ Réponses aux questions
1. Les centres historiques sont par définition des espaces
denses et souvent difficilement aménageables. Pour autant, ils
doivent s’adapter aux nécessités des habitants et des nouvelles
fonctions qui leur sont assignées.
2. À l’occasion de choix politiques ou religieux, de cérémonies
d’envergure ou de la volonté de moderniser, les villes anciennes
se transforment. Leur patrimoine est alors l’objet de destruction, modification ou conservation qui aboutissent à leur donner
un nouveau visage, reflet d’une partie de leur passé mais aussi,
et surtout, des choix du présent.
Histoire des Arts
p. 26-27
Fellini Roma
Federico Fellini, né en 1920 à Rimini, arrive à l’âge de 19 ans à
Rome. Dès l’après-guerre, il devient scénariste du cinéma néoréaliste italien. Il écrit le scénario de Rome, ville ouverte de R.
Rossellini en 1945, La Strada en 1954 et La Dolce Vita en 1960, film
pour lequel il remporte la Palme d’or à Cannes. Fellini Roma est
une mosaïque d’épisodes où Rome est le personnage principal.
À la fois autobiographie et vision de « sa » Rome, le cinéaste
y mêle le réel et la fiction imprégnés de l’histoire antique et
moderne de la ville. Ce film se prête tout particulièrement à
l’étude de la lecture historique du patrimoine dans l’art. La ville
constitue un palimpseste architectural et artistique de toutes
les époques : le film, qui tente de les mettre en scène, est de ce
fait une œuvre singulière et bien adaptée aux problématiques
de ce chapitre. Les images du film elles-mêmes font partie du
patrimoine cinématographique.
→Doc. 1 : Le chaos de la capitale.
Le thème de la ville et de ses moyens de transport est abordé
dans de nombreuses scènes. Le Colisée en forme d’ellipse, présent dans plusieurs séquences, est considéré comme le point
Chapitre 1 - Le patrimoine : lecture historique
•7
© Hachette Livre
10. Les papes, en réunissant des objets antiques, sculptures et
central de Rome (autour duquel « tourne » la population). F.
Fellini dénonce aussi la pollution et la place de l’automobile prise
dans la Rome du miracle économique.
→Doc. 2 : Comment filmer une des villes les plus célèbres du
monde ?
Comme de nombreux Italiens de l’après-guerre, le narrateur
(de même que le cinéaste) arrive à Rome. Les collégiens qui, au
début du film (à l’époque fasciste), assistent à une projection
de diapositives d’images de Rome, sont confrontés à des « clichés » ou images toutes faites, que le reste du film s’appliquera à
déconstruire. Par ailleurs, les films de F. Fellini sont devenus euxmêmes des « clichés » grâce à l’imagerie propre à ce cinéaste.
→Doc. 3 : Les entrailles de la ville livrent leurs secrets.
La scène du chantier du métro met deux mondes en présence :
la cité historique et mémorielle et la ville moderne en transformation. Tout en révélant les vestiges de la grandeur passée de
Rome à travers les fresques, la modernité les détruit. Le lien est
fait dans cette scène entre différentes époques : le présent est
incapable de conserver le passé.
→Doc. 4 : Extrait d’une scène : le destin des vestiges du passé.
L’intérêt est ici de confronter les élèves à l’écriture cinématographique et à sa transposition en image. Les magnifiques fresques,
soudain au contact de l’air, s’effacent, patrimoine à jamais disparu sous l’assaut des temps modernes. Comment empêcher les
traces du passé de disparaître sous notre regard ?
◗ Réponses aux questions
© Hachette Livre
1. Le Colisée, symbole de la Rome antique, est encerclé par un
embouteillage colossal. L’immobilité de la scène exprime aussi
l’immobilité du temps en contraste avec les automobiles, métaphore de la modernité et de la vitesse. Le Colisée quant à lui
traverse les âges.
2. Les personnages peints sur les colonnes, les murs et les frontons sont très grands, ils semblent dominer la scène. Les ouvriers
sont stupéfaits, une certaine tension domine.
3. La scène est construite en plans champ/contrechamp rapides
et serrés qui font naître un sentiment de panique face à l’impuissance de l’équipe à arrêter la disparition des fresques qui se
déroule sous leurs yeux.
4. Le passé est omniprésent dans l’ensemble du film. Les
monuments, comme le Colisée, mais aussi les fresques dans les
entrailles de la ville, Rome est le décor du film.
5. Pour filmer Rome, Fellini craignait de ne pouvoir s’affranchir
de la force qui se dégage de la ville. Il envisageait d’insérer des
photographies entre les plans. Il choisit finalement de construire,
dans les studios de Cinecittà, un décor artificiel, une Rome de
carton.
6. La modernité est sans cesse présente dans le film.
L’automobile, les ouvriers qui percent le métro, l’équipe de cinéma sont les éléments de la contemporanéité. Par ce procédé, il
met du réalisme dans la fiction. Dans les années 1970, Rome est
confrontée à la circulation automobile anarchique, à la pollution,
à l’entretien des monuments anciens, à l’adaptation de la ville
aux nécessités de la vie moderne.
7. Le patrimoine architectural de la ville de Rome sert de
décor au film de fiction de Fellini. Il est convoqué pour sa forte
charge évocatrice mais pour ne pas en être tributaire le réalisateur reconstruit Rome en décor de carton dans les studios de
Cinecittà. Le film est imprégné d’un fort sentiment d’inquiétude
et de nostalgie.
8 • Chapitre 1 - Le patrimoine : lecture historique
Repères
p. 28-29
Jérusalem
Il ne saurait être question de retracer l’histoire plurimillénaire de
Jérusalem tant celle-ci est foisonnante et marquée par nombre
d’affrontements et de conquêtes pour cette ville « de paix ».
Il s’agit ici de rappeler quelques-uns des moments-clés qui
jalonnent l’histoire de la ville pour mieux comprendre les enjeux
du problème politique contemporain. D’autant que les destructions radicales n’ont laissé que des traces peu lisibles dans le
patrimoine actuel de la ville.
→Doc. 1 : Le plus vieux plan connu de Jérusalem, vers 560.
Le sol de la petite église de Mabata, en Jordanie, à l’est de la
mer Morte, est couvert d’une mosaïque représentant la Terre
sainte au viie siècle. Cette carte est d’un intérêt considérable
pour l’histoire de cette période, d’autant plus que l’exactitude
des renseignements qu’elle apporte est confirmée par l’archéologie. La carte souligne la continuité architecturale de la période
romaine à la période byzantine. Dans la partie nord et centrale
de la ville, le plan romain prévaut. Les églises s’insèrent dans
le réseau urbain, celle du Saint-Sépulcre est rattachée au cardo.
→Doc. 2 : La vieille ville de Jérusalem.
Le site de Jérusalem est marqué par de brusques dénivellations qui forment les trois vallées qui cernent l’antique cité. À
800 m d’altitude mais surplombant presque à pic, un abîme de
1 200 m, celui que creuse à ses pieds la dépression de la mer
Morte. Jérusalem est une ville de montagnes, les ressources en
eau sont fournies par deux sources, les voies d’accès sont difficiles et rares. La position défensive est excellente et cette ville
est une halte dans le commerce des caravanes. Ce promontoire
est appelé l’Ophel ou la cité de David qui en fait sa capitale pour
des raisons politiques.
Étude 2
p. 30-33
La vieille ville de Jérusalem, un patrimoine majeur
du judaïsme, du christianisme et de l’islam.
L’historien se doit de mettre en lumière les strates où s’enracinent les différentes mémoires religieuses, de confronter les
données grâce à des outils scientifiques élaborés qui permettent
d’établir des faits par le croisement de sources. Le patrimoine
est de ce point de vue un élément essentiel pour la connaissance
de l’histoire de la ville. Mais davantage qu’ailleurs, son histoire
millénaire constitue un point d’achoppement pour définir le
statut de la ville, qui réunit des communautés en concurrence
religieuse et géopolitique. La vieille ville est un lieu stratégique
où s’exprime revendications et conflits. En 1996, l’ouverture d’un
tunnel archéologique avait entraîné des affrontements violents
entre Palestiniens et Israéliens qui s’étaient soldés par 76 morts.
Le 28 septembre 2000, la visite d’Ariel Sharon, alors chef du
Likoud, sur l’Esplanade des mosquées déclenche la deuxième
Intifada. Le lieu est toujours sous haute tension. Les fouilles
archéologiques à Jérusalem sont l’objet de conflits qui prennent
rapidement une dimension internationale. Jérusalem apparaît
comme l’étendard de toutes les revendications, la religion est
devenue objet du politique, la ville est au cœur du conflit multidimensionnel israélo-palestinien.
Temple et des mosquées nous apprend sur le passé
de Jérusalem ?
p. 30-31
→Doc. 1 : Des juifs prient, de nos jours, devant le mur des
Lamentations (mur occidental).
En hébreu le dernier vestige du Temple a toujours été appelé
« mur occidental » mais les chrétiens le désignèrent au Moyen
Âge sous le nom de « mur des Lamentations ». Les juifs pensent que la « divine présence » plane autour de lui. C’est dans
ce mur que, suivant une vieille tradition, hommes et femmes
viennent glisser entre les blocs des papiers où sont inscrits leurs
vœux. Le mur est le dernier vestige de la section occidentale
du rempart qui entourait le Temple sacré des juifs, celui érigé
par Salomon et démoli par Nabuchodonosor, reconstruit par les
exilés de Babylone et par Hérode, puis incendié par Titus. À ce
jour, aucune reconstitution du Temple ne fait l’unanimité des
chercheurs.
→Doc. 2 : Le mur des Lamentations : mur de l’enceinte du
temple d’Hérode.
a. Joseph Ben Matthias le Prêtre, connu sous le nom de Flavius
Josèphe, est un historien juif « romanisé » du Ier siècle (37-100).
Né à Jérusalem, témoin en 70 de la prise de sa ville natale par les
Romains et de l’incendie du Temple, ses écrits sont les sources
les mieux documentées que nous ayons sur la Palestine du Ier
siècle. Les travaux historiques contemporains tiennent compte
de la partialité de l’auteur et de son engagement personnel dans
les événements qu’il relate. Son œuvre est d’une grande valeur
pour la compréhension de l’histoire politique et sociale d’Israël
comme de l’Empire romain.
b. Sous Hérode (-37–-4), la ville s’agrandit énormément. Elle
s’étendit au nord vers l’actuelle porte de Damas. Trois citadelles
furent érigées dont la citadelle de David d’aujourd’hui. Vers -19,
Hérode commença à construire un nouveau temple, toujours au
même emplacement. La plate-forme du temple d’Hérode, érigée
sur un trapèze de 15 ha, mesurait le double de celle de Salomon
et il fallut 46 ans pour achever sa construction.
→Doc. 3 : Mont du Temple pour les juifs, esplanade des mosquées pour les musulmans.
Cet espace était celui occupé par le Temple de Yahvé jusqu’à sa
destruction par les Romains en 70, dont il ne reste plus qu’un
soubassement, le mur des Lamentations. C’est un lieu saint pour
le judaïsme, le plus fort enjeu symbolique de la présence juive
dans Jérusalem. Cet espace est aussi l’Esplanade des mosquées,
espace sur lequel se dressent la mosquée Al-Aqsa (appellée aussi
improprement mosquée d’Omar) et le Dôme du Rocher. C’est
un lieu saint de l’islam, le plus fort enjeu symbolique de l’affirmation de la présence palestinienne dans al-Quods « la sainte »
(Jérusalem). L’accès à l’Esplanade est fortement réglementé,
musulmans et non-musulmans y accèdent par des portes différentes, la police israélienne y assure surveillance et contrôle. Le
waqf est la fondation religieuse chargée au nom de la Jordanie
de garder les lieux saints.
→Doc. 4 : Le Dôme du Rocher.
Construit au viie siècle par les Omeyyades, le Dôme du Rocher
occupe la place centrale de l’Esplanade des mosquées. C’est
un monument mémoriel et non une mosquée. Les Omeyyades
donnent par là une preuve de leur puissance et de leur ouverture aux valeurs artistiques et aux arts. Jérusalem peut prétendre
au titre de « joyau de la couronne » des princes omeyyades.
L’activité se concentre sur le Mont du Temple, que les musulmans
appellent Haram el-Shérif. Ce secteur est le mieux préservé. Il y
eut sans doute d’autres constructions dans diverses parties de la
ville mais pratiquement rien n’est parvenu jusqu’à nous. Aucune
source historique contemporaine des Omeyyades n’est connue,
les écrits postérieurs sont souvent peu fiables lorsqu’ils ne sont
pas biaisés pour ce qui traite des causes de la construction du
Dôme. Il faut donc faire appel aux monuments eux-mêmes
et aux données apportées par les fouilles. Les inscriptions qui
tapissent le monument étaient destinées à convaincre les chrétiens de la supériorité de la nouvelle foi. Jérusalem fut aussi liée
de manière unique, du moins pour un temps, aux cinq piliers de
l’islam : au début, les premiers musulmans prièrent la face tournée vers Jérusalem. Une révélation ultérieure transféra la qibla,
la direction de la prière, vers la Mecque.
→Doc. 5 : Des juifs prient devant le mur des Lamentations de
Jérusalem, alors sous domination ottomane, 1905.
En 1260, la Ville sainte est prise par les Mamelouks. Elle connaît
alors un certain déclin économique et démographique mais
devient un centre d’études musulmanes. Sous la domination
ottomane (1517-1917), Soliman le Magnifique entreprend des
travaux considérables, en particulier la reconstruction des fortifications (1537-1541). En 1917, l’arrivée du général Allenby marque
le début du mandat britannique.
◗ Réponses aux questions
1. Dans la religion juive, le mur des Lamentations ou mur occidental est le mur de soutènement de la plate-forme du Temple
d’Hérode, l’endroit le plus proche du lieu où devait se trouver le
Saint des Saints.
2. Le Dôme du Rocher fait de l’esplanade un espace dédié à
l’islam.
3. La lecture historique, en mettant en relation légende, tradition et histoire tente, grâce à l’archéologie et aux méthodes
historiques de croisement des sources, d’éclairer l’histoire du
patrimoine du Mont du Temple. Le récit de Flavius Josèphe
décrit un temple fastueux, lieu des sacrifices et du Saint des
Saints, mais ni l’orientation ni le plan du temple ne sont attestés.
Seule sa magnificence est confirmée par les fouilles archéologiques. De nombreux éléments font débat.
4. La lecture historique permet de mettre en relation légende,
tradition et histoire, tente, grâce à l’archéologie et aux méthodes
historiques de croisement des sources, d’éclairer l’histoire du
patrimoine de l’esplanade. Une interprétation du Coran situe à
Jérusalem le voyage nocturne de Mahomet. La construction du
Dôme du Rocher est justifiée a posteriori par la légende.
2. Comment le patrimoine de Jérusalem témoigne-
t-il du passé chrétien de la ville ?
p. 32-33
→Doc. 6 : Les stations de La Via Dolorosa (« chemin de la souffrance »), un lieu symbolique de pèlerinage pour les chrétiens.
La ville est un concentré de lieux sacrés constitués au fil des
siècles. La vieille ville compte trente lieux saints appartenant aux
trois religions. Sept communautés chrétiennes se partagent le
Saint-Sépulcre, le gèrent et l’entretiennent. La Via Dolorosa est
le trajet emprunté par les pèlerins du monde entier en mémoire
de Jésus : de l’Antonia, fixée au xiiie siècle, où aurait pu siéger
Ponce Pilate (plus vraisemblablement, le prétoire de Pilate se
serait situé au palais royal) à la basilique du Saint-Sépulcre bâtie
sur le Golgotha (« colline du Crâne », qui était au-delà des remparts à l’époque de Jésus). La passion est célébrée à travers le
chemin symbolique de portée de la croix. Le parcours ne suit
pas un tracé historiquement établi : la localisation des stations
est arbitraire, et les trois chutes de Jésus comme sa rencontre
avec Véronique ne figurent pas dans les récits évangéliques. De
plus, le sol a été surélevé de plusieurs mètres lorsqu’Hadrien a
construit son temple aux divinités romaines.
→Doc. 7 : Jésus raconté par un historien du Ier siècle.
Les acquisitions de l’archéologie (manuscrits de la mer Morte,
1947 ; forteresse de Massada, 1964 ; Hérodion, 1968-1969 ;
fouilles de la cité de David et du Mur méridional du Temple de
Chapitre 1 - Le patrimoine : lecture historique
•9
© Hachette Livre
1. Qu’est-ce que le patrimoine de l’esplanade du
Jérusalem) confirment les descriptions de Josèphe. Les travaux
historiques contemporains tiennent compte de la partialité de
l’auteur et de son engagement personnel dans les événements
qu’il relate.
→Doc. 8 : Le Saint-Sépulcre, lieu saint du christianisme.
En 326, la mère de Constantin entreprit la construction de nombreux édifices à Jérusalem. La découverte de la « vraie Croix »
permit la construction de l’Église de la Résurrection, appelée
improprement le Saint-Sépulcre, édifiée en fait à l’endroit du
temple d’Aphrodite et de la basilique sur le forum. Ce monument
décoré de marbres et d’or a été conçu pour affirmer la supériorité du Nouveau Testament. L’église fut détruite, puis reconstruite
de multiples fois. En 1144, les croisés rebâtirent l’église tout
entière sous un seul toit avec maints ajouts et modifications.
→Doc. 9 : Dans l’obscurité du Saint-Sépulcre.
La restauration se poursuit pour le compte des communautés
chrétiennes qui administrent le lieu – les Églises catholiqueromaine, grecque-orthodoxe et orthodoxe-arménienne – mais
le long travail de restauration des pierres de cet édifice, datant
essentiellement de l’époque croisée, est mis à mal par ces communautés qui ne respectent pas le travail des architectes et des
archéologues en construisant des chapelles ou en posant des
mosaïques.
◗ Réponses aux questions
5. Pour les chrétiens, la ville de Jérusalem est un lieu majeur car
elle est la ville de la prédication de Jésus, considéré comme le
messie, le lieu de la crucifixion et de la résurrection.
6. Le patrimoine garde trace de ces croyances car, des siècles
après les événements, s’est mise en place une géographie des
lieux présumés du martyre de Jésus : les stations de la Via
Dolorosa, le Saint-Sépulcre…
7. Le christianisme à Jérusalem est représenté par de nombreuses Églises concurrentes. Dans le bâtiment de l’église du
Saint-Sépulcre, elles se partagent un espace restreint reconstruit après la destruction de l’église des croisés en 1009 par le
Fatimide al-Hakim. La division entre les membres d’une même
religion domine.
8. L’historien doit à la fois identifier les ajouts postérieurs, les
dater, les attribuer mais aussi expliquer les objectifs des auteurs
de ces transformations du texte d’origine. Ajouter le mot
« christ » au texte, c’est pour les auteurs du Moyen Âge attribuer le statut de « messie » (traduction de Christ) à la personne
de Jésus, l’inscrire dès les premiers textes dans la tradition qui
s’impose petit à petit.
9. Les fouilles et les découvertes des archéologues montrent
que le niveau de la ville actuelle est supérieur de plusieurs
mètres à celui de la Jérusalem du temps de Jésus.
10. La vision des historiens et des croyants du Saint-Sépulcre
diffère. Pour les historiens, l’église a connu de multiples destructions et transformations : érigée sous Constantin au IVe siècle,
transformée en une église grandiose par les croisés, à l’intérieur
comme à l’extérieur, elle est très différente de ce qu’elle fut aux
origines. Pour les croyants, elle est édifiée sur le lieu du tombeau
de Jésus, ce que les historiens n’attestent pas, même avant la
destruction de l’édifice en 1009.
© Hachette Livre
◗ Texte argumenté
Le patrimoine de Jérusalem témoigne de l’histoire religieuse des
juifs, des musulmans et des chrétiens. La ville est dite « trois fois
sainte » car elle est au cœur du patrimoine des trois monothéismes.
Pour les juifs, elle est le lieu du Saint des Saints dont le mur des
Lamentations est le vestige le plus proche. Pour les chrétiens, elle
est la ville de la crucifixion de Jésus, considéré comme le messie.
Pour les musulmans, l’endroit où la tradition localise les songes de
Mahomet évoqués par le Coran. La lecture religieuse qui est faite
10 • Chapitre 1 - Le patrimoine : lecture historique
de ce patrimoine tend à imbriquer trois religions qui se disputent les
lieux et leur interprétation.
Pour les historiens, un certain nombre d’éléments restent incertains,
voire relèvent de la légende. Les fouilles archéologiques rendent
compte de la transformation de la ville. La confrontation des sources
permet, par exemple, de savoir que les stations de la Via Dolorosa
ont été tracées entre le xive et le xixe siècle et ne datent pas du
temps de Jésus. Les historiens ne peuvent affirmer que Jérusalem est
la ville évoquée dans le songe de Mahomet raconté dans le Coran.
Le Temple, quant à lui, est l’objet de multiples reconstitutions et
maquettes souvent différentes même sur des points majeurs faute
de sources incontestables.
Leçon 2
p. 34-35
Lecture historique du patrimoine de Jérusalem
→Doc. 1 : Patrimoine et identité.
L’historien Jacques Le Goff a présidé les entretiens du Patrimoine
sur le thème Patrimoine et passions identitaires, pour lesquels il
conclut que l’enjeu central du patrimoine et de l’identité, c’est
le temps, orienté selon deux processus davantage parallèles que
confondus : la mémoire et l’histoire. Le patrimoine est une sorte
de condensé de mémoire constitué au cours de la vie, de quête
d’être à travers des biens. L’auteur invite à une moralisation des
passions patrimoniales et identitaires : « il faut travailler à un
humanisme du patrimoine » affirme-t-il.
◗ Réponse à la question
1. L’identité s’appuie sur le passé et sur le présent pour définir les éléments communs faisant société. Le patrimoine est
constitué d’éléments souvent matériels qui permettent de
se reconnaître dans une histoire et un passé communs. Les
deux peuvent être complémentaires ou en opposition dans les
périodes de tensions.
→Doc. 2 : Une ville au patrimoine plurimillénaire.
La carte permet de visualiser l’imbrication sur un territoire très
petit du patrimoine des trois religions et des différentes communautés, les monuments et les quartiers principaux. Après la
guerre de 1948, Jérusalem est partagée entre Jérusalem-Ouest,
sous contrôle israélien, et Jérusalem-Est, sous autorité arabe. En
1949, Israël décide de faire de Jérusalem sa capitale. Le siège
du gouvernement israélien y est transféré mais les ambassades
étrangères demeurent à Tel-Aviv. En 1967, l’occupation de
Jérusalem-Est par les Israéliens pose les bases du projet de faire
de Jérusalem réunifiée la capitale indivisible d’Israël. Cet état de
fait n’est pas reconnu au niveau international. Côté palestinien,
on revendique Jérusalem-Est comme capitale du futur État.
◗ Réponse à la question
1. La vieille ville de Jérusalem est incluse dans la ville moderne
qui, depuis 1967, est sous l’autorité de l’État d’Israël. Le patrimoine de la vieille ville est donc l’objet de revendications à la
fois religieuses et politiques : Israël a proclamé la ville « capitale éternelle et indivisible de l’État d’Israël » ; les Palestiniens,
quant à eux, veulent faire de la ville la capitale de leur futur État.
→Doc. 3 : Les enjeux des fouilles archéologiques.
L’Esplanade des mosquées est un lieu stratégique : sous
contrôle israélien depuis 1967, il cristallise les tensions entre les
communautés.
Plusieurs communautés de confessions différentes se partagent
un même territoire. La situation est souvent inextricable tant les
motifs religieux à l’origine des conflits sont anciens. Pour chacune des communautés, l’enjeu est de taille, car il s’agit d’affirmer
le caractère hégémonique de leur religion, ce qui impliquerait
une reconnaissance du contrôle du territoire. Le conflit est donc
◗ Réponse à la question
1. Sur l’emplacement du Temple de Jérusalem, aujourd’hui disparu, s’élève une esplanade où ont été édifiés des bâtiments
de la religion musulmane. Or, le patrimoine est ici comme le
symbole de l’opposition entre Israéliens et Palestiniens. Les
campagnes de fouilles ne sont pas vues comme des opérations
scientifiques mais comme une menace pesant sur le patrimoine
et sur la vérité historique.
→Doc. 4 : Les manuscrits de la mer Morte, musée d’Israël,
Jérusalem.
L’interprétation des données et leur confrontation au récit
biblique est un enjeu majeur. L’archéologie biblique est loin d’être
neutre sur le plan géopolitique, fouilles et textes sont convoqués pour résoudre le problème de légitimité. La découverte des
manuscrits de la mer Morte est considérée comme essentielle
et interroge les fondements du judaïsme et du christianisme,
qui se retrouvent liés. Le musée déploie une muséographie
impressionnante car, pour certains, ces manuscrits constituent
le patrimoine culturel essentiel de l’État d’Israël.
Histoire des Arts
p. 36-37
Le Dôme du Rocher, le « noble sanctuaire »
La dynastie omeyyade (661-750) est essentielle pour l’art islamique, et la ville de Jérusalem bénéficie, comme troisième Ville
sainte de l’islam, de l’attention de ces bâtisseurs. La partie centrale de l’Esplanade est occupée par une plate-forme surélevée
de quelques mètres à laquelle on accède par un escalier monumental dominé par un portique où se dresse le Dôme du Rocher.
→Doc. 1 : Coupe perspective du Dôme du Rocher.
Le Dôme du Rocher est la plus ancienne œuvre de l’art islamique.
Par plusieurs de ses aspects, elle marque le point de départ de
diverses tendances artistiques tout en étant un des points de
repère de l’histoire de l’architecture elle-même. Ce monument
porte la date de sa construction, un élément du décor mosaïque
interne indique en effet qu’il a été achevé en l’an 72 de l’ère
musulmane (691-692 de l’ère chrétienne) sous Abd el-Malik, soit
cinquante ans après la reddition de la ville. Il faut se garder de
confondre ce bâtiment avec la mosquée d’Omar, erreur qui date
des croisades.
Le Dôme du Rocher est un monument commémoratif, un
mémorial mais aucune source décisive ne répond à la question
de la destination du monument. Le lieu est empreint de légendes
comme celle liée à la roche qui affleure au centre du Dôme où
Abraham aurait accepté de sacrifier Isaac (Genèse 22), acte fondateur du monothéisme. Elle indique le centre du monde dans
la géographie musulmane. La grotte située sous le rocher est
appelée le puits des Âmes, en vertu d’une tradition qui prétend
que les âmes des morts s’y attardent avant de disparaître. Le
Dôme est formé de deux coupoles superposées, entre lesquelles
fut ménagé un espace pour protéger la décoration intérieure des
rigueurs du climat. Le dôme abrite une sublime mosaïque d’or et
de verre à motifs essentiellement gréco-romains. Un bandeau
épigraphique de 240 m orne le tambour.
→Doc. 2 : Le plan du Dôme du Rocher.
Le Dôme est le point central du Haram al-Sharîf et pratiquement de tout Jérusalem. Il a hérité de nombreux symboles
judéo-chrétiens et l’on y retrouve des mesures qui sont celles
du Saint-Sépulcre. Le bâtiment, de plan octogonal et surmonté
d’un dôme, incorpore divers traits de l’architecture préislamique
et prolonge des concepts qui sont ceux de l’art byzantin. Les
proportions que l’on peut observer entre la hauteur du dôme et
son diamètre, leur relation avec la longueur de chacun des huit
côtés, confèrent à l’ensemble une incontestable harmonie. Le
plan de l’édifice répond à des lois géométriques complexes qui
symbolisent la communication entre Dieu et les hommes via la
religion. Les trois déambulatoires concentriques évoquent le
passage du monde profane au domaine sacré. Le Dôme a servi
de modèle pour l’architecture islamique ultérieure.
→Doc. 3 : Porche sud recouvert de carreaux de céramique.
Le décor est très élaboré. Les murs sont couverts de marbres
sculptés ou peints. Les deux séries d’arcades qui divisent l’intérieur, en octogone parallèle à celui des murs et une arcade
circulaire autour du rocher central, sont recouvertes de
mosaïques.
Le décor extérieur en carreaux de majolique bleu ciel a été refait
au xvie siècle sous Soliman le Magnifique. Une grande partie du
décor extérieur a été refaite dans les années 1960. Même si ce
décor a été maintes fois remanié, il est resté fidèle au plan originel d’Abd el-Malik. Les carreaux utilisés ont été tour à tour
omeyyades et ayyubides, puis perses et enfin vernissés de fabrication arménienne. Les versets du Coran surplombent la frise en
bandeau qui les surmonte.
◗ Réponses aux questions
1. Le bâtiment, dans son plan et sa décoration, est inspiré de
l’art byzantin, qui utilise le carré, l’octogone et la coupole.
2. L’art islamique y déploie les caractéristiques techniques et
religieuses qui perdureront aux époques ultérieures : apparente
symétrie contribuant à l’équilibre, absence de représentation
d’être vivant animal ou humain, utilisation des carreaux de céramique et de la mosaïque, calligraphie.
3. Le dôme a été utilisé dans l’architecture romaine comme
dans le Panthéon à Rome ou dans l’architecture byzantine à
Sainte-Sophie.
4. Le Dôme est construit entre 687 et 692 soit 72 ans après l’hégire. Moins d’un siècle après la prophétie de Mahomet en Arabie,
l’art islamique se dote d’un monument exemplaire.
5. Le Dôme du Rocher est un monument artistique majeur par
son harmonie et la prouesse technique qu’il réalise. Il allie les
préceptes de l’islam en matière d’art : interdit de la représentation d’être vivant. L’inventivité des artistes réside donc dans
l’imagination liée à l’utilisation des couleurs, des formes géométriques inspirées des formes de la nature, des pierres et marbres
polychromes.
Repères
p. 38-39
Paris
Il ne saurait être question de retracer l’histoire plurimillénaire de Paris tant celle-ci est multiple. Il s’agit ici de rappeler
quelques-uns des moments-clés qui jalonnent l’histoire de la
ville pour mieux comprendre la construction de la capitale d’un
État-nation. La ville historique actuelle, telle qu’elle s’est développée entre le xvie mais surtout le xviie et le xxe siècle, traduit
l’évolution des relations entre le fleuve et les habitants dans les
domaines de la défense, du commerce ou des loisirs. L’évolution
de Paris et de son histoire peut être retracée à partir de la Seine.
L’urbanisme d’Haussmann, qui a particulièrement marqué la partie occidentale de la ville, a inspiré l’aménagement des grandes
villes du Nouveau Monde, notamment en Amérique latine. La
tour Eiffel et le palais de Chaillot sont des témoignages concrets
des Expositions universelles, dont l’importance a été si déterminante aux xixe et xxe siècles. L’histoire de Paris est indissociable
de la géographie, par sa situation de lieu de passage, par son
rayonnement artistique et intellectuel naguère mondial et par
Chapitre 1 - Le patrimoine : lecture historique
• 11
© Hachette Livre
de nature géopolitique. L’archéologie, en mettant au jour tel ou
tel objet, peut donner matière à un « droit historique » et ainsi
légitimer le contrôle ou la domination d’un territoire.
son écrasante domination sur un pays progressivement agrandi
au fil des siècles.
→Doc. 1 : Le plan de Paris réalisé par Matthäus Merian, 1615.
Originaire de Bâle, Matthäus Merian (1593-1650), peintre et graveur, est auteur de nombreux recueils topographiques. Paris,
au début du xviie siècle, couvre 568 ha et compte 280 000
habitants environ après la construction de l’enceinte bastionnée dite des « fossés jaunes ». Il faut attirer l’attention sur la
qualité esthétique de ce plan et sur le fait que l’orientation est
Sud-Nord.
→Doc. 2 : Les rives de la Seine et le centre historique de Paris.
Les rives de la Seine sont jalonnées d’une succession de chefsd’œuvre. Plusieurs d’entre eux, comme Notre-Dame et la
Sainte-Chapelle, ont été des points de référence fondamentaux
pour la diffusion de l’architecture gothique. Le Marais et l’île
Saint-Louis sont des ensembles architecturaux homogènes qui
renferment des exemples extrêmement significatifs de l’architecture parisienne des xviie et xviiie siècles.
→Doc. 3 : Paris, un centre historique qui s’étend autour de la
Seine.
Bien que les différents murs de la ville (enceintes de PhilippeAuguste, de Charles V et des Fermiers Généraux) aient disparu, on
peut encore repérer leurs traces dans les différences de dimensions et d’espacement des édifices, qui sont plus rapprochés
dans le Marais et l’île Saint-Louis et plus espacés après le Louvre.
L’ensemble forme aujourd’hui un remarquable exemple d’architecture fluvio-urbaine, où les strates successives de l’histoire se
sont superposées. Le choix d’une zone bien déterminée entre
le pont de Sully et le pont d’Iéna comme site élu au titre du
Patrimoine de l’UNESCO, se fonde sur une très ancienne distinction entre amont et aval de la Seine. En amont, après l’Arsenal,
commencent le port et la ville de transport fluvial ; en aval se
trouve le Paris royal et aristocratique, dont l’activité commerciale était limitée. C’est cette dernière partie de la ville qui a été
inscrite sur la Liste du patrimoine mondial. L’emprise de l’État à
travers ses réalisations et sa législation y est extrêmement forte.
Étude 3
p. 40-43
Le centre historique de Paris, un témoin des choix
patrimoniaux du pouvoir politique
Paris est l’une des trois études proposées par le programme et se
prête tout particulièrement à l’étude historique du patrimoine
du fait de l’ancienneté de l’occupation humaine et de la place
de la ville capitale dans l’histoire de France. Deux thèmes phares
de l’histoire de Paris sont ici privilégiés : le centre historique de
Paris comme témoin des choix patrimoniaux du pouvoir politique et son adaptation à l’époque contemporaine. L’accent est
mis sur un élément-clé du patrimoine : le rôle du pouvoir dans
les choix d’élaboration et de conservation du patrimoine qui fait
de Paris la ville maîtresse d’un pays centralisé. Il s’agit aussi de
montrer que le regard porté sur le passé varie à chaque époque
et que le Paris d’aujourd’hui ne restitue pas celui d’hier.
1. Comment les choix opérés dans le patrimoine de
© Hachette Livre
Paris marquent-ils les grandes étapes de l’histoire de
France ?
p. 40-41
→Doc. 1 : Le Louvre, un patrimoine majeur à travers les âges.
Depuis le xvie siècle, l’achèvement du Grand Louvre est un leitmotiv de la politique culturelle des dirigeants français. C’est un
chantier qui traversa le temps et les régimes et donna à Paris un
monument d’ampleur nationale et internationale. Depuis la fin
du xiie siècle, les bâtiments du Louvre dominent le cœur de Paris ;
12 • Chapitre 1 - Le patrimoine : lecture historique
situés aux limites de la ville, ils ont été peu à peu rattrapés par
elle, puis englobés en son centre. Les quarante-trois années du
règne de Philippe-Auguste (1180 à 1223) marquent un renforcement considérable du pouvoir monarchique à l’intérieur comme
à l’extérieur du royaume. Paris, première ville du continent, est
dotée, à partir de 1190, d’une nouvelle et puissante enceinte fortifiée que le roi décide de renforcer, à l’ouest, par une protection
supplémentaire. C’est ainsi que naît le château du Louvre, dont
les travaux vont se poursuivre jusque sous Louis XIV. Le cœur du
monument prend alors l’aspect que nous lui connaissons de nos
jours. Au début de la Révolution, le Louvre entame une phase
intense de transformations. En 1793, le musée ouvre au public
dans la Grande Galerie et le Salon carré. Les collections envahissent peu à peu l’édifice. La disparition des Tuileries, démolies
en 1882, marque l’acte de naissance du Louvre moderne : le
pouvoir quitte progressivement le Louvre qui est voué essentiellement à la culture.
→Doc. 2 : L’invention du « vandalisme ».
L’abbé Grégoire, en pleine Terreur (1794) rend publics ses trois
rapports dans lesquels il fustige le vandalisme qui fait rage et
qui a reçu le soutien d’une partie des élus de la Convention. Il
y utilise le mot « vandalisme » pour la première fois et écrira
dans ses Mémoires : « J’ai créé le mot pour tuer la chose. » Ses
trois rapports sur les Destructions opérées par le vandalisme et
les moyens de le réprimer marquent une étape essentielle dans la
prise de conscience par les révolutionnaires des pertes irréversibles causées par les actes de vandalisme et leur illégitimité au
regard du projet de construction de la nation.
→Doc. 3 : Paris, capitale et modèle de la nation.
Ce manuel de lecture connaît une extraordinaire popularité
jusqu’en 1976. Il est à la fois cours de morale, de géographie,
d’histoire et de sciences naturelles. Le livre est profondément
ancré dans la mémoire collective. Il se veut une mémoire des
lieux et une mémoire des temps. La mémoire est ici topographique : Paris et ses monuments y tiennent une place de choix
comme capitale de la France et comme centre du pouvoir politique à travers le patrimoine de la ville.
→Doc. 4 : La Bastille, destruction d’un symbole royal.
Le 14 Juillet a été rapidement traité par un nombre important
d’artistes, de peintres notamment, ce qui souligne la place fondamentale qu’il occupe dès l’origine dans la mentalité collective.
Jean-Pierre Houël peint ici la démolition de la Bastille par l’entrepreneur Pierre-François Palloy (1755-1835) en 1789. Certaines
pierre serviront à la construction du pont de la Concorde,
d’autres finiront, sculptées, en maquettes de la Bastille envoyées
dans les nouveaux chefs-lieux de département.
→Doc. 5 : Paris, un exemple pour l’Europe.
La loi du 16 juin 1859 vise à annexer les faubourgs situés entre la
ville et la nouvelle ligne de fortifications construite par Thiers.
Ce nouveau territoire parisien était déjà inclus dans l’enceinte
fortifiée et bastionnée, décidée en 1841 sous l’égide d’Adolphe
Thiers, président du Conseil. Achevée en 1844, elle est alors l’enceinte urbaine la plus vaste du monde. Cette annexion donne à
Paris son visage contemporain.
→Doc. 6 : L’Opéra de Charles Garnier témoigne des fastes du
Second Empire.
Le projet de la construction du Palais Garnier est lancé en
1860. Le quartier des Grands Boulevards, déjà remodelé par
le préfet Haussmann, est propice par ses abords dégagés à la
construction d’un bâtiment nouveau de grande taille. Les boulevards sont bordés d’hôtels particuliers. Le palais est inauguré
en 1875. L’intérieur frappe par son opulence : plus qu’une salle
de spectacle, l’Opéra a été conçu comme un temple bourgeois
du divertissement. Le Paris d’aujourd’hui est né sous le Second
Empire : les avenues bordées d’arbres, les dégagements sur les
◗ Réponses aux questions
1. Le Louvre est le bâtiment majeur du pouvoir royal français,
du pouvoir politique. Il témoigne, à travers ses constructions
successives, de l’histoire de la ville de Paris et de celle de la
monarchie. D’une manière générale, il est le témoignage de la
construction de l’État à travers les différents régimes politiques
successifs.
2. Grégoire s’alarme des destructions liées à la Révolution française et au renversement de la monarchie. Au xviiie siècle, se
développe une sensibilité plus grande vis-à-vis du patrimoine,
symbole du passé de la France.
3. Au début du xxe siècle, la République est jeune et cherche
à s’ancrer dans les esprits. La France est un pays centralisé, les
pouvoirs sont concentrés dans la capitale. La connaissance de
Paris et de ses monuments paraît à même de favoriser l’unité
nationale.
4. La Bastille est une forteresse symbole de l’arbitraire du pouvoir royal. Sa destruction est le symbole du rejet de la monarchie.
Ce n’est pas là un cas de vandalisme.
5. La modernisation de Paris passe, sous le Second Empire, par
de grands travaux : percement de larges avenues et boulevards,
édification d’imposants bâtiments. Les perspectives sont particulièrement soignées.
2. À quelles fonctions le patrimoine de la capitale
doit-il répondre à l’époque contemporaine ?
p. 42-43
→Doc. 7 : La place de la Bastille.
La place peut être présentée à travers l’évolution de son patrimoine témoignant de son passé de place révolutionnaire : la
forteresse détruite en 1789, symbole de l’arbitraire royal ; la
colonne de Juillet érigée en 1833 par Alavoine et surmontée
du Génie de la liberté signé Augustin Dumont. Elle célèbre la
mémoire des morts des Trois Glorieuses. Sur son fût en bronze
sont inscrits les noms des 615 victimes de ces journées révolutionnaires de juillet 1830. L’Opéra, quant à lui, a été conçu par
Carlos Ott pour répondre à une commande du programme de
Grands Travaux du président F. Mitterrand et inauguré dans le
cadre du bicentenaire de la Révolution française.
→Doc. 8 : La beauté appartient à tout le monde.
Lorsqu’il fait paraître le premier de ses deux articles intitulés Guerre aux démolisseurs !, Victor Hugo est âgé de 23 ans. Il
s’apprête à devenir un des grands défenseurs de l’art gothique
(Notre-Dame de Paris, 1831). En 1830, Guizot institue un Comité
des monuments chargé d’inventorier et de décrire les monuments à protéger ; Hugo en est membre de 1835 à 1848. V. Hugo
pose le principe fondateur de toute l’action qui sera menée
ensuite en faveur de la protection et de la conservation des
monuments historiques (3 dernières lignes du texte).
→Doc. 9 : De la grandeur du passé à la grandeur du présent.
La monarchie restaurée avait peu transformé le Louvre. Les
grands travaux reprennent avec la IIe République (1848-1851) et
Victor Hugo exhorte les députés à faire du Louvre « la Mecque
de l’intelligence ». Le gouvernement révolutionnaire décide par
décret de terminer le palais, devenu grand chantier national à
l’époque où les Ateliers nationaux luttaient contre le chômage.
Louis-Napoléon, le prince-président, reprend à son compte le
chantier. Napoléon III réunit le Louvre aux Tuileries.
→Doc. 10 : Le Grand Louvre, le musée le plus visité du monde.
Le 30 mars 1989 est inaugurée la pyramide de verre construite par
I. M. Peï. Érigée au centre de la cour Napoléon, elle détermine
les grands axes de circulation du palais et conduit en sous-sol à
un vaste hall d’accueil d’où l’on accède aux espaces dévolus aux
expositions. Le chiffre de fréquentation du Louvre s’est stabilisé
à 8,5 millions de visiteurs par an, un niveau très élevé, qui en fait
le musée le plus visité du monde.
→Doc. 11 : La promotion du patrimoine de Paris.
http://www.nouveau-paris-ile-de-france.fr/ : ce site est le guide
officiel de Paris Île-de-France et regroupe toute l’actualité de l’agglomération en quatre langues pour la promotion internationale.
◗ Réponses aux questions
6. Pour Victor Hugo, au-delà des régimes politiques (monarchie
ou république), les monuments doivent être conservés comme
témoignage de l’histoire. Ce sont des gages de la construction
nationale sur le temps long de l’histoire.
7. Victor Hugo considère que la transformation en musée de
l’ancien palais royal est un atout pour la ville de Paris et pour
l’État. Ce lieu deviendrait l’espace de la culture après avoir été
celui de la puissance monarchique.
8. Après avoir été le lieu d’une forteresse détruite en 1789, prison symbole de l’arbitraire de la monarchie, le centre de la place
est occupé par une colonne commémorant la révolution de
1830, les Trois Glorieuses, surmontée d’une sculpture en bronze,
Le Génie de la liberté. Cette colonne est elle-même inspirée de la
colonne Trajane de Rome. En 1989, un opéra d’une architecture
très contemporaine est inauguré, faisant de la place de la Bastille
un lieu où se croisent des références de plusieurs époques.
9. Le Louvre est le musée le plus visité du monde, il attire des
touristes du monde entier.
10. Le patrimoine contribue à la renommée de Paris car il est
constitué de multiples monuments et musées, des plus anciens
comme le Louvre aux plus récents comme le musée du Quai
Branly et son mur végétalisé.
◗ Texte argumenté
Le centre historique de Paris est un témoin des choix patrimoniaux
du pouvoir politique faits à toutes les époques. Le choix de conserver ou non l’urbanisme ancien du centre historique est le résultat
d’arbitrages qui, pour chaque époque, relèvent d’un sens profond.
Il s’agit souvent de célébrer les grands moments de l’histoire
politique nationale (monarchie, révolutions, républiques), de transformer la destination des bâtiments en leur conférant un sens
conforme aux exigences de chaque époque, enfin, de commémorer
les dates anniversaires de façon à réactiver à travers les lieux la
mémoire nationale.
À l’époque contemporaine, les fonctions du patrimoine de la capitale restent conformes aux enjeux plus anciens mais s’y ajoutent
la fonction culturelle et la mise en avant de lieux consacrés à la
connaissance et aux collections ainsi que la diffusion de l’image de
la ville en France et à l’étranger à travers la promotion du patrimoine de Paris.
Leçon 3
p. 44-45
Lecture historique du patrimoine de Paris
→Doc. 1 : Le passé a un avenir.
Depuis le xviiie siècle, on visite Paris pour ses édifices célèbres,
ses spectacles et ses commerces. Sa renommée a fait de Paris la
première destination touristique mondiale. Paris est toujours la
Ville lumière même si elle a un peu perdu de son lustre.
◗ Réponse à la question
1. Le patrimoine remplit une fonction touristique et économique forte. Pour accueillir des millions de visiteurs par an, il faut
procéder à des rénovations régulières et effectuer de grands traChapitre 1 - Le patrimoine : lecture historique
• 13
© Hachette Livre
monuments, les parcs et jardins qui répondent à une volonté
d’embellissement autant qu’à un souci d’hygiène.
vaux, renouveler l’offre de loisirs par des fêtes aux thèmes neufs
et originaux dans le cadre de la concurrence internationale.
→Doc. 2 : Paris, un développement concentrique depuis la
Seine.
Paris est une ville fluviale. Dès l’installation des premiers
hommes, de l’époque préhistorique au village des tribus des
Parisii, la Seine a joué un rôle à la fois défensif et économique.
L’archéologie révèle que les premières traces d’urbanisation
remontent à la période augustéenne et touchent en premier lieu
les pentes de la montagne Sainte-Geneviève. Le site et le fleuve
ont été progressivement contrôlés par le rattachement à la rive
de deux îlots, l’île de la Cité et l’île Saint-Louis, par la création
d’axes nord/sud, par des aménagements réalisés le long de la
rive, par la construction de quais et par la canalisation du fleuve.
Au ive siècle, la cité est encore nommée Lutèce par Julien ; peu
à peu, elle prend le nom de Paris, qui s’impose définitivement
au ve siècle.
◗ Réponses aux questions
1. La ville s’est développée à partir d’un noyau primitif de la
montagne Sainte-Geneviève aux îles de la Seine, sur la rive
gauche puis la rive droite. Petit à petit, la ville s’est développée
en cercles concentriques.
2. Les rives de la Seine concentrent, tout au long des berges du
fleuve, les monuments les plus anciens et les plus majestueux
de Paris : le Louvre, la Conciergerie, la tour Eiffel… Ce sont des
jalons de l’histoire de France et de Paris.
→Doc. 3 : Destruction des halles centrales, de l’architecte
Victor Baltard (1805-1874), août 1971.
Les halles centrales sont transférées à Rungis en 1969, entraînant la démolition, en 1971, des pavillons à structure de fonte de
Baltard, datant de 1874, et la création d’un centre commercial
en partie enterré au pied de l’église Saint-Eustache. Cette opération urbanistique n’a pas emporté l’adhésion des Parisiens. La
disparition du « ventre de Paris », remplacé des années durant
par un vaste chantier appelé le « trou des Halles », est l’objet
aujourd’hui d’un vaste programme de transformation. Deux
pavillons ont été conservés, l’un remonté à Nogent-sur-Marne,
l’autre à Yokohama au Japon.
→Doc. 4 : Que faire de l’Hôtel de la Marine ?
Le projet de privatisation a été abandonné et l’Hôtel de la
Marine restera dans le giron de l’État comme le demandaient
de nombreux pétitionnaires. Mais cette affaire pose véritablement la question du patrimoine de l’État et rappelle les liens très
forts entre pouvoir politique et patrimoine. Le ministère de la
Défense, en quête d’argent pour financer son déménagement,
avait décidé de vendre le bâtiment. Après un an et demi de
polémique et de tergiversations, le président de la République a
donné son accord au projet du Louvre pour l’hôtel de la Marine.
Il a néanmoins été décidé que les innombrables bureaux, situés
à l’arrière de l’hôtel, seront occupés par des locataires privés et
par la Cour des comptes.
◗ Réponses aux questions
© Hachette Livre
1. L’État se doit d’entretenir et rénover un patrimoine architectural de premier plan. Ces travaux représentent un coût
important.
2. Pour faire face aux dépenses, l’État envisageait de privatiser,
c’est-à-dire de vendre ou louer à très long terme, l’hôtel de la
Marine. Ce projet a été vivement contesté car, pour beaucoup,
le bâtiment de la place de la Concorde est un symbole national,
lieu de mémoire de l’histoire de France.
14 • Chapitre 1 - Le patrimoine : lecture historique
Histoire des Arts
p. 46-47
Faire de la ville un théâtre :
les colonnes de Daniel Buren
Daniel Buren (1938) est un artiste plasticien qui pratique l’œuvre in
situ et fait partie de ces créateurs qui élaborent une réflexion sur
le décor monumental et renouvellent l’approche traditionnelle de
l’art dans la ville. Il s’agit de créer une nouvelle actualité pour un
lieu, ici un parking qui, une fois transformé par l’artiste, redevient
le bien commun des citadins, comme une reconquête de la ville
par l’art contemporain et ce au centre même de ce cœur historique
si attractif pour les Parisiens comme pour les touristes. Cette réalisation de grande envergure est pensée et réalisée pour le lieu, en
dialogue avec lui. Les polémiques qui ont accompagné le chantier
en 1986 ne sont pas les premières liées à l’intervention artistique
dans la ville, la tour Eiffel ou le Centre Georges Pompidou ont, en
leur temps, connu eux aussi leurs détracteurs. L’œuvre a connu sa
première restauration en 2010, elle a franchi une première étape,
elle est entrée dans l’histoire. L’œuvre et son histoire posent les
questions essentielles du mélange entre patrimoine et création
contemporaine, l’éternel débat sur la restauration des œuvres
publiques mais aussi la contradiction qui existe entre un contexte
politique changeant et la nécessaire continuité qui doit prévaloir
en matière de politique culturelle.
→Doc. 1 : Une cour aristocratique.
Avant la Révolution, le Palais-Royal est palais cardinal où
Richelieu n’hésite pas à détruire tout un enchevêtrement de
maisons du Moyen Âge pour dégager un immense terrain et faire
de ce quartier un nouveau pôle de l’ouest parisien. Puis le duc
d’Orléans, futur Philippe-Égalité, décide de lotir le pourtour de
ce lieu qui est devenu sa résidence et fait construire autour du
jardin une galerie bordée de boutiques. Le Palais-Royal devient
un haut lieu de la vie parisienne et le principal centre de l’agitation politique en 1789. L’espace entre dans le domaine public
après 1793.
→Doc. 2 : Les Deux Plateaux ou les « colonnes de Buren ».
L’œuvre, une commande de l’État pour la cour d’honneur du
Palais-Royal en juillet 1985, forme un tout : colonnes, fontaine,
lumière. Elle est l’expression d’un dialogue entre l’art contemporain et le patrimoine : faire du neuf avec de l’ancien en réunissant
plusieurs histoires. L’œuvre repose sur deux principes fondamentaux : ne pas ériger de sculpture au milieu de la cour mais
révéler le sous-sol ; s’inscrire dans la composition architecturale
du Palais-Royal, qui est essentiellement linéaire, répétitive et
tramée. Cette installation est constituée de deux plateaux, de
socles qui émergent du sous-sol sur lesquels on peut s’asseoir ou
monter. Ils deviennent alors de véritables sculptures vivantes.
Les polygones sont de tailles différentes et entourés de grilles
qui permettent de marcher et de voir le sous-sol. Tous les polygones ont une circonférence égale à celle des colonnes érigées
dans les galeries du Palais-Royal. Les colonnes utilisent l’étalon
visuel instauré par l’artiste au milieu des années 1960, bandes
verticales alternées de 8,7 cm de largeur. Le fond des tranchées est balayé par un film d’eau en mouvement qui forme une
grande fontaine. L’éclairage produit la nuit une œuvre différente
de celle vue en plein jour.
→Doc. 3 : L’art contemporain dialogue avec l’art classique.
En 1981, François Mitterrand nomme Jack Lang ministre de la
Culture, lequel développe à partir de 1983 une politique ambitieuse d’aide à la création. C’est dans cette perspective que
s’inscrira, au Palais-Royal, l’œuvre de Daniel Buren. Le contexte
politique de la première cohabitation favorise l’affrontement de
deux camps. Bien qu’il n’ait jamais été inauguré officiellement, la
popularité du lieu, ouvert le 30 juillet 1986, est immédiate.
L’installation diffère d’une œuvre d’art habituelle par le nombre
important de personnes qu’elle fait intervenir.
1. Dans une large cour bordée de colonnades anciennes,
Daniel Buren a installé 260 colonnes de hauteurs différentes
et rayées de marbre noir et blanc. L’œuvre cherche à faire se
répondre le classicisme des colonnes du xviie siècle et la création
contemporaine.
2. En créant de nouvelles perspectives de hauteurs, en multipliant les effets colorés, l’artiste cherche à remettre en cause la
régularité des colonnes classiques.
3. La cour choisie pour l’installation est au cœur de bâtiments anciens à fort caractère historique et patrimonial. S’y
côtoient des lieux du pouvoir (Conseil constitutionnel, Conseil
d’État, ministère de la Culture) et des lieux de loisirs (ComédieFrançaise, jardins, commerces), le tout dans une architecture
classique du xviie siècle. L’œuvre est une création contemporaine, inscrite dans le travail d’un artiste qui utilise les matériaux
actuels. L’effet est celui du contraste mais fondé sur un écho
davantage que sur une opposition.
4. L’œuvre se veut une mise en valeur réciproque et non une
opposition. Plusieurs époques se côtoient et se répondent. La
recherche d’une nouvelle harmonie inscrite dans la modernité
est le but de l’installation.
5. Les acteurs sont institutionnels : l’État à travers la commande
passée par Jack Lang, ministre de la Culture, la délégation aux
Arts plastiques, la Direction du patrimoine, les Parisiens favorables ou non à la création. Le compromis entre des intérêts
divergents a abouti à l’ouverture de l’œuvre en 1986 après une
longue polémique.
6. La conservation du patrimoine est souvent liée à la volonté de
sauvegarder au plus près de ce que l’on considère comme l’œuvre
originelle. La création cherche à s’affranchir des contraintes et
fait appel à des formes d’art alliant matériaux et innovations
modernes. Au Palais-Royal, la symbiose a fonctionné. Le public
est nombreux à visiter et admirer les « colonnes de Buren ».
Leçon 4
p. 48-49
Patrimoine : lecture historique
→Doc. 1 : Le patrimoine, une notion hautement occidentale.
Le texte appelle à s’interroger sur la notion de patrimoine pour
montrer qu’il s’agit d’une construction variable selon les aires
culturelles. On pourra expliquer qu’en Chine la restauration est
souvent reconstruction, voire pastiche, et le statut de la ruine ou
du vestige est fort différent de celui en Occident. Autre exemple,
en mars 2001, à Bamiyan, dans le centre de l’Afghanistan, deux
immenses statues de bouddhas, érigées a priori entre le milieu
du vie et le viie siècle après J.-C., sont détruites à l’explosif par les
talibans. Cette action déclenche une vague d’indignation.
◗ Réponse à la question
1. Les Japonais ne cherchent pas à conserver les monuments
« d’époque » mais plutôt donnent priorité à leur sens. Un temple
peut donc être reconstruit avec des matériaux modernes.
→Doc. 2 : Le sauvetage d’Abou-Simbel.
Le temple d’Abou-Simbel a été construit par Ramsès II dans
l’ancienne Nubie. Lorsque le barrage d’Assouan fut construit au
début des années 1960, une campagne internationale lancée par
l’UNESCO parvint à réunir des fonds qui permirent de déplacer
ce temple de façon qu’il ne soit pas submergé par les eaux du lac
Nasser. Les travaux se sont poursuivis jusqu’en 1980.
◗ Réponse à la question
1. À Abou Simbel, le sanctuaire a pu être déplacé grâce à l’intervention d’ingénieurs, usant des techniques les plus modernes
pour le déplacement de l’immense temple.
→Doc. 3 : L’église du Souvenir à Berlin.
L’église du Souvenir de l’empereur Guillaume est le centre symbolique de Berlin-Ouest, un mémorial pacifiste dédié à la paix
et à la réconciliation. Il s’agit du seul bâtiment de la place épargné par les bombardements de la Deuxième Guerre mondiale
et conservé délibérément en partie comme ruine. La Salle du
Souvenir présente une exposition de photographies de l’église
et de ses alentours avant et après la guerre. La tour moderne
consiste en une structure octogonale et un beffroi hexagonal.
La ville de Berlin a alloué des fonds pour la restauration de ce
patrimoine témoin des violences du xxe siècle.
◗ Réponses aux questions
1. L’église est à la fois un bâtiment religieux, c’est une église,
mais aussi un bâtiment qui a une importante portée politique
puisqu’elle a été construite pour célébrer la victoire de l’armée
allemande sur l’armée française en 1870 (Sedan), un événement
profane.
2. L’église est laissée en l’état à la fin de la Deuxième Guerre
mondiale en mémoire des victimes du conflit, elle abrite un
musée en leur hommage. Au centre de la ville moderne de
Berlin, ces ruines sont une invitation au souvenir, à la mémoire
et à l’histoire.
→Doc. 4 : L’amour du patrimoine.
L’historien Jacques Le Goff a présidé les entretiens du Patrimoine
sur le thème Patrimoine et passions identitaires. Il considère que
la période actuelle augmente la potentialité conflictuelle autour
des questions de patrimoine, trop souvent instrumentalisées
pour servir des passions. Le rôle de l’historien est ici primordial
dans sa capacité à déconstruire des mythes, dans celle aussi à
donner des moyens de faire société pour « apprendre à vivre
avec un passé commun ».
◗ Réponses aux questions
1. L’historien, en fondant son travail sur la recherche scientifique, permet d’éclaircir et d’expliquer événements, héritages ou
patrimoine, pour apporter une meilleure cohésion de la société
dans la diversité de ses composantes et non des oppositions
fondées sur des légendes ou des mythes.
2. Une éthique du patrimoine doit être fondée sur une recherche
scientifique rigoureuse qui peut ensuite alimenter la curiosité et
la connaissance des citoyens. Elle permet d’éviter l’instrumentalisation des vestiges du passé.
Prépa Bac
p. 52-53
◗ Composition
Sujet guidé - Lecture historique du patrimoine
d’une ville : Paris
2. Dégager la problématique
Seule la problématique 3 prend en compte l’ensemble du sujet
et les deux points-clés de la leçon tandis que les deux autres
problématiques ne sont que partielles.
Sujet en autonomie - Lecture historique
du patrimoine d’une ville : Rome
Problématique : Comment le patrimoine de Rome témoigne-t-il
à la fois de l’histoire de la ville, mais aussi des différents rapports
que les sociétés ont, au cours de leur histoire, entretenus avec
ce patrimoine ?
Plan
I. Le patrimoine de Rome, reflet d’une puissance passée
1. Rome, capitale de l’Empire romain
2. Rome, centre de la puissance de l’Église
Chapitre 1 - Le patrimoine : lecture historique
• 15
© Hachette Livre
◗ Réponses aux questions
3. Les transformations de l’ère fasciste
II. Le patrimoine romain, objet d’attention, de préservation et
de conflits
1. La richesse du patrimoine romain, un atout
2. Un patrimoine romain à l’origine de débats financiers et
d’urbanisme
Sujet en autonomie : Lecture historique
du patrimoine d’une ville : Jérusalem
© Hachette Livre
Problématique : En quoi le patrimoine de Jérusalem est-il à la
fois un témoignage de l’histoire de la ville, mais aussi un enjeu
religieux et identitaire ?
16 • Chapitre 1 - Le patrimoine : lecture historique
Plan
I. Le patrimoine, reflet historique d’une ville trois fois sainte
1. Jérusalem, capitale du peuple hébreu
2. Un patrimoine témoignant d’un passé chrétien
3. Le patrimoine musulman de Jérusalem
II. D’importants enjeux identitaires et religieux
1. Jérusalem, un statut politique disputé et contesté
2. Des lieux patrimoniaux objets de luttes identitaires
 2
p. 54-85
Les mémoires : lecture historique
Thème 1 – Le rapport des sociétés à leur passé
Question
Mise en œuvre
Les mémoires : lecture historique
Une étude au choix parmi les deux suivantes :
– les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France ;
– les mémoires de la guerre d’Algérie.
•
Le nouveau programme invite à aborder les mémoires de la
Seconde Guerre mondiale – en ceci, il est proche de l’ancien –
mais propose également à l’étude les mémoires de la guerre
d’Algérie et surtout, il oriente la réflexion sur le rôle et la place
de l’historien par rapport aux mémoires.
• Le chapitre dans le manuel a été conçu en vue de montrer comment et selon quelles modalités ces différentes mémoires se sont
constituées et déployées dans l’opinion et l’espace publics, mais
aussi comment les historiens utilisent ces mémoires. Le questionnement des documents des études et des leçons s’efforce donc
de placer les élèves dans la position de l’historien face à des documents constitutifs de ces mémoires. Faire cerner par les élèves la
différence entre les phénomènes relevant de l’affirmation de la
mémoire et le travail de l’historien est donc l’objectif pédagogique
majeur de ce thème.
◗ Problématiques scientifiques du chapitre
•
Par « mémoires » on doit entendre l’ensemble des souvenirs
(collectifs et individuels), sous formes de différentes traces, liés
aux événements majeurs de la Seconde Guerre mondiale et de la
guerre d’Algérie. Ces souvenirs font l’objet de commémorations
mais sont aussi parfois à l’origine de revendications, de ceux qui
en sont porteurs, souvent liées à des enjeux du temps présent :
idéologiques, politiques ou culturels. Les mémoires officielles ou
mémoires d’État sont particulièrement marquées à cet égard.
• Le travail de l’historien consiste à évacuer au maximum les
dimensions affective et/ou idéologique qui s’attachent immanquablement aux mémoires, pour chercher à établir avec le plus
d’objectivité et de rationalité possibles la vérité et la réalité des
faits du passé. Le travail sur les mémoires est rendu d’autant plus
complexe pour l’historien qu’elles contiennent des amnésies et
de la sélectivité (volontaires ou non), voire des mythes et des
légendes.
« Lecture historique des mémoires » peut donc s’entendre dans
un premier temps comme l’analyse des mémoires et des discours
qu’elles produisent, en tant qu’objet d’étude en soi.
• La « lecture historique des mémoires » renvoie enfin à l’utilisation que font les historiens des mémoires des acteurs-témoins,
comme source historique, en les confrontant à d’autres sources.
Cela est illustré dans l’étude consacrée à la Shoah et notamment à Auschwitz, par la juxtaposition de témoignages oraux
et graphiques (témoignage de M.-C. Vaillant-Couturier, dessin
de David Olère), complétée d’un texte de Jean-Claude Pressac,
« historien technique » d’Auschwitz, et d’un document d’archive,
un plan de chambre à gaz récemment découvert en Allemagne.
• Sur la période des « années noires », un tournant a été marqué
avec l’ouvrage de Robert Paxton de 1973, La France de Vichy, qui
a remis en cause à la fois le mythe « résistancialiste », forgé par
de Gaulle souhaitant pour des raisons d’unité et de réconciliation
nationales faire des Français des résistants unanimes, mais aussi
le mythe du « double bouclier », faisant du régime du maréchal
Pétain un système protégeant la France occupée tandis que de
Gaulle aurait, en accord tacite avec Pétain, organisé la résistance
de l’extérieur. Progressivement, le grand public a donc redécouvert les crimes de l’État français et notamment son rôle de
complice actif et zélé des Allemands dans la déportation des Juifs.
Les ouvrages d’Henri Rousso, de Jean-Pierre Azéma, de François
Bédarida ou d’Olivier Wievorka se sont inscrits dans ce sillage.
• En ce qui concerne la guerre d’Algérie, les travaux d’historiens, plus récents, analysent des thèmes longtemps occultés du
champ public : le recours à la torture, le rôle de l’armée française
et de l’État dans l’usage de la violence contre les musulmans en
Algérie ou en France (événements du 17 octobre 1961), mais aussi
les mythes véhiculés par l’État algérien (le mythe du « million de
morts »). Les ouvrages de Guy Pervillé, Jean-Luc Einaudi, Raphaëlle
Branché, Benjamin Stora ou encore Gilles Manceron ont paru alors
que les groupes porteurs de mémoires, qui ont en commun d’avoir
des mémoires blessées et en conflit les unes avec les autres, sont
toujours actifs. Les polémiques sont loin d’être toutes éteintes,
le cheminement de la mémoire vers l’histoire demeure malaisé,
comme l’a démontré la polémique cannoise de 2011 quand le film
de Rachid Bouchareb Hors-la-loi a été conspué lors des manifestations regroupant pieds-noirs, harkis et anciens combattants.
◗ Quelques notions-clés du chapitre
• Groupe porteur de mémoire : expression très utilisée par
Benjamin Stora, mais adaptée aussi pour la Seconde Guerre
mondiale, elle renvoie à des regroupements d’individus plus ou
moins formels et plus ou moins visibles (anciens combattants,
anciens résistants, anciens déportés ou anciens colonisés, voire
l’État) qui, par le biais de manifestations publiques, présentent
leur version de l’histoire en fonction d’un certain nombre de
revendications. Elles sont souvent motivées par la recherche de
compensations matérielles, morales ou symboliques, et soustendues par les enjeux politiques et idéologiques du temps
présent. Ces revendications peuvent aller parfois jusqu’à réclamer une présentation officielle des faits, comme ce fut le cas au
moment de la loi très décriée de 2005 sur les rapatriés d’Algérie
dont l’article 4, demandant aux enseignants d’évoquer le « rôle
positif » de la colonisation, fut finalement abrogé par Jacques
Chirac.
• Franchissement de seuil mémoriel : l’expression désigne
le moment où certaines mémoires s’affirment dans le champ
public. Par exemple, la mémoire juive de la Déportation s’est
structurée plus tardivement que les mémoires résistantes mais,
à partir des années 1980-1990, elle accède à un rang quasi-officiel avec la première commémoration de la rafle du Vél’ d’Hiv
en 1994. Elle entre aussi dans les programmes scolaires et y
occupe désormais une part importante, alors qu’elle avait été
largement occultée au lendemain de la guerre. Pour le cas de
l’Algérie, le franchissement de seuil mémoriel intervient avec la
dénomination officielle de « guerre d’Algérie » à partir de 1999,
sous la pression des organisations d’anciens combattants, et qui
permet l’édification de lieux commémoratifs visibles, comme le
Mémorial du quai Branly à Paris. Rappelons que le premier colloque qui fut consacré à la guerre d’Algérie n’eut lieu qu’en 1988.
• Relais de transmission mémorielle : notion indissociable de
celle de franchissement de seuil mémoriel, elle désigne principalement les médias (cinéma, télévision), les manifestations (défilés)
des groupes porteurs de mémoire et bien sûr les travaux universitaires qui infléchissent les discours officiels longtemps porteurs de
Chapitre 2 - Les mémoires : lecture historique
• 17
© Hachette Livre
◗ Nouveauté du programme de terminale
mythes et de contre-vérités historiques. Par exemple, le discours
de Jacques Chirac en 1995, lors de la commémoration de la rafle du
Vél’ d’Hiv, constitue un tournant fondamental, au terme de deux
décennies de retour du « refoulé » par l’intermédiaire du cinéma
(Le Chagrin et la Pitié, de M. Ophüls) ou de la télévision (Shoah, de
C. Lanzmann) par exemple.
◗ Débats historiographiques
•
Les deux événements abordés sont deux crises majeures du
xxe siècle de l’histoire de France, qui ont donné lieu tour à tour
à bien des affrontements, des polémiques, des controverses parfois violentes depuis 1945 et le cheminement de la mémoire à
l’histoire a été difficile jusqu’à nos jours.
Dans les deux cas, l’État, mais aussi les « acteurs-témoins » réunis sous différentes formes, ont même souvent entravé le travail
des historiens en voulant imposer une lecture univoque, déformée, voire mensongère, des faits, suscitant des protestations
récurrentes de la communauté historienne notamment contre
les lois mémorielles.
• L’un des ouvrages fondateurs en ce qui concerne les
mémoires de la Seconde Guerre mondiale a été celui d’Henri
Rousso, Le Syndrome de Vichy, en 1990, dont nous avons extrait
quelques citations pour la leçon consacrée aux mémoires de la
période 1939-1945. Henri Rousso y fait une distinction théorique
fort utile et très claire de la mémoire et de l’histoire qui sont
selon ses termes « deux perceptions différenciées du passé ». En
outre, il propose une chronologie de l’évolution de l’histoire des
mémoires de cette époque, en montrant, entre autres, comment
les débats politiques et idéologiques avaient influé tant sur les
oublis volontaires que sur l’affirmation des différentes mémoires
produites par cette période.
• En ce qui concerne la guerre d’Algérie, nous nous sommes
référés en particulier à Benjamin Stora qui est, à l’heure actuelle,
le meilleur spécialiste des questions touchant à l’histoire et aux
mémoires « blessées », (pieds-noirs, Algériens d’Algérie et de
France, anciens combattants, harkis) générées par un conflit
demeuré longtemps « sans nom », comme le montre l’étude
consacrée à la mémoire française officielle d’État.
Les typologies énoncées ici sont bien sûr succinctes et pourraient être complétées par d’autres mémoires plus discrètes
ou moins représentatives comme, par exemple, les mémoires
« blessées et repliées » des anciens combattants partis en captivité de la campagne traumatisante de mai-juin 1940 ou encore
celles des porteurs de valises français du FLN ou des victimes
du métro Charonne de 1962 commémorées récemment, en lien
étroit avec la campagne électorale présidentielle de 2012. En
revanche, nous avons montré quelles étaient les grandes lignes
de la mémoire algérienne du conflit, éloignée de la perception
officielle française et connectée aux aléas des relations diplomatiques franco-algériennes, tendues et complexes depuis
1962.
◗ Bibliographie
© Hachette Livre
•
Sur le thème des relations mémoires-histoire
Pour la Seconde Guerre mondiale
« Les Aubrac et les historiens. Le Débat. », supplément du journal Libération du mercredi 9 juillet 1997.
J.-P. Azéma, Vichy, l’historien et le juge, L’Histoire n° 220, avril 1998.
F. Bédarida, « Fallait-il condamner Maurice Papon ? », L’Histoire
n° 222, p. 76-77, juin 1998.
P. Burrin, Vichy, quoi de neuf ?, L’Histoire nº 222, p. 80-81, juin
1998.
J.-N. Jeanneney, « À quoi servent les historiens ? », L’Histoire
n° 222, p. 83-84, juin 1998.
R. Paxton, La France de Vichy, Seuil, 1973.
J.-C. Pressac, Les Crématoires d’Auschwitz. La machinerie du
meurtre de masse, CNRS Éditions, 1993.
H. Rousso, Le Syndrome de Vichy, Seuil, 1990.
18 • Chapitre 2 - Les mémoires : lecture historique
H. Rousso, « Génocide, quelle place dans la mémoire ? »,
L’Histoire n° 222, p. 84-85, juin 1998.
Pour la guerre d’Algérie
P. Blanchard, N. Bancel, Culture post-coloniale 1961-2006, traces
et mémoires coloniales en France, Autrement, 2006.
C. Bonafoux, L. de Cock-Pierrepont, B. Falaize, Mémoire et
histoire à l’école de la République, quels enjeux ?, Armand Colin,
Paris, 2007.
J.-P. Brunet, « Enquête sur le 17 octobre 1961 », Les Collections
de L’Histoire n° 15, p. 100-101, mars 2002.
G. Pervillé, « Sétif : enquête sur un massacre », L’Histoire
n° 318, p. 44-49, mars 2007.
A.-G. Slama, « Oran, 5 juillet 1962 », Les Collections de L’Histoire
n° 15, p. 102-103, mars 2002.
B. Stora, La Gangrène et l’Oubli, la mémoire de la guerre d’Algérie,
La Découverte, 1991.
B. Stora (Entretien avec), « France-Algérie : la guerre des
mémoires », L’Histoire, septembre 2010.
B. Stora, « Le retour de la mémoire », Les Collections de
L’Histoire n° 15, p. 104-106, mars 2002.
B. Stora, « La fin de l’amnésie », L’Histoire, n° 292, p. 54-55,
novembre 2004.
Sur la question des lois mémorielles
« Non à la loi scélérate ! », L’Histoire n° 302, p. 52-53, octobre
2005.
C. Liauzu, Retour à l’Histoire n° 318, p. 54, mars 2007.
• Ouvrages généraux sur les deux périodes
S. Bruchfeld, P. A. Levine, « Dites-le à vos enfants », histoire de
la Shoah en Europe, 1933-1945, Ramsay, 1990.
L. Douzou, La Résistance, une morale en action, Gallimard, 2010.
« Sans mythes ni tabous, la guerre d’Algérie », Les collections de
L’Histoire, n° 15, mars 2002.
B. Stora avec T. Quemeneur, Algérie 1954-1962, Lettres, carnets
et récits des Français et des Algériens dans la guerre, Les arènes,
2010.
Introduction au chapitre
p. 54-55
La première problématique porte sur les différentes mémoires
produites par les deux événements et leur évolution depuis
1945 dans la sphère publique et médiatique : elle invite à réfléchir sur l’histoire de ces mémoires diverses, sécrétées par ces
deux événements majeurs de l’histoire de France du xxe siècle.
Ces mémoires se sont affirmées progressivement et selon des
rythmes très différents.
La seconde doit permettre à l’élève de mesurer la différence
entre les mémoires et notamment le contenu qu’elles déploient
dans l’espace public et le regard distancié et critique de
l’historien.
Ainsi, les mémoires sont portées par des groupes dont le souci
premier est de célébrer et aussi d’utiliser certains faits historiques alors que les historiens tentent de reconstituer et
d’expliquer ces faits historiques le plus objectivement possible
sans l’investissement affectif des groupes porteurs de mémoires.
L’objectif majeur du chapitre est donc de bien montrer aux
lycéens la nette différence entre la mémoire et l’histoire qui
sont, selon le mot de l’historien Henri Rousso, deux « perceptions différenciées » du passé.
→Doc. 1 : Lionel Jospin, Premier ministre, dépose une gerbe
devant le monument commémoratif de la rafle du Vél’ d’Hiv à
Paris le 20 juillet 1997.
La photographie a été prise lors d’une commémoration officielle
placée sous l’égide de l’État depuis les années 1990, celle de la
Rafle du Vél’ d’Hiv, l’un des événements majeurs et emblématiques de la déportation et l’extermination des Juifs en France. La
première commémoration officielle eut lieu le 17 juillet 1994 en
présence de François Mitterrand qui avait décidé cette commé-
→Doc. 2 : Manifestation d’opposants au film de Rachid
Bouchareb Hors-la-loi, à Cannes, devant le palais du festival,
22 avril 2011.
Le deuxième document est également une photographie, prise
en mai 2011 à l’occasion du festival de Cannes, qui montre une
partie des manifestants composés ce jour-là de pieds-noirs,
d’anciens combattants de la guerre d’Algérie mais aussi d’élus
cannois dont le maire de la ville, proches de la communauté
pied-noire, venus protester contre le film de Rachid Bouchareb,
Hors-la-loi. On voit ici des manifestants (des pieds-noirs) qui
brandissent des pancartes accusant le film de mensonge et
qui évoquent « l’histoire bafouée, la mémoire amputée ». Ces
manifestants reprochent au film d’être partial dans sa manière
de montrer différents faits de la guerre d’Algérie et ils s’insurgent contre un financement en partie public de l’œuvre. A priori,
ils n’ont pas vraiment vu le film qui n’est pas du tout un brûlot
contre la colonisation française et les colons français en Algérie
ou un film hagiographique à la gloire des combattants du FLN
en France. Le film débute certes par le massacre de Sétif, longtemps occulté par les autorités françaises dans le contexte de la
fin de la Seconde Guerre mondiale (voir plus loin), mais il montre
aussi que les militants du FLN en France sont loin d’être des
héros positifs et Bouchareb décrit dans une scène assez dure
l’assassinat d’un militant du MMA, mouvement rival du FLN,
par l’un des trois frères dont on suit le cheminement complexe.
C’est un film qui essaie donc de montrer différents épisodes de
la tragédie en évitant tout manichéisme même s’il s’achève par
la nuit du 17 octobre 1961 (voir plus loin), autre fait tragique longtemps occulté par la mémoire officielle d’État.
Mais pour ces manifestants, il s’agit sans doute avant tout, à
l’occasion d’un événement très médiatisé comme le festival de
Cannes, de rappeler leurs revendications mémorielles qui, invariablement depuis 1962, portent sur la reconnaissance officielle
de leur drame autour de plusieurs événements marquants aux
yeux des pieds-noirs ou encore des harkis : le rapatriement massif de l’été 1962, mais aussi le massacre d’Oran du 5 juillet 1962 ou
encore l’abandon et le massacre des harkis… En outre, Les piedsnoirs manifestent également souvent le 13 mai en mémoire du
13 mai 1958 et de l’insurrection algéroise qui a débouché sur la
fin de la IVe République et sur le retour du général de Gaulle
aux affaires. L’intérêt de la photographie est donc de montrer à
l’œuvre un groupe porteur de mémoire dans un contexte cette
fois, non de commémoration, mais de manifestation organisée
dans le cadre d’un événement médiatisé afin de bénéficier d’une
exposition maximale.
◗ L’intérêt de la confrontation pédagogique des deux
documents
Si les deux documents renvoient à deux mémoires et à des
groupes porteurs de mémoire différents, on peut néanmoins les
rapprocher et réfléchir avec les élèves à une comparaison. En
effet, le cliché de gauche montre une commémoration officielle
d’État liée à un événement tragique du passé longtemps resté
dans l’ombre mais faisant l’objet désormais d’une reconnaissance officielle (bien que tardive) de fautes commises par l’État
français.
En revanche, les drames vécus par le groupe des pieds-noirs et
des harkis n’ont pas fait l’objet du même processus mémoriel et
historique. Dans le premier cas, un groupe porteur de mémoire a
vu ses revendications mémorielles aboutir alors que dans l’autre
cas, les revendications ne sont pas entendues. Si la communauté
juive a pu partiellement passer d’une mémoire blessée relativement oubliée en 1945 à une mémoire honorée et une histoire
de son drame enseignée actuellement, il en va différemment
pour les pieds-noirs, les harkis ou encore les anciens combattants d’Afrique du Nord. Leurs revendications mémorielles
demeurent déçues alors que la guerre d’Algérie a fait son entrée
dans les programmes scolaires, dans l’enseignement secondaire
à partir de 1983, au collège comme au lycée ; cette inscription
dans les programmes s’est d’abord effectuée au sein de thèmes
portant sur la colonisation et la décolonisation (en troisième,
en première et en terminale) et plus récemment dans le cadre
du nouveau programme de première d’histoire sections L-ES-S
(rentrée 2011). Elle a même fait l’objet d’un sujet national de baccalauréat en 2004 et son enseignement, y compris dans toute
sa complexité, ne rencontre pas de difficultés majeures, même
auprès de jeunes gens issus de l’immigration algérienne (cf. colloque et article de Gilles Boyer, Véronique Stachetti, Pour une
histoire critique et citoyenne. Le cas de l’histoire franco-algérienne,
2006, sur le site internet : http://ens-web3.ens-lsh.fr/colloques/
france-algerie/).
→Frise
La frise met en parallèle l’histoire de la mémoire ou des mémoires
de ces deux crises de l’histoire de France. Par souci de simplification, tout en s’appuyant sur les travaux des spécialistes de
l’« histoire mémorielle », nous avons proposé trois périodes qui
ont rythmé le processus d’évolution historique de ces mémoires.
Le découpage peut sembler abrupt, voire caricatural, mais il est
bien adapté en vue d’un enseignement adressé à des lycéens de
terminale.
En ce qui concerne la première période, il faut rappeler que les
moments de gouvernement du général de Gaulle (1944-1946,
puis 1958-1970) ont été marqués par une volonté émanant en
Chapitre 2 - Les mémoires : lecture historique
• 19
© Hachette Livre
moration une année auparavant mais dans un contexte politique
troublé où les révélations tardives sur son passé vichyste et sa
proximité avec René Bousquet, secrétaire général de la police
de Vichy, l’un des organisateurs des rafles, dont celle-ci, avaient
ému l’opinion publique. Quant à la communauté juive, par le biais
de nombreuses associations, elle attendait une commémoration
officielle de faits longtemps occultés et gommés de la mémoire
nationale notamment au sortir immédiat de la Seconde Guerre
mondiale.
La photo choisie montre un moment de la commémoration de
1997 alors que Lionel Jospin est Premier ministre de Jacques
Chirac, président depuis 1995. Deux ans plutôt, celui-ci a tenu
un discours marquant sur le plan de l’histoire de la mémoire
officielle d’État des « années noires » en reconnaissant la/les
faute(s) de « l’État français » (du maréchal Pétain) ; celui-ci a
ouvertement été complice des Allemands dans cette rafle la
plus massive de populations juives (environ 13 000 personnes)
en faisant arrêter par la police française et acheminer vers le
Vélodrome d’Hiver du XVe arrondissement une partie des Juifs
raflés ce jour-là.
L’intérêt de la photographie est de montrer les différents
éléments qui constituent en quelque sorte les « figures imposées » ou les éléments traditionnellement constitutifs d’une
commémoration historique officielle. Tout d’abord, la présence d’un dirigeant politique de premier plan (ici le Premier
ministre) sur un lieu de mémoire (en l’occurrence à proximité
de l’ancien emplacement du Vél’ d’Hiv’) dont le caractère historique et commémoratif est attesté concrètement par un
monument. Il est l’œuvre de Walter Spitze, et se compose d’une
partie sculptée en bronze montrant un groupe de sept raflés
(hommes, femmes, enfants) assis sur un morceau de la piste du
Vélodrome d’Hiver (détruit en 1959) et d’un petit texte rappelant
la tragédie vécue en juillet 1942 : « La République française en
hommage aux victimes des persécutions racistes et antisémites
et des crimes contre l’humanité commis sous l’autorité de fait
dite “Gouvernement de l’État français” 1940-1944. N’oublions
jamais ». Enfin, outre les officiels (gouvernementaux et autres),
la photo montre la présence d’enfants et d’adolescents de la
communauté juive reconnaissables à leurs kippas, qui représentent le groupe porteur de mémoire concerné en premier chef par
l’événement commémoré.
© Hachette Livre
premier du chef de l’État d’imposer une forme d’oubli officiel sur
des événements et des faits susceptibles de nuire à la cohésion
nationale, à la reconstruction de la France et à son rayonnement
en tant que puissance, objectifs fondamentaux du pouvoir gaulliste. Cette volonté s’est d’ailleurs trouvée en résonance avec
les vœux de beaucoup de Français, qui souhaitaient oublier des
temps difficiles, sources de mauvaise conscience, voire de culpabilité. Dans les deux cas, on rappellera que des lois d’amnistie
ont permis d’éviter des poursuites judiciaires pour un certain
nombre de collaborateurs vichyssois comme pour les militaires
français ayant eu recours à la torture ou ayant commis des exactions relevant de crimes de guerre lors de la guerre d’Algérie.
Ces lois d’amnistie ont donc été les leviers d’une amnésie plus
ou moins totale en ce qui concerne surtout la mémoire d’État.
La période des années 1970 est une « période pivot » dans la
mesure où l’on commence à assister à ce qu’Henri Rousso appelle
un « retour du refoulé » tant pour l’histoire des « années noires »
de la collaboration que pour l’Algérie. La levée du voile sur les
faits oubliés et occultés de la Seconde Guerre mondiale a eu
d’ailleurs une incidence sur le début de la manifestation de certains faits occultés pendant la guerre d’Algérie. En témoignent
la quasi-simultanéité de la production de fictions (films et documentaires comme Le Chagrin et la Pitié) mais aussi des ouvrages
(enquêtes historiques, essais…) tant sur la période de Vichy que
sur la guerre d’Algérie (ouvrages de Paxton et de Vidal-Naquet).
Cela correspond au contexte des « années post-gaulliennes »
où l’atmosphère soixante-huitarde de contestation du système
gaullien et du gaullisme, le questionnement des nouvelles générations du baby-boom mais aussi la mobilisation et le travail de
certains intellectuels et universitaires, de journalistes, de réalisateurs et de documentaristes, permettent donc une mise au jour
dans la sphère publique des aspects les plus sombres et les plus
dérangeants des deux périodes.
Enfin, des années 1980 jusqu’à nos jours, on peut parler d’un
« passé dévoilé » et peut-être « assumé », tout au moins en ce
qui concerne la période 1940-1945. La commémoration officielle
de la rafle du Vél’ d’Hiv à partir de 1994, les révélations sur le
passé vichyste de François Mitterrand, le discours de Jacques
Chirac de 1995, le procès Papon en 1997-1998 mais encore, plus
près de nous, la commémoration européenne du 60e anniversaire
de la libération d’Auschwitz en 2005, s’inscrivent dans le sillage
des travaux universitaires menés dans les années 1970-1990 (et
encore de nos jours) en France comme en Europe, et contribuent
à dévoiler presque totalement une partie de ce passé national
longtemps volontairement enfoui et presque tu. A-t-on versé
pour autant dans l’« excès de mémoire » de certains faits qui
seraient davantage rappelés, commémorés et enseignés que
d’autres ? Il y a là matière à réfléchir avec les élèves dans un
débat sur le rôle de l’histoire, de l’enseignement de l’histoire qui
relève aussi de l’éducation civique.
Pour la guerre d’Algérie, les choses sont plus complexes. Le premier colloque universitaire sur le conflit a eu lieu à Paris en 1988,
la reconnaissance officielle de la « guerre » date de 1999, le général Aussaresses a reconnu à titre individuel le recours à la torture
en 2001 et c’est en fin de campagne électorale 2012 que le président Sarkozy a reconnu une faute de l’État pour l’abandon et la
relégation des harkis dans des camps de bâtiments préfabriqués
à l’écart des villes et des villages dans le sud de la France ; ce discours n’a d’ailleurs pas eu le même impact que celui de Jacques
Chirac en juillet 1995. On est toujours dans le temps du passage
compliqué de la mémoire à l’histoire. Le cliché pris devant le
palais du festival de Cannes révèle que si ce passé s’est lui aussi
« dévoilé », les autorités officielles au sommet de l’État ont lentement assumé les faits, tout au moins sur certains points. En
2012, au moment du 50e anniversaire des accords d’Évian et de
l’indépendance algérienne, très peu de paroles officielles, outre
au niveau local, sur les événements tragiques du printemps et
de l’été 1962 ou encore sur le 17 octobre 1961. L’apaisement des
20 • Chapitre 2 - Les mémoires : lecture historique
différentes mémoires blessées du conflit en France comme en
Algérie n’est pas encore d’actualité.
Repères
p. 56-57
La Seconde Guerre mondiale, porteuse de mémoires
→Frise
La frise chronologique simplifiée et les textes accompagnés de
dates ont d’abord pour objectif de rappeler aux élèves le cadre
chronologique sur lequel prend appui le thème des mémoires
de la Seconde Guerre mondiale. Même si les faits et les dates
présentés ont été abordés en classe de troisième et en classe de
première, il va de soi qu’un rappel s’impose en classe de terminale, afin de bien clarifier le lien qui existe entre les différentes
mémoires de cette période et les faits et événements qui les ont
sécrétées. Trois faits majeurs sont présentés qui ont scandé le
conflit et donné lieu au développement des mémoires principales exposées dans les études et les leçons : défaite militaire
et invasion allemande de mai-juin 1940 suivies de l’écroulement
de la IIIe République, occupation allemande et collaboration
avec les nazis de l’État français du maréchal Pétain et enfin
résistance(s) autour du général de Gaulle à compter de juin 1940
suivie(s) de la libération du territoire. Il est donc recommandé
aux élèves de lire attentivement ces repères avant de se lancer
dans des travaux sur les études et leçons proposées.
→Carte 1 : Les principaux faits et lieux de mémoire de la
Seconde Guerre mondiale en France.
L’apport quelque peu original de cette double page consiste surtout en cette carte de France qui présente les différents lieux
de mémoire et les faits qui s’y sont déroulés, qui ont structuré
les principales mémoires de la guerre : les mémoires résistantes
s’enracinent, par exemple, dans des lieux d’action et/ou de
répression comme les maquis ou le mont Valérien ; les mémoires
juive et tsigane sont en partie liées au réseau des camps d’internement et de transit en prélude à la déportation, qui ont
constitué des lieux de souffrances où des milliers d’internés ont
trouvé la mort ; à ce propos, on aurait pu ajouter une carte des
camps situés sur le territoire du Reich et dans le « Gouvernement
général » en Pologne occupée qui sont évidemment des lieux de
mémoire pour les déportés politiques comme « raciaux » mais
les élèves et leurs professeurs s’y référeront facilement car cela
a été l’objet d’une leçon en classe de première. Nous y avons
également joint des lieux de souffrances « civiles » comme le
furent Oradour-sur-Glane ou Tulle.
L’intérêt de cette carte est surtout de bien rappeler aux élèves
que les mémoires des individus et des groupes sont constituées
certes de souvenirs mais que dans le contexte de la guerre,
elles s’incarnent véritablement en des lieux dont certains sont
devenus très connus. Des monuments et autres mémoriaux ou
musées ont été édifiés, cadres de commémorations depuis 1945
et de véritables pèlerinages pour les acteurs-témoins comme les
anciens déportés et de visites pour un public varié, notamment
scolaire, appartenant aux générations ultérieures aux années de
guerre. Certains de ces lieux figurent en photo dans le manuel
comme le mont Valérien ou Oradour-sur-Glane. Le professeur
veillera à en montrer d’autres ou à inviter ses élèves à visiter les
sites qui présentent ces lieux.
Étude 1
p. 58-63
La mémoire de la Résistance, entre mythe et réalité
La mémoire de la Résistance ou les mémoires résistantes devraiton dire constituent les mémoires qui se sont d’abord affirmées
abondamment dans l’espace public après la guerre. Concernant la
mémoire « gaullienne » de la Résistance, Charles de Gaulle (1890-
→Doc.
1 : La mémoire « gaullienne » : le mythe
« résistancialiste ».
Ce discours, prononcé par Charles de Gaulle alors que la capitale
est en passe d’être complètement libérée mais que le territoire
national est encore le théâtre de féroces combats pour plusieurs mois, est le premier jalon de la mémoire gaulliste de la
Résistance : il inaugure et fonde le mythe dit « résistancialiste »,
qui va imprégner durablement discours et commémorations officiels comme les manuels scolaires. En effet, de Gaulle, entre 1944
et 1946 mais encore entre 1958 et 1969, s’est toujours appuyé sur
cette vulgate, en total désaccord avec la réalité historique, qui
promeut l’image d’une France unanimement résistante en 1944
et qui se serait libérée quasiment par elle-même de l’occupant
allemand.
Pour de Gaulle, il s’agissait autant de s’imposer tactiquement
comme un chef d’État incontestable à la Libération, en magnifiant le rôle d’une nation qui n’avait compté que quelques
dizaines de milliers de résistants à ses origines, que d’éviter
une guerre civile durable qui, à bien des égards, fit mine de se
produire entre l’été 1944 et l’été 1945 où une épuration brutale
et sauvage se produisit en même temps que l’épuration légale.
Le professeur attirera bien sûr l’attention de ses élèves sur
l’absence totale de toute référence aux armées de libération
états-unienne et britannique, de même qu’il les questionnera
sur la minoration du rôle de l’État français de Vichy évoqué très
allusivement (« quelques malheureux traîtres »).
→Doc. 2 : Inauguration du Mémorial de la France combattante, par le général de Gaulle, 18 juin 1960.
La mémoire gaullienne, confondue avec la mémoire nationale
au temps de la présidence du général (1958-1969), eut en outre
un lieu emblématique, qui le demeure encore de nos jours, le
mont Valérien. Dès 1945, le mont Valérien, ancien fort de ceinture parisienne, où ont été fusillées un peu plus d’un millier de
personnes (résistants et otages) par les Allemands pendant la
guerre, est retenu pour accueillir un monument aux morts de
la guerre de 1939-1945. Quinze corps de combattants, symbolisant les différentes formes des combats pour la Libération, sont
déposés dans une crypte provisoire, rejoints par un seizième
corps représentant les combattants en Indochine en 1952. Un
dernier caveau est réservé pour recevoir la dépouille du dernier
Compagnon de la Libération (il en demeure actuellement environ une trentaine sur 1036 au départ dont Daniel Cordier ancien
secrétaire et biographe de Jean Moulin). En 1954, une urne
contenant des cendres de déportés est déposée dans la crypte.
Devenu président de la République, le général de Gaulle décide
la création d’un mémorial, conçu par Félix Brunau, inauguré le 18
juin 1960 par lui-même comme le montre la photo où l’on reconnaît sa haute silhouette. Bien visible sur la photo, symbole de
la résistance gaullienne, puis de toutes les résistances unifiées
sous l’égide du général de Gaulle, la croix de Lorraine massive
et centrale se détache du mur et est encadrée de bas-reliefs
plus modestes ; elle est l’élément architectural central du dispositif de Brunau. On peut rappeler aux élèves que c’est l’amiral
d’Argenlieu qui la fit adopter par la France libre en 1940. Il avait
indiqué à de Gaulle qu’il fallait aux Français libres une croix pour
lutter contre la croix gammée. Le 3 juillet 1940, le vice-amiral
Muselier, d’origine lorraine, et commandant des forces navales
et aériennes françaises libres, créa donc un pavillon de beaupré
(carré bleu avec au centre la croix de Lorraine en rouge par opposition à la croix gammée) et, pour les avions, une cocarde à croix
de Lorraine. Il y avait par ailleurs dans les armes du 507e régiment de chars commandé par de Gaulle une croix de Lorraine…
→Doc. 3 : Une mémoire résistante discrète : les
« vichysto-résistants ».
C’est un extrait de texte d’un ouvrage de deux historiens des
années 1939-1945 qui ont étudié le régime du maréchal Pétain,
Jean-Pierre Azéma et Olivier Wievorcka. Par ce petit texte
« scientifique », on découvre que la réalité historique, reconstituée par des historiens animés d’un souci d’objectivité et
ignorant en théorie tout parti pris, est plus complexe que les
approches manichéennes qui président à l’élaboration des
mémoires de la résistance et à leur affirmation dans la sphère
publique. Les élèves apprendront sans doute avec surprise que
les historiens ont élaboré une catégorie originale de résistants,
quelque peu inattendue et peu connue du grand public, celle des
« vichysto-résistants ». Le professeur pourra évoquer que le plus
célèbre de ces « vichysto-résistants » fut sans doute François
Mitterrand dont le passé vichyste fut révélé par Pierre Péan en
1994. Sa biographie, Une jeunesse française, François Mitterrand
1934-1947 (Seuil, 1994), contient une photo qui le montre tout
sourire conversant avec Pétain à Vichy en 1942 ; on apprend
qu’il a obtenu l’une des 2 500 « francisques » récompensant les
serviteurs loyaux du régime, ou encore qu’il a fréquenté épisodiquement René Bousquet (cf. plus loin), chef de la police de Vichy
jusque dans les années 1970… En fait, comme beaucoup d’autres
pendant la guerre et l’occupation, Mitterrand a suivi un parcours
complexe dans une période troublée, où l’on a longtemps pensé
que l’on pouvait s’en remettre à Pétain, héros révéré de Verdun
tandis que de Gaulle était peu connu et son appel du 18 juin
1940 n’avait guère été entendu. Chef de la section presse du
Commissariat au reclassement des prisonniers de guerre dans
le gouvernement du maréchal Pétain, les dérives de Vichy l’ont
amené en février-mars 1943 à entrer en contact avec l’Organisation de résistance de l’armée (O.R.A), puis à fonder sous les
pseudonymes de Morland ou de Monnier, son propre mouvement de résistance, le Rassemblement national des prisonniers
de guerre. Mitterrand est donc bien « passé » progressivement
de Vichy à la Résistance, ce qu’il a toutefois veillé ultérieurement
à masquer devenu chef de file de la gauche française dans les
années 1970.
→Doc. 4 : Jeunes militants communistes défilant avec le portrait de Guy Môquet, vers 1945.
→Doc. 5 : Le Parti communiste français et la Résistance.
→Doc. 6 : Le Parti communiste, Guy Môquet et l’occupation
allemande.
Ces documents évoquent l’autre « grande » mémoire de la
Résistance qui s’est affirmée en concurrence mais aussi en
concordance sur certains points avec la mémoire gaullienne
Chapitre 2 - Les mémoires : lecture historique
• 21
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1970) a évidemment joué un rôle essentiel et moteur tant dans
l’élaboration de son contenu que dans son déploiement dans des
lieux de mémoire et dans la construction de ses figures de proue
comme Jean Moulin. Mais la mémoire gaullienne a dû compter
sur une rivale puissante, la mémoire communiste du conflit,
qui elle aussi s’est fortement déployée dans l’espace public dès
l’immédiat après-guerre, avec là aussi, des temps forts, des lieux
emblématiques comme Châteaubriant et des figures célèbres
comme celle de Guy Môquet, passé récemment, en 2007, de la
mémoire communiste à la mémoire nationale.
Elles ont comme point commun de s’être érigées et affirmées
dans un contexte politique qui était favorable tant au gaullisme
qu’au communisme dans les années 1950-1960, deux courants
politiques et idéologiques de poids dans la vie politique française. Elles ont aussi comme analogie de s’être bâties sur un bon
nombre de mythes, de contre-vérités sinon de mensonges, que
des générations plus jeunes, celles des baby-boomers, et parmi
eux des historiens, parfois étrangers, ont démonté progressivement. En effet, ils ont montré, entre autres, que ces mémoires
permettaient à bien des Français contemporains de la guerre
de s’exonérer d’un passé trouble ou attentiste et donc un peu
dérangeant ou culpabilisant mais qu’elles permettaient aussi à
deux forces politiques majeures durables de la scène politique
de s’ériger en donneuses de leçons morales et donc à asseoir leur
légitimité au-delà de leur seul rôle politique.
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de la Résistance, la mémoire communiste. Cette mémoire du
premier parti politique de France en termes de nombre de députés au lendemain de la guerre et influent jusqu’aux années 1970
dans les milieux ouvriers, malgré un déclin inexorable, possède,
à l’instar de la mémoire gaullienne, ses figures emblématiques
de martyrs comme Guy Môquet, ses processions commémoratives confondues avec de véritables manifestations politiques
(doc. 4) et ses lieux de mémoires où se déroulent (jusqu’à nos
jours) d’importantes cérémonies commémoratives comme à
Châteaubriant en Loire-Atlantique. Le jeune Guy Môquet y fut
fusillé le 22 octobre 1941, parmi 26 autres militants communistes,
à la suite d’attentats commis par des commandos du PCF contre
des militaires allemands. Il était le fils d’un député communiste
du Front populaire de Paris, et avait été arrêté pour avoir distribué des tracts communistes et l’Humanité le 13 octobre 1940. Sa
dernière lettre (à ses parents), dénuée de toute référence politique ou idéologique précises et au ton très émouvant, devait
être lue en classe par les professeurs d’histoire-géographie à la
rentrée 2007 à la demande de Nicolas Sarkozy, président de la
République.
Les dirigeants communistes ont forgé une mémoire héroïque de
la résistance de leur parti à la fin de la guerre, dans un contexte
national et international très favorable, quand l’URSS de Staline
était au sommet de son prestige acquis en tant que l’un des
grands vainqueurs d’Hitler et que le communisme apparaissait comme une idéologie porteuse d’espoirs dans une Europe
appauvrie. En réalité, de Thorez à Duclos, il s’agissait aussi de
faire oublier le parcours tortueux, complexe et très peu résistant
du Parti communiste français entre 1939 et 1941. Son approbation de la signature du pacte germano-soviétique en 1939 et de
l’invasion de la Pologne par l’URSS entraîne son interdiction et
son entrée dans la clandestinité le 26 septembre 1939. Alors que
Thorez est à Moscou, la direction clandestine française (Duclos)
prend contact avec les autorités allemandes d’occupation pour
demander l’autorisation de faire reparaître l’Humanité en s’engageant à ne pas critiquer l’occupant ; en effet, la ligne éditoriale
du journal communiste, après sa reparution, dénonce surtout le
régime de Vichy, ce qui sème le trouble chez certains militants
de base et lui vaut la hargne renforcée des autorités de l’État
français, largement anti-communistes ; elles fournissent donc
aux Allemands des listes d’otages communistes à fusiller suite
à des attentats anti-allemands, comme l’assassinat de l’officier
Holz à Nantes en octobre 1941. À cette date, après l’invasion
allemande de l’URSS en juin 1941, le PCF est vraiment entré en
résistance et les actions résistantes des mouvements armés des
FTP-MOI ou les actions des cheminots communistes sont à l’origine de l’appellation du « parti des fusillés » dont se pare le PCF
après la guerre en exagérant le nombre de ses martyrs, largement en deçà des 75 000 fusillés revendiqués.
Il y a ainsi deux grandes mémoires qui se déploient dès 1945,
rivales sur le plan idéologique, mais similaires dans leur dynamisme, dans leur affirmation officielle au détriment de mémoires
plus discrètes comme celles des déportés ou des militaires internés à la suite de la débâcle de 1940. Mémoires gaullienne et
communiste sont très proches dans leur fonctionnement, fondé
sur des associations mémorielles actives et aussi dans le choix
soigneux de figures de martyrs et/ou de héros ; on peut souligner que Guy Môquet est invoqué par de Gaulle et cité à l’ordre
de la Nation en 1944. Dans les deux cas, ces mémoires forgent
des mémoires héroïques, gommant toute la complexité des faits
pendant la guerre : les gaullistes taisent les affrontements et les
dissensions internes, les communistes, notamment la direction
du PCF, oublient les contacts avec les Allemands de 1940. Dans
les deux cas, il ne s’agit pas seulement de rappeler et de commémorer la mort des compagnons et des camarades de combat,
au nom de la France et des principes et valeurs républicains et
démocratiques, mais il s’agit aussi de se draper dans une certaine légitimité morale pour mener les combats politiques du
22 • Chapitre 2 - Les mémoires : lecture historique
présent qui sont très vifs dans l’immédiat après-guerre et encore
tout au long des années 1950-1970.
◗ Réponses aux questions
1. Les deux personnages symbolisent les mémoires gaullienne
(ou gaulliste) et communiste de la Résistance. Ce lieu se rattache
à la mémoire gaulliste de la Résistance. Le fait que le général de
Gaulle soit devenu président de la République (1958-1969) donne
à ce lieu une dimension de lieu commémoratif officiel. La croix
de Lorraine peut s’interpréter comme un symbole de la France
libre, regroupant, sous la direction du général de Gaulle, tous
ceux qui refusèrent la défaite, quelle que soit leur obédience
politique et idéologique ; mais elle peut être vue également
comme un emblème du gaullisme.
2. Selon ce discours du général de Gaulle, c’est le peuple parisien et le peuple français ainsi que les « armées de la France »
qui ont libéré Paris et le territoire français en général, ce qui est
bien loin d’être conforme à la vérité historique.
3. Le PCF forge une mémoire de la guerre et de sa résistance
qui repose sur une image de parti martyr, qui aurait été le
plus éprouvé par la répression allemande et vichyssoise et qui
aurait le plus contribué à la résistance. Certes les dirigeants et
les milieux collaborateurs et collaborationnistes de Vichy sont
souvent férocement anti-communistes et les militants communistes qui se sont engagés dans la Résistance ont beaucoup
souffert (cf. Guy Môquet), mais c’est oublier que les autres formations politiques ont « donné » des résistants et c’est oublier
les victimes de la déportation ; c’est oublier enfin que le PCF n’a
pas résisté d’emblée en 1940…
4. Évidemment les historiens, qui travaillent avec différentes
sources et se placent dans une position plus objective et critique
des faits du passé, ont élaboré une approche plus complexe de la
Résistance. Ainsi, ils ont montré que certains réseaux et groupes
ne sont ni gaullistes, ni communistes, comme le mouvement
Combat, animé par Henri Frénay et Claude Bourdet. Ils ont aussi
révélé que certains résistants ont commencé leur parcours en
servant le régime de Vichy. Leurs recherches sur l’attitude du
Parti communiste pendant la guerre retracent les ambiguïtés de
son attitude vis-à-vis de l’occupant allemand jusqu’en 1941. Elles
révèlent ainsi que l’arrestation du communiste Guy Môquet ne
relève pas de la répression d’un acte de résistance, mais plutôt
de la lutte de l’État français contre ses adversaires politiques.
◗ Texte argumenté
Deux grandes mémoires de la Résistance se déploient dès 1945, la
mémoire gaulliste et la mémoire communiste. Elles sont rivales sur
le plan idéologique, mais proches dans leur affirmation officielle au
sein de lieux de mémoire qui furent des lieux de combat et/ou de
souffrances (mont Valérien, maquis), mais aussi dans leur fonctionnement fondé sur des associations mémorielles actives ou encore
dans le choix de figures de martyrs comme Guy Môquet, pour le
parti communiste, ou Jean Moulin, pour les Gaullistes, dont les
cendres sont transférées au Panthéon en 1960. Dans les deux cas,
ces mémoires forgent des mémoires héroïques, gommant toute la
complexité des faits pendant la guerre : le général de Gaulle laisse
croire que c’est toute la France qui a résisté unanimement, que ce
sont les seules armées de la France libre qui ont libéré le territoire.
Les communistes, notamment la direction du PCF, se sont présentés
comme le plus grand mouvement de la Résistance.
Progressivement, les travaux des historiens sur la Seconde Guerre
mondiale ont nuancé les vérités que recélaient ces deux grandes
mémoires. D’abord, ils ont démontré que la Résistance était un
phénomène complexe et pluriel et qu’il y a d’autres mémoires résistantes que les mémoires gaulliste et communiste. Ils ont révélé aussi
que la mémoire résistante de certains héros ne correspondait pas
à la situation historique du moment, comme pour Guy Môquet.
Enfin, dans les deux cas, ils ont montré la fonction politique de ces
Mémoire et histoire de l’État français
Longtemps, la France a été véritablement « malade » de sa
mémoire à l’endroit du régime instauré en juillet 1940 par le
maréchal Pétain, « l’État français », parfois appelé quelque peu
improprement « régime de Vichy ». Ce n’est peut-être qu’au
milieu des années 1990 que la communauté nationale, à l’initiative de ses dirigeants (commémoration officielle de la rafle
du Vél’ d’Hiv’, discours de Jacques Chirac en 1995), a infléchi sa
vision officielle du passé et envisagé avec lucidité des moments
douloureux, tragiques et peu glorieux de l’histoire de France du
xxe siècle et notamment la collaboration et complicité actives du
régime de Vichy dans la déportation et l’extermination des juifs
et des Tsiganes (les déportés dits « raciaux » selon la terminologie de l’après-guerre), dans la répression contre les résistants
et l’envoi dans les camps nazis de presque 90 000 déportés dits
« politiques » (50 % de survivants).
→Doc. 1 : Le mythe du bouclier et de l’épée.
Voici un extrait du livre de Robert Aron paru en 1954, Histoire de
Vichy. C’est un livre important d’un homme que l’on ne peut pas
suspecter de sympathies pour l’idéologie nazie ou vichyssoise - il
est juif et a été interné un certain temps au camp de Mérignac
près de Bordeaux - mais qui a contribué à fonder le mythe dit du
« bouclier et de l’épée » selon lequel il y aurait eu une forme de
connivence entre Pétain et de Gaulle ou un double jeu de Vichy,
en vue de préserver les Français occupés pour le premier tandis
que le second préparait l’offensive militaire contre les Allemands
depuis l’extérieur du sol métropolitain. C’est donc un livre paru à
quelques années de la fin du conflit et qui, s’il repose sur un vrai
travail d’étude minutieuse d’archives (mais partielle, les archives
allemandes n’ayant pas été consultées), tend toutefois à minorer la collaboration ouverte entre Vichy et l’Allemagne nazie. En
effet, celle-ci repose sur la volonté de Pétain et de Laval, entre
autres, de vouloir conserver à la France une forme de souveraineté, alors qu’elle est occupée, et de lui faire jouer un rôle de
premier plan dans une Europe sous domination nazie. Mais en
1954, ce passé trouble ne peut pas être dévoilé par les dirigeants
car trop récent ; de Gaulle lui-même a forgé en 1944 le mythe
« résistancialiste », afin de préserver l’unité nationale et reconstruire sereinement le pays.
→Doc. 2 : La « légende du Maréchal ».
Ce document montre que dans des petits cercles d’extrême
droite ces mythes du double jeu ou de la modération de Vichy
à l’encontre des juifs a perduré jusqu’à nos jours. L’Association
pour défendre la mémoire du maréchal Pétain existe toujours
même si ses objectifs initiaux demeurent inatteignables et qu’il
est peu probable qu’ils soient un jour atteints. Cette légende du
Maréchal, forgée au lendemain de la guerre, recèle une part de
mensonges manifestes puisque, contrairement à ce qu’affirme le
général le Groignec (aujourd’hui disparu), non seulement Pétain
n’a résisté en rien mais en plus il n’a pas protégé la communauté
juive comme l’ont montré le statut des juifs de 1940 et l’assistance zélée à l’occupant nazi dans les rafles. Si 25 % des juifs
vivant sur le sol sont morts en déportation alors qu’en Pologne
c’est 90 % de la communauté juive qui était exterminée, ce
n’est pas le fait de Vichy, mais d’individus qui se sont mobilisés
tout au long de l’occupation pour cacher des juifs (notamment
des enfants), à l’instar de ceux que l’on a appelé ensuite les
« Justes ». Serge Klarsfeld rappelle depuis longtemps que la
France était le seul territoire européen où dans certaines zones
comme la zone libre jusqu’en novembre 1942, des juifs avaient
été arrêtés alors que les troupes allemandes n’étaient pas présentes. Il faut donc montrer aux élèves que subsistent donc en
France, certes minoritairement, des gens qui demeurent nostalgiques de la Révolution nationale dans les milieux d’extrême
droite et qui ne tiennent aucunement compte des apports des
travaux historiques pour des raisons idéologiques, notamment
par antisémitisme.
→Doc. 3 : Le cinéma et le retour du refoulé : Nuit et Brouillard
d’Alain Resnais, 1956.
Ce document met côte à côte deux images extraites du film
d’Alain Resnais réalisé en 1955, Nuit et Brouillard. Ce film évoque
la déportation, mêle des images en couleur filmées à Auschwitz
en 1955, des images filmées par les Alliés en 1945 lors de la
découverte des camps et des images fixes, des photos extraites
des archives nazies, comme celle qui est présentée ici. Le titre
du film correspond à la terminologie de la directive nazie de
décembre 1941, qui nomme ainsi les déportés des camps promis
à l’anéantissement. Le scénario du film est de Jean Cayrol, rescapé de Buchenwald, et le conseiller scientifique principal est
Henri Michel, l’un des spécialistes français de la Seconde Guerre
mondiale dans les années 1960-1970. Il est alors le secrétaire
général du Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale,
organisme gouvernemental fondé en 1951, chargé de rassembler
la documentation et de mener des recherches historiques sur la
période de l’Occupation. C’est cet organisme qui est le commanditaire de ce film conforme à la vision que l’on a à l’époque de
la déportation : le génocide juif n’est pas abordé dans sa spécificité, on évoque plutôt la déportation dite « politique » (le mot
« juif » n’est prononcé qu’une seule fois dans le documentaire) ;
le film ne distingue pas non plus les camps de concentration et
les centres d’extermination.
La photo d’un gendarme français (retrouvée dans des archives
allemandes), surveillant le camp de Pithiviers dans le Loiret,
l’un des principaux camps d’internement et de transit des juifs
arrêtés (avec Drancy et Beaune-la-Rolande), suscita une vive
réaction de la commission de contrôle cinématographique, qui
demanda à Resnais de la retirer. Finalement, il se résigna à placer un bandeau noir pour masquer le gendarme et ce n’est que
deux décennies plus tard que la photographie originale put être
enfin vue complètement. Ces deux images sont connues et elles
figurent souvent dans les manuels d’histoire depuis plusieurs
décennies. Si nous avons choisi de les faire figurer côte à côte,
c’est pour bien montrer aux élèves que les autorités officielles
étaient particulièrement gênées que les spectateurs puissent
découvrir que la gendarmerie, cette vieille institution militaire
généralement appréciée du public, ait pu participer d’une certaine façon à la déportation des juifs. Elles traduisent donc
bien cette ambivalence des dirigeants et autorités officielles de
l’époque qui veulent informer et marquer les générations présentes et futures sur le drame de la déportation et les crimes
du nazisme, mais refusent de regarder avec lucidité ce passé
trouble et dérangeant, à savoir la collaboration active du régime
de Vichy avec les Allemands. L’ambassade de RFA demanda le
retrait du film de la sélection officielle du festival de Cannes de
1956, au nom de la réconciliation franco-allemande, ce qu’elle
obtint du gouvernement de Guy Mollet tandis qu’une polémique
se déclenchait en France.
→Doc. 4 : Pétain et les Juifs : un document d’archive de 1940.
Ce document est constitué d’un feuillet parmi six qui font partie
du Projet de loi sur le statut des Juifs du 3 octobre 1940 édicté
par l’État Français. Nous reproduisons ici le premier feuillet du
projet de loi initial annoté par la main même du maréchal Pétain.
Ce document inédit, récemment découvert et authentifié, a été
remis au Mémorial de la Shoah à Paris par un donateur anonyme par l’intermédiaire de Serge Klarsfeld. Ce document et ces
informations ont été publiés et révélés au grand public par la
Chapitre 2 - Les mémoires : lecture historique
• 23
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mémoires : il ne s’agit pas seulement de rappeler et de commémorer la mort des compagnons de combat au nom de la France, il
s’agit aussi de s’appuyer sur une légitimité morale pour mener les
combats politiques. Ainsi, l’affiche du PCF poursuit un objectif de
propagande afin de mobiliser les électeurs au moment des élections
municipales d’avril et mai 1945.
presse le 3 octobre 2010, cinquante ans jour pour jour après la
promulgation du « statut des Juifs », première étape dans la participation du régime de Vichy au génocide juif en France. Cette
découverte « sidérante » selon l’historien Robert Paxton, révèle
ce que subodoraient des historiens spécialistes de la période,
c’est-à-dire l’antisémitisme ouvert de Pétain lui-même, connu
par les propos de certains témoins présents le jour du débat
en conseil gouvernemental consacré à ce texte. D’une certaine
façon, la découverte de ces feuillets clôt la question longtemps
débattue de l’éventuel double jeu de l’État français ou d’une
possible volonté de protéger les juifs sur le sol français et rappelle une nouvelle fois la volonté affichée du gouvernement de
Vichy de s’aligner sur la politique antisémite menée par les nazis
en Europe.
→Doc. 5 : L’historien Robert Paxton au procès de Maurice
Papon, 1997-1998.
Cet extrait d’un article du journal Sud-Ouest de 1997 rapportant
une audience du procès Papon évoque l’historien universitaire
américain Robert Paxton dont l’ouvrage paru en 1973 aux éditions du Seuil, La France de Vichy, a précisément mis à mal la
thèse d’un double jeu vichyssois et de la modération de Vichy
vis-à-vis des juifs. À une époque de « retour du refoulé » au cinéma (Marcel Ophüls, Le Chagrin et la Pitié, Joseph Losey, Monsieur
Klein) et d’affirmation progressive dans la sphère publique de
la mémoire juive de la Shoah, l’ouvrage de Paxton a permis de
(re)découvrir le rôle occulté de l’État français, complice actif du
génocide, mais aussi des institutions judiciaires, administratives
et policières qui y ont participé et ont échappé en grande partie
à l’épuration légale et administrative des années 1945-1950.
Comme d’autres historiens français de la période, dont JeanPierre Azéma, et à titre d’expert cité par le ministère public,
Robert Paxton a donc accepté de venir déposer à la barre de
la cours d’Assises de Bordeaux lors du long procès de Maurice
Papon (le plus long procès en cour d’Assises depuis la Libération),
ancien haut-fonctionnaire et ancien ministre, qui occupait la
fonction de secrétaire général de la préfecture de Gironde sous
l’Occupation. À ce poste il a alors ordonné l’arrestation, l’internement au camp de Mérignac, puis le transfert vers Drancy de
1 690 juifs entre 1942 et 1944. Il a été condamné à 10 ans de prison ferme pour complicité de crime contre l’humanité.
Maurice Papon, à qui le général de Gaulle avait accordé sa
confiance lorsqu’il était préfet de police de Paris et qui fut
ministre du budget dans le gouvernement de Raymond Barre à
l’époque du septennat de Valéry Giscard d’Estaing, représentait
ainsi la collaboration active de la haute Administration française dans la déportation des juifs de France qui ne fut guère
dénoncée, inquiétée et épurée à la fin de la guerre. Lors de son
procès, il ne fit ni preuve de repentance, ni ne demanda pardon aux anciens déportés survivants pour son action passée à la
préfecture de Gironde. Il est nécessaire de rappeler que le procès Papon s’inscrivait dans le sillage du procès de Klaus Barbie
en 1987, chef de la Gestapo de Lyon pendant la guerre et tortionnaire, entre autres, de Jean Moulin, qui fut condamné à la
réclusion perpétuelle. Il est donc intéressant de montrer à travers ce document le rôle important des historiens jusque dans le
prétoire d’une cour d’Assises.
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→Doc. 6 : La politique allemande des otages.
Extrait d’un article d’un spécialiste de la Seconde Guerre mondiale
en France, Jean-Pierre Azéma, publié par le magazine l’Histoire.
Celui-ci rappelle le rôle de Vichy dans la constitution des listes
d’otages fusillés par les Allemands et notamment le fait de proposer et de livrer aux Allemands des gens qui sont dans la ligne
de mire de l’idéologie de la Révolution nationale, c’est-à-dire des
communistes. Ce dernier document est donc à mettre en parallèle avec le texte consacré à Paxton et à Papon pour montrer le
rôle des historiens dans la reconstruction d’un passé délivré des
approximations et des mensonges forgés après la guerre.
24 • Chapitre 2 - Les mémoires : lecture historique
◗ Réponses aux questions
1. Ces deux documents veulent forger une image positive de
l’État français en montrant qu’il a joué un double jeu pour permettre d’assouplir les dures conditions d’occupation tandis que
de Gaulle, de connivence avec le maréchal Pétain aurait préparé
le combat contre l’occupant nazi depuis l’extérieur (à Londres et
dans l’empire colonial français). Par ailleurs, le régime de Vichy
aurait tout fait pour limiter la déportation des juifs sur le sol
français, en zone occupée et surtout dans la zone libre jusqu’en
1942.
2. Des documents, exhumés plus tard dans des archives par
les historiens, ont montré que Pétain était un antisémite manifeste décidé à écarter les juifs de la vie sociale du pays en leur
interdisant, par exemple, tout emploi dans la fonction publique.
Les annotations de Pétain durcissent le projet initial du « statut
des Juifs » d’octobre 1940 concernant notamment le personnel enseignant. En outre, les autorités françaises, en partie à la
demande des Allemands, ont assisté ces derniers pleinement
dans l’identification, l’arrestation et le transfert des juifs dans
des camps d’internement et de transit comme ceux de Drancy et
du Loiret. Ces camps étaient gardés par des gendarmes français.
3. Le document 4 confirme la politique antisémite du maréchal
Pétain, qui s’aligne sur les lois allemandes de Nuremberg des
années 1930. L’objectif est de maintenir pour l’État français une
certaine indépendance politique.
4. Jean-Pierre Azéma démontre que loin de protéger les
Français, le gouvernement de Vichy a livré aux occupants allemands des listes d’otages à fusiller pris parmi des Français, des
militants communistes car c’est un gouvernement dirigé par des
hommes résolument anti-communistes comme Pierre Pucheu.
La mort de Guy Môquet s’inscrit pleinement dans ce contexte.
◗ Texte argumenté
Dès 1945 s’est forgée une « légende » du Maréchal faisant de lui
un complice du général de Gaulle alors à Londres, soucieux de préserver la France et les Français des dures conditions d’armistice
et d’occupation allemande en attendant l’offensive militaire de la
France libre. Ce mythe faisait aussi de lui un fervent défenseur des
juifs de France, son action ayant soi-disant permis la déportation
d’une proportion de juifs moindre par rapport à d’autres territoires
occupés par les nazis en Europe.
Progressivement, alors que cette période trouble du rôle du gouvernement de Vichy était en grande partie occultée et parfois méconnue
de la mémoire nationale, les historiens, étrangers et français, mais
aussi des associations de victimes de la répression allemande et
vichyssoise ont entrepris d’écrire l’histoire « scientifique » de l’État
français. La consultation des archives allemandes et françaises ainsi
que des témoignages de certains acteurs de cette époque ou encore
des procès récents, comme celui de Maurice Papon, ont mis à mal
les légendes et les mensonges colportés par les admirateurs et les
nostalgiques du régime de Vichy. En réalité, ce dernier, profondément antidémocratique et antisémite, a collaboré activement avec
les Allemands dans la politique de répression contre ses opposants
politiques (les communistes, par exemple) et surtout dans la déportation des juifs en édictant le « statut des Juifs » ou en confiant à
la police et à la gendarmerie françaises mais aussi aux préfectures
comme celle de la Gironde, la mission de rafler et d’interner les juifs
avant leur départ.
Mémoires et histoire de la Déportation
et de la Shoah
Il était intéressant d’aborder ce thème qui concernait une ou des
mémoires qui, dans un premier temps, ont été très silencieuses :
qu’ils aient été déportés politiques ou raciaux, les survivants
des camps de concentration et/ou d’extermination ont généralement été animés par une pulsion de silence sur une épreuve
personnelle et collective indicible par l’intensité des souffrances
→Doc. 1 : Une mémoire sélective de la Déportation.
On y évoque la première forme de mémoire de la déportation
qui s’est affirmée dès 1945 dans l’espace public, la déportation
dite « politique », qui, d’après la Fondation pour la Mémoire
de la Déportation, a concerné 86 627 personnes (23 000 survivants), dont 10 % de femmes. Ce sont les résistants capturés
lors des actions allemandes et vichyssoises contre les réseaux
et les maquis, mais aussi des réfractaires au STO, des otages
civils, des homosexuels, ou encore des républicains espagnols,
socialistes, communistes, internés en France avant le début du
conflit. Ici ce sont des femmes qui défilent à Paris le 1er mai 1945 ;
leur panneau indique qu’elles ont été déportées dans des camps
situés en des lieux très différents et qui, dans l’optique des nazis,
n’avaient pas la même fonction. Peu soucieux des classifications
historiennes ultérieures, les déportés se sont évidemment focalisés sur la fonction de mise à mort, immédiate ou différée, de
ces camps.
Ravensbrück est un camp de concentration sur le sol allemand
ouvert dès 1934 spécialement réservé aux femmes (132 000
femmes et enfants y furent déportés dont 90 000 périrent ;
7,4 % des femmes internées étaient françaises dont Germaine
Tillion, ethnologue et résistante du Groupe du musée de
l’Homme). Il comporta une chambre à gaz à l’automne 1944 et
un four crématoire pour faire disparaître les corps des détenus
morts ; Mauthausen est un camp situé en Autriche annexée où,
s’il n’y avait pas de chambres à gaz, les conditions de détention
et de travail des hommes dans la carrière de Mauthausen en faisaient un autre mouroir effroyable ; Auschwitz est à la fois un
camp de concentration et un centre d’extermination, où périrent
essentiellement des juifs (1,1 million de personnes). Comme le
dit le panneau, lieu de « mort lente » pour les détenus jugés
aptes au travail par les SS, et aussi lieu « d’extermination » ou de
mort immédiate par gazage pour les juifs et Tsiganes, enfants,
malades, vieillards mais aussi des détenus « politiques », dont
des femmes internées à Ravensbrück qui, inaptes au travail, y
furent gazées.
→Doc. 2 : Une mémoire administrative : la rafle du Vél’ d’Hiv.
Ce document constitue une autre forme de la mémoire de la
Déportation et de la Shoah puisqu’il s’agit d’une mémoire
« administrative » de la Rafle du Vél’ d’Hiv’ ; celle-ci a constitué
la plus grande rafle de juifs sur le sol français les 16 et 17 juillet 1942, quand 13 000 personnes (hommes, femmes, enfants)
furent arrêtées à Paris et en région parisienne puis transférées
et internées dans les camps de Drancy et du Loiret avant leur
envoi à Auschwitz au cours de l’été 1942. Pour les historiens, ces
documents de type administratif découverts dans les archives,
authentifiés et recoupés avec d’autres sources documentaires,
constituent une autre mémoire précieuse des événements dont
ils essaient patiemment de reconstituer le déroulement. Ici il
s’agit des instructions du secrétaire général de la police de Vichy,
René Bousquet, au préfet de police de la Seine. Conformément
aux négociations menées entre les autorités allemandes d’occupation et celles de Vichy, c’est la police et la gendarmerie qui
effectuent la rafle de juifs considérés comme « étrangers » (des
juifs réfugiés avant-guerre ou des juifs expulsés d’Allemagne
depuis 1939 qui n’ont pas la nationalité française). Lors de son
procès, Pétain dira qu’il s’est efforcé de protéger les juifs de
nationalité française mais ceux que Bousquet désigne comme
les « apatrides » sont en fait des citoyens français naturalisés
depuis quelques décennies (des immigrés d’Europe centrale
et orientale à la fin du xixe siècle ou encore après la Première
Guerre mondiale, que le statut du 3 octobre 1940 a dénaturalisés). Beaucoup de ces documents administratifs relatifs aux
rafles sont aujourd’hui conservés au Mémorial de la Shoah après
avoir été collectés, rassemblés, authentifiés par le CDJC dès 1943
(voir plus haut).
→Doc. 3 : La mémoire orale des survivants.
Extraits de la déposition d’une ancienne déportée politique à
Ravensbrück puis à Auschwitz, Marie-Claude Vaillant-Couturier
(1912-1996), effectuée auprès du Tribunal international de
Nuremberg où elle est citée par l’accusation. Reporter de formation, militante communiste, compagne pendant quelques
années de Paul Vaillant-Couturier, rédacteur en chef de l’Humanité et député de Paris, cette femme, par ailleurs germaniste, a
eu l’occasion d’enquêter, pour l’Humanité - où elle a intégré le
service photo - et pour diverses parutions comme le magazine
Regards, sur l’accession d’Hitler au pouvoir en 1933. Elle a pris
notamment des photos clandestines des camps d’Oranienburg
et de Dachau. Elle entre en résistance à l’automne 1940, éditant, entre autres, des numéros clandestins de l’Humanité. Elle
va jusqu’à transporter des explosifs. Elle est arrêtée par la police
française le 9 février 1942 ; tandis que ses camarades masculins
sont fusillés, elle est plus tard déportée à Auschwitz-Birkenau le
24 janvier 1943. Pendant dix-huit mois, elle observe le fonctionnement du camp et l’extermination des juifs, intégrant le comité
international de résistance du camp. Elle est ensuite transférée à Ravensbrück. Plus tard, elle sera députée communiste en
région parisienne et co-présidente de la Fédération nationale
des déportés et internés résistants et patriotes en 1978. Elle
témoigne encore au procès de Klaus Barbie en 1987 et devient
la première présidente de la Fondation pour la mémoire de la
déportation en 1990.
Sa déposition, dont on présente ici des extraits, est très connue
et figure depuis très longtemps dans les manuels scolaires mais
elle permet d’envisager la question du témoignage d’abord oral
puis écrit, mais par retranscription, si précieux pour les historiens. Le petit fragment reproduit ici permet, par l’évocation de
détails et d’images très concrets, d’évoquer l’absence totale de
conditions sanitaires de base dans le quotidien des déportés et
de comprendre le taux de mortalité très élevé, outre leur assassinat de masse, en raison des épidémies qui sont inhérentes à ces
conditions sanitaires désastreuses.
→Doc. 4 : La mémoire d’un détenu.
C’est un dessin d’un ancien détenu, David Olère, qui, après
son internement à Auschwitz, a tenu à la fois à témoigner du
fonctionnement quotidien de cet univers inhumain par le desChapitre 2 - Les mémoires : lecture historique
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psychiques et physiques. C’est ce qui ressort de certains écrits
comme ceux de Primo Levi ou de Jorge Semprun mais c’est aussi
ce que révèlent les témoignages des anciens déportés lorsqu’ils
viennent évoquer leur captivité aux élèves du secondaire.
En 1944-1945, lorsqu’ils reviennent de l’enfer des camps, les
déportés ne sont pas toujours écoutés ou compris lorsqu’ils
évoquent leur expérience ; certains, car ils sont jeunes souvent,
ne sont pas crus, et s’enferment donc dans le silence et essaient
de reprendre une vie quotidienne « normale ». Dans la sphère
publique, c’est d’abord la déportation dite « politique » qui s’affirme et est visible comme lors de la cérémonie du 11 novembre
1945 à l’Arc de Triomphe alors que les survivants du génocide
juif ne sont que 2 500. Ce n’est qu’en 1954 qu’est instaurée une
journée nationale du souvenir des victimes et des héros de la
Déportation. La mémoire et l’histoire spécifiquement juives de
la Déportation s’affirment précocement mais silencieusement :
Isaac Schneersohn a créé le Centre de Documentation Juive
Contemporaine en 1943, qui est une œuvre à la fois de mémoire
et d’histoire, afin de recueillir des documents, dont certains
seront produits par l’accusation au procès de Nuremberg. En
1949 est inauguré à la synagogue de la rue de la Victoire à Paris
un monument du souvenir. Le procès d’Adolf Eichmann en 1961
en Israël permet de mieux cerner le processus de la destruction
programmée, planifiée et industrialisée des juifs d’Europe. À
partir des années 1970-1980, les manifestations négationnistes
incitent certains historiens à écrire une histoire des chambres à
gaz qui ne soit pas uniquement fondée sur la mémoire orale et
visuelle des survivants.
sin, où des détails techniques se combinent à la description des
corps délabrés. Les historiens spécialistes du fonctionnement
d’Auschwitz, à l’instar de Jean-Claude Pressac (cf. ci-après),
remarquent toutefois que ce dessin n’est pas conforme à la réalité historique absolue des faits puisque David Olère a ici placé
au même étage les chambres à gaz, dont les sonderkommandos extraient les cadavres, et les fours crématoires. En fait, les
chambres à gaz décrites par Olère sont au sous-sol alors que
les fours destinés à la crémation sont au rez-de-chaussée, reliés
au sous-sol par un monte-charge. Pour l’historien Pierre VidalNaquet, ces erreurs liées à la fragilité de la mémoire visuelle des
survivants et exploitées insidieusement par les négationnistes
pour nier l’existence des chambres à gaz homicides, comptaient
peu par rapport à un processus criminel, dont les grandes lignes
étaient établies.
Mais des historiens se sont toutefois attachés à entreprendre
une histoire « technique » des chambres à gaz, à l’exemple
de Jean-Claude Pressac (1944-2003), convié par Pierre VidalNaquet à s’exprimer pour la première fois publiquement dans
un colloque sur le thème du génocide juif en 1982. Pharmacien
devenu historien, d’abord compagnon de route du négationniste
Robert Faurisson, il devait reconnaître la réalité des chambres à
gaz homicides et travailler sur les archives techniques relatives
à Auschwitz-Birkenau, celles des contrats de commandes, des
devis et des correspondances passés entre les entreprises de
BTP allemandes et la Direction des camps ; ces archives sont
longtemps restées peu exploitées par ceux qui s’étaient penchés
sur la Shoah. Il a publié deux ouvrages : Auschwitz. Technique and
operation of the gas chambers, en 1989, et Les Crématoires d’Auschwitz. La Machinerie du meurtre de masse, en 1993.
→Doc. 5 : L’historien et les mémoires du génocide.
Présente un extrait d’une interview de Pressac, accordée au
magazine l’Histoire en 1992, où il rapporte comment il a découvert dans ces archives des mentions explicites et claires de la
part des nazis concernant l’aménagement de chambres à gaz
homicides en lieu et place des soi-disant salles de douches, où
les déportés étaient rassemblés avant d’être assassinés par la
diffusion depuis le toit du gaz zyklon B.
déporter les juifs (documents administratifs) ou encore les documents relatifs à la construction des chambres à gaz longtemps
peu explorés.
3. Ces témoignages individuels nous renseignent sur les conditions sanitaires effroyables de la vie quotidienne des déportés et
sur l’existence et le processus d’une extermination de masse à
Auschwitz-Birkenau.
4. Les historiens utilisent ces mémoires individuelles pour
reconstituer les faits du passé, en l’occurrence le fonctionnement de l’univers concentrationnaire, mais ils les confrontent à
d’autres documents comme, par exemple, des contrats et des
devis d’entreprises, des lettres entre entrepreneurs et nazis
commanditaires des installations de gazage et enfin des plans
des chambres à gaz parfois retrouvés longtemps après les faits.
◗ Texte argumenté
La Déportation a produit deux grandes mémoires : une mémoire
« politique », essentiellement celle des anciens résistants déportés, et une mémoire juive de la Déportation. C’est la mémoire dite
« politique » qui s’est affirmée en premier. La mémoire juive de la
Déportation est plutôt occultée ou silencieuse dans la mesure où, en
1945, on ne perçoit pas encore la singularité de la Shoah. Par ailleurs,
le nombre des survivants des camps est très restreint (2 500 personnes) alors que les survivants de la déportation dite « politique »
étaient plus nombreux (environ 23 000 sur 86 000 déportés). C’est
elle qui est d’abord honorée publiquement et les déportés « raciaux »
ne sont pas vraiment singularisés par rapport aux déportés « politiques ». Les différentes « traces mémorielles » de la Déportation et
du génocide juif (et tsigane) sont les témoignages oraux et visuels
des survivants, mais aussi des archives relatives aux mesures prises
par les autorités allemandes et vichyssoises pour déporter les juifs
(documents administratifs) ou encore les documents relatifs à la
construction des chambres à gaz longtemps peu explorés. Les historiens utilisent ces mémoires individuelles pour reconstituer les faits
du passé, en l’occurrence le fonctionnement de l’univers concentrationnaire, mais ils les confrontent à d’autres documents comme ici
des documents « techniques ». Cette confrontation permet de corriger les erreurs éventuelles de la mémoire des « acteurs-témoins »,
par nature sélective, fluctuante et fragile.
→Doc. 6 : Plan original d’une chambre à gaz, daté du
8 novembre 1941.
C’est une découverte très importante qui a été faite en 2008
dans un appartement à Berlin, celle de 28 plans des chambres à
gaz d’Auschwitz portant des mentions très claires et très explicites (comme « Gaskammer ») sur la fonction des bâtiments
dessinés. L’un de ces plans originaux daté du 8 novembre 1941
est reproduit ici, à un moment où, selon Ian Kershaw, le grand
spécialiste britannique du nazisme, les réflexions des chefs nazis
sur la « question juive » s’orientent (à l’automne 1941) vers la
recherche de la mise au point d’un processus de destruction
industrielle des populations juives européennes.
◗ Réponses aux questions
© Hachette Livre
1. La Déportation, qui englobe la déportation dite « politique »
et celle raciale (celle des juifs et des Tsiganes), a produit deux
grandes mémoires : la mémoire « politique », essentiellement
celle des anciens résistants déportés, et la mémoire juive de la
déportation. C’est la mémoire dite « politique » qui s’est affirmée
en premier. La mémoire juive de la Déportation est occultée dans
la mesure où, en 1945, on ne perçoit pas encore la singularité de
la Shoah. Par ailleurs, la difficulté de reconnaître la responsabilité d’une administration et d’un gouvernement français dans la
déportation des juifs a longtemps occulté cette mémoire.
2. Les différentes « traces mémorielles » de la Déportation
et du génocide juif (et tsigane) sont les témoignages oraux
et visuels des survivants, mais aussi des archives relatives aux
mesures prises par les autorités allemandes et vichyssoises pour
26 • Chapitre 2 - Les mémoires : lecture historique
Leçon 1
p. 64-65
L’historien et les mémoires de la Seconde Guerre
mondiale
Cette leçon est destinée à mettre en perspective l’Étude 1 en
établissant une typologie synthétique des différentes mémoires
produites par la Seconde Guerre mondiale et en retraçant l’évolution historique de la mémoire depuis 1945 dans le débat public
auquel contribuent de nombreux acteurs.
→Doc. 1 : Une revue consacrée à la mémoire de la Déportation.
Mémoire vivante, septembre 2008.
Couverture de la revue trimestrielle consacrée à la mémoire
et à l’histoire de la Déportation, Mémoire vivante, éditée par la
Fondation nationale pour la mémoire de la Déportation créée
en 1990. Cette couverture a été choisie dans la mesure où les
élèves, qui participent annuellement au concours national de
la Résistance et de la Déportation, sont amenés à consulter les
documents proposés par la revue sur les thèmes dudit concours
avant de constituer leurs dossiers ou de composer.
→Doc. 2 : Pose de la première pierre du Mémorial du martyr
juif inconnu, Paris, 1953.
Photo relative à l’une des étapes de la constitution de la
mémoire juive de la Shoah et à son affirmation dans l’espace
public. À cet emplacement sera édifié plus tard le Mémorial de la
Shoah, 17 rue Geoffroy-l’Asnier dans le IVe arrondissement, inau-
◗ Réponse à la question
1. Cette pose de la première pierre du Mémorial du martyr juif
inconnu se rattache à une mémoire juive de la Déportation et au
souvenir de la Shoah, qui émergent encore peu à cette période
dans l’espace public.
→Doc. 3 : L’historien et les « acteurs-témoins » de la
Résistance.
Texte extrait de la table ronde organisée en 1997 par le quotidien Libération entre les époux Aubrac et un cercle d’historiens
spécialistes de la Résistance et de la Seconde Guerre mondiale.
L’extrait présenté provient des discussions animées entre ce
couple de « héros » de la Résistance, disparus récemment, et les
historiens consignées dans un supplément spécial du journal. Ce
débat, parfois compliqué et éprouvant pour Raymond et Lucie
Aubrac, porte notamment sur les circonstances de l’arrestation
de Jean Moulin le 21 juin 1943 à Caluire dans la banlieue lyonnaise. Après son procès et sa condamnation à perpétuité, le chef
de la gestapo lyonnaise et bourreau entre autres de Jean Moulin,
Klaus Barbie, a désigné avant sa mort Raymond Aubrac comme
celui qui aurait « donné » Max alias Jean Moulin aux Allemands.
54 ans après les faits et bien des tourments dus aux calomnies
liées à cet épisode trouble de l’histoire de la Résistance française
(on n’a jamais su qui avait trahi Jean Moulin et ses camarades),
les époux Aubrac acceptent de revenir une énième fois sur
les faits complexes qui ont vu une première puis une seconde
arrestation de Raymond Aubrac à Caluire, lui qui était devenu
numéro deux de l’Armée secrète au sein des Mouvements unis
de la Résistance (M.U.R).
L’intérêt de cet échange entre Raymond Aubrac, Jean-Pierre
Azéma et Daniel Cordier, historien, biographe et ancien secrétaire de Jean Moulin, est de montrer comment il est difficile aux
historiens de reconstituer la chronologie des faits de cet épisode célèbre et complexe qui suit l’arrestation de Jean Moulin
et de ses compagnons résistants. Faute d’avoir des preuves et
un calendrier, Raymond Aubrac ne peut dire avec certitude si
c’est bien Henri Aubry qui, après un interrogatoire violent et
sous les tortures de Klaus Barbie, a indiqué la véritable identité de Moulin et d’Aubrac et quand cela s’est passé. Daniel
Cordier intervient alors pour compléter la mémoire défaillante
de l’« acteur-témoin » en se référant à un document archivé, un
rapport d’un résistant expédié à Londres, qui permet de préciser
un peu mieux la chronologie des faits.
◗ Réponse à la question
1. Les historiens tentent de reconstruire un passé en croisant
les témoignages d’acteurs, dont la mémoire est fragile, avec
d’autres sources d’informations. Ici, la confrontation du témoignage de Raymond Aubrac avec le rapport du commissaire
permet de préciser les circonstances de l’arrestation de Jean
Moulin et de la découverte de sa véritable identité.
→Doc. 4 : Mémoire « héroïque » des résistants et approche
scientifique des historiens.
Extrait du même débat où l’historien François Bédarida explique
clairement la distinction entre la légende ou les légendes de la
Résistance - un phénomène louable dans les principes et les
valeurs qui ont motivé la plupart des Résistants - et le rôle de
l’historien qui étudie la Résistance dont la responsabilité scientifique est précisément d’ignorer la dimension légendaire ou
mythologique pour se concentrer sur les faits et leur reconstitution. Nous avons ici un document qui peut être utilisé dans
le cadre de l’étude consacrée aux mémoires de la Résistance,
gaullienne et communiste, qui sont des mémoires empreintes
d’« images d’Épinal » selon le mot de l’historien.
◗ Réponse à la question
1. Les historiens ont la double responsabilité d’aider à la transmission de la mémoire du passé, mais aussi d’en étudier les
légendes pour reconstruire une histoire plus proche de la réalité.
→Doc. 5 : 16 juil. 1995, un tournant dans l’histoire de la
mémoire officielle.
Constitué d’extraits du discours très connu de Jacques Chirac,
alors président de la République, le 16 juillet 1995. Lors de la
seconde commémoration de la rafle du Vélodrome d’Hiver, le
chef de l’État rompt le silence officiel, qui prévalait jusque-là sur
la question de la collaboration active avec les nazis des autorités de Vichy dans la déportation de 76 000 juifs pendant la
guerre. En reconnaissant les fautes de l’État français, Jacques
Chirac prend acte au nom de l’État à la fois des revendications
mémorielles de la communauté juive et des investigations historiques menées depuis la « révolution paxtonienne ». Il rompt
avec ses prédécesseurs et notamment avec François Mitterrand
qui, comme d’autres présidents avant lui, continuait à fleurir la
tombe du maréchal Pétain à l’île d’Yeu, rendant ainsi hommage à
son rôle pendant la Grande Guerre et qui n’avait consenti à faire
du 16 juillet une journée officielle commémorative que sous la
pression, deux années auparavant, dans le contexte du trouble
généré, dans l’opinion publique, par les révélations sur son passé
(voir plus haut).
◗ Réponse à la question
1. En reconnaissant les fautes de l’État français dans l’arrestation des juifs le 16 juillet 1942 lors de la rafle du Vélodrome
d’Hiver, Jacques Chirac, président de la République, assume la
responsabilité de la France dans cette politique de collaboration.
Histoire des Arts
p. 66-67
La Bataille du rail et les mémoires
de la Seconde Guerre mondiale
Le cinéma français s’est naturellement et abondamment
intéressé à la Seconde Guerre mondiale pour sa dimension spectaculaire, tragique et héroïque. Mais que ce soit sous la forme de
fictions ou de documentaires, qu’il recèle une dimension propagandiste ou qu’il soit animé d’intentions didactiques proches du
récit de l’historien, le cinéma est un bon miroir de l’évolution et
de l’affirmation des différentes mémoires générées par la guerre.
La Bataille du rail a été choisie car c’est un film qui, juste au sortir
de la guerre, combine fiction et documentaire sur la résistance
des cheminots de la SNCF pendant l’Occupation et procède
d’une volonté de mythifier l’action d’une corporation, qui permit
vraisemblablement à la SNCF d’occulter son rôle logistique dans
la déportation des déportés « politiques » et « raciaux ». C’est
un film très intéressant également sur le plan artistique et esthétique puisqu’il s’inscrit dans le courant réaliste de l’avant-guerre
et parce que l’une de ses grandes originalités est, entre autres,
de décrire avec précision, dans des décors naturels, le travail et
Chapitre 2 - Les mémoires : lecture historique
• 27
© Hachette Livre
guré en 2005 par Jacques Chirac, président de la République, à
la fois lieu de recueillement, de mémoire et d’histoire avec son
mur des noms des 76 000 personnes déportées, son allée des
Justes de France, ses espaces muséographiques et son centre
d’archives issu du CDJC. Le Mémorial est une initiative d’Isaac
Schneersohn, le fondateur du Centre de Documentation Juive
Contemporaine (1943). Le bâtiment est inauguré le 30 octobre
1956 en présence de 50 délégations des communautés juives du
monde entier, de nombreuses personnalités politiques et religieuses venues de toute l’Europe. Des cendres provenant des
camps d’extermination et du ghetto de Varsovie sont solennellement déposées le 24 février 1957 dans la crypte du Mémorial
par le grand rabbin Jacob Kaplan. Classé monument historique
depuis 1991, le Mémorial du martyr juif inconnu accueille chaque
année les principales cérémonies liées à la Shoah (ghetto de
Varsovie, découverte du camp d’Auschwitz…), organisées par
l’État ou par la communauté juive.
les actions de sabotage des cheminots, une scène proposant
même la reconstitution d’un véritable déraillement.
◗ Réponses aux questions
1. L’affiche veut montrer le rôle résistant joué par la corporation
des cheminots pendant la guerre. On distingue au second plan
des soldats allemands dans un wagon derrière la locomotive.
2. Le film a une dimension mythologique dans la mesure où il
rend héroïque le destin de quelques cheminots censés représenter
la résistance unanime des hommes de la SNCF contre l’occupant
allemand en gommant le rôle d’une autre partie de la corporation
qui a obéi aux ordres des Allemands dans le cadre de la réquisition
autoritaire du réseau ferré et des machines de la SNCF.
3. C’est un film réaliste car il y a un souci de montrer avec précision, sans trucages et en filmant en extérieur (ce qui n’était pas
encore la norme à l’époque), le rôle joué par les cheminots que
l’on voit accomplir les gestes nécessaires pour saboter les voies
ferrées avant le passage de convois allemands.
4. Les gros plans sur les visages des cheminots dans leur travail quotidien comme la conduite des locomotives n’est pas sans
rappeler l’esthétique de l’adaptation cinématographique par
Jean Renoir du roman de Zola, La Bête humaine, avec Jean Gabin,
en 1938. Le gros plan sur le visage du cheminot de l’affiche n’est
d’ailleurs pas sans évoquer le visage de Jean Gabin.
5. Le film est la résultante d’une concertation entre la SNCF
et Résistance-Fer, une organisation dans la mouvance du parti
communiste qui regroupe des cheminots résistants ; l’accord
tacite entre ces deux composantes (la direction de la SNCF et
les ouvriers, membres du PCF), explique la volonté d’un film
qui rend héroïque et mythifie le rôle des cheminots pendant la
guerre. À bien des égards, on a un consensus entre le haut et
le bas de la société qui cadre bien avec la volonté du général
de Gaulle en 1944-1945 de forger une image légendaire de la
Résistance et de ne pas se retourner sur un passé récent trouble.
Repères
p. 68-69
La guerre d’Algérie, porteuse de mémoires
→Frise
Quelques dates importantes de trois périodes ont été rappelées, de la colonisation à l’indépendance ; théoriquement, elles
doivent être connues des élèves, qui ont étudié la guerre d’Algérie en classe de première en vertu du nouveau programme
commun aux filières S-ES-L.
→Carte
© Hachette Livre
L’originalité de cette carte est de visualiser les lieux où se sont
déroulés les faits principaux du conflit, qui sont par conséquent
des lieux de mémoire où parfois certaines commémorations
peuvent se dérouler. Alger est naturellement une ville qui garde
en plusieurs points de son territoire la mémoire du conflit tant
du côté des pieds-noirs que des Algériens arabes et musulmans
sans omettre celle des soldats français. Ainsi on peut expliquer
aux élèves comment la Casbah d’Alger est un lieu de mémoire
algérien mais aussi français puisque des centaines de soldats y ont patrouillé et agi au temps de la bataille d’Alger. En
métropole, Paris a vu des épisodes dramatiques comme la manifestation violemment réprimée du 17 octobre 1961 ou le drame
du métro Charonne en 1962.
Étude 2
p. 70-75
La mémoire d’État française
de la guerre d’Algérie
L’État français a longtemps nié la réalité d’une guerre en Algérie
en usant de plusieurs expressions officielles pour désigner les
28 • Chapitre 2 - Les mémoires : lecture historique
faits (« les événements d’Algérie »), finalement abandonnées en
1999 quand le pouvoir reconnut qu’il y avait bien eu une guerre
de décolonisation en Algérie. Les documents sélectionnés ici
ont pour objectif de revenir sur certains faits occultés par l’État
et les autorités de l’époque en les confrontant à des révélations
tardives, celles de certains témoins et celles des historiens.
→Doc. 1 : Le contrôle de l’information.
Ce document reproduit la une du journal communiste l’Humanité, favorable à la décolonisation et au combat du FLN pour
l’indépendance. On voit d’ailleurs un drapeau algérien exhibé en
photo sur la première page du journal. Cela lui valut de nombreuses interventions de la censure d’État. Le pouvoir décida de
saisir les journaux (notamment ceux qui évoquaient les actes de
torture) sous le prétexte d’« atteinte au moral de l’armée ». La
presse n’est d’ailleurs pas la seule visée : La Question, d’Henri
Alleg et La Gangrène, de Bachir Boumaza, parus en 1958, qui
dénoncent la torture en Algérie, sont immédiatement censurés.
→Doc. 2 : La répression de la manifestation du 17 octobre
1961.
C’est l’une des rares photos prises lors de la nuit du 17 octobre
1961 pendant laquelle la police parisienne réprima très violemment une manifestation du FLN de France. Le pouvoir parle le
lendemain de 2 morts mais d’après les journalistes et historiens
qui ont enquêté sur ce fait tragique, il y eut sans doute plusieurs dizaines de morts dont de nombreuses personnes noyées
dans la Seine en raison des consignes de dureté et de fermeté
données aux policier par le préfet de police, Maurice Papon. La
photo choisie, qui n’a pas été prise par Élie Kagan, révèle l’atmosphère confuse qui règne cette nuit-là dans la capitale. Son
cadrage imparfait (un visage à droite au premier plan semble
inciter le photographe au silence), le flou des corps et des CRS
à l’arrière-plan révèlent qu’elle a été prise à la sauvette, par un
photographe de l’agence Keystone qui ne voulait pas être vu des
forces de l’ordre.
→Doc. 3 : L’enquête d’un historien sur la manifestation du
17 octobre 1961.
L’historien Jean-Paul Brunet a travaillé, avec Jean-Luc Einaudi, sur
cet événement. Il a pu consulter une partie des archives judiciaires
et policières consacrées à ces faits et propose, une décennie après
Einaudi, une nouvelle estimation du nombre de morts : une cinquantaine selon lui alors que son collègue Einaudi évoquait deux
cents victimes. Il y a toutefois accord entre les historiens sur la brutalité de l’action policière qui s’explique par les consignes fermes
de Papon mais aussi par des représailles aux attentats répétés en
métropole comme en Algérie contre les forces de l’ordre.
→Doc. 4 : L’armée française et la torture.
Extrait d’une interview donnée par le général retraité Paul
Aussaresses au quotidien Le Monde en 2000. Dans les années
2000-2001, ses propos concernant l’usage de la torture font
grand bruit dans la sphère médiatique et politique. Évidemment,
on connaissait depuis longtemps le recours à la torture par
l’armée française en Algérie, un général français qui en avait
parlé publiquement avait eu des ennuis avec la justice militaire
(Jacques Pâris de Bollardière). L’unité du général Aussaresses a
arrêté, selon ses propres dires, 24 000 personnes pendant les six
mois de la « bataille d’Alger », dont 3 000 ont disparu. À l’occasion de la parution de son livre de mémoires, Services Spéciaux,
Algérie 1955-1957 (Perrin, 2001), l’ancien responsable des services
de renseignement à Alger a admis, entre autres crimes, avoir
assassiné le chef du FLN Ben M’Hidi, en 1957. Selon la version
officielle, il s’était suicidé dans sa cellule. Poursuivi par différentes associations, Aussaresses a été condamné en première
instance en 2003 à 7 500 euros d’amende (15 000 euros pour
l’éditeur Perrin) pour « apologies de crime de guerre », par la 17e
→Doc. 5 : La loi du 23 février 2005, une « loi mémorielle ».
Extrait de la loi mémorielle très controversée du 23 février 2005
votée sous la présidence de Jacques Chirac. Élaborée à l’initiative de députés de l’UMP du sud de la France en lien avec des
associations de pieds-noirs (cf. contenu de l’article 1 qui reconnaît leur souffrance). L’article 4 et le « rôle positif de la présence
française outre-mer » déclencha un tollé dans les milieux universitaires et enseignants en France mais aussi en Algérie où
le gouvernement du président Bouteflika cria au scandale.
Finalement, Jacques Chirac abrogera cet article mais la loi sera
quand même votée, preuve que la guerre d’Algérie demeure un
enjeu mémoriel fondamental et que l’histoire de la colonisation
peut être un événement clivant dans l’opinion.
→Doc. 6 : Les historiens et la loi du 23 février 2005 sur le « rôle
positif » de la colonisation.
Cette tentative d’écriture officielle de l’histoire et la volonté de
l’imposer aux enseignants et donc aux élèves a généré une énergique protestation chez les historiens, qui réagissent, en mars
2005, par un texte qui rappelle que sur la colonisation comme
sur d’autres questions, les gouvernants ne doivent pas imposer
une vision officielle de l’histoire. Certains historiens pensent
même qu’il faut abroger toutes les lois dites « mémorielles » y
compris celle de 1990 réprimant le négationnisme.
◗ Réponses aux questions
1. Pendant le conflit, les « événements » d’Algérie sont dissimulés à l’opinion publique par le biais de la censure qui frappe les
journaux. La torture utilisée par l’armée contre les indépendantistes algériens, la répression policière de la manifestation du
FLN de France le 17 octobre 1961, sont occultées par les autorités militaires et politiques jusque dans les années 1990.
2. Outre les souffrances des pieds-noirs, des harkis et des
anciens combattants, la loi reconnaît un rôle positif à la colonisation française outre-mer.
3. La violence de la répression de la manifestation du 17 octobre
1961 a été occultée par les autorités politiques et policières qui
ont d’emblée minimisé le bilan humain des victimes et muselé
quasi totalement la presse de l’époque. Sur la base des témoignages des victimes et de quelques photographies prises lors de
cette nuit tragique, ce sont les historiens qui ont revisité et révélé ces faits au grand public plus de trente ans, voire quarante ans
après, en ayant aussi la possibilité de travailler sur des archives
longtemps fermées et partiellement consultables de nos jours.
4. La loi du 23 février 2005 a suscité une vive réaction des historiens car ceux-ci estiment que l’État ne peut imposer aux
enseignants et aux élèves une seule vision de l’histoire - ici le
rôle positif de la colonisation -, par nature partiale et incomplète. Les historiens écrivent l’histoire en essayant d’expliquer
les faits et donc en restant neutres sans prendre parti idéologiquement parlant sur les faits qu’ils étudient.
◗ Texte argumenté
Les autorités françaises ont forgé une mémoire de la guerre d’Algérie très spécifique, très sélective, voire amnésique sur certains faits
qui ont jalonné la période tragique 1954-1962. Le gouvernement a
agi dans ce sens dès le début du conflit, en utilisant une expression
officielle taisant la réalité d’une guerre (« les événements » d’Algérie) mais aussi en 1956 et 1957, en recourant à la censure contre
la presse hostile à l’action menée par l’armée française en Algérie
et enfin en occultant des faits comme ceux qui s’étaient déroulés
pendant la nuit du 17 octobre 1961. Plus récemment, en 2005, des
députés ont défendu un projet de loi présentant positivement la
colonisation française outre-mer.
L’approche des faits par les historiens est totalement différente de
celle de la mémoire d’État. Les historiens ne travaillent pas pour
l’État et la version de l’histoire que celui-ci voudrait faire passer
notamment auprès des élèves des écoles, collèges et lycées. D’où
l’opposition d’une partie de la communauté historienne à la loi
du 23 février 2005 qui demande d’enseigner un « rôle positif » de
la présence française outre-mer, ce qui reviendrait à donner une
image positive de la colonisation, ce qui n’est pas totalement en
accord avec les réalités historiques notamment vu du côté des colonisés. Sur le plan scientifique et de la vérité historique, les historiens
reviennent sur certains faits du conflit occultés pendant les « événements » comme la nuit du 17 octobre 1961 qui a vu la répression
des militants du FLN. En consultant des archives officielles et en
les confrontant aux témoignages des acteurs de l’événement, ils
peuvent proposer un autre bilan des victimes que celui des autorités de l’époque. De même, ils confirment par leurs investigations,
l’usage de la torture par l’armée française, et cette fois avant même
que des acteurs-témoins de l’époque ne l’avouent publiquement,
comme ce fut le cas du général retraité Aussaresses dans les années
2000-2001.
En France, du silence à l’affirmation des mémoires
Cette étude porte sur les différents groupes porteurs de
mémoire générés par le conflit, notamment en France où les
historiens, en particulier Benjamin Stora, en distinguent quatre
principaux qui ont pour point commun de tenir un discours plutôt victimaire et de porter également certaines revendications.
L’étude apparaissait comme indispensable puisque ces mémoires
se sont affirmées clairement et médiatiquement dans la décennie qui vient de s’écouler. Elles sont portées par des groupes et
des associations de gens désormais âgés mais toujours, pour certains d’entre eux, en attente de compensations symboliques et
matérielles. Les déclarations récentes, à la veille du premier tour
de l’élection présidentielle en 2012, de Nicolas Sarkozy à destination de la communauté des harkis l’ont encore montré, la guerre
d’Algérie a suscité des mémoires actives et blessées.
→Doc. 1 : Manifestation de pieds-noirs ou « Français rapatriés », Marseille, 13 mai 2008.
Ce document renvoie à la mémoire des pieds-noirs, portée
par un million de personnes de nos jours selon les études de
Benjamin Stora. Le cliché, pris en 2008 à Marseille à l’occasion
du cinquantenaire du 13 mai 1958 qui a vu le début de l’insurrection algéroise contre le gouvernement de Paris et le retour du
général de Gaulle, donne lieu à une manifestation de quelques
centaines de pieds-noirs, qui n’ont toujours pas accepté la « trahison » gaullienne et la fin de l’Algérie française. Une banderole
évoque également l’un des événements sur lesquels se focalise
cette mémoire blessée très souvent visible dans l’espace public
dans le sud de la France dans des villes comme Perpignan,
Montpellier, Marseille et Nice, où se sont établis une grande
partie des pieds-noirs. Les massacres de plusieurs centaines,
voire de plusieurs milliers, d’Européens à Oran le 5 juillet 1962
par des membres du FLN et de l’ALN dans la foulée de l’indépendance algérienne a traumatisé durablement une communauté
éprouvée par le sentiment d’abandon de la part du général de
Gaulle pourtant acclamé en héros lors de sa venue en Algérie
lors des premiers jours de juin 1958. Les pieds-noirs n’ont jamais
pu accepter les consignes, venues de Paris, de non-intervention
de l’armée française et d’abandon des harkis. Depuis 1962, ils
ne cessent de réclamer les excuses officielles de l’État français
dans un discours qui s’apparenterait à celui de Jacques Chirac
en 1995 pour la rafle du Vél’ d’Hiv’, mais aucun chef d’État ne l’a
fait jusqu’à présent. Pourtant, certaines revendications ont été
entendues, comme l’a montré la loi si controversée du 25 février
2005. Localement, les pieds-noirs ont une influence importante
comme à Perpignan où a été érigé un « Mur des disparus » où
Chapitre 2 - Les mémoires : lecture historique
• 29
© Hachette Livre
chambre correctionnelle du TGI de Paris. Il a été condamné en
appel. À ce jour, aucune commission d’enquête parlementaire
sur la torture en Algérie n’a été instituée par les gouvernants
français en vertu des lois d’amnistie de 1962 et de 1968.
sont inscrits les noms de ceux qui ont été assassinés ou ont disparu lors des massacres d’Oran. Il a été inauguré en 2007.
→Doc. 2 : Commémoration de l’armistice de la guerre d’Algérie par des organisations d’anciens combattants, 19 mars 2008.
Ce document s’intéresse aux anciens combattants français de
la guerre d’Algérie. La photographie choisie montre une commémoration devant le Mémorial national de la guerre d’Algérie
et des combats du Maroc et de la Tunisie érigé et inauguré quai
Branly à Paris en 2002. À cette commémoration, participent
des associations telles que la FNACA (Fédération Nationale des
Anciens Combattants en Algérie, Maroc, Tunisie), principale
association des anciens combattants (400 000 adhérents) de la
guerre d’Algérie et en Afrique du Nord, en présence du maire
de Paris, Bertrand Delanoë, à l’occasion du 46e anniversaire des
accords d’Évian le 19 mars 2008. Les anciens combattants de la
guerre d’Algérie sont en général des hommes nés entre 1932 et
1942 et sont environ 1,5 million dans la société française, harkis
compris. C’est en partie grâce à leur combat pour obtenir des
compensations symboliques et culturelles que le gouvernement
et les parlementaires français ont enfin reconnu en 1999 qu’avait
bien eu lieu une véritable « guerre d’Algérie », ce qui mit fin à
plusieurs décennies de déni de la part des autorités officielles de
droite comme de gauche. Comme celle des pieds-noirs, il s’agit
d’une mémoire blessée longtemps discrète tant ce conflit dur et
sanglant éprouva des hommes, qui en grande majorité n’étaient
pas des soldats professionnels mais des appelés du contingent
notamment à partir de 1956-1957. À la sortie du conflit, ces
hommes éprouvèrent des difficultés à évoquer un conflit finalement oublié et occulté par la communauté nationale dans sa
quasi-totalité en raison d’une guerre jugée lointaine, d’un autre
âge car coloniale et qui avait pris parfois l’allure d’un affrontement fratricide (attentats de l’OAS en Algérie et en France,
rapprochement d’une partie de l’armée avec les pieds-noirs
contre le gouvernement de la République). Mentionnons enfin
que la date commémorative (5 décembre) choisie par Jacques
Chirac a été rejetée en grande partie par les anciens combattants, qui lui préfèrent la date significative du 19 mars qui
correspond au jour de la signature des accords d’Évian.
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→Doc. 3 : Manifestation de familles de harkis, en 2004.
Manifestation essentiellement des mères et de leurs filles
arborant des banderoles sur lesquelles on lit des inscriptions
telles que « Reconnaissance de la République du génocide des
harkis », « massacres 150 000 harkis, 20 000 rapatriés, 3 000 disparus, des milliers de prisonnier », « Non ! à la charité ; non !
à la pitié ; oui ! à la justice ». Ces propos, que l’on peut juger
excessifs, renvoient également à une autre mémoire blessée du
conflit, celle de ces hommes des troupes supplétives de l’armée
française durant le conflit qui furent abandonnés par les autorités françaises aux représailles du FLN et de l’ALN en 1962. Le
général de Gaulle craignait un front anti-gaulliste OAS-Harkis
en métropole, ordre fut donc donné aux autorités militaires de
ne pas rapatrier les harkis qui furent alors massacrés en masse
au moment de l’Indépendance. Cependant, certains militaires
français outrepassèrent les ordres et quelques milliers de harkis
purent arriver en France avec leur famille. Ils furent toutefois
relégués dans des camps de bâtiments préfabriqués dans des
départements du sud de la France, en général dans des lieux isolés des villes et des villages. En outre, leur coexistence dans les
quartiers de grands ensembles urbains avec des immigrés d’origine algérienne aux yeux desquels ils étaient des traîtres était
problématique. D’où un sentiment d’abandon et une très forte
amertume exprimés en des termes parfois très forts par leurs
enfants, comme à l’occasion de cette manifestation parisienne.
En général, les harkis se sont souvent joints aux associations
d’anciens combattants et aux milieux pieds-noirs pour exprimer
leurs « revendications mémorielles ». De leur côté, les autorités
étatiques ont longtemps hésité à reconnaître officiellement ces
30 • Chapitre 2 - Les mémoires : lecture historique
souffrances. Mais, à la veille du premier tour de l’élection présidentielle de 2012, Nicolas Sarkozy a prononcé un discours en ce
sens bien qu’assez peu médiatisé.
→Doc. 4 : Manifestation des « ultras » de l’Algérie française.
Cet extrait d’un article du quotidien régional lorrain L’Est
Républicain, rappelle qu’il existe aussi une mémoire, certes minoritaire et longtemps discrète, des « ultras » de l’Algérie française
dont des anciens membres ou sympathisants de l’Organisation
Armée Secrète. L’OAS commit des attentats sanglants dans les
derniers temps de l’Algérie française et comptait en son sein
des militaires et des pieds-noirs refusant violemment la politique gaullienne et l’émancipation algérienne. L’article relate la
volonté de célébrer la mémoire de l’un des membres de l’OAS, le
colonel Argoud - mort en 2004, cofondateur de l’OAS et un des
auteurs du putsch d’Alger de 1961 aux côtés du général Salan -,
par le dépôt d’une plaque où l’OAS est expressément nommée.
Enlevé et exfiltré d’Allemagne par les services secrets français
à Munich, où il s’était réfugié, il fut condamné à la réclusion à
perpétuité et libéré en juillet 1968 en vertu de l’une des deux
amnisties dont bénéficièrent les militaires à l’issue de la guerre
d’Algérie. Il vécut ensuite dans le village de Darney (Vosges). Le
10 juin 2011, à l’occasion du septième anniversaire de sa disparition, une plaque portant l’inscription « Au Colonel Antoine
Argoud, ses camarades de combat de l’Organisation Armée
Secrète » est déposée sur sa sépulture, au cimetière de Darney,
par l’ADIMAD (association de défense des intérêts moraux et
matériels des anciens détenus de l’Algérie française). Cette
mémoire sulfureuse ne put finalement s’exprimer totalement
car, l’affaire étant médiatisée et sous haute surveillance, l’évêque
de Nancy refusa qu’un office religieux se tienne dans l’église de
Darney.
→Doc. 5 : Affirmation et revendications des groupes de
mémoires.
Extrait d’un petit livre d’entretiens entre l’historien Benjamin
Stora et Thierry Leclère dans lequel Benjamin Stora, historien
spécialiste de l’Afrique du Nord au xxe siècle et notamment des
groupes porteurs de mémoire du conflit, expose les revendications mémorielles des différents groupes porteurs de mémoires
et les réussites qu’ils peuvent parfois obtenir comme la reconnaissance par les anciens combattants de la guerre d’Algérie,
en 1999, de l’inscription pour la première fois dans une loi de
la République de l’expression « guerre d’Algérie ». Ce texte à
teneur scientifique vient éclairer les documents précédents qui
sont des documents plutôt descriptifs relatifs aux différentes
mémoires, leurs supports humains, leur contenu et leurs formes
d’expression.
◗ Réponses aux questions
1. Les différents groupes porteurs de mémoires de la guerre
d’Algérie sont : les pieds-noirs, qui ont colonisé puis quitté en
masse l’Algérie au moment de l’indépendance ; les anciens combattants, militaires professionnels et appelés du contingent,
qui ont vécu un conflit dur et cruel ; les harkis et leur famille,
dont certains ont pu gagner la France en 1962 ; les anciens activistes violents de l’OAS, hostiles à de Gaulle et à l’indépendance
algérienne.
2. Les pieds-noirs ont quitté en catastrophe l’Algérie, après
une présence pour certains d’entre eux de plus d’un siècle, en
abandonnant en grande partie leurs biens ; ils ont connu aussi
la terreur des massacres lors des jours de l’Indépendance. Les
anciens combattants ont vécu un conflit dur et cruel marqué
par de nombreuses exactions commises par chaque camp. La
révolte d’une partie des militaires professionnels et des piedsnoirs contre l’« abandon » de l’Algérie française par les autorités,
en franchissant les limites de la légalité, n’a pu recevoir de véritable hommage national à l’issue de ce conflit, prenant parfois
en métropole les allures d’une guerre civile franco-française.
◗ Texte argumenté
La guerre d’Algérie a produit différentes mémoires portées par différents groupes de mémoires. Ce sont les pieds-noirs qui ont colonisé
puis quitté en masse l’Algérie au moment de l’Indépendance, les
anciens combattants militaires professionnels et appelés du contingent qui ont vécu un conflit dur et cruel, les harkis et leur famille
dont certains ont pu gagner la France en 1962, les anciens activistes violents de l’OAS hostiles à de Gaulle et à l’indépendance
algérienne ou encore les immigrés d’origine algérienne vivant de
nos jours en France. Ce sont des mémoires qui ont comme point
commun d’être meurtries. Ces groupes s’affirment dans l’espace
public par des commémorations officielles comme celles des anciens
combattants qui se retrouvent devant le mémorial du quai Branly
ou des manifestations au cours desquelles les groupes porteurs de
mémoires affirment leurs revendications mémorielles comme cette
manifestation de femmes et filles de harkis.
En Algérie, la mémoire
de la « guerre d’indépendance »
Cette étude s’imposait car il faut montrer aux élèves que de
l’autre côté de la Méditerranée l’État algérien et la société
algérienne ont forgé une mémoire du conflit divergente de la
mémoire officielle française et des mémoires des différents
groupes évoqués dans l’étude précédente. Des monuments
commémoratifs ont été édifiés et l’école, via les manuels scolaires, transmet aux jeunes générations une certaine vision de la
guerre et de la colonisation.
→Doc. 1 : Mémoire algérienne et relations franco-algériennes.
C’est un extrait d’un article de presse d’un journaliste algérien
qui rappelle que les relations diplomatiques franco-algériennes
depuis 1962 sont des relations complexes, tendues et passionnelles. La mémoire du conflit est largement instrumentalisée
par le pouvoir algérien, exercé sans partage depuis 1962 par le
FLN, dans un système qui n’est pas vraiment pluraliste et démocratique. Cette instrumentalisation de la mémoire algérienne
du conflit résulte des difficultés rencontrées par la société et
l’État algériens au cours des deux dernières décennies, comme
la guerre civile entre l’État et les groupes islamiques armés,
le chômage persistant, le désespoir des jeunes générations…
Président de la République depuis 1999 (il est dans son troisième mandat), Abdelaziz Bouteflika, engagé à 19 ans dans
l’ALN, a souvent fait ces dernières années des déclarations
intempestives et excessives sur les crimes commis par les
Français pendant la colonisation et la guerre. Cela s’explique
par la loi du 23 février 2005, qui a déclenché la fureur des autorités algériennes et motivé les expressions inappropriées telles
que « génocide contre l’identité algérienne » ce qui ne doit
pas conduire à minorer les crimes commis durant le conflit
d’un côté comme de l’autre, qui n’ont jamais conduit à quelque
procès que ce soit en vertu, en France, des amnisties de 1962
et 1968. Par ailleurs, les massacres de Sétif et de Guelma en
1945 ont resurgi dans le débat public tardivement après avoir
longtemps été oubliés et occultés par la mémoire française.
Mentionnons que la présence d’une importante communauté
d’immigrés d’origine algérienne en France, attentive aux évolu-
tions de la mémoire officielle française, ajoute à la réactivité des
gouvernants algériens.
→Doc. 2 : Le sanctuaire ou mémorial du martyr à Alger, selon
son architecte.
→Doc. 3 : Le mémorial du martyr d’Alger, édifié en 1981-1982.
Ces documents sont consacrés au principal édifice commémoratif de la « guerre de libération nationale », qui est le
mémorial des martyrs édifié au début des années 1980 à Alger.
À bien des égards, ce monument s’apparenterait à un Arc de
Triomphe algérien dont, selon son architecte Bachir Yelles, la
signification symbolique a évolué d’une célébration des dynamiques économiques et sociales des années 1970 vers une claire
commémoration de la guerre du « peuple » contre l’oppression
coloniale. Sur le plan architectural, l’édifice n’a pas de cachet
particulier, sinon qu’il témoigne d’un style combinant une monumentalité de type soviétique des années 1960-1970 (élévation
verticale, usage massif du béton) et une architecture plus islamique ou locale par le choix de trois palmes stylisées.
→Doc. 4 : La guerre d’Algérie dans deux manuels scolaires
algériens.
→Doc. 5 : La lecture historique des manuels scolaires algériens.
Photos et texte renvoient à la mémoire algérienne du conflit
transmise par les manuels scolaires du primaire et du secondaire.
Comme le montrent les deux reproductions des manuels sélectionnés et comme l’explique la chercheuse de l’INALCO, cette
mémoire scolaire officielle livre une image totalement négative de
la France et de l’armée française et laisse croire à un engagement
unanime des Algériens colonisés dans la guerre : elle est donc très
classiquement sélective et partiale, gommant par ailleurs le rôle
moteur du FLN qui a mené le conflit au profit du « peuple ».
→Doc. 6 : Le mythe du million de morts algériens et les
historiens.
Article d’un spécialiste de la guerre d’Algérie, l’historien Guy
Pervillé, qui évoque l’un des mythes constitutifs de la mémoire
algérienne du conflit, celui du « million de morts » qu’aurait fait
la guerre menée par les Français contre les indépendantistes et le
peuple algériens. Guy Pervillé a démontré depuis les années 1980
que ce chiffre devait être ramené à une fourchette comprise entre
300 000 et 400 000 victimes, combattants et civils, ce qui est
déjà un bilan humain très lourd : il présente ici les différentes évaluations proposées par d’autres historiens réputés et spécialistes
de la question, comme Xavier Iacono ou Charles-Robert Ageron.
Il évoque aussi le bilan humain des militaires français longtemps
nommés « forces de l’ordre » : environ 25 000 tués (militaires professionnels et appelés du contingent) dont 4 500 harkis. Autre
preuve d’une mémoire partisane, précisons que la mémoire algérienne officielle du combat a également occulté tous les faits liés
à l’affrontement fratricide FLN-MNA durant le conflit.
◗ Réponses aux questions
1. Les supports de la mémoire algérienne officielle sont les
prises de position du gouvernement algérien, des lieux et des
cérémonies commémoratives et aussi l’école par le biais des
manuels scolaires.
2. Les thèmes principaux de la mémoire officielle sont la violence des crimes de la colonisation et de l’armée française
responsables d’un million de morts dans le peuple algérien, l’idée
qu’un génocide aurait été commis par les Français reniant les
Droits de l’Homme et du Citoyen ou encore que c’est le peuple
algérien unanime qui se serait levé contre la puissance coloniale.
3. Les mémoires officielles peuvent sembler excessives comme
le montre l’emploi par le président Bouteflika de l’expression
« génocide contre l’identité algérienne », inappropriée pour
qualifier l’action de l’armée française dans la lutte contre le FLN,
ou des mythes comme celui du million de morts qui surévalue le
nombre des victimes algériennes.
Chapitre 2 - Les mémoires : lecture historique
• 31
© Hachette Livre
Enfin, les harkis ont subi des représailles sanglantes, pour ceux
qui sont restés en Algérie, ou ont connu une situation d’abandon
de la part des autorités françaises, pour ceux qui ont été rapatriés en France.
3. Ces groupes s’affirment dans l’espace public par des commémorations officielles comme celles des anciens combattants, qui
se retrouvent devant le mémorial du quai Branly ou des manifestations, au cours desquelles les groupes porteurs de mémoires
affirment leurs revendications mémorielles comme cette manifestation de femmes et filles de harkis.
◗ Texte argumenté
La mémoire de la guerre d’Algérie s’est construite sur un certain
nombre de représentations qui ne sont pas toutes en accord avec
la réalité des faits historiques et les investigations des historiens qui
ont travaillé sur le conflit des deux côtés de la Méditerranée. Les
thèmes principaux de la mémoire officielle sont donc l’intensité de
la violence des crimes de la colonisation et de l’armée française responsables d’un million de morts dans le peuple algérien, l’idée qu’un
génocide aurait été commis par les Français reniant les Droits de
l’Homme et du Citoyen ou encore que c’est le peuple algérien unanime qui se serait levé contre la puissance coloniale. Cette mémoire
algérienne officielle, qui véhicule donc un certain nombre de vérités
déformées ou de mythes, repose sur les prises de position officielles
du gouvernement algérien, des lieux et des cérémonies commémoratives et aussi sur l’école par le biais des manuels scolaires.
Sur les deux rives de la Méditerranée, les historiens ont depuis deux
décennies confronté les témoignages des différents acteurs, les
indices matériels et archives disponibles aux discours et représentations énoncés par les mémoires officielles du conflit en Algérie. Le
bilan d’un million de morts relève du mythe, l’usage de la torture par
l’armée française est une réalité avérée mais le FLN a aussi pratiqué
un terrorisme aveugle contre les civils comme contre des militaires
des deux camps. Le président Bouteflika évoque un « génocide » des
Français contre les Algériens mais ce terme est inapproprié car ne
reflétant pas la réalité de la guerre : si cette dernière a pu procéder
du colonialisme et du racisme qui imprégnaient parfois les autorités
françaises civiles et militaires, aucun historien sérieux n’a pu prouver qu’un plan préétabli d’extermination systématique des Algériens
et de l’identité culturelle algérienne a été suivi par l’armée française
dans sa lutte contre le FLN, lutte qui a néanmoins tué directement
ou indirectement des centaines de milliers d’Algériens.
Leçon 2
p. 76-77
L’historien et les mémoires de la guerre d’Algérie
Cette leçon est destinée à mettre en perspective l’Étude 2 en
établissant une typologie des groupes porteurs de différentes
mémoires produites par la guerre d’Algérie en France comme en
Algérie. Elle montre aussi le rôle des historiens face à ces différentes mémoires.
→Doc. 1 : Le mémorial national de la guerre d’Algérie et des
combats du Maroc et de la Tunisie.
Voici une photo de Jacques Chirac inaugurant, le 5 décembre
2002, le monument commémoratif national des combats
d’Afrique du Nord. Il est constitué de trois cubes fins sur lesquels
défilent des bandes lumineuses affichant le nom des victimes
du conflit. Pour les anciens combattants, la date du 5 décembre
choisie pour la commémoration officielle est inadaptée car
déconnectée de tout fait historique précis et notamment de la
date des accords d’Évian, qu’ils auraient préférée.
→Doc. 2 : Les principaux groupes porteurs de mémoire de la
© Hachette Livre
guerre d’Algérie.
C’est un petit tableau qui récapitule les différents groupes porteurs de mémoire du conflit, leur nombre, leurs caractéristiques
et leurs revendications d’après les travaux de Benjamin Stora.
→Doc. 3 : La guerre d’Algérie, le difficile cheminement des
mémoires vers l’histoire.
Ce texte de Benjamin Stora explique comment la guerre d’Algérie a disparu momentanément de la mémoire de la communauté
nationale en 1962 avant d’émerger à nouveau dans la sphère
publique, médiatique et universitaire. Les jeunes générations
veulent s’informer, les anciens combattants revendiquent des
pensions, les historiens commencent à enquêter sur le conflit, la
torture, les affrontements internes aux nationalistes algériens,
32 • Chapitre 2 - Les mémoires : lecture historique
pieds-noirs et harkis réclament des excuses officielles de l’État
pour les événements de 1962…
◗ Réponse à la question
1. Le passage de la mémoire à l’histoire signifie que les historiens
et leurs travaux d’investigation mettent en lumière certains faits
qui ont été jusqu’à nos jours à la fois commémorés et utilisés
par les groupes porteurs de mémoires mais qui en faisaient une
lecture partisane et sélective contrairement aux objectifs des
historiens.
→Doc. 4 : Sondage sur la guerre d’Algérie, 1990.
C’est un sondage réalisé 28 ans après la fin du conflit et qui
montre qu’en France la guerre d’Algérie est un événement qui
a marqué la mémoire des Français avant mai 1968 et mai 1981.
En outre, qu’ils soient de gauche ou de droite, les électeurs
interrogés s’accordent sur plusieurs points : la guerre d’Algérie
a été une guerre de libération nationale, ce qui est conforme à
la vision algérienne du conflit ; sa dimension d’affrontement civil
en raison de l’action de l’OAS à la fin de la guerre y compris en
métropole ; la réalité des tentatives d’assassinat du général de
Gaulle commises par des partisans de l’Algérie française.
Histoire des Arts
p. 78-79
Carnets d’Orient et les mémoires
de la guerre d’Algérie
Jacques Ferrandez, né en 1955 en Algérie, et qui l’a donc quittée
enfant, est devenu un nom incontournable de la BD française
actuelle. Ses deux cycles consacrés à l’histoire de la colonisation de
l’Algérie et à la guerre d’Algérie possèdent une très grande valeur
graphique, fictionnelle et documentaire et sont remarquables par
le souci d’impartialité et d’objectivité de l’auteur, qui, quoique
pied-noir, n’a investi dans ses récits aucun sentiment d’amertume ou de haine ; il n’a pas voulu non plus prendre parti dans
les controverses actuelles sur l’impact de la colonisation française
en Afrique du Nord ou sur les difficultés actuelles de l’Algérie. Il a
mis en scène une série de personnages portant chacun une partie
de la réalité des faits sans en juger aucun, combattants du FLN,
militaires, colons… Il est intéressant de voir avec les élèves que
son œuvre se situe entre mémoire et histoire.
◗ Réponses aux questions
1. Cette planche renvoie à la bataille d’Alger qui atteint son
paroxysme en 1956-1957 et voit notamment les militaires français investir quotidiennement la vieille ville d’Alger, la Casbah,
qui abrite agents et informateurs du FLN, y compris des femmes
qui portent parfois sous leurs vêtements, armes à feu et bombes.
En haut à gauche, une partie de la une du quotidien La Dépêche
d’Alger fait référence à l’assassinat par le FLN d’Amédée Froger,
maire de Boufarik dans la périphérie d’Alger, le 28 décembre
1956. Son enterrement donne lieu à une violente « ratonnade »
qui voit des Européens massacrer des Arabes, des hommes mais
aussi des femmes sans que la police algéroise, composée de
pieds-noirs, n’intervienne réellement.
2. Militaires français et membres musulmans du FLN sont mis
ici en scène dans le quartier de la Casbah d’Alger.
3. Ferrandez fait ici œuvre d’historien lorsqu’il colle l’extrait de
journal qui permet de situer chronologiquement l’épisode de son
récit. On note son goût pour la reconstitution graphique des
ruelles de la Casbah, ses hautes maisons serrées les unes contre
les autres, ses boutiques, ses escaliers et ses pavés.
4. Il est intéressant de remarquer que le second cycle des
Carnets d’Orient consacré à la guerre d’Algérie a paru entre 2002
et 2009, période d’incursion dans la sphère publique et médiatique de la guerre d’Algérie mais aussi de débats et de faits liés
à la question de l’immigration maghrébine et des relations fran-
Leçon 3
p. 80-81
Mémoire et histoire en France depuis 1945
Cette leçon a pour objectif de mettre en perspective l’ensemble
de ce chapitre (« les mémoires : lecture historique »), en présentant les notions-clés qui en constituent l’ossature, mémoire
et histoire, dans les relations différentes qu’elles entretiennent
avec le passé. De ces différences surgissent des relations complexes et tendues entre les acteurs qui s’y rattachent.
→Doc. 1 : Une loi mémorielle contre les négationnistes.
C’est un extrait de la loi dite « loi Gayssot » de 1990 conçue initialement pour réprimer les faits de négationnisme. Actuellement,
une partie des historiens sont favorables à son abrogation dans
la mesure où les lois mémorielles qui sont venues après comme
celle du 23 février 2005 ou comme celle récente votée à l’Assemblée nationale sur le génocide des Arméniens leur apparaissent
comme des entraves au travail de l’historien et comme susceptibles de donner à l’État la capacité d’une écriture et d’un
enseignement officiel de l’histoire.
→Doc. 2 : Oradour-sur-Glane, un lieu de mémoire, 1983.
Photo d’Oradour-sur-Glane, haut lieu de mémoire de la Seconde
Guerre mondiale en France. Le 10 juin 1944, hommes, femmes
et enfants de ce petit village y ont été massacrés par des S.S.
Le village a été incendié et ses ruines laissées en l’état après la
guerre pour en faire un véritable mémorial à ciel ouvert.
→Doc. 3 : Mémoire et histoire, deux phénomènes distincts.
Extrait du livre d’Henri Rousso, Le Syndrome de Vichy, consacré à l’histoire de la mémoire du régime du maréchal Pétain.
Henri Rousso y retrace les différentes étapes de l’histoire de
la mémoire de l’État français, du mythe « résistancialiste » au
retour du refoulé dans les années 1970-1980. Il explique dans cet
extrait le clivage entre « histoire-mémoire » et histoire, deux
« perceptions du passé nettement différenciées».
◗ Réponse à la question
1. La mémoire et l’histoire sont toutes les deux une perception du passé. Mais la mémoire correspond au vécu affectif des
acteurs de ce passé et est donc forcément plurielle et subjective. Au contraire, l’histoire est une reconstruction savante de ce
passé par des historiens et est donc par nature plus objective.
→Doc. 4 : Des historiens opposés aux lois mémorielles : la
pétition « Liberté pour l’histoire ».
Pétition signée en 2005 à l’initiative de l’historien Claude Liauzu
(1940-2007), spécialiste de l’histoire de la colonisation, suite à
la loi du 23 février 2005 sur le rôle positif de la colonisation. Le
texte rappelle que l’histoire n’est pas la mémoire et que l’historien n’est pas un juge, enfin que l’État et les lois mémorielles qui
sont votées à l’Assemblée nationale constituent des entraves au
travail et à la liberté des historiens.
◗ Réponse à la question
1. Selon certains historiens, la loi Gayssot, en réprimant la
contestation par voie de presse de « l’existence d’un ou plusieurs
crimes contre l’humanité », est une atteinte à la liberté des chercheurs. Cette notion de crime contre l’humanité a été élaborée
dans un contexte historique précis (tribunal de Nuremberg, en
1945) et la loi, en s’emparant de cette notion, lui donne une fixité
juridique qui n’est pas compatible avec son statut historique,
que la recherche disciplinaire peut toujours faire évoluer.
Prépa Bac
p. 84-85
◗ Composition
Sujet guidé - Lecture historique des mémoires
de la Seconde Guerre mondiale
3. Construire un plan
Le plan 2 répond le mieux au sujet et à la problématique car il
croise les mémoires et leur lecture historique ; le plan 1 ne présente que les différentes mémoires et les groupes qui les portent
sans prendre en compte leur lecture historique ; le plan 3 évoque
seulement les événements qui ont produit ces mémoires sans
prendre en compte le souvenir mémoriel qu’ils ont laissé.
Classement des connaissances dans les thèmes dégagés par
le plan 2
I. La Seconde Guerre mondiale : des mémoires différentes des
événements
1. Différentes mémoires de la guerre
– Mémoire gaullienne (le « résistancialisme », Jean Moulin),
mémoire communiste (parti « des fusillés », Guy Môquet),
mémoire juive, mémoire pétainiste, mémoire d’État officielle
– Rafle du Vél’ d’Hiv’ (juillet 1942), camps d’internement
– Mémoires de la déportation, mémoires de la résistance,
mémoires du régime de Vichy
2. Des mémoires qui s’opposent
– Des conflits entre mémoires (Vichy bouclier ou complice de la
déportation des juifs…)
– Négationnisme
II. Les mémoires : des sources d’information à confronter pour
l’historien
1. Le travail des historiens
– Des archives (projet de loi sur le statut des juifs, archives
administratives…) qui viennent éclairer les mémoires
2. Une lecture historique qui évolue
– Cinéma, vecteur de la mémoire (ex. : La Bataille du rail, Nuit
et Brouillard)
– Travaux d’historiens (Robert Paxton : La France de Vichy, Jean
Claude Preyssac : Les Chambres à gaz d’Auschwitz…)
III. Mémoires et histoire : des approches différentes
1. Approche affective et partiale des mémoires, approche scientifique et objective des historiens
– Pratiques commémoratives et lieux de mémoires (mont
Valérien, Panthéon, Mémorial de la Shoah…)
– L’historien expert lors des procès Papon et Barbie
– Lois mémorielles (loi Gayssot, 1990) et opposition des historiens
2. Une mémoire officielle qui évolue
– Lois d’amnistie pour fait de collaboration
– Cinéma et censure d’État (ex. : Nuit et Brouillard, Le Chagrin
et la Pitié)
– 1995, reconnaissance officielle de la responsabilité de l’État
français dans la politique anti-juive
Sujet en autonomie : Lecture historique
des mémoires de la guerre d’Algérie
Problématique : Quelle lecture historique peut-on faire des
mémoires de la guerre d’Algérie ?
Plan
I. La guerre d’Algérie, générateur de mémoires multiples
1. Un événement complexe et traumatisant pour les mémoires
2. Les groupes porteurs de mémoires différentes
II. Des mémoires d’État mythifiées et amnésiques
1. Une mémoire officielle française en évolution
2. La mémoire officielle algérienne
III. Les historiens face aux mémoires de la guerre d’Algérie
1. La confrontation des mémoires de la guerre d’Algérie et des
travaux des historiens
2. Les historiens contre les lois mémorielles
Chapitre 2 - Les mémoires : lecture historique
• 33
© Hachette Livre
co-algériennes (2002 : inauguration du mémorial national du
quai Branly, 2005 : manifestation à Paris d’immigrés Algériens et
d’origine algérienne commémorant le 50e anniversaire des massacres de Sétif…).
 2 Idéologies, opinions et croyances en Europe
et aux États-Unis de la fin du e siècle à nos jours
 3
Socialisme, communisme et syndicalisme
en Allemagne depuis 
p. 88-123
Thème 2 – Idéologies, opinions et croyances en Europe et aux États-Unis de la fin du xixe siècle à nos jours
Question
Mise en œuvre
Socialisme et mouvement ouvrier
Socialisme, communisme et syndicalisme en Allemagne depuis 1875
◗ Nouveauté du programme de terminale
Le sujet de ce chapitre est une grande nouveauté de ce programme. Le mouvement ouvrier est, sans conteste, un des
points forts de l’évolution des sociétés contemporaines. L’idée
de l’étudier à travers un exemple concret, celui de l’Allemagne,
offre aux élèves la possibilité d’en saisir les axes porteurs et les
contradictions. C’est aussi l’occasion de s’intéresser à certaines
notions-clés. La notion de « social-démocratie », intimement
liée à la naissance et à l’évolution du SPD et si souvent utilisée aujourd’hui, parfois à des fins polémiques, est ainsi évoquée
dans son contexte initial. De même la notion de « réformisme ».
Le concept de « syndicalisme », peu connu des élèves, est vu en
profondeur et surtout analysé dans ses rapports, faits de rejet
et d’attirance, avec les partis politiques. Le concept de « socialisme » est enfin exploré, dans les promesses et les utopies qu’il
supporte, dans son adaptation aux réalités, dans les limites qu’il
fixe dans l’exercice du pouvoir.
© Hachette Livre
◗ Problématiques scientifiques et débat historiographique
La problématique essentielle et la plus signifiante posée par
l’histoire du SPD et du syndicalisme allemand est celle de
leurs contradictions et de leurs divisions, entre réformisme et
révolution.
Dès sa naissance, le Parti social-démocrate est confronté à
une contradiction. D’abord, il s’inscrit dans la volonté de créer
une société nouvelle, susceptible d’exiger des travailleurs des
sacrifices considérables. En même temps, il se montre soucieux
de gains immédiats, favorisant une classe ouvrière soumise
à des conditions de vie et de travail difficiles en obtenant des
réformes dans le cadre des institutions politiques existantes et,
en particulier, au niveau parlementaire. Les soubresauts et les
contestations à l’intérieur du Parti naissent face au danger de
voir les sociaux-démocrates se compromettre dans le jeu politique traditionnel et se transformer en gestionnaires du système
capitaliste.
• Cette contradiction apparaît dès la naissance du parti au
congrès de Gotha. La fusion entre l’Association générale des travailleurs créée par Lassalle et le Parti ouvrier social-démocrate
d’Allemagne de W. Liebknecht et A. Bebel aboutit à la création
du Parti social-démocrate. Son programme fait une large part
aux idées lassalliennes : affirmation de la loi d’airain des salaires,
accès au pouvoir par le suffrage universel, création de coopératives ouvrières avec l’aide de l’État conçu comme structure
neutre et au-dessus des partis, vision purement nationale du
combat. K. Marx attaque vigoureusement tout ce qui dans ce
programme lui paraît contestable dans La Critique du programme
de Gotha, où il insiste sur l’internationalisme, le potentiel révolutionnaire du prolétariat mais aussi des classes moyennes, la
conception de l’État et son rôle. En 1891, le congrès d’Erfurt
semble faire pencher le Parti vers les thèses de Marx, en particulier avec la partie du programme rédigée par K. Kautsky. Mais
34 • Chapitre 3 - Socialisme, communisme et syndicalisme
on trouve également un paragraphe d’E. Bernstein qui décline
un programme nettement plus modéré. Ces polémiques n’empêchent pas la croissance du Parti mais elles sont sous-jacentes
et menacent son unité.
• Elles rebondissent au début du xxe siècle avec le développement du révisionnisme, remettant en cause un certain
nombre de dogmes hérités de K. Marx et de F. Engels et laissant entendre que le capitalisme a les moyens de surmonter ses
crises, rendant illusoire tout espoir de « crise finale » ouvrant
les portes à la « Révolution » : « L’écroulement du capitalisme
n’apparaissant plus comme le produit nécessaire d’un enchaînement de causes inéluctables, E. Bernstein en venait à nier du
même coup l’avènement inéluctable du système socialiste porté
par la classe ouvrière. » (J. Rovan, Histoire de la social-démocratie allemande, p. 101). Le révisionnisme entérine un programme
réformiste : conquête démocratique du pouvoir (d’autant plus
que le Reich se démocratise), réformes sociales, acceptation de
l’impérialisme, voire du colonialisme, « intégration » de la classe
ouvrière, etc.
Ces théories rencontrent un large écho chez les militants et surtout dans la bureaucratie du Parti.
Face au révisionnisme, une tendance s’organise en particulier à
la gauche du Parti : Rosa Luxemburg, hostile à l’impérialisme,
antimilitariste et anticolonialiste, méfiante à l’égard des structures, pense que la Révolution est possible grâce à l’action des
masses.
Quant au syndicalisme, la question est celle de son autonomie
par rapport au Parti. Structurellement, les syndicats socialistes
sont indépendants. Mais beaucoup de militants et de dirigeants
syndicaux sont adhérents au SPD et y jouent un rôle éminent.
Ce rapprochement favorise une large pénétration des syndicats
par l’idéologie révisionniste.
• La première guerre mondiale cristallise ces divisions et les
rend particulièrement lisibles. Le déclenchement du conflit en
1914 et le soutien du Parti et des syndicats à l’effort de guerre
(vote des crédits de guerre) peut surprendre. Peut-on parler de
trahison d’un SPD gangrené par le révisionnisme ? (C. Badia,
Histoire de l’Allemagne contemporaine, t. i, p. 44) Ou bien comme
Rovan (op. cité, p. 142), faut-il insister sur le fait qu’il n’y avait pas
d’autre issue, compte tenu de l’adhésion du peuple allemand à la
guerre ?
Ce débat rebondit avec les phénomènes révolutionnaires de
1918-1919. Pour Rovan (op. cité, p. 160-163), le SPD n’a pas voulu
la Révolution de novembre 1918. Il exerce le pouvoir avec une
direction aux mains des réformistes et dans l’obligation de
gouverner avec l’appui de partis « bourgeois ». Son refus d’une
révolution de type bolchevik, d’ailleurs rejetée majoritairement
par la classe ouvrière et a fortiori par le peuple allemand, en fait
un simple gestionnaire de la nouvelle démocratie allemande.
Attaché au respect de la démocratie, il doit assumer, dans ses
conditions, la répression du spartakisme. Pour Badia (op. cité,
en Allemagne depuis 1875
avec laquelle est menée à l’heure actuelle en Allemagne la discussion sur l’ancien régime (« Le niveau du débat sur le passé
de la RDA est si bas qu’il faut se mettre à quatre pattes pour
l’apercevoir ») et trace les lignes de ce qui pourrait être une véritable enquête à son sujet. Enfin, le dernier article, une synthèse
des autobiographies d’habitants de l’« ex-RDA » par A. L. DauxCombardon, donne une dimension des contradictions de la RDA
en illustrant d’exemples les tracasseries exercées, en particulier
aux dépens des gens jugés hostiles, et la facilité avec laquelle ces
pressions sont contournées.
La RDA est un régime tracassier, policier, bureaucratique. C’est
l’omnipotence d’un parti, la Stasi et le mur. C’est la cruelle
évidence, mais des millions d’Allemands y ont vécu. Combien
adoubent ce régime ? Combien le supportent passivement ?
Combien le combattent ? Voilà sans doute les questions à poser
pour que chacun, comme le souligne Emmanuel Droit dans la
conclusion de son livre consacré à la Stasi, puisse « participer à
la cristallisation de la juste mémoire ».
◗ Bibliographie
Sur l’ensemble de la période
S. Berstein, P. Milza, L’Allemagne de 1870 à nos jours, Armand
Colin, 2010.
J. Rovan, Histoire de la social-démocratie allemande, Univers historique, Aubier histoire, 1996.
A. Wahl, Les Forces politiques en Allemagne (xixe-xxe siècles), collection U, Armand Colin, 1999.
Sur la période impériale
S. Kott, L’Allemagne au xixe siècle, Carré histoire, Hachette supérieur, 1999.
F. Roth, L’Allemagne de 1815 à 1918, Cursus, Armand Colin, 1996.
Sur Weimar et la période nazie
G. Badia, Histoire de l’Allemagne contemporaine, Éditions
sociales, 1964.
O.K Flechtheim, Le Parti communiste allemand sous la république
de Weimar, François Maspéro, 1972.
C. Klein, Weimar, Questions d’Histoire, Flammarion, 1968.
A. Wahl, L’Allemagne de 1918 à 1945, Cursus, Armand Colin, 1999.
Sur la RFA
J.-P. Gougeon, La civilisation allemande, Hachette supérieur,
1999.
A.-M. Le Gloannec, L’état de l’Allemagne, La découverte, 1995.
A. Wahl, Histoire de la République fédérale d’Allemagne, Cursus,
Armand Colin, 2000.
Sur la RDA
E. Droit, Surveiller pour éduquer en RDA (1950-1989), la Stasi à
l’école, Nouveau Monde éditeur, 2009.
C. Fabre-Renault, E. Goudin, C. Hähnel-Mesnard, La RDA au
passé présent, Relectures critiques et réflexion pédagogiques,
Presse Sorbonne nouvelle, 2006.
S. Kott, Histoire de la société allemande au xxe siècle, t. iii, La RDA
(1949-1989), Repères, La Découverte, 2011.
C. Metzger (dir.), La République démocratique allemande, la
vitrine du socialisme et l‘envers du miroir (1949-2009), P.I.E
Pieter Lang S.A, 2010.
Introduction au chapitre
p. 88-89
La problématique du chapitre – Quelles idéologies et quelles
structures se développent en Allemagne pour encadrer le
mouvement ouvrier ? – est à analyser en fonction du programme. Elle s’y rattache en évoquant la première notion-clé :
le socialisme. L’élève se confronte à travers le « socialisme » à
une idéologie, fondée sur un corpus écrit considérable l’épousant dans toutes ses variantes et ses formes. L’Allemagne fournit
au débat sur le socialisme un grand nombre d’acteurs, certains
Chapitre 3 - Socialisme, communisme et syndicalisme en Allemagne depuis 1875
• 35
© Hachette Livre
p. 135), le jugement diffère : les sociaux-démocrates « ne sont
pas des révolutionnaires. Ce sont des démocrates bourgeois.
Pour eux, l’ordre, c’est le régime capitaliste. Par-dessus tout, ils
craignent ce qui pourrait détruire [cette société] ».
Ces contradictions débouchent sur la scission entre SPD et KPD
et ouvrent une page nouvelle de l’histoire du mouvement ouvrier
allemand. Entre les deux guerres, les deux partis ne cessent de
s’affronter idéologiquement et politiquement ouvrant aux nazis
le chemin vers le pouvoir.
• Après 1945, la séparation des deux Allemagne et la Guerre
froide fixent un cadre nouveau.
La RFA, arrimée au bloc occidental, choisit une voie libérale
et démocratique. La problématique est de voir comment le
SPD peut évoluer dans ce contexte. En RFA, le congrès de Bad
Godesberg (1959) clarifie la situation au sein du SPD. Rejetant
toute référence au marxisme mais intégrant « l’éthique chrétienne, l’humanisme et la philosophie classique », le SPD
choisit des valeurs qui le définissent désormais sans ambiguïté,
même si, en son sein, des militants contestent ces orientations
et entendent être fidèles à ce qu’ils jugent être le « véritable
socialisme ».
L’autre Allemagne, intégrée dans l’espace oriental, s’investit
dans la « construction du socialisme ». Quel visage offre cette
expérience de la mise en place du socialisme dans une société
développée ?
Le régime est-allemand a été et est toujours sévèrement jugé.
Toutefois, avec le temps, l’approche de la RDA et de son régime
s’affine progressivement grâce à de nouvelles parutions.
Des témoignages sont parus récemment apportant un éclairage nouveau. On pense aux essais de Maxim Leo (Histoire
d’un Allemand de l’Est, Actes Sud, 2010) et de Paul Laveau (Un
Français à Weimar, Le temps des cerises, 2011). On pense aussi
aux travaux d’une nouvelle génération d’historiens français en
particulier ceux d’E. Droit, de S. Kott ou C. Metzger.
Le livre collectif « La RDA, passé présent, relectures critiques
et réflexions pédagogiques », ouvre les portes à une connaissance renouvelée de ce pays. L’introduction souligne la nécessité
de dépasser les stéréotypes bien connus : « communisme »,
« mur », « dictature », « retard économique », qui évacuent une
approche nuancée du système. Il convient d’analyser ce pays en
fonction de critères qui lui sont propres, d’en saisir les contradictions, de ne pas l’interpréter en fonction de sa fin. Il faut
tenir compte de l’idéal qui le porte, en particulier à ses débuts,
« de son ambition de construire une alternative aux sociétés qui
ont existé avant », de construire « une société qui pour la première fois mettait la classe ouvrière au centre », etc. Le livre de
S. Kott constitue de ce point de vue une approche intéressante.
Les introductions des différents chapitres offrent des pistes de
réflexion nombreuses. Le projet politique du SED qui « s’inscrit
dans les revendications du mouvement ouvrier allemand » s’est
certes souvent imposé par la force. Il domine, encadre, éduque.
Il exerce ainsi de fortes contraintes sur la société est-allemande.
Mais il « prend aussi appui sur la société et la traverse » en créant
un « sujet socialiste », « une personnalité socialiste » bien spécifique et originale, capable de se définir y compris « contre les
injonctions du régime ».
Trois articles du numéro de la revue L’Allemagne d’aujourd’hui
(n° 198, octobre-décembre 2011) apportent un éclairage supplémentaire pour témoigner de la complexité de l’approche de
l’Allemagne de l’Est. Le premier, une collecte d’entretiens réalisés
en Thuringe par A. Pilleul-Arp, dévoile la variété des jugements
sur le régime allant de l’« ostalgie » à la condamnation sans
réserve. On notera la très grande richesse du vocabulaire utilisé
par les protagonistes selon leur perception du phénomène pour
définir les événements de 1989 : « le tournant » (die Wende),
« l’effondrement de la RDA », « l’annexion par la RFA », « la
Révolution pacifique », « la réunification », etc. Dans l’article de
S. Klotzer, Wolfgang Schaller se montre très sévère sur la façon
se rattachant directement à la question proposée. Bernstein,
Kautsky, Luxemburg, sans parler de Marx, sont des acteurs
constitutifs de la pensée socialiste universelle. L’autre terme à
retenir est celui de « structures ». L’histoire de la social-démocratie est fondamentale pour saisir le poids des structures, ce
qu’elles apportent en puissance dans l’action du mouvement
ouvrier, ce qu’elles génèrent sur l’analyse théorique au nom du
pragmatisme, du réalisme. Tout cela illustré par le mouvement
ouvrier allemand, le plus fécond et le plus important d’Europe
à cette date.
Les deux documents ouvrent tout le champ de l’investigation
à laquelle la problématique invite. Elle montre l’importance de
l’évolution du mouvement ouvrier. Le tableau de 1886, La Grève,
dévoile les balbutiements d’une classe ouvrière peu nombreuse,
sans organisation réelle ni encadrement, encore soumise malgré sa révolte, comme le souligne la relation qui s’établit sur le
tableau entre les patrons et les ouvriers. Le deuxième document,
photographie d’une manifestation de masse en 1951 en RDA,
montre une classe ouvrière nombreuse, réunie dans sa masse,
structurée et encadrée, et, pour finir, censée être parvenue à ses
fins puisque, en théorie, au pouvoir. L’élève peut être sensible
au rapprochement de ces deux documents qui pourrait servir de
synthèse à l’ensemble du chapitre.
L’organisation de la frise est destinée à replacer l’évolution du
mouvement ouvrier dans la succession des régimes politiques
en Allemagne.
Repères
p. 90-93
1. Les régimes politiques de l’Allemagne
contemporaine
La frise proposée montre que l’Allemagne, comme peu de pays en
Europe, a connu des régimes politiques très différents. On part
d’un régime monarchique qui, s’il s’ouvre à la modernité, reste
féodal par certains aspects. Après un intermède révolutionnaire,
on assiste à la mise en place d’une République démocratique,
très avancée sur certains points (vote féminin, référendum),
qui disparaît dans la tourmente de la crise. Suivent les années
sombres avec l’arrivée au pouvoir des nazis qui édifient un État
– relevant à la fois de la dictature et d’un régime totalitaire – qui
porte ses dévastations sur l’ensemble du continent européen.
Enfin, fruits de la guerre, apparaissent deux États allemands
rivaux, porteurs chacun d’un projet antagoniste. Chacune de
ces étapes politiques est pour la pensée socialiste un enjeu dans
lequel, confrontée à des réalités parfois difficiles, elle doit se
définir, s’approfondir, s’adapter et enrichir sa réfl exion.
En fournissant des repères sur l’histoire de l’Allemagne depuis
1871, cette double page doit permettre aux élèves d’établir des
liens entre l’évolution du mouvement ouvrier allemand et la succession des régimes politiques pour en montrer les interactions.
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2. Révolution industrielle, essor du monde ouvrier
et développement des idées socialistes
L’Allemagne rentre dans la Révolution industrielle dans le dernier tiers du xixe siècle. Celle-ci se traduit par une croissance
très forte, une concentration capitaliste considérable débouchant sur la création d’entreprises géantes, une concentration
géographique se traduisant dans l’émergence de régions et
de villes industrielles. Ces données peuvent être utilisées plus
tard dans le chapitre. On peut, par exemple, mettre en relation
régions industrielles et vote à l’extrême gauche (voir la carte
du KPD, doc. 4, leçon 2), ou appartenance à la classe ouvrière
et vote social-démocrate (électeurs du SPD, doc. 1b, leçon 3).
La naissance et le développement de la pensée socialiste sont
directement liés à ces phénomènes (la comparaison avec la
France, étudiée les années précédentes, serait à ce titre perti-
nente). Marx et Engels, pour ne citer qu’eux, ont été directement
confrontés aux problèmes liés à ce type de mutations. Cette
pensée évolue, en fonction même de l’évolution des moyens de
production, de l’importance du capital industriel et financier, de
la croissance des masses ouvrières, de la démocratisation des
sociétés… Ainsi passe-t-on du socialisme utopique, assez peu
représenté en Allemagne, au socialisme « scientifique », symbolisé par Marx et ses héritiers.
Étude 1
p. 94-95
1875-1914 : socialisme et syndicalisme en Allemagne
L’étude 1 a pour objectif de montrer l’apparition en Allemagne
des structures qui encadrent et constituent le mouvement
ouvrier le plus puissant d’Europe à cette date : les syndicats, qui
apportent une réponse aux questions concernant la vie ouvrière
au quotidien, sur les lieux de travail ou en dehors, et le parti
socialiste, qui fournit une réflexion plus large et à plus long
terme, débouchant sur une action politique.
La problématique propose de s’interroger sur les conditions dans
lesquelles ces organisations ont vu le jour, celles dans lesquelles
elles se sont développées, quels obstacles et contradictions elles
ont pu rencontrer.
→Doc. 1 : Le programme de Gotha, 1875.
L’unité allemande est achevée et le Reich, dominé par la forte
personnalité de Bismarck, rentre dans une période de croissance
économique et industrielle considérable. Gotha est une ville de
Thuringe, région de vieille tradition industrielle. Le congrès de
1875, qui rassemble un certain nombre de responsables du mouvement ouvrier, aboutit à la réunion des deux partis socialistes
préexistants : l’Association générale des ouvriers allemands
de F. Lassalle et le Parti ouvrier social-démocrate de Bebel et
Liebknecht inspiré par Marx. Le Parti social-démocrate naît de
cette fusion et entre dans l’histoire.
→Doc. 2 : Statuts de l’Union ouvrière générale de Magdebourg,
juillet 1893.
Ce texte présente le statut d’un de ces très nombreux syndicats
qui progressent un peu partout en Allemagne dans la dernière
décennie du xixe siècle et que la Confédération syndicale DGB
fédère. Magdebourg est une ville industrielle de la Prusse, à
proximité de Berlin, où le socialisme rencontre un succès certain. Les statuts datent de la dernière décennie du xixe siècle
au cours de laquelle le syndicalisme connaît un développement
considérable.
→Doc. 3 : L’école du Parti social-démocrate en 1907.
Cette photo montre la place accordée par le Parti à la formation.
Comme il convient d’éduquer le peuple, il faut aussi former les
militants et les cadres, ce que précise le document 2 en évoquant une « école de propagandistes ». Apparaissent alors les
écoles du Parti où on étudie l’économie, l’histoire, la philosophie, le droit. Cette atmosphère studieuse (on pense à une salle
de classe avec élèves et maîtres, bibliothèque, portraits) contribue à structurer davantage le Parti et à lui permettre de gagner
en efficacité.
→Doc. 4 : « Grève générale ! », une du journal central du SPD,
Vorwärts, 9 novembre 1918.
Vorwärts, organe central du SPD, est fondé à Leipzig en 1876.
C’est la lecture quotidienne des militants et adhérents. Dirigé
par des grands responsables du Parti comme W. Liebknecht
(à ne pas confondre avec K. Liebknecht, son fils, proche de
R. Luxemburg), il ouvre ses pages aux plus éminents penseurs du
socialisme comme Engels.
Le titre du journal, « En avant », témoigne du volontarisme du
Parti et de son esprit offensif. On notera l’écriture « gothique »
36 • Chapitre 3 - Socialisme, communisme et syndicalisme en Allemagne depuis 1875
→Doc. 5 : Manifestation du 1er mai.
Créé en 1877, Wahre Jacob est le plus important journal satirique allemand. Tirant à presque 400 000 exemplaires avant la
Première Guerre mondiale, il mobilise les meilleurs caricaturistes
et dessinateurs de l’époque comme Otto Lau, Otto Marcus ou
Jentzsch, l’auteur de l’affiche du livre. Bien entendu, les nazis
interdiront ce journal dès leur arrivée au pouvoir.
→Doc. 6 : Les grèves en Allemagne entre 1890 et 1918.
On notera qu’après un départ hésitant, les grèves croissent de
façon considérable au tournant du xxe siècle. Il convient de
souligner, comme en France, l’interaction entre grève et développement des structures syndicales.
On observera l’effondrement de la courbe pendant la guerre. Les
syndicats, adhérant à l’Union sacrée et participant à l’effort de
guerre, ne lancent pas de grèves. Elles renaissent timidement à
la fin de la guerre et surtout en 1918.
◗ Réponses aux questions
1. Sur le plan idéologique, le programme du Parti apporte une
réflexion sur la société capitaliste qui règne en Allemagne à la
fin du xixe siècle. Cette analyse se fonde, au moins en partie,
sur les travaux théoriques de Marx. Elle affirme l’exploitation de
la classe ouvrière, exploitation génératrice de misère. L’objectif
est donc à terme de substituer à ce modèle capitaliste une
société socialiste égalitaire. Elle doit se fonder sur l’apparition de coopératives ouvrières prenant en main les moyens de
production, le tout sous la tutelle de l’État libre et socialiste.
Sont développées des propositions politiques, objectifs à court
terme, qui répondent aux aspirations démocratiques du peuple
ouvrier : libertés fondamentales (dont le droit de grève), suffrage universel (ce qui peut ouvrir la voie à une prise du pouvoir
par les urnes). L’ensemble de ces résolutions est incontestablement dirigé contre le système capitaliste dominant qu’il s’agit
d’améliorer avant de le faire disparaître et de le remplacer par le
socialisme.
2. Le Parti socialiste et les syndicats sont favorables à une amélioration sensible de la condition de la classe ouvrière grâce à
des réformes sociales de grande envergure : améliorer au quotidien les conditions de travail et de vie des travailleurs (durée du
temps de travail), les protéger des difficultés de l’existence (en
protégeant leur santé et leur vie, ce qui laisse penser à la mise
en place d’un embryon de Sécurité sociale). Mais on remarquera
surtout l’insistance (particulièrement dans le texte de l’Union
fédérale) sur l’éducation, puissant moyen d’émancipation, et sur
la mise en place d’une culture ouvrière (bibliothèques, revues,
conférences…).
3. Les structures qui encadrent le mouvement ouvrier sont multiples : le parti politique (SPD), les syndicats, les « écoles » et
associations culturelles diverses. Elles tissent un réseau serré
qui entoure les ouvriers et permet de développer le concept
de « contre-société » ouvrière face à la société bourgeoise. On
peut également citer la presse et en particulier Vorwärts qui
s’adresse aux militants, électeurs et sympathisants du Parti.
4. Différentes actions sont entreprises pour faire aboutir les
revendications du Parti. Organisées par les différentes structures
évoquées plus haut, elles vont de la simple action de propagande
comme la distribution de tracts, l’affichage, aux formes les plus
abouties évoquées dans les documents 4 et 5. Les manifestations
font partie des habitudes de la social-démocratie. Organisées
pour revendiquer, protester, elles peuvent aussi prendre un
caractère conventionnel en s’inscrivant dans un rituel annuel
comme le 1er mai. Fête internationale du mouvement ouvrier,
le 1er mai se traduit par d’imposants défilés derrière drapeaux
rouges et slogans revendicatifs de circonstance en faveur de la
paix (menacée par les graves crises du début du siècle comme la
crise marocaine ou la question électorale en Prusse). Les grèves
sont un autre moyen d’action (document 4) ; elles se multiplient
au tournant du siècle en lien avec la concentration ouvrière dans
les usines et l’essor des structures ouvrières. L’exemple du doc. 4
évoque les grèves de novembre 1918 à Berlin qui entraînent la
chute de l’Empire et la mise en place de la République, comme le
célèbre avec enthousiasme le dernier appel du texte : « Vive la
République sociale ! ».
◗ Texte argumenté
Le mouvement ouvrier allemand se dote de deux puissantes organisations : les syndicats, qui émanent des ouvriers, répondent à
leurs aspirations immédiates afin d’améliorer leur situation économique, sociale et culturelle ; le parti socialiste, né au congrès
de Gotha en 1875, est à la recherche, lui, d’une solution politique
visant à instaurer une société nouvelle, débarrassée des inégalités
sociales et politiques car fondée sur le contrôle de la production par
les ouvriers, l’instauration de droits sociaux (réduction de la journée de travail, protection sociale) et de libertés politiques (suffrage
universel). Parti et syndicats restent solidaires et complémentaires
dans leurs revendications et dans leur recrutement, de nombreux
militants et cadres étant investis dans les deux structures.
Pour faire aboutir ces revendications, le parti socialiste et les syndicats engagent différents moyens d’action : propagande par le biais
d’une presse d’opinion, manifestation, organisation de grèves. La
conquête du pouvoir est aussi envisagée par des élections au suffrage universel.
Le parti socialiste et les syndicats encadrent et éduquent les masses,
afin de les préparer à la prise de pouvoir. Une contre-société apparaît, avec sa presse, ses fêtes, ses associations culturelles. D’où le
succès de l’entreprise. Malgré les tentatives de répression, des millions d’Allemands rejoignent les syndicats et le parti. Ils y trouvent
l’espoir et la solidarité.
En 1914, la social-démocratie et le syndicalisme ont réussi leur
implantation dans le Reich.
Leçon 1
p. 96-97
1875-1914 : l’essor du Parti social-démocrate et du
syndicalisme
Cette leçon doit permettre de saisir l’importance de la croissance des syndicats et du SPD pendant la période de 1875 à 1914,
limitée par le congrès de Gotha et la guerre qui perturbe considérablement la vie économique, sociale et politique du pays.
La problématique met en relation les mutations du Reich (croissance industrielle, émergence d’une classe ouvrière nombreuse,
persistance des difficultés sociales – voir les pages Repères) et
les tentatives de réponse du mouvement ouvrier à travers ses
structures.
→Doc. 1 : La croissance de la social-démocratie.
Ce graphique montre la croissance du nombre de voix et de
députés obtenus par le SPD entre 1871 et 1912. Ces courbes
éloquentes dévoilent l’importance considérable prise par les
socialistes. À peu près inexistant en 1871, le vote socialiste rassemble un Allemand sur 3 en 1914 et envoie au Reichstag 110
députés. Le document n’évoque pas les élus locaux (en particulier dans les très nombreuses villes tenues par le SPD) qui sont
essentiels dans l’enracinement du Parti.
→Doc. 2 : Le « Congrès du Parti unifié ».
Lithographie commémorative du congrès de Gotha. Les délégués présents entourent les deux fondateurs, qui occupent le
centre du document. Ce sont en fait les fondateurs théoriques
car Lassalle est mort en 1864 et Marx est en exil à Londres. Mais
c’est bien le fruit de leur spéculation intellectuelle qui est à la
base du programme de Gotha. En fait, il y a de fortes contradictions entre leurs théories, et Marx, plus tard, dénoncera le
Chapitre 3 - Socialisme, communisme et syndicalisme en Allemagne depuis 1875
• 37
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qui reste de mise en Allemagne au moins jusqu’à la Deuxième
Guerre mondiale.
programme de Gotha (Critique du programme de Gotha). On
peut dire que ces contradictions initiales ont nourri postérieurement les affrontements théoriques dans le Parti.
→Doc. 3 : La croissance des syndicats.
Tableau statistique sur la croissance des syndicats allemands.
Les syndicats « libres » sont liés au SPD (cf. Étude 1, doc. 2) mais
on rencontre aussi des syndicats catholiques, ce qui est assez
spécifique de l’Allemagne (mais aussi de la Belgique ou de l’Italie), et des syndicats libéraux, c’est-à-dire des syndicats créés
par les patrons dans leurs entreprises. Ces derniers sont souvent
accusés d’être à la solde du patron et de n’être guère actifs (en
France, on les appelle parfois les syndicats « jaunes »). Le syndicalisme catholique connaît également une belle progression
mais, trop « confessionnel », il se condamne à végéter dans une
Allemagne majoritairement protestante et n’est puissant que
dans les régions catholiques (Silésie, Ruhr).
◗ Réponse à la question
1. Les statistiques montrent la croissance du syndicalisme
allemand toutes tendances confondues. Toutefois, ce sont les
syndicats libres (c’est-à-dire liés au SPD) qui connaissent la
progression la plus forte et, en 1914, ils écrasent de leur poids
l’ensemble du mouvement ouvrier. La croissance est forte dans
la période initiale, puis à partir de 1895.
→Doc. 4 : Les tendances dans la social-démocratie.
Sélection de textes qui mettent en relief les oppositions internes
à la social-démocratie. E Bernstein et R. Luxemburg (voir leurs
biographies respectives) représentent chacune des deux tendances dominantes de la social-démocratie allemande : le
premier, la tendance révisionniste (ou réformiste), l’autre, la tendance révolutionnaire. Deux débats particulièrement vifs sont
privilégiés : celui autour de l’action politique à mener, celui sur
les concepts de nation et de patrie.
◗ Réponse à la question
1. À la fin du xixe siècle, le parti social-démocrate est soumis
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à des contradictions profondes. Une aile réformiste, « révisionniste », et une aile plus révolutionnaire s’opposent en son sein.
Deux exemples d’affrontement sont développés dans le document 4. Le premier thème d’opposition est l’action politique
à mener. Pour les réformistes, dont Bernstein est le principal
théoricien, le prolétariat peut et doit s’intégrer dans la société
allemande. Le suffrage universel fait de l’ouvrier un citoyen à
part entière et lui permet de faire entendre sa voix et d’arracher des réformes. On peut même entretenir l’espoir d’un accès
au pouvoir par le parlementarisme. Ce qui ne rend plus nécessaire un recours à d’autres formes de discours ou d’action. Pour
l’aile gauche, incarnée par R. Luxemburg, la prise de pouvoir par
les ouvriers ne peut se faire que par la grève de masse. Le rôle
du Parti est de préparer les masses à l’action, de stimuler leur
conscience de classe. Le parlementarisme ne peut permettre les
changements profonds que suppose la Révolution.
Le deuxième terrain d’opposition concerne l’attachement à la
nation, à la patrie. Pour les réformistes, l’ouvrier qui vote et qui
participe à la politique appartient à la communauté nationale.
Il en défend les intérêts partout où ils sont mis en cause. D’où
l’adhésion à l’impérialisme, au militarisme. Pour la gauche, le
prolétaire doit refuser cette théorie. Il ne doit pas prendre en
compte la défense d’intérêts qui sont d’abord ceux de la bourgeoisie. Il faut donc lutter contre l’impérialisme et le militarisme
qui sont des manifestations de l’État capitaliste bourgeois.
Étude 2
p. 98-99
1914-1919 : mouvement ouvrier, guerre et révolution
On sait l’importance de la Première Guerre mondiale et de la
révolution russe dans l’histoire du monde et surtout de l’Europe.
Les traumatismes du conflit déstabilisent les sociétés alors
que la prise de pouvoir par les bolcheviks et la création de la
IIIe Internationale communiste créent une espérance nouvelle.
L’enjeu de l’étude est d’observer en quoi ces événements ont
bouleversé les données dans le mouvement ouvrier allemand,
déjà bien perturbé par ses contradictions internes avant-guerre.
→Doc. 1 : « La social-démocratie et la guerre ! ».
Il s’agit d’un article du Vorwärts, journal officiel du Parti présenté plus haut, du 4 août 1914. Le 1er août, le Reich entre dans
le conflit en déclarant la guerre à la Russie puis à la France. Le
4 août, le Reichstag vote les crédits de guerre, ce qui scelle
l’Union sacrée entre les partis politiques allemands. Le numéro
spécial du journal avise le peuple allemand de l’adhésion du Parti
social-démocrate au vote.
→Doc. 2 : Le socialisme allemand face à la guerre.
Deux courts textes sont proposés. L’un de Haase, avocat et député, considéré plutôt comme proche de l’aile gauche du Parti, qui
date du 3 août, la veille du vote au Reichstag. On peut noter que
Haase, à titre personnel hostile à la guerre, s’y rallie par discipline
de parti. L’autre est de R. Luxemburg, principale représentante
de l’aile gauche du SPD. On note que cette lettre de Spartakus
date de janvier 1916. R. Luxemburg est très rapidement hostile à la guerre. Dès 1915, elle est condamnée pour ses activités
contre la guerre. En 1916, elle participe à la création du groupe
contestataire « Spartakus » et publie les Lettres de Spartakus qui
dénoncent la guerre. Elle est la tête de proue du mouvement
opposé à la guerre. Ce n’est pas le premier conflit dans le Parti
mais cette fois, le choc est trop violent et aboutit à la division du
Parti avec, en 1916, l’émergence du groupe Spartakus.
→Doc. 3 : Accords Stinnes-Legien, 15 novembre 1918.
Les accords Stinnes-Legien réunissent représentants du patronat (Hugo Stinnes, un des plus grands patrons d’Allemagne, est
à la tête de nombreuses entreprises) et des syndicats (Legien
est le chef de l’ADGB, membre du SPD et lié aux réformistes)
dans un climat incertain. La « Révolution de novembre » a
renversé l’Empire et mis en place un gouvernement provisoire
dominé par le SPD et dirigé par Ebert. Celui-ci entend rétablir le
calme et réunir une assemblée constituante pour jeter les bases
d’une Allemagne républicaine et démocratique, alors que des
mouvements révolutionnaires agitent le pays. En effet, pour la
direction du SPD, la Révolution est terminée. Ils ne veulent pas
d’une révolution bolchevique, les conditions n’étant pas réunies,
l’appareil d’État étant intact et la population y étant majoritairement hostile (cf. doc. 4 et 5).
Ces accords paritaires entre patronat et salariés montrent
donc à la fois les concessions nécessaires faites au mouvement
ouvrier au lendemain de la guerre, mais aussi la division de celuici. En effet, la direction réformiste des syndicats, proche du SPD,
pense ainsi couper l’herbe sous le pied des spartakistes et récupérer les ouvriers tentés par une action révolutionnaire.
→Doc. 4 : Les forces de la répression (1920).
Cette photographie nous montre une réunion entre chefs militaires et dirigeants du SPD. Ebert est à cette date président du
Reich alors que Noske, membre du gouvernement provisoire,
énergique, proche de l’aile droite du Parti et spécialiste des
questions militaires, est chargé du maintien de l’ordre. Noske
peut compter sur les troupes qui ont été ramenées du front
après la défaite et que les officiers tiennent en main, ainsi que
sur des « corps francs », organisations paramilitaires, nationalistes et anticommunistes.
38 • Chapitre 3 - Socialisme, communisme et syndicalisme en Allemagne depuis 1875
Cette photographie illustre les combats de rue qui se déroulent
à Berlin en janvier 1919.
Les spartakistes lancent le 6 janvier une grève générale qui doit
leur permettre d’accéder au pouvoir et de balayer le gouvernement provisoire aux mains du SPD, qu’ils accusent de trahison.
Les combats les plus importants se déroulent surtout à Berlin.
La photo a été prise dans le quartier de la presse à Berlin. Elle
illustre le caractère dérisoire des barricades face aux forces
armées mobilisées contre ce mouvement. Les spartakistes,
isolés et peu armés, malgré la présence de quelques soldats et
marins « rouges », sont anéantis.
→Doc. 6 : Extraits du programme spartakiste, octobredécembre 1918.
Ces extraits du programme spartakiste, rédigé par R. Luxemburg
et édité en décembre 1918, analysent la situation à cette date.
La conjoncture est celle évoquée pour le document 3. Mais
R. Luxemburg s’oppose au projet du SPD et fournit une alternative qui doit se traduire par une deuxième révolution qui
complétera celle de novembre parfaitement insuffisante à ses
yeux.
◗ Réponses aux questions
1. Face à la guerre les socialistes ne sont pas unanimes. Pourtant,
la guerre est accueillie favorablement par la majorité du Parti et
les syndicats. L’affiche et le discours de Haase ne laissent aucun
doute. Le peuple allemand est dans sa majorité convaincu que le
Reich mène une guerre juste, dirigée contre la Russie, puissance
réactionnaire et obscurantiste. Les directions réformistes du
Parti social-démocrate et des syndicats épousent ces analyses.
2. La minorité, aile gauche du Parti social-démocrate, regroupée
derrière R. Luxemburg, dénonce cette position. Cette opposition sur la guerre est la suite logique des divisions qui touchent
le parti avant 1914. Pour R. Luxemburg, ce conflit est le fruit de
l’impérialisme et n’intéresse pas le peuple allemand. Il ne profite
qu’au « grand capital ».
3. Les accords évoqués dans le document 3, qui réunissent
représentants du patronat (Hugo Stinnes) et des syndicats (Karl
Legien), permettent à la classe ouvrière d’accéder à des réformes
sociales substantielles : droit syndical, liberté d’association,
journée de 8 heures, conventions collectives sur les conditions
de travail.
4. L’aile gauche du Parti social-démocrate, qui estime la situation révolutionnaire, veut donner le pouvoir au peuple au sein
des « conseils » (équivalents des « soviets » en Russie), à travers le programme spartakiste. Celui-ci préconise une véritable
rupture avec la nationalisation des moyens de production. La
révolution ne doit pas être un simple changement de régime
politique mais aussi un bouleversement économique et social. Il
y a bien le projet, à l’exemple de ce qui s’est déroulé en Russie,
de passer, après avoir renversé l’ancien régime, à une deuxième
révolution, économique et sociale, qui doit aboutir à la mise en
place du socialisme.
5. Les révolutionnaires du mouvement spartakiste (aile gauche
du SPD) passent à l’action début 1919. Mais ils se heurtent aux
forces armées et au gouvernement provisoire dominé par le
SPD, dont le courant majoritaire est hostile à une révolution, car
favorable à de simples réformes économiques et sociales.
◗ Texte argumenté
La guerre avive les divisions au sein du mouvement ouvrier allemand.
Aile droite et aile gauche sont plus opposées que jamais, la première acceptant la guerre, la deuxième la contestant. Cela aboutit
à des scissions comme celle qui donne naissance au mouvement
spartakiste.
La révolution bolchevique en Russie et la défaite allemande précipitent les événements. Pour l’aile droite, la chute de l’Empereur
et la création de la République démocratique en novembre 1918
suffisent et elle refuse une révolution de type bolchevique, vecteur
de guerre civile. L’accord Stinnes-Legien satisfait les revendications
des ouvriers. L’aile gauche veut aller plus loin, donner le pouvoir au
peuple dans les Conseils et construire le socialisme, en prônant une
rupture économique et sociale totale.
L’affrontement entre les deux est inévitable. En janvier 1919, les
spartakistes, désormais KPD, lancent la révolution. Isolés et mal
préparés, ils sont anéantis. La révolution échoue en Allemagne bolchevique, mais la République mise en place comporte d’indéniables
avancées démocratiques et sociales.
Étude 3
p. 100-101
1918-1933 : le SPD, un parti républicain
Le SPD joue un rôle essentiel au lendemain de la guerre, car
il sauve l’Allemagne du bolchevisme et contribue à installer
un régime démocratique. Cette République de Weimar dure
jusqu’en 1933. La question qui se pose est de savoir comment ce
parti a su incarner la République de Weimar.
→Doc. 1 : Affiche du SPD pour les élections législatives du
6 novembre 1932.
L’Allemagne est secouée depuis le début des années 1930 par
une crise économique et sociale grave (chômage de masse).
L’instabilité politique se greffe sur ces problèmes et les gouvernements successifs, sans majorité parlementaire, doivent
dissoudre le Reichstag et procéder à des élections législatives
(deux élections dans la seule année 1932). Dans un climat politique tendu, voire violent, où se joue la survie de la République
de Weimar, les campagnes sont des enjeux considérables. D’où
l’intérêt de proposer aux électeurs des affiches les plus claires
et lisibles possible. Les trois flèches empruntées à la lutte antifasciste (notamment en permettant graphiquement de barrer
facilement la croix gammée) ont été adoptées comme symbole
par la social-démocratie en Allemagne mais aussi en France au
début des années 1930.
→Doc. 2 : Les résultats des élections législatives en Allemagne
pendant la République de Weimar.
Trois partis sont proposés, les deux partis au programme de ce
chapitre et le parti nazi, qui accède au pouvoir par les urnes et
au terme d’un processus démocratique, au moins en apparence.
La juxtaposition et la comparaison des trois courbes s’imposent.
→Doc. 3 : Le SPD, parti de gouvernement.
Kautsky (1854-1938) est un des plus brillants théoriciens de la
social-démocratie, surtout entre les deux guerres. Vieux routier
du Parti, il a connu Marx et Engels dont il a été le secrétaire. Plutôt
à gauche du parti au départ (il s’est opposé à différentes reprises
à Bernstein), il évolue vers des positions plus réformistes avec le
temps. Il est hostile au léninisme et à l’expérience bolchevique
en cours en URSS, qui lui semble incompatible avec les idéaux de
la social-démocratie. Les extraits de texte proposés, très courts
mais denses, permettent de faire le point sur la façon dont le SPD
envisage l’exercice du pouvoir au début des années 1920.
→Doc. 4 : Des militants du SPD forcés par les SA d’enlever des
slogans du mur, 1933.
Cette photographie, prise en Allemagne après la victoire des
nazis, dévoile les méthodes utilisées contre leurs opposants.
Encore faut-il remarquer que cela ne nous apporte aucun détail
sur ce qui se passe dans le secret des prisons et camps d’internement, où la violence se déchaîne. En 1933, la répression reste
peu organisée, anarchique, laissée aux initiatives locales. Il faut
attendre 1934 pour voir l’appareil répressif se mettre en place
sous la férule de la SS. C’est seulement à partir de là que le « système concentrationnaire » s’installe en Allemagne.
Chapitre 3 - Socialisme, communisme et syndicalisme en Allemagne depuis 1875
• 39
© Hachette Livre
→Doc. 5 : Barricade spartakiste en janvier 1919.
→Doc. 5 : Le SPD contre les pleins pouvoirs à Hitler, 23 mars
1933.
Le 23 mars, Hitler demande les pleins pouvoirs afin de mettre
le pays sous sa botte. Seuls les socialistes et les communistes
s’y opposent. Le KPD est déjà hors-jeu depuis l’incendie du
Reichstag, qui donne aux nazis le prétexte pour l’éliminer. Otto
Wels est le chef du groupe parlementaire social-démocrate et,
à ce titre, il prononce avec courage un discours qui résonne
comme le testament d’une social-démocratie qui n’a pas pu sauver la démocratie.
◗ Réponses aux questions
1. Kautsky définit les grandes lignes du programme : le SPD n’est
pas assez fort pour imposer le socialisme (comme le montre le
document 2, qui témoigne d’une érosion de la social-démocratie, surtout dans les années 1930). Attaché à la démocratie et
refusant la violence, il se rallie à la solution de gouvernements de
coalition avec des partis bourgeois, avec l’objectif de défendre
et de fortifier la République. Il situe le SPD dans une intégration
totale à la démocratie parlementaire, caractérisant un régime
républicain.
2. Les adversaires sont bien définis par le document 1. Les trois
flèches (symbole de la « Bannière d’Empire », organisation paramilitaire du SPD) désignent les communistes (la faucille et le
marteau), les monarchistes (la couronne impériale) et les nazis
(la croix gammée). Ces derniers ont en commun la haine de
la démocratie et de la République de Weimar et doivent être
combattus.
3. Le SPD est un parti important. Mais son poids évolue. Très
puissant au tout début de la République (il est le seul parti un
peu structuré face à la déferlante révolutionnaire et est le parti
de la République nouvellement installée), il décroît par la suite
avant de se stabiliser pour représenter environ un quart des
électeurs. La crise lui vaut une érosion sensible. Les électeurs,
plongés dans la misère et l’angoisse, pénalisent le SPD, parti de
gouvernement et jugé responsable des difficultés, pour aller vers
les partis contestataires comme le KPD ou le NSDAP.
4. Les socialistes restent fidèles aux principes démocratiques,
comme en témoigne le discours d’O. Wels devant le Reichstag,
qui dénonce la violation par les nazis des principes démocratiques fondamentaux auxquels le SPD reste attaché : liberté,
justice, humanité, socialisme, respect de la Constitution. Les
sociaux-démocrates, qui combattent les nazis depuis leur arrivée
au pouvoir en 1933, sont poursuivis, battus, internés, humiliés
(doc. 4).
© Hachette Livre
◗ Texte argumenté
La social-démocratie s’identifie à la République démocratique de
Weimar. Elle accepte le régime parlementaire et participe à des
gouvernements dans des coalitions avec des partis bourgeois. Elle
continue, par ces choix, à intégrer la classe ouvrière à la société
allemande.
Ce faisant, elle est amenée à s’opposer à tous les partis ou organisations antidémocratiques et antirépublicains qui pullulent en
Allemagne : à l’extrême droite, les monarchistes et les nazis, à l’extrême gauche, les communistes. La crise de 1929 favorise la poussée
de ces partis, l’érosion de la social-démocratie et finalement la victoire d’Hitler en janvier 1933.
Les socialistes, qui ont tenté de résister, subissent les coups de
leurs adversaires et connaissent des brutalités de toutes sortes. Les
pleins pouvoirs accordés à Hitler en mars 1933, malgré le courage
des opposants, sonne le glas de la République et plonge l’Allemagne
dans une dictature répressive.
Leçon 2
p. 102-103
1918-1933 : la division du mouvement ouvrier en
Allemagne
Les forces conservatrices et antirépublicaines restent considérables en Allemagne. Elles refusent tout du nouveau régime
de Weimar. Les forces progressistes et démocratiques sont sur
la défensive. La division du mouvement ouvrier va affaiblir ses
capacités de résistance, tel est le sens de la problématique proposée dans cette leçon.
→Doc. 1 : Le KPD et la social-démocratie.
Le document présente l’extrait d’un article paru dans une revue
communiste, Die Internationale. L’organe central de presse du
parti est Die rote Fahne (le drapeau rouge) mais le KPD est
accompagné par une multitude de journaux locaux ou nationaux.
Le titre Die Internationale est une allusion à la IIIe Internationale
communiste à laquelle le KPD est intégré. Le journal est surtout consacré à la réflexion théorique. L’année 1932 est, comme
il a été vu plus haut, une année d’affrontements politiques en
Allemagne. Le document définit la stratégie du KPD contre
ses adversaires politiques, en donnant la priorité de sa lutte à
la social-démocratie, ce que confirme le document 3. Cette
stratégie, dite de « classe contre classe », est celle de l’Internationale communiste que le KPD applique avec discipline. Elle
est imposée jusqu‘en 1934. Le désastre allemand provoquera
son abandon au bénéfice d’une alliance des communistes avec
tous les partis antifascistes. D’où les fronts populaires qui apparaissent en Espagne ou en France.
◗ Réponse à la question
1. Die Internationale définit l’attitude du KPD en 1932 par rapport à la social-démocratie. Alors que la montée en puissance
des nazis n’est pas contestable, la direction du Parti réaffirme
que le SPD est l’ennemi principal. Celui-ci, qui depuis longtemps
trahit la révolution, retient une partie importante de la classe
ouvrière qu’il trompe systématiquement. C’est donc la tâche
numéro un du KPD d’en finir avec le SPD, de conquérir la totalité des ouvriers et ensuite de faire la révolution, les nazis étant
considérés comme secondaires.
→Doc. 2 : Affiche du SPD pour les élections à l’assemblée
constituante du 19 janvier 1919.
Après la Révolution de novembre et la chute de l’Empire, il faut
donner à l’Allemagne une constitution qui stabilise la République
démocratique et qui définisse les cadres dans lesquels la vie
politique puisse se développer. Cette constituante est élue au
suffrage universel. Selon les résultats, l’assemblée penchera plutôt vers la gauche ou vers la droite. Il est donc essentiel que
le SPD obtienne le maximum de voix afin de donner à cette
Constitution la forme la plus progressiste possible et une majorité électorale importante qui lui assure une légitimité. Ces
élections ont lieu dans un climat de guerre civile fomentée par
les communistes mais aussi par les organisations paramilitaires
d’extrême droite. Il est donc logique que le SPD, pour gagner ces
élections, appelle au rassemblement. Cet appel illustre en même
temps combien le SPD est désormais un parti qui transcende les
différences de classes sociales pour représenter le peuple tout
entier et pour porter un projet démocratique. Cela alimente le
KPD dans sa dénonciation du SPD comme parti désormais sorti
de tout projet de rupture révolutionnaire.
◗ Réponse à la question
1. Le SPD, dans cette affiche de 1919, appelle à l’unité nationale. En effet, à cette date, les institutions républicaines sont
mises en place dans un contexte de guerre civile fomentée par
les communistes mais aussi par les organisations paramilitaires
d’extrême droite. Le SPD, afin de défendre la jeune démocratie
allemande et dans une perspective électorale, appelle à l’union
40 • Chapitre 3 - Socialisme, communisme et syndicalisme en Allemagne depuis 1875
→Doc. 3 : « Roter Wedding » (le « Wedding rouge »).
C’est une chanson célèbre écrite par Erich Weinert et dont la
musique est due à Eisler. Ce dernier est un musicien de grande
réputation, issu de l’école viennoise dans la lignée d’Arnold
Schönberg. Il est aussi militant communiste. Réfugié aux ÉtatsUnis pendant le nazisme, il écrit plusieurs musiques de film à
Hollywood avant de revenir en RDA. Il est le compositeur de
l’hymne national de ce pays. Cette marche accompagnait les
défilés du « Front rouge des combattants », organisation paramilitaire des communistes dont la photographie montre une
des manifestations. Ce type de structure paramilitaire se multiplie dans les années de crise. Les nazis ont la SA, le SPD, la
« Bannière d’Empire », les monarchistes, « le Casque d’Acier ».
Cela contribue à la violence de rue qui est une des caractéristiques de la fin de la République de Weimar.
◗ Réponse à la question
1. Le texte de la chanson montre que l’ennemi désigné est
d’abord la social-démocratie avec laquelle les affrontements
sont nombreux, en particulier à Berlin et en Prusse où le SPD
tient le pouvoir et traite sans ménagements les manifestations
communistes. Les fascistes (c’est-à-dire les nazis) sont également dénoncés.
Le texte est aussi porteur d’un projet politique : construire la
République soviétique (allusion à l’URSS) allemande et balayer le
régime de Weimar. L’appel, volontariste et agressif, vise à mobiliser la classe ouvrière.
→Doc. 4 : Les résultats du KPD aux élections législatives de
1932.
1932 est l’année où le KPD obtient ses meilleurs résultats. La
carte électorale permet de définir les régions dans lesquelles le
KPD est en position de force. Ses meilleurs scores sont acquis
dans des fiefs ouvriers (cf. pages Repères) comme la Silésie, la
Ruhr, la Thuringe et la Saxe, et surtout Berlin et ses banlieues, à
l’exemple de Wedding, évoqué dans la chanson du document 3,
qui est un quartier populaire de Berlin, fief du KPD. Il partage
ses suffrages avec le SPD (en Prusse) ou le parti catholique (en
Ruhr ou en Silésie).
Étude 4
p. 104-105
Syndicats et entreprises en RFA
Le syndicalisme réapparaît en Allemagne après la chute du
nazisme. Avec la fondation de la République fédérale, se pose
la question de savoir quelle est la spécificité du syndicalisme
ouest-allemand dans ses structures et sa manière de porter
les revendications du mouvement ouvrier dans une Allemagne
au développement industriel considérable et aux institutions
démocratiques.
→Doc. 1 : La participation du DGB.
a. Ce document présente des statistiques, dans le temps et dans
l’espace social, du DGB, confédération syndicale qui regroupe
de nombreux syndicats par branches professionnelles. Le temps
est celui de la République fédérale jusqu’en 1990 puis, après
la réunification, celui de la nouvelle Allemagne, intégrant l’exRépublique démocratique allemande. L’espace social est celui
d’une société allemande très impliquée dans la croissance économique et industrielle, avec une classe ouvrière importante et
variée, mais qui fait aussi de plus en plus de place aux services
dans le cadre d’une économie post-industrielle.
La courbe des effectifs montre l’impact de la réunification en
1990 sur les effectifs de la DGB avec l’intégration de 3,9 mil-
lions d’adhérents supplémentaires provenant de l’ancienne
Confédération d’Allemagne de l’Est. Elle témoigne de la crise
du syndicalisme à partir de cette date avec une chute considérable des effectifs. Comme de nombreux pays européens, le
syndicalisme ouest-allemand éprouve des difficultés à s’adapter
aux mutations économiques et sociales contemporaines : une
économie davantage tournée vers les services (alors que les 2/3
des effectifs de la DGB sont des ouvriers), un marché de l’emploi
plus flexible, etc. La DGB regroupe 91 % de l’ensemble des syndiqués allemands.
b. Le diagramme circulaire sur les effectifs syndicaux témoigne
d’une originalité du syndicalisme allemand : constatant que le
morcellement syndical, lié aux oppositions politiques pendant
la République de Weimar, avait affaibli la résistance des forces
démocratiques face à la montée du nazisme, les différents courants du syndicalisme (social-démocrate, chrétien, communiste)
décident, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, de surmonter ces divergences. Ils déclarent alors leur indépendance à
l’égard des partis politiques et des Églises et fondent un syndicalisme unifié. Le syndicalisme unifié, indépendant des idéologies,
repose sur une organisation des syndicats par branche d’activité
économique, fondée sur le principe de l’association d’industries ; un seul syndicat représente alors seul les salariés de cette
branche d’activité (cf. doc. 4 avec IG Metall).
À signaler aussi, le fort taux de syndicalisation de l’Allemagne,
qui s’établit à 29 % en 1999 (9 % en France).
→Doc. 2 : Les principes de la cogestion.
C’est un document officiel, émanant du ministère des Affaires
sociales, en 1995, c’est-à-dire après la réunification. Mais la
cogestion est un système ancien. On peut en chercher l’origine
dans l’Allemagne de Weimar (cf. les accords Stinnes-Legien,
p. 98) qui légifère en ce domaine en 1920-1922. La première
loi en RFA date de 1951. Elle est votée sous une forte pression
syndicale dans un débat politique et institutionnel houleux. La
cogestion est amendée ou reprise par différentes lois (1952, 1972,
1976, 1995). Ce qui permet de souligner que la cogestion a évolué,
depuis son apparition, en fonction des mutations économiques
et politiques du pays. La cogestion est le premier pilier du système social allemand, fondé sur le dialogue entre dirigeants des
entreprises et salariés.
→Doc. 3 : Les partenaires sociaux.
Le deuxième pilier du système social allemand est fondé sur
la négociation. Ce document présente les acteurs du dialogue
social. Les employeurs et les salariés collaborent dans l’élaboration des conventions collectives pour fixer les rémunérations et
les conditions de travail qui s’imposeront aux entreprises et aux
salariés membres des associations signataires.
→Doc. 4 : Manifestation du syndicat IG Mettal devant des
usines à Dortmund (Ruhr), 1978.
IG Metall est un syndicat créé en 1949. Ce syndicat professionnel de branche qui regroupe comme son nom l’indique les
salariés de la métallurgie, de la sidérurgie, de l’industrie automobile et de l’électronique est membre du DGB. Il représente
environ 2,7 millions d’adhérents en 1990. Son siège est installé à
Francfort qui est une des capitales économiques et financières
de la RFA. Il illustre parfaitement le syndicalisme unifié car il est
le syndicat commun à tous les salariés de cette branche d’activité. Le droit de grève en RFA est moins large qu’en France. La
grève est limitée à différents niveaux. Les fonctionnaires n’y ont
pas recours, les grèves « politiques » ou de solidarité sont interdites. En fait, on ne peut faire grève que dans le cadre d’une
entreprise et des conventions collectives qui la concernent.
Lorsqu’elle se déroule – il y a eu en Allemagne des poussées de
grève en 2003 dans la métallurgie, en 2007 dans les chemins de
fer, en 2012, par exemple, sur le pouvoir d’achat – elle prend la
forme classique de ce type de mouvement : débrayages, mani-
Chapitre 3 - Socialisme, communisme et syndicalisme en Allemagne depuis 1875
• 41
© Hachette Livre
de tous les Allemands quelle que soit leur origine sociale. Il
compte réunir derrière lui paysans, ouvriers, soldats (l’armée est
en pleine démobilisation après la guerre), petits bourgeois.
festations. Certains secteurs sont particulièrement actifs dans
ce domaine : les transports, la sidérurgie et la métallurgie. Le cas
du syndicat IG Metall est particulièrement symbolique.
→Doc. 5 : Protocole des négociations dans les entreprises
allemandes.
Traite, comme le document 3, du deuxième pilier social allemand, la négociation. Ce document montre que ces négociations
obéissent à un rituel comportant plusieurs étapes. Il souligne
l’importance du dialogue social et démontre que la grève est
la dernière solution pour régler les conflits dans l’entreprise.
Celle-ci ne survient qu’à l’issue d’un protocole assez long et doit
recueillir une majorité importante lors d’un vote, par exemple
75 % des votants chez IG Metall.
◗ Réponses aux questions
1. Ces statistiques témoignent de la puissance du DGB. Cette
confédération de syndicats réunit des millions de travailleurs
appartenant à l’ensemble des secteurs industriels et des services comme le montre le document 1b. IG Metall est le syndicat
adhérent le plus important, ce qui reflète l’importance de la
sidérurgie et de la métallurgie allemandes (machines-outils,
automobile…) dans l’économie allemande. Son apogée se situe
à la période de la réunification où les syndicats de l’ex-RDA
fusionnent avec elle. Si elle connaît un déclin depuis cette date,
elle reste néanmoins un groupe de pression influent.
2. La cogestion est un élément majeur de la structuration de
la société allemande. Elle contribue à l’« ordre social » de la
République fédérale comme le document 2 le souligne à deux
reprises. Elle fait des travailleurs des acteurs essentiels de l’économie en les faisant participer à la gestion des entreprises. Elle
leur permet d’intervenir dans les grandes décisions (embauche,
investissements, organisation interne du travail, œuvres sociales)
par la participation des représentants des salariés aux conseils
de surveillance des entreprises. En favorisant le dialogue, elle
permet des rapports sociaux plus apaisés et cherche à éviter au
maximum les tensions sociales, source de perturbation de la vie
démocratique.
3. Le système de négociation répond aux principes de la
cogestion en associant les syndicats représentant les salariés à
l’élaboration de conventions collectives qui fixent les rémunérations et les conditions de travail dans les entreprises.
4. Les lois contraignent salariés et employeurs à tout faire pour
repousser au plus tard l’affrontement. Négociations et arbitrage
(doc. 5) doivent permettre d’aboutir à un accord. En cas d’échec
survient la grève. Celle-ci n’est décidée qu’en dernier recours à
l’issue d’un processus assez long et doit être votée par une large
majorité de salariés (75 % chez IG Metall). Elle prend alors des
formes classiques d’arrêt de travail et de manifestations, comme
celle du syndicat IG Metall à Dortmund, qui réclame la semaine
de 35 heures de travail.
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◗ Texte argumenté
La RFA est créée en 1948 à partir des trois zones d’occupation
occidentale. La loi fondamentale jette les bases d’une démocratie
parlementaire. Dans ces conditions peut renaître un syndicalisme
libre.
La DGB devient très vite une structure puissante réunissant des
millions de militants dans une Allemagne qui connaît une croissance industrielle importante. Fédérant des travailleurs venus de
tous les secteurs d’activité, elle est un interlocuteur privilégié dans
les relations sociales qui s’établissent entre les employeurs et les
salariés.
Ce dialogue social original entre les syndicats et les dirigeants des
entreprises s’appuie sur deux piliers essentiels. D’abord, dans le
cadre de la cogestion, les salariés participent aux décisions dans
les organismes de contrôle de l’entreprise (conseils de surveillance),
évitant ainsi les tensions trop fortes qui peuvent altérer son fonctionnement. Une série de lois, étalées dans le temps, en définit les
règles. Puis, dans le cadre des négociations des conventions collectives, les syndicats participent à la fixation d’un cadre concernant
les conditions de travail et de salaires des travailleurs allemands.
Toutefois, la cogestion connaît des limites. Si beaucoup de conflits
se règlent dans le cadre des discussions prévues par la cogestion
et la négociation, certains problèmes ne peuvent être résolus et
débouchent sur des grèves. Celles-ci concernent particulièrement
certains secteurs comme la métallurgie où domine la puissante
organisation IG Metall.
Leçon 3
p. 106-107
Le SPD et le syndicalisme en RFA et dans l’Allemagne
réunifiée
Le SPD est un des deux grands partis de la République fédérale.
Il doit définir un programme et un type d’action en fonction d’un
héritage historique très lourd (divisions du mouvement socialiste, accès au pouvoir du nazisme entre 1933 et 1945), mais aussi
de contextes intérieur et extérieur particuliers, liés à l’aprèsguerre, aux mutations économiques et sociales en période de
forte croissance, à la Guerre froide et à la réunification. Quel est
ce programme et quel type d’action génère-t-il ?
→Doc. 1 : Élections législatives.
Présentation des statistiques des deux grands partis allemands,
la CDU, parti démocrate chrétien à droite, et le SPD. Ces deux
partis, en position dominante, se partagent le pouvoir depuis
la création de la RFA. L’étude permet de suivre leur score dans
le temps (1a). On note que le parti obtient ses meilleurs scores
en 1969 et 1972 (W. Brandt est alors au pouvoir), et en 1998 après
la réunification. Mais il fournit aussi un éclairage sur la répartition sociologique des électeurs (1b), adossée à deux dates
témoins afin de juger d’éventuelles évolutions. 1972 se place à
la fin de la grande période de croissance, juste avant les chocs
pétroliers et l’apparition de symptômes de crise, et 1990 suit la
réunification.
→Doc. 2 : « Paix entre les peuples, sécurité sociale, liberté ! »,
affiche de la DGB pour le 1er mai, 1951.
Cette affiche de la DGB date de 1951 et la première précaution
est de fixer le contexte. La RFA est un régime nouveau-né. Elle
termine sa reconstruction avant de s’engager dans une grande
période de croissance (on parle de « miracle allemand »). Elle
est gouvernée par la CDU et son chancelier, Konrad Adenauer,
qui imprime au pays une image assez conservatrice. Le contexte
international est celui de la Guerre froide. Les tensions avec
l’autre bloc sont nombreuses (la crise du blocus de Berlin et
la séparation entre des deux Allemagne sont très récentes).
La CDU et K. Adenauer, vigoureusement anticommuniste et
antisoviétique, sont totalement engagés dans une stratégie
atlantiste. L’affiche permet de se faire une idée du programme
des syndicats sur ces questions.
◗ Réponse à la question
1. Dans les principes évoqués au congrès de Bad Godesberg
et l’influence de personnalités comme W. Brandt se trouve
l’affirmation de valeurs recherchées dans toute une tradition
allemande et européenne – christianisme, humanisme, mouvements des Lumières – qui provoque une rupture fondamentale
avec l’héritage marxiste, jusqu’ici revendiqué. W. Brandt, plus
polémique, nie la prétendue « vraie démocratie » que les communistes envisagent d’atteindre un jour. Elle se traduit surtout,
selon lui, par une phase transitoire de dictature du prolétariat
dont la RDA constitue un exemple inacceptable pour le SPD. Il
y affirme avec force les principes de la propriété privée, même
si des formes de propriété étatique peuvent être admises dans
certains secteurs.
42 • Chapitre 3 - Socialisme, communisme et syndicalisme en Allemagne depuis 1875
Ces textes, datant de la même période, sont des extraits du
programme du Parti social-démocrate, énoncé au congrès historique de Bad Godesberg (doc. 3a), et d’un essai de W. Brandt,
témoignage d’un acteur incontournable du SPD à ce moment de
son histoire (doc. 3b). La direction social-démocrate est depuis
la fin de la guerre aux mains d’une génération qui date de la
république de Weimar. Le discours n’a pas abandonné toute
référence au marxisme même si son opposition au modèle de
la RDA est totale. En politique étrangère, le SPD est beaucoup
plus nuancé que la CDU et moins engagé dans un atlantisme
porteur de tension. Bad Godesberg est la prise de pouvoir par
une génération nouvelle, dont Brandt est l’incarnation, et qui
ouvre le Parti à de nouvelles formules.
◗ Réponse à la question
1. Dans cette affiche de 1951, les syndicats, tout en célébrant les
mérites de l’État-providence avec la Sécurité sociale, insistent
aussi sur la liberté qui n’existe pas dans la nouvelle RDA.
Cependant, la défense de la paix est une affirmation qui, dans le
contexte de la Guerre froide, montre l’acceptation par les forces
syndicales d’un dialogue avec le camp d’en face dont elles pensent qu’il peut aboutir à pacifier la région et à favoriser l’unité
allemande.
→Doc. 4 : La fondation de Die Linke.
Ce document se comprend en revenant sur les années qui précèdent son élaboration. Le SPD est au pouvoir à la fin de la
décennie 1990, sous la direction de G. Schröder, très influencé
par le « blairisme » c’est-à-dire une vision très « libérale » d’une
politique social-démocrate. Il applique une politique d’austérité afin de restaurer les équilibres financiers du pays menacés
par, entre autres, les dépenses entraînées par la réunification.
Cette politique se traduit par des mesures qui sont jugées peu
compatibles avec la tradition de justice sociale des idéaux du
SPD. Cette situation anime la rébellion de certains membres du
Parti comme Oskar Lafontaine, patron du SPD sarrois et ancien
ministre. De ces désaccords naît un parti nouveau, Die Linke
(« La Gauche »), qui apporte une remise en cause des choix du
SPD.
◗ Réponse à la question
1. Die Linke affirme son attachement à l’État-providence protégeant les travailleurs, c’est-à-dire à défendre un certain nombre
d’acquis sur les garanties accordées aux salariés, sur la santé ou
les retraites. Par ailleurs, il propose de se pencher sur des thématiques nouvelles, comme l’écologie ou des formes de démocratie
accordant plus de place au peuple.
Étude 5
p. 108-109
L’éducation socialiste en RDA
La jeunesse est pour le Parti communiste un enjeu capital.
Comme dans tous les régimes autoritaires, il a le souci de
prendre en main les jeunes afin de les intégrer dans les objectifs
du régime. En RDA, la jeunesse est considérée comme « l’avantgarde » du socialisme, et l’éducation de celle-ci doit exprimer les
valeurs et les principes de cette idéologie.
→Doc. 1 : Défilé des Jeunes Pionniers, Berlin-Est, 1950.
La jeunesse est encadrée en RDA par des organisations de masse
spécifiques. Les Pionniers sont un mouvement de jeunesse caractéristique du monde communiste (on trouve des Pionniers en
URSS). L’organisation des Pionniers regroupe plus de 1,8 million
d’enfants de 6 à 14 ans au milieu des années 1970. La Jeunesse
libre allemande (Freie Deutsche Jugend : FDJ) regroupe 1,7 million de jeunes de 14 à 25 ans. L’adhésion à ces organisations
n’est pas obligatoire mais elle conditionne l’ascension sociale et
professionnelle en RDA. Pour éduquer les jeunes et en faire les
travailleurs socialistes de demain, ces organisations proposent
un certain nombre d’activités dans les domaines les plus divers.
Ainsi le document 1 montre-t-il un défilé de Pionniers à BerlinEst en 1950. Le contexte est à rappeler. La RDA n’a qu’une année
d’existence et le régime est à la recherche de ses repères. Le fait
que la photo ait été prise à Berlin n’est pas sans importance. La
ville jouit d’un statut très symbolique, en étant à l’épicentre de
toutes les tensions inter-allemandes et internationales.
→Doc. 2 : La Jugendweihe, un rituel socialiste.
Ces documents montrent la célébration de la Jugendweihe.
Cette fête est un rituel de passage qui introduit les jeunes dans
la communauté socialiste. Une cérémonie, au caractère très officiel, accompagne ce passage initiatique.
→Doc. 3 : Mobiliser la jeunesse de Dresde, 1972.
Ce document montre des jeunes gens impliqués dans des travaux publics à Dresde (Saxe), en 1972. Le document témoigne de
l’urbanisation de la RDA et de la rénovation d’un certain nombre
de villes. Ces chantiers de jeunesse doivent faire connaître à la
jeunesse le travail manuel et lui apprendre la solidarité indispensable à toute éducation socialiste.
→Doc. 4 : Les jeunes et le Parti communiste.
Ce document livre l’extrait d’un livre de Maxim Leo, paru en
2010, qui est le récit de trois générations d’Allemands de la partie orientale de l’Allemagne. Ces trois générations traversent
l’histoire allemande et en subissent toutes les vicissitudes. Les
choix politiques des protagonistes sont variés et témoignent de
ce que le peuple allemand a vécu. Anne, l’héroïne de l’extrait,
appartient à la dernière génération évoquée par le récit et nous
offre le trajet d’une adolescente dans la RDA de Walter Ulbricht.
Le récit se place dans les années 1960.
→Doc. 5 : Les principes de l’éducation socialiste.
Il s’agit ici d’un texte officiel datant de 1972 qui définit les principes de l’éducation socialiste. Ces instructions ont varié dans
le temps et l’approche de la RDA sur sa politique scolaire n’a
pas toujours été identique. Cela dit, un certain nombre de préceptes sont restés, peu ou prou, fondés sur les mêmes principes,
notamment ce qui fait la caractéristique essentielle du système
éducatif en RDA, son unité. Toutes les institutions éducatives,
la coordination des objectifs pédagogiques et des programmes
dépendent d’une administration centrale unique. Le parcours dans le système éducatif est également unifié. C’est une
grande différence avec l’Allemagne de l’Ouest qui conserve une
structure fédérale au système éducatif et un parcours scolaire
comportant plusieurs voies.
◗ Réponses aux questions
1. L’éducation socialiste repose sur quelques axes essentiels :
l’amitié avec l’URSS, qui reste pour les communistes la Patrie
du socialisme ; la construction du socialisme ; un rappel, sans le
citer précisément, du marxisme avec, par exemple, les références
à la théorie de la lutte des classes dans le dernier paragraphe ;
le principe d’une école unique mélangeant toutes les classes
sociales dans le même moule (d’où l’intérêt de confronter les
enfants à la fois au travail intellectuel et au travail manuel,
comme le montre le doc. 3).
2. La mobilisation s’effectue à travers différentes structures et
rituels : adhésion aux organisations de jeunesse, que le document 1 évoque avec les Pionniers qui accueillent les plus jeunes,
défilés sous les portraits des chefs du socialisme international
(doc. 1), mobilisation sur des chantiers publics (doc. 3), intégration dans la société par des rituels de passage (Jugendweihe).
L’école est aussi un outil de mobilisation au quotidien, en proposant une éducation très largement influencée par l’idéologie
socialiste.
Chapitre 3 - Socialisme, communisme et syndicalisme en Allemagne depuis 1875
• 43
© Hachette Livre
→Doc. 3 : Le programme du SPD après-guerre.
3. L’exemple le plus significatif est fourni par la Jugendweihe
(document 2). Le document 2c montre qu’elle remplace la
confirmation chère aux églises chrétiennes. Elle a pour objectif
de sanctionner le passage du jeune dans une collectivité socialiste comme la confirmation salue l’intégration du jeune chrétien
dans la communauté des fidèles. Elle réussit, par adhésion, par
conformisme ou par peur, à supplanter la cérémonie chrétienne.
Quant au Parti, il est l’issue réservée aux élites, comme le montre
le texte de Maxim Leo (document 4). Anna, élève brillante, passée dans les organisations de jeunesse et remarquée pour son
adhésion aux valeurs socialistes, est invitée à rejoindre le SED.
Le Parti est la structure supérieure, qui surmonte et se substitue
à toutes les autres.
4. Les perceptions et les réactions sont variables. Un témoignage
(doc. 2) évoque le caractère formaliste de la cérémonie avec ironie, distance, voire un certain cynisme. Chez Anne (doc. 4), le
résultat est différent. Il y a une sorte de transfiguration devant
ce nouveau statut, une aliénation totale devant cette machine
qu’est le Parti. La suite de son histoire montre aussi ses questionnements et ses désillusions.
◗ Texte argumenté
L’encadrement de la jeunesse est un souci constant de la RDA. Les
objectifs sont assez clairs. Il s’agit de fabriquer l’homme socialiste
de demain, en imprégnant la jeunesse de l’idéologie dominante, des
valeurs d’un système collectiviste et égalitaire, solidaire de l’URSS
et des pays socialistes.
Sur le terrain, de multiples organisations prennent les jeunes en
main dès le plus jeune âge comme les Pionniers. Chantiers de jeunesse et défilés rythment leur vie quotidienne. Certains rituels,
comme la Jugendweihe, constituent des passages importants dans
la vie du jeune Allemand de l’Est. Les plus doués et mobilisés sont
destinés à rentrer dans le Parti communiste.
Si une partie de la jeunesse participe, une autre est réticente ou
résistante. Beaucoup jugent avec ironie et mépris cet encadrement
fastidieux et contraignant. Les rituels, vides de sens, sont suivis de
façon purement conventionnelle.
Leçon 4
p. 110-111
1949-1989 : le communisme d’État en RDA
La création de la RDA est la première (et unique) tentative pour
instaurer un État socialiste et passer à la mise en pratique de la
théorie. La confrontation entre l’idéal et les réalités est difficile,
comme le démontre l’histoire de l’Allemagne de l’Est.
© Hachette Livre
→Doc. 1 : Un ingénieur évoque en 1991 les rituels festifs socialistes de la défunte RDA.
Le document rapporte le témoignage d’un ingénieur sur son
existence en RDA. Comme tous les témoignages, il est à prendre
avec prudence. Le témoignage d’un ingénieur sera-t-il le même
que celui d’un ouvrier ? Toutefois, ce type de document permet, à grande échelle, de saisir l’état de l’opinion publique sous
le régime communiste en RDA. Si les dates proposées peuvent
facilement être reliées à la construction d’un État socialiste
(pour l’assassinat de K. Liebknecht et de R. Luxemburg, cf.
leçon 2, 1er paragraphe), le 8 mai pose un problème particulier ;
il est célébré en France, qui n’est pas un État socialiste. En RDA,
on célèbre la victoire moins contre l’Allemagne que contre le
nazisme, vaincu par l’armée soviétique. Pour les dirigeants de la
RDA, le communisme et le mouvement communiste international ont vaincu le fascisme.
◗ Réponses aux questions
1. Les dates anniversaires célébrées sont symptomatiques d’un
État socialiste : celles des grands héros morts pour la cause du
mouvement ouvrier, comme l’assassinat de K. Liebknecht et de
R. Luxemburg en janvier 1919 ; les grandes dates de l’histoire du
socialisme international, comme la Révolution d’octobre 1917, qui
porte au pouvoir les bolcheviks, et le 1er mai, fête traditionnelle
du mouvement ouvrier international, ou du socialisme allemand,
comme la célébration de la création de l’État est-allemand en
octobre 1949. Le 8 mai célèbre la victoire moins contre l’Allemagne que contre le nazisme, vaincu par l’armée soviétique.
2. Le témoignage est manifestement ironique. Il est clair que ce
citoyen de la RDA est au moins d’une totale indifférence, au pire
hostile à tout ce qui, de près ou de loin, rappelle le socialisme.
On doit y voir une forme d’opposition.
→Doc. 2 : Qu’est-ce qu’un « bon citoyen » de la RDA ?
C’est, encore une fois, l’essai de Maxim Leo qui sert de guide
dans ce document. Après Anna, c’est un autre personnage qui
entre en lice. Werner est membre du parti dès les débuts de la
RDA. L’épisode se déroule au début des années 1950, dans un
contexte très différent de celui où évolue Anne. Les tensions
y sont beaucoup plus fortes et les oppositions plus affirmées
(soulèvement de Berlin-Est). Le régime, géré par le SED, a ses
serviteurs. L’exemple évoqué dans ce document est significatif.
Le personnage de Werner, militant chevronné, est caractéristique de ce que le régime souhaite. On peut faire le lien avec
l’Étude 5, qui montre un système éducatif dont on attend qu’il
forme des militants de ce type.
◗ Réponses aux questions
1. Le Parti communiste exige des militants dévoués, volontaires,
présents à chaque fois qu’il a besoin d’eux : intervention dans les
affaires scolaires pour imposer les idées du Parti, participation à
des chantiers urbains et à des manifestations.
2. Le régime leur accorde en retour des récompenses, matérielles avec l’allocation d’un appartement dans une RDA où les
logements sont rares, et plus symboliques comme les honneurs
qui leur sont publiquement accordés.
→Doc. 3 : VIIIe congrès du Parti communiste (SED) en RDA,
1971.
Ce document montre une photographie du congrès du SED. Les
statuts du Parti impliquent la tenue régulière de congrès qui rassemblent les délégués de toute la RDA, afin de définir la ligne et
élire ses chefs. Au premier plan, le secrétaire général, Honecker.
Derrière lui, des dirigeants, est-allemands ou envoyés par les
« partis-frères » (Brejnev). Au mur, les fondateurs du socialisme
tel qu’on le conçoit en RDA : Marx, Engels, Lénine. En 1971, la
déstalinisation a écarté J. Staline et W. Ulbricht a été remplacé
par E. Honecker.
→Doc. 4 : Une manifestation sportive en l’honneur du Parti
communiste, 1969.
Le sport doit être une des marques de la réussite de la RDA ;
les manifestations sportives sont donc très appréciées par le
régime. En ce domaine, la compétition avec la RFA est féroce.
→Doc. 5 : La chanson, une forme de contestation.
Wolf Biermann est un chanteur réputé en RDA. Né en 1936, il
est d’abord tenté par le théâtre. Mais ses pièces déplaisent au
régime, qui ferme son théâtre en 1963. Il se lance alors dans la
chanson où il connaît un réel succès. D’abord accepté, il est de
plus en plus surveillé par le régime, qui voit en lui un élément
subversif dont les textes ne manquent pas d’égratigner le socialisme local. Déchu de la nationalité est-allemande, il doit quitter
la RDA et passer en RFA. Mais le système qui règne en RFA ne
lui donnera pas satisfaction et il en dénoncera les imperfections. Quant à la Stasi, Sécurité d’État, elle quadrille toute la
RDA. Forte d’environ 100 000 hommes, disposant d’un réseau
de quelque 200 000 informateurs, elle exerce une pression
considérable sur l’ensemble des citoyens. C’est un des systèmes
policiers les plus sophistiqués de l’Europe de l’Est.
Dans ce texte, Biermann stigmatise ce comportement policier
avec tout le poids de son ironie provocatrice. Les faits relatés
44 • Chapitre 3 - Socialisme, communisme et syndicalisme en Allemagne depuis 1875
◗ Réponse à la question
1. Biermann critique le caractère policier du régime, notamment
le régime de surveillance systématique qui entoure les suspects.
Les intellectuels sont particulièrement concernés par ces pressions permanentes. Sont spécialement visées ici les écoutes
téléphoniques. Des micros sont installés partout et permettent
d’accumuler des faits et des preuves contre un individu. Toute
une partie de la société est-allemande est sur écoute.
Leçon 5
p. 112-113
Socialisme et mouvement ouvrier en Europe : fin du
e siècle à nos jours
Cette leçon se propose de mettre en perspective l’histoire
du mouvement ouvrier allemand avec celle des autres pays,
afin de voir les convergences et d’établir des liens avec les
« Internationales » qui encadrent l’histoire ouvrière des xixe
et xxe siècles. Pour faciliter cette mise en perspective, chaque
paragraphe correspond à une leçon du chapitre, c’est-à-dire à
une étape du développement du mouvement ouvrier allemand.
→Doc. 1 : Les conditions d’adhésion à la IIIe Internationale,
1920.
Ce document présente un extrait des 21 conditions proposées
par le Deuxième congrès de la IIIe Internationale communiste.
Créée en 1919, celle-ci doit se substituer à la IIe Internationale,
accusée d’avoir été incapable d’empêcher la guerre et de ne pas
avoir exploité les conditions créées par celle-ci pour déclencher
la révolution partout en Europe. Les thèmes essentiels sont donc
la condamnation du « socialisme » traditionnel des vieux appareils d’avant 1914 (SFIO, SPD, PSI…) et la rupture avec eux, en
créant des partis communistes unis dans le respect de la discipline de fer émanant du Comité exécutif de la IIIe Internationale,
installé à Moscou et aux mains des bolcheviks russes.
→Doc. 2 : Le mouvement ouvrier en Europe à la veille de la
Première Guerre mondiale.
Cette carte montre l’implantation du socialisme et du syndicalisme en Europe à la veille de la guerre de 1914. Si, dans certains
pays, ces mouvements sont puissants (Angleterre, Allemagne,
France, Italie, Russie), il convient de préciser que partout existent
des partis socialistes et des syndicats, de la Belgique et des pays
nordiques jusqu’aux Balkans (Serbie, Grèce…).
→Doc. 3 : Le congrès de Tours, 1920.
Ce congrès de la SFIO, qui se tient en décembre 1920, aboutit à la scission de la SFIO. La majorité se montre favorable à
l’adoption des 21 conditions et crée la SFIC (Section française de
l’Internationale communiste). La minorité, derrière Blum, reste
fidèle à « la vieille maison » de la SFIO. Deux partis, concurrents,
se partagent désormais l’extrême gauche de l’échiquier politique
français, comme en Allemagne.
→Doc. 4 : Les régimes communistes en Europe en 1949.
L’URSS est distinguée des autres. Socialiste depuis 1917, elle est
porteuse du modèle. Ces pays forment les démocraties populaires, soit le « camp socialiste ». En 1949, la Yougoslavie en est
exclue ; elle est accusée de ne pas respecter le modèle soviétique. Elle sera réintégrée quelques années plus tard.
Histoire des Arts
p. 114-115
Le photomontage et John Heartfield
Le choix d’Heartfield s’explique car son œuvre est essentielle
dans l’histoire des arts, avec le développement de cette tech-
nique particulière du photomontage, dont il est considéré
comme l’un des inventeurs. Cette technique a particulièrement
été développée à partir des années 1920, en lien avec l’idéologie
communiste qui y voyait un moyen efficace et moderne d’atteindre les masses populaires. On ne s’étonnera pas de voir ce
procédé s’épanouir aussi en URSS dans un but de propagande.
→Doc. 1 : La photographie au service de la propagande.
Il s’agit d’une déclaration d’Herzfeld (ou Heartfield) de 1931. Elle
prend l’allure d’un manifeste qui définit les nouvelles orientations de l’art au lendemain de la Première Guerre mondiale. Au
moment de la rédaction du texte, en 1931, ces orientations sont
mises en pratique depuis un certain nombre d’années.
→Doc. 2 : « Le sens du salut hitlérien ».
→Doc. 3 : « Dix ans plus tard, père et fils, 1924 ».
Deux photomontages d’Heartfield confrontent l’élève avec des
exemples concrets.
Le photomontage de 1924, « Dix ans plus tard, père et fils »,
montre une rangée de squelettes, un groupe de soldats-enfants
et le personnage du général Litzmann, qui constitue le trait
d’union des deux défilés, montrant ainsi une marche certaine
vers la mort.
En condamnant la Première Guerre mondiale et le militarisme,
on voit d’abord les liens entre Heartfield et le dadaïsme, mouvement intellectuel, fondé en Suisse en 1916 par Tristan Tzara.
Ce mouvement critique la société établie ; ainsi il s’oppose à la
guerre et à la bourgeoisie qui a organisé ce massacre ; ce mouvement s’oppose également à toute forme d’art conventionnelle,
ce qui explique cette empathie pour le photomontage, qui rompt
avec l’usage traditionnel de la photographie. Ce document
montre aussi la proximité d’Heartfield avec les communistes
dont l’hostilité à l’armée et à la guerre est un des points fort de
leur programme.
Le photomontage de 1932 est publié par le journal AIZ (journal
illustré des travailleurs), hebdomadaire communiste, qui édite le
travail d’Heartfield. AIZ, fondé au début des années 1920, atteindra, à son apogée en 1932, un tirage de 700 000 exemplaires,
devenant ainsi la deuxième revue populaire de ce genre en
Allemagne. De 1930 à 1938, Heartfield collabore régulièrement
avec le magazine qui publie presque chaque semaine ses photomontages devenus célèbres, souvent en première page, sinon
en 4e de couverture. Dans certains numéros, le photomontage
occupe une double page. Parfois, il y en a plusieurs dans le
même numéro. Au total, 235 photomontages d’Heartfield sont
publiés dans AIZ. Un des thèmes privilégiés d’Heartfield est la
dénonciation du nazisme ; la direction d’AIZ s’exile d’ailleurs à
Prague après l’arrivée au pouvoir des nazis en 1933.
Ces deux photomontages d’Hearthfield légitiment l’usage de
la photographie comme moyen d’atteindre et d’éduquer les
masses. Le dessin ne répond plus aux exigences de la modernité,
alors que la photo, qu’il est aisé de « travailler » et de manipuler,
est une arme considérable à condition de l’utiliser avec audace.
◗ Réponses aux questions
1. Heartfield a utilisé la technique du collage pour juxtaposer
plusieurs images photographiques (par exemple, le cortège de
squelettes, le défilé de soldats-enfants, le général Litzmann) sur
un même support. Ce qui permet de composer ainsi un document qui délivre un message.
2. Cette technique vise à donner du sens à des images désormais
composées, de rendre lisible un événement qui resterait sinon
confus aux yeux des masses populaires. Ainsi, la juxtaposition
des enfants en uniforme et des squelettes délivre un message
fort sur les conséquences du militarisme. De même, l’association
d’Hitler, des billets de banque et du grand personnage permet
d’éclairer immédiatement les conditions de l’arrivée au pouvoir
d’Hitler.
Chapitre 3 - Socialisme, communisme et syndicalisme en Allemagne depuis 1875
• 45
© Hachette Livre
ici ne sont pas sans rappeler le film La Vie des autres, de Florian
Henckel von Donnersmarck, produit en 2006.
3. Deux cortèges cohabitent : un défilé militaire et une danse
macabre de squelettes. Le trait d’union est un général allemand
qui s’est illustré pendant la Première Guerre mondiale.
4. C’est non seulement la guerre qui est condamnée (les soldats
qui défilent aujourd’hui seront les morts de demain) mais plus
largement le militarisme de la société allemande qui pousse à la
guerre.
5. Le personnage de gauche est sans tête car le capitalisme
allemand est de plus en plus aux mains de grands groupes financiers dont on ne connaît pas vraiment les responsables (banques,
assurances, prêteurs étrangers…), qui ont le pouvoir dans des
conseils d’administration composés d’actionnaires anonymes. La
différence de taille se veut très explicite sur le rapport de force
entre les nazis et ces milieux financiers et industriels. Ce sont
ces derniers qui sont en position de commandement et Hitler
n’est qu’un simple exécutant.
6. C’est un des thèmes du KPD d’insister sur le nazisme comme
parti instrumentalisé par le capitalisme qui le finance, pour expliquer la répression nazie contre le mouvement ouvrier.
7. Le dadaïsme est un mouvement contestataire né pendant
la Première Guerre mondiale. Dans le photomontage « Dix ans
plus tard, père et fils, 1924 », ce sont les massacres de la guerre
et la société militarisée allemande qui sont condamnés. De plus,
le photomontage propose une image qui n’est plus réalisée avec
les techniques traditionnelles de la peinture et de la photographie, mais composée de manière complètement nouvelle.
8. Le photomontage « Dix ans plus tard, père et fils, 1924 »
montre l’existence d’une contestation de la guerre par des
groupes proches du communisme, dont on sait que l’opposition
au premier conflit mondial a été en partie à l’origine de la division du mouvement ouvrier aboutissant à la création du KPD en
1919. Le photomontage « Le sens du salut hitlérien » propose
une des interprétations de l’arrivée des nazis au pouvoir en 1933.
Prépa Bac
p. 118-123
◗ Composition
Sujet guidé - Le mouvement ouvrier en Allemagne
de 1875 à 1933
© Hachette Livre
4. Développer le sujet
I. Revendications ouvrières, idéologie et structures d’encadrement
1. Le monde ouvrier et ses difficultés
– Industrialisation de l’Allemagne
– Essor et concentration des ouvriers en usines
– Difficultés du monde ouvrier
2. Idéologie et structures d’encadrement
– Marxisme et lutte des classes (prolétariat/bourgeoisie) :
société socialiste
– Développement des syndicats ouvriers
– Création du Parti social-démocrate en 1875 (congrès de Gotha)
3. Revendications ouvrières
– Amélioration des conditions de travail (8h par jour, sécurité)
et de vie
– Éducation généralisée et suffrage universel
– Nationalisation de secteurs industriels
II. Les divisions du mouvement ouvrier
1. Des sujets qui divisent
– Désaccords sur le parlementarisme, le nationalisme et la
guerre
– Répression contre la révolution spartakiste
2. La scission du mouvement ouvrier
– E. Bernstein, F. Ebert, R. Luxembourg et K. Liebknecht,
Thaelmann
– Divisions internes au SPD (réformisme-révisionnisme/révolutionnaire) et scission SPD/KPD en 1919
3. L’attitude face au nazisme
– Impuissance face au nazisme : arrestations, violence des SA,
réussites électorales du nazisme
III. Les moyens d’action du mouvement ouvrier
1. Une contre-culture ouvrière – Associations sportives, culturelles… liées au SPD
– Presse (Vorwärts)
2. L’action sur le terrain
– « Cellules d’usine » du KPD et écoles de formation des militants (SPD, syndicats)
– Grève, manifestation
– Lutte armée
3. La négociation et la participation au pouvoir politique
– Pratique du dialogue et recherche de consensus par les
syndicats
– Participation aux élections et présence au parlement
(Reichstag)
– Participation au gouvernement (République de Weimar) : coalitions incluant le SPD dans les années 1920 et 1930
– Ebert (SPD), président du Reich sous la République de Weimar
Sujet en autonomie - Les divisions du mouvement
ouvrier allemand de 1918 à nos jours
Problématique : Quelles sont les divisions et les orientations du
mouvement ouvrier allemand depuis 1918 ?
Plan
I. La difficile cohabitation entre SPD et KPD (1918-1933)
1. La scission du mouvement ouvrier et la naissance du Parti
communiste
2. Le SPD, un parti de gouvernement
3. KPD et SPD divisés face à la montée du nazisme
II. Le mouvement ouvrier en RDA (1949-1989)
1. Le mouvement ouvrier au cœur de l’idéologie socialiste
2. Un mouvement ouvrier sous contrôle du SED
III. Social-démocratie et cogestion en RFA (1949 à nos jours)
1. La social-démocratie, participation au pouvoir et évolution
idéologique
2. Un syndicalisme marqué par la négociation et la cogestion
◗ Étude de document(s)
Sujet guidé - Le socialisme en RFA
Présentation
Le document étudié est extrait d’un texte officiel : le programme politique du Parti social-démocrate, au congrès de Bad
Godesberg, qui doit convaincre les électeurs de voter pour lui
aux élections législatives. Le but est de dépasser le stade du
parti d’opposition et d’accéder au pouvoir. Il émane du Parti
social-démocrate. Né au congrès de Gotha en 1875, il est le
fruit de l’union de différents courants du socialisme allemand
et revendique depuis longtemps son attachement à l’héritage
marxiste et à la démocratie. Mais en 1959, l’Allemagne est divisée en deux États rivaux, la RFA libérale et la RDA communiste.
Dans le contexte de la Guerre froide et d’un niveau de vie en
hausse lié à la croissance économique, de nouvelles perspectives
s’ouvrent pour la social-démocratie ouest-allemande avec la
promotion d’une nouvelle génération de cadres, dont W. Brandt,
qui cherche à faire évoluer la ligne politique du Parti.
• Á partir de ce document, comment se décline le socialisme
en RFA après-guerre ?
D’abord, il s’agit de souligner les principes économiques et
politiques sur lesquels repose le programme du SPD. Puis, il
conviendra d’expliquer en quoi ce congrès constitue une rupture
dans la politique du Parti social-démocrate depuis sa création.
Les principes économiques sur lesquels repose le programme
sont fondés sur la liberté économique comme le montre la
répétition du mot « libre ». Elle concerne tous les acteurs écono-
46 • Chapitre 3 - Socialisme, communisme et syndicalisme en Allemagne depuis 1875
Sujet en autonomie - Le mouvement ouvrier
et l’essor du socialisme en Allemagne
Présentation
– Acte de naissance du Parti social-démocrate au congrès de
Gotha en 1875.
– Contexte économique et social : industrialisation et développement de la classe ouvrière.
– Contexte idéologique et des mouvements sociaux : développement des idéologies socialistes et essor des structures
ouvrières.
•
Les objectifs politiques et sociaux s’inscrivent dans la
condamnation du système capitaliste libéral
– Le partage des richesses équitable qui réponde aux besoins de
chacun et l’augmentation des salaires.
– La protection sociale des travailleurs et la diminution de la
journée de travail.
– Fonder un « État libre de la société socialiste » dans lequel
l’égalité règne. C’est d’ailleurs l’issue du processus révolutionnaire développé par Marx : une société sans classe. Mais à la
différence du marxisme, le programme du SPD préserve l’existence d’un État.
– Cette mise en place du socialisme est envisagée dans le cadre
de l’Internationale. D’ailleurs, le SPD adhère à la IIe Internationale
socialiste qui regroupe tous les partis socialistes du monde. Ils
ont en commun de vouloir lutter contre les injustices sociales et
de changer la société.
– Ce programme résulte de la synthèse des différents courants
du socialisme allemand qui se sont retrouvés dans le congrès
de 1875 qui se présente comme « le Congrès du Parti unifié ».
Il compte en effet l’Association des travailleurs allemands de
Lassalle et le Parti social-démocrate des travailleurs de Bebel
influencé par Marx.
• Les moyens sont multiples
Dans le domaine économique :
– Nationalisation des moyens de production : « transformation
des instruments de travail en patrimoine commun ».
– L’État intervient dans le monde du travail en supervisant la
création des « sociétés ouvrières de production ».
– En ce qui concerne le monde du travail, il s’agit de renforcer
le droit de grève.
Dans le domaine politique et social :
– Les moyens sont la démocratisation politique par le suffrage
universel et l’application des « libertés politiques ».
– « L’accès pour tous » à l’éducation qui tient une place particulière, y compris au sein du Parti lui-même comme le montre
l’école du SPD en 1907 dont l’objectif est de former des militants
parmi les cadres.
– Le SPD est une organisation qui s’appuie sur un réseau
d’associations sportives et culturelles. Il s’agit de créer une
« contre-société » socialiste.
Sujet en autonomie - Deux partis, deux stratégies
Présentation
Auteurs des documents : le premier document est une réflexion
de Karl Kautsky, théoricien important du SPD qui, situé d’abord
à l’aile gauche, adopte peu à peu des positions plus réformistes ;
le document 2 est le fruit d’une réunion collective, celle du
9e congrès du Parti communiste allemand, le KPD. Ce dernier
est fondé au lendemain de la Première Guerre mondiale par
R. Luxembourg et K. Liebknecht.
• Les bases idéologiques du SPD et du KPD sont communes :
elles s’appuient sur des principes marxistes, c’est-à-dire la volonté de mettre un terme à la société capitaliste et de fonder une
société nouvelle conforme aux intérêts du prolétariat.
• Mais leurs stratégies d’accès au pouvoir diffèrent :
– Le SPD privilégie la « démocratie », autrement dit la voie électorale, tandis que le KPD, inspiré par les bolcheviks en Russie,
reste attaché à une conquête « révolutionnaire » du pouvoir.
– Le SPD envisage une « période de transition politique »,
autrement dit la voie des réformes mais aussi un « gouvernement de coalition » alors que le KPD fait le choix de la voie
révolutionnaire dans la lignée des Spartakistes.
• Conséquences dans leur action politique :
– Le SPD s’efforce d’accentuer sa présence à l’Assemblée nationale en élargissant son électorat tandis que le KPD, même s’il
participe aux élections, met l’accent sur l’organisation interne du
Parti et son ancrage social, fondé sur les « cellules d’entreprise ».
– Le SPD devient un parti de gouvernement qui participe à de
nombreuses majorités et qui donne à la République son premier
président et plusieurs chanceliers. Le KPD quant à lui fait le
choix de l’opposition, voire de la clandestinité.
Chapitre 3 - Socialisme, communisme et syndicalisme en Allemagne depuis 1875
• 47
© Hachette Livre
miques : « consommateurs », « entrepreneurs » et travailleurs.
Le SPD revendique l’« économie libre de marché » tout en affirmant son attachement au socialisme. Le libéralisme est pourtant
une doctrine qui prône la propriété privée, la non-intervention de
l’État dans l’économie et dans les rapports patrons-ouvriers. Or le
socialisme repose sur une économie dirigée. Ce paradoxe est résolu en imposant le « contrôle » de l’État dans certains domaines.
• Les principes politiques affirmés par ce programme reposent
sur la « démocratie » et le « socialisme ». L’exercice de la « dictature » est logiquement condamné. Il s’agit ici de la dictature
temporaire que les ouvriers, une fois au pouvoir, établiront. C’est
une des idées majeures du marxisme. Il faut y voir l’influence de
la nouvelle génération de cadres comme W. Brandt qui dénonce
la permanence de cette dictature dans le régime communiste
est-allemand, aux dépens de la démocratie. Or le SPD est attaché à la Loi fondamentale, qui est le texte institutionnel adopté
en mai 1949, fixant le cadre d’un régime parlementaire démocratique en RFA. Ainsi le socialisme démocratique est-il le principe
qui permet d’exprimer les valeurs morales et philosophiques de
la tradition occidentale revendiquées par le SPD.
• Le congrès de Bad Godesberg constitue une rupture dans
la ligne politique du SPD. Jusqu’alors, sa « mission historique »
relevait de la lutte « contre le système capitaliste ». En effet, en
mai 1946, lors du congrès de Hanovre, il réaffirmait encore son
attachement à l’héritage marxiste et à la démocratie. C’est ainsi
qu’il contribue à la rédaction de la Loi fondamentale en 1948.
Il s’agit du texte institutionnel qui fixe le cadre de la démocratie allemande. Mais lors de ce congrès en 1959, en abandonnant
la logique de « parti de classe » et de « dictature » et en proclamant son attachement à une « économie libre de marché »,
il renonce à l’héritage marxiste pour reconnaître les valeurs
morales et philosophiques de la pensée libérale. Sans doute ce
choix s’explique-t-il aussi par l’évolution sociale de l’électorat du
SPD, comme le montre la dernière phrase du texte. Celui-ci s’est
élargi au « peuple tout entier » et l’accès du SPD au pouvoir en
1966 le confirme. En 1972, la part des ouvriers dans l’électorat du
SPD représente certes 66 % mais celles des employés et fonctionnaires représentent 50 %.
Cette évolution se confirme dans les décennies qui suivent, ce
qui contribue à élargir la réflexion du Parti sur des sujets spécifiques comme l’environnement ou les droits des femmes, sans
pour autant remettre en question les décisions du congrès de
Bad Godesberg.
Ces mutations du socialisme ne concernent pas que la RFA.
Après 1945, elles se traduisent en Europe d’abord par l’accession
au pouvoir du Parti comme en Grande-Bretagne et en France,
puis par un certain pragmatisme. Certes, des réformes de structures sont entreprises, mais le renversement de l’économie
capitaliste libérale est abandonné.
Sujet en autonomie - Le SPD et le KPD
face au nazisme
Présentation
Il s’agit de confronter deux documents de nature différente : le
premier est une affiche du Parti social-démocrate (SPD) pour
les élections législatives du 14 septembre 1930, tandis que le
second est une déclaration du Comité central du Parti communiste publiée dans la presse communiste, le 8 novembre 1932.
Le contexte correspond à la montée de l’extrême droite incarnée par le NSDAP d’Hitler alors qu’une crise économique sévère
touche le pays.
•
• Mais ils ne réussissent pas à dépasser leurs divisions :
– Pour le SPD, les communistes restent une menace, d’où le
personnage avec l’étoile rouge. Le SPD, attaché à la démocratie,
reste méfiant à l’égard du KPD qui affirme la nécessité de la voie
révolutionnaire et de la dictature du prolétariat.
– Le SPD apparaît comme la cible principale du KPD au lendemain des élections de 1932. Il s’agit aussi pour le KPD d’écarter
un parti qui convoite l’électorat ouvrier considéré comme son
assise électorale principale. Le KPD accuse par ailleurs le SPD
d’être l’allié du parti nazi.
© Hachette Livre
Les deux partis affichent leur opposition au nazisme :
– Le personnage principal de l’affiche porte la croix gammée et
est désigné comme l’ennemi principal. Derrière lui se cache la
guerre et la mort représentées par un casque de soldat sur un
crâne.
– Pour le KPD, le parti nazi est un ennemi de la classe car c’est
un parti fasciste allié du capitalisme.
48 • Chapitre 3 - Socialisme, communisme et syndicalisme en Allemagne depuis 1875
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Médias et opinion publique dans les grandes crises politiques
en France depuis l’affaire Dreyfus
p. 124-155
Thème 2 – Croyances, cultures et sociétés
Question
Mise en œuvre
Médias et opinion publique
Médias et opinion publique dans les grandes crises politiques en France
depuis l’affaire Dreyfus
Cette nouvelle question doit conduire les élèves à étudier les
relations que l’opinion publique et les médias ont entretenues
lors des grandes crises politiques françaises depuis l’affaire
Dreyfus. À travers une série d’études emblématiques, l’enseignant fera découvrir les rapports complexes que les différents
médias de masse et une opinion publique souvent difficile à saisir pour les acteurs politiques ont pu nouer à l’occasion de ces
crises. Un des intérêts majeurs consiste à remettre en cause certaines représentations schématiques contemporaines de médias
soumis au pouvoir en place et manipulant l’opinion publique.
◗ Problématiques scientifiques du chapitre
Il faut s’interroger sur la capacité, réelle ou supposée, des médias
à influencer l’opinion à l’occasion des grandes crises politiques,
tout en n’omettant pas de se demander si l’opinion publique n’a
pas, elle aussi, contribué à façonner le ton comme les contenus médiatiques. Objet d’une surveillance étroite de la part du
pouvoir gaulliste, la télévision et les radios d’État furent, par
exemple, la cible de critiques répétées de la part des manifestants en Mai 68, tandis que les radios périphériques rendirent
compte plus librement des événements et bénéficièrent d’une
audience accrue. De leur côté, les différents médias ont joué
des rôles complexes vis-à-vis de l’opinion publique, entre participation au débat démocratique et désinformation. Mobilisés,
engagés ou censurés, ils ont contribué à accentuer ou modérer
l’impact des crises politiques.
Pour les acteurs politiques, la question s’est aussi posée de savoir
comment cerner avec précision l’état de l’opinion de la population. Ce désir de mesurer l’opinion fut à la fois tributaire des
vicissitudes politiques traversées par la société française - comment évaluer l’opinion publique dans le contexte de la débâcle
de 1940 par exemple ? - mais aussi des rapports que l’État a
cherché à instaurer avec les différents médias. En l’occurrence,
l’attitude des pouvoirs publics a oscillé entre mise sous tutelle,
régulation et protection de la liberté de l’information.
Avec les sondages d’opinion introduits en France à la fin des
années 1930 et qui se généralisent à partir de l’élection du
président de la République au suffrage universel en 1965, l’opinion publique est présentée par les sondeurs « comme ce que
mesurent leurs enquêtes d’opinion », selon l’expression de
Patrick Champagne. Devenus de véritables « fétiches du jeu
politique », parfois accusés de fabriquer une opinion factice, les
sondages, en raison de leur usage systématique par la plupart
des médias, ont fait l’objet de polémiques récurrentes, réactivées
par exemple à l’occasion du 21 avril 2002. Ce chapitre devrait
permettre aux élèves de mieux comprendre l’ambivalence des
sondages : des outils imparfaits, souvent mal interprétés, mais
aussi des indicateurs pratiques, parmi d’autres, pour tenter de
saisir les variations d’une opinion publique toujours difficile à
cerner.
Les débats encore récents sur la capacité supposée des médias
à manipuler l’opinion publique à l’aide des sondages rappellent
qu’il sera aussi intéressant de soulever la question des rapports
entre médias et système politique. Le professeur pourra apporter
des réponses nuancées aux interrogations suivantes. À l’occasion
des grandes crises politiques, les médias ont-ils accompagné ou
provoqué les changements de régime politique ? Ont-ils soutenu ou combattu la République ? Étaient-ils placés au service
de la liberté de l’information ou maintenus sous le contrôle du
pouvoir en place ?
◗ Débat historiographique et quelques notions-clés du
chapitre
• Médias : Il faut éviter de tomber dans le piège d’une histoire
des médias sans pour autant négliger la dimension diachronique
de cette question. Le terme « média », utilisé dans la langue
française pour la première fois en 1953, désigne tout moyen de
communication, naturel ou technologique, de transmission de
message et d’information. À cet égard, c’est la notion de « médias
de masse », formule d’origine anglo-saxonne, qui s’impose pour
la période étudiée. L’évolution du paysage médiatique, depuis
la fin du xixe siècle, s’accompagne d’une explosion de l’information et d’une « accélération de l’histoire » des médias (Agnès
Chauveau) qui rythment les rapports que ces derniers ont noués
avec l’opinion : âge d’or de la presse des années 1890 aux années
1930, émergence puis conquête d’un large public par la radio des
années 1930 aux années 1950, affirmation puis hégémonie de la
télévision à partir des années 1960, et, plus récemment, montée en puissance d’Internet. L’histoire des relations entre médias
et opinion a aussi été marquée par des bouleversements technologiques (découvertes du transistor, des ondes hertziennes,
du tube cathodique puis des technologies du numérique…) et
des mutations politiques et socioculturelles majeures. Ainsi, la
démocratisation de l’instruction, les élargissements successifs
du corps électoral, le passage d’une société rurale à une société
postindustrielle sont autant de facteurs qui ont contribué à faire
entrer les médias français dans l’ère des masses.
• Opinion publique : Sondée quotidiennement, scrutée à la
loupe par les acteurs politiques, exposée et décortiquée dans les
médias, la notion d’opinion publique fait aujourd’hui l’objet de
toutes les attentions sans pour autant perdre sa part de mystère.
Si son usage s’est banalisé, il ne faut pas oublier pour autant
que cette notion n’est en effet pas un concept scientifique. Sa
définition et ses contours se sont modifiés au gré des évolutions
du système politique.
La notion d’opinion publique a fait son apparition en France
au xviiie siècle. Elle se résume alors à l’expression publique des
opinions de la bourgeoisie intellectuelle et commerçante dans
les salons mais aussi les libelles, pamphlets et brochures en vue
d’influencer les autorités publiques. De la Révolution jusqu’à
la seconde moitié du xixe siècle, la notion d’opinion publique
est liée au suffrage censitaire. Elle incarne l’opinion des élites
sociales, élaborée progressivement lors des discussions politiques publiques afin de fonder ensuite les choix politiques. Elle
cherche à se distinguer de l’opinion du peuple, addition d’opinions individuelles censées reposer sur des préjugés.
C’est l’introduction du suffrage universel qui permet à deux nouveaux acteurs de peser sur le contenu et les usages de l’opinion
publique. Le peuple, d’une part, qui peut exprimer, dans la rue
et par les protestations collectives, son opinion et concurrencer
celle des représentants politiques. Le journaliste, d’autre part,
qui peut, grâce à l’émergence des médias de masse, alimenter
le débat public, jouer le rôle de contre-pouvoir et chercher à
Chapitre 4 - Médias et opinion publique dans les grandes crises politiques en France depuis l’affaire Dreyfus
• 49
© Hachette Livre
◗ Nouveauté du programme de terminale
influencer l’opinion. Jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre
mondiale, l’opinion publique émane donc à la fois des électeurs,
de leurs représentants et des journalistes.
Avec le développement de leur influence après l’élection de 1965,
les instituts de sondage prétendent imposer une nouvelle définition de l’opinion publique, présentée comme plus démocratique
et plus scientifique. Le sociologue Pierre Bourdieu, auteur de
la formule « l’opinion publique n’existe pas », a ouvert la voie
à une analyse critique de la démocratie d’opinion fondée sur la
seule interprétation de sondages sujets à caution. L’action politique paraît néanmoins de plus en plus reposer sur un exercice
de communication destiné à faire évoluer une opinion mesurée
par les sondeurs.
• Crise politique : Si Michel Winock a recensé les grandes crises
politiques qui ont mis le système républicain en danger (affaire
Dreyfus, 6 février 1934, 13 mai 1958, 10 juillet 1940, 13 mai 1958,
Mai 68), il n’appartient pas d’exposer à l’élève l’essai de typologie
dressé pour justifier ces choix. Il conviendra néanmoins d’expliquer clairement les singularités des différentes crises étudiées.
À rebours de certaines publications récentes présentant la
Ve République en état de crise permanente, Michel Winock
soutient l’idée que l’après-Mai 68 ne comporte plus de crise
politique majeure. De fait, jusqu’en 1940, la démocratie oscille
entre crise et combat pour sa survie. Après 1945, sa pérennité ne
semble plus menacée. En effet, si le régime républicain traverse
des crises provenant de graves tensions internationales (1947),
de problèmes socioéconomiques (1968, 2005), voire d’une mise
en cause de sa légitimité et de son efficacité (1958, 1961, 2002),
celles-ci n’aboutissent jamais à sa remise en cause.
◗ Bibliographie sélective
© Hachette Livre
• Ouvrages universitaires sur les médias et l’opinion publique
C. Charles, Le Siècle de la presse, Seuil, 2004.
A. Chauveau, P. Tétart, Introduction à l’histoire des médias en
France de 1881 à nos jours, Armand Colin, Collection Synthèse
Histoire, 1999.
F. D’Almeida, C. Delporte, Histoire des médias en France, de la
Grande Guerre à nos jours, Flammarion, collection Champs
Histoire, 2003.
C. Delporte, Les Grands Débats politiques. Ces émissions qui ont
fait l’opinion, Flammarion, INA Éditions, 2012.
J.-N. Jeanneney, Une histoire des médias, des origines à nos jours,
Seuil, 1996.
A. Mercier, Médias et opinion publique, CNRS Éditions, 2012.
• Ouvrages plus spécifiques sur les crises politiques
M. Denis (dir.), L’Affaire Dreyfus et l’opinion publique en France et
à l’étranger, Presses universitaires de Rennes, 1995.
V. Duclert, Dreyfus est innocent ! Histoire d’une affaire d’État,
Larousse, 2006.
J.-P. Filiu, Mai 68 à l’ORTF : Une radio - télévision en résistance,
Nouveau Monde Éditions, coll. Histoire/Médias, 2008.
P. Laborie, L’Opinion française sous Vichy. Les Français et la crise
d’identité nationale 1936-1944, Seuil, Points Histoire, 2001.
M. Winock, La Fièvre hexagonale, les grandes crises politiques,
1871-1968, Seuil, Points Histoire, 2009.
• Articles et documentation pédagogique
P. Bourdieu, « L’opinion publique n’existe pas », Les Temps
modernes, no 318, p. 1292-1309, janv. 1973.
A. Chauveau, « L’Homme politique et la télévision. L’influence
des conseillers en communication », Vingtième Siècle, n° 80,
oct.-déc. 2003.
A. Garrigou, « Les Sondages politiques », Problèmes politiques
et sociaux, no 884, janv. 2003.
« L’Opinion publique », TDC, n° 941, 1er oct. 2007.
Sites internet
http://www.ina.fr/fresques/jalons/accueil : le site Jalons, né
d’un partenariat entre l’INA et le ministère de l’Éducation
nationale, propose de nombreux dossiers pédagogiques.
http://www.histoiredesmedias.com/ : un site pour les chercheurs et les enseignants consacré à l’histoire des médias.
http://www.rdv-histoire.com/-2007-.html : le site des rendezvous de l’histoire de Blois propose d’écouter de nombreuses
conférences sur le thème de l’édition 2007 « Opinion, information, rumeur, propagande ».
Introduction au chapitre
p. 124-125
Ce chapitre propose d’étudier les relations entre médias et opinion publique au travers des grandes crises politiques françaises
depuis l’affaire Dreyfus. La problématique principale conduit à
s’interroger sur le rôle joué par les médias auprès de l’opinion
publique à l’occasion de ces moments de fortes perturbations
politiques. La seconde problématique invite à analyser les relations que l’opinion publique a entretenues dans ce cadre avec les
différents médias de masse.
→Doc. 1 : « L’âge du papier ».
À la une du Cri de Paris du 23 janvier 1898, en pleine affaire
Dreyfus, Félix Valloton représente au premier plan un groupe de
citadins attablés, absorbés par la lecture de leurs quotidiens, tandis qu’au deuxième plan les crieurs de journaux hèlent les clients.
Parmi les titres que l’on peut distinguer figure L’Aurore sur lequel
se détache le titre choc de l’article de Zola : « J’accuse… ! ».
En un seul dessin, Valloton résume l’influence, déterminante
sur l’opinion, d’une presse dont les tirages atteignent alors des
sommets.
→Doc. 2 : « The News ».
Jean Plantureux, dit Plantu, dont les dessins éditoriaux s’affichent à la une du journal Le Monde depuis 1985, condense
dans cette image, qui reprend le crieur de journaux sur fond
de kiosques délabrés, les bouleversements technologiques que
la presse, et plus globalement les médias, ont connus depuis
l’affaire Dreyfus.
Le dessin suggère aussi que la « révolution Internet » soumet
désormais le citoyen à un flot continu d’information. Dans ce
contexte d’érosion de l’audience de la presse, l’opinion semble
désormais osciller entre participation directe au débat civique
(via les forums, les blogs, Twitter, etc.) et méfiance envers les
médias « traditionnels » placés sous de nouvelles formes de
contrôle (audimat, lobbys, souci de rentabilité, etc.).
→Frise La frise chronologique met en relation les crises politiques étudiées avec le régime politique sous lequel elles se sont produites.
Elle situe aussi ces crises dans le cadre des grandes évolutions
de l’histoire des médias en France. On fera remarquer l’opposition entre les crises qui provoquent la chute du régime en place
(1940, 1958) et celles qui s’achèvent par sa consolidation ou son
évolution (Dreyfus, 1934, 1968). On attirera aussi l’attention des
élèves sur le fait que la nature des rapports entre crise et opinion
a évolué dans le cadre d’un bouleversement du paysage médiatique français.
Repères
p. 126-129
1. L’évolution des médias depuis l’affaire Dreyfus
Ces pages proposent des repères chronologiques et des informations complémentaires sur les transformations de l’univers
des médias depuis l’affaire Dreyfus. Elles permettent de mieux
saisir le cadre historique dans lequel ont évolué les rapports
entre médias et opinion publique tout au long de la période.
Les chronologies illustrent la frise placée en introduction à
l’aide de dates majeures qui ont ponctué l’histoire des médias
de masse.
50 • Chapitre 4 - Médias et opinion publique dans les grandes crises politiques en France depuis l’affaire Dreyfus
2. Les grandes crises politiques depuis l’affaire Dreyfus
Ces pages présentent les enjeux des grandes crises politiques
étudiées. Elles proposent aussi des notices biographiques consacrées au rôle joué par les principaux acteurs de ces crises.
Le document 1 est un dessin de presse de Paul Iribe, paru le 11
février 1934 dans le périodique Le Témoin. Cette revue prend,
avec l’affaire Stavisky, un ton antisémite et antiparlementaire.
Dans cette caricature, Paul Iribe souligne le caractère macabre
de l’enterrement de Marianne par l’usage des aplats sur lesquels il représente Édouard Daladier - le président du Conseil
contraint à la démission au lendemain des émeutes du 6 février
1934 - en « fossoyeur de la nation ».
Le document 2 est une affiche qui reprend un appel du Comité
de salut public radiodiffusé le 13 mai 1958. Cette grande crise est
la dernière à se développer sans la télévision. L’opinion, désemparée face aux rumeurs et aux informations contradictoires,
cherche à s’informer. En quelques semaines, les ventes de postes
de radio quadruplent.
Étude 1
p. 130-131
La presse et l’affaire Dreyfus
Cette étude permet d’insister sur le rôle déterminant joué par la
presse dans la lutte opposant partisans et adversaires de Dreyfus
partis à la conquête de l’opinion par caricatures et articles interposés. La presse joue désormais un rôle déterminant dans la
formation de l’opinion publique et les débats qui l’animent.
→Doc. 1 : Caricature antidreyfusarde. « En famille ».
Cette caricature antidreyfusarde est parue en novembre 1896
dans La Libre Parole illustrée, un supplément hebdomadaire
au journal antisémite fondé par Édouard Drumont. À cette
date, la majeure partie de l’opinion demeure convaincue de la
culpabilité de Dreyfus. Son frère, Mathieu Dreyfus, contacte le
journaliste Bernard Lazare pour dénoncer les incohérences du
procès de 1894. Cette caricature fait ainsi écho à la parution,
en Belgique pour éviter la saisie, d’une brochure rédigée par
Bernard Lazare, « La vérité sur l’affaire Dreyfus », qui relance la
querelle d’opinion et provoque une série d’attaques antisémites.
Le caricaturiste reprend les stéréotypes graphiques antisémites ;
la légende suggère par ailleurs au lecteur que les juifs sont des
traîtres d’origine allemande.
→Doc. 2 : Le « complot juif ».
Cet article de La Croix illustre la virulence des réactions antidreyfusardes au lendemain de la publication du « J’accuse… ! » de Zola.
Ce journal catholique se proclame, depuis 1890, « le plus antijuif
de France ». L’auteur alimente le mythe du complot juif, soutenu
par les francs-maçons, les élus socialistes et Zola, déterminés à
provoquer la décadence de la France en s’en prenant à l’infaillibilité de son armée.
→Doc. 3 : Caricatures antidreyfusarde et dreyfusarde,
« Impressions d’audience ».
a. Dans ce numéro de Psst… !, revue illustrée qui paraît au
cœur de l’affaire Dreyfus de février à septembre 1899, Forain
dénonce l’entreprise de révision du procès lancée par les intellectuels dreyfusards. D’un trait incisif, il encourage les réflexes
nationalistes de l’opinion. La typographie du titre de la revue
s’inspire de celle du fameux article de Zola pour la tourner en
dérision.
b. Le Sifflet, lancé pour la circonstance par des dessinateurs
dreyfusards, répond aux caricatures publiées dans Psst… ! en les
détournant pour mieux s’en moquer auprès de l’opinion.
→Doc. 4 : « J’accuse » d’Émile Zola, paru dans L’Aurore, 13 janvier 1898.
En publiant « J’accuse… ! » en première page de L’Aurore, Zola
rédige, le 13 janvier 1898, un des articles les plus célèbres de la
presse française et divise l’opinion en deux camps opposés. Par
le biais de l’interpellation destinée au président de la République
Félix Faure, Zola s’adresse surtout à l’opinion publique pour
dénoncer les manipulations de l’état-major et de la presse
antidreyfusarde. Si l’article conduit Zola à la condamnation en
cour d’assises et à l’exil en Angleterre, sa publication fait nettement progresser la cause dreyfusarde auprès de l’opinion.
→Doc. 5 : Caricature dreyfusarde, « La vérité ».
Cette caricature de Pépin, parue dans Le Grelot quelques
semaines avant la publication de « J’accuse… ! », cherche à
mobiliser l’opinion en faveur de la révision du procès du capitaine
Dreyfus afin de faire éclater la vérité. Dans le dessin, les lecteurs de l’époque retrouvent des protagonistes des deux camps :
d’une part, certains des premiers dreyfusards (le commandant
Picquart, qui découvre que le bordereau accusant Dreyfus est
un faux ; Scheurer-Kestner, vice-président du Sénat informé de
cette découverte et désireux de la dévoiler au grand public),
d’autre part, Drumont et Rochefort, qui mènent dans leurs journaux respectifs une campagne d’opinion antidreyfusarde.
◗ Réponses aux questions
1. Le caricaturiste utilise deux procédés afin de convaincre le
lectorat de la culpabilité de Dreyfus. Il dote ses personnages de
caractéristiques physiques propres aux stéréotypes antisémites :
nez proéminent, bouche lippue ; la légende invite le lecteur à
déduire l’origine germanique des personnages. L’association de
ces deux éléments produit un amalgame visant à prouver que
tous les juifs, forcément étrangers à la nation française, sont
aussi des traîtres.
2. Selon l’auteur, Zola n’est que l’exécutant d’un vaste complot judéo-maçonnique. L’article accuse aussi Zola de vouloir, à
l’occasion de la demande de révision du procès de Dreyfus, salir
l’honneur de l’armée pour mieux affaiblir la défense de la France.
3. Le retentissement de l’article de Zola est tel, auprès d’une
opinion jusqu’ici majoritairement convaincue de la culpabilité
de Dreyfus, qu’il entraîne une réaction violente de la presse
antidreyfusarde, qui joue sur le registre de l’émotion, des préjugés antisémites et du nationalisme, pour tenter de contrer
l’argumentaire dreyfusard s’appuyant, quant à lui, sur l’examen
des faits.
4. Cette caricature recourt à une allégorie, la vérité sortant
du puits, pour soutenir les partisans de Dreyfus dans leur lutte
contre les manipulations et les mensonges diffusés dans la presse
antidreyfusarde destinés à masquer l’existence de preuves attestant de l’innocence de Dreyfus.
5. Le premier dessin (3a) est antidreyfusard. Le second (3b),
dreyfusard, y répond en le détournant ainsi que sa légende
afin de discréditer, par l’ironie, les arguments employés par les
antidreyfusards. Il met l’accent sur le mépris dont les militaires
font preuve envers la justice.
Chapitre 4 - Médias et opinion publique dans les grandes crises politiques en France depuis l’affaire Dreyfus
• 51
© Hachette Livre
Le document 1 renvoie au succès d’une presse quotidienne
nationale capable de mobiliser l’opinion et d’alimenter un large
débat démocratique.
Le document 2 montre la corrélation entre la consommation
des TIC et le renouvellement du paysage médiatique depuis les
années 1960. À partir de cette date, la télévision devient progressivement la source d’information majeure des Français. Cette
hégémonie perdure jusqu’au milieu des années 1990. À partir
de cette période, l’équipement en ordinateurs et le taux d’accès à Internet connaissent une croissance très rapide. L’opinion
publique bénéficie à la fois d’un nouvel espace d’expression via
les blogs, les chats, les réseaux sociaux et d’une information
démultipliée. Le document 3 attire néanmoins l’attention sur la
fracture numérique persistante au sein de la population française en 2007.
◗ Texte argumenté
À l’occasion de l’affaire Dreyfus, la quasi-totalité de la presse se
mobilise pour convaincre l’opinion de la culpabilité ou de l’innocence de Dreyfus. La presse antidreyfusarde recourt au registre de
l’invective et de l’émotion. Elle multiplie les articles et les caricatures présentant Dreyfus et ses soutiens comme des traîtres à la
nation française en raison de leur origine juive. Elle utilise les stéréotypes antisémites et vise à diffuser auprès de l’opinion la thèse de
l’existence d’un complot juif menaçant gravement l’intégrité de la
France. Elle tente de discréditer les entreprises de révision du procès
de Dreyfus en les associant à un désir de saper les fondements de
l’autorité de l’État et de l’armée.
La presse dreyfusarde cherche, quant à elle, à convaincre l’opinion
que l’accusation de Dreyfus repose sur la fabrication de faux et une
entreprise de dissimulation de la vérité entretenue notamment par
des membres de l’état-major. Avec la publication de « J’accuse… ! »
de Zola, elle amplifie le débat et le transfère sur le terrain politique
en désignant publiquement les principaux acteurs au sein de l’armée, de la presse et de la justice, responsables de l’erreur judiciaire.
Très réactive, cette presse sait aussi riposter en publiant des articles
et des caricatures destinés à prouver aux lecteurs le caractère infondé des accusations des journaux antidreyfusards.
Étude 2
p. 132-133
Le 6 février 1934, la presse révélatrice
de la crise politique
L’étude de la presse au moment de la crise du 6 février 1934
permet d’éclairer le rôle des journaux politiques comme caisse
de résonnance de la montée des extrêmes au sein de l’opinion
publique au cours des années 1930. La presse de gauche brandit la menace d’un danger fasciste tandis que les attaques de
l’extrême droite envers le régime se durcissent dans plusieurs
journaux d’opinion.
→Doc. 1 : « Tous ce soir devant la Chambre ».
Cette une du journal L’Action française est l’un des appels à la
manifestation antiparlementaire du 6 février 1934. Elle reflète
la réactivation du vieil antiparlementarisme dont souffre alors
le système politique, attisé auprès d’une partie de l’opinion
publique par la crise et l’instabilité ministérielle. Depuis le 7 janvier 1934, Charles Maurras a réitéré, dans L’Action française, les
slogans antiparlementaires et les appels à la subversion. Les
manifestations de rue et la campagne de presse finissent par
provoquer la démission du gouvernement Chautemps le 28 janvier. Daladier - qui a formé le nouveau gouvernement et doit
être investi le 6 février par la Chambre des députés -, en révoquant le préfet Chiappe suspecté de complaisance à l’égard des
ligues d’extrême droite, provoque la colère de ces dernières qui
appellent à manifester devant le palais Bourbon.
© Hachette Livre
→Doc. 2 : L’instrumentalisation de l’affaire Stavisky.
Dans cet article de l’hebdomadaire d’extrême droite Gringoire,
créé en 1928 et dont les tirages ne cessent pas d’augmenter pour
atteindre 650 000 exemplaires en 1936, Henri Béraud rédige
une attaque antiparlementaire d’une grande violence, à l’image
de la tonalité de la campagne d’opinion lancée à l’occasion de
l’affaire Stavisky par certains journaux de droite. Une partie de
la presse se transforme alors en instrument aux mains de ceux
qui souhaitent en finir avec un régime parlementaire largement
discrédité. La droite conservatrice en profite pour s’attaquer
au parti radical dont deux membres ont été condamnés pour
corruption.
→Doc. 3 : « Le coup de force fasciste a échoué ».
Au lendemain de l’émeute du 6 février 1934, Le Populaire, quotidien socialiste, cherche à imposer auprès de l’opinion l’idée
qu’il existe désormais en France un danger fasciste incarné par
les ligues d’extrême droite, qui complotent pour renverser la
République. L’article révèle l’ampleur de l’inquiétude à gauche
après la journée du 6 février mais passe sous silence les appels
à la manifestation lancés la veille dans L’Humanité, quotidien
communiste.
→Doc. 4 : Vers l’alliance contre la « menace fasciste ».
Le 10 février 1934, quelques écrivains publient un appel unitaire
à « barrer la route au fascisme sous le mot d’ordre : unité d’action ». C’est dans ce contexte que le quotidien L’Humanité publie
cette une au lendemain d’un appel de la CGT, largement suivi à
Paris comme en province, à la grève générale. La manifestation
réunit, le 12 février, entre 120 000 et 150 000 personnes dans la
capitale. Si les deux partis politiques qui en sont à l’origine, la
SFIO et le PCF, rejoints par quelques personnalités radicales,
n’ont encore signé aucun accord, les deux cortèges, convaincus
que la République est menacée, ont connu quelques brefs épisodes de « fraternisation ». Il faut néanmoins attendre 1935 pour
que l’union entre les forces de gauche soit réellement scellée.
→Doc. 5 : E. Daladier et l’Assemblée nationale.
Sennep, caricaturiste connu pour son antiparlementarisme réalise cette charge contre Daladier contraint de démissionner au
lendemain du 6 février. On retrouve les caractéristiques habituelles de son style : un dessin stylisé, dépourvu d’aplats, aux
personnages aisément reconnaissables et souvent animalisés
pour mieux les ridiculiser. De fait, Daladier, malgré un vote
de confiance massif de la Chambre le 6 février, préfère démissionner dès le lendemain face aux hésitations du parti radical
à procéder à des arrestations préventives. L’opinion de la rue,
encouragée par la presse, a, pour la deuxième fois en onze jours,
provoqué la chute d’un gouvernement.
◗ Réponses aux questions
1. Depuis janvier 1934, le quotidien de Charles Maurras, profitant du scandale politique Stavisky, a entamé une campagne
d’opinion contre le régime parlementaire et plus largement
contre la République, « la Gueuse », systématiquement accusée
de corruption. La véhémence des attaques contribue à diffuser
l’hypothèse d’une dissimulation de la vérité sur les malversations
des politiciens. Les termes employés visent aussi à répandre
l’idée qu’il existe une nette séparation entre les honnêtes
citoyens et leurs représentants corrompus.
2. À l’antiparlementarisme, l’auteur associe une série de clichés
antisémites et l’hostilité envers la franc-maçonnerie accusée
de complot contre la France. Le scandale Stavisky, ainsi instrumentalisé, sert à dénoncer le régime parlementaire et à jeter le
discrédit sur une partie de la classe politique.
3. Les attaques de Sennep se concentrent sur le président du
Conseil, Édouard Daladier, représenté perché sur l’Assemblée
nationale, tel un coq sur un tas de fumier. Le chef du gouvernement est, par sa fonction emblématique, la cible privilégiée des
attaques antiparlementaires.
4. Dans les deux cas, l’émeute antiparlementaire du 6 février
1934 est présentée à l’opinion publique comme le résultat d’un
complot fasciste visant à renverser le régime républicain.
5. Le quotidien L’Humanité, face au spectre de la menace fasciste, encourage l’opinion à « l’unité d’action », une formule
qui désigne en fait un projet d’actions et de mobilisations
communes entre tous les membres de la classe ouvrière, qu’ils
soient socialistes ou communistes, contre les représentants de
la bourgeoisie.
◗ Texte argumenté
Au moment de la crise du 6 février 1934, la presse se politise et reflète
l’accentuation des oppositions au sein de l’opinion publique. La presse
d’extrême droite encourage à manifester devant l’Assemblée nationale à l’occasion de la présentation du gouvernement d’Édouard
Daladier. Par caricatures et articles, elle cherche aussi à propager
52 • Chapitre 4 - Médias et opinion publique dans les grandes crises politiques en France depuis l’affaire Dreyfus
Leçon 1
p. 134-135
De l’affaire Dreyfus à la Seconde Guerre mondiale :
la suprématie de la presse
→Doc. 1 : Les tirages des dix premiers quotidiens parisiens en
1910.
De l’affaire Dreyfus à la Première Guerre mondiale, l’audience
des journaux ne cesse pas de s’élargir. La presse, qui n’a pas de
concurrent, connaît un véritable âge d’or favorisé par la loi de
1881, la démocratisation, l’alphabétisation et les progrès techniques. Les nouveaux titres prolifèrent, et les tirages de la presse
quotidienne explosent (3 millions en 1885, 5 millions au début du
xxe siècle, près de 70 quotidiens publiés à Paris).
◗ Réponse à la question
1. Le tableau des tirages des dix premiers quotidiens parisiens
en 1910 illustre l’engouement des Français pour une presse plurielle et prospère qui accompagne la naissance d’un vaste débat
public. Les polémiques politiques jouent un rôle déterminant
dans l’audience et le succès des journaux. Avec l’explosion des
tirages et la multiplication des titres de la presse quotidienne, la
presse est entrée dans l’ère des masses.
→Doc. 2 : La première page du Canard enchaîné, 6 septembre
1916.
L’éclatement de la Première Guerre mondiale ressuscite la censure et bouleverse le paysage de la presse française. Le 4 août
1914 est votée une loi sur la « censure préventive ». Clemenceau,
dont le journal L’Homme libre est victime de cette loi, s’insurge
contre cet abus de pouvoir en septembre 1914 et rebaptise son
titre L’Homme enchaîné. La création du Canard enchaîné le 10
septembre 1915 fait écho à l’incident. La parution du journal
satirique qui se présente comme « vivant, propre et libre » ne
débute réellement qu’en juillet 1916.
◗ Réponse à la question
1. Le journal satirique s’attaque résolument à la censure qui
s’abat sur la presse récalcitrante. En faisant apparaître les coupes
effectuées par le gouvernement sur sa première page, le Canard
enchaîné dénonce publiquement les méfaits d’une politique qui
porte atteinte à la liberté de la presse.
→Doc. 3 : Une presse violemment antisémite.
Dans le prolongement du 6 février 1934, une partie de la presse
relaie et attise les querelles d’opinion au sein de la population française. L’Action française, quotidien fondé par Charles
Maurras, influent à l’extrême droite, mêle l’injure systématique
à la diffamation de ses adversaires républicains. Léon Blum est
une cible privilégiée de ces attaques – antisémites ou relevant
du « péril rouge ». Si cette presse suscite une forte réprobation
au sein d’une partie de l’opinion, elle trouve néanmoins une
audience qui s’amplifie sous l’Occupation. L’hostilité du régime
de Vichy envers les responsables politiques de la IIIe République
puise sa source dans la presse d’extrême droite des années 1930.
Pétain abroge d’ailleurs, dès le 27 août 1940, un décret-loi adopté en avril 1939 destiné à lutter contre l’expression du racisme et
de l’antisémitisme.
→Doc. 4 : L’expansion de la radio dans les années 1930.
Des années 1920 aux années 1930, la radio, de média marginal accède au statut de moyen de divertissement et de source
d’information auprès d’un public qui s’élargit considérablement.
Des premiers bulletins d’information des années 1920, à 1939, le
nombre de postes récepteurs et d’auditeurs fait plus que décupler. L’écho des émissions radiophoniques sur l’opinion devient
un enjeu politique malgré une audience limitée par comparaison
à celle de la presse.
→Doc. 5 : La radio et l’Anschluss.
Dans un contexte de succès grandissant de la radio, la nature
des programmes se diversifie, leur durée s’allonge. Ce document
témoigne du renouvellement des émissions.
◗ Réponse à la question
1. Grâce à une diversification de ses émissions, à la réactivité de
ses premiers reportages en direct et à une durée de diffusion en
augmentation, la radio devient une concurrente sérieuse de la
presse écrite à la veille de la Deuxième Guerre mondiale.
Étude 3
p. 136-137
Pétain et de Gaulle au moment de la défaite
de 1940 : la « guerre des ondes »
Cette étude permet de saisir comment Pétain et de Gaulle s’emparent de la radio dès 1940 afin d’en faire un outil de propagande
majeur dans la lutte pour la conquête de l’opinion publique.
→Doc. 1 : L’appel du 21 mai 1940.
À la tête de la quatrième division cuirassée, le colonel de Gaulle
vient de remporter dans l’Aisne un succès remarquable sur les
Allemands, qui se traduit à la fin du mois par une avance dans la
Somme d’une dizaine de kilomètres et la capture de 500 prisonniers. Il est interviewé par Alex Surchamp, reporter de la radio
française, au lendemain de son premier succès. Le texte de cette
émission, diffusé le 2 juin 1940 sans précision sur le nom de son
auteur, publié pour la première fois en 1985, présente un intérêt
d’autant plus remarquable qu’il préfigure l’Appel du 18 juin.
→Doc. 2 : 17 juin, Pétain appelle à cesser le combat.
Le 16 juin 1940, le maréchal Pétain est nommé président du
Conseil. Il succède à Paul Reynaud qu’il a contribué à mettre
en minorité dans son gouvernement sur la question de la poursuite de la guerre à partir de l’Afrique du Nord. Le lendemain, il
prononce une allocution radiodiffusée en faveur de l’armistice.
L’annonce de l’engagement de négociations avec l’Allemagne a
un effet profondément démobilisateur sur le moral des armées
françaises. De la diffusion de ce texte à l’entrée en vigueur de
l’armistice le 25 juin, les Allemands capturent ainsi plus de prisonniers que depuis le début de leur attaque le 10 mai.
→Doc. 3 : Le rôle décisif de la radio pour l’Appel du 18 juin
1940.
a. En pleine débâcle, de Gaulle, promu au grade de général à
titre temporaire le 1er juin, est nommé quatre jours plus tard
sous-secrétaire d’État à la Défense nationale et à la Guerre.
Partisan de la poursuite de la guerre, il prend la décision de
rejoindre Londres le 16 juin au moment où Pétain s’apprête à
demander l’armistice. Deux jours plus tard, vers 20 heures, il prononce sur les ondes de la BBC son célèbre discours, qui ne fut
pas enregistré. Il décrira dans ses mémoires les circonstances
dans lesquelles fut diffusé l’Appel du 18 juin.
b. La nièce du général de Gaulle, entrée rapidement en résistance, est arrêtée en 1943 et déportée au camp de Ravensbrück.
À l’occasion du cinquantenaire de la diffusion de l’Appel du
18 juin, elle raconte comment elle a découvert l’existence de ce
discours qu’elle n’avait pas entendu, comme l’immense majorité
des Français à l’époque.
Chapitre 4 - Médias et opinion publique dans les grandes crises politiques en France depuis l’affaire Dreyfus
• 53
© Hachette Livre
dans l’opinion la thèse d’une corruption généralisée du régime parlementaire. Elle n’hésite pas à recourir aux stéréotypes antisémites et à
l’insulte contre ceux qu’elle considère comme ses ennemis.
De son côté, la presse de gauche diffuse, auprès d’une opinion choquée par le bilan humain de la manifestation du 6 février, le thème
de la tentative du coup de force fasciste contre le régime républicain. Elle encourage les électeurs de gauche à se rassembler et à
manifester dans le cadre d’une lutte antifasciste afin de protéger de
manière énergique un régime menacé par l’extrême droite.
→Doc. 4 : Dans une école parisienne, les élèves écoutent
debout la voix du maréchal Pétain, 13 octobre 1941.
Avant juillet 1940, alors que Pétain ne s’appuie encore que sur
une diffusion en zone sud et des émetteurs de portée réduite, le
chef de l’État prend la peine de faire radiodiffuser l’ensemble des
discours qu’il rédige. Cette pratique se poursuit pendant toute
la guerre avec l’ambition de convaincre l’opinion de la légitimité
du régime de Vichy. La radio constitue un des relais du culte de
la personnalité entourant Pétain, à destination de la jeunesse
notamment. Elle ne signifie pas pour autant que l’opinion est
tout entière acquise au chef de l’État français quoi que cette
photographie cherche à suggérer.
→Doc. 5 : Pétain justifie l’armistice à la radio.
Le 25 juin 1940, Pétain annonce aux Français les conditions
imposées par l’armistice, voie qui semble alors répondre aux
aspirations de la majorité de l’opinion, désorientée par la
débâcle, et peu encline à imaginer la poursuite de la lutte. Mais,
dans ce message, le maréchal Pétain cherche déjà à occulter la
responsabilité de l’état-major dans la défaite pour mieux accuser
le régime de la IIIe République.
→Doc. 6 : Vichy s’en prend au « général Micro ».
Ce dessin de Mosdyc, paru en 1943 dans l’hebdomadaire antisémite subventionné par les services de propagande nazis Au pilori,
illustre le fait que le général de Gaulle est devenu, à cette date,
une des cibles privilégiées de la presse collaborationniste (près
de 10 % des dessins lui sont consacrés dans La Gerbe entre 1943
et 1944, 13 % dans Je suis partout). La représentation de de Gaulle
en personnage manipulé par les juifs, révèle aussi la méconnaissance de l’auteur pour la physionomie du protagoniste, connu
avant tout pour ses discours prononcés sur la BBC. En 1944,
un sondage clandestin de la BBC révèle d’ailleurs que 70 % des
Français écouteraient radio Londres.
◗ Réponses aux questions
© Hachette Livre
1. Entre mai et juin 1940, la débâcle militaire débouche sur une
grave crise politique qui fragilise les institutions républicaines.
Au sein du gouvernement où se retrouvent Pétain et de Gaulle
avant la signature de l’armistice, deux camps s’affrontent sur
les ondes pour le contrôle de l’opinion. Le maréchal, nommé à
la tête du gouvernement le 16 juin, cherche à convaincre l’opinion du caractère inéluctable de la défaite et de la nécessité de
signer l’armistice avec les Allemands. Face à la perspective de
l’armistice qui se précise, de Gaulle, qui croit depuis mai 1940 à
la possibilité d’une victoire, rejoint Londres et y utilise la radio
pour appeler à la poursuite du combat.
2. De Gaulle analyse les raisons des succès militaires allemands,
l’usage combiné des avions et des chars, afin de convaincre l’auditeur français qu’il existe un espoir de vaincre en ayant recours
à la même stratégie.
3. Les trois discours illustrent la bataille que mènent, par ondes
interposées, Pétain et de Gaulle à partir du mois de juin 1940
pour la conquête de l’opinion. Tandis que Pétain cherche à justifier le caractère inéluctable de l’armistice, de Gaulle de son
côté prétend au contraire que la poursuite de la lutte est à la
fois possible et indispensable. Le 25 juin, Pétain réagit à l’appel
du général de Gaulle : il justifie l’armistice et analyse les raisons d’une défaite présentée comme inévitable. Il invite aussi
l’opinion à tirer de la défaite des conclusions diamétralement
opposées à celles de de Gaulle.
4. Les deux hommes ont privilégié la radio car ils nourrissent
la conviction que ce nouveau média peut leur permettre de
convaincre les masses d’adhérer à leurs objectifs respectifs :
cesser le combat en accusant la République de la défaite pour
Pétain, poursuivre le combat hors de France pour de Gaulle.
5. La radio est un moyen de propagande utilisé par le régime
de Vichy pour convaincre la population du bien-fondé de la
politique de collaboration entamée par le maréchal Pétain.
Confronté à l’audience de radio Londres, l’État français organise
la riposte pour tenter de conserver le contrôle de l’opinion en
ayant recours au même média.
6. Cette caricature de 1943 prouve que la guerre s’est prolongée
par ondes interposées. En s’en prenant à de Gaulle, elle tend à
prouver que la crédibilité du général, loin de s’estomper, s’est
affirmée depuis 1940 grâce à la répétition de ses interventions
radiophoniques.
◗ Texte argumenté
En utilisant la radio pendant la crise de 1940, de Gaulle et Pétain
cherchent à établir un lien direct avec une opinion désemparée
par la défaite. Nommé chef du gouvernement, Pétain entreprend
de convaincre la population qu’il n’existe pas d’autre choix que la
cessation des hostilités. Son message du 17 juin qui annonce l’ouverture de négociations avec les Allemands sape l’esprit de résistance
des forces armées. De Gaulle réagit en lançant depuis Londres un
appel radiophonique qui, sans être massivement entendu en direct,
vise à persuader de le rejoindre tous ceux qui désirent poursuivre le
combat.
La radio devient un outil de propagande destiné à combattre et
discréditer l’adversaire. Confronté à l’appel du général de Gaulle
à continuer la guerre en tirant les leçons de la défaite militaire, le
maréchal Pétain diffuse sur les ondes radios des messages afin de
convaincre l’opinion publique du bien-fondé de l’armistice et des
erreurs commises par le régime républicain. Les messages radiophoniques véhiculent auprès de l’opinion deux visions antagonistes de
la guerre et de l’avenir de la France.
Étude 4
p. 138-139
1958, le retour de de Gaulle au pouvoir
vu par les Actualités françaises
L’étude de la crise du 13 mai 1958 vue par les Actualités françaises
permet d’étudier le rôle des médias audiovisuels contrôlés par le
pouvoir politique en place auprès de l’opinion publique.
→Doc. 1 : Les conséquences du 13 mai 1958 vues par les
Actualités françaises.
Ce document est un extrait du commentaire accompagnant les
images des Actualités françaises de la semaine du 13 au 20 mai
1958. Ce fragment est représentatif de l’intégralité du document.
S’il mentionne Salan, qui gouverne l’Algérie, mais sans préciser à
quel titre, et le nouveau président du Conseil, Pierre Pflimlin, le
nom du général de Gaulle est sciemment passé sous silence. Le
reportage reflète donc la vision gouvernementale du moment :
les rumeurs d’un coup d’État et la crainte d’une guerre civile sont
cachées tandis que l’aptitude du gouvernement à contrôler une
situation insurrectionnelle n’est pas remise en cause. Certains
passages insistent aussi sur les manifestations de rapprochement entre Algériens et Français d’Algérie, présentées comme
une marque de soutien au nouveau président du Conseil alors
que cette nomination entraîne une manifestation qui s’achève
par la prise du gouvernement général d’Alger.
→Doc. 2 : De Gaulle se propose de revenir au pouvoir.
Le 15 mai, Salan lance un appel public en faveur de de Gaulle.
Celui-ci adresse son communiqué le jour même à l’opinion et
semble défier le gouvernement et le Parlement : il ne condamne
pas les événements du 13 mai et se déclare prêt à revenir au pouvoir. Parlementaires et ministres estiment alors que de Gaulle
encourage la sécession algérienne.
→Doc. 3 : La conférence de presse du 19 mai 1958.
Alors que la rumeur d’une guerre civile se précise et que Salan
et des membres de l’état-major envisagent, avec l’opération
« Résurrection », une prise du pouvoir à l’aide de troupes parachutistes, le général de Gaulle annonce à l’opinion publique,
54 • Chapitre 4 - Médias et opinion publique dans les grandes crises politiques en France depuis l’affaire Dreyfus
→Doc. 4 : Le retour au pouvoir de de Gaulle présenté par les
Actualités françaises le 4 juin 1958.
Dans une longue édition spéciale de 8 minutes, les Actualités
françaises présentent une nouvelle version des événements qui
ont conduit le général de Gaulle à la présidence du Conseil.
Cette fois, ce sont les protestations des opposants au retour de
l’ancien héros de la Résistance qui sont occultées, notamment
celles relatives à la thèse du coup d’État. Le 28 mai, dans un
climat de tension persistant, adversaires et partisans du retour
de de Gaulle ont manifesté dans Paris. Le 1er juin, soutenu par
le président de la République René Coty, le général de Gaulle
devient président du Conseil. Le reportage s’achève sur une
image d’archive à la forte portée symbolique, le général de
Gaulle sur les Champs-Élysées en août 1944.
→Doc. 5 : Le spectre du coup d’État.
Jean Effel réunit ici sur le mode ironique plusieurs des protagonistes du retour au pouvoir du général de Gaulle : le général
Massu qui a poussé Salan à la tête du Comité de salut public,
Félix Gaillard et Guy Mollet qui, semblant immobiliser Marianne
contre son gré, ont contribué à l’investiture de de Gaulle à la
présidence du Conseil.
◗ Réponses aux questions
1. Cette édition (doc. 1, 2 et 3) des Actualités françaises, loin de
relater de manière objective les événements qui se produisent
du 13 au 20 mai 1958, ne propose à l’opinion publique qu’une
vision favorable au gouvernement en place. Elle passe sous
silence l’appel de Salan à Alger, ne commente pas les images de
banderoles portant le nom du général de Gaulle. Aucune de ses
deux interventions des 15 et 19 mai n’est évoquée.
2. En procédant ainsi, le gouvernement masque l’ampleur de la
crise politique, il occulte la prise du pouvoir par les émeutiers
à Alger et les manœuvres du général de Gaulle destinées à se
présenter comme l’homme providentiel.
3. Le commentaire qui accompagne les images multiplie les
parallèles entre la crise du 13 mai et la période de la Seconde
Guerre mondiale. Le retour au pouvoir du général de Gaulle est
assimilé à l’action qu’il a menée de son Appel du 18 juin à son
retour dans la France libérée en 1944. De Gaulle est présenté en
sauveur, en garant de l’ordre et de l’unité nationale.
4. Le commentaire occulte les manœuvres des militaires, des
soutiens gaullistes et de quelques hommes politiques. La formation du Comité de salut public, l’action des soutiens gaullistes en
Algérie, la préparation de l’opération Résurrection ne sont pas
évoquées. À cette date, le pouvoir gaulliste, grâce au contrôle
des médias audiovisuels, peut diffuser auprès de l’opinion
publique sa version de la crise du 13 mai 1958.
◗ Texte argumenté
Les éditions des Actualités françaises du 21 mai et du 4 juin diffusent deux versions bien différentes des événements survenus
depuis le 13 mai 1958. Ces différences de traitement de l’information
révèlent l’emprise des pouvoirs en place sur les médias audiovisuels.
La première édition vise tout d’abord à persuader l’opinion que le
gouvernement maîtrise la situation en Algérie. Elle occulte l’ampleur
des troubles qui ont suivi la manifestation du 13 mai et l’installation
d’un pouvoir insurrectionnel concurrent à Alger. Tout en défendant
la politique menée par le président du Conseil, elle cherche aussi à
dissimuler le soutien dont de Gaulle bénéficie alors dans certains
milieux en Algérie comme en France. Elle élude d’ailleurs les initiatives qu’il prend pour communiquer à l’opinion son désir de revenir
au pouvoir.
La deuxième édition présente sous un jour très favorable la nomination du général de Gaulle à la présidence du Conseil. Le journal
du 4 juin décrit le nouveau président du Conseil comme le garant
de l’ordre et de l’unité nationale. Pour renforcer la démonstration,
elle établit un parallèle avec l’action du général de Gaulle lors de la
Libération, investi cette fois-ci de la mission de sauver la République.
Étude 5
p. 140-141
Mai 1968 à la radio et à la télévision
Cette étude met en exergue les réactions aux tentatives du pouvoir gaulliste en mai 1968 de contrôler la radio et la télévision,
nouveaux médias de masse de plus en plus populaires.
→Doc. 1 : L’ORTF au service d’un État policier ?
Nombre d’affiches célèbres de Mai 68, inspirées des slogans des
manifestants, sont réalisées par l’École des beaux-arts rebaptisée pour l’occasion l’Atelier populaire de l’École des beaux-arts.
Plusieurs d’entre elles diffusent le thème d’une information officielle cadenassée par un État policier.
→Doc. 2 : L’ORTF en quête d’indépendance.
En mai 1968, la majorité des personnels de l’ORTF se met en
grève pour protester contre la volonté du pouvoir gaulliste de
limiter l’audience des manifestations étudiantes à la radio et à
la télévision. Les revendications des grévistes pour diffuser une
information « impartiale, honnête et complète » sont amplifiées
par certaines affiches de l’Atelier populaire.
→Doc. 3 : La censure à l’ORTF.
Malgré les autorisations de tournage accordées à deux équipes
de télévision pour réaliser un dossier sur la contestation étudiante, la censure des ministères de l’Information et de
l’Éducation s’abat le 10 mai et déclenche la grève de toutes les
catégories de personnels à l’ORTF. Les journalistes de radio et
de télévision participent dès lors aux manifestations avec le
slogan « Libérez l’information ». Au terme du mouvement, le
pouvoir gaulliste maquille les sanctions - 60 licenciements de
journalistes - en réductions d’effectifs.
→Doc. 4 : Les leaders de la contestation étudiante à la télévision.
L’accueil des trois leaders de la contestation au journal télévisé
se produit au moment où l’ORTF bascule dans la grève pour
protester contre l’emprise du pouvoir politique sur l’information
et alors que la protestation étudiante élargit son audience. En
apparence, la censure a volé en éclats ; l’intervention ultérieure
de Pompidou souligne surtout une détermination intacte de
contrôle de la télévision de la part du gouvernement.
→Doc. 5 : Le gouvernement contre « Radio Émeute ».
Au cours du mois de mai, les radios périphériques, en diffusant en direct les échos des manifestations, acquièrent une
popularité grandissante auprès de l’opinion. Les tentatives du
gouvernement pour contrôler techniquement ces émissions très
écoutées échouent face à l’inventivité des journalistes.
→Doc. 6 : En direct des barricades.
En mai 1968, les journalistes des radios périphériques RTL et
Europe 1 suivent en direct et au plus près les événements : dans
les manifestations, sur les barricades, mais aussi dans les usines
où le mouvement s’est propagé. Ce reportage est diffusé au
moment où le mouvement de grève dépasse les neuf millions
de grévistes ; cette nuit-là (nuit du 24 au 25 mai), il fallut cinq
heures aux forces de police pour rétablir l’ordre.
◗ Réponses aux questions
1. Pour de nombreux manifestants, l’ORTF sert d’outil de
propagande aux mains du gouvernement. Le pouvoir gaulliste
exerce en effet sa censure sur les reportages consacrés au mouvement étudiant afin d’en limiter l’audience. Il cherche aussi à
utiliser la télévision pour discréditer les leaders étudiants auprès
de l’opinion.
Chapitre 4 - Médias et opinion publique dans les grandes crises politiques en France depuis l’affaire Dreyfus
• 55
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dans une conférence de presse rediffusée par les Actualités françaises, qu’il ne projette pas d’installer une dictature.
2. En ouvrant l’antenne aux leaders de la contestation étu-
◗ Réponses aux questions
diante, le gouvernement espère que leurs revendications seront
perçues comme des repoussoirs auprès de l’opinion publique.
La tonalité revendicative de leur discours conforte le pouvoir
auprès d’une partie de l’opinion.
1. Que ce soit dans le cadre d’allocutions ou de conférences de
presse, de Gaulle utilise la radio et la télévision pour s’adresser
directement aux Français. Lors de ses interventions minutieusement préparées, discours et gestuelle sont destinés à convaincre
l’opinion.
2. En avril 1961, l’usage des discours de de Gaulle à la radio et
à la télévision pour dénoncer la tentative de putsch permet de
sauver le régime républicain.
3. Le gouvernement veut s’assurer le contrôle des émissions de
radio car il est convaincu que leur écoute a contribué à l’extension du mouvement au cours du mois de mai.
4. La première affiche dénonce la censure d’un État policier
s’exerçant sur les émissions de l’ORTF. La deuxième présente le
mouvement de grève à l’ORTF comme une lutte pour la liberté
de l’information.
5. Les radios connaissent un fort succès d’audience car elles
proposent des reportages à chaud, en direct des barricades
parisiennes lors des nuits d’émeute et offrent aux auditeurs une
information vivante et réactive.
Leçon 3
◗ Texte argumenté
Le gouvernement, convaincu de la capacité des médias de masse
à influencer l’opinion en faveur du mouvement de protestation,
cherche à contrôler l’information. Il censure les premiers reportages
consacrés à l’agitation étudiante, diffuse les messages des leaders
de la contestation en escomptant effrayer l’opinion. Il cherche aussi
à empêcher les radios de diffuser des reportages en direct des manifestations en invoquant la protection de l’ordre public.
À l’ORTF, toutes les catégories de personnels opposées à la mainmise du pouvoir sur la radio et la télévision entrent en grève pour
défendre la liberté de l’information. Journalistes, producteurs et
techniciens se joignent aux manifestations tandis que les radios
ouvrent leurs antennes en direct afin de relater au plus près les événements de Mai 68.
p. 144-145
Les nouveaux rapports entre médias, opinion
et démocratie à l’ère de la culture d’écran
→Doc. 1 : L’évolution du taux d’équipement des ménages en
téléviseurs, en %.
Lente dans les années 1960, la diffusion de la télévision est
ensuite devenue fulgurante. À la fin des années 1980, la suprématie du petit écran est assurée auprès d’une opinion qui
préfère désormais s’informer grâce au journal télévisé. L’offre
grandissante du nombre de chaînes s’accompagne d’une forte
croissance de la consommation de programmes télévisés.
Radio et télévision à la conquête des masses
de 1945 aux années 1960
→Doc. 2 : Opinion et médias : l’ère du soupçon.
Selon de nombreux sondages, la moitié des Français éprouvent
de la méfiance envers les médias, soupçonnés de travestir la
réalité. À l’occasion du référendum pour la Constitution européenne du 29 mai 2005, de nombreux citoyens ont dénoncé
le parti pris supposé des médias en faveur du oui. Depuis les
années 1990, les médias sont régulièrement accusés de fabriquer
l’opinion sous la forme d’une « pensée unique ».
→Doc. 1 : Le développement de la radio et de la télévision.
◗ Réponses aux questions
Leçon 2
p. 142-143
À la fin des années 1950, grâce au poste à transistor, peu encombrant et sans fil, la radio est présente dans neuf foyers sur dix.
L’audience du journal du soir est trois fois supérieure à celle du
quotidien le plus lu. Sous l’ère gaullienne, la télévision, dont le
taux d’équipement augmente sensiblement, devient aussi de
plus en plus populaire.
◗ Réponses aux questions
1. Le nombre de postes de radio et de télévision, devenus de
véritables objets du quotidien des ménages français, augmente
nettement entre les années 1950 et 1960.
2. L’affirmation du petit écran se traduit par une augmentation
du taux d’équipement des ménages qui se poursuit tout au long
de la période gaullienne.
→Doc. 2 : La presse clandestine contre le STO.
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→Doc. 4 : Discours du général de Gaulle du 21 avril 1961.
En avril 1961, de Gaulle parvient en quatre jours à mettre fin à
la tentative de putsch en Algérie. Il fait de la radio une arme
politique : il invite avec succès, directement sur les ondes, le
contingent à ne pas obéir aux officiers rebelles.
Face à une presse officielle surveillée par les services de propagande allemande, près d’un millier de titres clandestins
paraissent entre 1940 et 1944. Les tirages record de cette presse
interdite (Combat publie entre 200 000 et 300 000 exemplaires)
témoignent de son succès auprès de l’opinion.
→Doc. 3 : La conférence de presse télévisée.
Depuis une ordonnance de 1959, le gouvernement contrôle la
télévision. De Gaulle utilise la télévision pour faire contrepoids
à l’influence de la presse. Entre 1958 et 1969, il prononce 69 allocutions pour solliciter l’aide de l’opinion.
1. C’est la télévision qui est la cible des manifestants. À l’occasion du référendum de 2005, elle était parfois accusée de
chercher à fabriquer une opinion contraire à celle de la population majoritairement hostile au projet de constitution.
2. Ces manifestants cherchent à prouver qu’en dépit de tentatives supposées de manipulation de l’opinion par la télévision, ils
resteront libres de leur vote.
→Doc. 3 : L’érosion de la lecture de quotidiens dans leur version papier.
Ce document reflète la poursuite d’une tendance entamée dans
les années 1980 : le recul de la lecture de journaux payants. Les
concepteurs de cette étude sur les pratiques culturelles des
Français soulignent toutefois qu’il est hasardeux d’en conclure
que les Français lisent moins en raison du succès de la presse
gratuite et des nouvelles formes de lecture sur écran.
→Doc. 4 : La pratique d’Internet pour des usages personnels.
Si les dernières enquêtes sur les pratiques culturelles des
Français soulignent l’augmentation du temps passé devant les
écrans, notamment pour consulter Internet, elles soulignent
aussi les effets générationnels. Les jeunes consacrent beaucoup
plus de temps que leurs aînés à ce type de pratique susceptible
d’influencer l’opinion.
→Doc. 5 : Internet : simple défouloir ou nouveau forum ?
Le succès grandissant d’Internet suscite des débats sur son
impact réel auprès de l’opinion. L’auteur de l’article insiste sur
56 • Chapitre 4 - Médias et opinion publique dans les grandes crises politiques en France depuis l’affaire Dreyfus
l’ambivalence de ce nouveau média, qui peut à la fois appauvrir
et enrichir le débat au sein de l’opinion publique.
◗ Réponse à la question
1. Internet peut favoriser la diffusion instantanée de rumeurs,
d’informations non vérifiées et ouvrir auprès de l’opinion une
fenêtre de diffusion massive aux propos extrémistes et diffamatoires menaçant la qualité du débat démocratique. Mais le
recours élargi à ce nouveau média permet également de vérifier
et ainsi d’enrichir les contenus médiatiques proposés à l’opinion.
Histoire des Arts
p. 146-147
Marianne et la République dans la caricature
de presse pendant les crises politiques
Lors des grands affrontements politiques, la figure de Marianne
est le vecteur couramment utilisé par les dessinateurs de presse
pour mobiliser l’opinion au service de causes et de forces politiques antagonistes.
→Doc. 1 : La querelle entre l’Église et la République.
Cette caricature précède la loi de 1905 de séparation des Églises
et de l’État. Elle fait allusion à la violente querelle provoquée
par la laïcisation de l’enseignement. La religieuse et Marianne se
disputent le droit d’enseigner à l’enfant. L’auteur, de sensibilité
anarchiste, critique autant l’attitude de la République « bourgeoise » que celle de l’Église catholique, responsables du même
abêtissement de la jeunesse, comme le suggèrent les deux ânes
qui dominent le dessin.
→Doc. 2 : Le Front Populaire vu par ses adversaires.
Dans le contexte de montée des tensions des années 1930, la
caricature politique redevient un instrument privilégié d’affrontement auprès de l’opinion. Cette caricature symbolise l’hostilité
de la presse de droite envers le Front Populaire : sur la poitrine
de Marianne, deux crabes aux emblèmes du PCF et de la SFIO
symbolisent le cancer qui ronge une République aux traits creusés par ses parasites mortels.
3. Le caricaturiste présente Marianne comme l’Église sous des
traits peu flatteurs : ceux de matrones et mégères prêtes à en
venir aux mains pour s’attribuer l’éducation d’un enfant écartelé
entre elles (doc. 1). Selon Roubille, le clergé comme le régime
républicain nourrissent le même projet d’asservissement des
esprits. Ralph Soupault cherche à mobiliser l’antisémitisme et
l’antiparlementarisme en associant à Marianne l’étoile de David
et les symboles de la franc-maçonnerie (doc. 3).
4. Dans le document 2, Charlet associe socialisme et communisme à un péril mortel rongeant de l’intérieur une République
aux prises avec le gouvernement de Front Populaire. Selon Siné,
la réforme du mode de scrutin de l’élection présidentielle menace
la République d’une dangereuse personnification du pouvoir et
risque de priver les citoyens de leur souveraineté (doc. 4).
5. Jusqu’aux années 1930, le style et la composition des dessins de presse rappellent que leurs auteurs ont souvent reçu
une formation artistique poussée et tentent de mener de front
une carrière de peintre et de caricaturiste. Peu à peu, les dessinateurs de presse se transforment en véritables journalistes
défendant la ligne éditoriale de leurs journaux respectifs. Le trait
de leur dessin se simplifie, prend parfois sa source d’inspiration
dans la bande dessinée tandis que la légende fait passer un message plus engagé.
6. Afin d’influencer l’opinion, la caricature est mobilisée au
service de causes opposées à l’occasion des grandes crises politiques. Lors des affrontements entre l’Église et l’État, la figure
de Marianne est utilisée comme un repoussoir au service de la
presse anarchiste qui renvoie dos à dos le clergé et le régime
républicain dans leur lutte pour s’emparer de l’éducation de la
jeunesse (doc. 1). Dans les années 1930, les caricatures de presse
reflètent le durcissement des oppositions idéologiques et la
violence des oppositions politiques entre la gauche et la droite
(doc. 2). Sous le régime de Vichy, la caricature se met au service d’une politique de collaboration d’inspiration antisémite
et antiparlementaire (doc. 3). Lors des premières années de la
Ve République, des caricatures de presse expriment l’opposition
grandissante à la personnalisation et au renforcement du pouvoir de de Gaulle (doc. 4), prélude à Mai 68.
→Doc. 3 : Léon Blum au procès de Riom.
→Doc. 4 : Marianne se noie dans de Gaulle.
Siné réalise son dessin au moment où, en octobre 1962, de
Gaulle fait adopter par référendum l’élection du président de la
République au suffrage universel direct.
◗ Réponses aux questions
1. Sous le dessin de Roubille (doc. 1), Marianne apparaît comme
une figure s’opposant violemment à l’Église catholique. Elle est
aussi présentée sous les traits d’une victime menacée par les
forces de gauche (doc. 2) ou la soif de pouvoir personnel de de
Gaulle (doc. 4). Ralph Soupault l’enlaidit et l’assimile au thème
du complot judéo-maçonnique (doc. 3).
2. L’Église, sous la forme d’une religieuse, lutte avec Marianne
pour lui arracher l’enfant, qui représente l’enjeu de l’éducation
(doc. 1). Les crabes accrochés à la poitrine de Marianne symbolisent les communistes et les socialistes (doc. 2). Léon Blum,
président du Conseil sous le Front Populaire, apparaît sous les
traits de l’avocat d’une Marianne au service du complot judéomaçonnique (doc. 3). C’est dans le corps stylisé d’un de Gaulle
aux bras tendus vers le ciel que Marianne tente d’échapper à la
noyade.
Prépa Bac
p. 150-155
◗ Composition
Sujet guidé - Médias et forces politiques lors
des grandes crises politiques en France depuis
l’affaire Dreyfus
4. Développer le sujet
I. Des médias contrôlés et instrumentalisés par les autorités
1. Des médias sous contrôle
– Surveillance et censure par l’État (Première Guerre mondiale ;
Vichy ; Mai 1968)
– Suppression de la liberté de la presse en 1940
– Mainmise du pouvoir politique sur la RTF puis l’ORTF
2. Des médias instrumentalisés
– « Bourrage de crâne » en 1914
– Contrôle des Actualités françaises par le gouvernement en mai
1958
– Propagande du régime de Vichy par voie de presse, par la radio
II. Des médias influençant ou s’opposant au pouvoir en place
1. Des médias utilisés pour renverser le pouvoir en place
– 1934, révélation de l’affaire Stavisky par la presse d’extrême
droite pour déstabiliser le pouvoir
– Presse clandestine et radio (BBC) au service de la Résistance
– « Guerre des ondes » à partir de 1940
2. Des médias engagés et critiques
Chapitre 4 - Médias et opinion publique dans les grandes crises politiques en France depuis l’affaire Dreyfus
• 57
© Hachette Livre
Ralph Soupault, caricaturiste collaborationniste condamné à
quinze ans de travaux forcés en 1945, fait ici référence au procès de Riom organisé par le régime de Vichy pour accuser de
grandes figures de la IIIe République, comme Léon Blum, de la
défaite de 1940. L’objectif de ce dessin est de diffuser antisémitisme et haine de la République auprès de l’opinion.
– Presse dreyfusarde (« J’accuse ») et antidreyfusarde (La Libre
Parole)
– 6 février 1934, alerte sur la menace d’un coup d’État fasciste
– Presse contestataire (Canard enchaîné) et radios périphériques (Mai 1968)
– Mobilisation des médias en avril 2002
III. L’émergence de nouveaux rapports entre médias et forces
politiques
1. La télévision et le pouvoir
– La télévision, lieu de contact entre hommes politiques et opinion publique
– La télévision, un outil au service du pouvoir ?
2. Les nouvelles relations entre médias et pouvoir depuis l’apparition d’Internet et du numérique
– Internet, nouvel espace de débats démocratiques et de
polémiques
– La perte d’influence des politiques sur ce nouveau média
Sujet en autonomie - Médias et opinion publique
lors des grandes crises politiques en France depuis
l’affaire Dreyfus
Problématique : Quelles relations entretiennent les médias et
l’opinion publique lors des grandes crises politiques en France
depuis la fin du xixe siècle ?
Plan
1. Une opinion publique informée par des médias de plus en
plus diversifiés et accessibles
– La presse, média de masse avant la Seconde Guerre mondiale
– La presse concurrencée par la radio puis par la télévision
– Le développement d’Internet et l’ère numérique
2. Des médias qui influencent l’opinion publique
– Des médias qui prennent parti et une opinion publique divisée
– Des médias vecteurs de propagande
3. Des médias utilisés par l’opinion publique
– Des médias comme moyens d’expression politique et culturelle libre
– Des médias critiqués et des médias plébiscités
◗ Étude de document(s)
© Hachette Livre
Sujet guidé - Les médias et les crises politiques
Présentation
Le document 1 montre la première page du quotidien L’Aurore
du 13 janvier 1898. C’est la page la plus importante car souvent,
c’est la seule visible par le public avant l’achat du journal. Elle est
composée de la manchette (nom du journal, prix, date, édition,
adresse du siège social et nom du directeur) et de la tribune (partie haute comportant l’information principale, les gros titres).
L’auteur de la « lettre » est Émile Zola, romancier très populaire
à la fin du xixe siècle.
Le document 2 est un extrait des Mémoires d’un acteur historique majeur. L’auteur, le général de Gaulle, après avoir incarné la
France libre et résistante à Londres, préside le « Gouvernement
provisoire de la République Française » à la Libération. Quittant
le pouvoir en 1946, il est retiré provisoirement de la vie politique
lorsqu’il publie ses mémoires.
Dans les deux cas, le destinataire est l’opinion publique, c’està-dire un ensemble d’attitudes d’esprit dominantes dans une
société sur des problèmes collectifs variés. Longtemps l’opinion
fut communément associée à la presse et à la rue, puis, non sans
ambiguïté, aux sondages.
Les contextes diffèrent entre les deux documents : la une de
L’Aurore correspond à une période où les valeurs de la jeune
République sont contestées par des courants conservateurs,
cléricaux et xénophobes, se manifestant notamment avec la
montée d’un antisémitisme ; le document 2 a été écrit dans
l’après-guerre mais évoque le moment de la défaite de 1940 lors
de laquelle le maréchal Pétain appelle à cesser les combats tan-
dis que le général de Gaulle décide de poursuivre la lutte depuis
Londres.
Á partir de ces documents, comment se caractérisent les relations entre les médias et les crises politiques ? Il convient de
montrer d’abord comment les médias sont utilisés pour influencer l’opinion publique, puis d’expliquer leur rôle dans les crises
politiques.
• Les médias sont d’abord utilisés pour influencer l’opinion
publique. Ainsi l’article de Zola occupe tout le « ventre » de
la une afin d’attirer l’attention des lecteurs. S’il fait le choix
d’adresser sa lettre au « président de la République », c’est pour
montrer que derrière l’affaire judiciaire se cache en réalité une
affaire politique. Elle révèle en effet un antisémitisme profond
qui divise les Français. Ce mouvement est raciste et xénophobe
à l’égard des juifs. En 1894, le capitaine Alfred Dreyfus était
condamné par le conseil de guerre après avoir été accusé de
transmettre des documents secrets à l’Allemagne. Zola utilise
alors la taille des caractères mais aussi un verbe qui lui permet de retourner l’accusation contre les accusateurs. En effet,
la presse reflétait alors l’opinion d’une très grande majorité de
Français convaincus de la culpabilité de Dreyfus. Zola dénonce
les médias qui en grande majorité se faisaient alors les porteparoles des antidreyfusards. Les défenseurs de Dreyfus, certains
de son innocence, lancent une vaste campagne en faveur de sa
réhabilitation.
Quand le général de Gaulle appelle à « hisser les couleurs »,
il fait comme E. Zola en utilisant autrement le symbole de la
République française. Alors que le maréchal Pétain met le drapeau français en berne en signant l’armistice le 16 juin, de Gaulle,
comme Paul Reynaud alors chef du gouvernement, appelle les
Français à le porter fièrement en le hissant, signifiant par là
que pour lui, si une bataille est perdue, la guerre, elle, ne l’est
pas. En effet, deux positions s’affrontent quand, en mai 1940,
les Allemands percent les lignes françaises et, en cinq semaines
de guerre éclair, infligent à la France une défaite d’une ampleur
inédite.
L’utilisation de ces deux médias participe de la volonté de toucher
le public le plus large. Cette abréviation de l’expression anglosaxonne mass media signifie littéralement « média de masse ».
L’expression désigne l’ensemble des techniques et des supports
de diffusion massive de l’information et de la culture auprès de
l’opinion publique (presse, radio, cinéma, télévision). Or, à la fin
du xixe siècle, c’est le cas pour la presse, grâce à l’adoption de
la loi sur la liberté de la presse de juillet 1881 et aux progrès de
l’alphabétisation encouragés par la République. Les innovations
techniques favorisent l’industrialisation de la production et de
la diffusion des journaux et les tirages des principaux quotidiens
sont élevés (le tirage des 10 premiers quotidiens en 1910 oscille
entre 67 000 et 1,4 million). D’abord expérimentale et marginale, la radio commence à concurrencer la presse écrite dans
les années 1930. Elle suscite un engouement grâce, entre autres,
aux reportages d’actualité en direct (l’Anschluss est raconté en
direct sur Radio Cité). De plus, les premières stations de radio
jouent de leur rapidité auprès de l’opinion en matière de restitution des événements.
• Les documents 1 et 2 montrent le passage d’une presse qui
connaît son « âge d’or » avant 1914 à celui de son déclin au profit
de la radio qui émerge dans les années 1930. Ils témoignent aussi
du rôle des médias en tant qu’instrument de mobilisation politique. Ainsi dans l’affaire Dreyfus, à la fin du xixe siècle, la presse
antidreyfusarde, comme La Libre Parole ou Pssst… !, s’efforce
de convaincre l’opinion publique de la culpabilité du capitaine
Dreyfus pour trahison. Mais cette intervention d’E. Zola dans
L’Aurore provoquera la réouverture du procès de Dreyfus devant
un Conseil de guerre, qui aboutira finalement à la réhabilitation
du capitaine en 1906.
58 • Chapitre 4 - Médias et opinion publique dans les grandes crises politiques en France depuis l’affaire Dreyfus
Pendant la Seconde Guerre mondiale, la radio devient à son
tour un moyen de propagande avec le maréchal Pétain. Mais
c’est aussi un moyen de résistance : l’audience des émissions
telles que « Les Français parlent aux Français » diffusées à la
BBC ne cesse d’augmenter. Selon un sondage clandestin de 1944
à la veille de la Libération, 70 % des Français auraient écouté
Londres. Néanmoins, il faut souligner que si elle permet au
général de Gaulle d’acquérir une large audience auprès de la
population française, ce n’était pas le cas au début de la guerre :
l’appel du 18 juin 1940 fut très peu entendu en France.
Sujet en autonomie - Le pouvoir politique et
l’opinion publique
Présentation
Le document 1 est la une du Canard enchaîné le 6 septembre
1916 ; la période concernée est la Première Guerre mondiale ; la
guerre totale incite le gouvernement français à utiliser la presse
afin de mobiliser les esprits pour l’effort de guerre.
Le document 2 est un extrait d’un ouvrage scientifique sur l’histoire de la télévision, édité en 1990 ; il évoque la crise politique
de mai 1968.
Sujet en autonomie - La presse et la crise du 6 février
1934
Présentation
Les deux documents sont les unes de deux quotidiens qui ont
choisi les événements du 6 février 1934 en tribune. Ils ont en
commun d’être des journaux dont les idées politiques sont très
marquées : L’Action française reflète celle des ligues antiparlementaires tandis que Le Populaire est l’organe de la SFIO.
Ces ligues ont appelé à manifester le 6 février 1934 pour dénoncer
la corruption des parlementaires dans une atmosphère de scandales politico-financiers. La police, débordée par une partie des
manifestants qui se dirigent vers l’Assemblée nationale, tire sur
la foule. La journée d’émeutes antiparlementaires se solde par un
lourd bilan : une vingtaine de morts et une centaine de blessés.
•
La presse révèle les divisions au sein de l’opinion publique :
– Pour Le Populaire, les manifestations correspondent à un
« coup de force fasciste » tandis que pour L’Action française,
le gouvernement, accusé déjà de corruption (« les voleurs »)
s’apparente désormais à des « assassins », en envoyant la police
tirer sur des manifestants dont beaucoup sont des anciens
combattants.
– Dans le contexte de montée des totalitarismes en Europe
et d’instabilité ministérielle en France, une partie de l’opinion
publique adhère aux thèses antiparlementaristes des ligues de
l’extrême droite. Une autre partie rejoint les idées socialistes et
communistes incarnées par la SFIO de Léon Blum et le PCF.
• Devenue un média de masse, la presse joue un rôle important
dans la crise du 6 février 1934 :
– Des titres de la presse d’extrême droite, dont les tirages
dépassent les centaines de milliers d’exemplaires, se lancent
dans des campagnes d’opinion antisémite, xénophobe et anticommuniste d’une très grande violence. Elle diffuse ses idées
par ses articles et ses caricatures. E. Daladier, le président du
Conseil, est représenté comme un fossoyeur dans certains dessins de presse. Elle alimente un courant antirépublicain dans
l’opinion publique.
– Á l’opposé, des journaux comme Le Populaire ou L’Humanité,
en diffusant la thèse d’une menace d’un coup d’État fasciste dans
l’opinion publique, contribuent au rassemblement des forces de
gauche : le Parti communiste et le Parti socialiste reconnaissent
la nécessité de mener des actions communes pour contrer cette
menace ; ils appellent à une grève générale le 12 février 1934
dans le but de défendre la République et se rassemblent dans un
Front populaire.
© Hachette Livre
• Dans les deux cas, les gouvernements se sont efforcés de
contrôler l’opinion publique :
– Mise en place d’une censure visible dans le document 1 par
les espaces blancs de la une du journal. Dans le document 2,
l’auteur évoque les silences des médias, en particulier ceux de
la télévision.
– L’État est accusé de pratiquer un bourrage de crâne pendant la
Première Guerre mondiale orchestrant ainsi une désinformation
de la situation réelle sur le front (doc. 1). En 1968, le ministère
de l’Information s’arroge le droit de visionner les émissions réalisées par les journalistes pour Panorama avant d’autoriser leur
diffusion. Ainsi, l’ORTF apparaît comme un outil de propagande.
• Mais les médias se sont employés à informer l’opinion
publique malgré les contraintes :
– par la création de journaux contestataires à l’instar du Canard
enchaîné fondé en 1915 sous l’impulsion d’un journaliste souhaitant dénoncer la propagande des autres journaux en faveur de
la guerre. Pendant la Seconde Guerre mondiale, de nombreux
journaux clandestins vont d’ailleurs participer à la Résistance
malgré la répression menée par l’occupant allemand et le gouvernement de Pétain ;
– par leur choix à couvrir ou non un événement. Ainsi Cinq
colonnes à la Une et Panorama envoient des équipes pour réaliser
un reportage sur les manifestations de Mai 1968 ;
– par les radios (ou postes) périphériques : en Mai 1968, des
radios émettent en France mais, l’émetteur ne se trouvant pas
sur le sol français, échappent au monopole de l’État sur la radio
alors en vigueur (RTL au Luxembourg, Europe 1 en Allemagne).
Chapitre 4 - Médias et opinion publique dans les grandes crises politiques en France depuis l’affaire Dreyfus
• 59
 5
Religion et société aux États-Unis depuis 
p. 156-185
Thème 2 – Idéologies, opinions et croyances en Europe et aux États-Unis de la fin du xixe siècle à nos jours
Question
Mise en œuvre
Religion et société
Religion et société aux États-Unis depuis les années 1890
◗ Nouveauté du programme de terminale
•
Dans l’ancien programme de terminale, cette thématique du
lien entre religion et société aux États-Unis pouvait être abordée
marginalement dans l’étude comparée du modèle américain par
rapport au modèle soviétique après 1945. Dans ce nouveau programme, le cadre d’étude change radicalement, puisque le lien
entre religion et société aux États-Unis est observé sur plus d’un
siècle (à partir de 1890) et dans une mise en perspective large
(« croyances, idéologies et opinions publiques ») qui privilégie les
évolutions sociologiques par rapport aux relations internationales.
• Ce chapitre exige des lycéens de nombreux prérequis qu’ils ne
posséderont peut-être pas. C’est pour cette raison que le manuel
propose deux pages introductives de « repères » qui rappellent
les particularités religieuses des États-Unis.
◗ Problématiques scientifiques du chapitre
© Hachette Livre
•
Par rapport à la conception de la laïcité française, incarnée
par la loi de 1905, on peut s’interroger, aux États-Unis, sur la
séparation de l’Église et de l’État dans une société qui a été formée originellement par des dissidents religieux au xviiie siècle.
Comme le rappelle Tocqueville dans De la Démocratie en
Amérique : « C’est la religion qui a donné naissance aux sociétés
anglo-américaines [...] ». Le premier amendement de 1791 établit
un équilibre social entre la liberté religieuse totale de l’individu
et la neutralité absolue de l’État. Cet équilibre est même assimilé
à un mur entre Église et État par le président Jefferson dès 1802
dans sa Lettre à la paroisse de Danbury. La séparation entre les
Églises et l’État est rappelée constamment dès la fin du xixe siècle
et tout au long du xxe siècle, notamment par les arrêts de la
Cour suprême fédérale. Ainsi, en 1962 puis en 1963, les arrêts «
Engel contre Vitale » et « Abbington contre Schempp » rendent
inconstitutionnelle la prière dans les écoles publiques.
• Durant la première moitié du xxe siècle, cette séparation
entre Église et État s’impose d’abord au protestantisme qui
domine et façonne la société américaine. Les différentes Églises
protestantes, qui sont celles des premiers Américains arrivés
entre le xviiie et le xixe siècle, forment les cadres de pensée
et de fonctionnement de la société américaine, en particulier
autour des valeurs d’individualisme, de libre entreprise et de
puritanisme. Cependant, les Églises protestantes divergent rapidement au xxe siècle entre les Églises du Sud, majoritairement
évangéliques, qui représentent des communautés rurales où les
valeurs morales conservatrices sont essentielles, et les Églises
progressistes du Nord-Est urbain et industriel. Cette distinction
explique les positions différentes face aux grandes questions de
société : les Églises protestantes du Sud cherchent à imposer
l’enseignement du créationnisme dans les écoles (procès Scopes
en 1925) tandis que celles du Nord s’engagent dans la lutte
contre la ségrégation raciale. La séparation s’impose également
aux divers courants religieux qui viennent se superposer dans
le creuset migratoire américain aux xixe et xxe siècles comme
le catholicisme irlandais et italien ou le judaïsme d’Europe centrale. Aux États-Unis, l’immigrant peut conserver sa religion, qui
a été souvent un facteur de persécution dans son pays d’origine
(juifs russes et polonais arrivant à New York entre 1880 et 1914).
Mais il doit aussi adapter l’exercice de son culte aux contraintes
imposées par une religion civile qui offre des repères et un horizon communs à tous les Américains, anciens et nouveaux. Ainsi,
60 • Chapitre 5 - Religion et société aux États-Unis depuis 1890
en 1956, le président Eisenhower fait de la sentence In God We
Trust la devise nationale.
• Cette séparation entre Église et État et le rôle de la Cour
suprême sont aussi un marqueur essentiel de la vie politique
américaine depuis le début des années 1960, l’élection de John
Kennedy comme premier président catholique et non protestant
étant une rupture fondamentale. Kennedy lui-même avait veillé
à rassurer la population américaine sur sa neutralité vis-à-vis de
Rome en déclarant : « Je crois en une Amérique où la séparation
de l’Église et de l’État est absolue, où aucun prélat catholique
ne dit au président [si celui-ci est catholique] comment agir,
et où aucun pasteur protestant ne dit à ses ouailles pour qui
voter. » Pourtant la question religieuse n’a cessé ensuite d’être
instrumentalisée, tout d’abord par le parti républicain, dans
un contexte d’atomisation sociale et de perte des repères traditionnels. La Southern strategy de Richard Nixon consistait à
flatter chez les électeurs des États du Sud leurs valeurs morales
conservatrices. Ronald Reagan élargit encore, dans les années
1980, cette stratégie en ralliant des pasteurs conservateurs
comme la « Majorité morale » de Jerry Falwell ou la « Coalition
chrétienne » de Pat Robertson. Cette nouvelle optique électorale républicaine met au centre du débat politique la place de
la religion et des valeurs chrétiennes dans la vie publique, prônant le rétablissement de la prière dans les écoles publiques et
la mise hors-la-loi de l’avortement autorisé par l’arrêt Roe contre
Wade de 1973. Cette offensive se traduit aussi par une utilisation
plus fréquente des symboles et des mots religieux dans le débat
politique. Ronald Reagan évoque « l’empire du mal » soviétique
en 1983 devant les membres d’une organisation évangélique ;
George W. Bush proclame, en 2000, que Jésus-Christ est son
philosophe préféré. Cependant, la Cour suprême refuse en permanence de revenir sur le « mur » constitutionnel de séparation
et l’invasion de l’espace public par la religion finit par être rejetée
par une majorité d’Américains comme lors de l’affaire Schiavo en
2004-2005 (polémique autour de l’euthanasie).
• Dans la seconde moitié du xxe siècle, le paysage religieux des
États-Unis se diversifie encore davantage avec l’arrivée massive d’immigrations extra-européennes : les populations venues
d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud renforcent la présence du catholicisme aux États-Unis tout en modifiant ses rites.
Les populations immigrées d’Afrique et d’Asie ont développé la
pratique de l’islam en multipliant par trois le nombre de musulmans américains depuis 1990. Cette diversification concerne
aussi les formes de pratique religieuse : les Églises protestantes
sont traversées par le mouvement du Born again (renouveau
chrétien) qui prône une foi vécue plus personnellement et intimement et qui attire une partie des immigrants (un quart des
hispaniques sont protestants). Cette pratique religieuse s’adapte
aussi, depuis les années 1960, à la massification des médias avec
le développement du télévangélisme incarné par des figures
aussi populaires que Billy Graham ou, aujourd’hui, Rick Warren.
Ce télévangélisme, qui utilise aussi Internet depuis 2000, permet d’atteindre des catégories de population peu concernées
par la pratique religieuse comme la jeunesse des grands centres
urbains. Mais une véritable sécularisation de la société américaine, quoique beaucoup plus tardive que celle des sociétés
européennes, semble aussi s’opérer avec la progression nette
des Américains se déclarant sans religion (un tiers en 2008).
• Créationnisme : doctrine religieuse chrétienne qui affirme
l’origine divine du monde et réfute la théorie darwinienne de
l’évolution naturelle par sélection des espèces. Elle est promue
par les protestants fondamentalistes pour être enseignée dans
les écoles publiques américaines.
• Premier amendement de la Constitution des États-Unis :
ratifié en 1791, il indique : « Le Congrès ne pourra faire aucune loi
concernant l’établissement d’une religion ou interdisant son libre
exercice. » Cette double clause religieuse est le pilier sur lequel
s’est établie la jurisprudence de la Cour suprême depuis deux
siècles.
• Évangéliques : courant religieux du protestantisme qui croit
à l’autorité supérieure de la Bible et à la nécessaire propagation
de son message. Les évangéliques sont surtout présents dans
le Sud des États-Unis où ils représentent un tiers de la population. Cette identification à un Sud parfois dénommé Bible Belt
explique pourquoi ces États restent les plus favorables à une
moralisation religieuse des normes sociales, même si leur législation est régulièrement censurée par la Cour suprême (en 1987,
une loi de Louisiane autorisant l’enseignement du créationnisme
dans les écoles publiques est déclarée inconstitutionnelle).
◗ Débat historiographique
Le lien entre religion et société aux États-Unis est étudié par les
historiens depuis les années 1980 pour resituer dans le temps long
l’apparent retour du religieux dans l’espace public. Les historiens
américains s’intéressent donc en priorité aux origines religieuses
de la nation américaine et à la neutralisation de l’espace public
par des Pères fondateurs inspirés des Lumières européennes et
de la libre pensée. De manière presque paradoxale, l’historien
français Denis Lacorne fait aujourd’hui référence dans ce champ
d’étude, ayant démontré que l’histoire politique américaine se
construit par la lutte entre deux définitions contraires - l’une
neutre et laïque, l’autre religieuse - de la nation américaine.
◗ Bibliographie sélective
Ouvrages universitaires
A. Barb, « La Religion et les Pères fondateurs », Le Débat, n° 151,
2008.
D. Lacorne, De la religion en Amérique, Essai d’histoire politique,
Gallimard, 2007.
F. Lambert, Religion in American Politics : a short history,
Princeton University Press, 2010.
I. Richet, La Religion aux États-Unis, collection Que sais-je ?,
PUF, 2001.
I. Richet, « Les Évangéliques dans la vie politique et sociale
américaine », Hérodote, n° 119, 2005.
◗ Site internet
http://www.cercles.com/sources/religionus.htm : la Revue disciplinaire du monde anglophone permet l’accès en ligne à de
nombreux documents sur le thème « Religion et société aux
États-Unis ».
Introduction au chapitre
p. 156-157
Le chapitre s’articule autour de deux problématiques distinctes
qui interrogent successivement dans la période chronologique
proposée (de 1890 à nos jours).
La première consiste à mettre en relation permanente l’émergence de la nation américaine comme première puissance
mondiale au début du xxe siècle et la prévalence des différents
cultes chrétiens protestants dans cette société. Il est intéressant de démontrer combien les valeurs religieuses protestantes
avaient contribué au développement économique des États-
Unis lors des révolutions industrielles tout en essayant de
modeler ses normes sociales.
Une rupture chronologique est suggérée entre les deux problématiques avec l’année 1945 puisque les États-Unis sont
désormais la superpuissance mondiale (environ 55 % de la production industrielle de la planète à la fin des années 1940) tandis
que les immigrations de la première moitié du xxe siècle, et en
particulier l’immigration italienne, font du catholicisme la première Église américaine devant toutes les Églises protestantes.
La seconde problématique est alors d’interroger les évolutions
de la société américaine après 1950 face à la montée en puissance de nouvelles religions comme le catholicisme, le judaïsme
ou l’islam qui remettent en cause et modifient les valeurs
sociales héritées du protestantisme.
→Doc. 1 : L’investiture de Barack Obama, 44e président des
États-Unis, 20 janvier 2009.
L’investiture de chaque président des États-Unis, fixée, depuis
1933, par le XXe amendement de la Constitution au 20 janvier de
l’année suivant l’élection, donne lieu à une journée entière de
rituels et de festivités (Inauguration Day). Cette journée possède
une connotation religieuse très forte puisque le nouveau président doit embrasser la nation américaine dans toute la diversité
de ses cultes. C’est pourquoi le serment d’investiture, prêté
à midi précis par le nouveau président devant le Chief Justice
de la Cour suprême, revêt une forme jurée de type biblique.
Mais conformément à la stricte séparation de l’État et des
Églises imposée par le Premier amendement constitutionnel,
le président peut choisir s’il le souhaite de ne pas « jurer » son
serment et de l’affirmer seulement. Néanmoins, depuis George
Washington, presque tous les présidents, dont Obama, ont choisi d’ajouter au texte constitutionnel du serment les mots : « So
help me God » (Avec l’aide de Dieu). Cet ajout permet de replacer l’action du président américain - et de la nation - sous la
conduite d’une puissance divine même si la neutralité religieuse
impose de ne pas préciser laquelle. Cette journée d’inauguration
illustre et rappelle donc la complexité du lien entre la société
américaine et la religion. La construction de la nation américaine
s’est faite par la superposition d’immigrants de fois différentes
qui acceptent la neutralité religieuse de l’État parce qu’elle
garantit leur liberté de culte.
Le document choisi, dans lequel le président Obama et sa femme
communient lors d’une prière avant le repas officiel d’inauguration du 20 janvier 2009, veut rappeler combien cet engagement
religieux du président reste important. D’une part, en juin 2011,
un sondage Gallup auprès d’un échantillon représentatif de la
population américaine montrait que 49 % des personnes interrogées refuseraient de voter pour un candidat à la présidence
qui s’affirmerait athée. D’autre part, pour le président Obama
lui-même, les doutes quant à la nature et à la solidité de sa foi
l’obligeaient à exposer plus ouvertement sa religiosité.
→Doc. 2 : Fidèles célébrant la Nativité devant la Crystal
Cathedral, une megachurch (église géante) protestante de
Californie, 1982.
Ce document souligne le syncrétisme des religions américaines qui n’hésitent pas à assimiler les différentes formes de
la modernité. Ces religions dispensent en effet leur message à
des masses via les moyens de communication modernes (radio,
télévision, presse à grand tirage). La mobilisation des masses
passe aussi comme dans cette Nativité par un spectacle visant
à impliquer et édifier les fidèles. Afin d’accueillir ces fidèles en
nombre, les églises ont connu une évolution architecturale vers
le gigantisme : de 16 en 1970 à 1328 megachurches en 2008. Ces
cathédrales modernes, qui s’assimilent comme dans le document photographique à des buildings de verre et d’acier, peuvent
accueillir, comme la Willow Creek Church de Chicago lors de ses
trois services dominicaux, jusqu’à 23 000 fidèles.
Chapitre 5 - Religion et société aux États-Unis depuis 1890
• 61
© Hachette Livre
◗ Quelques notions-clés du chapitre
Repères
p. 158-161
Les États-Unis du e au milieu du e siècle :
une nation, des religions
Les documents de ces pages veulent montrer comment la naissance de la nation américaine entre les xviiie et xixe siècles
est indissociable de la foi religieuse des Pères pèlerins (Pilgrim
Fathers). Mais, afin de préserver la possibilité d’un « vivre
ensemble » pour les différentes communautés immigrées qui
rejoignent les États-Unis, les Pères fondateurs comme Thomas
Jefferson établissent une neutralité rigoureuse de l’espace public
américain.
→Doc. 1 : Les premiers colons anglais arrivent aux États-Unis.
Cet extrait des mémoires rédigés par William Bradford, premier
gouverneur de la colonie de Plymouth fondée par les colons du
Mayflower, rappelle la difficulté matérielle de la traversée de l’Atlantique. Il veut souligner que le nouveau peuple américain avait
été « élu » par Dieu pour pouvoir rejoindre cette nouvelle terre.
Ce récit mythique de la naissance des colonies américaines est
l’un des fondements de la théorie de la Manifeste destinée au
xixe siècle qui attribue aux États-Unis le rôle d’apporter au reste
du continent la civilisation.
→Doc. 2 : L’Embarquement des pèlerins, tableau du peintre
new-yorkais Robert Weir (1857).
Cette huile sur toile représente les passagers du Speedwell en
partance pour les États-Unis en juillet 1620. Le navire prenant
l’eau, ses passagers rejoignirent ceux du Mayflower à Plymouth
au sud de l’Angleterre. Dans ce tableau, tous les éléments de
composition convergent, comme dans le document 1, pour faire
des colons un peuple élu de Dieu. Ainsi, en haut à gauche de la
voile déchirée, sont inscrits les mots : « Dieu est avec nous ».
→Doc. 3 : Extraits de la Constitution des États-Unis.
La Constitution des États-Unis est votée le 17 septembre 1787
avant d’entrer en vigueur après ratification le 4 mars 1789. C’est
un texte très court avec un préambule et sept articles, établissant les bases de l’union fédérale de tous les États d’Amérique.
Afin de limiter les pouvoirs du nouvel État fédéral et tout
éventuel empiètement sur les libertés de l’individu, le Congrès
fédéral vote en décembre 1791 les dix premiers amendements
de la Constitution qui forment le Bill of Rights (la déclaration
des droits). Le Premier amendement, au nom de la liberté absolue d’expression, garantit la liberté religieuse mais interdit aussi
toute religion d’État.
→Doc. 4 : Jefferson et la liberté religieuse.
© Hachette Livre
Lors de la première année de son mandat, Jefferson, rédacteur
de la Déclaration d’Indépendance et l’un des Pères fondateurs
de la Constitution, est amené à préciser le premier amendement. Il en fait une interprétation littérale, proposant un « mur
de séparation » entre l’État et l’Église. Cette formule du « mur
de séparation » a été rappelée par la Cour suprême dans de
nombreux arrêts comme l’arrêt Everson de 1947 qui étendit
l’obligation de neutralité à tous les États fédérés.
→Doc. 5 : Un prêtre célèbre une messe pour des soldats nordistes à New York, vers 1861.
La notion de Destinée manifeste du peuple américain était
remise en cause par sa division lors de la guerre de Sécession.
Pour les deux camps (nordiste et sudiste), il s’agissait donc de
revendiquer le soutien des Églises protestantes et, au-delà,
de Dieu. Ainsi, les États confédérés du Sud invoquent dans le
préambule de leur Constitution de mars 1861 « la faveur et la
direction du Tout-Puissant » et prennent comme sceau : « Deo
vindice » (Sous la protection de Dieu).
62 • Chapitre 5 - Religion et société aux États-Unis depuis 1890
→Carte 1 : La mosaïque religieuse américaine au début du
xxie siècle.
Ce document cartographique est intéressant à plus d’un titre.
Il permet d’embrasser d’un seul coup d’œil l’extrême diversité
religieuse américaine et d’en souligner, en même temps, les
particularités :
– la forte implantation baptiste dans le Vieux Sud (Bible Belt), la
plupart du temps en zone rurale ;
– la grande diffusion du catholicisme aussi bien dans les milieux
ruraux que dans les grandes métropoles côtières ;
– le maintien d’un protestantisme « européen » dans les
« Grandes Plaines » et à la frontière canadienne ;
– les particularités du mormonisme, concentré quasi exclusivement dans l’Utah mais avec des proportions de fidèles dépassant
presque partout 50 % de la population des comtés ;
– l’existence des autres minorités religieuses (judaïsme, islam,
etc.) principalement dans les grandes villes.
◗ Réponses aux questions
1. Les deux religions les plus importantes aux États-Unis sont le
protestantisme, sous ses différentes formes comme le baptisme,
très puissant dans la Bible Belt du Sud, et le catholicisme, qui
domine dans l’Ouest et le Nord-Est.
2. Les fortes minorités non chrétiennes sont surtout localisées
sur les littoraux de l’Atlantique et du Pacifique et dans les villes
des Grands Lacs comme Détroit.
Étude 1
p. 162-163
Les Églises chrétiennes et l’enseignement
Les Églises américaines ont toujours estimé que leurs missions
éducatives étaient essentielles. Héritage du protestantisme
luthérien et calvinien, l’alphabétisation des fidèles est primordiale : elle permet de s’approprier personnellement les Écritures
- base de toute foi - (sola fide, sola scriptura), sans médiateur
(le prêtre ordonné pour le catholicisme), au nom du « sacerdoce
universel », autre différence notable avec la religion romaine
(chaque homme honorable peut dispenser les sacrements,
réduits à deux - baptême, eucharistie -, dans l’ecclésiologie
protestante).
Il ne faut pourtant pas avoir une vision manichéenne de l’influence, pourtant réelle, des Églises chrétiennes sur la société
américaine. L’enseignement primaire, même marqué par une
indiscutable prégnance religieuse, est très majoritairement
public et laïc. C’est l’enseignement secondaire et surtout supérieur qui est le terrain d’élection des Églises en vertu de l’absolue
liberté de choix et de conscience garantie par la Constitution
et parfaitement illustrée par la Memorial Church de Stanford
(doc. 1). Bénéficiant de moyens bien supérieurs aux États (locaux
et fédéral), les Églises ont déployé un réseau d’écoles et d’universités très diversifié où les institutions « de proximité » côtoient
des pôles d’excellence mondialement reconnus. Si, de nos jours,
seule une minorité d’entre eux pratiquent un prosélytisme
agressif, cela n’a pas toujours été le cas par le passé (doc. 2 et 3).
Il n’en reste pas moins que la majorité de ces établissements
véhiculent encore un enseignement que l’on peut qualifier de
conservateur dans le sens où il s’en tient souvent à une vision
du monde marquée par la dichotomie des Pères fondateurs (le
bien/le mal, doc. 4).
→Doc. 1 : La Memorial Church de l’université de Stanford
(Californie).
La Memorial Church de Stanford a été construite à la mémoire
du fondateur de l’université, Leland Stanford, par son épouse
grâce à leur immense fortune familiale. Elle présente la particularité d’être œcuménique et non dédiée à un culte chrétien
particulier.
Des associations fondamentalistes protestantes avaient lancé,
dès 1919, une campagne publique en faveur de lois interdisant
l’enseignement de l’évolution darwinienne dans les écoles
secondaires et supérieures du Sud. Elles avaient obtenu gain de
cause au Tennessee par la loi Butler. Mais en 1925 un jeune enseignant, Scopes, soutenu par les libres penseurs de l’American Civil
Liberties Union (ACLU), choisit volontairement de contrevenir à
la loi. Son procès est donc l’affrontement de deux groupes de
pression opposés qui ont choisi deux avocats très célèbres pour
assurer une diffusion médiatique maximale (le document - un
extrait du journal The New York Times en 1925 - prouve l’ampleur
nationale du débat) : Clarence Darrow, avocat l’année précédente des deux étudiants criminels Leopold et Loeb (cf. La
Corde, de Hitchcock), défend Scopes et le darwinisme ; l’ancien
candidat démocrate à la présidentielle William Jennings Bryan
plaide pour la liberté des États du Sud et le créationnisme.
Scopes est finalement condamné à une amende de mille dollars.
→Doc. 3 : Un professeur de science enseigne le créationnisme.
La photographie, datant de l’immédiat après-guerre, montre un
enseignant, à l’air sévère, rappeler aux étudiants des passages
de la Genèse qui affirment la nature divine de la création de
l’homme. Cette photographie a été prise à l’université Bob Jones
de Greenville en Caroline du Sud qui a banni jusqu’en 2000 les
relations interraciales entre Blancs et Noirs.
→Doc. 4 : L’université évangélique Oral Roberts (Oklahoma).
Cet article du New York Times sur l’université évangélique Oral
Roberts a été rédigé en 2011 à l’occasion de la candidature
présidentielle de la représentante républicaine du Minnesota,
Michelle Bachmann, qui était une ancienne élève. L’article, émanant d’un journal libéral, vise à démontrer comment sa formation
dans une université religieuse fondamentaliste a construit ses
opinions très conservatrices.
◗ Réponses aux questions
1. Ce bâtiment se trouve à Stanford dans le nord de la Californie
sur la côte ouest des États-Unis. C’est une église car on distingue une fresque biblique sur son fronton qui est surmonté
d’une croix.
2. Oral Roberts espérait diffuser dans l’exercice de chaque
métier les principes chrétiens de la Bible afin de « re-évangéliser » la société américaine.
3. Comme l’indique le professeur dans le document 3, le récit
chrétien des origines de l’homme est contenu dans la Genèse
selon laquelle Dieu a créé l’homme à son image. Il est contradictoire avec le darwinisme selon lequel l’espèce humaine provient
d’une sélection naturelle des espèces qui la fait descendre du
singe.
4. À l’université d’Oral Roberts, l’enseignement du droit l’associait étroitement à la morale chrétienne et en particulier aux
commandements divins de l’Ancien Testament.
◗ Texte argumenté
Comme le montre le document 1, la religion est d’abord présente
dans toutes les institutions d’enseignement, y compris les plus prestigieuses comme l’université Stanford, par l’implantation de lieux
de culte sur les campus. Mais chaque religion peut aussi fonder ses
propres universités privées (doc. 3 et 4) qui diffusent leurs croyances.
Ainsi, dans ces établissements religieux, il est possible d’enseigner
le créationnisme, c’est-à-dire la croyance dans une création divine
de l’espèce humaine, qui était une doctrine officielle et majoritaire
dans les États du Sud au début du xxe siècle (doc. 2). Mais une université évangélique comme celle d’Oral Roberts éduque aussi ses
étudiants à une stricte conformité de la vie quotidienne et professionnelle avec les principes de la Bible (doc. 4).
Étude 2
p. 164-165
Les Églises chrétiennes et les questions de société
La « moralisation » de la société par les Églises est plus complexe qu’il y paraît : elles luttent bien sûr contre une dépravation
présumée d’une partie de la population oublieuse des grands
principes chrétiens (c’est le sens des combats contre l’avortement – doc. 5 - ou même du Code Hays, symbole par excellence
d’un puritanisme qui n’a pas encore entièrement disparu
aujourd’hui, doc. 3), mais, surtout au début du xxe siècle, elles
tentent d’imposer leurs valeurs à un pays ravagé par les excès
du libéralisme sauvage et du racisme. Dès le temps du Golden
Âge (« l’âge du toc » selon Mark Twain) et a fortiori tout au long
du xxe siècle (doc. 4), elles prennent fréquemment la défense
des humbles face aux puissants magnats d’industrie (les Robber
Barons). C’est dans cette optique qu’il faut analyser la campagne
contre l’alcoolisme des ligues de tempérance, qui aboutit à la
très controversée prohibition (doc. 1 et 2) : il s’agit au départ
de protéger les femmes des ravages supposés de l’alcoolisme au
sein des classes laborieuses faisant de chaque ouvrier un ivrogne
en puissance martyrisant sa famille.
→Doc. 1 : Une bataille rangée entre un barman et des
membres des ligues de tempérance luttant pour la prohibition
de l’alcool.
Dès 1874, est créée la Women Christian Temperance Union
(WCTU) qui se donne pour but de former une société d’abstinence conforme aux Évangiles. Son combat est associé à celui
pour le suffrage féminin. Elle s’associe à partir de 1898 à l’Anti
Saloon League (ASL) afin d’obtenir la prohibition fédérale de la
vente et de la consommation d’alcool. Comme le montre cette
caricature, leur combat prend souvent la forme de croisade,
c’est-à-dire de manifestations bruyantes et actives dans les
saloons.
→Doc. 2 : La prohibition dans la Constitution américaine.
Le combat de la WCTU et de l’ASL aboutit à l’adoption, début
1919, du XVIIIe amendement constitutionnel établissant la prohibition de l’alcool puis, durant l’année, du Volstead Act qui
définit les applications précises de la prohibition. Mais la prohibition déstabilise la société américaine des années 1920, l’alcool
devenant une marchandise de contrebande souvent importée
illégalement du Canada. En 1933, le XXIe amendement constitutionnel abolit la prohibition.
→Doc. 3 : Le Code Hays.
Dès les années 1910, neuf États votent des lois de censure cinématographique au nom de la lutte pour les bonnes mœurs. En
1915, la contestation de ces lois par les distributeurs de cinéma
amène la Cour suprême à trancher et à refuser d’assimiler le
cinéma à un « moyen d’expression » comme la presse. Devant
cette légitimation de la censure, les studios de production cinématographique choisissent, en 1922, d’embaucher à prix d’or
(salaire annuel de 100 000 dollars de l’époque) le secrétaire
des Postes et ancien sénateur Will H. Hays pour qu’il dirige un
bureau de censure interne aux studios. Face à l’arrivée du cinéma
parlant, Hays charge deux personnalités catholiques - dont un
prêtre jésuite - de rédiger un code de bonne conduite pour les
studios hollywoodiens. Les extraits ici présentés démontrent
l’intérêt tout particulier porté au contrôle de la sexualité et de
sa représentation au nom des principes chrétiens.
→Doc. 4 : Le père Coughlin prêche la justice sociale dans ses
sermons radiophoniques.
Ce document présente un sermon du prêtre catholique Charles
Coughlin qui y dénonce l’amoralité du capitalisme libéral. Ce
prêtre s’est fait connaître dès 1926 par des sermons radiodiffusés dans la région de Détroit qui acquièrent une large audience
durant la Grande Dépression car il propose une lecture chréChapitre 5 - Religion et société aux États-Unis depuis 1890
• 63
© Hachette Livre
→Doc. 2 : Le « procès du singe ».
tienne de la crise économique et des remèdes à y apporter.
Fondateur du mouvement de la Justice sociale en 1934, il propose la nationalisation du système bancaire. Après 1936, son
exécration de la banque et de la finance le fait dériver vers un
antisémitisme très violent.
→Doc. 5 : Manifestation de chrétiens fondamentalistes en
faveur de l’abrogation de l’arrêté de la Cour suprême autorisant l’avortement, Washington, 1992.
Ce document photographique, réalisé le 15 avril 1992, représente
une manifestation de fondamentalistes chrétiens dénonçant
la légalité de l’avortement. Cette manifestation se déroulait à
Washington alors que la Cour suprême examinait des lois de
Pennsylvanie restreignant fortement la liberté d’avorter établie
par l’arrêt « Roe contre Wade » de 1973. En juin 1992, la Cour
suprême, malgré une majorité de juges républicains et conservateurs, décidait de « casser » les restrictions de l’avortement
en Pennsylvanie et de maintenir la jurisprudence « Roe contre
Wade ».
◗ Réponses aux questions
1. Le but des ligues de tempérance, essentiellement féminines
comme le montre cette caricature de 1901, est de faire cesser, au
nom des principes religieux, les excès de boisson et les désordres
sociaux qu’ils peuvent engendrer.
2. Parmi les désordres sociaux dénoncés par les fondamentalistes chrétiens dès les années 1930, on trouve l’acte sexuel
non justifié par la reproduction et sa représentation artistique
(Code Hays), le goût immodéré de l’argent et du profit (doc. 4) et
l’avortement qui contrevient au devoir chrétien de reproduction
(doc. 5).
3. Les ligues de tempérance remportent, au lendemain de la
Première Guerre mondiale, une victoire majeure avec l’adoption d’un amendement constitutionnel interdisant la vente et la
consommation d’alcool. La réglementation du cinéma hollywoodien par le Code Hays est aussi une victoire pour les Églises
chrétiennes.
4. Ces victoires ne sont pas durables puisque la prohibition de
l’alcool est annulée par le XXIe amendement de 1933 à cause des
troubles à l’ordre public qui ont été engendrés (Al Capone). Le
Code Hays est devenu caduc à la fin des années 1960. Quant à
l’avortement, il a été autorisé en 1973 par la Cour suprême.
© Hachette Livre
◗ Texte argumenté
Dès la fin du xixe siècle, les Églises chrétiennes essaient de moraliser
une société en pleine mutation urbaine et industrielle. C’est le but
du combat des ligues de tempérance fondées à la fin du xixe siècle
par des femmes très croyantes qui dénoncent les méfaits de l’alcool
sur la société. Cette volonté de moralisation s’accentue dans les
années 1930 sous le double effet de la crise qui bouleverse les normes
sociales et de l’apparition de nouveaux médias (cinéma, radio).
Si la prohibition de l’alcool est instaurée par le XIXe amendement
constitutionnel de 1919, elle est rapidement source de délinquance
et de troubles à l’ordre public. C’est pourquoi elle est abolie dès
1933. À la même époque, l’industrie du cinéma préfère adopter une
réglementation interne conforme aux vues des Églises chrétiennes,
le Code Hays, afin de limiter les scènes trop choquantes pour la
morale (doc. 3).
Après la Seconde Guerre mondiale, l’influence des Églises sur la
société semble décliner : le Code Hays est abrogé en 1968, l’avortement est légalisé par un arrêt de la Cour suprême. Néanmoins,
des fondamentalistes chrétiens continuent de manifester contre ce
qu’ils considèrent comme l’amoralité de la société contemporaine
(doc. 5).
64 • Chapitre 5 - Religion et société aux États-Unis depuis 1890
Étude 3
p. 166-167
Les Églises chrétiennes et les droits civiques
des Noirs
Largement abordé dans les programmes précédents, ce thème
est vu ici sous un autre angle. Plus que l’émancipation civique
des Afro-Américains, cette double page veut montrer l’attitude ambiguë des Églises face à la ségrégation raciale qui reste
la norme, principalement dans les États du Sud, pendant une
grande partie du xxe siècle. La plupart d’entre elles se contentent de l’arrêté de la Cour suprême (separate but equal) qui
permet aux Églises « noires » de s’organiser seules sans l’intervention des Blancs. Elles pensent gagner en autonomie ce
qu’elles perdent sur le plan humain (plus que de séparation,
on peut en effet parler d’ostracisme : les Noirs peuvent vivre
comme ils l’entendent s’ils ne le font pas avec les Blancs). Cette
acceptation (doc. 1) n’est que peu contestée (doc. 2) jusqu’aux
années 1950. Il faut attendre le tournant « civique » des années
1960 pour voir certaines Églises prendre résolument des positions revendicatives (doc. 3) qui rencontrent alors un large écho
dans l’opinion publique (doc. 4 et 5).
→Doc. 1 : Le « compromis d’Atlanta ».
→Doc. 2 : « Dieu est un Noir ! ».
Le discours de Booker T. Washington et celui de McNeal Turner
s’inscrivent dans le contexte identique d’adoption des lois Jim
Crow dans les États du Sud, autorisant une ségrégation légale
entre Blancs et Noirs. Ainsi, en 1890, une loi de Louisiane avait
instauré une séparation des wagons de trains entre Noirs et
Blancs. Contestée devant la Cour suprême de Washington, elle
est confirmée par l’arrêt « Plessy contre Ferguson » de 1896 qui
justifie la séparation si elle s’accompagne de l’égalité (doctrine
separate but equal). Face à cette ségrégation officielle, Booker
Washington propose aux Noirs d’en prendre leur parti et de profiter de l’égalité des droits, en particulier scolaires, pour réaliser
une promotion sociale. Le pasteur McNeal Turner la conteste
violemment au contraire, en prenant appui sur l’égalité des
hommes devant Dieu.
→Doc. 3 : Les Black Churches au cœur du combat politique et
social de la communauté noire.
Cette photographie du révérend Jesse Jackson a été prise en 1969
dans une Église noire (Black Church) alors qu’il dirigeait l’opération Breadbasket (panier de pain) consistant en des opérations de
boycott d’entreprises pour les contraindre à recruter des personnels et des fournisseurs noirs. La photographie illustre le travail
social communautaire assuré par les Églises noires.
→Doc. 4 : La troisième marche sur Montgomery (Alabama),
25 mars 1965.
→Doc. 5 : « I have a Dream ».
Ces deux documents présentent divers aspects de l’action de
Martin Luther King pour la déségrégation de la communauté
noire. Le document 4 rappelle l’origine géographique et sociologique du combat de Martin Luther King : la photographie est
prise dans l’Alabama à Montgomery, là où, en 1955, le refus de
Rosa Parks d’obéir à la ségrégation dans les bus a entraîné le
mouvement de boycott des bus mené par le pasteur. Ce mouvement de boycott de 1955-1956 a entraîné en novembre 1956 un
arrêt de la Cour suprême déclarant inconstitutionnelle la ségrégation dans les bus à Montgomery. Fort de ce succès, Martin
Luther King fonde en 1957 la Southern Christian Leadership
Conference (SCLC) qui implique les Églises noires dans le combat
contre la ségrégation.
Le document 5 est un discours de Martin Luther King appelant
à l’égalité des droits prononcé durant une marche organisée
à Washington par la SCLC. La réussite de cette marche et la
renommée du discours de King par la formule « I have a Dream »
◗ Réponses aux questions
1. Selon Booker T. Washington, les Noirs américains sont en bas
de l’échelle sociale, à cause de l’héritage de la période d’esclavage. Il propose aux Noirs de collaborer avec les Blancs pour que
ceux-ci leur offrent des opportunités légales et économiques de
progrès.
2. Selon Henry McNeal Turner, les Noirs constituent un peuple
à part entière, qui a été choisi par Dieu à l’égal des autres.
Le peuple noir ne doit donc pas accepter, comme Turner lui
reproche de le faire, de vivre dans la servitude et l’assimilation
vis-à-vis des Blancs.
3. Booker T. Washington propose une attitude conciliatrice
acceptant la domination sociale des Blancs tandis que McNeal
Turner appelle les Noirs au combat pour l’égalité des droits.
4. Le rêve de Martin Luther King était double : il voulait, pour
les générations futures de Noirs, une égalité complète des droits
et la fin du régime civique de séparation. Pour atteindre ce but, il
choisit le mode de la contestation pacifique par la désobéissance
civile à des lois jugées injustes (doc. 4).
5. Les Black Churches ne s’adressent qu’à des fidèles de la communauté noire et les prêtres y sont exclusivement noirs.
6. Les Églises chrétiennes aident à l’intégration des Noirs dans
les années 1950-1960 en formant des élites comme le pasteur
Luther King ou le révérend Jackson qui peuvent formuler et
incarner les revendications de la communauté. Elles font aussi
un travail social d’entraide communautaire.
◗ Texte argumenté
Les Églises chrétiennes - essentiellement protestantes dans le Sud
(Bible Belt) - ont été confrontées à la ségrégation des Noirs depuis
la fin du xixe siècle, malgré la fin de l’esclavage. La question était
d’autant plus ardue que beaucoup de Noirs étaient eux-mêmes
fidèles de ces Églises. Deux positions se dessinent au tournant du
siècle : Booker T. Washington prône une collaboration des Noirs
avec les Blancs et une émancipation par l’éducation malgré la
séparation (doc. 1) tandis que le prêtre McNeal Turner défend la
revendication des droits du peuple noir, surtout dans les Églises
séparées noires (Black Churches). Les Black Churches deviennent
donc des outils communautaires de travail social (doc. 3) mais aussi
des lieux d’éducation pour de futures élites noires. Ainsi, Martin
Luther King, un pasteur, se sert des Black Churches pour mobiliser les populations noires du Sud ainsi que leur clergé dans des
actions de contestation pacifique comme les marches (doc. 4) ou
les boycotts. Le révérend Jesse Jackson utilise les Black Churches
pour diffuser un message politique et économique (doc. 3). Au milieu
des années 1960, cette lutte porte ses fruits puisque l’égalité entre
communautés est instaurée par des lois fédérales.
Leçon 1
p. 168-169
Un pays bâti sur une vision religieuse du monde
→Doc. 1 : Des Américains majoritairement protestants (2008).
Ce tableau statistique récent, établi par le Pew Research Center,
un centre de recherche indépendant (think tank), démontre que
l’Église catholique reste la première religion aux États-Unis avec
près d’un Américain sur quatre en 2008, mais l’ensemble des
Églises protestantes, dans toute leur diversité, réunit plus d’un
Américain sur deux (51,3 %).
→Doc. 2 : Pose de la pierre d’angle de la plus grande Black
Church des États-Unis, New York, 1920.
Cette photographie représente la pose, en 1920, de la première
pierre de l’Abyssinian Baptist Church de Harlem à New York,
une Black Church reconstruite entièrement grâce aux dons de
la communauté appelés par son pasteur Adam Powell. Son fils
Adam Powell Junior devient le pasteur de cette Église en 1938
puis il est élu, en 1944, comme le premier représentant afroaméricain au Congrès de Washington.
→Doc. 3 : Le serment au drapeau.
La photographie représente la cérémonie du serment au drapeau, qui oblige les écoliers de la moitié des États américains à
saluer la bannière fédérale chaque matin. Ce rituel a été originellement créé par un pasteur social, Bellamy, dans un but purement
patriotique. En 1954, à l’initiative du président Eisenhower,
le Congrès vote une résolution qui ajoute la mention « under
God » (sous l’autorité de Dieu) au serment. Cette mention a été
contestée en justice jusqu’à aujourd’hui par des parents laïques
mais la Cour suprême a validé en 2004 cette référence à Dieu
comme ne portant pas atteinte à la séparation des Églises et de
l’État (arrêt « Elk Grove contre Newdow »).
→Doc. 4 : Protestantisme américain et capitalisme.
Ce passage du Journal de Thomas Chalkley est souvent cité par
les chercheurs en sociologie comme validant la théorie de Max
Weber sur l’éthique protestante du capitalisme. En effet, ce
médecin quaker invite le bon croyant à s’investir consciencieusement dans son travail et à investir efficacement son argent
pour plaire à Dieu.
→Doc. 5 : Une religion civile.
Robert N. Bellah est un des plus grands sociologues américains
de la seconde moitié du xxe siècle, il a été professeur à l’université de Berkeley pendant plus de quarante ans. Il s’intéresse dans
ce document à la notion de religion civile comme « ciment » de
la société américaine.
◗ Réponses aux questions
1. Selon l’auteur, le protestant doit travailler durement pour
satisfaire Dieu qui veille sur les activités de l’homme dans le
monde.
2. La dernière phrase de l’auteur signifie que tous les rituels
citoyens américains - comme le serment d’allégeance - permettent de mieux appréhender l’existence d’une divinité.
Étude 4
p. 170-171
La communauté juive de New York
New York, première ville des États-Unis, énorme agglomération
de près de 20 millions d’habitants à l’influence mondiale, fut
la porte d’entrée du pays puisque 90 % des immigrants y sont
passés par les bureaux de l’émigration (Ellis Island, doc. 1). Villemonde cosmopolite, elle a accueilli les juifs persécutés d’Europe
(doc. 2) et leur a fait découvrir le mode de vie américain fait
d’individualisme, de tolérance et de volonté de réussite personnelle (doc. 5). Remarquablement organisée, la communauté
juive de New York a peu à peu acquis une indéniable influence
politique (doc. 4). Il faut cependant éviter tout manichéisme.
Même s’il existe encore des orthodoxes à la religiosité très affirmée (doc. 3), de nombreux juifs se considèrent aujourd’hui avant
tout comme Américains et une partie d’entre eux s’est largement éloignée de la religion hébraïque. C’est une des raisons
qui expliquent leur opposition à la « discrimination positive »
favorisant les minorités qu’ils jugent contraires à leurs intérêts,
se considérant comme parfaitement intégrés dans le « melting
pot ».
Chapitre 5 - Religion et société aux États-Unis depuis 1890
• 65
© Hachette Livre
sont des causes majeures de l’accélération du processus législatif et de l’adoption du Civil Rights Act par le Congrès fédéral à
l’été 1964. Mais certains gouverneurs du Sud refusent d’abandonner leurs lois Jim Crow dont celui de l’Alabama, George
Wallace. C’est pourquoi une nouvelle marche vers Montgomery
est organisée en mars 1965 (doc. 4).
→Doc. 1 : The Jewish Immigrant, une couverture du magazine
publié par la Hebrew Immigrant Aid Society de New York, 1909.
L’Hebrew Immigrant Aid Society (HIAS) est fondée en 1881 à New
York au moment où les grands pogroms (chasses à l’homme)
déciment les communautés juives de Russie et de Pologne.
Cette société accueille dans les années 1890-1900 les juifs arrivant dans le centre fédéral d’immigration ouvert à Ellis Island à
partir de 1892. Cette société d’entraide fournit une aide financière, des logements d’urgence et publie, à partir de 1908, un
magazine, The Jewish Immigrant, dont est extrait le document
iconographique. Il nous montre des immigrants juifs accueillis
par une représentation humaine de la statue de la Liberté, qui
incarne les États-Unis et que le texte en hébreu qualifie de
« nation juste ». Elle leur ouvre symboliquement la porte des
États-Unis (« portes de la justice » - pris dans le sens de l’antonyme d’injuste - selon le texte hébreu).
→Doc. 2 : La population juive de New York.
Le tableau statistique indique l’arrivée massive des juifs d’Europe centrale aux États-Unis et à New York entre 1880 et 1914.
Si la population juive atteint son plus haut niveau à New York en
1950, après l’immigration de nombreux survivants de la Shoah
en Europe (en 2002, ils étaient encore 55 000 à New York), elle
décroît lentement après 1980 avec l’émigration des juifs newyorkais retraités vers la Floride et la Californie.
→Doc. 3 : Des Juifs orthodoxes new-yorkais sont protégés par
la police lors des émeutes entre communautés noire et juive,
1991.
Cette photographie fut prise lors des émeutes du quartier
new-yorkais de Crown Heights, en août-septembre 1991, qui
éclatèrent lorsqu’un jeune garçon noir d’origine caribéenne fut
tué accidentellement par un chauffeur juif orthodoxe. La communauté juive orthodoxe fut prise violemment pour cible par
les émeutiers, comme sur la photographie, jusqu’à l’assassinat
sauvage d’un jeune étudiant rabbinique, Yankel Rosenbaum, par
un groupe de Noirs.
→Doc. 4 : Ed Koch (à droite), maire juif de New York (19781989), reçoit le soutien de l’United Jewish Coalition.
L’importance numérique de la communauté juive new-yorkaise,
qui représente environ un quart de la population de la ville en
1975, explique l’élection en 1973 du premier maire de confession
juive, Abraham Beame, dans un système électoral qui favorise le
vote communautaire. Ed Koch lui succède en 1977, après l’avoir
battu durant les élections primaires du parti démocrate, et il est
réélu à deux reprises grâce au soutien des organisations juives
comme la Jewish Coalition ici représentée sur la photographie. Il
est battu aux primaires du parti démocrate de 1989 face à David
Dinkins qui devient le premier maire afro-américain de la ville.
© Hachette Livre
→Doc. 5 : Américanisation et acculturation de la communauté juive.
Joseph « Joe » Lieberman est un exemple de l’intégration et de
l’ascension sociale des juifs new-yorkais sur plusieurs générations. Ses grands-parents paternels avaient émigré de Pologne
à New York au début du xxe siècle. Devenu procureur général
puis sénateur, en 1988, de l’État du Connecticut, qui forme la
banlieue nord de New York, il est choisi à la surprise générale
comme colistier sur le ticket présidentiel par Al Gore en 2000.
Il revient dans ce discours de 2011 sur cette campagne présidentielle qui démontre, selon lui, l’acceptation de son identité
religieuse juive par la population américaine.
◗ Réponses aux questions
1. On peut deviner que ces immigrants sont juifs grâce aux
caractères de la langue hébraïque qui apparaissent sur le document. Ils sont accueillis par une représentation humaine de la
statue de la Liberté, qui incarne les États-Unis. Elle ouvre sym-
66 • Chapitre 5 - Religion et société aux États-Unis depuis 1890
boliquement la porte des États-Unis aux immigrants puisque
ceux-ci aperçoivent la statue de la Liberté lors de leur arrivée
dans la baie de New York.
2. Les deux périodes d’arrivée massive des immigrants juifs sont
les années 1880-1914, qui correspondent aux persécutions des
juifs en Europe centrale, et les années qui suivent la Seconde
Guerre mondiale, lorsque les survivants de la Shoah émigrent
aux États-Unis.
3. À la fin du xxe siècle, les juifs new-yorkais et leurs descendants sont parvenus à s’intégrer suffisamment dans la société
américaine pour y occuper des postes politiques importants :
maire de New York comme Ed Koch ou candidat à la vice-présidence pour un des deux grands partis comme Joseph Lieberman.
4. La société américaine étant de tradition chrétienne, la religion juive peut y être moins bien accueillie. La persistance de
communautés juives orthodoxes à New York, plus facilement
reconnaissables par leur tenue et leurs rites, peut aussi être un
frein à l’intégration, comme le montre le document 3.
◗ Texte argumenté
La diaspora juive de New York est l’une des plus importantes
communautés de la ville depuis le début du xxe siècle, à la suite
des grandes immigrations des juifs européens, consécutives à leur
persécution. New York servait de porte d’entrée (doc. 1) sur le territoire américain pour cette communauté juive qui s’y est largement
implantée, y compris sous ses formes les plus traditionnelles (doc. 3).
Á la fin du xxe siècle, New York et sa région fournissent les meilleurs exemples d’intégration sociale de la communauté juive, Joe
Lieberman étant devenu en 2000 le premier juif sur le « ticket »
présidentiel d’un grand parti (doc. 5). Néanmoins, la coexistence,
dans un même quartier de New York, de la communauté juive avec
d’autres minorités peut parfois être conflictuelle.
Étude 5
p. 172-173
Un pays aux 70 millions de catholiques
Les États-Unis ont longtemps été vus par Rome comme une
terre de mission. Pays majoritairement protestant, avec des
fidèles catholiques souvent suspectés de « papisme », il n’entrait pas dans le schéma classique, hérité du concile de Vatican
I, des pays chrétiens avec lesquels le Saint-Siège entretenait
des rapports réellement chaleureux. Les choses ont beaucoup
évolué à la fin du xxe siècle, comme en témoignent les 7 visites
de Jean-Paul II durant les 26 années de son pontificat. Il faut
dire que le catholicisme américain a radicalement changé de
statut. Passant d’une religion minoritaire perçue comme « non
démocratique » et dirigée de l’étranger (doc. 1) à une institution
puissante (doc. 6) aux effectifs considérables (doc. 5), elle prend,
à partir des années 1960 et l’élection de Kennedy à la présidence
fédérale (doc. 2), une place grandissante dans la société américaine. Mieux organisée que le protestantisme, éclaté en dizaines
de courants, elle peut même revendiquer le titre de première
religion des Américains. Cette place nouvelle, liée en partie à la
forte émigration hispanique (doc. 3), lui confère aujourd’hui un
rôle social majeur mais entraîne aussi de nombreux problèmes
identitaires qui remettent partiellement en cause son modèle de
fonctionnement unitaire et pyramidal (doc. 4).
→Doc. 1 : La peur du catholicisme.
Al Smith était un homme politique d’origine irlandaise et de religion catholique, qui incarna la montée en puissance de cette
religion dans la société américaine des années 1910-1920. Élu
à quatre reprises gouverneur de New York (mandat de deux
ans) entre 1918 et 1928, il obtient l’investiture démocrate pour
l’élection présidentielle de 1928. Mais une campagne de presse,
surtout dans les États du Sud de la Bible Belt protestante, se
déchaîne à cause de sa soumission supposée au pape. Dans
ce document, Frances Perkins, future secrétaire du Travail de
l’administration Roosevelt qu’Al Smith avait nommée à la tête
de l’Industrial Board de l’État, revient sur cette candidature malheureuse, rappelant que de nombreux démocrates avaient voté
contre lui (Smith perdit même l’État de New York).
américaine : d’une part, elle doit faire cohabiter des communautés de niveaux sociaux et éducatifs très différents ; d’autre part,
elle doit veiller à la cohérence des rituels puisque le document 4
indique la divergence des célébrations du Vendredi saint entre
catholiques hispaniques et catholiques new-yorkais.
→Doc. 2 : Kennedy et le catholicisme.
◗ Texte argumenté
→Doc. 3 : Évolution de l’origine des immigrants entre 1960 et
2000.
Ce tableau statistique démontre la part croissante prise par
l’immigration hispanique d’Amérique du Sud aux États-Unis. Elle
se traduit par un renforcement de l’Église catholique : en 2008,
46 % de tous les résidents américains nés dans un pays étranger
sont catholiques.
→Doc. 4 : Gérer des pratiques religieuses différentes.
La croissance numérique de la communauté catholique avec
l’immigration hispanique a aussi différencié les pratiques religieuses comme le démontrent ces deux photographies du
Vendredi saint. Le catholicisme, par son importance chez les
immigrants récents, est surreprésenté parmi les catégories
sociales les moins éduquées : un tiers des catholiques américains n’ont pas le niveau de fin de lycée en 2008.
→Doc. 5 : Le quatrième pays catholique du monde.
Ces deux tableaux statistiques mettent en valeur l’importance
de la communauté catholique américaine dans le monde mais
aussi la nationalisation progressive de cette Église autrefois
implantée par des immigrants.
→Doc. 6 : Le poids de l’Église catholique dans la société.
Cet extrait d’un article de sociologie rappelle combien l’Église
catholique forme une société à part entière dans la société
américaine. En effet, elle contrôle des institutions d’éducation
(l’université de Notre-Dame dans l’Indiana est classée parmi les
vingt meilleures du pays), de santé mais aussi de financement.
Des credit unions catholiques prêtent dans tous les États de
l’argent aux fidèles à des taux d’intérêt très bas et reversent une
partie des intérêts aux paroisses.
◗ Réponses aux questions
1. Le catholicisme, au travers de la candidature présidentielle
d’Al Smith en 1928, est perçu comme une religion étrangère à la
nation américaine, aux ordres du pape de Rome.
2. Kennedy évoque sa religion pour calmer les inquiétudes
éventuelles d’un public et d’une population majoritairement
protestants. Il justifie sa candidature par les valeurs démocratiques américaines qui doivent permettre à tout individu, quelle
que soit son appartenance, de briguer les suffrages.
3. Parmi les grands pays industrialisés et développés, les ÉtatsUnis sont aujourd’hui le premier pays catholique au monde
puisque Brésil et Mexique sont des pays émergents.
4. L’augmentation du nombre de fidèles a été la plus forte à la
fin du xixe siècle et au début du xxe siècle grâce aux immigrations irlandaise puis italienne.
5. L’Église catholique est, selon le texte, une grande puissance
financière par ses budgets de fonctionnement des paroisses et
des écoles qui atteignent plusieurs milliards de dollars. Par ailleurs, ses écoles primaires et secondaires scolarisent plus d’un
Américain sur vingt.
6. L’arrivée de nouveaux catholiques immigrés d’Amérique latine
depuis les années 1970 pose un double défi à l’Église catholique
Le catholicisme est devenu la première Église américaine au
xxe siècle par l’apport des immigrations irlandaise et italienne entre
1880 et 1930, puis par celui de l’immigration hispanique d’Amérique
latine après 1970 (doc. 3 et 5). Cette « importation » de la religion
catholique a d’abord posé problème dans une société majoritairement protestante. Lors de la campagne présidentielle d’Al Smith
en 1928 (doc. 1), la soumission supposée du candidat au pape lui
fait perdre de nombreux suffrages. C’est pourquoi John Fitzgerald
Kennedy choisit, en 1960, dans son discours de Houston, de rassurer
les électeurs sur son indépendance religieuse (doc. 2).
L’élection de Kennedy marque l’intégration des catholiques dans
la société américaine où ils occupent aujourd’hui une place primordiale (doc. 6). Néanmoins, l’arrivée de nouveaux catholiques
hispaniques à la fin du xxe siècle remet en cause l’identité religieuse de la communauté, les nouveaux arrivants, moins éduqués
et intégrés, se tournant vers des rituels spectaculaires sur lesquels le
contrôle de l’Église n’est pas aussi strict (doc. 4).
Leçon 2
p. 174-175
Une mosaïque religieuse dans une société
pluriethnique
→Doc. 1 : Évolution des affiliations religieuses depuis 1990.
→Doc. 2 : Le président des États-Unis Bill Clinton (1993-2000)
fête la fin du ramadan à la Maison-Blanche, en compagnie de
représentants du culte musulman.
Le tableau statistique (doc. 1), établi par le sondage réalisé sur un
échantillon large de la population américaine, décrit l’évolution
de l’affiliation religieuse entre 1990 et 1998. On y remarque que
l’islam occupe une part très minoritaire mais croissante dans la
population américaine. C’est pourquoi les autorités américaines
cherchent à intégrer cette nouvelle religion : ainsi, Bill Clinton
accueille des représentants musulmans dans le bureau ovale de
la Maison-Blanche à la fin de l’année 2000.
◗ Réponse à la question
1. L’affiliation religieuse diminuant le plus fortement parmi la
population américaine depuis 1990 est celle du courant majeur
du protestantisme au « profit » de nouvelles religions et des personnes se déclarant agnostiques ou sans religion. Cette dernière
catégorie a presque doublé entre 1990 et 2008.
→Doc. 3 : Le pasteur télévangéliste Billy Graham à la rencontre de ses admirateurs, 1966.
Cette photographie montre Billy Graham saluant ses fidèles en
1966. À cette époque, ce pasteur évangélique, qui a vécu luimême une « renaissance au Christ » à l’âge de 16 ans, mène
depuis 1948 des « croisades » de prédication pour faire retrouver
la foi aux Américains égarés par la civilisation moderne. Mais pour
toucher le plus grand nombre, il utilise les moyens modernes de
communication : télévision, radio, stades de football. Son succès
en fait dès les années 1950 le prêtre du président Eisenhower
qu’il conduit à rejoindre, en 1952, l’Église presbytérienne.
◗ Réponse à la question
1. Billy Graham porte un costume d’homme d’affaires et non
une tenue de prêtre, il a un style très décontracté avec une main
dans la poche pour montrer sa proximité avec les fidèles qu’il
rencontre.
Chapitre 5 - Religion et société aux États-Unis depuis 1890
• 67
© Hachette Livre
Le sénateur catholique du Massachussetts, John Fitzgerald
Kennedy, devait prendre en compte l’expérience malheureuse
d’Al Smith lorsqu’il fut choisi par la convention démocrate de
Los Angeles en 1960. Il décida donc dès le début de la campagne,
le 12 septembre 1960, de se confronter à un public de prêtres
protestants du Sud à Houston pour les rassurer sur son indépendance par rapport au pape.
→Doc. 4 : Les principes de vie des adeptes de l’Église de JésusChrist des saints des derniers jours (mormons).
L’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours ou Église
mormone fut fondée dans les années 1820 par Joseph Smith, un
homme qui affirmait être un prophète de la vraie parole de Jésus
dont il aurait retrouvé et traduit des Tables dorées. Cette origine surnaturelle de la foi mormone - ainsi que la pratique d’une
large polygamie - vaut à ses premiers fidèles d’être violemment
persécutés dans les États protestants de la Bible Belt jusqu’au
lynchage de Smith en prison en 1844. La plupart des fidèles mormons choisissent alors la voie de l’exode, sous la conduite de
Brigham Young, et trouvent une terre promise autour du Grand
Lac Salé, y fondant en 1847 la ville de Salt Lake City. La croissance et la prospérité rapides de l’Utah et de Salt Lake City à la
fin du xixe siècle confortent cette religion, qui s’étend ensuite
dans le monde par le biais de missions. Le document est un
tableau récapitulatif des obligations religieuses actuelles de
chaque mormon qui démontre la diversité admise des normes
chrétiennes aux États-Unis même si beaucoup d’Églises protestantes considèrent encore le mormonisme comme une secte.
◗ Réponses aux questions
1. La religion encadre chaque moment de la vie du mormon,
puisqu’elle lui impose ses normes alimentaires, son comportement sexuel, voire sa vie professionnelle, dans laquelle il doit
chercher à réussir.
2. Si la religion mormone est plus ouverte sur certaines questions de société (divorce) que l’Église catholique par exemple,
ses positions sur l’homosexualité et la sexualité avant le
mariage vont à l’encontre des évolutions actuelles de la société
américaine.
Histoire des Arts
p. 176-177
Jésus-Christ Superstar, film musical de Norman
Jewison, 1973
L’adaptation cinématographique de la comédie musicale Jesus
superstar est une œuvre particulièrement adaptée pour évoquer le rapport entre religions et société aux États-Unis. Par son
contexte, tout d’abord : la comédie musicale et le film sont produits alors que la contre-culture d’origine californienne est ralliée
par la jeunesse américaine du baby-boom. Il s’agit de critiquer
la culture traditionnelle de la génération de la Seconde Guerre
mondiale, fondée sur l’obéissance et le respect de la patrie ainsi
que sur l’adoption de la consommation de masse. Les jeunes
Américains de la fin des années 1960 et du début des années
1970 veulent y substituer une culture individuelle fondée sur les
notions de plaisir et d’hédonisme. Dans ce contexte, les religions
chrétiennes, comme participant de l’ordre social, auraient pu
être rejetées par la contre-culture. Mais, au contraire, on assiste
à une réappropriation de la figure du Christ par le mouvement
hippie comme étant un précurseur, ayant refusé l’ordre établi
du temple de Jérusalem. D’ailleurs, la pièce rivale de Jésus-Christ
Superstar à Broadway en 1971 n’est autre que Godspell, qui transpose l’itinéraire de Jésus dans le New York hippie.
© Hachette Livre
→Doc. 1 : Scène de l’entrée de Jésus à Jérusalem, le jour des
Rameaux (chœur « Hosanna »).
La scène ici représentée est le retour de Jésus à Jérusalem cinq
jours avant sa crucifixion lors du dimanche des Rameaux. Si la
liesse de la foule correspond à la description des Évangiles, il est
à noter la démesure hollywoodienne des rameaux et les vêtements très années 1970 des fidèles qui l’accompagnent.
→Doc. 2 : L’impact du film sur les communautés religieuses
américaines.
L’article du New York Times, journal libéral de la côte est, à l’occasion de la sortie du film, permet de mesurer l’opposition suscitée
68 • Chapitre 5 - Religion et société aux États-Unis depuis 1890
chez les fondamentalistes par cette relecture contemporaine et
libertaire de la figure du Christ.
→Doc. 3 : L’arrivée dans le désert du Néguev des jeunes comédiens qui doivent jouer les derniers jours de la vie de Jésus
(ouverture musicale du film).
Le film Jésus-Christ Superstar est construit sur une mise en abîme
narrative puisque le début et la fin du film montrent les acteurs
préparant puis abandonnant leurs costumes et leurs rôles.
→Doc. 4 : Face à face entre Jésus et Judas.
Le choix a été fait par les créateurs de la comédie musicale, Tim
Rice et Andrew Lloyd-Webber, de représenter Judas comme
un Noir, tout d’abord pour des considérations artistiques, afin
d’opposer le registre vocal soul de Judas à celui plus « rock » de
Jésus. Mais il peut renvoyer symboliquement à la « malédiction »
des Noirs américains qui semblaient à l’époque condamnés à la
pauvreté et à la discrimination.
◗ Réponses aux questions
1. Ce film peut être considéré comme un road-movie puisque les
jeunes acteurs sont montrés arrivant en bus dans le désert pour
y jouer les tableaux de la vie du Christ. Mais cette dernière est
aussi une errance sur les routes de Palestine.
2. Ce film est un opéra puisqu’il présente des tableaux chantés
par les acteurs mais ces chansons s’inscrivent dans le registre de
la musique rock et non de la musique classique.
3. La scène des Rameaux met en scène des jeunes hommes et
femmes qui accueillent Jésus à Jérusalem. La jeunesse américaine
du baby-boom peut se reconnaître dans cette représentation qui
fut mal perçue par des chrétiens car elle laisse entrevoir un Jésus
entouré de femmes.
4. Judas est un personnage central du film puisqu’il contribue
à l’arrestation de Jésus. Il est représenté comme un Noir américain. Sa place centrale dans le film a pu gêner certains juifs car
elle rappelait sa trahison envers Jésus.
5. Ce film représente l’émergence de la jeunesse américaine du
baby-boom dans la société à la fin des années 1960. Il démontre
aussi le passage vers une religion vécue plus intensément, loin
des Églises institutionnelles. La place donnée à un Judas noir fait
enfin écho à l’émergence de la revendication du pouvoir noir
(Black Power) dans la société américaine.
Prépa Bac
p. 180-185
◗ Composition
Sujet guidé - L’influence de la religion sur la société
américaine depuis 1890
5. Rédiger l’introduction et la conclusion
Introduction
– Définition du sujet : « De la fin du xixe siècle à aujourd’hui, la
religion occupe une place essentielle aux États-Unis, à travers le
nombre de croyants et l’importance des Églises. Dominée par le
christianisme, elle joue un rôle dans la vie sociale, culturelle et
politique du pays. »
– Problématique : « Se pose alors la question de son influence
sur la société américaine. »
– Annonce du plan : « Après avoir défini la place de la religion et
des Églises, on s’appliquera à montrer que la société américaine
est empreinte de valeurs religieuses et que la vie politique des
États-Unis est marquée par la religion. »
Conclusion
– Réponse à la problématique : « Issue des différents courants
migratoires, la diversité des religions s’impose aux États-Unis à
partir de la fin du xixe siècle. Le protestantisme d’origine valorise
La plupart des élèves répètent chaque jour le serment au drapeau et, depuis 1956, l’expression « In God We Trust » (Nous
avons confiance en Dieu) est devenue la devise officielle du
pays. Les États-Unis peuvent être considérés comme un pays
doté d’une « religion civile » garante des vertus civiques et qui
soude la nation afin de permettre à la démocratie de s’épanouir.
Ainsi au début du xxe siècle, la religion apparaît comme le seul
refuge des Noirs victimes du racisme et de la ségrégation. Ne
pouvant se réunir dans les églises « blanches », ils fondent des
Black Churches qu’ils peuvent gérer seuls. Elles leur permettent
de s’exprimer librement et de s’organiser pour avoir une place
dans la société (fondation d’écoles, de journaux et de banques).
Longtemps partagées entre conciliation et protestation, les
Black Churches ne s’engagent que progressivement dans un
combat pour la reconnaissance des droits des Noirs. À partir de
1955, emmenées par le pasteur Martin Luther King et aidées par
de nombreux autres mouvements luttant pour plus de justice
sociale, elles parviennent à partir du Civil Rights Act de 1964 à
obtenir une égalité civique complète entre Blancs et Noirs.
Aujourd’hui, la religion s’invite encore dans des questions
politiques et de société qui divisent nettement le pays : l’avortement et le mariage homosexuel. Plus il est pratiquant, plus
un Américain y sera opposé : 75 % en moyenne pour les deux
questions contre 18 % dans la population globale.
Sujet en autonomie - Religion et laïcité
aux États-Unis depuis 1890
Problématique : Quelles sont les relations entre religion et laïcité aux États-Unis depuis la fin du xixe siècle ?
Plan
1. Un État laïc marqué par une religion civile
– Liberté religieuse et séparation Églises/État
– Le christianisme marque les institutions
2. Des religions engagées dans des questions politiques
– Des Églises engagées pour les droits civiques des Noirs
– Le lobbying des Églises auprès des politiques
Sujet en autonomie - Diversité religieuse ou
américanisation des religions aux États-Unis
depuis 1890 ?
Problématique : En quoi la religion aux États-Unis reflète-telle à la fois la diversité, mais aussi une uniformisation liée à la
culture américaine ?
Plan
1. Une mosaïque religieuse...
– Un pays chrétien, majoritairement protestant
– Le pluralisme religieux
2. … à l’image de la société pluriethnique américaine...
– Une diversité religieuse née de l’immigration
– Des pratiques religieuses diverses, reflet de la diversité de la
population
3. … et porteuse des valeurs américaines
– Une société américaine marquée par les valeurs du
protestantisme
– Une diversité religieuse qui se fond dans une religion civile
– Des religions qui s’adaptent à la société américaine
◗ Étude de document(s)
Sujet guidé - Religion et société aux États-Unis
Présentation
Le document 1 est un extrait d’un discours du sénateur John
F. Kennedy, de confession catholique, devant l’association des
pasteurs de l’agglomération de Houston, Texas, le 12 septembre
1960. Il est alors candidat démocrate aux élections présidentielles, en pleine campagne électorale.
Chapitre 5 - Religion et société aux États-Unis depuis 1890
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à la fois la moralisation, mais aussi la réussite matérielle de la
société américaine. Le christianisme marque également la vie
politique et la démocratie américaines, s’imposant comme une
véritable religion civile. »
– Ouverture du sujet : « Si les États-Unis sont incontestablement un État laïc, les relations avec la religion sont plus apaisées
qu’en France, où l’État a développé des rapports plus conflictuels avec l’Église catholique. »
6. Rédiger le développement
Avec 80 % de leur population s’affirmant comme croyants, les
États-Unis sont un pays profondément marqué par la religion.
Au début du xxie siècle, les États-Unis restent un pays chrétien,
principalement protestant. Mais c’est un protestantisme de plus
en plus fragmenté : des mouvements religieux sont ainsi fondés
par des individus se déclarant prophètes tels que le mormonisme
(1830) ou les Témoins de Jéhovah (1873). En effet, pour les fidèles,
le chrétien ne sera sauvé que s’il a la foi et s’il étudie la parole
de Dieu, ce qui entraîne un foisonnement des dénominations,
puisque chacun peut interpréter la Bible à sa guise. De plus, la
modification de l’origine géographique des immigrants a accru
le pluralisme religieux. Le catholicisme est devenu la première
Église américaine, le pays accueille la plus importante diaspora
juive du monde, le bouddhisme et l’islam se sont implantés.
C’est surtout dans les villes que le paysage religieux est le plus
varié : New York compte plus de 100 religions différentes identifiées. Les émissions religieuses et les prêches des télévangélistes
occupent une grande place dans les programmes télévisés et les
films inspirés de la Bible comme Les Dix Commandements sont
de formidables succès commerciaux, tout comme la Bible dont
on trouve un exemplaire dans chaque chambre d’hôtel.
Les religions imprègnent la vie quotidienne, comme en
témoignent les succès de la Journée nationale de Prière (officialisée par la loi de 1988), de la fête de Thanksgiving, de Noël dont
le principal personnage (le Père Noël ou Santa Claus), est issu
de la tradition chrétienne et récupéré par la publicité comme
icône de la consommation. Enfin, avec près de 300 000 lieux
de culte, sans compter les bâtiments dépendant d’institutions
religieuses, les religions occupent l’espace et font des États-Unis
le seul pays développé où la pratique religieuse demeure importante. Les valeurs religieuses marquent aussi profondément la
société américaine.
Le protestantisme a profondément marqué la société américaine avec ses valeurs de liberté individuelle, de rigueur morale
et de vision tranchée du monde entre le bien et le mal.
Il reprend à son compte la vision de certains théologiens
européens du xvie siècle selon laquelle la réussite matérielle
accompagne celle de l’âme, et donne ainsi un sens positif à
la réussite et à l’enrichissement. Mais au début du xxe siècle,
les protestants comme les catholiques les plus conservateurs
refusent les changements de société et s’engagent dans un
combat contre l’évolution des mœurs ou de la science qui les
marginalisent progressivement. Au nom du créationnisme,
ils s’opposent au darwinisme sous prétexte que cette théorie
contredit la Bible. Ainsi en 1925, le « procès du singe » a un retentissement important auprès de l’opinion publique, lorsqu’un
jeune professeur de biologie est accusé devant les tribunaux
d’avoir enseigné la théorie de l’évolution.
Les croyants doivent aider leurs semblables par le biais des
œuvres de bienfaisance et les éduquer pour leur permettre de
trouver à leur tour le chemin de la réussite. Ainsi les Églises protestantes s’investissent dans l’éducation des plus défavorisés
ou luttent contre l’alcoolisme, fléau supposé ravager les classes
défavorisées (prohibition). La religion devient alors un acteur
essentiel dans le débat public.
Officiellement, les Églises et l’État américain sont séparés, mais
s’il existe une grande liberté religieuse, affirmée par le premier
amendement de la Constitution, le christianisme marque les
institutions.
Le document 2 est une photographie de presse prise à l’occasion de la prestation de serment du président Barack Obama, le
20 janvier 2008. On y voit le 44e président des États-Unis poser
la main sur la Bible fermée de Lincoln, tenue ici par son épouse.
Comme ses prédécesseurs, le président s’engage devant Dieu à
exercer au mieux ses fonctions.
Á partir de ces documents, comment se caractérisent les relations entre religion et société aux États-Unis ? Il convient de
montrer d’abord la séparation de l’Église et de l’État, puis l’affirmation de la liberté religieuse et enfin l’existence aux États-Unis
d’une véritable religion civile.
•
© Hachette Livre
Aux États-Unis, comme le rappelle J. F. Kennedy dans le
document 1, la « séparation de l’Église et de l’État est absolue » : depuis l’adoption du Premier amendement, en 1791, les
États-Unis se sont définis comme un État laïc. La séparation de
l’exercice de fonctions officielles et de la religion s’appuie sur
l’article 6 de la Constitution américaine. Cette volonté de séparation puise ses origines dans l’histoire du peuple américain. Les
premiers migrants, fuyant l’anglicanisme britannique intolérant,
veulent séparer la question religieuse et la question politique.
Premier président catholique, J. F. Kennedy entend rassurer les
électeurs en réaffirmant ce principe fondateur : il croit en une
« Amérique où une personne peut exercer des fonctions officielles même si sa religion diffère de celle du président qui le
nomme ou des suffrages qui l’élisent ».
Dans cette démocratie laïque, les religions peuvent donc se
développer sans entraves : « la liberté religieuse est une et indivisible » comme le rappelle JFK. L’État reste neutre en matière
religieuse, le choix d’une confession relevant de la sphère privée :
« Je crois en une Amérique qui n’est officiellement ni catholique,
ni protestante, ni juive […]. »
Là encore, cette tolérance s’explique par l’histoire du peuple
américain, faite de vagues de migrations successives, apportant
avec elles des cultures et des religions différentes. Si les premiers migrants appartenaient à différentes Églises protestantes,
au fil du temps, ils ont été rejoints par des catholiques, des juifs,
etc. Dans une société pluriethnique marquée par une mosaïque
religieuse, la tolérance est une valeur fondamentale qui garantit
« l’échafaudage de notre harmonieuse société ».
• Malgré tout, le fait de croire de manière commune en une
religion, quelle qu’elle soit, permet d’unir les citoyens et de renforcer le lien social. Les valeurs fondamentales du pays (liberté,
égalité, démocratie) s’en trouvent renforcées. C’est ce respect
mutuel que JFK appelle de ses vœux : « […] je crois en une
Amérique où l’intolérance religieuse finira par disparaître, où
tous les hommes et toutes les Églises seront traités sur un pied
d’égalité ».
C’est pourquoi on parle aux États-Unis de religion civile, car elle
est garante des vertus civiques qui soudent la nation et permet
à la démocratie de s’épanouir.
Lorsque Barack Obama prête serment, il le fait sur une Bible fermée, dont on ne connaît pas la tendance religieuse ; et lorsqu’il
demande « Que Dieu me prête assistance », la formule reste
suffisamment générale pour ne renvoyer à aucune religion en
particulier.
Ces deux documents montrent bien l’importance de la religion
dans la société américaine : même si officiellement les Églises
et l’État américain sont séparés, la société reste marquée par
les valeurs chrétiennes, qui font des États-Unis une démocratie
laïque avec une religion civile. L’expression « In God We Trust »
n’est-elle pas devenue la devise officielle du pays ?
70 • Chapitre 5 - Religion et société aux États-Unis depuis 1890
Sujet en autonomie - La religion au cœur de la vie
des Américains
Présentation
Le document 1 est un extrait de l’adresse inaugurale du président
John F. Kennedy, le 20 janvier 1961. Il a alors remporté les élections
présidentielles, à l’automne 1960, et s’apprête à diriger le pays.
Le document 2 est une reproduction d’un billet d’un dollar, sur
lequel est inscrite depuis 1923 la formule « In God We Trust »,
devenue à partir de 1956 la devise nationale.
• Une vie politique marquée par les valeurs religieuses.
– Le discours de JFK est imprégné de références religieuses ; il
se présente comme l’héritier des premiers dirigeants du pays, et
comme eux renouvelle le serment devant le peuple et devant
Dieu : « Car je viens de prêter serment devant vous et devant
Dieu tout-puissant comme nos ancêtres l’ont exigé il y a 175
ans ».
– Il rappelle que les Américains ont été « choisis » par Dieu,
pour porter dans le monde les valeurs de la liberté : « Dans la
longue histoire du monde, seules quelques générations se sont
vu attribuer le rôle de défendre la liberté, à l’heure où elle courait le plus grand danger. »
– Il demande aux Américains d’agir pour leur pays, avec l’aide
de Dieu, « demandant Sa bénédiction et Son aide, mais sachant
qu’ici sur terre l’œuvre de Dieu doit réellement être la nôtre ».
– On retrouve ici de nombreux marqueurs de la religion civile,
les références à Dieu étant en effet toujours très générales, et
servant à exalter le lien civique.
• Des valeurs religieuses qui imprègnent la vie économique.
– Adopté aux États-Unis dès la fin du xviiie siècle, le dollar est
plus qu’une simple monnaie d’échange : preuve de l’indépendance de la nouvelle fédération, il devient, comme le drapeau,
emblème national, et à ce titre porteur de valeurs.
– Les références religieuses y sont nombreuses : l’œil de
la Providence veille au sommet de la pyramide inachevée,
métaphore d’un pays puissant, dont l’ultime frontière reste à
conquérir. Dieu veille sur les États-Unis. La formule « Annuit
cœptis » (Il [Dieu] favorise nos entreprises) réaffirme la force
du lien qui unit les Américains à Dieu. La formule « In God We
Trust » (« Nous avons confiance en Dieu »), au centre du billet, a
été ajoutée en 1923. Elle est devenue la devise nationale à partir
de 1956.
– Objet de la vie quotidienne, le billet de un dollar rappelle à ses
utilisateurs les valeurs fondatrices du pays, où la réussite matérielle accompagne celle de l’âme. La réussite économique doit
avoir une contrepartie dans le développement des œuvres de
bienfaisance.
Sujet en autonomie - L’américanisation des religions
aux États-Unis : les megachurches
Présentation
Le document 1 est un extrait du livre de Sébastien Fath, Dieu
XXL, la Révolution des megachurches, paru en 2008, qui s’intéresse à ces « nouveaux hauts lieux du christianisme ». Les
megachurches sont des églises géantes, pouvant accueillir des
milliers de fidèles.
Le document 2 est une photographie de l’intérieur de l’une
d’entre elles, la Crystal Cathedral, en Californie, construite entre
1977 et 1980 pour accueillir 2 736 fidèles.
• La megachurch américaine devient la traduction matérielle et
spatiale des transformations affectant les pratiques religieuses
aux États-Unis.
Ainsi, comme l’explique le document 1, « avec l’arrivée des
mégapoles globalisées du troisième millénaire, voici venu le
“temps des megachurches” ». Adaptée à l’american way of life, la
et clairement identifié dans l’espace urbain en tant que tel.
La megachurch est également un geste architectural envoyé
à l’extérieur. Cela ne signifie pas que le bâtiment offre nécessairement des éléments architecturaux renvoyant à l’église
traditionnelle (croix, clocher, vitraux…), mais plutôt que le lieu
de culte indique clairement le rôle de la communauté dans
l’espace urbain et donc dans la société. C’est sans doute pour
cette raison que le terme de megachurch (tout comme le mot
« église ») renvoie autant au bâtiment qu’à une communauté.
© Hachette Livre
megachurch est la réponse à « un christianisme de masse adapté
à la civilisation de l’automobile et du numérique ».
La megachurch renvoie ainsi à la figure du centre commercial (le
mall) de la religion, au gigantisme, à la professionnalisation de
l’offre religieuse, à la multiplication des services non religieux
dans l’église (salle de sport, garderie, cafétéria…). • Le lieu de culte dit quelque chose de la communauté qui
l’habite : un des éléments constitutifs de la megachurch réside
dans le fait que le bâtiment est construit par la communauté
Chapitre 5 - Religion et société aux États-Unis depuis 1890
• 71
 3 Puissances et tensions dans le monde
de la fin de la Première Guerre mondiale à nos jours
 6
Les chemins de la puissance :
les États-Unis et le monde depuis 
p. 188-223
Thème 3 – Puissances et tensions dans le monde de la fin de la Première Guerre mondiale à nos jours
Question
Mise en œuvre
Les chemins de la puissance
Les États-Unis et le monde depuis les « 14 points » du président Wilson (1918)
© Hachette Livre
◗ Nouveauté du programme de terminale
• Les programmes antérieurs étudiaient les relations internationales. Ils n’étaient pas centrés sur la notion de puissance mais
sur la transformation des contextes depuis 1945, l’alternance
entre phases de tensions et phases de détente, l’analyse des
types de conflits. Dans ce cadre, les États-Unis étaient souvent
évoqués mais leur rapport au monde n’était pas l’objet d’étude.
• Le recul historique met en lumière la nouveauté que constitue,
dans l’histoire des États-Unis, l’exercice assumé de la puissance
depuis la Seconde Guerre mondiale. Le pays disposait auparavant
de nombreux leviers d’influence mais se refusait à les employer
pour peser sur la scène internationale. On ne comprend ce refus
que si l’on prend en compte les contraintes qu’impose l’hégémonie : « la puissance ne vient pas seule, elle vient avec des
responsabilités », rappellent P. Hassner et J. Vaïsse (2003).
• La question aborde sous un angle historique la notion de puissance et complète ce qui se fait depuis longtemps, à cet égard,
en géographie. La définition qu’en propose le géographe Gérard
Dorel, spécialiste des États-Unis, est au demeurant éclairante
pour l’aborder : « Une puissance mondiale, c’est un État qui dans
le monde se distingue non seulement par son poids territorial,
démographique et économique mais aussi par les moyens dont
il dispose pour s’assurer d’une influence durable sur toute la planète en termes économiques, culturels et diplomatiques. »
• Les puissances diffèrent par ces éléments mais aussi par la
cohérence de leur projet, les acteurs qui modulent leur rapport au monde. Leur hiérarchie se recompose au fil du temps.
Le programme n’en retient que deux. Faut-il penser que la planète serait désormais régentée par ce que d’aucuns nomment
la « Chinamerica » ? En vérité, sans être multipolaire, le monde
de ce début de xxie siècle compte d’autres pôles d’influence
que la Chine et les États-Unis. Les nations européennes, prédominantes avant 1914, n’ont pas disparu de la scène et il est
d’autres puissances émergentes que la Chine. Il s’agit plutôt de
sensibiliser les élèves aux démarches de l’analyse géopolitique
en comparant des cas plutôt que de clore arbitrairement à deux
la liste des puissances d’aujourd’hui - et de demain.
• Mesurons à grands traits ces différences entre la Chine et les
États-Unis :
– Le rapport au temps n’a rien de commun. La Chine est un
très vieil État qui fut des siècles durant une grande puissance,
« l’Empire du Milieu ». La conviction de cette centralité et l’humiliation ressentie durant l’abaissement des années 1840-1949
ont marqué la conscience nationale chinoise. Elles éclairent
la volonté de revanche qui sous-tend les ambitions actuelles.
Les États-Unis sont à l’inverse une jeune nation qui a fait au
xxe siècle l’expérience de la puissance.
– Leur trajectoire sur le siècle écoulé diverge. La Chine n’était
plus une puissance en 1919 : pauvre, pétrie d’archaïsmes, elle
n’était qu’un enjeu des rivalités entre les puissances d’alors
tandis que les États-Unis constituaient déjà la première éco72 • Chapitre 6 - Les chemins de la puissance :
nomie mondiale. La Grande Guerre agit comme un révélateur.
La relation des États-Unis au monde depuis lors est l’histoire
d’une conversion réticente à l’acceptation de responsabilités en
accord avec leur poids effectif.
– Si le processus n’est pas linéaire, il se développe dans des
cadres socio-économiques et politiques stables. La Chine n’est à
l’inverse devenue que très récemment une puissance et ne s’est
arrachée à la pauvreté qu’au prix de convulsions dramatiques qui
ont fortement interagi avec sa relation au monde.
– La Chine reste par bien des aspects un pays en développement tandis que les États-Unis disposent de tous les leviers
d’influence. Mais l’apogée de leur puissance n’appartient-il
pas au passé ? Pronostiquer la fin de « l’empire américain »
est hasardeux, mais nombreux sont les signes d’un recul relatif - à l’instar de celui, général, du monde occidental face aux
puissances émergentes. La puissance chinoise est, elle, en devenir mais reste incomplète (voir le chapitre suivant).
◗ Problématiques scientifiques du chapitre
La mise en œuvre doit éviter l’écueil du « géographisme » qui
érige l’espace en sujet des évolutions qu’il connaît : pour les
États-Unis comme pour la Chine, analyser un « chemin vers
la puissance », c’est identifier les acteurs qui fixent un horizon
et mettent en œuvre les moyens pour l’atteindre, avec d’éventuelles divergences entre eux, tant sur les objectifs que sur les
stratégies.
• Nationalisme ou isolationnisme dans les années 1920 ?
On a longtemps vu dans l’attitude des présidents républicains
des années 1920 un simple retour à l’isolationnisme. Divers historiens dont Denise Artaud (La Question des dettes interalliées
et la reconstruction de l’Europe, Champion, 1978) ont montré
qu’il convenait plutôt de parler de nationalisme. Il y a certes des
crispations identitaires. Elles ne résument pas à elles seules les
attitudes de la société états-unienne face au monde et les autorités agissent en Amérique latine comme en Extrême-Orient ou
en Europe. Le véritable isolationnisme est consécutif à la crise
de 1929.
• L’impérialisme américain, mythe ou réalité ?
Le terme est fréquemment employé : même s’il n’a pas toujours
le contenu précis que Lénine lui donnait, il sous-entend que la
politique étrangère de Washington serait tributaire d’intérêts
économiques. Qu’il s’agisse des « Quatorze Points » de Wilson
ou du plan Marshall, le but serait partout et toujours de favoriser
les grandes entreprises états-uniennes. On invoque la formule
prononcée par Charles Erwin Wilson, le président de General
Motors pressenti par Eisenhower pour devenir son secrétaire
à la Défense. Auditionné par les sénateurs qui objectaient un
possible conflit d’intérêts, il rétorqua : « Ce qui est bon pour
l’Amérique est bon pour General Motors et vice-versa ». Le
débat sur cette question est autant idéologique que scientifique
et nécessiterait de longs développements (cf. Henry Laurens,
les États-Unis et le monde depuis 1918
◗ Quelques notions clés du chapitre
• Isolationnisme : volonté de s’engager le moins possible dans
les affaires internationales, pour préserver de toute contagion le
modèle que représenterait l’expérience américaine, pour garder
intacte la souveraineté des États-Unis, ou pour éviter de voir le
pays entraîné dans des « complications qui n’ont rien à voir ou
presque avec nous » (G. Washington).
• Hyperpuissance : pays dont l’influence mondiale est incontestée dans la plupart des domaines. Le terme est employé par
le ministre français des Affaires étrangères Hubert Védrine au
sujet des États-Unis que la fin de l’URSS a laissé sans rival à leur
niveau.
• Heartland/Rimland : ces notions, élaborées par les géopoliticiens du début du xxe siècle, éclairent la géostratégie des
États-Unis. L’Anglais Halford J. Mackinder insiste sur l’importance du Heartland, le cœur du continent eurasiatique : « qui
gouverne l’Europe de l’Est domine le Heartland ; qui gouverne
le Heartland domine l’île mondiale ; qui gouverne l’île mondiale
domine le monde » (« l’île mondiale » est l’ensemble que forment les continents de l’Ancien Monde). Cette « île » peut être
contrôlée par les puissances maritimes à la condition qu’aucune
puissance continentale ne soit en état de les exclure de l’Eurasie,
seule ou associée à une autre. L’Américain Nichols J. Spykman
prolonge Mackinder dans un ouvrage publié en 1942, America’s
Strategy in World Politics : comme l’avait fait l’amiral Mahan,
dont le livre The Influence of Sea Power upon History, 1660-1783
(1890) avait incité les cercles dirigeants états-uniens à soutenir
le développement de la marine de guerre, Spykman insiste sur
l’importance du Rimland, « le bord des terres », entre le cœur
de l’Eurasie et les mers. Dans le contexte de la Seconde Guerre
mondiale, il légitime ainsi l’alliance entre les Anglo-Américains
et les Soviétiques pour interdire à l’Allemagne le contrôle
durable du Rimland. La stratégie du containment transposera ce
schéma : elle s’emploie à tenir l’URSS éloignée des rivages, de la
Méditerranée au Pacifique oriental.
• Multilatéralisme/unilatéralisme : jouer un rôle international en concertation avec les autres nations ou bien en toute
souveraineté : la puissance américaine est confrontée à cette
alternative. Elle définit des attitudes diverses face au monde en
croisant l’autre axe structurant, qui oppose l’isolationnisme à
l’internationalisme (Pierre Melandri, Serge Ricard, Régine Perron
et André Béziat, L’Harmattan, 2008). Cela étant, il existe toute
une gradation entre « internationalistes libéraux » dans la lignée
de Wilson (Roosevelt, Kennedy), « réalistes gestionnaires »
(Kissinger, G. Bush) et « hégémonistes néo-fondamentalistes »
du type G.W. Bush (J. Vaïsse et P. Hassner, Washington et le
monde, 2003).
◗ Débat historiographique
Plusieurs pôles interviennent. En la matière, le pouvoir exécutif est lui-même polycentrique : le président ne décide pas seul.
Plusieurs instances l’informent et le conseillent, qui ne partagent
pas toujours les mêmes vues, loin s’en faut : outre le secrétariat
d’État chargé de la diplomatie et celui de la Défense, qui ont par
nature des approches différentes, interviennent depuis 1947 un
Conseil National de Sécurité et la Central Intelligence Agency
(CIA) chargée du renseignement et des opérations officieuses
à l’étranger. Le Sénat, chargé de ratifier les traités, exerce un
droit de regard vigilant sur la politique étrangère : soucieux
de représenter les électeurs plutôt que de soutenir l’exécutif,
il est toujours un partenaire difficile, aucune majorité n’y est
automatique. Il y a tout un jeu d’interactions avec les « forces
profondes » (J.-B. Duroselle et P. Renouvin) : milieux d’affaires ;
opinion publique structurée par les partis politiques et les
médias ; les syndicats, les lobbies, les Églises et associations de
tout type ; les think tanks, ces fondations d’études privées de
toutes tendances.
Entre ces acteurs, le malentendu est fréquent (G. Parmentier,
« Politique intérieure et politique extérieure aux États-Unis : la
parenthèse du xxe siècle ? », Politique étrangère n° 3-4, automnehiver 2000). En fin de compte, « il est […] totalement faux de
se représenter l’Amérique comme un individu conscient doté de
plusieurs pouvoirs dont il userait à sa discrétion » (P. Melandri et
J. Vaïsse, 2001).
◗ Bibliographie sélective
• Ouvrages
P. Buhler, La Puissance au xxie siècle. Les nouvelles définitions du
monde, CNRS Éditions, 2011.
G. Dorel, Atlas de l’empire américain : États-Unis, géostratégie de
l’hyperpuissance, éditions Autrement, 2006.
P. Hassner et J. Vaïsse, Washington et le monde. Dilemmes d’une
superpuissance, CERI-Autrement, 2003.
A. Kaspi, Les Américains, Seuil, 2 tomes (le 1er de 1607 à 1945, le
second de 1945 à nos jours), nouvelle édition, 2008.
P. Melandri et J. Vaïsse, L’Empire du milieu. Les États-Unis et le
monde depuis la fin de la Guerre froide, éditions Odile Jacob,
2001.
Y.-H. Nouailhat, Les États-Unis et le monde au xxe siècle, Armand
Colin, 2003.
• Articles et publications pédagogiques
« Les défis de la présidence Obama », Questions internationales,
La Documentation française, n° 39, sept-oct. 2009.
« Géopolitique des États-Unis, la fin de l’empire américain ? »,
Diplomatie, Les grands dossiers n° 3, juin-juil. 2011.
« L’empire américain », L’Histoire, Les Collections de l’Histoire
n° 7, fév. 2000.
J. Portes, « Histoire et cinéma aux États-Unis », La Documentation
photographique, n° 8028, 2002.
Sites internet
www.french-american.org : site de la France American
Foundation, organisme voué au développement des relations
franco-américaines (en français).
http://www.thucydide.com : l’association Thucydide propose
un dossier fourni sur la politique étrangère américaine.
http://www.ifri.org/ : l’Institut français des relations internationales présente son programme États-Unis.
www.vaisse.net : le site du chercheur Justin Vaïsse indique
bibliographies et directions d’études.
http://www.sciences-po.fr/cartographie/ et http://www.ladocumentationfrancaise.fr/cartes : deux sites qui proposent des
cartes historiques fort utiles.
Introduction au chapitre
p. 188-189
Le chapitre est consacré à l’étude des manifestations de la
puissance des États-Unis, des processus par lesquels elle s’est
affirmée au xxe siècle et de ce qu’il en est de nos jours. La problématique essentielle est la mutation d’un pays qui refusa
longtemps les contraintes de la puissance pour finalement les
accepter dans la décennie 1940. Il importe donc d’identifier les
acteurs qui ont contribué à cette métamorphose, leurs mobiles
et leurs moyens. La confrontation entre ces deux images résume
la tension entre deux attitudes face au monde, et singulièrement
face à l’Europe, matrice de l’expérience américaine.
Chapitre 6 - Les chemins de la puissance : les États-Unis et le monde depuis 1918
• 73
© Hachette Livre
L’Empire et ses ennemis. La question impériale dans l’histoire, Seuil,
2009). Mais les historiens qui examinent les relations entre
milieux d’affaires et décideurs politiques montrent des interactions ambivalentes : les seconds ne sont certes pas indifférents
aux intérêts des premiers mais ils utilisent tout autant la puissance des Corporations comme levier d’influence au service
d’objectifs généraux. C’est ainsi que le plan Marshall s’inscrit
dans une approche résolument géopolitique des questions européennes (G. Bossuat, L’Europe occidentale à l’heure américaine.
Plan Marshall et unité européenne, 1945-1952, éd. Complexe, 1992).
→Doc. 1 : « L’unique moyen de la sauver [la démocratie] ».
Rester à l’écart des drames extérieurs pour préserver le meilleur de l’Amérique, telle est l’attitude que préconise en 1939 le
célèbre dessinateur Carrey Orr. Il est en accord avec des millions de ses concitoyens, dont certains très éminents au sein du
comité America First - le grand aviateur C. Lindbergh en est le
porte-parole. L’allégorie de la démocratie supplie les autorités
(l’Oncle Sam symbolise le pays par son habit aux couleurs du
drapeau mais il est aussi le président, avec les traits de Lincoln,
et le Capitole, en arrière-plan, abrite le Congrès) de rester à
l’écart de l’Europe en flammes - dans l’inscription sur la rive, l’adjectif mad (insensée) peut qualifier tant la guerre que l’Europe.
→Doc. 2 : Cimetière américain d’Omaha Beach (Normandie),
6 juin 1984.
La photographie du couple présidentiel rendant hommage dans
le cimetière américain de Colleville-sur-Mer aux soldats tués en
Normandie illustre le prix à payer pour l’acceptation des responsabilités internationales. Les pertes furent particulièrement
élevées sur la plage d’Omaha Beach, en contrebas (le nom de
code est tiré d’une ville du Nebraska). On décida donc d’inhumer
là les 9 386 militaires américains tombés le 6 juin 1944 ou les
jours suivants, dont le général Théodore Roosevelt Junior. Né
en 1887, il était le fils aîné du président T. Roosevelt : banquier
et homme politique, il se porta volontaire pour participer aux
combats et mourut en Normandie en juillet 1944. L’hommage
présidentiel aux « morts pour la patrie » à l’occasion du quarantenaire du D-Day traduit la conscience du tribut à payer pour
accéder à la puissance. La présence des deux drapeaux indique
que ces soldats sont morts aussi pour libérer la France (l’Europe)
du nazisme.
→Frise
Elle met en évidence les 4 temps du rapport au monde depuis
1918 :
– le refus des contraintes de la puissance jusqu’en 1941 : malgré
le rôle-clé joué par Wilson durant la Conférence de la Paix, le
pays revient à un isolationnisme aggravé après le krach boursier
de 1929 ;
– la séquence 1941-1962 transforme les États-Unis en puissance
impériale : leur rôle militaire, stratégique et diplomatique durant
la Seconde Guerre mondiale puis la Guerre froide les conduit à
accepter des responsabilités de niveau planétaire ;
– de 1962 à 1991, cette puissance s’exerce dans le cadre d’un
monde bipolaire : les États-Unis organisent un modus vivendi avec le bloc soviétique mais restent une « nation sous les
armes » ;
– l’implosion du bloc soviétique en 1989-1991 inaugure une
séquence incertaine : les États-Unis demeurent l’unique grande
puissance mais présentent des signes de déclin relatif et doivent
faire face à de nouvelles menaces (attentats du 11 septembre
2001) ainsi qu’au réaménagement des équilibres géopolitiques.
Repères
p. 190-193
Le rapport des États-Unis au monde
© Hachette Livre
Ces pages évoquent les paramètres durables qui influencent le
rapport des États-Unis au monde (des idéologies, un cadre institutionnel) puis la partie 2 présente une vue synthétique des
étapes par lesquelles passe le rapport des États-Unis au monde
depuis 1914.
→Doc. 1 : Les trois principes fondateurs.
Il y a des principes de référence, une vision de ce que doit être
la puissance américaine qui présentent un mélange de permanence et de changement. Affirmés durant les premières
décennies d’existence de la République agraire que sont alors les
États-Unis, ils gardent une grande force.
1a. Le messianisme. Thomas Paine est un homme politique
et un pamphlétaire. Né en Angleterre en 1737, il émigre en
Amérique du Nord et se rallie à la cause des Insurgents qu’il
défend par la plume : ses essais, Le Bien public puis Le Sens
commun, influencent la formation de la conscience politique
américaine. Tirée de ces écrits, la formule du manuel traduit
une ambition qui emprunte à la fois à la religion (les puritains
voulaient refaire un monde vierge des « péchés » qui accablent
l’Europe) et aux Lumières (l’humanité peut progresser, atteindre
le bonheur). John O’Sullivan est un journaliste qui justifie, en
1845, par l’expression de « Destinée manifeste » l’annexion du
Texas. Il entend par là le caractère « providentiel » de la colonisation du continent nord-américain par « les Anglo-Saxons de la
côte Est ». La « destinée manifeste » des États-Unis est de peupler le continent et d’y répandre leurs institutions, parce qu’elles
sont supérieures à toutes les autres.
1b. L’isolationnisme. Sollicité par la France du Directoire pour
l’aider à combattre l’Angleterre au nom de la solidarité entre
républiques et de l’aide française aux Insurgents, Georges
Washington refuse en arguant des risques d’engrenage que présenterait un tel engagement dans les « incessantes querelles
européennes ». Confronté à une situation analogue puisqu’il est
président de 1801 à 1809, Thomas Jefferson achète la Louisiane
(vallée du Mississippi) à la France de Bonaparte mais se garde
bien d’entraîner son pays dans les guerres européennes.
1c. « L’Amérique aux Américains ». James Monroe préside les
États-Unis de 1817 à 1825 : il reconnaît d’emblée les républiques
nées de la dislocation de l’empire espagnol d’Amérique du Sud
et du centre et refuse toute intervention européenne dans les
affaires du continent américain : sa « doctrine » est en vérité
une mise en garde à l’Angleterre tentée de prendre le relais des
puissances ibériques.
→Doc. 2 : Les nouvelles formes de la puissance.
Joseph Nye est un universitaire né en 1937 : il enseigne la géopolitique à Harvard après avoir exercé des responsabilités dans les
Administrations Carter puis Clinton. Libéral au sens américain
du terme, il estime que son pays doit jouer un rôle central en
usant de la persuasion plus que de la force unilatérale dans un
monde caractérisé par des interdépendances généralisées. Il fait
partie, comme Fukuyama, Huntington et d’autres, de ces cercles
intellectuels qui réfléchissent au changement des « règles du
jeu » international autour de 1989-1995 : ces cercles sont liés
aux Administrations et leurs idées ont de l’importance (Pierre
Hassner, « Le Rôle des idées dans les relations internationales »,
Politique étrangère, revue de l’IFRI, n° 3-4, 2000). Le livre de Nye
a vulgarisé la notion de soft power.
→Doc. 3 : La prise de décision en politique étrangère.
L’organigramme récapitule les principaux acteurs institutionnels de la politique étrangère. Elle est avant tout coproduite par
le président, qui négocie, et le Sénat, qui ratifie les traités. On
mesure que l’opinion est un arbitre que nul ne peut négliger, ne
serait-ce qu’en raison de la répétition d’échéances électorales
décisives tous les deux ans, soit en année d’élection présidentielle, soit lors des élections de mi-mandat qui renouvellent tous
les représentants et un tiers des sénateurs, exposant le président à devoir composer avec une majorité hostile au Congrès.
La CIA et le Conseil national de sécurité sont apparus en 1947.
→Doc. 4 : L’essor des États-Unis entre 1896 et 1914.
Les années 1890 à 1914 enregistrent un rapide essor démographique (dû à une immigration massive) et économique : à la
veille de la Grande Guerre, l’industrie états-unienne pèse à elle
seule davantage que celles cumulées des trois principales économies européennes.
74 • Chapitre 6 - Les chemins de la puissance : les États-Unis et le monde depuis 1918
La puissance des États-Unis reste incomplète, y compris sur le
plan économique : en comparaison des grands pays banquiers
que sont le Royaume-Uni et la France, les États-Unis n’ont
qu’un rôle modeste en 1914. Leurs firmes ont d’énormes besoins
d’investissement qu’elles financent en partie en empruntant à
Londres.
→Doc. 6 : La CIA (central Intelligence Agency).
Cette vue du centre opérationnel de la CIA rappelle que cette
agence fédérale, qui dispose comme toute autre (la NASA, la
Réserve fédérale, etc.) d’une réelle autonomie par rapport à l’Administration (le président et ses équipes), joue un rôle important
dans le rapport des États-Unis au monde depuis sa création. On
estime qu’elle emploie en 2010 autour de 25 000 personnes et
dispose d’un budget proche de 10 milliards de dollars.
→Carte 1 : Le monde vu des États-Unis depuis 1991.
La carte du monde vu des États-Unis synthétise les éléments qui
font du pays la grande puissance planétaire. Elle évoque leurs
atouts : les alliés, les bases, l’US Navy, des formes d’influence
identifiées à des lieux : Hollywood, pour la capacité à inonder le
monde d’images reflétant l’American way of life ; Silicon Valley,
pour le leadership en matière d’innovation technologique, informatique notamment ; Boston, pour cela aussi et l’excellence
universitaire (Harvard, MIT) ; Washington, qui accueille les institutions de la gouvernance économique mondiale et New York,
la « ville-monde », où siège l’ONU. Peu nombreux sont les pays
jugés menaçants, mais les stratégies déployées pour atteindre
les objectifs prioritaires ont cependant entraîné le pays dans plusieurs interventions militaires depuis 1991, sous mandat onusien
ou non.
◗ Réponse à la question
1. La position le long de rivages de la plupart des alliés, celle
des bases en plein océan, le déploiement des flottes de guerre
rappellent que les États-Unis sont une puissance maritime. Leur
volonté d’intégrer le continent américain (en en faisant une
vaste zone de libre-échange) et le nombre conséquent d’interventions récentes en Amérique centrale et dans les Antilles
indiquent qu’ils sont aussi une puissance continentale.
Étude 1
p. 194-195
America first
L’étude est focalisée sur les tergiversations des États-Unis entre
rôle actif sur la scène internationale et maintien de l’isolationnisme dans la séquence qu’ouvre la Grande Guerre. Elle évoque la
pluralité des acteurs qui modèlent le rapport du pays au monde
et évalue l’exacte portée du repli consécutif à l’échec du wilsonisme. Elle est ce faisant en cohérence avec une interrogation
centrale du chapitre : pourquoi l’Amérique a-t-elle longtemps
hésité devant l’acceptation de responsabilités internationales conformes à son poids ? Les discours 1 et 2 confrontent les
deux institutions-clés en matière de politique étrangère.
→Doc. 1 : Les « Quatorze Points » du président Wilson.
Le président W. Wilson prononce le 18 janvier 1918 ce discours
devant le Congrès. Moins d’un an après l’entrée en guerre des
États-Unis, c’est le programme de paix que leur président entend
défendre auprès des Américains mais aussi auprès des « associés » européens. Le propos s’inscrit dans le contexte marqué
par la révolution qui, en novembre 1917, a porté les bolcheviks
au pouvoir en Russie. Lénine s’empresse de proposer une paix
immédiate aux empires centraux et appelle les peuples d’Europe
à exiger de leurs gouvernants la même mesure. Les dirigeants
de l’Entente craignent une contagion révolutionnaire, après
une année 1917 marquée par une « fatigue des peuples » qui a
suscité grèves et mutineries. En réaction, Wilson espère susciter un espoir de paix durable qui ne passe pas par la révolution
anticapitaliste mais par une « nouvelle diplomatie ». Par-delà les
membres du Congrès, il s’adresse ici aux peuples d’Europe. On
peut regrouper les clauses en deux grandes catégories.
Une New Diplomacy (points 1 à 4, 14).
Point 1 : certaines clauses des traités d’alliance signés entre
partenaires de la Triple Alliance comme de la Triple Entente,
notamment celles relatives à l’automaticité des engagements,
étaient tenues secrètes, ce qui a pu conduire les gouvernements
à sous-estimer les risques d’escalade du conflit en juilletaoût 1914. L’idée selon laquelle la transparence des débats est
nécessaire renvoie aussi à une caractéristique essentielle de
la démocratie américaine, le rôle du « quatrième pouvoir », la
presse en 1918.
Point 3 : la défense du libre-échange est à la fois conforme aux
intérêts des États-Unis à cette étape de leur développement
(toute puissance économique dominante, plus compétitive que
ses rivaux, ils ont intérêt au libre-échange : telle fut la position
de l’Angleterre « atelier du monde » au xixe siècle) et à la conviction selon laquelle « le doux commerce » (Voltaire) est vecteur
de connaissance mutuelle entre les peuples et donc de paix.
Alors que les États-Unis furent protectionnistes après la guerre
de Sécession, Wilson avait du reste amorcé avant la guerre la
réduction de leurs droits de douane.
Point 4 : les États-Unis d’alors ne sont pas une grande puissance
militaire : si leur marine de guerre a été développée, en l’absence
de conscription, jugée attentatoire à la liberté individuelle en
temps de paix, leurs forces terrestres sont modestes. Réduire les
armements ne saurait donc leur nuire ; il y a aussi sous-jacente
l’idée selon laquelle la course aux armements menée par les
puissances européennes avant 1914 a contribué au conflit.
Point 14 : l’idée de sécurité collective n’est pas totalement nouvelle : le philosophe E. Kant avait songé à quelque chose de ce
genre pour garantir « la paix perpétuelle » dont rêvaient les
Lumières ; il en avait été beaucoup question dans l’Europe des
années 1890 autour de Léon Bourgeois notamment. Mais Wilson
est le premier chef d’État à vouloir traduire l’idée en acte. Ce
point est le dernier, donc le plus important.
Le « principe des nationalités » (points 8 à 13).
D’une part, Wilson assume ici une partie des revendications des
« associés » européens - associés et non alliés pour la simple raison que les États-Unis ne sont en rien liés par les buts de guerre
que les pays de l’Entente et l’Italie ont préalablement fixés
entre eux. D’autre part, en posant en règle générale, « le droit
des nationalités », il entend canaliser par avance leurs désirs
d’expansion.
→Doc. 2 : Déclaration du Sénat des États-Unis sur la Société
des Nations, à l’initiative du sénateur républicain H. Cabot
Lodge, votée le 19 mars 1919.
La démarche de Wilson heurte les habitudes et les intérêts des
membres du Congrès, comme le montre cette intervention, le
19 mars 1920, Henry Cabot Lodge, président républicain de la
puissante Commission des Affaires étrangères du Sénat. Lors du
débat de ratification des traités, les républicains, majoritaires au
Sénat, refusent de ratifier tant le traité de Versailles que le pacte
de la Société des Nations (le « Covenant », rédigé par Wilson)
qui y était joint - en mars 1920, 7 voix manquent pour atteindre
la majorité des deux tiers requise pour ratifier un traité (49 pour
et 35 contre la ratification).
Par-delà les motifs explicités ici, joue aussi le refus du Sénat de
se voir en quelque sorte dépossédé de son rôle : dès lors qu’il
y aurait automaticité des obligations imposées aux États-Unis
comme à tout autre membre de la SDN, qu’il s’agisse de désarmer, de cotiser, de sanctionner, alors le pouvoir de l’institution
chargée d’élaborer avec le président la politique étrangère diminuerait. Un calcul électoral intervient également : ratifier les
Chapitre 6 - Les chemins de la puissance : les États-Unis et le monde depuis 1918
• 75
© Hachette Livre
→Doc. 5 : Une influence financière mondiale limitée.
traités négociés en Europe par Wilson, c’eût été favoriser l’adversaire démocrate lors de l’élection présidentielle de novembre
1920. Et aller à contre-courant d’une opinion dont tout indiquait
qu’elle souhaitait « le retour à la normale » promis par celui qui
devient le candidat républicain à la Maison-Blanche, Harding.
→Doc. 3 : « Un pèlerin aborde l’Amérique », caricature américaine de Nelson Harding, 1919.
Cette caricature évoque l’hostilité du parti républicain envers
Woodrow Wilson (W.W. sur sa sacoche) mais surtout envers son
« Covenant » prévoyant la « Ligue des nations ». Elle date du
retour du président aux États-Unis après la signature du traité
de Versailles le 28 juin 1919.
→Doc. 4 : Les effets des lois des quotas : nombre annuel d’immigrants aux États-Unis par origine.
Les deux lois des quotas ont été votées à une large majorité par
le Congrès : l’une, provisoire, en 1921 ; l’autre, plus restrictive,
en 1924, n’autorise l’immigration européenne qu’à hauteur de
2 % de chaque « nationalité » présente sur le sol états-unien au
recensement de 1890. Elles resteront en vigueur jusqu’en 1965.
On note qu’elles n’affectent pas l’immigration venue d’Amérique latine, qui constitue l’essentiel des « autres origines » en
1930 (les Latino-Américains représentent exactement 46 % de
tous les immigrants aux États-Unis en 1928 contre moins de 4 %
avant la guerre) : les quotas ne s’appliquent pas aux habitants du
continent américain, « doctrine de Monroe » oblige.
→Doc. 5 : Les investissements des États-Unis à l’étranger de
1919 à 1935, en millions de dollars.
Le tableau porte sur les flux privés comme publics. Il doit se lire
à la fois dans le temps et en examinant la répartition géographique des investissements.
◗ Réponses aux questions
© Hachette Livre
1. Les 4 premiers points résument la « New Diplomacy » prônée par Wilson. Il s’agit d’éradiquer les pratiques qui ont, selon
lui, conduit à la guerre, en négociant au grand jour les traités
internationaux. La liberté de navigation sur les mers fait écho à
l’indignation ressentie aux États-Unis après les attaques de sousmarins allemands contre des navires américains alors que le pays
était encore neutre. « La suppression […] de toutes les barrières
économiques » (tarifs douaniers prohibitifs, contingentements,
etc.) prolonge et complète le point 2. Le point 4 préconise des
politiques concertées de réduction des armements. Au total,
Wilson compte sur la transparence, le commerce et le désarmement pour assurer une paix durable.
2. Les points 8 à 13 découlent du « principe des nationalités » :
l’idée est qu’il convient de remanier la carte politique de l’Europe de sorte que chaque peuple ait sinon son indépendance (la
Pologne au point 13) du moins son autonomie (ce que propose
le point 10 aux peuples non germanophones de l’Autriche-Hongrie) et de redessiner au besoin les frontières d’États existants
afin de les faire coïncider avec les nations : le point 8 prévoit de
restituer à la France l’Alsace-Moselle annexée par l’empire allemand en 1871, le 9 d’attribuer à l’Italie les « terres irrédentes »,
c’est-à-dire intégrées dans l’empire austro-hongrois bien que
peuplées d’italophones. Le point 14 propose une institution
inédite : une « association générale des nations » appelée à
garantir « [l]’indépendance […] et [l]’intégrité territoriale aux
grands comme aux petits États », une instance supranationale
d’arbitrage des différends internationaux et ayant pouvoir de
sanction. La Société des Nations sortira de cette proposition.
3. Cabot Lodge oppose au wilsonisme les principes isolationnistes : les États-Unis doivent garder entière leur souveraineté,
éviter d’être mêlés contre leur gré aux « complications » internationales qui ne les concernent pas directement. L’adhésion
à la SDN heurterait ce principe puisqu’elle impliquerait la mise
en œuvre de décisions prises en commun par une majorité de
membres. Elle contredirait aussi selon l’orateur « la doctrine de
Monroe » qui réserve aux seuls Américains le soin de régler les
différends sur leur continent.
4. Absent du pays plusieurs mois durant, le président Wilson, à
peine débarqué sur le sol américain, est accueilli par des républicains assimilés sur cette image aux tribus amérindiennes qui
tentèrent de repousser les premiers immigrants européens (les
Pilgrim Fathers », les « Pères pèlerins » débarqués du Mayflower
près du cap Cod en 1620). Wilson est seul comme étaient peu
nombreux ces pionniers (102 émigrants sur le Mayflower), il est
seul parce que son « Covenant » n’est pas a priori populaire en
Amérique. Si l’on superpose termes à termes les situations, les
« vrais Américains » pourraient être ces « Indiens » : ils sont en
tout cas les premiers occupants. Mais l’ironie du dessinateur ne
s’exerce-t-elle pas au fond à la fois contre eux (être assimilé aux
« Indiens » n’est pas flatteur dans l’Amérique d’alors) et contre
Wilson, tout entier identifié à son « projet de ligue des nations »,
transformé en parchemin ?
5. Les lois des quotas font chuter le nombre annuel d’entrées
de plus d’un million de personnes avant la guerre à un peu plus
de 200 000 en 1930. Elles affectent peu les migrants originaires
des îles britanniques : leurs ancêtres étaient nombreux dans la
population états-unienne en 1890, les Britanniques n’émigrent
plus beaucoup après 1900. Elles restreignent surtout l’immigration venue d’Europe méditerranéenne : les Italiens en particulier
étaient nombreux dans la « nouvelle immigration » non WASP
apparue à partir des années 1890.
6. Les États-Unis sont devenus un pays banquier à la faveur de
la Grande Guerre. Ils le restent dans la décennie 1920 : le montant total des investissements à l’étranger de leurs banques, de
leurs firmes industrielles ou de leur Trésor public fait plus que
doubler entre 1919 et 1929 ; la destination des flux ne change
pas : l’Amérique latine et l’Europe sont privilégiées mais les flux
financiers avec le Canada prennent aussi de l’importance. On
a en revanche un reflux des sorties de capitaux après 1929, au
détriment de l’Europe notamment. Les firmes états-uniennes,
plongées dans la crise, manquent de ressources pour investir
hors des frontières et ont du reste rapatrié après le krach une
part des capitaux engagés à l’étranger. Par ailleurs, le marasme
étant général, le besoin d’investir, chez soi ou hors des frontières, a reculé.
◗ Texte argumenté
Aux États-Unis, des forces puissantes rejettent la volonté d’engagement international du président Wilson après la Grande Guerre.
Le Sénat ne veut pas se dessaisir des pouvoirs qui sont les siens
en matière de politique étrangère. Le parti républicain combat le
« traité de Wilson ». L’opinion n’accepte pas l’abandon de l’isolationnisme. Elle a toléré l’engagement dans la guerre pour soutenir
les démocraties de l’Entente mais refuse des engagements contraignants auprès d’une Europe qui l’inquiète à nouveau : elle est terre
de révolution (la « peur des Rouges » saisit l’Amérique suite à la
révolution bolchevique) et d’émigration jugée déstabilisante pour
une « identité américaine » confondue avec les seuls WASP. Le
candidat républicain Harding et son slogan « America first » remportent un triomphe lors de l’élection présidentielle de 1920.
Le retour à l’isolationnisme prend des formes diverses : refus de
l’adhésion à la SDN, limitation de l’immigration européenne, mais
aussi retour au protectionnisme douanier.
Cela étant, les historiens estiment qu’il convient de parler de nationalisme plutôt que d’isolationnisme dans la décennie 1920. Ce
dernier a en effet d’évidentes limites. Sur le plan économique, les
États-Unis restent actifs dans le système international.
76 • Chapitre 6 - Les chemins de la puissance : les États-Unis et le monde depuis 1918
p. 196-197
1918-1940 : le refus des contraintes de la puissance
→Doc. 1 : Le président Wilson s’adresse au Congrès, 2 avril
1917.
Le président Wilson a été réélu en novembre 1916 en ayant promis aux Américains de maintenir le pays hors de la guerre. Mais
quelques mois plus tard, le contexte a changé et il explique ici
au Congrès, qui doit voter la déclaration de guerre, les motifs
qui le poussent à accepter une belligérance longtemps refusée : c’est un tournant pour une Amérique qui s’était fait une
règle depuis son premier président de ne se pas se mêler des
« incessantes querelles européennes » (Repères). Wilson met en
avant l’intérêt national : des navires américains sont coulés dans
l’Atlantique par les sous-marins d’une Allemagne désireuse de
couper le ravitaillement apporté à la France et à l’Angleterre.
Fondamentalement, Wilson veut éviter un éventuel effondrement des Franco-Britanniques, hypothèse plausible dès lors que
la désorganisation des armées russes consécutive à la première
révolution de 1917 permet aux Austro-Allemands de transférer
à l’Ouest une partie des forces qui combattaient sur le front
oriental. Après avoir tenté en vain de jouer les médiateurs entre
les adversaires en 1916, Wilson se persuade aussi que l’unique
moyen de convertir le monde à sa New Diplomacy est de prendre
part au conflit pour peser sur les négociations de paix.
◗ Réponse à la question
1. Wilson invoque les valeurs chères à l’Amérique : « les droits
des nations », « la démocratie », « la liberté politique ». La chute
du régime tsariste en mars 1917 lui permet désormais de présenter le conflit en termes idéologiques opposant à deux empires
une Triple Entente composée de deux démocraties bien établies
(Angleterre, France) et d’une en gestation (le gouvernement
provisoire qui prend en charge la Russie indique son intention
d’établir un État de droit après la victoire).
→Doc. 2 : Clemenceau contre Wilson devant le Conseil des
Quatre, 28 mars 1919.
Le document retranscrit les objections adressées par le chef du
gouvernement français au président Wilson lors des réunions
décisives que tiennent à Paris, de janvier à juin 1919, les quatre
principaux vainqueurs afin d’élaborer les traités de paix (Orlando
pour l’Italie et Lloyd George pour l’Angleterre s’ajoutent aux
deux protagonistes représentés ici). Le conflit oppose deux
individualités mais aussi deux approches de la politique :
Clemenceau raisonne dans les termes de la tradition diplomatique européenne et plus largement d’une pensée politique
marquée par Machiavel et le scepticisme quant à la possibilité
d’améliorer « la nature humaine » ; le juriste Wilson estime que
l’art de gouverner doit traduire le droit en actes. Il croit possible
le perfectionnement moral de l’humanité et entend mettre la
puissance au service de la justice. Il est animé de la volonté de
« recommencer le monde » que louait T. Paine.
◗ Réponse à la question
1. Clemenceau oppose son réalisme à l’idéalisme wilsonien : il
juge que l’Allemagne voudra se venger de sa défaite (comme
la France fut hantée par l’idée de revanche après 1871) tandis
que Wilson veut l’apaiser en lui rendant « justice ». Clemenceau
estime aussi que l’Allemagne, déclarée seule responsable de la
guerre, doit « réparation » pour les pertes humaines et matérielles occasionnées par celle-ci. Son approche conduit à une
paix fondée sur un rapport de force qui enlèverait à l’Allemagne
les moyens de la revanche tandis que Wilson entend baser cette
paix sur le droit : respect de principes généraux et « association
des nations » pour arbitrer les conflits.
→Doc. 3 : « Si nous étions dans la Société des Nations », caricature américaine contre la Société des Nations, 1920.
La SDN se met en place en novembre 1920 dans un contexte de
contestation des traités de paix d’une part au Moyen-Orient par
la Turquie de Mustapha Kemal comme par les peuples arabes
émancipés de l’empire ottoman mais passés sous tutelle française ou anglaise, d’autre part en Europe par les vaincus ; la
guerre civile oppose les Rouges aux Blancs en Russie depuis 1918.
◗ Réponse à la question
2. Cette caricature laisse entendre que si les États-Unis
entraient dans la SDN, ils seraient entraînés dans toutes sortes
de guerres par l’Angleterre. On peut imaginer à cette date peutêtre une intervention dans les conflits du Moyen-Orient qui
concernent de près les Anglais. Ces conflits sont susceptibles
d’être arbitrés par la SDN et elle peut ordonner des sanctions,
y compris militaires, contre les pays ayant contrevenu à leurs
obligations.
→Doc. 4 : Le circuit financier de la détente internationale en
1924-1929.
Les rapports franco-allemands étaient empoisonnés par la question des réparations imposées par le traité de Versailles (Paris
recevait la moitié de ces réparations, les autres vainqueurs se
partageant le reste). L’Allemagne refusant de les payer, l’armée
française occupa la Ruhr en 1923, ce qui plongea le pays dans une
crise économique sans précédent (hyperinflation, effondrement
du mark).
◗ Réponse à la question
1. Les capitaux américains (prêts publics ou privés) permettent
à l’État allemand d’honorer à nouveau ses obligations et à
l’économie de renouer avec la prospérité : ces cercles vertueux
constituent le socle de la détente franco-allemande incarnée par
Briand et Stresemann à partir de 1924.
→Doc. 5 : À l’origine des lois de neutralité.
L’argumentaire du sénateur républicain Nye soutient la première
loi de neutralité adoptée par le Congrès en 1935 : elle interdit à
toute entreprise états-unienne de vendre des armes à un belligérant. Une seconde, en 1936, interdira tout prêt aux belligérants
et une troisième, en 1937, fera obligation aux acheteurs en état
de guerre de payer comptant les achats qu’ils effectueraient aux
États-Unis et de les transporter sur leurs propres navires : c’est
la loi cash and carry. Les historiens qui ont travaillé sur les motifs
de l’entrée en guerre en 1917 ne retiennent pas l’interprétation
de Nye : que des lobbies engagés dans les échanges avec l’Entente se soient manifestés auprès de Wilson est un fait, que le
président ait pris sa décision en fonction d’eux est tout autre
chose. Son approche est, on l’a dit, bien plus générale : il faut
faire la guerre pour peser sur la paix. Mais le rapport Nye et les
lois de neutralité traduisent à la fois une défiance par rapport
aux milieux d’affaires dans l’Amérique en crise et la permanence
du courant isolationniste dans l’opinion (un sondage de 1937
indique que près des deux tiers des Américains jugent que la
participation à la Grande Guerre fut une erreur).
◗ Réponse à la question
2. Le sénateur Nye attribue aux pressions des « commerçants »
sur l’Administration Wilson l’entrée en guerre des États-Unis
en avril 1917. Elles auraient conduit Wilson à entrer en guerre
pour protéger les intérêts des entreprises et des banques qui
travaillaient avec la France et l’Angleterre menacées de défaite à
cette date.
Chapitre 6 - Les chemins de la puissance : les États-Unis et le monde depuis 1918
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Leçon 1
Étude 2
p. 198-199
L’aide Marshall, reflet et levier de la puissance
nouvelle des États-Unis après 1945
Une caractéristique essentielle de la puissance des États-Unis
depuis la Grande Guerre est le recours à l’arme économique et
financière pour atteindre leurs objectifs. Ce fut le cas dans les
années 1920, plus encore durant la Seconde Guerre mondiale : à
travers les prêts accordés au Royaume-Uni puis plus largement
le prêt-bail mettant gratuitement à disposition des « nations
unies » les ressources qu’exige une guerre totale, l’Amérique de
Roosevelt contribua à épuiser l’Axe. On retrouve cette approche
durant la Guerre froide. Elle débouche sur le plan Marshall en
Europe, plus tard sur l’aide aux pays chargés d’endiguer le communisme chinois (le Japon à partir de 1950, la Corée du Sud,
Taiwan, etc.). L’aide Marshall est à la fois reflet des capacités
économiques des États-Unis et levier d’une stratégie globale,
géopolitique.
→Doc. 1 : Le « Plan Marshall ».
C’est un extrait du discours prononcé le 5 juin 1947 à l’université
d’Harvard par le général Marshall, secrétaire d’État de Truman
après avoir été conseiller stratégique de Roosevelt durant la
guerre puis coordonnateur de l’aide américaine à la Chine nationaliste. L’orateur s’exprime après que le président a livré devant
le Congrès, le 12 mars précédent, sa vision d’un monde coupé
en deux par une « menace totalitaire ». Les Américains ont tiré
de la double expérience des années 1930 et de l’administration
qu’exerce leur armée depuis 1945 en Allemagne et au Japon la
conviction que la misère ouvre la voie au communisme. Tout un
chacun constate les difficultés qu’éprouvent alors les Européens
à reconstruire leur continent dévasté. La situation reste tendue :
le rationnement n’a pas disparu, le manque de dollars (dollar gap)
leur interdit de financer les importations dont ils ont besoin,
les finances publiques sont aux abois malgré les prêts bilatéraux consentis par Washington. Sur le plan politique, l’Europe
orientale et centrale est déjà transformée en un ensemble de
démocraties populaires satellites de l’URSS tandis que les partis
communistes sont au zénith en France et en Italie. L’aide proposée entend donc contribuer à hâter la reconstruction de l’Europe
mais l’orateur rappelle aussi la volonté de son pays de s’opposer
aux forces qui chercheraient à « perpétuer la misère humaine
pour en profiter politiquement » : le communisme n’est pas plus
nommé que dans le « discours Truman », mais chacun comprend qu’il est l’adversaire désigné. L’aide fut proposée à tous
les pays d’Europe, y compris l’URSS et ses satellites. Mais on
savait que Moscou la refuserait en raison de la dépendance de
fait qu’elle impliquait par rapport aux États-Unis ; la Pologne et
la Tchécoslovaquie, qui se dirent intéressées, furent « priées »
par Staline de ne pas donner suite.
→Doc. 2 : L’aide Marshall finance un « programme pour les
sans-abris de Berlin ».
La photographie est prise en 1950 : les habitants des quartiers
Ouest de Berlin ont en mémoire le pont aérien par lequel les
États-Unis ont assuré leur ravitaillement durant le blocus par
l’URSS des voies terrestres d’accès à leur ville de juin 1948 à mai
1949. La capitale du Reich est sortie ruinée des bombardements
et combats de 1943-1945, nombreux sont les sans-abris.
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→Doc. 3 : Une arme politique.
Le conseiller de Truman pour les affaires étrangères, Dean
Acheson (il succédera en 1949 à G. Marshall au secrétariat
d’État), explicite les vues du président auprès du Congrès on vérifie la nécessité pour le président d’associer le Sénat
aux choix de politique étrangère. On a souvent mis en avant
les finalités économiques du plan Marshall. C’est oublier que,
largement tournées vers le marché domestique, les firmes étatsuniennes eussent tiré un avantage bien supérieur du soutien à
la demande intérieure par des politiques d’État-providence analogues à celles adoptées alors en Europe. Truman songeait du
reste à un Fair Deal prolongeant le New Deal et allant dans ce
sens, mais les nécessités de la Guerre froide étaient peu compatibles avec une progression des dépenses sociales dont ne
voulait de toute manière pas un Congrès républicain avec lequel
il devait trouver un consensus en politique étrangère. Par ailleurs, si le plan Marshall représentait une telle opportunité pour
les Corporations, pourquoi l’Administration Truman dut-elle
déployer tant d’efforts pour convaincre le Congrès de l’adopter,
et en mettant en avant qui plus est des motifs politiques ? Les
crédits ne seront finalement votés qu’en 1948, au lendemain du
« coup de Prague ».
→Doc. 4 : « Non ! La France ne sera pas un pays colonisé ! ».
L’affiche mobilise les thèmes classiques de l’anti-américanisme à
la fois communiste et très français : l’image d’un pays impérialiste ; la vision d’une société états-unienne tout entière vouée au
culte de l’argent, dépourvue de culture - thème cher également
aux ultranationalistes français (inscrits dans cette mouvance,
Robert Aron et Arnaud Dandieu l’avaient orchestré dans Le
Cancer américain paru en 1931). Elle manifeste une fidélité sans
faille à l’URSS qui est constitutive du mouvement communiste
né avec la IIIe Internationale en 1919. La dépendance a été
actualisée par la création du Kominform en septembre 1947.
Ce bureau de liaison des partis communistes européens fixe les
priorités stratégiques en lien avec le PCUS. L’urgence est que les
partis communistes locaux combattent dans leur pays tout ce
qui peut affaiblir l’URSS - le plan Marshall mais aussi l’Alliance
atlantique, la CECA, le projet de CED, etc. Le refus de la colonisation exprimé ici est à relier au contexte : la décolonisation
est à l’ordre du jour et le PCF condamne la guerre menée par la
France contre le Vietminh en Indochine (1946-1954).
→Doc. 5 : La répartition des crédits de l’aide Marshall,
1948-1952.
Le tableau comptabilise par pays l’aide reçue, quelle qu’ait été
sa forme : crédits à taux bonifiés ou dons. Sont seuls concernés
des pays d’Europe occidentale, les vaincus compris, ainsi que la
Turquie, que Washington soutenait contre les pressions soviétiques. Les pays bénéficiaires se sont entendus entre eux dans
le cadre de l’Organisation européenne de coopération économique créée en 1948 pour mettre au point cette répartition de
l’aide (l’OECE s’élargira en OCDE en 1961).
◗ Réponses aux questions
1. Selon Marshall, « la misère humaine » est exploitée par les
« gouvernements, partis politiques, ou groupes » qui refusent
« les institutions libres ». Son propos reste allusif mais il est
clair pour tous qu’il vise les partis communistes déjà au pouvoir
dans le bloc soviétique en voie de formation ainsi que ceux qui
sont dans l’opposition, en Europe occidentale par exemple le PCF a du reste été exclu en mai 1947 du gouvernement de
coalition auquel il participait aux côtés des socialistes et des
démocrates-chrétiens.
2. La déclaration d’Acheson au Congrès insiste plus nettement
sur la finalité politique de l’aide américaine, en soulignant qu’elle
devra être réservée aux « peuples libres », alors que Marshall
indique qu’elle n’est « dirigée ni contre un pays ni contre une
doctrine ».
3. L’Europe occidentale qui reçoit l’aide Marshall concentre des
enjeux vitaux pour les États-Unis. Elle est la région d’origine
du peuplement nord-américain, les liens humains et culturels
sont très denses entre les deux rives de l’Atlantique. Elle représente alors le premier débouché commercial des États-Unis et,
même si leurs entreprises sont surtout tournées vers le marché
intérieur, le perdre serait lourd de conséquences. L’Europe de
l’Ouest est aussi un maillon-clé de la stratégie d’endiguement
78 • Chapitre 6 - Les chemins de la puissance : les États-Unis et le monde depuis 1918
4. Berlin-Ouest, détruite par les bombardements durant la
guerre, a subi le blocus par l’URSS des voies terrestres d’accès à
la ville en 1948-1949. Seul le pont aérien organisé par les ÉtatsUnis lui permettait d’être ravitaillée. L’affiche en ce lieu sensible
est emblématique du projet de Marshall : une aide financière
pour sortir de la misère et vaincre les « pressions totalitaires ».
5. L’image réactive le thème de « l’Amérique » pays du dieu
dollar (cf. le symbole dans les yeux de la pieuvre). Elle le relie
à la critique de l’impérialisme américain, entendons par là une
volonté de domination de la planète, d’expansion illimitée :
c’est l’image de la pieuvre, répulsive et dotée de nombreux tentacules. Les partis communistes européens combattent le plan
Marshall parce qu’ils sont à l’époque étroitement liés à l’URSS et
identifient leur idéal à la défense des intérêts de « la patrie du
socialisme ».
◗ Texte argumenté
Le plan Marshall met en œuvre le projet annoncé peu avant par
le président Truman : endiguer le communisme. Il est destiné spécialement à l’Europe : la reconstruction exige des ressources dont
les Européens ne disposent pas ; depuis 1945, l’URSS étend son
influence dans toute la partie du continent dont elle a chassé les
armées nazies mais rien n’indique les limites que Staline peut avoir
en tête ; l’Europe occidentale représente de multiples enjeux pour
Washington. L’aide Marshall est conçue pour tout à la fois écarter
la menace de la subversion communiste en restaurant la prospérité
et resserrer les liens tant économiques que politiques entre les pays
qui en bénéficieront et les États-Unis.
Ce plan illustre l’importance du levier financier dans les moyens
d’influence mobilisés par la puissance états-unienne. Son économie
est sortie renforcée de la Seconde Guerre mondiale : la machine
productive tourne à plein régime, elle a accentué son avance technologique et accumulé des excédents ; la Maison-Blanche peut
mettre ces armes au profit de sa diplomatie.
Leçon 2
p. 200-201
1941-1962 : les responsabilités
de la puissance acceptées
→Doc. 1 : Roosevelt et « les libertés essentielles ».
Roosevelt a été réélu à la présidence, à une large majorité, en
novembre 1940. Il a promis de maintenir l’Amérique hors de la
guerre mais s’efforce de préparer l’opinion à une belligérance
qu’il juge personnellement inéluctable. Il saisit l’occasion solennelle qu’offre le discours sur l’état de l’Union adressé à la nation
par le président chaque mois de janvier, en esquissant ce que
serait un « avenir […] sûr », fondé sur « quatre libertés essentielles ». Le projet est une projection sur le monde des principes
de la démocratie américaine enrichie par le New Deal : la « libération du besoin » s’ajoute aux libertés fondamentales et à une
« réduction des armements » qui évoque le wilsonisme.
→Doc. 2 : Les alliés des États-Unis dans un monde divisé :
situation en 1955.
La carte montre un monde dans lequel les deux camps sont stabilisés après l’acmé de la Guerre froide en 1948-1953 (première
crise de Berlin et guerre de Corée) et la multiplication des traités
d’alliance dans le cadre de la « pactomanie » de l’Administration
Eisenhower. La projection polaire visualise bien la position des
deux camps.
◗ Réponse aux questions
1. et 2. Les alliés des États-Unis entourent le monde communiste polarisé par l’URSS et la Chine : cette carte met en
évidence le caractère maritime de l’ensemble occidental en
opposition à la dimension continentale du bloc communiste.
→Doc. 3 : Le bilan de la Seconde Guerre mondiale : l’exception
américaine.
Le tableau met en lumière le contraste entre les États-Unis et
les autres belligérants à l’issue du conflit : ils sont de ce fait en
position de force, bien plus encore qu’en 1918-1919. Le territoire
états-unien est resté à l’abri des combats : les 300 000 morts
états-uniens sont uniquement des soldats alors que les quatre
autres belligérants ont perdu de nombreux civils victimes de
bombardements ou d’exactions de la part de l’Axe (déportés,
otages fusillés, etc.). Cette situation éclaire aussi l’essor économique : l’agriculture et l’industrie états-uniennes ont tourné
à plein régime pour répondre aux besoins du pays mais aussi à
ceux des Alliés. Les autres belligérants ont vu à l’inverse leurs
appareils économiques affectés par les destructions, la pénurie
de main-d’œuvre et de matières premières, les prélèvements de
l’occupant nazi (en France).
◗ Réponse à la question
1. L’exception américaine au sortir de la Seconde Guerre mondiale tient au nombre réduit de tués ainsi qu’au dynamisme de
son économie (croissance du PIB et des exportations) en comparaison des autres belligérants nommés ici.
→Doc. 4 : La portée de la « doctrine Truman » selon son
concepteur.
Truman revient dans ses Mémoires sur le discours qu’il a prononcé devant le Congrès le 12 mars 1947 et qui fut retransmis à la
radio à l’intention « de la nation tout entière ». Ce que demandait précisément Truman au Congrès était une aide financière
pour les gouvernements grec et turc : le premier combattait
une révolte animée par des forces communistes issues de la
Résistance anti-nazie, le second devait repousser les demandes
insistantes de l’URSS qui exigeait de cogérer les Détroits avec la
Turquie. Mais Truman inscrit sa demande de subsides dans une
perspective bien plus large, celle de la lutte contre les « régimes
totalitaires ». Ce faisant, il demande à son pays d’assumer en
permanence des responsabilités internationales de niveau planétaire. On pourrait objecter à l’auteur que Wilson avait tenté lui
aussi d’engager ce « tournant », mais par d’autres voies (la sécurité collective plutôt que le hard power), sans succès il est vrai.
◗ Réponse à la question
2. Truman souligne la rupture opérée par rapport à « l’esprit de
Washington » et « celui de tous les autres saints patrons de l’isolationnisme » (voir aussi le doc. 1 p. 190). Il s’agit d’un tournant
dans la mesure où pour la première fois de leur histoire les ÉtatsUnis prennent des engagements en temps de paix pour soutenir
des pays étrangers. Dans les mois et les années qui suivent, ce
tournant se concrétisera par l’aide Marshall mais aussi par la
signature du pacte Atlantique qui s’éloigne du principe de non
entanglement.
Étude 3
p. 202-205
Les États-Unis et la guerre
L’histoire montre qu’il n’est pas d’exercice de la puissance sans
confrontation à la guerre. Les États-Unis avaient connu des
guerres au xixe siècle, mais elles étaient restées limitées et la
Chapitre 6 - Les chemins de la puissance : les États-Unis et le monde depuis 1918
• 79
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du bloc continental autour de l’URSS. La répartition des crédits
et des dons accordés au titre de l’aide Marshall est fonction de
la taille du pays (les plus peuplés reçoivent plus) et du passé
proche - à population égale, les pays qui furent membres de
l’Axe (Allemagne, Italie) reçoivent moins que les alliés, la GrandeBretagne étant privilégiée, sans doute en raison de sa « relation
spéciale » avec l’Amérique.
terrible Guerre de Sécession resta interne. En revanche, dès lors
qu’a grandi leur puissance, ils ont engagé eux-mêmes ou se sont
trouvés mêlés à de nombreux conflits. Or les réalités de la guerre
entrent en tension avec les « mythes fondateurs » états-uniens :
la primauté donnée aux libertés individuelles et à l’autonomie
locale face à l’État central (toute guerre renforce ce dernier),
l’espoir de recommencer un monde neuf, vertueux (la guerre
implique « la fin de l’innocence »), la conviction d’être à l’abri
des malheurs du monde dans un pays-continent. Comment,
quand il leur semble que la guerre est nécessaire, les présidents
composent-ils avec une opinion réticente à l’envoi des boys de
l’autre côté des océans ? Comment le pays s’est-il adapté à la
réalité des guerres ? En quoi celles-ci ont-elles transformé sa
vision de la puissance ?
Les documents soulignent que le président ne parvient à rendre
la guerre acceptable pour l’opinion qu’en réunissant un ensemble
de conditions : la guerre doit passer pour défensive, conjuguer
à l’intérêt national un impératif moral (la défense des libertés
en 1917, 1941, 1947), ne pas avoir un coût excessif. La gestion du
rapport au monde constitue l’essentiel des tâches dont doit s’acquitter le président états-unien mais il est jugé bien davantage
sur son bilan économique et social : le paradoxe traduit l’acceptation réticente des responsabilités internationales par l’opinion.
→Doc. 1 : Roosevelt, l’opinion et la guerre en automne 1940.
Le texte est extrait des Mémoires de Jean Monnet. L’ancien
négociant en cognac est bien introduit dans les milieux anglosaxons et engagé depuis longtemps dans diverses entreprises
de coopération internationale. Président en 1939 du Comité de
coordination de l’effort de guerre allié, il n’accepte pas la défaite
de juin 1940 : Churchill le charge de convaincre Roosevelt de
transformer son pays en « arsenal des démocraties ». C’est
durant ce séjour que Monnet se livre aux observations du document 1. : il y souligne les difficultés du « dialogue » entre opinion
et président. Quelle que soit « sa conviction intime » (la nécessité de s’opposer aux agressions des dictatures), le wilsonien
Roosevelt tire les leçons de l’échec de son mentor : secrétaire
adjoint à la Marine en 1913-1920, puis choisi comme vice-président du candidat démocrate Cox, il vécut de près la déroute de
son parti en 1920. Les Américains sont, eux, confortés en 1940
dans leur sentiment de sécurité par le fait que la croissance est
de retour en raison de la guerre européenne : le chômage, que le
New Deal n’avait pas supprimé, recule rapidement. Et aussi parce
que les candidats qui s’affrontent durant la campagne électorale de 1940 promettent tous deux de préserver la neutralité.
Le président ne s’estime donc pas, à l’automne 1940, en état
d’entraîner son pays dans une guerre qui demeure européenne :
il faudra le choc de Pearl Harbor pour retourner l’opinion.
→Doc. 2 : Docteur Folamour, du cinéaste américain Stanley
Kubrick, affiche du film, 1964.
L’affiche évoque une vision cinématographique critique sur
la course aux armements nucléaires à l’orée de la détente.
Le cinéaste met en scène dans ce film les risques d’un conflit
nucléaire déclenché par les initiatives intempestives de généraux échappant au contrôle du président américain. Il témoigne
par là d’une inquiétude très vive alors dans l’opinion non seulement américaine mais plus largement occidentale.
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→Doc. 3 : Grande manifestation à Washington contre la
guerre menée par les États-Unis au Vietnam, 1971.
Cette manifestation se déroule dans la capitale fédérale, en un
lieu hautement symbolique proche du Congrès et de la MaisonBlanche. Elle a lieu durant le premier mandat du président Nixon
élu en 1968 en promettant de sortir son pays du conflit. Elle eut
un grand succès et un réel impact.
→Doc. 4 : Vietnam : coûts du conflit et évolution de l’opinion.
Le tableau met en relation l’effort humain et financier consenti
durant le conflit et le coût humain de celui-ci. En dessous, les
sondages sont à relier à ces paramètres.
→Doc. 5 : Les Américains et la fin de la guerre d’Irak.
Ce reportage radiophonique décrit les réactions des Américains
à l’annonce officielle par le président Obama de la fin de l’engagement militaire direct des États-Unis en Irak. Le conflit était
populaire à l’origine, la situation a bien changé neuf ans plus
tard.
◗ Réponses aux questions
1. En novembre 1940, les armées nazies contrôlent une grande
partie du continent européen : la guerre-éclair (Blitzkrieg) a
éliminé la Pologne et surtout la France qui a signé l’armistice
à Rethondes le 22 juin. En revanche, l’Angleterre de Churchill
résiste toujours malgré l’intense campagne de bombardements
aériens subie en juillet-août mais elle est seule (l’URSS, alors en
bons termes avec le IIIe Reich, ne sera attaquée par lui qu’en juin
1941), épuisée et a un urgent besoin de secours.
Les Américains n’ont « aucune perception physique de l’agression nazie » parce que l’Atlantique les sépare des champs de
bataille européens et que leur territoire n’est aucunement affecté par les combats - et guère plus leurs navires de commerce à
cette date.
2. Les Américains, qui approuvaient en grande majorité la guerre
lancée par G. W. Bush contre le régime de Saddam Hussein en
Irak (le Congrès fut quasiment unanime à voter les crédits de
guerre), reprochent en 2011 à ce conflit de coûter cher en vies
humaines et en dépenses fédérales, le tout pour un résultat pour
le moins décevant (« erreurs commises », risques de « guerre
civile » en Irak).
3. En 1940 comme durant la guerre du Vietnam, les réponses
des sondés sont liées à la relation établie entre la gravité de la
menace et le prix à payer pour la réduire. Si la menace paraît
lointaine, comme en 1940, ou que les sacrifices exigés paraissent
disproportionnés par rapport aux enjeux, comme au Vietnam ou
en Irak à partir du moment où le conflit s’enlise, l’opinion manifeste ses réticences.
4. Le film de Kubrick a été tourné dans les mois qui suivent la
crise des fusées à Cuba en octobre 1962. Durant cette « partie
au bord du gouffre » de plusieurs semaines, la guerre nucléaire
entre les deux Grands semblait possible. L’affiche annonce
une comédie antimilitariste par les formules au second degré
(« comment j’ai appris […] à aimer la bombe ») et par la désinvolture avec laquelle l’un des deux personnages vus de dos,
identifiés aux deux « maîtres du monde », semble traiter des
affaires mondiales.
5. La foule, plutôt jeune mais pas exclusivement, reproche au
pouvoir une guerre inutile : tel est le sens de l’interpellation sur
la pancarte au premier plan. L’image fait ainsi écho aux autres
documents de cette double page : l’opinion américaine ne peut
accepter un conflit que si les autorités la persuadent de son
absolue nécessité. Telle était la hantise de Roosevelt en 1940
selon J. Monnet.
→Doc. 6 : Le Pentagone, siège du Département américain
de la Défense, à Arlington (près de Washington), inauguré en
1943.
Avec ses 28 km de couloirs répartis sur 5 étages en 5 anneaux
concentriques, le Pentagone, édifié de 1941 à 1943, est le plus
vaste immeuble de bureaux du monde.
→Doc. 7 : Le « complexe militaro-industriel » selon le président Eisenhower, janvier 1961.
Eisenhower, chef militaire prestigieux devenu président (cas
de figure exceptionnel dans une démocratie qui se méfie des
généraux tentés par la politique), évoque les dangers du « com-
80 • Chapitre 6 - Les chemins de la puissance : les États-Unis et le monde depuis 1918
plexe militaro-industriel » dans cette allocution qu’il adresse à
ses compatriotes au terme de son second mandat, alors que le
nouvel élu, J. F. Kennedy va entrer à la Maison-Blanche. En 1961,
l’Amérique est en paix mais elle s’est dotée depuis l’entrée en
Guerre froide d’un arsenal sans précédent dans son histoire par
ses dimensions et son caractère pérenne.
→Doc. 8 : L’effort militaire américain : évolution 1995-2009 et
comparaisons internationales.
Le tableau porte sur les budgets et les capacités militaires des
quatre puissances majeures en la matière : la situation particulière des États-Unis ressort nettement. Elle illustre le propos
tenu par B. Obama dans son discours de réception du prix
Nobel de la paix à Oslo en décembre 2009, propos quelque peu
paradoxal en la circonstance : « Dire que la guerre est parfois
nécessaire n’est pas un appel au cynisme, c’est la reconnaissance
de l’Histoire. Les États-Unis d’Amérique ont contribué à garantir
la sécurité mondiale pendant plus de soixante ans par le sang de
leurs citoyens et la force de leurs armes. »
→Doc. 9 : Les forces armées des États-Unis : un déploiement
planétaire (situation fin 2006).
La carte souligne le caractère planétaire de la présence militaire
américaine.
→Doc. 10 : Armements : les dix premières firmes mondiales,
classées selon le montant de leurs ventes d’armes en 2008.
Les firmes américaines d’armement produisent les unes des avions, les autres des missiles, des systèmes de guidage, des navires
de guerre, des véhicules blindés, etc. Quoiqu’elles ne bénéficient
pas systématiquement des commandes passées par l’US Army,
elles sont tout de même favorisées par les décideurs militaires
et politiques.
◗ Réponses aux questions
humanitaires (cf. Haïti) ou non (Kosovo, Afghanistan, Libye en
2011…), des initiatives unilatérales.
10. La répartition des forces armées des États-Unis dans le
monde renvoie à la hiérarchie de leurs priorités : l’essentiel est
déployé dans « l’hémisphère occidental » - forces diverses stationnées sur le Mainland, bases (Hawaï), missions diverses aux
Antilles ; l’Europe de l’Ouest, partenaire historique, vient en
second (bases de l’OTAN) ; viennent ensuite les forces stationnées en Asie orientale pour protéger les alliés sud-coréen et
japonais notamment. Le Moyen-Orient a beaucoup d’effectifs
en 2006 : contingents engagés en Irak, bases de la péninsule arabique. Toute une série de bases dispersées sur les mers du globe
ont enfin des garnisons permanentes (Guam, Diego Garcia, etc.).
◗ Texte argumenté
Les États-Unis sont entrés avec réticence dans les deux guerres
mondiales : en 1917, Wilson a imposé la guerre à un peuple divisé pour peser sur la paix à venir mais le wilsonisme a été refusé ;
Roosevelt a attendu l’agression japonaise pour engager son pays
dans le conflit. Depuis 1945, l’Amérique a participé à de nombreux
conflits d’ampleur plus limitée, dans le cadre de la Guerre froide
(guerre de Corée, guerre du Vietnam, etc.) ou des logiques post
Guerre froide (les deux guerres du Golfe, l’Afghanistan, etc.).
Au fur et à mesure, et notamment à l’occasion de la Guerre froide,
le pays s’est doté d’un « complexe militaro-industriel » liant milieux
militaires et firmes d’armement privées. Ce complexe influence le
rapport à la guerre dans des conditions qui ne sont pas aisées à
déterminer. Ce qui est avéré est que les États-Unis disposent de nos
jours de moyens militaires surpuissants déployés à l’échelle planétaire, avec la capacité de les projeter loin de leur territoire. Mais
l’Administration doit toujours composer avec les autres pouvoirs,
dont le Congrès et les médias qui ont joué un rôle notable dans la
vision critique de l’engagement au Vietnam comme en Irak.
6. L’emprise au sol du Pentagone telle que la révèle cette vue en
Étude 4
p. 206-207
L’Amérique latine, chasse gardée
des États-Unis ?
Toute puissance influence d’abord ses voisins. Il est banal de
présenter l’Amérique latine comme une chasse gardée des
États-Unis. Toutefois, la réalité ne confirme pas toujours cette
impression : « la doctrine de Monroe » n’a pas figé les choses
une fois pour toutes. Les relations entre la grande puissance du
Nord et le monde latino-américain n’ont cessé d’évoluer et son
hégémonie est contestée. Puisque le Rio Grande est une coupure
à la fois politique, de civilisation et de niveau de développement,
ces relations sont un miroir de leur rapport au monde en général,
au tiers-monde en particulier. Le dossier confronte les points de
vue des États-Unis, dans deux contextes différents, aux aspects
économiques et politiques des interactions entre eux et l’Amérique latine.
→Doc. 1 : Les enjeux latino-américains vus de Washington.
1a. La déclaration émane en 1948 d’une conférence panaméricaine dominée par Washington dans le contexte de la Guerre
froide : la rupture Est/Ouest a été rendue publique en 1947 ;
avec le blocus de Berlin, 1948 voit éclater la première crise grave
entre les deux blocs.
1b. La déclaration est faite par le président états-unien B. Obama
devant une conférence panaméricaine tenue peu de mois après
sa prise de fonction (janvier 2009), dans un contexte international marqué par la montée de puissances émergentes.
→Doc. 2 : Part des échanges régionaux dans les exportations
totales de marchandises des Amériques en 2009, en %.
Le tableau permet de mesurer le poids des États-Unis dans le
commerce de l’Amérique centrale et du Sud. L’Amérique du
Chapitre 6 - Les chemins de la puissance : les États-Unis et le monde depuis 1918
• 81
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perspective, traduit l’importance du Département fédéral de la
Défense.
7. L’énormité des dépenses fédérales de Défense a favorisé le
développement d’un nombre considérable de firmes américaines
d’armement : on en compte 7 sur les 10 premières mondiales en
2008. Peut-être ont-elles aussi un accueil privilégié de la part des
nombreux alliés que compte Washington dans le monde.
8. Eisenhower craint une « influence injustifiée » auprès des
instances politiques du « complexe » associant les armées et
les firmes d’armement. Il estime même que ce « complexe »
peut « mettre en danger nos libertés et nos processus démocratiques », c’est-à-dire fausser la libre délibération des autorités
élues en influençant indûment les choix de toute nature - on
peut supposer, par exemple, qu’il estime que ce « complexe »,
ayant intérêt à la course aux armements, exagère les risques de
conflit auprès des décideurs politiques. Son expérience de commandant en chef des forces alliées en Europe en 1943-1945, puis
de n° 1 de l’OTAN en 1950-1952, lui a certainement permis de
mesurer les pressions auxquelles se trouvaient soumis les responsables de la part de ce « complexe ».
9. L’US Navy dispose de plus d’une dizaine de porte-avions car
les États-Unis sont une puissance planétaire qui estime nécessaire de maîtriser les mers et de disposer d’une capacité de
projeter ses forces sur des théâtres d’opérations éloignés du
territoire national : le porte-avions a cette double vocation. La
forte progression de leurs dépenses militaires entre 1995 et 2009
est liée à la double guerre menée en Afghanistan depuis 2001
puis en Irak. Elle tient aussi au fait que la disparition des logiques
bipolaires a laissé place à un « nouveau désordre mondial » dans
lequel les menaces et les acteurs, étatiques ou non, ont proliféré : les États-Unis restant l’unique grande puissance sont de
facto conduits à multiplier les interventions de toute sorte,
d’autant qu’ils ajoutent aux missions préconisées par l’ONU,
Nord comprend certes également le Canada et le Mexique
mais les échanges effectués à partir de ou vers les États-Unis
pèsent le plus lourd dans cet ensemble. Toutefois, on ne peut se
cantonner au raisonnement par ensembles géographiques : les
échanges avec l’Amérique latine sont importants pour certaines
branches d’activité ou firmes des États-Unis. Pour ces acteurs
effectifs, qui ont des relais auprès des décideurs politiques, les
enjeux peuvent être cruciaux. Par ailleurs, ces acteurs peuvent
aussi peser lourd auprès des États dans lesquels ils opèrent.
→Doc. 3 : Rencontre entre le général chilien A. Pinochet et le
secrétaire d’État américain H. Kissinger à la conférence des
États américains, juin 1976.
Au Chili, la CIA a apporté en septembre 1973 son appui au renversement du président socialiste Allende par un coup d’État
militaire : son gouvernement avait nationalisé de grandes
entreprises dont certaines étaient des filiales de transnationales états-uniennes, sa majorité comportait des communistes.
La brutale répression menée par le nouveau maître du pays, le
général Pinochet, n’empêche pas le chef de la diplomatie étatsunienne de le rencontrer dans le cadre de la conférence des
États américains moins de trois ans plus tard.
→Doc. 4 : Les États-Unis sur le continent américain au début
du xxie siècle : une hégémonie contestée.
La carte montre les aspects contradictoires et évolutifs de la
situation au début du xxie siècle.
◗ Réponses aux questions
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1. Les déclarations qui constituent le document 1 insistent sur
les enjeux géopolitiques de la relation entre les États-Unis et
l’Amérique latine : endiguer le communisme en 1948, ouvrir
un « dialogue » équilibré en 2009. L’enjeu économique tel qu’il
apparaît dans le document 2 ne semble pas déterminant : la
région n’absorbe que 8 % des exportations de l’Amérique du
Nord.
2. La dépendance commerciale est marquée pour l’Amérique
latine par rapport à l’Amérique du Nord qui absorbe un quart de
ses exportations. Il s’agit d’une relation Nord/Sud conforme aux
réalités du commerce international dans son ensemble : celui-ci
s’opère avant tout entre pays développés (les trois pays d’Amérique du Nord, Canada et États-Unis avant tout, réalisent entre
eux 48 % de leurs exportations) ; les pays du Sud, exportateurs
de produits bruts, ont souvent un éventail de clients moins large
que ceux du Nord et qui sont des pays riches.
3. Vu de Washington, il importe de prévenir l’arrivée au pouvoir
de gouvernements hostiles en Amérique latine. L’arrivée au pouvoir de Fidel Castro à Cuba (1959) et son alignement sur l’URSS
ont accentué les craintes. De ce fait, les États-Unis ont apporté
leur concours aux forces politiques supposées les plus efficaces
pour faire barrage au communisme, dont, à l’occasion, des dictatures militaires comme au Chili en 1973.
4. En 1948, Washington met l’accent sur la nécessité de
combattre « la menace » que représenteraient « les activités politiques du communisme international » à l’échelle du
continent américain. En 2009, ce tiers menaçant a disparu,
B. Obama n’envisage que deux partenaires qui doivent « ouvrir
un dialogue » en toute égalité. Il annonce « la fin de l’ingérence » de Washington dans les affaires intérieures des pays du
sous-continent.
5. La dépendance de l’Amérique latine par rapport aux ÉtatsUnis est attestée par le fait qu’un quart de ses exportations leur
est adressé. C’est toutefois un peu inférieur à la part des exportations effectuées entre pays latino-américains, et les destinations
européennes et asiatiques sont également conséquentes : la
diversité des partenaires commerciaux limite la dépendance,
d’autant que le rôle croissant de la Chine l’accentue (cf. doc. 6
p. 239).
6. L’autonomie de l’Amérique latine par rapport à Washington
se manifeste par :
– l’existence d’accords commerciaux entre pays latino-américains : le plus important est le Mercosur apparu en 1991 ;
– le développement de logiques d’intégration entre ces pays,
dans le cadre de ces accords ;
– l’ouverture économique vers l’Europe, l’Afrique mais aussi
l’Asie qui permet à cet ensemble d’échapper au tête-à-tête déséquilibré avec le seul géant états-unien ; – l’existence de courants affichant leur hostilité aux États-Unis,
autour de l’ALBA voulue par le Venezuela de Chavez ;
– le fait que le Brésil s’affirme comme un pôle structurant
constitue aussi un signe d’autonomie latino-américaine. Il peut
s’appuyer sur les divers éléments qui fondent la puissance d’un
État. La carte en indique certains, on voit l’ensemble dans le
document 4 de la page 213.
◗ Texte argumenté
L’Amérique latine constitue pour les États-Unis un enjeu géopolitique décisif : depuis la « doctrine de Monroe », Washington s’est
toujours efforcé d’écarter du continent les influences extérieures.
Ce furent celle de l’Europe avant la Seconde Guerre mondiale, puis
celle de l’URSS. C’est aussi un partenaire économique important :
l’industrie états-unienne s’y procure depuis longtemps des produits
bruts, qu’exploitent souvent des sociétés états-uniennes.
La relation entre les États-Unis et l’Amérique latine est asymétrique :
elle s’établit entre un géant et de nombreux États dont beaucoup
sont de petite taille, notamment dans l’isthme de Panama et les
Antilles. Cette situation a favorisé une dépendance aggravée durant
la Guerre froide quand les autorités états-uniennes voyaient dans
l’Amérique une chasse gardée dont il fallait exclure toute forme
d’expression critique vite assimilée à du « philosoviétisme ».
Après avoir favorisé le retour à la démocratie en Amérique latine,
l’effacement des logiques de Guerre froide mais aussi la mondialisation et l’émergence de pôles de puissance tels que le Brésil
rééquilibrent les rapports entre Amérique latine et États-Unis.
Étude 5
p. 208-209
Le rayonnement culturel, aspect et levier
de la puissance américaine
Il n’est pas de puissance durable sans capacité à diffuser hors
des frontières sa culture au sens large du terme - langue, valeurs
dominantes, productions symboliques les plus diverses. Sur ce
plan, les États-Unis jouissent incontestablement d’avantages
éminents : depuis le début du xxe siècle, leur culture de masse
rencontre un large succès à l’extérieur et il en va de même
pour leur « haute culture » depuis la Seconde Guerre mondiale.
L’étude de Frédéric Martel, De la culture en Amérique (Gallimard,
2006), a mis en évidence l’importance de ce secteur dans l’économie et la société états-uniennes. Les documents montrent la
diversité des aspects concernés.
→Doc. 1 : Les deux aspects du soft power américain.
Le texte décrit le soft power (doc. 2 p. 190) en évoquant les raisons des succès tant de la culture de masse que de la « haute
culture ». Les États-Unis ont connu très tôt les premières
formes de la culture de masse : presse illustrée, affiche publicitaire, spectacles de divertissement (tel le show de Buffalo Bill),
et surtout cinéma. Ainsi que l’a montré Jacques Portes (De la
scène à l’écran, Belin, 1997), le cinéma a pu fédérer les publics
les plus divers alors que débarquaient chaque année à New York
plus d’un million d’immigrants porteurs de toutes les cultures du
monde. Du coup, l’exportation du film a été facilitée : dès 1926,
« environ les trois quarts des films diffusés dans le monde sont
américains » ; l’invention du parlant ne changea pas la donne,
Hollywood inventant rapidement le doublage.
82 • Chapitre 6 - Les chemins de la puissance : les États-Unis et le monde depuis 1918
Alfredo Valladao est professeur à l’Institut d’études politiques de
Paris et spécialiste de l’Amérique latine. Il a publié Le xxie siècle
sera américain (La Découverte, 1993), un livre qui prend le contrepied des thèses annonçant l’inéluctable déclin des États-Unis.
→Doc. 3 : La prédominance du cinéma américain dans le
monde occidental, en 2000.
Le cinéma américain est bien reçu à l’étranger car il appartient
à une industrie de l’entertainment depuis longtemps mondialisée. Cela étant, il existe d’autres facteurs non évoqués dans ces
pages. Les logiques de marché ont leur importance : largement
rentabilisées sur l’immense marché intérieur, les productions
audiovisuelles - films ou émissions télévisées - peuvent être
exportées à bas prix vers les diffuseurs étrangers. Les autorités
états-uniennes soutiennent leur industrie cinématographique,
exigeant l’ouverture des écrans étrangers à ses réalisations :
accord Blum/Byrnes en 1946, dénonciation par Washington à
l’OMC de « l’exception culturelle » française. Il faut intégrer les
conditions propres à chaque pays pour expliquer les différences :
la France a par exemple une politique de soutien à la création
cinématographique qui reste une exception en Europe.
→Doc. 4 : Les étudiants étrangers aux États-Unis.
La carte localise les pays d’origine en fonction du nombre et la
courbe retrace l’évolution générale. Ces étudiants sont nombreux dans les filières scientifiques et technologiques (ils y sont
même majoritaires au niveau du 3e cycle) et dans les business
schools. La plupart retournent dans leur pays, y intègrent les
élites locales, celles qui deviennent ensuite les interlocuteurs
des hommes d’affaires ou des diplomates états-uniens.
→Doc. 5 : Au cœur de Tunis, un salon de thé dédié à Facebook,
en 2011.
Facebook a été créé sur le campus d’Harvard en 2004 par Mark
Zuckerberg. Ce réseau social aurait en 2010 plus de 500 millions
d’usagers actifs. Il a facilité la mobilisation des manifestants lors
du « printemps arabe » qui a renversé en 2011 des régimes autoritaires en Tunisie puis en Égypte. Qu’il soit associé à l’idée de
liberté dans un monde arabe majoritairement critique par rapport aux États-Unis peut atténuer des stéréotypes (quitte à les
remplacer par d’autres).
Elle peut s’expliquer par l’attractivité des universités américaines (doc. 1). Venant nombreux de pays autoritaires, ces
étudiants peuvent rechercher un environnement propice à la
liberté intellectuelle. Ils viennent pour se former à des savoirs
qui leur seront utiles dans leur vie professionnelle, en phase avec
ce qui se pratique dans les nombreuses filiales de corporations
implantées à l’étranger. Ils viennent parce que l’anglo-américain
est devenu la langue universelle des élites - c’est parfois aussi
la langue d’origine des étudiants (cf. Inde, Nigeria, Canada). On
pourrait ajouter que les autorités états-uniennes délivrent largement les visas pour études. La présence sur le sol des États-Unis
de millions d’étudiants étrangers peut favoriser la diffusion de
l’American way of life.
5. On peut dire que « le monde entier est en Amérique » parce
que le pays reçoit des immigrants venus de tous les horizons
culturels comme le montre la carte 4. La dernière phrase du
document 2 contredit l’affirmation courante selon laquelle
s’opérerait une « américanisation » du monde. Selon Valladao,
on ne peut identifier une « culture américaine » sui generis ; on
a plutôt une World Culture élaborée en Amérique parce qu’il y a
brassage de « toutes les cultures et [de] toutes les sensibilités du
globe ». L’Amérique rayonne parce qu’elle accueille.
◗ Texte argumenté
Le rayonnement culturel est un aspect de la puissance étatsunienne : il résulte des autres formes de cette puissance, et
singulièrement des capacités économiques qui permettent de faire
vivre tout à la fois universités, centres de recherche, industries de
l’entertainment. Mais la créativité que manifeste le pays en ce
domaine ne peut davantage être disjointe du climat de liberté et du
cosmopolitisme de la population.
C’est un levier de la puissance dans la mesure où les films, les émissions télévisées, mais aussi d’autres biens ou services culturels tels
les réseaux sociaux, contribuent à la notoriété des États-Unis, à
leur prestige (cf. le nombre de leurs prix Nobel, la renommée de
leurs universités, de leurs grands musées, etc.) ainsi qu’à la diffusion de l’American way of life. Tous éléments qui, peut-on penser,
prédisposent ensuite les peuples et leurs dirigeants à accueillir favorablement les initiatives de la première puissance mondiale.
Leçon 3
◗ Réponses aux questions
1. Le succès de la culture de masse tient au fait qu’aux ÉtatsUnis la culture s’est adressée d’emblée « au peuple » et non pas
« à l’aristocratie intellectuelle » à la différence de « la vieille
Europe ». L’essor de la « haute culture » est relié dans ce texte
au prestige des universités et centres de recherche états-uniens,
prestige en partie dû aux moyens financiers considérables dont
ils disposent en comparaison de leurs homologues européens.
2. La capacité d’exportation du cinéma américain reste liée à
son universalité d’après le document 2 : il s’adresse aux ÉtatsUnis mêmes à « un marché intérieur qui comporte déjà toutes
les cultures et toutes les sensibilités du globe » et il tire parti
de ressources venues du monde entier (« scénarios français »,
« capital allemand ou japonais », etc.).
3. Un réseau social peut contribuer au rayonnement des ÉtatsUnis parce que, dès lors qu’il est associé à ce pays, il peut en
donner une image attractive ou du moins atténuer des perceptions hostiles. Plus indirectement, le réseau social qui favorise
la communication « horizontale », non hiérarchique et institutionnelle, affirme par lui-même des valeurs chères à l’Amérique :
la liberté de l’individu, la défiance face aux pouvoirs, le droit à
l’information…
4. Le nombre d’étudiants étrangers passés par les universités
états-uniennes a énormément progressé, en nombre absolu : il
est passé de 500 000 environ en 1955 à près de 7 millions en
2007. La progression est forte depuis les années 1980 surtout.
p. 210-211
1962-1991 : l’exercice de la puissance
dans un monde bipolaire
→Doc. 1 : Les États-Unis dans le monde selon Nixon.
Le texte est extrait de l’allocution qu’adresse Nixon aux
Américains le 8 août 1974 au moment de sa démission forcée
consécutive au scandale du Watergate. Il dresse ici un bilan (flatteur) de sa politique étrangère. Il indique les tâches qui restent
à accomplir : œuvrer pour le développement - l’ONU qui a exigé
en 1973 un NOEI (Nouvel ordre économique international) en
fait alors une priorité.
→Doc. 2 : La détente dans l’espace.
La mise sur orbite du Spoutnik en 1967 fut vécue comme un traumatisme national aux États-Unis, d’où la création de la NASA qui
prit sa revanche en amenant les premiers hommes sur la Lune en
1969. L’espace est un théâtre et un enjeu de l’affrontement Est/
Ouest, avec des projets de le militariser : dans ces conditions,
cette image traduit l’apogée de la détente dans l’été 1975, peu de
temps avant la signature des accords d’Helsinki.
◗ Réponse à la question
1. La rencontre en juillet 1975 des satellites Apollo et Soyouz est
emblématique de la détente entre les deux Grands car la compétition pour la conquête de l’espace avait été très vive entre eux
depuis la mise sur orbite par l’URSS du Spoutnik.
Chapitre 6 - Les chemins de la puissance : les États-Unis et le monde depuis 1918
• 83
© Hachette Livre
→Doc. 2 : Culture américaine ou culture monde ?
→Doc. 3 : Ambassade des États-Unis à Téhéran (Iran),
novembre 1979.
La scène symbolise pour les Américains l’abaissement de leur
pays : à Téhéran, la bannière étoilée est brûlée et des ressortissants états-uniens sont retenus dans l’ambassade pendant plus
d’un an. Cette image et le rappel quotidien de la situation à la
télévision dans les mois qui suivent ont considérablement affaibli l’autorité du président Carter.
→Doc. 4 : Ronald Reagan appelle ses compatriotes au sursaut.
Le texte est extrait de l’adresse inaugurale que prononce le nouvel occupant de la Maison-Blanche au moment de sa prise de
fonction, en janvier (depuis 1936, c’était en mars auparavant).
L’ancien acteur puis gouverneur de Californie R. Reagan a été
élu en novembre 1980 sur le slogan « America is back ». Il refuse
la prophétie du « déclin inévitable » que bien des observateurs
promettent alors à l’Amérique.
◗ Réponse à la question
1. Le discours invoque les ressorts chers à l’Amérique des pionniers, la volonté individuelle et l’optimisme, « l’aide de Dieu »,
la fierté d’être « des Américains » - ici le qualifi catif acquiert en
lui-même une valeur positive.
2. Quand il évoque des « puissances régionales significatives »
on peut penser bien entendu à la Chine mais aussi au Brésil, à
l’Inde, à la Russie, etc.
→Doc. 4 : Les leviers de la puissance américaine au début du
xxie siècle.
Le graphique étalonne les puissances selon 12 éléments impliqués dans les relations internationales : le poids, les capacités
militaires, les ressources économiques, le soft power. On peut
discuter de l’inclusion de l’Union européenne dans la liste. Elle
reste plus une addition de pays, un espace, qu’un acteur international : peut-on parler de puissance en l’absence de sujet
politique, de volonté commune ?
◗ Réponse à la question
1. En comparaison des autres puissances, les États-Unis se singularisent par le fait qu’ils disposent de la totalité des douze
leviers d’influence répertoriés ici et occupent les premiers rangs
pour chacun d’eux.
Histoire des Arts
p. 214-215
Le pop art, une universalisation de l’imaginaire
Leçon 4
p. 212-213
Depuis 1991 : les États-Unis, hyperpuissance
ou déclin ?
→Doc. 1 : Le poids des États-Unis dans l’économie mondiale,
1992-2009.
De 1992 à 2009, toutes les économies de l’OCDE, à l’exception
de l’Espagne, enregistrent un recul plus ou moins marqué de
la part qu’elles représentent dans le PIB mondial - avec toute
la marge d’approximation que comporte un tel agrégat tant la
fiabilité des statistiques de ce type est inégale selon les pays.
Seuls parmi les dix premières économies du monde, la Chine et
le Brésil voient progresser leur part.
◗ Réponse à la question
1. Le graphique traduit la redistribution des cartes entre économies développées et pays émergents. Cela étant, le déclin des
États-Unis est très relatif : leur PIB équivaut à près du quart du
total mondial en 2009 quand le Japon, au second rang, est aux
environs de 8 %.
→Doc. 2 : Le porte-avions Dwight D. Eisenhower emprunte le
canal de Suez pour rejoindre le Golfe persique, août 1990.
Ce bâtiment à propulsion nucléaire, détaché de la 6e flotte de
l’US Navy basée en Méditerranée, a quitté son port d’attache
pour se rendre dans le Golfe persique via le canal de Suez afin de
faire pression sur l’Irak de Saddam Hussein qui vient d’annexer
le Koweït, opération immédiatement condamnée par le Conseil
de sécurité de l’ONU.
◗ Réponse à la question
1. Le porte-avions est une composante privilégiée de l’appareil
militaire états-unien car il permet la maîtrise des mers et la projection des forces à longue distance.
→Doc. 1 : Marilyn, œuvre d’Andy Warhol, figure emblématique
du pop art américain, 1962.
L’artiste new-yorkais Andy Warhol devient dans les années 1960
une figure de proue du pop art. Ses tableaux, qui transforment
en icônes les objets les plus ordinaires de la société de consommation solidement ancrée dans l’Amérique d’alors ou bien les
figures qui hantent la sphère médiatique (hommes politiques,
actrices, etc.), contribuent à diffuser dans le monde entier une
image de l’American way of life - même si on ne peut réduire
bien évidemment son travail à cette dimension, ni même lui prêter cette intention. Cette sérigraphie est un portrait de Marilyn
Monroe. Warhol, fasciné par la comédienne et sa mort brutale
en 1962, en a du reste réalisé bien d’autres. Même s’il n’est pas le
premier peintre à le faire, prendre pour modèle une vedette du
show business est en décalage avec la tradition du portrait telle
qu’elle existe en Occident depuis la Renaissance pour livrer à la
postérité le visage d’un puissant. C’est prendre acte de l’avènement d’une « société du spectacle » qui consacre un nouveau
type de notoriété.
→Doc. 2 : Rêverie, œuvre de Roy Lichtenstein, peintre améri-
Politologue états-unien d’origine polonaise, Z. Brzezinski était le
conseiller à la sécurité nationale de Carter.
cain, 1965.
Roy Lichtenstein, peintre et sculpteur, reprend en les détournant les thèmes et l’iconographie de la bande dessinée et de la
publicité.
◗ Réponses aux questions
→Doc. 3 : Suite américaine, œuvre de Bernard Rancillac,
1. Il juge inadéquat l’épithète « multipolaire » parce qu’elle sug-
peintre français, 1970.
Bernard Rancillac est un peintre français qui, venu de l’abstraction, se rattache à partir des années 1960 au courant de la
Nouvelle figuration qui porte un regard critique sur la société
→Doc. 3 : Les États-Unis dans le monde au début du xxie siècle.
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L’hégémonie des États-Unis en matière de culture de masse
est connue. Ce dossier rappelle le rôle central que joue le pays
en matière de « haute culture » à travers l’exemple d’un courant pictural, le pop art. Courant d’autant plus intéressant qu’il
montre la porosité de la frontière entre ces deux formes de
culture puisque les artistes qui s’y rattachent ont détourné les
codes et les contenus de la culture de masse. Né dans les années
1950 à la fois en Angleterre et aux États-Unis, ce courant a connu
d’importants développements dans ce dernier pays avant d’essaimer ailleurs. Objectivement, il souligne le fait que l’Amérique
est devenue le « lieu central » de la culture mondiale (cf. « L’art
dans la mondialisation », Questions internationales, n° 42, marsavr. 2010).
gère l’image d’un monde équilibré entre des pôles de puissance
d’égale importance alors que, s’il n’y a pas une unique grande
puissance, il existe tout de même une hiérarchie des puissances.
84 • Chapitre 6 - Les chemins de la puissance : les États-Unis et le monde depuis 1918
→Doc. 4 : Un visiteur devant Lenin Coca-Cola, une œuvre
d’Alexander Kosolapov, peintre russe du sots art, dans une
exposition organisée à Moscou, 2009.
Alexander Kosopalov est un peintre russe installé aux États-Unis
depuis 1975. Il s’inscrit dans les prolongements contemporains
du pop art, en le croisant avec l’imaginaire soviétique forgé par
le réalisme socialiste. Kosopalov a conçu cette image en 1980
et l’a ensuite déclinée en nombreuses versions, sous formes de
cartes postales ou de tableaux comme celui-ci. L’artiste, au lieu
de servir un régime comme l’exigeait le réalisme socialiste, est
désormais intégré à l’économie marchande : cette toile, achetée et exposée par une galerie très en vue, circule sur le marché
international de l’art polarisé par les galeries et musées des
États-Unis.
◗ Réponses aux questions
1. Il s’agit d’un portrait : l’actrice Marilyn Monroe est identifiée par un visage et son prénom. Il n’est cependant pas réalisé
d’après nature ni dans l’intention de rendre une vérité psychologique mais à partir d’une photographie. Il est démultiplié :
l’individualité s’efface devant l’icône reproduite en nombreux
exemplaires, identifiable par tous (le titre du tableau n’a besoin
que du prénom). La personne disparaît derrière la série.
2. Ce visage aux contours simplifiés, bien dessinés, ressemble à
celui des héroïnes de bande dessinée. La bulle fait aussi penser
au 9e art. C’est là aussi un faux portrait : ce visage est inexpressif.
Ce n’est pas une personne qui est figurée mais un stéréotype tel
qu’on en trouve dans les magazines, les publicités ou la bande
dessinée : l’image standardisée d’un vague mal-être, d’une nostalgie. Le peintre emprunte les codes d’un art de masse pour
suggérer un univers factice.
3. Cette toile rappelle les scènes et les personnages des films
de gangsters. Le titre impose le rapprochement avec des réalités
très médiatisées à propos des États-Unis. Le spectateur imagine
nécessairement un lien narratif entre les trois scènes cadrées
comme au cinéma et des personnages qui semblent photographiés plutôt que peints.
4. Le fond rouge du tableau, le visage de Lénine et la formule
« ceci est la chose réelle » (allusion au matérialisme historique
initié par Marx : par opposition aux idées, aux croyances, « la
chose réelle », c’est la lutte des classes) font penser au réalisme
socialiste. La confrontation avec le logo de Coca-Cola détourne
la formule de Lénine : on peut entendre que le réel c’est le succès
universel de cette firme emblématique du capitalisme étatsunien ; firme du reste identifiée à ce même rouge qui figure sur
toutes ses publicités, en contraste avec le blanc qui est employé
pour le slogan et le visage de Lénine. Coca-Cola est « la chose
réelle » : le message révolutionnaire devient slogan publicitaire.
5. Alors que la culture de masse consiste à distraire et cultive le
stéréotype, ces toiles instillent un doute, une distance avec ce
que la culture de masse présente comme « le monde réel ».
6. Ces œuvres évoquent les images, les objets, les loisirs, les
procédés (la production en série) caractéristiques de l’American
way of life sur le mode de la mise à distance plus que de la fascination ou du rejet.
7. Quelle que soit l’intention des peintres, ces œuvres contribuent à universaliser l’expérience américaine, à la rendre
présente à tout un chacun. En ce sens, elles participent d’une
forme de la puissance américaine.
Prépa Bac
p. 218-223
◗ Composition
Sujet guidé - Les États-Unis, l’affirmation
d’une puissance mondiale depuis les années 1920
5. Rédiger l’introduction et la conclusion
Introduction
L’introduction 1 répond aux attentes du sujet. L’introduction 2
ne définit pas correctement les termes du sujet : elle n’évoque
pas les bornes chronologiques et ne montre pas comment les
États-Unis ont étendu leur influence dans le monde mais dans
quels domaines ils sont puissants. La problématique et le plan
révèlent les mêmes défauts.
Conclusion Au cours du xxe siècle, l’affirmation de la puissance dans les
domaines politique, économique, militaire, culturel a donné aux
États-Unis une influence mondiale sans égale ; la disparition de
l’URSS en 1991 a permis de les qualifier d’hyperpuissance.
Forte dans les années 1920, la contestation de cette puissance
s’est affaiblie aux États-Unis, qui assument désormais ce rôle
mondial. Cette puissance est davantage aujourd’hui remise en
cause à l’extérieur notamment sur les plans politique et culturel
au nom d’un nécessaire multilatéralisme et de la préservation
des identités culturelles. Elle est aussi économiquement de plus
en plus concurrencée par d’autres puissances qui affirment leurs
ambitions.
6. Rédiger le développement
Des lendemains de la Première Guerre mondiale à 1941, l’isolationnisme, renforcé par la crise des années 1930, domine la
politique extérieure américaine.
Quand la guerre éclate en Europe, l’opinion américaine est
attachée à l’isolationnisme. Pour la ménager, le président démocrate Wilson proclame la neutralité du pays. Il y met fin après sa
réélection en 1916, jugeant que seule la participation au conflit
permettra de peser sur les négociations de paix. Ses « Quatorze
Points » les encadrent en effet, malgré les réticences européennes. Pourtant, par conviction ou par calcul politicien, les
républicains, majoritaires au Congrès, rejettent l’adhésion des
États-Unis à la Société des nations. L’échec du wilsonisme est
sanctionné par la large majorité obtenue à l’élection présidentielle par le républicain Harding sur le slogan « America First ».
L’Amérique rurale, puritaine et conservatrice, voit la révolution
communiste qui a triomphé en Russie comme une menace suscitant outre-Atlantique une « peur des Rouges ». Les présidents
républicains flattent ce nationalisme en limitant l’immigration
(lois des quotas) et en augmentant les taxes douanières. Les
États-Unis sortent économiquement renforcés de la guerre et
n’appliquent pas l’isolationnisme aux questions économiques :
prêts à l’Europe pour les réparations (plans Dawes puis Young)
et envolée des exportations des biens comme des capitaux. La
crise de 1929 change la donne. Même si en Wilsonien convaincu,
le démocrate F. D. Roosevelt apporte quelques inflexions politiques (les États-Unis entrent à la SDN, reconnaissent l’URSS),
le New Deal (nouvelle donne) compte sur les seuls mécanismes
internes pour redresser l’économie.
La Deuxième Guerre mondiale constitue un tournant majeur
dans le rôle des États-Unis sur la scène mondiale, où ils vont
désormais affirmer leur puissance.
Après une guerre totale contre l’Axe, Roosevelt expose ses
projets lors des conférences interalliées, à Yalta notamment :
création d’une Organisation des Nations unies (ONU) dont le
siège s’installe à New York, restauration d’un système monétaire
international (accords de Bretton Woods) et GATT. La paix par
la concertation et le commerce est gage de prospérité : l’Amé-
Chapitre 6 - Les chemins de la puissance : les États-Unis et le monde depuis 1918
• 85
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occidentale et entend par là même contribuer à sa transformation. Il se montre en particulier très critique par rapport
aux États-Unis et à la guerre qu’ils mènent alors au Vietnam.
Rancillac travaille sur la photographie, les collages d’extraits de
presse et d’images publicitaires en développant une réflexion
sur la mise en scène de l’information par rapport à l’expérience
vécue. Cette toile de très grand format (plus de 4 m sur près de 2
m) a été réalisée à partir de photographies projetées à l’épiscope.
rique renoue avec l’internationalisme wilsonien. Les États-Unis
doivent pourtant compter avec l’autre grand vainqueur, l’URSS.
La méfiance s’installe rapidement. Truman dénonce le nonrespect de la Déclaration sur l’Europe libérée adoptée à Yalta.
Il soupçonne aussi Moscou d’attiser en Chine ou en Grèce la
guerre civile pour propager le communisme et donne à son pays
la mission d’assurer la défense du « monde libre ». L’Amérique
mobilise ses dollars et ses armées pour assurer son redressement
et sa protection, notamment en Europe, via le plan Marshall
et le pacte Atlantique, ce qui entraîne un effort économique
important. Tandis que la peur du communisme fait le lit du maccarthysme. Á l’extérieur, les États-Unis s’engagent dans de vastes
opérations (blocus de Berlin-Ouest, guerre de Corée) et passent
des alliances pour isoler le bloc communiste. Ils se lancent aussi
dans la course aux armements et la compétition spatiale face à
l’URSS. Malgré la défaite au Vietnam en 1975, un recul de leur
influence au Moyen-Orient et des difficultés intérieures, liées au
scandale du Watergate, les États-Unis renforcent leur puissance
au début des années 1980. La course aux armements, qui ruine
l’URSS, leur permet d’affirmer leur suprématie économique et
politique.
La chute de l’URSS en 1991 donne aux États-Unis le statut d’hyperpuissance qui occupe désormais une position hégémonique
dans le monde, tant est unique son influence.
La mondialisation qui se développe donne aux entreprises américaines une dimension planétaire. La Maison-Blanche appuie ce
processus : il est conforme au wilsonisme qui fait de l’échange la
condition de la prospérité. Militairement, les États-Unis jouent
un rôle de premier plan lors de la guerre du Golfe en 1990-1991 et
confortent ainsi leur présence au Moyen-Orient. Les États-Unis
font figure d’hyperpuissance : ils attirent à nouveau des millions
d’immigrants et disposent de tous les leviers d’influence. Mais
cela est remis en cause par les attentats du 11 septembre 2001 et
le début de la « guerre au terrorisme ». Les États-Unis s’engagent
en Afghanistan puis en Irak dans des aventures incertaines et,
pour la seconde, sans l’aval de l’ONU. L’objectif déclaré, la stabilisation du « grand Moyen-Orient », n’est pas atteint. L’opinion,
favorable au départ, s’inquiète quand s’allonge la liste des tués.
Sur le plan économique, les crises boursières et financières se
succèdent, liées aux mouvements spéculatifs de capitaux et au
surendettement des Américains. Le déficit commercial se creuse
et les capitaux étrangers deviennent indispensables pour équilibrer les comptes extérieurs et combler le déficit de l’État fédéral.
Toutefois, les atouts que conserve la première puissance mondiale sont indéniables.
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Sujet en autonomie - Acteurs et leviers
de la puissance américaine depuis la Seconde Guerre
mondiale
Problématique : Sur quoi repose la puissance des États-Unis
depuis la Seconde Guerre mondiale ?
Plan
1. Les États-Unis s’affirment comme une puissance politique et
militaire de premier plan
– Les États-Unis, chefs de file du bloc occidental pendant la
Guerre froide
– Une puissance qui reste incontournable depuis 1991
2. Un poids économique renforcé dans le cadre de la
mondialisation
– D’immenses ressources financières et économiques
– De l’extension du libre-échange à la mondialisation : le rôleclé des États-Unis
3. Une influence culturelle qui s’étend de l’Occident au monde
entier
– Moyens et acteurs de la diffusion de la culture américaine
– L’évolution du rayonnement culturel de la Guerre froide à nos
jours
◗ Étude de document(s)
Sujet guidé - Du Wilsonisme à l’isolationnisme
Présentation
Le document 1 est un extrait du discours dit des « Quatorze
Points », prononcé par le président démocrate Woodrow Wilson
devant le Congrès américain le 18 janvier 1918. Á cette date, le
premier conflit mondial n’est pas encore terminé en Europe,
et les États-Unis y participent aux côtés de l’Entente (France,
Royaume-Uni, Russie) depuis avril 1917. L’objectif de Wilson est
de mettre fin à la guerre et de reconstruire l’Europe autour d’un
idéal de paix. Pour cela, il envisage la création d’une Société des
Nations, organisation internationale chargée de garantir la paix.
Le document 2 est une caricature américaine, opposée au projet
de la Société des Nations, parue dans la presse en 1920 : elle
met en scène John Bull, qui incarne l’Angleterre, demandant
depuis son navire à l’Oncle Sam, qui incarne les États-Unis, de lui
envoyer une nouvelle armée. Pendant cet échange, des soldats
américains de retour au pays débarquent à quai, portant leurs
camarades tombés sur le front dans des civières. Comme le dit le
titre, cette situation serait celle des Américains « si nous étions
dans la Société des Nations ». L’opinion publique américaine
semble donc bien réticente à l’idée de s’engager dans ce projet.
Á partir de ces documents, comment expliquer, qu’en moins de
deux ans, les États-Unis soient passés du wilsonisme à l’isolationnisme ? Il convient de s’intéresser d’abord aux principaux
aspects du projet de Wilson pour reconstruire les relations internationales sur de nouvelles bases avant d’expliquer les raisons
de son échec auprès de l’opinion publique et du sénat américain.
• Le président démocrate Wilson, qui a décidé en avril 1917 de
l’intervention des États-Unis dans la Première Guerre mondiale,
propose au monde en janvier 1918 une « nouvelle diplomatie ».
Le projet wilsonien repose sur plusieurs principes permettant de
promouvoir enfin une paix durable :
En premier lieu, les quatre premiers points jettent les bases
d’une paix durable en établissant les bases de relations internationales pacifiées : l’abolition de la diplomatie secrète (article 1) ;
le libre-accès à la mer (article 2) ; l’instauration du libre-échange
par l’abolition des droits de douanes et l’ouverture des marchés
de capitaux et de marchandises (article 3) ; le désarmement
(article 4).
Puis, les points 7 à 13 mettent en œuvre le principe du droit à
l’autodétermination des peuples, ou droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes, en Alsace-Lorraine (article 8), en Italie (article 9),
dans l’Empire multinational austro-hongrois (article 10) et en
Pologne (article 13). Wilson propose ce nouveau principe de droit
international afin de permettre à chaque peuple de disposer d’un
choix libre et souverain pour déterminer la forme de son régime
politique, indépendamment de toute influence étrangère.
Mais la grande nouveauté réside dans le point 14, qui envisage
la création d’« une association générale des nations [...] visant
à offrir des garanties mutuelles d’indépendance politique et
d’intégrité territoriale aux grands comme aux petits États ». Cet
article constitue en effet la base politique officielle de la SDN,
Société des Nations, organisation internationale prônant la
négociation collective entre pays souverains, quelle que soit leur
taille et leur rang dans le monde, inaugurant une forme moderne
de multilatéralisme international.
• Mais le projet wilsonien heurte les vues de l’opinion publique
américaine, comme l’illustre la caricature parue outre-Atlantique en 1920 (doc. 2). Endeuillés par les pertes occasionnées par
le conflit, et profondément attachés à leur patrie, les Américains
se reconnaissent davantage dans le discours isolationniste des
Républicains que dans l’idéal wilsonien.
Historiquement, les États-Unis se sont construits sur cette
distance vis-à-vis des nations européennes, et ont très tôt
affirmé qu’ils ne voulaient pas « laisser dépendre [leur] paix et
86 • Chapitre 6 - Les chemins de la puissance : les États-Unis et le monde depuis 1918
[leur] prospérité de l’ambition, de l’intérêt ou du caprice des
Européens », comme le déclarait déjà Georges Washington
dans son Discours d’adieu, en 1796. D’ailleurs, lorsque la guerre
éclate, le 3 août 1914, Wilson souhaite observer une stricte neutralité et maintenir l’unité nationale d’un pays dont un habitant
sur quatre est né à l’étranger ou de parents originaires des deux
blocs antagonistes. Ce sont les provocations allemandes (cargos
américains coulés par les sous-marins allemands) qui poussent
le démocrate à changer d’avis et à faire entrer son pays dans la
guerre. Si les Américains ont bien voulu se battre outre-Atlantique pour défendre les valeurs démocratiques, ils ne sont pas
prêts à renouveler indéfiniment l’expérience. Le pays ne semble
pas adhérer pour autant au projet wilsonien, comme le montre
la caricature : les « Sammies » (soldats de l’Oncle Sam) n’ont
pas l’intention de repartir, ce qui leur serait à coup sûr demandé
« si nous étions dans la Société des Nations ». L’armistice de
novembre 1918 signé, les Américains refusent de s’intéresser aux
affaires du monde, renouant durablement avec leur tradition
isolationniste.
Ces deux documents montrent donc le conflit né au lendemain
de la Première Guerre mondiale entre le président démocrate
américain Wilson et les Républicains, opposant deux visions
radicalement différentes des relations des États-Unis avec le
reste du monde. Cette opposition met en jeu des principes
essentiels et contradictoires, qui sont au cœur même de l’identité américaine et de la fondation des États-Unis : messianisme
et destinée manifeste contre isolationnisme et nationalisme.
Cependant, le wilsonisme aura une influence durable dans la
pensée politique américaine, Roosevelt et Truman poursuivront
son œuvre et l’ONU reprendra en l’améliorant l’héritage laissé
par la SDN.
Sujet en autonomie - La puissance des États-Unis
en 1945
Présentation
Le document 1 est un texte tiré des Mémoires de guerre du
général de Gaulle, racontant la rencontre entre le Général et le
président américain démocrate Harry Truman, du 22 au 24 août
1945.
Le document 2 présente un bilan humain et économique chiffré
de la Seconde Guerre mondiale pour les principaux belligérants.
Le contexte dans lequel s’inscrivent ces deux documents est
celui du monde d’après-guerre qui consacre l’effondrement de
l’Europe et la suprématie des États-Unis dans tous les domaines
de la puissance.
•
Sujet en autonomie - L’Amérique impériale
et sa contestation
Présentation
Le document 1 est un extrait de la déclaration faite par Harry
Truman, président démocrate des États-Unis ayant succédé à
Roosevelt en 1945, au Congrès américain le 12 mars 1947. Ce
texte est plus connu sous l’appellation de « doctrine Truman ».
Le document 2 est une chanson communiste française (paroles
anonymes, musique de Darius Milhaud), datant de 1953, intitulée
Les Ricains en Amérique.
Le contexte dans lequel s’inscrivent ces deux documents est
celui de la Guerre froide, conflit né dès 1947 entre les deux
grandes puissances issues de la Seconde Guerre mondiale, les
États-Unis et l’URSS, chacune cherchant à dominer une partie
du monde et à y imposer son modèle économique, politique et
social.
• La doctrine Truman constitue un tournant majeur dans la
politique extérieure américaine :
– La doctrine Truman, souvent associée à la théorie de l’endiguement (containment en anglais), défend l’idée que les
Américains doivent lutter contre l’expansion du communisme
en Europe et partout ailleurs dans le monde.
– Cette aide doit prendre la forme d’un soutien matériel et
financier (via le plan Marshall), la bonne santé économique d’un
pays étant garante du maintien de la démocratie.
– Elle se traduit également par l’entrée des pays alliés des ÉtatsUnis dans un système d’alliances militaires.
• La doctrine Truman suscite de nombreuses contestations.
• La chanson communiste dénonce l’impérialisme américain
(« Plan Marshall et Pacte atlantique, la guerre au peuple soviétique »). Il faut rappeler que l’URSS communiste fédère elle
aussi un camp, depuis 1947, autour de la doctrine Jdanov qui
condamne les États-Unis, présentés comme « impérialistes et
anti-démocratiques ». Même si la France fait officiellement partie du camp pro-américain, des communistes français semblent
désapprouver l’alliance de leur pays avec les EU et réclament
« les Ricains en Amérique / Et la France en république », refusant toute aide américaine « Coca-cola et whisky, non messieurs
les Yankees ».
© Hachette Livre
Comme le constate le général de Gaulle, les États-Unis sont
la puissance mondiale dominante au lendemain de la Seconde
Guerre mondiale. Leur leadership (domination) revêt différents
aspects :
– économique : « Parmi les belligérants, ce pays était le seul
intact. Son économie, bâtie sur des ressources en apparence illimitées, se hâtait de sortir du régime du temps de guerre pour
produire des quantités énormes de biens de consommation. »
Leur PIB est passé de l’indice 100 en 1938 à l’indice 161 en 1946,
et leurs exportations sont passées aux mêmes dates de l’indice
100 à l’indice 191. En effet, l’Europe, ravagée par la guerre garantit « aux entreprises les plus vastes débouchés ». Tous les autres
pays d’Europe et le Japon, au même moment, connaissent l’évolution inverse.
– militaire : les Américains sont ceux qui ont perdu le moins
d’hommes pendant le second conflit mondial (300 000
hommes). Ils ont mis au point les premiers la bombe atomique,
qu’ils ont utilisée contre le Japon les 6 et 9 août 1945 (Hiroshima
et Nagasaki) : « Et puis, ils étaient les plus forts ! Quelques jours
avant ma visite à Washington, les bombes atomiques avaient
réduit le Japon à la capitulation. »
• Les États-Unis entendent bien exercer aussi un leadership
politique sur le monde d’après-guerre.
– En 1945, en effet, un nouvel ordre mondial s’annonce, celui de
la Guerre froide : « Le nouveau président avait […] admis que la
rivalité du monde libre et du monde soviétique dominait tout,
désormais ».
– Le communisme étant devenu le principal danger pour les
Américains, ils décident de protéger le reste du monde de son
extension : « le président Truman était, en effet, convaincu que
la mission de servir de guide revenait au peuple américain ». La
bipolarisation du monde s’annonce et, selon de Gaulle, « devant
la menace, le monde libre n’avait rien de mieux à faire, ni rien
d’autre, que d’adopter le leadership de Washington ».
Chapitre 6 - Les chemins de la puissance : les États-Unis et le monde depuis 1918
• 87
 7
Les chemins de la puissance :
la Chine et le monde depuis 
p. 224-257
Thème 3 – Puissances et tensions dans le monde de la fin de la Première Guerre mondiale à nos jours
Question
Mise en œuvre
Les chemins de la puissance
La Chine et le monde depuis le « mouvement du 4 mai 1919 »
◗ Nouveauté du programme de terminale
•
Suivre sur un siècle le rapport de la Chine au monde tranche
avec les programmes antérieurs qui mettaient en avant un
« modèle communiste » présenté comme distinct de celui
incarné par l’URSS. Le fil directeur retenu dans ce nouveau programme est tout autre. Il permet, par-delà la rupture de 1949, de
replacer l’expansion chinoise en cours dans une histoire longue
qui lui restitue toute sa portée. Rappeler l’humiliation d’une soumission pas si lointaine permet d’éclairer la volonté de revanche
qui sous-tend les dynamiques actuelles. Elle souligne l’originalité
de la trajectoire chinoise vers la puissance : l’accession rapide
d’un pays du tiers monde au rang de dauphin de l’hyperpuissance américaine.
• La question aborde sous un angle historique la notion de
puissance et complète ce qui se fait depuis longtemps en
géographie. Elle s’inscrit dans une optique géopolitique soucieuse de donner aux lycéens des clés de compréhension du
xxie siècle : le monde contemporain est animé par des puissances d’inégale importance. L’étude de celles qui polarisent
notre planète globalisée permet d’enrichissantes comparaisons.
• Évoquer la Chine, c’est aussi sensibiliser les élèves à la nécessité d’un regard décentré sur notre monde : il n’est pas tout
entier organisé autour de l’Occident. La difficulté n’est pas
mince et les lycéens manqueront assurément de connaissances
sur l’histoire de la Chine, ce pays-monde – « beaucoup d’espace,
beaucoup de gens, beaucoup de temps » (Pierre Gentelle). C’est
pour cela que le manuel propose, en introduction du chapitre,
des pages « Repères » permettant de comprendre les spécificités de l’histoire et de la civilisation chinoises.
◗ Problématiques scientifiques du chapitre
© Hachette Livre
•
Quels sont les acteurs, les mobiles et les stratégies des forces
qui, des années 1920 à nos jours, se sont efforcés d’arracher la
Chine au déclin ? « La Chine » n’est en effet qu’un mot commode. Dès lors qu’il s’agit d’analyser un rapport au monde, il faut
prendre en compte non pas seulement les gouvernants, mais
aussi les milieux d’affaires (ils sont privés dans les années 19201930, jusqu’à quel point le sont-ils redevenus de nos jours ?),
l’opinion (elle a une autonomie relative, même dans le système
autoritaire qui régente la Chine) et d’autres forces encore qui
ont des vues propres (des cercles intellectuels, les militaires,
etc.). L’étude doit éviter l’écueil du « géographisme » érigeant
l’espace en sujet de son histoire : pour les États-Unis comme
pour la Chine, analyser un « chemin vers la puissance », c’est
identifier les acteurs qui fixent un horizon et mettent en œuvre
les moyens pour l’atteindre, avec des priorités propres et d’éventuelles divergences.
• « Que veut la Chine ? » Ses dirigeants évoquent avec insistance « l’émergence pacifique de la Chine », ils insistent sur leur
volonté de ne pas bousculer l’ordre international existant, que
ce soit en Asie ou partout ailleurs dans le monde. Leur conservatisme les conduit du reste à jouer le statu quo, s’accommodant
de tous les régimes, y compris les plus répressifs. Le pays ne
nourrit pas de projet messianique : il ne fait guère de sa réussite économique ou de son système sociopolitique un article
d’exportation. Pourtant, entre succès économique et ambitions
géopolitiques, quelle hiérarchie le Parti communiste établit-il ?
Des études sur les cercles intellectuels qui gravitent autour du
88 • Chapitre 7 - Les chemins de la puissance :
pouvoir apportent des éléments de réponse (M. Leonard et
F. Israël, Que pense la Chine ?, Plon, 2008).
• La question se double d’une autre : que peut la Chine ? Quel
est, par-delà « l’écume » de l’actualité médiatique et ses pronostics hasardeux, l’exact rapport de forces entre la Chine et la
puissance américaine qui constitue pour Pékin l’unique rival crédible ? La réponse n’est pas assurée tant reste incertaine toute
une série d’éléments : capacité d’innovation de l’économie, état
de l’opinion par rapport au régime, niveau des dépenses militaires, etc.
◗ Quelques notions-clés du chapitre
•
Émergence pacifique : concept qui revient régulièrement
dans les discours des dirigeants chinois depuis 2004. Il est présenté comme le socle d’une nouvelle diplomatie qui proclame
l’ambition de puissance de la Chine et se veut en même temps
rassurante pour les pays voisins comme pour les alliés ou adversaires potentiels. Pékin garantit à tous sa non-ingérence dans
leurs affaires intérieures et son refus d’user de la force pour
régler les différends internationaux. C’est traduire de façon
pragmatique le rapport des forces à l’orée du xxie siècle et se
démarquer de la volonté américaine (celle de l’administration
Bush, en tout cas) d’imposer au besoin par les armes un « nouvel
ordre international ».
• La puissance de la Chine grâce à la mondialisation : processus d’intégration des économies dans un cadre planétaire.
Il est porté, à partir des années 1980, par l’essor des réseaux
informatiques entraînant la circulation croissante des capitaux,
l’accentuation du libre-échange, la dislocation du bloc soviétique
conjuguée à l’abandon par de grands pays en développement de
leurs stratégies de développement autocentré (Mexique, Inde,
etc.). Il est animé par de grandes firmes transnationales qui
conçoivent leur stratégie à l’échelle d’un monde économiquement réunifié, opérant une nouvelle division internationale du
travail dans laquelle les pays disposant d’une réserve de maind’œuvre à bas coût sont destinataires des opérations exigeant
un « travail routinier » (R. Reich). La Chine, « pays du milliard »,
devient une plaque tournante de cette nouvelle configuration
dès lors que ses dirigeants décident d’accueillir les capitaux
étrangers.
• Tiers monde : telle qu’elle est forgée par A. Sauvy dans l’article « Trois mondes, une planète » (L’Observateur du 14 août
1952), l’expression a un contenu socioéconomique avant tout.
Elle attire l’attention sur le fait que les populations déshéritées vivant dans des pays non-industrialisés forment l’essentiel
de l’humanité et que leur misère constitue une bombe à retardement pour l’ordre mondial alors que tous les observateurs
ont les yeux braqués sur le conflit Est-Ouest. Elle se charge
cependant d’un sens géopolitique dès lors que plusieurs pays
en développement refusent l’alignement sur l’un ou l’autre des
deux blocs. Le sens en est brouillé, du coup : nombre de pays
pauvres adhèrent à une alliance militaire et ceux qui se veulent
neutralistes penchent plutôt pour l’URSS – l’Inde de Nehru,
l’Égypte de Nasser. Après sa rupture avec Moscou, la Chine de
Mao se pose en champion naturel du tiers monde, arguant à la
fois de sa pauvreté et de son refus des « deux hégémonismes »,
l’américain et le soviétique.
la Chine et le monde depuis 1919
La Chine a les dimensions de l’Europe, avec une grande diversité
de milieux. On n’a donc pas un mais des rapports au monde,
différenciés selon les espaces et les héritages d’une histoire
bimillénaire. La géopolitique interne de la Chine a de l’importance. Les travaux de Marie-Claire Bergère, notamment son
livre Capitalismes et capitalistes en Chine. Des origines à nos jours,
soulèvent sous cet angle la question des racines de l’internationalisation de l’économie chinoise. Cette historienne rappelle
qu’avant la longue phase de repli sur soi imposée par l’invasion
japonaise puis accentuée par le pouvoir communiste, la bourgeoisie du littoral, celle de Shanghai notamment, avait connu
un « âge d’or » de 1911 à 1937. Stimulée par l’essor des échanges
avec l’Europe, l’Amérique du Nord mais aussi l’Asie, cette « Chine
bleue » tournée vers la mer a, malgré les concessions étrangères
et l’instabilité politique, enregistré une croissance soutenue.
Ce moment fut occulté sous Mao Zedong qui stigmatisait dans
la bourgeoisie « compradore » une classe parasite bradant la
Chine aux intérêts étrangers. Parvenu au pouvoir, il privilégia
la « Chine jaune », celle des multitudes paysannes peuplant les
provinces intérieures. C’était renouer avec le tropisme continental de la bureaucratie impériale, méfiante elle aussi face à
la « civilisation marchande et cosmopolite des côtes ». De ce
fait, l’expansion actuelle tirée par les exportations et l’appel aux
capitaux étrangers dans le cadre de ZES avant tout littorales,
n’est pas réductible à une mondialisation conçue comme simple
greffe occidentale sur une Chine « authentique » essentiellement rurale. Elle ranime un esprit marchand aussi profondément
enraciné que longtemps tenu en suspicion par le pouvoir central.
Ce fait éclaire la capacité d’adaptation de la société à la nouvelle
stratégie voulue par les dirigeants depuis Deng Xiaoping. Mais la
« Chine bleue » a-t-elle définitivement gagné la partie ? La bourgeoisie qui s’y affirme peut-elle développer des valeurs propres,
tant sur le plan intérieur (une aspiration à la liberté ?) qu’à l’égard
du monde extérieur ? Rien n’est moins sûr.
◗ Bibliographie
Ouvrages universitaires
J.-L. Domenach, Comprendre la Chine d’aujourd’hui, Perrin, 2007.
J. -P. Cabestan, La Politique internationale de la Chine, entre intégration et volonté de puissance, Presses de Sciences Po, 2010.
F. Lemoine et C. Bardot, La Chine, histoire, géographie et géopolitique, Pearson Education, 2009.
Articles et documentation pédagogique
M.-C. Bergère, « Le poids de la Chine dans le monde »,
Géopolitique, n° 111, nov. 2010.
« La Chine des Chinois », hors série Courrier international, juinjuil.-août 2005.
« La Chine dans la mondialisation », La Documentation française,
n° 32, juillet-août 2008.
T. Sanjuan, « Le Défi chinois », La Documentation photographique, n° 8064, La Documentation française, juil.-août 2008.
Sites internet
http://www.centreasia.eu/ : un site très riche qui met en perspective les enjeux mondiaux de l’Asie contemporaine.
http://cecmc.ehess.fr/ : un site spécialisé concernant la Chine
contemporaine, dépendant de l’École des hautes études en
sciences sociales (EHESS).
http://perspectiveschinoises.revues.org : revue en ligne analysant les mutations économiques, politiques et sociales de la
Chine contemporaine.
Précision : la transcription du chinois
Le système pinyin a été mis au point en Chine populaire dans
les années 1950 pour rapprocher l’écriture alphabétique de la
prononciation. Il est accepté aujourd’hui comme norme internationale mais la transcription usuelle de certains noms propres a
été conservée dans ce manuel afin de faciliter la lecture : Pékin
(au lieu de Beijing), Chiang Kai-sheck (au lieu de Jiang Jieshi), Sun
Yat-sen (au lieu de Sun Wen), etc. Par ailleurs, l’usage veut que
le patronyme figure en premier : « Mao » est le nom de famille,
« Zedong » le prénom.
Introduction au chapitre
p. 224-225
Le programme insiste sur le fossé qui sépare la Chine actuelle de
l’empire déchu qui, il y a un siècle, était soumis à la tutelle étrangère et hors d’état de combattre les fléaux qui accablaient son
peuple : mauvaises récoltes et famines, oppression fiscale, exactions des « seigneurs de la guerre » ou des bandits. Les pages
introductives rappellent les formules par lesquelles est passée
« la quête de la modernité » (Alain Roux).
S’il est exclu de transformer le thème en une étude de l’évolution intérieure de la Chine, on ne peut comprendre son rapport
au monde en ignorant tout de ses traits essentiels. L’accession
du Parti communiste au pouvoir en 1949, les revirements à la fois
diplomatiques et socio-économiques des années 1956-1960, les
paradoxes des années 1989-1992 marquées tout à la fois par le
refus d’une libéralisation à la Gorbatchev du système politique
et la confirmation de l’ouverture économique : tous ces faits
interagissent avec la place de la Chine dans le monde.
→Doc. 1 : Le partage de la Chine entre les puissances européennes, le Japon et les États-Unis.
La caricature italienne montre la situation au lendemain de l’écrasement de la révolte dite des Boxers (ou Boxeurs). Tel est le nom
anglais donné à une ancienne société secrète qui regroupe des
paysans de Chine du Nord autour de « maîtres de boxe », plus
généralement des pratiquants d’arts martiaux/prédicateurs. Au
slogan de « exterminons les étrangers et aidons les Mandchous »
(la dynastie régnante établie au pouvoir depuis 1644 - on dit aussi
les Qing ou « T’sing »), les Boxers s’en prennent aux convertis au
christianisme et aux églises avant de massacrer, en 1900, des délégués des missions étrangères à Pékin et d’assiéger les légations.
Un corps expéditionnaire international associant les pays nommés
sur cette caricature écrase les révoltés qui étaient encouragés en
sous-main par l’impératrice douairière Cixi qui gouverne de fait
à Pékin entre 1861 et 1908. Victorieuses, les puissances exigent
une lourde indemnité et aggravent le « break up of China », ce
dépècement de la Chine déclenché par sa défaite contre le Japon
en 1895. Les puissances européennes, toutes présentes, partent
ici dans des directions différentes, chacune emportant l’avantage
obtenu : cela rappelle les divisions de l’Europe d’alors. On note la
situation en retrait de l’Union nord-américaine. Sous l’impulsion
de Théodore Roosevelt, président de 1901 à 1908, les États-Unis
engagent une politique expansionniste mais préconisent en Chine
la « doctrine de la porte ouverte ». Leur impérialisme, qui met
l’accent sur un commerce multilatéral, diffère ainsi de celui des
Européens et des Japonais désireux d’obtenir des avantages exclusifs. Ces divergences interdisent la possibilité d’un partage total
de la Chine. La porcelaine et le mandarin symbolisent la Chine
impériale : la porcelaine chinoise est un produit de luxe prisé en
Europe depuis le xviie siècle ; le mandarin porte le costume traditionnel et la natte, deux éléments qu’abolira la révolution de 1911.
→Doc. 2 : Les présidents américain (Barack Obama) et chinois
(Hu Jintao) se rencontrent pour préparer le sommet du G20 à
Séoul (Corée du Sud), novembre 2010.
Cette image résume un basculement du monde. Le dirigeant
chinois, vêtu à l’occidentale, est ici sur un plan d’égalité avec
celui de la première puissance mondiale (coïncidence : les deux
hommes portent des costumes identiques). Les deux présidents
se concertent en vue de la réunion du G20 prévue les jours suivants : c’est dire que les puissances européennes ne sont plus
au centre des affaires mondiales, voire qu’une « Chinamerica »
les supervise désormais. En tant qu’État, la Chine est le premier
Chapitre 7 - Les chemins de la puissance : la Chine et le monde depuis 1919
• 89
© Hachette Livre
◗ Débat historiographique
fournisseur des États-Unis ; ses capitaux financent également
largement leur dette publique. Rivaux sur le plan géopolitique,
les deux pays sont interdépendants sur le plan économique.
Il n’est donc pas étonnant de les voir animer les instances de
régulation internationale de concert - en s’opposant parfois - à
l’Union européenne, comme à l’occasion de la conférence de
l’ONU sur le climat à Copenhague (2009).
→Frise
Elle insiste sur le découpage en trois temps du quasi-siècle à
étudier :
– l’entre-deux-guerres, placé sous le signe de l’échec des aspirations nationales ;
– de 1949 à 1979, le pouvoir communiste entend redonner au
pays non seulement l’indépendance mais aussi un rôle international en privilégiant l’idéal révolutionnaire ;
– depuis 1979, Deng Xiaoping et ses successeurs optent résolument pour l’inscription de la Chine dans la dynamique de la
mondialisation. L’économie est un levier au service de visées
politiques indissolublement interne et internationales.
Repères
p. 226-229
La Chine politique
Les pages 226-227 évoquent à grands traits les étapes de l’évolution intérieure depuis la fin de l’empire et les doctrines qui la
sous-tendent.
→Doc. 1 : Pendant la Révolution culturelle, des paysans lisant
le Petit Livre rouge, recueil des pensées de Mao.
Ce photomontage sert d’affiche de propagande en 1967. Elle
conjugue des images chères au maoïsme : le cadre rural, la prospérité agricole suggérée par les épis au premier plan (le lien est
établi avec Mao, présent ici par son livre : « l’empereur rouge »
est garant de l’abondance des récoltes), l’égalité entre tous
les individus, hommes ou femmes, par le biais des uniformes,
l’union des paysans et des soldats qui se font « éducateurs » du
peuple (l’armée joue un grand rôle dans le régime maoïste et la
Révolution culturelle).
La Chine contemporaine
→Cartes
À un siècle d’intervalle, elles soulignent le contraste entre la
Chine dominée du début du xxe siècle, partagée et asservie économiquement (carte 1), et la Chine au cœur du système mondial
dans les années 2010, dans des conditions qui combinent l’héritage du passé maoïste aux formes d’intégration dans le système
mondial telles qu’elles apparaissent depuis les années 1970, le
tout s’accompagnant de tensions géopolitiques plus ou moins
récentes (carte 2).
◗ Réponses aux questions
© Hachette Livre
1. La carte 1 montre la présence des grandes puissances européennes de l’avant 1914 (la Russie, l’Allemagne, la France, le
Royaume-Uni) auxquelles s’ajoute le Japon. Leur domination
s’exerce tout d’abord par un partage du territoire chinois selon
diverses modalités : de la zone d’influence, où la puissance bénéficiaire réserve à ses entreprises les activités économiques les plus
lucratives, à la pure et simple « possession étrangère » assimilée
à une colonie, en passant par les territoires à bail (des ports loués
par la Chine). En sus de cela, les intérêts économiques étrangers
sont très présents dans tout l’empire, dans les secteurs modernes :
voies ferrées, ports et plusieurs villes de l’intérieur.
2. La carte 2 montre une Chine qui a recouvré son intégrité
territoriale et noué d’actives relations avec tous les pôles de
puissance, anciens (l’Europe occidentale, le Japon, les ÉtatsUnis) ou émergents (la Russie, l’Inde, l’Afrique du Sud, le Brésil).
Étude 1
p. 230-231
Le réveil national de la Chine
La dépendance par rapport à l’étranger est de moins en moins
acceptée dans la Chine des années 1910. La dynastie mandchoue
est renversée parce qu’elle se révèle incapable de moderniser le
pays et par là même de restaurer son indépendance. Le nouveau
gouvernement juge utile d’entrer en guerre contre l’Allemagne
pour récupérer les droits que détenait celle-ci dans la région du
Shandong. Mais les puissances qui dominent la Conférence de la
Paix proposent de transférer ces droits au Japon, allié de l’Angleterre et entré lui aussi en guerre contre l’Allemagne. L’annonce
de cette nouvelle déclenche à Pékin puis dans d’autres villes le
mouvement du 4 mai 1919. Il exprime une conscience nationale
moderne : à la différence des jacqueries à caractère xénophobe
du passé, il est porté par les fractions de la population les plus
sensibles aux idées nouvelles. Si le traité de Versailles néglige
la demande chinoise, celle-ci obtient finalement satisfaction en
1922 : lors de la conférence de Washington, les États-Unis, non
liés par le traité de Versailles, font pression sur le Japon pour qu’il
rétrocède le Shandong à la Chine. Par ailleurs, ce mouvement
favorise l’essor de deux forces décidées l’une et l’autre à rénover la Chine : le Guomindang et le Parti communiste chinois.
Ce pourquoi il reste emblématique du réveil national dans la
mémoire chinoise.
→Doc. 1 : Sun Yat-sen refuse le déclin de la Chine.
Sun Yat-sen, « le père de la révolution chinoise », veut réformer
le pays en s’inspirant de l’Occident et du Japon de l’ère Meiji
(1867-1912), lui-même entré dans la modernité par le biais d’un
emprunt contracté auprès de l’Europe et de l’Amérique du Nord.
Né en 1866 dans une famille de paysans pauvres de la région de
Canton, converti au christianisme, il suit des études de médecine à Honolulu et à Hong-Kong et y exerce quelque temps. Il
commence ensuite une existence de révolutionnaire professionnel et fédère les oppositions à la dynastie régnante en fondant
en 1905 au Japon la Ligue jurée qu’il dote de sa doctrine, « les
Trois principes du peuple » : nationalisme, démocratie et « bienêtre du peuple » (réformes sociales impulsées par l’État). Après
le renversement de l’empire en 1911 et la division de la Ligue, il
prend la tête de sa faction Guomindang. Proclamé premier président de la république chinoise en 1912, il doit démissionner au
profit du général Yuan Shikai, maître de l’armée. Après la mort
brutale de ce dernier en 1916, Sun Yat-sen joue à nouveau les
premiers rôles : il accroît l’efficacité du Guomindang en le liant à
la jeune Union soviétique et au Parti communiste chinois fondé
en 1921. Après sa mort en 1925, son chef d’état-major Chiang Kaisheck lui succède mais infléchit son combat vers un nationalisme
anticommuniste. Pour expliquer le déclin de la Chine, il incrimine ici uniquement des facteurs internes, notamment le repli
sur soi d’un empire qui, par crainte des pressions européennes,
a choisi de se fermer au monde extérieur au xviiie siècle, cultivant le sentiment de sa supériorité par rapport aux « barbares
étrangers ». Il loue une « coopération internationale » qui peut
signifier sous sa plume aussi bien le maintien de l’ouverture sur
le Japon et l’Occident que l’entente avec l’URSS.
→Doc. 2 : Les événements du Quatre mai 1919.
Mao Dun est un écrivain né en 1896. Il milite au PCC dès sa fondation et introduit dans ses romans et nouvelles les méthodes
des réalismes européens. Il sera de 1949 à 1964 le premier
ministre de la Culture de la République populaire de Chine et
acteur à ce titre d’une mise au pas précoce des artistes. La scène
décrite dans cet extrait évoque l’écho dans la Chine intérieure
des manifestations au cours desquelles les étudiants de Pékin
ont protesté le 4 mai 1919 en interpellant la population aux
cris de : « Il faut sauver le pays ».
90 • Chapitre 7 - Les chemins de la puissance : la Chine et le monde depuis 1919
→Doc. 4 : Le Quatre mai 1919.
L’affiche illustre la mémoire du mouvement du 4 mai 1919 telle
que la cultive le régime maoïste qui se veut le champion de la
lutte contre tous les « impérialismes ». Liang Yulong est un
peintre relativement connu. L’affiche est contemporaine des
derniers feux du maoïsme : le « Grand Timonier » meurt en septembre 1976.
→Doc. 5 : Le quartier d’affaires de Shanghai autour de la rue
de Nankin, vers 1931.
Le dynamisme de la ville est suggéré par cette photographie
prise en 1931 dans la rue de Nankin, la plus animée du quartier
d’affaires de la grande métropole shanghaienne, pôle majeur de
« la Chine bleue » et capitale économique de la Chine.
◗ Réponses aux questions
1. Sun Yat-sen attribue le déclin de la Chine à trois facteurs :
l’incompétence ou la corruption (« l’égoïsme ») du « gouvernement et des fonctionnaires » (de l’ancien régime impérial), « le
repli de la Chine sur elle-même et son esprit de suffisance » corrélé à « l’étroitesse d’esprit » prêtée au peuple chinois.
2. Les textes 1 et 2 expriment une fierté d’être Chinois qui repose
sur la conscience d’hériter d’une longue et glorieuse histoire :
Sun Yat-sen évoque « l’une des plus vieilles nations du monde »,
« vieille de cinq mille ans » et qui « occupait la première place en
Orient » ; Mao Dun rappelle que le mot d’ordre du mouvement
du Quatre mai 1919 était « Aimons notre patrie ».
3. Le régime communiste célèbre le Mouvement du Quatre mai
en exaltant l’union des générations et des classes contre l’oppresseur étranger. L’affiche montre un peuple en marche vers
l’avenir.
4. Loin d’appeler au rejet de l’étranger, Sun Yat-sen vante « les
avantages de la coopération internationale ». Il en attend un
antidote à « l’étroitesse d’esprit » reprochée à ses compatriotes,
un levier pour moderniser les mentalités.
5. L’ambiance décrite par l’héroïne, Mei, montre un désir de
nouveauté dans des établissements scolaires et plus généralement une société que l’on imagine engoncés dans de pesantes
traditions - adossées à la « pensée de Confucius » ? Ces jeunes
s’emparent avec enthousiasme et sans exclusive des publications qui représentent une ouverture sur le monde extérieur ou
disent « le bonheur de la société future ».
6. Les exportations et les importations culminent en 1930
puis reculent sévèrement en 1937, certainement en raison de
la dépression consécutive au krach boursier survenu à Wall
Street en octobre 1929 : la crise née aux États-Unis et devenue
mondiale a entraîné un effondrement de l’échange international. En revanche, les autres éléments continuent de progresser
probablement parce qu’ils répondent aux besoins intérieurs.
Globalement, la progression des cinq éléments qui figurent dans
ce tableau traduit l’essor des activités économiques modernes
dans la Chine de l’entre-deux-guerres.
7. Dans cette scène, les vêtements des piétons, l’enseigne en
anglais de la boutique du carrefour, la présence d’automobiles (à
cette date) signalent l’influence étrangère tandis que la densité
de la foule et les pousse-pousse font penser à l’Asie.
◗ Texte argumenté
La conscience nationale chinoise s’est éveillée à partir de 1919 à
travers les manifestations d’hostilité aux décisions prises par les
vainqueurs européens réunis à Paris. Ces manifestations ont mis en
action la jeunesse des lycées et des universités ainsi que des lettrés.
Au-delà du refus de la soumission à l’étranger, elles traduisent une
aspiration au renouveau dont témoigne le roman de Mao Dun.
Ce mouvement a conforté les courants réformateurs, tel celui guidé
par Sun Yat-sen, dans leur volonté de moderniser le pays en empruntant à l’étranger pour mieux redonner à la Chine souveraineté et
grandeur. Il a stimulé des dynamiques nouvelles qui s’expriment non
seulement dans le renouveau de la vie politique durant les années
1920 mais aussi à travers l’essor d’activités économiques nouvelles.
Leçon 1
p. 232-233
1919-1949 : le renouveau contrarié
→Doc. 1 : Le Guomindang, le PCC et l’URSS.
Le texte est extrait d’un ouvrage de Chiang Kai-shek. Il est rédigé et publié alors que l’auteur dirige la République nationaliste
établie à Taiwan (il en reste le président jusqu’à sa mort en 1975).
Il revient sur la rupture intervenue en 1926 entre le Guomindang
et le PCC : Chiang, adjoint de Sun Yat-sen, est alors à la tête
des armées du Guomindang. Il écarte l’aile gauche du parti qui
préconisait le maintien de l’alliance avec les communistes. Porté
à la tête du mouvement, il devient par là même le président de
la République nationaliste. Il indique ici les raisons de cette rupture avec l’orientation voulue par son mentor, ce qui se solde
en mars-avril 1927 par l’écrasement brutal de la grève insurrectionnelle déclenchée par le PCC à Shanghai - épisode évoqué
par A. Malraux dans La Condition humaine. L’auteur dénonce
l’« entrisme » pratiqué par le PCC au sein du Guomindang : les
communistes y adhèrent à titre individuel tout en restant affiliés au PCC. Il le soupçonne de vouloir passer de la « Révolution
nationale » (la consolidation de la République par l’élimination
des « seigneurs de la guerre ») à la révolution sociale (« révolte
des paysans qui s’empareraient du pouvoir »).
◗ Réponse à la question
1. Chiang Kai-shek met en avant sa crainte du double jeu
mené par le mouvement communiste : d’un côté l’attitude
amicale envers la Chine du régime soviétique qui, récusant
l’impérialisme, renonce aux « privilèges » que la Russie des tsars
avait obtenus en Chine (cf. carte p. 228 : zone d’influence en
Mandchourie, ports à bail de Port-Arthur - actuel Lüshun - et de
Dairen - actuel Dalian) ; de l’autre, la stratégie de l’Internationale communiste créée à Moscou en 1919 pour « exporter » la
révolution bolchevique.
→Doc. 2 : Hergé témoigne de l’abaissement de la Chine.
Hergé (de son vrai nom Georges Remi), né près de Bruxelles,
crée le personnage de Tintin en 1929 pour le magazine belge
illustré Le Petit Vingtième. En 1934-1935, il envoie son jeune
reporter en « Extrême-Orient » : en noir et blanc à l’origine, la
bande dessinée paraît en album couleurs en 1946 sous le titre Le
Lotus bleu. Elle fait écho aux convulsions que connaît la Chine
d’alors : le rôle des gangs, les concessions, l’agression japonaise
de 1931 - occupation de la Mandchourie transformée en protectorat confié au dernier empereur, Puyi, l’enfant déposé en 1911
(le beau film de Bertolucci, Le Dernier Empereur, évoque sa vie
comme un condensé du xxe siècle chinois). La scène se passe
dans la concession internationale de Shanghai, marquée par la
présence des Britanniques et des Américains.
◗ Réponse à la question
1. L’auteur moque les Occidentaux en décalant leurs propos de
leurs actes : alors que Gibbons prétend vouloir « civiliser […] ces
barbares » (les Chinois), leur apporter « les bienfaits de notre
belle civilisation occidentale », il a des mots, une véhémence et
des gestes d’une extrême brutalité, soulignée par le fait que la
vignette dans laquelle il juge normal de « battre un Chink » se
Chapitre 7 - Les chemins de la puissance : la Chine et le monde depuis 1919
• 91
© Hachette Livre
→Doc. 3 : Quelques indicateurs économiques de la Chine de
1910 à 1937.
Le tableau donne un aperçu de l’essor économique entre 1910
et 1937 à travers des éléments qui n’évoquent toutefois que les
secteurs modernes de l’économie.
trouve mise en relation avec celle où il heurte le plateau porté
par le serveur.
→Doc. 3 : Le régime des concessions en Chine.
Paul Claudel est un diplomate-écrivain. Bon connaisseur de
l’Extrême-Orient (il a été également ambassadeur au Japon), il
évoque le privilège d’extraterritorialité accordé aux Européens
dans les « ports ouverts » de Chine. Le titre du livre s’explique
par le fait que le dragon est l’animal légendaire emblématique
de la Chine.
→Doc. 4 : La Chine des années 1930 : guerre civile et occupation japonaise.
La carte juxtapose les deux guerres que subit la Chine des
années 1930 : les armées de la République comme celles du PCC
combattent les forces japonaises qui ont déclenché en juillet
1937 une attaque générale contre la Chine et rapidement occupé
sa partie « utile », celle, active et peuplée, des provinces littorales ; les forces nationalistes et communistes se livrent depuis
1926 une guerre civile marquée par la Longue Marche vers le
nord des militants communistes, qui avaient créé au Sud des
« républiques soviétiques paysannes », et la fragilité de la trêve
conclue entre ces forces après l’agression japonaise.
Étude 2
p. 234-235
La Chine et le tiers monde au temps de Mao,
révolution et coopération
La Chine de 1949 figure parmi les pays les plus pauvres du
monde : les trois quarts des actifs travaillent dans une agriculture qui ne parvient pas à nourrir régulièrement une population
en rapide croissance (évaluée à 472 millions d’habitants en 1920,
elle serait de près de 547 millions en 1950), l’espérance moyenne
de vie à la naissance ne dépasse pas 35 ans… Les guerres de la
période 1937-1949 ont aggravé les difficultés. Le pays se sent
d’autant plus solidaire des autres nations pauvres qu’il a connu
lui aussi des décennies de tutelle étrangère. Aussi, même s’il
se lie à l’Union soviétique de Staline, le régime communiste
regarde d’emblée vers un tiers monde qui souhaite transformer
la réalité socio-économique qu’est le retard de développement
en projet d’autonomie géopolitique. Processus compliqué, tant
ce tiers monde est divers par ses trajectoires historiques et ses
orientations diplomatiques - entre neutralisme, philosoviétisme,
tropisme occidental. Processus jalonné par la conférence afroasiatique de Bandung en 1955 (cf. leçon 2, doc. 1), la naissance
du Mouvement des non-alignés à Belgrade en 1961, puis la naissance de la CNUCED au sein de l’ONU (1964) et la revendication
d’un nouvel ordre économique international par les pays non
industrialisés (1973) - série d’événements qui indique assez le
glissement de la géopolitique à l’économique, du tiers monde au
« Sud ». La Chine de Mao pratique avec les pays pauvres ou les
mouvements d’émancipation une coopération qui entend servir
à la fois la révolution et le développement.
© Hachette Livre
→Doc. 1 : « La pensée de Mao Zedong éclaire l’Afrique ».
L’affiche, élaborée dans un atelier d’agitation/propagande
chinois est destinée à être diffusée en Afrique ; elle date de cette
décennie 1960 où la Chine, isolée sur la scène mondiale après
sa rupture avec Moscou, cherche à la fois des points d’appui
diplomatique et des relais pour propager la révolution mondiale.
L’Afrique subsaharienne est à cette date indépendante et prooccidentale pour l’essentiel mais des guérillas luttent contre
la colonisation portugaise (Angola, Mozambique) et d’autres
contre des gouvernements en place.
→Doc. 2 : Mao Zedong reçoit les Khmers rouges qui combattent au Cambodge un gouvernement jugé pro-américain,
1970.
La rencontre de Mao avec les dirigeants Khmers rouges s’inscrit dans le même contexte général, spécifié en Asie du Sud-Est
par la guerre du Vietnam : pour soutenir le régime de Saigon
contre celui de Hanoi, les États-Unis en sont venus à élargir
les opérations à toute la péninsule indochinoise. En avril 1970,
Nixon, conseillé par Kissinger, ordonne d’attaquer les éléments
nord-vietnamiens établis au Cambodge, peu de temps après
le renversement du roi Norodom Sihanouk (neutraliste). Les
Khmers rouges combattent le nouveau maître du pays, le maréchal Lon Nol, favorable à Washington. Ils sont maoïstes au sens
où ils entendent fonder le communisme sur une paysannerie
« épurée » de ses tendances « bourgeoises ». Pékin les aide en
raison de cette complicité idéologique et aussi pour faire pièce
à l’influence soviétique qui est prépondérante au Nord-Vietnam.
→Doc. 3 : Zhou Enlai, ministre chinois des Affaires étrangères
arrive en Tanzanie, juin 1965.
Présidée par Nyerere, la Tanzanie, qui regroupe en 1964 l’ancien
Tanganyika britannique et le sultanat de Zanzibar, s’oriente vers
un socialisme basé sur des communautés paysannes et fait appel
à la Chine pour construire le Tanzam, une ligne ferroviaire destinée à désenclaver la Zambie et à exporter son cuivre par le port
de Dar es-Salaam.
→Doc. 4 : Le tiers monde vu par les dirigeants chinois.
a. Lin Biao est un militaire proche de Mao depuis la Longue
marche. Devenu en 1959 son ministre de la Défense, il est aussi
son dauphin désigné. Thuriféraire de la Révolution culturelle,
il mène au sein du PCC la tendance qui veut faire de la Chine
le phare du communisme mondial pour pallier la « trahison »
de l’URSS. Il écrit ce texte à une époque où la contestation du
capitalisme est virulente sous forme de guérillas en Asie, en
Afrique et en Amérique latine (« Che » Guevara et la théorie
du « focos »). Lin Biao et le maoïsme inversent les prévisions de
Marx, qui attendait la révolution anticapitaliste dans les sociétés
les plus avancées, mais prolongent celles de Lénine jugeant que
le capitalisme mondial allait s’effondrer d’abord dans ses « périphéries » (les pays dominés, telle la Russie) avant d’atteindre
ensuite « le centre », les économies « impérialistes » - l’Europe
occidentale à son époque (Lénine, L’Impérialisme, stade suprême
du capitalisme, 1916).
b. Ce discours est prononcé en 1974 par Deng Xiaoping : mis à
l’écart dans les années 1960, ce pragmatique retrouve des responsabilités au sommet du PCC après l’abandon de la Révolution
culturelle - Lin Biao meurt en 1971, dans des circonstances restées obscures. Il représente ici son pays à l’ONU, organisation
que la Chine populaire n’intègre qu’en 1971, évinçant Taiwan, y
compris comme membre permanent de son Conseil de sécurité
- le gouvernement nationaliste était le représentant légitime de
la Chine quand l’ONU fut fondée en 1945 ; Guerre froide aidant,
la situation se figea quand deux États prétendirent incarner
cette légitimité après octobre 1949. Il fallut attendre le rapprochement sino-américain pour la débloquer - voulus par un
Kissinger féru de « Realpolitik », les contacts secrets entre Pékin
et Washington commencent en 1969 ; leurs premiers effets sont
des rencontres entre pongistes des deux pays. Deng Xiaoping
s’exprime alors que la décolonisation est à peu près achevée et
que l’ONU évoque la nécessité d’un « nouvel ordre économique
international » plus favorable au tiers monde.
→Doc. 5 : Aide militaire de la Chine communiste au Vietnam
du Nord entre 1965 et 1972.
Bien que pro-soviétique, le Vietnam du Nord est également soutenu par Pékin en raison de la proximité géographique et de la
force symbolique de son combat : n’est-il pas la petite nation
92 • Chapitre 7 - Les chemins de la puissance : la Chine et le monde depuis 1919
◗ Réponses aux questions
1. Selon Lin Biao, le tiers monde étant la « campagne » ensemble d’espaces non industrialisés -, il constitue le foyer par
excellence de la révolution anticapitaliste. Il applique au monde
le schéma que le PCC a mis en œuvre en Chine : encercler les
villes - aux mains des nationalistes - par les campagnes en privilégiant l’appui sur les paysans plutôt que sur un prolétariat
urbain trop réduit.
2. Pékin espère propager la révolution anticapitaliste mondiale
en soutenant les mouvements révolutionnaires dans le monde
pauvre par divers moyens :
– la propagande. Dans le document 1, les guérilleros africains, épanouis et armés, lisent le Petit Livre rouge, ce recueil de « citations
du président Mao » qui, censé répondre à toutes les questions,
sert de « catéchisme » dans la Chine en Révolution culturelle ;
– le soutien aux guérillas : il est idéologique (doc. 4a) et financier (doc. 2 : Ieng Sarry, le trésorier des Khmers rouges, vient
chercher de l’argent en Chine).
3. Deng Xiaoping rappelle que le tiers monde a obtenu l’indépendance. Mais les États qui en sont issus doivent assurer le
développement économique et « consolider l’indépendance
nationale », ce qui signifie ici sortir du néo-colonialisme qui,
jugent les tiers-mondistes, prolonge la dépendance par rapport
aux anciennes métropoles par le biais d’accords commerciaux,
militaires ou autres.
4. La Chine maoïste indique vouloir aider les pays pauvres à
atteindre ces objectifs en leur fournissant une aide matérielle
(coopération technique, par exemple, comme en Tanzanie),
diplomatique (à l’ONU, par exemple) ou militaire (exemple du
Nord-Vietnam).
◗ Texte argumenté
La Chine de Mao constitue de fait un pays en développement et se
présente, après sa rupture avec Moscou en 1960, comme le champion naturel du tiers monde contre les « impérialismes rivaux », le
soviétique et l’américain.
Elle s’efforce d’établir son influence par divers moyens : elle apporte
son aide politique et matérielle aux mouvements révolutionnaires
en tentant de les convertir au maoïsme (envoi de brochures ou
d’affiches de propagande, soutien politique ou financier, appels à
la révolte) ; elle entretient diverses formes de coopération avec les
États institués, de l’aide technique au soutien militaire selon les
cas. Dès lors qu’elle est admise à l’ONU, enceinte dans laquelle les
pays en développement sont majoritaires, elle utilise la tribune que
constitue cette organisation pour appeler le tiers monde à sortir du
néo-colonialisme.
Leçon 2
p. 236-237
1949-1979 : la puissance par la révolution
→Doc. 1 : La position de la Chine à Bandung.
Bien qu’alliée à l’URSS, la Chine populaire est invitée à la conférence de Bandung en avril 1955 car celle-ci rassemble « les
peuples d’Asie et d’Afrique » (pas ceux d’une Amérique latine
jugée alignée sur Washington). Dans un contexte où la notion
de non-alignement n’est pas encore décantée, cette conférence afro-asiatique a pour objectif de faire entendre la voix des
peuples pauvres, les uns déjà émancipés, il y a peu de temps
souvent (l’Indonésie, où se déroule la conférence, n’est indépendante des Pays-Bas que depuis 1949), les autres encore en lutte
contre le colonisateur, en particulier en Afrique. L’intervention
de Zhou Enlai, inamovible ministre des Affaires étrangères de
Mao, marqua les débats.
◗ Réponses aux questions
1. Zhou Enlai dénonce ici « le colonialisme » : qu’il évoque son
pays comme une de ses victimes signale qu’il lui donne un sens
équivalent à celui d’impérialisme.
2. Il promet l’appui de Pékin « à […] la juste lutte pour l’indépendance nationale », ce qui vise à cette date les actions menées par
exemple au Maghreb contre la présence française (en Algérie, les
premiers attentats du FLN datent de novembre 1954).
→Doc. 2 : Mao Zedong refuse la coexistence pacifique.
Cet article, que Mao avait rédigé quelques mois auparavant,
paraît en décembre 1962 dans Le Quotidien du peuple, l’organe
officiel du PCC. Il exprime la position de Pékin sur la détente
après la crise de Cuba, dénouée à la fin du mois d’octobre 1962
par le retrait des armes atomiques que l’URSS projetait d’installer dans l’île - reculade condamnée à Pékin qui avait rendu
publics en 1960 ses désaccords avec le PCUS de Khrouchtchev à
la fois sur la déstalinisation et sur la « coexistence pacifique ». Le
primat de l’idéologie sur toute autre considération est ici total.
◗ Réponse à la question
1. On mesure la volonté de soutenir partout l’idéal révolutionnaire car Mao raisonne à l’échelle du monde quand il estime
que les « forces du socialisme » sont en état de l’emporter
sur celles de « l’impérialisme » (le monde occidental dirigé par
Washington), de la même manière que Zhou Enlai évoquait
les « peuples d’Asie et d’Afrique ». Mao n’écarte pas du tout la
possibilité d’une « guerre atomique » meurtrière : le pacte de
Varsovie comme l’Alliance atlantique détiennent à cette date
les moyens nucléaires de s’entre-détruire. Mais sa « foi » révolutionnaire le conduit à en relativiser le prix : « la moitié de la
population du monde sera peut-être anéantie, mais il resterait
encore l’autre moitié », jugeant cela acceptable pour que « le
monde entier » devienne socialiste.
→Doc. 3 : « Étudier l’économie avancée de l’Union soviétique
pour développer notre pays ».
Cette affiche chinoise est créée trois ans après la signature du
« traité d’amitié, d’alliance et d’assistance mutuelle » entre la
Chine et l’URSS. Les liens sont étroits sur le terrain géopolitique (Pékin et Moscou soutiennent la Corée du Nord contre les
forces de l’ONU entre 1950 et 1953) mais surtout économique : la
priorité est alors pour le PCC de combler le retard du pays en la
matière et l’URSS fait figure « d’économie avancée ». La relation
débouche sur une dépendance qui sera rapidement insupportable pour la partie chinoise.
◗ Réponse à la question
1. L’affiche souligne à divers titres l’influence de l’URSS sur la
Chine. L’arrière-plan reprend les signes par lesquels l’URSS stalinienne magnifiait l’industrialisation (chevalement de mine et
hauts-fourneaux : le modèle, c’est la priorité donnée à l’industrie
lourde). Au premier plan, l’ouvrier et l’ingénieur (ou technicien)
chinois sont dominés par l’expert soviétique : sa stature et
son costume, qui contrastent avec leurs tenues de travail, en
imposent : on les devine à l’écoute de celui qui sait et commande.
→Doc. 4 : Portrait de Mao dans la cour de la Sorbonne occupée par les étudiants, mai 1968.
Durant le mouvement étudiant de mai 1968, l’université de la
Sorbonne est occupée par des manifestants qui protestent tout
à la fois contre le pouvoir gaulliste, la guerre du Vietnam, « la
société de consommation », le capitalisme, etc. Dans cette
ambiance entre fête et révolution, la phraséologie révolutionnaire est omniprésente et les groupes maoïstes actifs. Quoique
marginal, le maoïsme eut une audience certaine auprès de
milieux lycéens, étudiants et intellectuels dans l’Europe occidentale et le Japon des années 1960-1970.
Chapitre 7 - Les chemins de la puissance : la Chine et le monde depuis 1919
• 93
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pauvre en butte au géant états-unien champion de « l’impérialisme capitaliste » ?
◗ Réponse à la question
1. On retrouve l’écho du maoïsme dans le grand portrait de
Mao, dans le slogan « servir le peuple » (idée chère à Mao selon
laquelle il faut annuler la distance entre « intellectuels » et travailleurs manuels, les premiers devant se mettre à l’école des
seconds) comme dans le portrait de Lénine à l’arrière-plan - le
maoïsme se réclame de la doctrine « marxiste-léniniste » que
Staline aurait enrichie mais que le régime soviétique aurait trahie depuis Khrouchtchev.
→Doc. 5 : Le président des États-Unis Richard Nixon et Zhou
Enlai passent en revue la garde d’honneur à Pékin (21 février
1972).
La photographie montre le début du voyage historique du président Nixon en Chine en février 1972. Elle illustre un tournant
dans les politiques états-unienne (Washington, fidèle soutien de
Taiwan, se refusait à reconnaître la légitimité de la République
populaire de Chine) et chinoise. La raison du revirement est,
de part et d’autre, le réalisme diplomatique : Nixon compte sur
la Chine pour exercer une pression sur l’URSS ; les dirigeants
chinois, particulièrement Zhou Enlai - qui a été le maître d’œuvre
du rapprochement alors que Mao sort affaibli du chaos engendré
par la Révolution culturelle -, veulent rompre l’isolement de leur
pays sur la scène mondiale. Leur « modèle » n’a guère séduit le
tiers monde, l’URSS paraît menaçante.
◗ Réponse à la question
1. La scène illustre une rupture dans la politique extérieure
chinoise : Mao a rompu avec l’URSS parce qu’il lui reprochait,
entre autres, la détente (doc. 2) ; il apportait une aide aux
peuples en lutte contre « l’impérialisme américain », à commencer par le voisin vietnamien (Étude 2, doc. 5). Or on voit ici la
volonté de Pékin de normaliser les relations avec les États-Unis
qualifiés jadis de « tigre de papier ».
Étude 3
p. 238-239
La Chine et le tiers monde depuis Deng :
partenariat ou néocolonialisme ?
La relation avec les pays en développement est un miroir des
rapports entre la Chine et le monde. Dès lors que les gouvernants privilégient la croissance économique et que la Chine est
devenue à son tour un géant industriel, l’approche ancienne
laisse place à de nouvelles considérations. La Chine est-elle
devenue à son tour une puissance néo-colonialiste qui pillerait
les ressources naturelles du monde pauvre ou instaure-t-elle
avec lui un partenariat mutuellement fructueux ? Son attitude
diffère-t-elle de celle des anciens pays industrialisés ? Les documents confrontent le point de vue officiel aux réalités et aux
réactions des partenaires.
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→Doc. 1 : Pékin précise ses relations avec le tiers monde.
Né en 1926, Jiang Zemin représente une génération nouvelle de
dirigeants qui n’ont pas connu l’époque héroïque de la conquête
du pouvoir ; entré au PCC en 1946, il est successivement ingénieur, directeur d’usine puis maire de Shanghai. Deng Xiaoping
en fait son dauphin en l’intronisant en 1989 comme secrétaire
général du PCC et président de la commission militaire du Parti
communiste (un poste hautement stratégique), fonctions qu’il
cumule avec celle de chef de l’Etat de 1993 à 2003. Il poursuit la
politique de son mentor, comme l’indique ce rapport qui fixe la
ligne officielle par rapport au tiers monde en 1992, au moment
où Deng Xiaoping relance une « modernisation » qui traversait
une passe difficile depuis plusieurs années.
→Doc. 2 : Le commerce entre la Chine et l’Afrique, 1992-2006.
Le graphique souligne l’envolée des échanges entre les deux partenaires dans cette période où la Chine connaît régulièrement
une forte croissance et s’inscrit pleinement dans les logiques de
la mondialisation. Il évoque aussi la nature des biens échangés.
→Doc. 3 : Les importations chinoises venues de quatre pays
d’Afrique, 2002-2006.
Ce graphique permet de détailler l’évolution des importations
chinoises pour quatre pays qui sont avant tout des fournisseurs d’un pétrole brut dont la Chine est devenue un énorme
consommateur.
→Doc. 4 : La puissance financière de la Chine en Afrique,
1979-2002.
La carte indique les principaux pays de destination des investissements des firmes chinoises sur le continent africain.
→Doc. 5 : Une des classes de chinois du principal lycée de
Brazzaville, capitale de la République démocratique du Congo.
Dans ce pays francophone, la scène illustre un effet de l’influence
croissante des firmes chinoises. La photographie, de Paolo
Woods, provient du livre de Serge Michel et Michel Beuret, La
Chinafrique, Arthème Fayard/Pluriel, 2010.
→Doc. 6 : La Chine et l’Amérique latine en 2010.
Cet article du Monde rend compte du second sommet que
tiennent annuellement les BRICS depuis 2009.
◗ Réponses aux questions
1. Selon Jiang Zemin, la Chine étant elle-même « un pays en
voie de développement », elle doit établir ses rapports avec le
tiers monde « sur la base de la réciprocité ». Elle doit renforcer
ses « liens de solidarité et de coopération avec les pays » qui
en font partie, « renforcer ses échanges économiques […] avec
eux » et les soutenir « dans leurs efforts pour préserver leur
souveraineté ».
2. Les courbes soulignent l’envolée des échanges commerciaux
entre la Chine et l’Afrique entre 1992 et 2006 : les exportations
de la Chine vers ce continent ont été multipliées par 20 environ
tandis que ses achats ont progressé plus fortement encore.
3. La présence chinoise en Afrique prend ici trois formes :
sur le plan commercial, les ventes à la Chine des quatre pays
retenus ici, dont un en Afrique du Nord, notamment celles de
pétrole brut, ont enregistré un bond entre 2002 (elles étaient
négligeables) et 2006 (doc. 3) ; en matière financière, les entreprises chinoises ont fortement accru leurs investissements dans
quelques pays africains entre 1979 et 2002 (doc. 4) ; l’essor des
relations économiques a des effets « culturels » : de jeunes
Congolais apprennent le mandarin pour travailler dans les firmes
chinoises implantées sur place (doc. 5).
4. Selon les autorités brésiliennes, les rapports commerciaux
avec la Chine sont déséquilibrés, asymétriques, car « l’Amérique
latine fournit presque exclusivement à la Chine des produits de
base » (par exemple, « minerai de fer », « pétrole » et « soja »)
« alors que cette dernière lui vend des biens manufacturés à
forte valeur ajoutée » (produits électroménagers, ordinateurs,
téléphones mobiles, etc.).
5. Le Brésil adresse deux autres griefs à la Chine : « la sousévaluation de [sa] monnaie […], le yuan » a pour effet d’abaisser
artificiellement le prix des produits made in China et donc de
favoriser ses exportations, y compris dans « l’aire commerciale
naturelle » du Brésil qu’est l’Amérique du Sud ; l’insuffisance
des investissements effectués par la Chine au Brésil « alors qu’il
aura besoin de capital étranger » pour financer les équipements
qu’exigera l’accueil de la Coupe du monde de football en 2014
puis des Jeux olympiques d’été en 2016.
6. Ces trois reproches pourraient tout autant s’appliquer aux
relations entre la Chine et l’Afrique : les documents 2 et 3
montrent une asymétrie commerciale identique ; le document 4
illustre la concentration des investissements chinois dans un
petit nombre de pays, qui ne sont pas les plus défavorisés du
94 • Chapitre 7 - Les chemins de la puissance : la Chine et le monde depuis 1919
◗ Texte argumenté
L’influence de la Chine dans le tiers monde change de forme depuis
les années 1980 en même temps qu’elle prend une ampleur inédite.
Alors qu’elle était idéologique et politique sous Mao, elle devient
économique avant tout : les documents de l’étude 3 ne montrent
pas en tout cas d’ambition chinoise d’exporter un « modèle ». Les
relations sont placées sous le signe de l’interdépendance matérielle : la Chine se procure dans le tiers monde les produits bruts
dont a besoin un pays devenu « l’usine du monde » et y exporte une
fraction de la masse énorme de produits manufacturés qu’élabore
cette « usine ». S’enrichissant, elle investit pour mieux garantir ses
sources de produits bruts, de pétrole notamment.
Ce faisant, elle devient un pôle attractif pour les pays en développement : ils cherchent à lui vendre leurs produits, à attirer
ses capitaux. Emblématique de l’essor des relations économiques
Sud-Sud dans le monde actuel, cet échange peut être utile aux économies en développement, ne serait-ce que dans la mesure où il leur
permet de ne plus être tributaires des seuls pays occidentaux. Mais
il ressemble au néocolonialisme souvent reproché à ces derniers
dans la mesure où la relation entre chacun de ces pays et la Chine
n’est pas un partenariat, ce qui supposerait un équilibre. Comme
le craignent les autorités brésiliennes, l’échange avec la Chine peut
en fin de compte renforcer les pays du tiers monde dans leur rôle
traditionnel de fournisseurs de produits bruts alors que ce n’est pas
nécessairement le meilleur levier de développement.
Étude 4
p. 240-241
La Chine en Asie orientale :
le retour de l’empire du Milieu ?
La Chine est le « grand dragon » en Asie orientale : par son
histoire, son étendue, sa population et désormais son poids
économique, elle est une puissance sans commune mesure avec
des voisins dont aucun ne dispose d’un tel éventail de leviers
d’influence - le Japon n’est plus « que » la troisième économie mondiale, il est surtout bien moins vaste et peuplé et le
dynamisme qu’affichait son économie dans la période 19501980 a disparu. Sa croissance économique spectaculaire (des
taux annuels à deux chiffres depuis les années 1990) fait à nouveau du pays le pivot de la région : redevient-il cet empire du
Milieu qu’il fut des siècles durant ? Quelles réactions ce processus déclenche-t-il chez ses voisins d’une part et parmi les
Chinois d’autre part ? Quatre documents évoquent les aspects
politiques de la situation, le cinquième porte sur la dimension
géoéconomique.
→Doc. 1 : À Taiwan, des manifestants proclament que « l’île
n’a jamais été chinoise », 1999.
Cette photographie est prise à Taiwan lors de l’élection présidentielle de 1999. Les manifestants portent des pancartes
indiquant que « Taiwan n’a jamais été une partie de la Chine ».
L’affirmation contredit ce que répètent les dirigeants de Pékin :
pour eux, l’île est une « province perdue » qui a la même vocation que Hong-Kong et Macao à revenir un jour à la « mère
patrie ». En vérité, l’intégration de l’île dans l’espace chinois est
tardive et discontinue : le peuplement Han ne s’est ajouté qu’à
partir du xviie siècle à la population autochtone protomalaise, et
de 1895 à 1945 l’île fut colonie du Japon.
→Doc. 2 : L’appel du dalaï-lama au peuple chinois.
Quasi indépendant depuis 1913, le Tibet repasse sous souveraineté chinoise dans les années 1950 mais les tensions entre le
régime de Pékin et la population locale ont été vives et ressurgissent depuis quelques années. Celle-ci reproche à celui-là de
chercher à détruire son identité culturelle. Son chef spirituel, le
dalaï-lama, a acquis une dimension internationale (il reçoit le prix
Nobel de la paix en 1989) qui lui permet de se poser en interlocuteur obligé de Pékin. Il lance cet appel au président chinois Hu
Jintao en mars 2008 alors qu’une vague d’émeutes antichinoises
secoue le Tibet sous l’autorité de Pékin à quelques mois des Jeux
olympiques. L’affaire a un écho planétaire.
→Doc. 3 : Internet, le nationalisme chinois et le Japon.
L’article évoque les méthodes utilisées par les jeunes nationalistes chinois pour exprimer leur hostilité au Japon. L’extrait
ne l’aborde pas mais il y a en arrière-plan d’une telle attitude
le ressentiment né dans la mémoire chinoise du souvenir des
exactions commises en Chine par l’Armée impériale entre 1937
et 1945 - par exemple, le massacre de centaines de milliers de
civils lors du « sac de Nankin » en 1937. Mais aussi l’image de
« client » des Américains que peut avoir le Japon : à partir de
1950, l’archipel devient le principal point d’appui du « cordon
sanitaire » maritime mis en place par Washington pour « endiguer » la Chine populaire.
→Doc. 4 : La Chine dans son environnement : maîtrise de
l’espace et revendications territoriales.
La carte inventorie les risques géopolitiques dans le voisinage
de la Chine : se superposent les effets de la défiance entre
Washington et Pékin, à la fois héritage de la Guerre froide et
inquiétudes récentes, et des tensions locales.
→Doc. 5 : La Chine au cœur du commerce asiatique.
La carte met l’accent sur le terrain commercial en figurant la
dépendance commerciale des pays d’Asie par rapport à la Chine.
L’explication renvoie à l’attractivité du marché chinois mais il
faut également prendre en compte les effets de la division internationale du travail au sein de l’espace asiatique : une fraction
notable de ces exportations est en vérité intra-firmes, portant
par exemple sur le transfert d’éléments de moteurs ou d’accessoires automobiles de telle usine sous-traitante, de nationalité
chinoise ou non, implantée en Asie du Sud-Est vers l’usine établie en Chine et où l’automobile sera assemblée. Dès lors qu’un
produit franchit une frontière, il entre dans la statistique des
exportations/importations : on estime que près du tiers du
commerce international est en fait constitué par des échanges
intra-firmes. Relier cette carte aux autres documents souligne
qu’on doit distinguer les logiques géopolitiques des dynamiques
économiques.
◗ Réponses aux questions
1. Certains habitants de Taiwan redoutent que Pékin ne cherche
à prendre par la force le contrôle de l’île (l’armée chinoise effectue de temps en temps des manœuvres d’intimidation). D’autres
refusent même la perspective de voir un jour Taiwan redevenir
une province chinoise.
2. Le dalaï-lama reproche aux autorités de Pékin de ne pas respecter « la liberté d’expression et la primauté du droit » dans
leur traitement du problème tibétain et plus généralement
sur la question des minorités vivant dans l’espace chinois - il
évoque aussi le Turkestan oriental, habité par les Ouïgours, et
la Mongolie intérieure. Il accuse au passage Pékin d’encourager
les migrations des Han vers ces périphéries, pour submerger les
« autochtones » et appelle au dialogue, sous-entendant que le
régime chinois mise avant tout sur la répression.
3. Les jeunes nationalistes chinois se montrent virulents contre
le Japon et reprochent aux dirigeants chinois qui voudraient
entretenir avec lui des relations apaisées d’être des « esclaves de
l’Occident ». Les mobiles sont incertains : l’article évoque le rôle
joué en sous-main par les « tendances les plus conservatrices et
belliqueuses au sein du Parti », faisant allusion aux divergences
Chapitre 7 - Les chemins de la puissance : la Chine et le monde depuis 1919
• 95
© Hachette Livre
continent mais détiennent des richesses naturelles dont a
besoin l’économie chinoise ; la sous-évaluation du yuan peut
entraver les exportations interafricaines et pénaliser les producteurs locaux.
qui traversent l’appareil du PCC sur les questions de politique
étrangère. Sans doute le souvenir de la guerre menée par le Japon
contre la Chine joue-t-il aussi un rôle. Leurs modes d’actions
sont modernes : Internet est utilisé pour lancer des pétitions en
ligne, faire pression sur les autorités pour interdire l’acquisition
de matériels nippons, organiser un référendum « virtuel » pour
empêcher l’octroi au Japon d’un siège de membre permanent au
Conseil de sécurité de l’ONU.
4. Pékin revendique toute une série d’îles en mer de Chine, tant
au sud du Japon qu’en mer de Chine méridionale (notamment
l’archipel des Spratlys). On a identifié ou on soupçonne la présence de gisements de gaz naturel ou de pétrole dans les fonds
marins autour de ces îles, à l’intérieur des zones d’exploitation
économique exclusive.
5. Les voisins de la Chine lui adressent une part parfois considérable de leurs exportations : 30 % pour Taiwan, le quart pour la
Corée du Sud, etc. Le marché chinois aimante leurs entreprises
parce qu’il est en forte croissance : le niveau de vie progresse
vite (Leçon 3, doc. 1).
6. La Chine a des différends politiques avec plusieurs partenaires commerciaux : le Japon est le plus notable, mais il y a aussi
Taiwan, les Philippines, l’Indonésie, etc.
◗ Texte argumenté
La Chine accroît sa puissance en Asie orientale en renforçant tout
d’abord le contrôle de ce que les autorités de Pékin considèrent
comme l’espace chinois : les périphéries occidentales sont sous
surveillance ; si Hong-Kong et Macao sont redevenues chinoises,
on répète à Pékin qu’il en ira de même pour Taiwan. À l’égard des
voisins, Pékin use tout d’abord du levier économique. Sa prospérité rend son marché attractif et donne à ses firmes les moyens
d’investir. Cela peut aplanir les divergences sans nécessairement les
supprimer, comme on le voit ici avec le Japon. Mais les autorités
chinoises peuvent compter aussi sur d’autres atouts : le relais de la
diaspora chinoise ; le renforcement des capacités militaires, notamment la marine de guerre.
Cette dynamique suscite des tensions et des inquiétudes parmi les
minorités non Han de l’espace chinois comme parmi la population
taiwanaise. Elle alimente des tensions avec les pays voisins qui
mesurent la dissymétrie de puissance entre eux et le « grand dragon » : les relations sont parfois difficiles avec Taiwan et le Japon,
mais aussi avec le Vietnam (qui se défie depuis toujours de « la tentation impériale » chinoise) ou la Corée du Sud, qui se plaint du
soutien apporté par Pékin à la Corée du Nord.
lement vont au salaire (Le Monde, « Big Apple, le monstre du
business », 1er mars 2012).
→Doc. 2 : Deng Xiaoping et les ZES.
Deng Xiaoping s’exprime ici devant ses pairs, les membres du
Comité central, instance dirigeante d’un PCC dont il est alors le
secrétaire général, en même temps qu’il dirige l’État. Il lui faut
convaincre cette assemblée d’hommes d’appareil a priori persuadés des méfaits du capitalisme de la nécessité d’ouvrir largement
la Chine aux investisseurs étrangers ainsi qu’il le préconise en
1992 dans la phase de relance de sa politique de réformes.
→Doc. 3 : Les principaux pays exportateurs dans le monde en
2001 et 2009.
Le graphique porte sur les six premiers exportateurs mondiaux.
Rappelons que :
– ce n’est pas un pays qui exporte en tant que tel mais les
entreprises installées sur son territoire, quelle que soit leur
nationalité : il faut donc éviter de développer une analyse
en termes nationaux, géopolitiques, pour rendre compte de
l’échange international ;
– il ne s’agit ici que des exportations de marchandises : celles
de services, pour lesquelles la hiérarchie serait autre, ne font pas
partie du commerce international au sens strict du terme.
→Doc. 4 : Shanghai, premier port de Chine et du monde.
La photographie montre le cœur des immenses installations
portuaires de Shanghai, avec en arrière-plan les tours du quartier ultramoderne de Pudong. En 2010, 8 des 10 premiers ports
mondiaux étaient chinois.
→Doc. 5 : Fabriquer pour le monde à Shenzhen.
L’article évoque les conditions de travail dans une usine d’une
très grande entreprise taiwanaise (elle emploie « 1,2 million
de salariés » dans le monde). Ses établissements se trouvent
surtout en Chine continentale (« un million [de salariés] en
Chine ») et opèrent en sous-traitance pour de grands groupes
occidentaux. Les produits qui sortent de ces usines sont avant
tout destinés à l’Amérique du Nord, à l’Europe et au Japon, à
l’image des exportations chinoises dirigées pour moitié vers les
États-Unis et l’Europe occidentale. Le territoire chinois devient
une base « d’assemblage et de transformation de produits intermédiaires et de composants importés » : ceci représente « plus
de la moitié des exportations chinoises » avec des opérations
effectuées « pour plus de 80 % au sein de filiales d’entreprises
étrangères » (F. Lemoine, 2009).
◗ Réponses aux questions
Étude 5
p. 242-245
L’internationalisation de l’économie,
un levier de puissance
L’ensemble du dossier met en exergue l’inscription de la Chine
dans la globalisation en en scrutant les modalités, les acteurs
et certains effets en termes de puissance. La dimension économique est essentielle pour éclairer la montée en puissance
aussi récente que fulgurante de la Chine : les documents, de
nature diverse, sont tirés de publications récentes et permettent
d’identifier les acteurs et les mécanismes qui ont fait du pays en
peu d’années la seconde économie mondiale. On ne peut comprendre la Chine contemporaine en les ignorant.
© Hachette Livre
→Doc. 1 : Chaîne d’assemblage de matériel électronique dans
la ZES de Shenzhen.
La photographie est prise dans l’usine Foxconn de Shenzhen. Les
230 000 ouvrières et ouvriers travaillent douze heures par jour,
six jours sur sept, pour un salaire minimum de 300 euros début
2012, ce qui fait que sur les 629 euros que coûte un iPhone en
France (ces appareils sont assemblés dans cette usine chinoise
par le sous-traitant taiwanais d’Apple, Foxconn), 6 euros seu-
1. Deng Xiaoping s’exprime, selon son habitude, en mettant
les principes à distance (le refus de « classer ») pour privilégier
l’efficacité : le critère doit être le « développement des forces
productives de la société socialiste ». Son pragmatisme se manifeste aussi dans l’habileté qui consiste à user de « la langue
de bois » communiste pour faire accepter l’introduction de
logiques de marché dans une économie en principe socialiste
c’est-à-dire collectivisée. Il consiste aussi à rappeler que « la propriété publique » restera prépondérante dans les ZES ouvertes à
ces capitaux étrangers. « L’économie socialiste de marché » que
promeut « le Petit Timonier » se situe entre plan et marché, État
et initiative privée.
2. Deux facteurs incitent les investisseurs à ouvrir des usines en
Chine :
– les avantages qu’apporte l’implantation dans les ZES : fiscalité
allégée, exemption des droits de douane ;
– l’existence d’une main-d’œuvre nombreuse, relativement
qualifiée, et dont le coût pour l’employeur est sans commune
mesure avec les standards des anciens pays industriels.
3. Si l’on considère les marques et les produits évoqués dans le
document 5, ils sont avant tout destinés aux consommateurs de
la zone OCDE : Amérique du Nord, Japon, Europe.
96 • Chapitre 7 - Les chemins de la puissance : la Chine et le monde depuis 1919
tations ont propulsé ses ports maritimes aux premiers rangs
mondiaux.
5. On peut expliquer l’arrivée de la Chine au premier rang des
exportateurs mondiaux grâce aux réponses précédentes : les
autorités ont créé un cadre réglementaire attractif pour les investisseurs étrangers ; ceux-ci délocalisent des usines existantes
ou en implantent de nouvelles pour produire en Chine avec de
faibles coûts de revient des articles destinés à l’exportation.
→Doc. 6 : L’expansion mondiale de la plus importante société pétrolière chinoise, la CNPC (China National Petroleum
Corporation).
La carte visualise les étapes de l’expansion de la première firme
pétrolière chinoise : les implantations dont il est question sont
des rachats de firmes pétrolières locales ou bien l’obtention de
concessions de prospection ou de forage. Les autres sociétés
pétrolières chinoises (Sinopec, CNOOC) agissent de même.
L’objectif des autorités, qui contrôlent étroitement ces firmes,
est de sécuriser et de diversifier les approvisionnements (le
Moyen-Orient fournit en 2011 45 % des importations de brut).
→Doc. 7 : L’essor des firmes pétrolières.
La Chine a « soif de pétrole » : selon l’agence internationale de
l’énergie (AIE), la consommation d’énergie, encore relativement
modeste (par habitant, elle est six fois moins élevée qu’aux ÉtatsUnis), devrait doubler sur la période 2005-2030, en raison de la
croissance, de la hausse du pouvoir d’achat, des changements de
modes de vie. Pour ce qui est du pétrole, le pays devrait passer
des 9 % de la consommation mondiale qu’il représentait en 2006
à 16 % en 2030.
→Doc. 8 : Les entreprises chinoises parmi les 500 premières
firmes mondiales en 2005-2010.
Les entreprises sont classées ici selon leur chiffre d’affaires,
sans considération du statut : beaucoup de grandes sociétés
chinoises restent encore très liées aux pouvoirs publics.
→Doc. 9 : Le rôle de la diaspora chinoise.
L’article évoque cette diaspora qui, en termes numériques, est
la première du monde et à laquelle les autorités sont bien plus
attentives que par le passé. Elle est installée surtout en Asie du
Sud-Est où elle anime la vie économique.
→Doc. 10 : Le constructeur automobile chinois Geely rachète
Volvo au groupe américain Ford pour 1,5 milliard de dollars.
Geely, fondé en 1998 par l’homme d’affaires Li Shu Fu, est le premier constructeur automobile privé chinois. Le groupe fabrique
surtout des modèles bas de gamme, vendus en Chine même
et dans d’autres pays émergents (Russie, Ukraine, Indonésie,
etc.). Mais il entend monter en gamme et prendre pied sur les
marchés occidentaux, d’où ce rachat à Ford en 2010 du Suédois
Volvo, pour 1,5 milliard de dollars. Le dessin souligne la force surprenante du faible : Geely est le « petit dernier » qui s’empare
d’un constructeur aussi renommé qu’ancien. L’épisode illustre la
richesse soudaine des nouvelles « multinationales » chinoises en
contraste avec les difficultés de firmes historiques, européennes
ou états-uniennes. Les rapports entre entreprises font écho à la
recomposition des hiérarchies étatiques.
→Doc. 11 : La stratégie mondiale de Lenovo.
Lenovo est un autre exemple de ces nouvelles « multinationales » chinoises devenues en peu d’années des acteurs majeurs
de l’économie globalisée. Il s’agit d’une société de statut privé
fondée en 1984. Elle fabrique des téléviseurs, des disques durs,
des smartphones, des ordinateurs. Elle s’est rendue célèbre en
rachetant en 2005 la division PC du géant états-unien IBM et
est devenue en octobre 2011 le n° 2 mondial des fabricants de
PC. Elle vend sur le marché chinois des appareils à bas prix mais
souhaite elle aussi monter en gamme pour imposer ses produits
sur les marchés « mûrs ».
◗ Réponses aux questions
6. L’internationalisation de la CNPC débute en 1993. Elle s’accélère au début du xxie siècle en raison des besoins croissants
de la Chine en pétrole : elle était déjà en 2008 « le 2e pays
consommateur […] dans le monde » et elle « est importatrice de
pétrole depuis 1993 ». L’objectif des autorités est de s’appuyer
sur les groupes pétroliers qui leur restent liés pour garantir les
approvisionnements.
7. La diaspora peut aider au développement de la Chine soit en
favorisant des entreprises chinoises quand les hommes d’affaires
qui en sont issus doivent choisir un partenaire étranger, soit en
orientant vers la Chine, notamment vers la région d’origine,
l’épargne accumulée dans le pays d’installation.
8. Le constructeur automobile chinois Geely s’internationalise en rachetant à ses homologues étrangers des firmes qu’ils
contrôlent, qu’ils les aient créées eux-mêmes ou bien les aient
rachetées, comme dans le cas de la marque suédoise Volvo qui
avait été reprise par l’Américain Ford.
9. Lenovo escompte deux avantages de son partenariat avec le
groupe japonais NEC : stimuler sa capacité d’innovation en prenant pied sur un marché nippon que caractérise « [l’]adoption
rapide des nouvelles technologies » ; augmenter sa capacité de
production pour devenir le leader mondial de la fabrication de
PC.
10. Dans le classement des 500 premières firmes mondiales
selon le chiffre d’affaires, globalement la part des pays anciennement industrialisés reste prépondérante, mais recule entre 2005
et 2010, notamment pour les États-Unis. Celle de la Chine augmente, tout en restant très en deçà de la part américaine.
11. Ces 5 documents soulignent la montée en puissance des
groupes chinois parmi la constellation des grandes firmes transnationales qui animent l’économie mondiale. Ils illustrent aussi
leur internationalisation croissante.
◗ Texte argumenté
L’ensemble des documents souligne deux faits : la Chine est devenue
« l’usine du monde ». Ses ZES attirent les investisseurs étrangers
aussi bien que chinois. Des usines qui s’y implantent sortent quotidiennement des volumes énormes de produits de toutes sortes
(appareils électroniques, articles textiles, automobiles, jouets, etc.)
qui sont pour une grande part destinés aux marchés extérieurs, à
ceux de l’OCDE comme du tiers monde. De ce fait, les ports chinois
deviennent les plus actifs du monde.
Mais les firmes chinoises mènent aussi leur propre jeu. Qu’il s’agisse
de sécuriser des flux stratégiques (ravitaillement en pétrole), d’accroître leur taille, d’améliorer leur technologie ou leur capacité
d’innovation, elles sortent des frontières nationales et s’intéressent
aussi bien aux espaces en développement qu’aux firmes des anciens
pays industriels.
Ces formes d’internationalisation de l’économie renforcent la
puissance de la Chine. Les firmes agissent souvent de pair avec les
pouvoirs publics : sécuriser les flux stratégiques, c’est conforter la
capacité qu’a un État de résister aux pressions extérieures, voire
celle d’en exercer lui-même face à des États peu puissants. Par ailleurs, la notoriété des entreprises chinoises contribue à accroître
celle du pays auprès des opinions étrangères, forme de soft power
dont l’efficacité est impossible à quantifier mais non négligeable.
Chapitre 7 - Les chemins de la puissance : la Chine et le monde depuis 1919
• 97
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4. L’envolée des exportations de la Chine et celle de ses impor-
Leçon 3
p. 246-247
dollars PPA en Chine et dans deux pays voisins.
Les statistiques proviennent d’une base de données fiable et le
PIB par habitant calculé en PPA est un indicateur qui permet
d’approcher le niveau de vie d’une population, même s’il faut
tenir compte du fait qu’en Chine ce genre de moyenne gomme
les inégalités qu’on sait énormes entre les classes urbaines favorisées des régions littorales et les paysanneries déshéritées des
provinces intérieures ou occidentales.
4 mai 1989.
La photographie est prise durant ces quelques semaines où le
PCC s’interroge et se divise sur la réponse à donner aux nombreux manifestants du second printemps de Pékin, jeunes pour
la plupart, qui réclament la démocratie, cette « cinquième
modernisation » désirée par Wei Jingsheng et les autres animateurs du premier printemps de Pékin, celui de 1979, soit un État
de droit de type occidental, respectant le pluralisme, la séparation des pouvoirs, les droits des personnes et des minorités. La
réponse sera finalement répressive en juin, ce qu’ignore évidemment cette foule détendue. Que le slogan soit rédigé aussi en
anglais signale la volonté de prendre le monde à témoin.
◗ Réponses aux questions
◗ Réponse à la question
Depuis 1979, la puissance par l’économie
→Doc. 1 : L’évolution du PIB par habitant en 1960-2010 en
1. Les données mettent en évidence l’opposition entre les performances économiques obtenues dans la période maoïste d’une
part et depuis l’entrée dans l’ère du « socialisme de marché »
d’autre part. Alors que le PIB par habitant n’avait que doublé
dans les vingt années 1960-1980, il a plus que quintuplé dans les
deux décennies suivantes puis augmenté encore de 42 % dans
la première décennie du xxie siècle. Les raisons sont diverses.
Comment pourrait-on minorer l’impact de la substitution de
logiques de marché aux règles de l’économie administrée ainsi
que des dynamiques engendrées par l’ouverture aux capitaux
étrangers ? On ne peut négliger toutefois les effets de la réduction de la natalité consécutive à la politique de l’enfant unique :
la richesse économique créée se répartissant sur un nombre
d’habitants qui croit plus lentement qu’avant, le ratio PIB/habitant progresse aussi bien plus vite.
2. La comparaison entre la Chine et ses deux voisins montre
que :
– l’écart initial, en 1960, est conséquent, puis se creuse jusqu’en
1980, passant de 3,5 fois à 7,1 fois entre la Chine et Taiwan et de
12,2 fois à 19,8 fois entre la Chine et le Japon ;
– cet écart se resserre ensuite. Des dynamiques de rattrapage
sont à l’œuvre en Asie orientale : Taiwan est devenu un pays
riche, en passe de rejoindre le Japon ; la Chine a réduit une partie
d’un retard qui s’était aggravé sous Mao ;
– malgré tout, les disparités de niveau de vie restent grandes :
en 2010, un Chinois est en moyenne 5 fois moins aisé qu’un
Taiwanais ou un Japonais. Cela signifie que la majorité de la
population reste en marge de la société de consommation.
1. Ces manifestants demandent la démocratie.
→Doc. 5 : « Encore une révolution ! »
Cette caricature parue dans un quotidien régional français
évoque l’annonce du dépassement du PNB japonais par celui de
la Chine.
◗ Réponse à la question
1. Un homme d’affaires d’allure occidentale (costume cravate,
attaché-case, gros cigare) symbolise la Chine ; ses mots disent
la nouveauté radicale que représente l’accession de son pays au
rang de seconde économie mondiale à la place du Japon (sont-ils
aussi une manière de moquer l’obsession de la révolution permanente qui caractérisait le maoïsme ?). Le dessin montre aussi
à l’arrière-plan une autre Chine, celle du régime dictatorial : si le
gardien (le pouvoir) regarde avec sympathie cette nouveauté-là,
les prisonniers (les dissidents) déplorent que la révolution dont
se félicite la Chine officielle reste incomplète.
Histoire des Arts
p. 248-249
L’affiche officielle en Chine
Alors qu’on évoque de plus en plus la complémentarité/rivalité
entre les puissances chinoises et états-uniennes, le sinologue
français Jean-Luc Domenach réfléchit ici à la perception ambivalente des États-Unis par les Chinois.
L’iconographie officielle a une forte tradition en Chine et le régime
communiste l’a reprise en 1949 pour convaincre une population
alors massivement illettrée. Durant la période maoïste, nombreux
étaient les « ateliers des beaux-arts » chargés de concevoir des
images destinées à une large diffusion dans l’espace public. Ces
images permettent d’approcher ce que des populations exposées
à une propagande obsédante pouvaient imaginer d’un monde
extérieur inconnu à la plupart. Beaucoup évoquent en effet la
place de la Chine dans le monde, plus exactement celle que les
gouvernants voudraient lui donner. Elles sont de ce fait un miroir
des évolutions, parfois brutales, intervenues sur ce plan.
◗ Réponse à la question
→Doc. 1 : « Tous les peuples du monde unis pour vaincre
→Doc. 2 : Essor économique et ambitions internationales.
les Chinois hésite entre « attirance » et rejet, envie de « ressembler aux États-Unis » et désir « d’en finir avec eux ». Il précise sa
pensée en estimant que les dirigeants sont animés par la volonté
de rivaliser sur un plan géopolitique tandis que les gouvernés
« se délectent de feuilletons américains ».
l’impérialisme américain ! Pour vaincre le révisionnisme soviétique ! Pour vaincre les réactionnaires de toutes les nations ! »
Cette affiche de combat datée de 1969 est typique du climat
de la Révolution culturelle : culte de la personnalité de Mao et
exaltation d’une Chine seule authentiquement révolutionnaire
et dressée contre tous.
→Doc. 3 : L’ouverture économique de la Chine depuis 1980.
→Doc. 2a : « Les zones économiques spéciales : la grande
1. J.-L. Domenach indique que la perception des États-Unis par
La carte indique les formes, les étapes et les lieux de l’ouverture
économique de la Chine : elle met en évidence la réactivation de
la « Chine bleue » délaissée à l’ère maoïste.
◗ Réponse à la question
© Hachette Livre
→Doc. 4 : Manifestation sur la place Tien Anmen de Pékin,
1. La carte montre que les principales zones ouvertes aux
capitaux étrangers se situent le long de la façade Pacifique,
en particulier dans sa partie méridionale, vis-à-vis des « autres
Chines » que sont Hong-Kong et Taiwan.
porte ouverte sur la Chine ».
Le ton est tout autre dans cette affiche des premières années
d’une ouverture qui reste encore timide : les ZES sont une
nouveauté, il y en a peu. Mais on n’appelle plus à combattre
les étrangers, on les encourage à investir en Chine. L’affiche
s’adresse aux Chinois comme aux étrangers.
Les portes de la Cité interdite occupent le premier plan. Du
temps des empereurs, elles étaient closes, nul ne pouvait entrer
dans l’enceinte de cet immense complexe de 72 hectares au
cœur de Pékin, hors les membres de la Cour, les serviteurs et
les gardes.
98 • Chapitre 7 - Les chemins de la puissance : la Chine et le monde depuis 1919
→Doc. 3a : « Pékin 2008, un monde, un rêve ».
Le contraste est total entre cette affiche au slogan « œcuménique » et aux contours et teintes estompés et celle, militante et
belliqueuse, de 1969. La Chine officielle, celle du Comité d’organisation des Jeux olympiques, célèbre ici la réconciliation entre
la Chine de toujours et celle du présent, entre la Chine et le
monde. Le palais de l’Harmonie suprême est le bâtiment essentiel de la Cité interdite, le centre d’un monde que l’ancien empire
chinois imaginait organisé autour de lui. Tous les actes essentiels
y ont lieu : intronisation, anniversaires, mariage des empereurs ;
célébration du nouvel an lunaire ou du solstice d’hiver, etc.
Détenteur d’un « mandat céleste », garant de l’harmonie entre
le Ciel et la Terre, l’empereur était là au cœur du monde.
◗ Réponses aux questions
1. Cette foule de peuples variés marche à la fois vers les ennemis
désignés par le slogan titre et l’avenir radieux de la révolution.
Elle est conduite par trois éléments révolutionnaires chinois :
un soldat (prépondérant au centre du trio), un ouvrier en bleu
de travail et sans doute une paysanne au premier plan avec
son chapeau de paille. Mao Zedong est ici comme un soleil qui
guide cette foule : le regard déterminé indique la ligne de front.
L’affiche traduit le culte de la personnalité de Mao qui culmina
durant la Révolution culturelle.
2. Que ces lourdes portes de la Cité qui était réservée à l’empereur au cœur de Pékin soient ouvertes symbolise la volonté de
laisser libre accès à tous au monde chinois - y compris les étrangers, comme l’indiquent les drapeaux.
6. Le document 1 relève du réalisme socialiste : l’image doit
mobiliser les consciences en vue de lutter pour un monde enfin
débarrassé de tous les adversaires du socialisme ; elle érige en
modèles des figures belliqueuses. Les deux autres s’en écartent
dans la mesure où, si elles donnent elles aussi à rêver d’un monde
meilleur, elles ne le font pas sur le mode militant, en appelant
au combat ou en proposant des « héros positifs » en exemples.
Elles suggèrent au lieu d’embrigader.
7. L’affiche 1, datée de 1969, exprime un moment de radicalité révolutionnaire, d’isolement de la Chine dans le monde et
de tension extrême tant avec les États-Unis (à l’occasion de la
guerre du Vietnam) qu’avec l’URSS (accrochages entre gardesfrontières des deux pays le long du fleuve Oussouri). La 2a date
des débuts de la politique d’accueil des capitaux étrangers dans
les ZES : elle s’adresse semble-t-il autant aux investisseurs
étrangers (les drapeaux), que l’on invite à « entrer » en Chine via
la mer (les premières ZES sont toutes dans des ports : la Chine
passe du « jaune » au « bleu »), qu’aux Chinois, auxquels on
indique que cette ouverture rompant avec l’immobilisme associé à la mémoire de l’empire (la Cité interdite) permettra de bâtir
un avenir radieux. La 3a est conforme à l’esprit dans lequel les
autorités ont présenté à la communauté internationale les Jeux
olympiques de Pékin en 2008 : le manifeste de l’« émergence
pacifique » d’une Chine attachée à préserver les équilibres, tant
entre les nations qu’entre régime et société (c’est l’harmonie
au sens néo-confucéen). Une Chine qui se dit heureuse et fière
d’accueillir un monde dans lequel elle a retrouvé toute sa place :
« la Chine est grande », disait le slogan de ces Jeux olympiques.
3. Le slogan peut renvoyer à la confrontation entre le monde
4. On distingue nettement sur les trois affiches un premier plan
et un arrière-plan. Leur juxtaposition dans le document 1 traduit
la relation qui doit exister entre l’avant-garde révolutionnaire (le
peuple chinois) et le reste de l’humanité en lutte contre ces ennemis que sont « l’impérialisme américain », « le révisionnisme
soviétique » et « les réactionnaires de toutes les nations ». Dans
le document 2, les portes au premier plan renvoient au passé
tandis que l’immeuble aux lignes modernes à l’horizon symbolise l’avenir : les ZES sont un levier pour moderniser la Chine.
Dans le document 3, le palais de l’Harmonie suprême s’oppose
au stade comme le passé au présent, mais la relation entre les
deux plans n’a pas le même sens que dans l’affiche 2 : c’est plutôt
le monde ancien qu’est la Chine qui accueille ce rêve toujours
nouveau qu’est l’olympisme - temps de trêve, d’harmonie entre
les nations du monde.
5. La foule présente sur le document 1 renvoie à l’imaginaire
d’une histoire écrite par des peuples ou des classes en lutte ;
c’est une vision militante de l’évolution humaine. Remplacer ces
foules par des bâtiments (surtout quand ces bâtiments sont la
Cité interdite, parfait symbole de la longue histoire chinoise),
c’est insister sur une continuité entre le passé et le présent,
installer une image apaisée du processus historique : « portes
ouvertes », « rêve », « harmonie », on est aux antipodes des slogans et postures belliqueux de l’affiche 1. Sur l’affiche 3, le choc
entre les styles architecturaux ne traduit pas l’opposition entre
un passé voué à disparaître et un futur idéalisé, mais plutôt la
conciliation entre héritage et modernité. L’évolution des teintes
dominantes est en accord avec celle des significations : couleurs
très vives, à dominante de rouge, dans le document 1 ; teintes
pastel, fondues dans les deux autres affiches, notamment dans
la 3a qui efface également les contours, noie les lignes dans le
flou.
Prépa Bac
p. 252-257
◗ Composition
Sujet guidé : L’affirmation économique et politique
de la Chine depuis les années 1920
4. Développer le sujet
1. La Chine ne parvient pas à affirmer sa puissance (années
1920-1949)
– Déclin de l’Empire
– Guerre civile
– Occupation japonaise et révolution communiste
2. Des choix politiques qui freinent la modernisation économique (1949-fin des années 1970)
– Affirmation de l’indépendance de la Chine communiste face
aux puissances étrangères
– Quête d’une reconnaissance internationale
– Engagement sur une voie originale du communisme
3. Une ouverture volontariste au service de la puissance économique et de l’influence politique (fin des années 1970 à
aujourd’hui)
– Réformes et émergence économiques
– Reconnaissance politique
5. Rédiger l’introduction et la conclusion
Introduction
Puissance majeure depuis l’Antiquité, l’Empire chinois entre
en déclin au cours du xixe siècle. Cette période coïncide avec
l’arrivée des puissances étrangères, qui se partagent la Chine
en zones d’influences. Le discrédit dans lequel tombe la dynastie impériale aboutit à la proclamation de la République par
les nationalistes chinois. Á partir des années 1920, comment la
Chine s’efforce de réaffirmer sa puissance économique et politique ? De 1919 à 1949, elle rencontre de nombreux obstacles à
l’affirmation de cette puissance ; la Chine, devenue communiste
avec Mao, connaît un développement économique et un certain
rayonnement international de 1949 à 1979, mais entravés par de
Chapitre 7 - Les chemins de la puissance : la Chine et le monde depuis 1919
• 99
© Hachette Livre
qu’est la Chine symbolisée par le palais de l’Harmonie suprême,
cœur d’une Cité interdite qui était elle-même au centre symbolique de l’Empire du Milieu qu’on imaginait au centre du monde
connu, et le rêve olympique auquel renvoie l’image du stade
baptisé « le nid d’oiseau », lieu des cérémonies d’ouverture et de
clôture ainsi que de compétitions majeures. p
sérieux revers ; enfin, l’ouverture sur le monde, avec les réformes
de la fin des années 1970, libère la puissance de la Chine sur la
scène mondiale.
Conclusion
Ainsi, depuis 1919, la Chine est passée d’une situation de domination par les puissances européennes à une situation de
puissance économique intégrée dans la mondialisation. Sur le
plan politique, le régime communiste en place depuis 1949 maintient les grands principes tout en cherchant à obtenir une place
dans la diplomatie internationale. Son influence reste cependant
moindre que celle de son rival économique américain.
6. Rédiger le développement
– 1re partie : De 1919 à 1949, la Chine, confrontée à la guerre
civile et à l’occupation japonaise, est un État qui ne parvient pas
à affirmer sa puissance.
Le déclin de la Chine s’est confirmé en 1911 avec l’effondrement
de l’Empire. Un nouveau régime est instauré sous la direction
de Chiang Kai-shek. C’est un gouvernement nationaliste qui
souhaite réunifier le pays en combattant les seigneurs de guerre
et renvoyer chez elles les puissances européennes qui se sont
installées pour l’exploitation des ressources et le commerce.
Cependant, ce gouvernement s’oppose rapidement à l’autre
force politique montante, le Parti communiste chinois, et une
guerre civile éclate à la fin des années 1920. Ce dernier obtient le
soutien de l’URSS dans la perspective d’une révolution anticapitaliste qui serait menée par Mao Zedong.
Mais, dans le même temps, les assauts du Japon impérialiste
dépècent la Chine (la Mandchourie devient un protectorat
nippon) et, en 1937, la Chine est envahie jusqu’à la capitulation japonaise en septembre 1945. La guerre civile opposant les
nationalistes, soutenus par les Américains, aux communistes
reprend jusqu’à la victoire du PCC grâce à l’Armée populaire de
libération qui promet à la population renaissance de la Chine et
réforme agraire.
– 3e partie : Á partir de 1979, une politique volontariste de
réformes est impulsée par les dirigeants communistes, permettant l’ouverture de la Chine et son décollage économique.
Deng Xiaoping et ses successeurs cherchent à stimuler la croissance en restaurant des principes de l’économie de marché
et en ouvrant le pays sur le monde. Des territoires littoraux
sont ouverts aux capitaux étrangers. Ainsi, l’exploitation des
ressources naturelles et humaines, les investissements de la
diaspora et cette politique d’ouverture donnent des résultats
exceptionnels plaçant aujourd’hui la Chine au 2e rang mondial
sur le plan économique.
Cette émergence économique s’accompagne également d’un
volontarisme diplomatique avec la participation de la Chine à
des organisations internationales (OMC depuis 2001), mais aussi
régionales (OCS). Cette réussite économique lui permet aussi
d’organiser de grands événements internationaux (JO en 2008,
Exposition universelle en 2010) qui doivent modifier son image.
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Sujet en autonomie - Les chemins de la puissance
de la Chine depuis les années 1960
Problématique : Comment la Chine est-elle parvenue au rang
de puissance mondiale depuis le Grand Bond en avant ?
Plan
1. La puissance du modèle communiste chinois des années 1960
à son échec
– « Compter sur ses propres forces » : mobilisation des masses
à l’intérieur du pays
– Volonté d’influence sur le tiers-monde
– Échec de la Révolution culturelle
2. L’ouverture économique à partir de 1979 : « l’économie socialiste de marché », des « Quatre modernisations » à l’OMC – Victoire des « réalistes » et politique de réformes
– Internationalisation de l’économie
– Rôle actif dans les instances économiques internationales et
puissance régionale
◗ Étude de document(s)
Sujet guidé - La Chine et le tiers-monde
Présentation
Le document 1 est un dessin de presse dont l’auteur est F.
Behrendt. D’origine allemande, il est né en 1925, il est donc
contemporain des événements qu’il évoque. Il a été publié dans
le New York Times, le 10 juillet 1960, au début de la vague de
décolonisation qui touche les pays d’Afrique.
Le document 2 est un extrait du rapport de Jiang Zemin, alors
bras droit de Deng Xiaoping, lors du XIVe congrès du Parti
communiste de Chine en octobre 1992. Ce document est bien
postérieur au premier, il coïncide avec l’aspiration de la Chine à
devenir une puissance par l’économie. En effet, depuis la mort
de Mao en 1976, le régime s’est engagé dans la voie du libéralisme économique avec les « Quatre modernisations ».
Á partir des documents, comment se traduit l’évolution des relations entre la Chine et le tiers-monde depuis les années 1960 ?
Il convient de montrer les éléments de continuité et de rupture
des relations entre la Chine et le tiers-monde entre l’époque de
Mao Zedong et celle de l’ouverture de Deng Xiaoping.
• Les deux documents montrent des relations entre la Chine
et le tiers-monde sous l’angle d’une politique continue de
coopération.
Le personnage noir évoque un homme politique africain. Il
s’agit de Lumumba, nationaliste congolais devenu Premier
ministre après l’indépendance du Congo en 1960. Les deux
autres personnages se courbent devant lui. L’un a les traits de
Khrouchtchev, qui est alors à la tête de l’URSS, le deuxième ceux
de Mao. La situation décrite par ce dessin montre les enjeux
de la vague de décolonisation en Afrique dans les années 1960
pour des puissances devenues rivales comme la Chine et l’URSS.
Ici, l’indépendance du Congo en 1960 est l’occasion pour ces
deux États d’asseoir leur influence en Afrique. À cet effet, la
Chine développe une coopération économique avec les pays du
tiers-monde. En 1965, la visite du ministre chinois des Affaires
étrangères, Zhou Enlai, en Tanzanie vient officialiser l’aide de
la Chine à la construction d’une importante ligne ferroviaire
Tanzanie-Zambie. Ces liens de solidarité sont affirmés à la
conférence de Bandung en 1955, où Zhou Enlai prononce un discours anticolonialiste devant les nouveaux États indépendants.
Son appui financier et militaire aux pays du tiers-monde complète cette coopération économique. Celui-ci s’est traduit par
une aide logistique et militaire au Vietnam du Nord entre 1965 et
1972 ; par une aide financière en faveur des Khmers rouges dans
les années 1970.
La Chine se positionne en rivale de l’URSS dans le tiers-monde,
en proposant un communisme adapté aux nations pauvres.
Dans le document 2, la position officielle de la Chine est claire :
renforcer les « liens de solidarité et de coopération avec les
pays du tiers-monde ». Elle s’inscrit donc dans la continuité du
maoïsme des années 1960-1970 : créer l’opportunité de nouvelles coopérations. Néanmoins, en soulignant son souci de
« préserver leur souveraineté et leur indépendance et [de] renforcer ses échanges économiques », le Parti communiste chinois
marque une rupture avec le maoïsme. Désormais, il s’agit donc
de mettre à profit la prospérité économique du pays. Ses relations commerciales avec les pays africains sont en constante
augmentation. La Chine est devenue le troisième partenaire
commercial de l’Amérique latine. Sa puissance financière aussi
est mise à profit : elle investit massivement en Afrique (Afrique
du Sud, Zambie, Mali…). L’évolution sur les relations commerciales entre la Chine et le tiers-monde actuellement se traduit
100 • Chapitre 7 - Les chemins de la puissance : la Chine et le monde depuis 1919
par des exportations de machines ou de produits manufacturés et des importations de minerais et de matières premières
agricoles. Mais l’essentiel de ses importations reste le pétrole de
Libye, de Guinée équatoriale, d’Angola et du Congo par exemple.
Par ailleurs, si désormais des cours de chinois sont proposés aux
Africains, ce n’est plus pour qu’ils adhèrent au modèle révolutionnaire maoïste, mais pour qu’ils puissent se faire embaucher
par les entreprises chinoises installées sur place.
On peut donc parler d’un passage d’une coopération politique
dans les années 1960 à des relations plus économiques dans les
années 1990.
• Ces documents traduisent tous les deux l’aspiration de la
Chine à devenir une puissance dans ses relations avec le tiersmonde mais par le biais de moyens qui ont évolué des années
1960 à nos jours. En effet, avec l’accès à l’indépendance des
anciennes colonies européennes, la Chine a d’abord voulu incarner le champion du tiers-monde, c’est-à-dire l’ensemble des
pays non industrialisés, selon la définition proposée en 1952 par
l’économiste et démographe français Alfred Sauvy. Déjà, en 1955,
à la conférence afro-asiatique de Bandung, la Chine était présente et déplorait l’égale indifférence des deux blocs au sort des
pays pauvres. À partir de 1956, l’entente avec l’URSS se dégrade
jusqu’à la rupture en 1960. Dès lors, Pékin se veut le champion
d’un communisme adapté aux nations pauvres et Mao dénonce
l’impérialisme soviétique au même titre que celui des États-Unis.
La Chine équipe alors les pays du tiers-monde d’infrastructures,
militairement et tente d’y propager un modèle de développement à travers le maoïsme. Avec l’arrivée de Deng Xiaoping au
pouvoir en 1978, la Chine entre dans une nouvelle ère. Priorité
est donnée au développement. Un des leviers consiste à inscrire
le pays dans le processus de mondialisation en rompant avec la
volonté d’autarcie qu’affichait Mao. C’est dans cet objectif que
la Chine opte désormais pour les relations commerciales.
Certains vont jusqu’à évoquer un néocolonialisme qui rappelle
la dépendance des colonies par rapport à leur métropole, à travers des liens économiques, militaires et culturels inégaux. Par
exemple, l’Amérique latine fournit presque exclusivement à la
Chine des produits de base alors que cette dernière lui vend des
biens manufacturés à forte valeur ajoutée.
Sujet guidé - La Chine, une puissance régionale
en Asie ?
• L’expansion territoriale de la Chine en Asie suscite des tensions. Celles-ci concernent des pays voisins comme l’Inde ou
Taiwan dont l’indépendance a été reconnue de fait depuis 1949.
Certains habitants craignent un rattachement à la Chine. Elles
concernent parfois le tracé des frontières en particulier avec
l’Inde. Certaines ont été réglées récemment, par exemple avec
le Vietnam. Enfin, il existe des tendances séparatistes à l’intérieur même de la Chine, c’est le cas du Tibet secoué par des
manifestations antichinoises ou du Xinjiang. Officiellement, la
Chine aspire à une politique de « bon voisinage, sécuritaire et
prospère ». Elle puise ses racines dans l’histoire : pendant des
millénaires, la Chine fut le pôle organisateur de l’Asie orientale.
Elle se nommait elle-même « empire du Milieu » (Zhongguo),
c’est-à-dire le foyer civilisateur de périphéries « barbares ». Par
ailleurs, cette influence s’inscrit aussi dans une vision du monde
multipolaire tout en se posant en interlocuteur privilégié et rival
de Washington.
• Néanmoins, plusieurs éléments montrent les limites de la
puissance chinoise en Asie. La Chine a modernisé son appareil
militaire à grands frais en privilégiant l’arsenal nucléaire et la
marine de guerre. De plus, elle se lance dans l’aventure spatiale.
Mais la possession de l’arme nucléaire n’est pas un monopole chinois. Dans la région, il faut aussi compter avec l’Inde,
le Pakistan et peut-être la Corée du Nord. Par ailleurs, la présence américaine est aussi une donnée géopolitique à prendre
en compte. Elle se traduit par des bases au Japon, en Corée du
Sud qui datent de l’après-guerre mais aussi au Kirghizistan et en
Afghanistan suite à la fin de la Guerre froide.
Cette carte nous montre les ambitions régionales de la Chine
en soulignant son expansion territoriale mais aussi sa présence
accrue sur les mers ainsi que ses efforts pour entretenir son
influence dans les pays voisins à travers l’OCS. Mais le document ne nous renseigne pas sur sa puissance économique et
financière - la Chine est entrée à l’OMC en 2001 mais aussi au
G20 -, culturelle - elle a accueilli les Jeux olympiques en 2008
et l’Exposition universelle de Shangaï - ou diplomatique - elle
devient active à l’ONU en tant que membre permanent du
Conseil de sécurité. De plus, le pays resserre ses liens avec les
autres grands pays émergents, les BRICS, qu’elle réunit à Pékin
en 2010. Cependant, la capacité d’influence de la Chine demeure
limitée : l’économie, encore peu innovante, est tributaire des
marchés extérieurs. À ce jour, la Chine est une puissance en
devenir, incomplète et régionale avant tout.
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Présentation
Le document est une carte géopolitique qui permet de localiser la
puissance de la Chine en Asie mais aussi les zones de conflits et les
limites de cette puissance qui s’exprime dans plusieurs domaines.
La source n’étant pas indiquée, il s’agit d’une carte réalisée par
les auteurs du manuel. La période correspondant à cette carte
est contemporaine, autrement dit coïncide avec une période où
la Chine est devenue une puissance mondiale qui, bien qu’encore
émergente, contribue à structurer l’espace asiatique.
Á partir de cette carte, peut-on dire que la Chine est devenue
une puissance régionale en Asie ?
Il convient de relever d’abord les manifestations de la puissance
chinoise en Asie dont certaines ont un enracinement historique,
puis de réfléchir aux conséquences de cette puissance sur l’environnement régional avant d’en mesurer les limites.
• La puissance chinoise en Asie se manifeste dans plusieurs
domaines. D’abord, elle repose sur un immense territoire. De
plus, c’est une puissance nucléaire. C’est aussi une puissance
maritime : les Chinois sont en train de sécuriser leurs voies d’approvisionnement stratégique suivant la tactique du « collier de
perles ». Chaque perle est une base militaire protégeant la route
du pétrole. La Chine est le 2e pays consommateur de pétrole et le
5e pays producteur dans le monde. Le secteur pétrolier est donc
considéré comme stratégique et le pays s’efforce aujourd’hui
d’assurer son approvisionnement en cas de crise internationale. La plus importante firme pétrolière chinoise, la CNPC,
s’implante dans des pays toujours plus nombreux depuis la fin
des années 1990. Enfin, c’est une puissance commerciale qui
s’efforce de maîtriser son espace environnant avec l’OCS, par
exemple. Il s’agit d’une coopération militaire et commerciale
(pétrole et gaz) entre la Chine, la Russie et les républiques d’Asie
centrale. L’objectif à l’origine (1996) était de stabiliser la région
face à la poussée islamiste et aux revendications autonomistes.
Chapitre 7 - Les chemins de la puissance : la Chine et le monde depuis 1919
• 101
 8
Un foyer de conflits : le Proche et le Moyen-Orient
depuis la fin de la Première Guerre mondiale
p. 258-293
Thème 3 – Puissances et tensions dans le monde de la fin de la Première Guerre mondiale à nos jours
Question
Mise en œuvre
Un foyer de conflits
Le Proche et le Moyen-Orient, un foyer de conflits depuis la fin de la Première
Guerre mondiale
Les attentats du 11 septembre 2001, les interventions internationales en Irak, en Afghanistan et les profonds bouleversements
politiques affectant la rive sud méditerranéenne projettent le
Proche et le Moyen-Orient au cœur de l’actualité géopolitique
du début du xxie siècle. Bien qu’il paraisse extrêmement difficile
de mesurer la portée de ce que - un peu trop vite sans doute les médias ont qualifié de « printemps arabe » par analogie « au
printemps des peuples européens », ces événements soulignent
à la fois l’instabilité et l’importance de l’ensemble de la région à
l’échelle internationale.
◗ Nouveauté du programme de terminale
Les crises du Proche-Orient et du Moyen-Orient étaient déjà
présentes dans les anciens programmes de terminales mais
leur étude était fragmentée entre les thèmes « Le nouvel ordre
mondial » et « Le tiers-monde : indépendance, contestation de
l’ordre mondial et diversification ». Les anciens programmes
portant sur le monde après 1945, les conflits étaient étudiés sous
l’angle des relations internationales et de l’émergence du tiersmonde pendant et après la Guerre froide, période clôturée par
l’affirmation de l’hyperpuissance états-unienne. La région servait
à illustrer le passage d’un ordre bipolaire à un monde multipolaire dont la gouvernance devenait de plus en plus incertaine.
Les nouveaux programmes participent d’une optique différente
en changeant l’angle d’approche puisque la région est étudiée
pour elle-même et sur plus d’un siècle, depuis la Première Guerre
mondiale et la chute de l’Empire ottoman. Cette profondeur historique permet de souligner des clivages anciens et d’insister sur
les acteurs et les facteurs locaux des conflits dont certains sont
déjà connus des élèves.
En effet, l’étude des conflits dans cette région peut s’appuyer
sur les connaissances acquises par les élèves au travers des
programmes de géographie de seconde, qui ont souligné les
tensions liées à l’enjeu pétrolier et à l’eau en s’appuyant sur des
exemples souvent pris dans la région (notamment les eaux du
Jourdain) ; de plus, la guerre du Golfe de 1991 fait l’objet d’une
étude spécifique dans les nouveaux programmes de première.
Ces études précédentes doivent permettre aux élèves de remobiliser leurs connaissances sur cette région à l’occasion de cette
nouvelle approche en classe de terminale.
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◗ Problématiques scientifiques du chapitre
La première question posée par le thème est celle des limites
de l’espace concerné. De tradition géographique française, l’expression « Proche-Orient » désigne le « Levant », les régions
de la Méditerranée orientale soit un arc allant de la Turquie
à l’Égypte en passant par la Syrie et la Palestine. L’expression
« Moyen-Orient » (« Middle East ») s’est imposée sous l’influence anglo-saxonne pour désigner l’ensemble de l’Asie de
l’Ouest, englobant le « Proche-Orient » français pour l’intégrer
dans un espace aux limites floues, correspondant à l’ensemble
du monde arabo-persan musulman. Cette évolution du vocabulaire s’explique par l’importance du Royaume-Uni et surtout
des États-Unis dans la géopolitique locale. Georges Corm, dans
la dernière édition du Proche-Orient éclaté, étend son étude
jusqu’au golfe Persique en justifiant cette démarche par l’inflexion de la politique extérieure états-unienne qui vise « non
102 • Chapitre 8 - Un foyer de conflits : le Proche et le Moyen-Orient
plus à résoudre la crise du Proche-Orient et son noyau qu’est la
création d’un État palestinien viable et souverain, mais remodeler, plus à l’est le Moyen-Orient ». Cette tentative de « mise à
l’heure américaine de l’Orient arabe » permet aussi de rattacher
l’étude du thème avec celle de l’affirmation de la puissance américaine, autre élément du thème 3 de ces nouveaux programmes.
L’« unité » du Proche et du Moyen-Orient semble donc être
l’instabilité chronique et la présence de foyers de crises prenant
une dimension internationale, laquelle a justifié des interventions militaires majeures. Cette acception géopolitique conduit
à intégrer dans l’espace d’étude l’Afghanistan, choix d’autant
plus légitime au regard de l’engagement français et de sa
médiatisation.
Face à une multiplicité de facteurs emboîtés, la tentation est
grande d’établir une hiérarchie expliquant la formation d’un
« arc des crises » comme l’écrit Georges Mutin. Quelle place
accorder à la sensible question israélo-palestinienne au ProcheOrient et à l’enjeu pétrolier autour du golfe Persique ? Ces deux
facteurs sont centraux mais s’inscrivent dans un entrelacs complexe qui explique aussi la persistance séculaire des tensions
dans la région : situation stratégique, grande diversité ethnique
et culturelle, stratégies diplomatiques des puissances occidentales, rivalités entre pays arabes, montée de l’islamisme qui
l’emporte en Iran en 1979…
Au travers des pages « Repères » et des études proposées, la démarche
générale du chapitre vise donc à permettre aux élèves :
– d’identifier les principaux facteurs d’instabilité d’une « zone de
confluences, de convergences et de divergences entre grandes civilisations, religions et empires politiques », pour reprendre la formule
de Georges Corm ;
– de comprendre comment ceux-ci s’enchevêtrent pour prendre des
dimensions intéressant des échelles multiples (nationale, régionale,
internationale).
◗ Quelques notions-clés du chapitre
La compréhension des conflits du Proche et du Moyen-Orient
passe par celle de trois projets de construction nationale et/
ou d’unification transnationale que sont le panarabisme, le sionisme et l’islamisme. Pour chacun de ces mouvements, il est
nécessaire de préciser les temporalités dans une étude portant
sur près d’un siècle afin que les élèves comprennent les dynamiques ayant conduit aux tensions actuelles.
• Panarabisme : le panarabisme découle du mouvement de la
renaissance arabe, la « Nahda », développé au xixe siècle, qui
prône l’unité du monde arabo-musulman en référence au temps
quelque peu idéalisé de la dynastie des Omeyyades (661-750).
Après la chute de l’Empire ottoman, le mouvement prend la
forme d’un vigoureux nationalisme arabe, porté notamment par
Fayçal Ibn Hussein, qui a conduit la révolte arabe. Théorisé tant
par des chrétiens que par des musulmans, le mouvement veut
dépasser les religions, du moins dans l’esprit des élites. Il ne doit
pas être confondu avec l’islamisme.
Au Moyen-Orient, le projet d’unité du monde arabe est mis à
mal par les partages mandataires. Le panarabisme est ravivé
après la Seconde Guerre mondiale dans un contexte de décolonisation. Les champions du panarabisme sont d’abord l’Égypte
depuis la fin de la Première Guerre mondiale
ses frontières. Les sionistes les plus radicaux, dans la lignée de
Menahem Begin et de l’Irgoun, revendiquent un « Grand Israël »
intégrant notamment la Cisjordanie, voire la Jordanie. La question devient particulièrement sensible après 1967 et la guerre
des Six-Jours qui pose le problème de l’annexion, de l’occupation ou de la rétrocession des « territoires occupés » (Étude 2 et
Leçon 2). Le débat divise la classe politique israélienne entre une
aile gauche majoritairement favorable à des annexions limitées
dans le but d’établir des relations pacifiées avec les pays voisins
et les Palestiniens et une droite israélienne porteuse d’un « néosionisme » qui, au nom de la sécurité de l’État et de la protection
des populations menacées par les attaques terroristes, justifie
l’annexion de territoires stratégiques comme les hauteurs du
Golan (annexées en 1981) et intervient militairement pour protéger les colons installés en Cisjordanie ou dans la bande de Gaza.
Présenté comme un « mythe fondateur », le sionisme alimente
donc de virulents débats historiographiques, politiques mais
aussi religieux puisque les juifs orthodoxes se partagent entre
les tenants d’un Grand Israël et les antisionistes.
• Islamisme et fondamentalisme : l’autre question que pose
l’étude des tensions au Proche et au Moyen-Orient est la place
exacte à accorder à l’islamisme, comme facteur explicatif des
tensions sur l’ensemble de la période considérée (Étude 5 et
Leçon 4).
« Islamisme politique » est un pléonasme dans la mesure où,
par définition, l’islamisme se définit comme un projet politique
visant à mettre en place un État encadrant la société et l’économie en s’appuyant sur les fondements de l’islam, le respect de
la charia et le refus du pluralisme politique. Comme l’explique
Olivier Roy, l’islamisme se veut une alternative à la démocratie - régime perçu comme imposé par l’Occident et source de
corruption - tout en dépassant le fondamentalisme qui prône le
retour à l’islam primitif des califes du viie siècle.
Au Moyen-Orient, François Burgat rattache la genèse de l’islamisme à « trois temporalités » distinctes :
– au temps de la lutte contre la présence coloniale occidentale, les activistes, notamment les Frères musulmans en
Égypte dès 1928, affirment une identité arabo-musulmane et
« la place de la référence religieuse dans le lexique des luttes
indépendantistes ».
– après la Seconde Guerre mondiale, les islamistes dénoncent
« le déficit culturel » et l’acculturation des élites post-indépendantistes notamment dans les régimes socialistes progressistes
d’Égypte, de Syrie et d’Irak. Ces pays se réclament laïcs, modernes
et marginalisent de fait le discours islamiste qui, souvent violemment réprimé, tend à se radicaliser.
– à la fin des années 1970 se forme une sorte d’internationale
islamiste dont l’Iran de Khomeiny se veut le porte-étendard.
L’islamisme devient alors synonyme de lutte armée contre un
impérialisme occidental incarné par les États-Unis et Israël.
Cette lutte est menée par des groupes terroristes soutenus par
l’Iran comme le Hezbollah libanais, formé en 1982, à la suite
de l’intervention de Tsahal au Liban (« Paix en Galilée »). On
observe deux évolutions de l’islamisme.
D’abord une nationalisation de l’islamisme selon Olivier Roy,
lorsque dans les mouvements islamistes les intérêts nationaux
l’emportent sur les considérations religieuses. Le comportement
nationaliste du Hezbollah libanais explique d’ailleurs qu’il reçoive
le soutien de mouvements chrétiens dans sa lutte contre certaines influences étrangères. L’attitude du Hamas en Palestine,
opposé à toute négociation avec Israël, lui permet de recevoir
l’appui d’autres mouvements nationalistes laïcs palestiniens,
comme le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP,
originellement imprégné de nationalisme arabe et de marxisme).
On observe aussi une dérive de l’islamisme vers un fondamentalisme fanatique, agglomérant une nébuleuse de mouvements
contestataires violents - parmi lesquels les très médiatisés djihadistes (salafistes sunnites ou extrémistes chiites) - dont le point
Chapitre 8 - Un foyer de conflits : le Proche et le Moyen-Orient depuis la fin de la Première Guerre mondiale
• 103
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de Nasser et les régimes progressistes socialistes, la Syrie et
l’Irak, où s’affirme le parti Baas.
Le Nassérisme est un courant panarabe dont l’action est initialement tournée contre l’Occident « impérialiste ». Après avoir
renversé la monarchie pro-britannique en 1952, Gamal Abdel
Nasser entreprend de financer le développement de l’Égypte et
notamment la construction du barrage d’Assouan en nationalisant le canal de Suez en 1956. La crise internationale qui découle
de ce choix révèle deux caractéristiques du panarabisme : d’une
part, la volonté d’affirmer, avec le soutien soviétique, une certaine défiance à l’égard des anciennes puissances mandataires
et, d’autre part, la volonté de soutenir les Palestiniens arabes
contre Israël. Le panarabisme nassérien survit à son créateur
dans le discours égyptien jusqu’aux accords de Camp David de
1978, tournant géopolitique majeur caractérisé par la volonté de
normaliser les relations entre l’Égypte et l’État hébreu, au sortir
de la désastreuse guerre du Kippour de 1973.
Un projet panarabe est également porté par le parti Baas
(« renaissance » en arabe), mouvement fondé en 1947 par deux
Syriens, Michel Aflak et Salah al-Bitar, le premier chrétien et
le second musulman. Le projet est de créer une nation arabe,
socialiste et laïque. La culture arabe commune et le modèle
socialiste justifient la mise en place d’un parti unique panarabe,
le Baas, ayant des ramifications aux échelles nationales. Le Baas
est perçu comme trop autoritaire et ne parvient pas à s’imposer
en dehors des frontières de la Syrie (de 1963-1970 à nos jours) et
de l’Irak (de 1968 à 2003).
• Sionisme : tirant son nom du mont Sion sur lequel est bâtie
Jérusalem, le mouvement sioniste est d’abord un projet politique
visant à redonner aux Juifs la terre d’Israël (« Eretz Israël ») perdue à la suite de la guerre judéo-romaine de 66-73 et de leur
dispersion (« diaspora ») dans le monde. Ce mouvement apparaît
à la fin du xixe siècle dans une Europe marquée par l’affirmation
des identités nationales et surtout un antisémitisme de plus en
plus virulent (pogroms en Europe orientale, affaire Dreyfus en
France).
Des organisations sionistes se forment dès 1880. En 1882,
Edmond de Rothschild se lance dans l’acquisition de terres
en Palestine ottomane. Le mouvement est théorisé en 1896
par Theodor Herzl qui, dans l’État des Juifs, défend l’idée d’un
foyer national juif, d’un abri pour les communautés ashkénazes
d’Europe.
Le sionisme repose ainsi sur plusieurs composantes :
– la permanence d’un « peuple juif » aux origines bibliques
ayant conservé son identité religieuse et culturelle, aspect critiqué dans les travaux de Shlomo Sand, historien post-sioniste,
qui évoque une « invention » du peuple juif ;
– la volonté de redonner à celui-ci une terre et un statut d’Étatnation perdus depuis l’Antiquité romaine ;
– une pulsion de « survie » pour un peuple confronté à une hostilité grandissante qui culmine avec la Shoah ;
– un ancrage territorial en Palestine ottomane mais avec des
limites mal définies, reprenant d’abord celles de la Palestine
ottomane puis de la Palestine mandataire.
Le projet sioniste primitif se concrétise grâce à la déclaration Balfour de 1917, qui attribue un « Foyer national juif »
en Palestine, et le mandat de la SDN de 1922, favorisant une
installation juive de plus en plus massive durant des « Alya »
(« ascencion » en hébreu) de 1918 à 1948. Cette immigration
suscite une animosité grandissante des populations arabes
palestiniennes et des violences que les autorités britanniques
- enfermées dans des promesses contradictoires - ne peuvent
désamorcer (Étude 1 et Leçon 1). Le projet de construction d’un
État juif aboutit avec la proclamation de l’État d’Israël le 14 mai
1948 par Ben Gourion.
Après 1948, le sionisme perdure sous la forme d’un nationalisme forgé dans la lutte contre les populations arabes et ses
composantes évoluent vers la défense de l’État hébreu et de
commun est de dépasser, dans leur projet révolutionnaire, le
cadre de l’État ou de la nation pour prendre l’oummah, la communauté des musulmans, comme espace de référence.
Il convient de distinguer le fondamentalisme de l’islamisme radical même si le premier est devenu une composante majeure du
second. En effet, le fondamentalisme peut prôner un retour aux
valeurs d’un islam traditionnel plus ou moins idéalisé ou garantir
un ordre établi (cas du wahhabisme saoudien). Dès les années
1970, le fondamentalisme accompagne une (ré)islamisation des
sociétés souvent ostensible (systématisation du port de la barbe
ou du voile). Il peut aussi traduire localement un certain nombre
de frustrations dues à la corruption, au despotisme ou à l’injustice sociale. Cette dimension explique certainement la tournure
religieuse prise par le mouvement du « printemps arabe » et
l’arrivée sur la scène internationale de partis se réclamant d’un
« islamisme modéré ».
• Typologie des conflits
La région est le théâtre de conflits de différentes natures : des
conflits de haute intensité, des guerres civiles et des luttes dites
« asymétriques ». Loin de s’opposer, les conflits du MoyenOrient ont la particularité d’évoluer d’une forme vers l’autre et
de s’emboîter, s’ancrant dans la durée et prenant une dimension
largement internationale.
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Les conflits conventionnels dits de haute intensité comme
les guerres des Six-Jours, du Kippour ou les guerres du Golfe
(guerre Iran-Irak, guerre du Golfe de 1991, première partie de
la guerre d’Irak) se caractérisent par des mobilisations massives
de moyens militaires par les belligérants. Ce sont des conflits
interétatiques dans lesquels sont déployés tous les moyens militaires conventionnels (artillerie, blindés, infanterie, avions). Sauf
quelques exceptions, les conflits régionaux de haute intensité
ont été relativement brefs : la première guerre israélo-arabe est
plutôt une série d’accrochages impliquant des effectifs limités,
les deux autres guerres israélo-arabes ou celle du Golfe de 1991
se règlent en quelques jours, voire semaines. La seule exception pourrait être les huit années du conflit entre l’Iran et l’Irak
entre 1980 et 1988. Ce conflit évolue vite en guerre de position,
caractérisée par une relative stabilité du front, « perturbée »
par quelques offensives vaines et meurtrières accompagnées
de longues phases d’enlisement : offensive irakienne initiale de
septembre 1980, contre-offensives iraniennes en janvier 1981 et
mars 1982, nouvelle offensive irakienne en janvier 1985, contreoffensive iranienne en mai 1986…
Les principales images des conflits régionaux sont celles de
guerres civiles (Liban, 1975-1990) et/ou dites « asymétriques ».
Bien que ne faisant pas référence à une situation nouvelle et
englobant les luttes anti-insurrectionnelles, le terme est utilisé par le général américain Wesley Clark lors de la guerre du
Kosovo de 1999 mais surtout popularisé lors de la deuxième
Intifada pour qualifier la situation militaire complexe du ProcheOrient. Il désigne l’opposition entre des forces conventionnelles
étatiques et des combattants disposant d’un potentiel militaire
moindre mais usant de techniques de guérilla, évoluant parmi les
populations civiles et exploitant les ressources médiatiques pour
l’emporter (terrorisme, propagande…), cette dernière dimension
devenant de plus en plus importante du fait du développement
exponentiel des technologies de communication. La lutte armée
des fédayins palestiniens dans les années 1960-1970, celle du
Hezbollah, les Intifada mais aussi l’intervention en Afghanistan,
la phase de stabilisation et la contre-insurrection en Irak après
mai 2003 ou les interventions de Tsahal au Liban participent de
ce type de conflit. L’usure politique et médiatique qui accompagne les conflits asymétriques, les difficultés du combat en
zone urbaine (Liban) ou en montagne (Afghanistan) expliquent
une dilatation temporelle des tensions et un état de guerre permanent dans lequel les engagements majeurs sont rares.
◗ Débat historiographique
Outre celui sur le sionisme précédemment évoqué, l’un des
principaux débats historiographiques contemporains concerne
l’éclatement de la Palestine mandataire et les tensions entre
Palestiniens juifs et arabes entre 1947 et 1949, période qui voit
naître l’État d’Israël et la question palestinienne. Ces années,
en particulier 1948, tiennent une place d’événement fondateur
dans la mémoire des peuples israélien et arabe palestinien :
« guerre d’indépendance » pour les uns, « al-Nakba » (« Grande
Catastrophe ») pour les autres. Cette charge mémorielle rend
l’approche historique de la question d’autant plus sensible qu’il
devient dangereusement aisé de confondre une cause et une
responsabilité.
Jusque dans les années 1980, deux traditions historiques s’opposent. Le courant traditionnel sioniste décrit une guerre où
les Israéliens affrontent un monde arabe intransigeant, entièrement ligué contre eux et les surpassant en armes et en hommes,
contre lequel ils finissent par l’emporter. La mémoire palestinienne retient l’image d’Arabes pacifiques, expulsés de leur terre
par un État d’Israël autoproclamé mais soutenu par l’Occident
grâce à l’influente diaspora juive, sans que les autres pays arabes
ne viennent à leur secours.
Le débat historiographique a été ravivé dans les années 1980 par
les « nouveaux historiens israéliens » notamment Benny Morris
et Ilan Pappe qui ont réexaminé l’histoire de la naissance de
l’État d’Israël et notamment les événements de 1948 au regard
des archives israéliennes mais aussi britanniques. Proches de la
gauche politique israélienne (« Meretz ») et s’inscrivant dans le
mouvement dit « post-sioniste », ces chercheurs se sont heurtés aux tenants de l’historiographie israélienne traditionnelle
(notamment Yoav Gelber) sur le rôle de la puissance mandataire britannique, les rapports de force entre Arabes et Juifs, les
causes de l’exode palestinien ou l’échec des négociations qui
suivent l’armistice.
Encore soumis à débats et controverses, leurs travaux établissent que :
– les Britanniques ont favorisé l’émergence d’un État juif aux
dépens des Arabes palestiniens. Cette politique s’explique par
des considérations géopolitiques pendant la Première Guerre
mondiale, par le poids d’une opinion publique internationale
sous le choc de la Shoah et du scandale causé par la gestion
maladroite de l’Exodus à l’été 1947. La volonté britannique
de sortir de la crise palestinienne est aussi liée à l’activisme
des groupes paramilitaires sionistes radicaux comme l’Irgoun
(responsable de l’attentat contre l’hôtel King David, siège de
l’administration britannique, le 22 juillet 1946) et le Groupe
Stern/Lehi (sur lequel plane la responsabilité de l’assassinat du
comte Bernadotte, émissaire de l’ONU, le 17 septembre 1948).
Mais les Britanniques ont aussi essayé de ne pas s’aliéner les opinions publiques arabes, notamment pendant et au lendemain
de la Deuxième Guerre, car ils souhaitaient préserver sur le terrain leur influence dans cette région aux enjeux géopolitiques et
énergétiques essentiels pour leurs intérêts. Ce qui explique leur
volonté à partir de la fin des années 1930 jusqu’à la création de
l’État d’Israël de limiter l’immigration juive, attitude posant un
redoutable problème moral avec la destruction des communautés juives d’Europe sous domination nazie et le déracinement
des survivants au lendemain du conflit.
– globalement, les Israéliens ont toujours surpassé en nombre
les forces de leurs adversaires, bénéficiant de l’apport de l’immigration européenne, voire d’un armement supérieur (notamment
des armes lourdes obtenues grâce au « contrat tchèque »). En
effet, les forces arabes, malgré une supériorité militaire sur le
plan statistique, n’ont jamais fait jeu égal, par manque de coordination, de ravitaillement et à cause d’un armement obsolète,
en partie inutilisable par manque de pièces détachées ou de militaires expérimentés (notamment dans l’aviation).
104 • Chapitre 8 - Un foyer de conflits : le Proche et le Moyen-Orient depuis la fin de la Première Guerre mondiale
◗ Bibliographie et sitographie sélectives
Les ressources pour aborder la question sont considérables
notamment les revues Diplomatie, Moyen-Orient ou l’Histoire
dont les dossiers thématiques regorgent d’articles souvent bien
illustrés. Pour préparer le cours, l’enseignant peut se reporter à
un ouvrage général et approfondir en fonction des études de cas
choisies. Loin de se vouloir exhaustive, la liste suivante propose
quelques pistes.
Ouvrages généraux
H. Bozarslan, Une histoire de la violence au Moyen-Orient : De
la fin de l’Empire ottoman à Al-Qaida, La Découverte, 2008.
G. Corm, Le Proche-Orient éclaté (1956-2010), Folio Histoire,
2010.
A. Defay, Géopolitique du Proche-Orient, PUF, coll. Que sais-je ?,
2011.
A.-L. Dupont, C. Mayeur-Jouen, C. Verdeil, Le Moyen-Orient
par les textes, coll. U, Armand Colin, 2011.
H. Laurens, Paix et Guerre au Moyen-Orient, Armand Colin,
2005, 2e éd.
A. et J. Sellier, A. Le Fur, Atlas des peuples d’Orient - MoyenOrient, Caucase, Asie Centrale, La Découverte, 2004.
Sur le Proche-Orient et les conflits israélo-arabes
E. Barnavi, Une histoire moderne d’Israël, Flammarion, 1998.
N. Chomsky, Israël, Palestine, États-Unis : Le triangle fatidique,
Écosociété, 2006.
M. Derczansky, Regards croisés sur le Proche-Orient, Yago, 2011.
A. Dieckhoff, Le Conflit israélo-arabe, 25 questions décisives,
Armand Colin, 2011.
E. Sanbar, Les Palestiniens dans le siècle, Découverte Gallimard,
2007.
– Pour les thèses des « nouveaux historiens » israéliens :
B. Morris, Victimes, histoire revisitée du conflit arabo-sioniste,
Complexe, 2003.
I. Pappé, La Guerre de 1948 en Palestine, 10/18, 2000.
– Sur l’Autorité Palestinienne :
Dossier « L’État palestinien », Revue Carto, n° 5, mai-juin 2011.
Dossier « L’Organisation des Nations-Unies et la Palestine »,
ONU 2005.
Sur l’islamisme
F. Burgat, L’Islamisme en face, La Découverte, 2007.
O. Roy, Généalogie de l’islamisme, coll. Pluriel, Fayard, 2011 et, du
même auteur L’Islam mondialisé, Points, Seuil.
Sur l’enjeu pétrolier
S. Chautard, Géopolitique et pétrole, Jeunes Éditions, 2006 (synthétique et simple d’accès).
Dans un contexte caractérisé par les tensions sur les prix du
baril, la question fait également l’objet de nombreux articles
dans l’Histoire (notamment le n° 279 de septembre 2003) et la
revue Diplomatie (« Atlas géostratégique 2012 » et n° 54 sur le
Moyen-Orient de janv.-fév. 2012).
Sur le Moyen-Orient et notamment les conflits du Golfe
A. Ayati (dir.), L. Bennour (dir), Irak : Construction ou déconstruction ? EurOrient n° 32, 2011 (porte surtout sur les guerres
américaines du Golfe).
M. Benraad, Irak, idée reçue, Le cavalier bleu, 2010.
P. Moussa, Les 25 empires du désert : une histoire du Proche et
Moyen-Orient, Saint-Simon, 2011.
Sites internet
Les interventions de différents spécialistes et notamment les
conférences d’Henry Laurens sur la Palestine sont disponibles
sur le site du Collège de France (http://www.college-defrance.fr/site/henry-laurens/audio_video.jsp).
Sans oublier les archives de l’INA (http://www.ina.fr/) et de la
revue Diplomatie (http://www.diplomatie-presse.com/) qui
peuvent fournir des images d’archives et des cartes exploitables en classe.
◗ Pour aller plus loin
On peut également exploiter des extraits de films, notamment :
Lebanon (2009), de Samuel Maoz (sur l’intervention israélienne
au Liban en juin 1982).
Valse avec Bachir (2008), film d’animation d’Ari Folman qui, partant de la guerre du Liban vue par un soldat israélien, expose un
regard critique sur l’intervention israélienne.
Persepolis (2007), film d’animation de Vincent Paronnaud et
Marjane Satrapi adapté de la bande dessinée éponyme sur la
République islamique d’Iran.
Introduction au chapitre
p. 258-259
L’objectif pédagogique est de faire comprendre aux élèves quels
sont les facteurs de conflit et surtout, aspect le plus délicat,
comment ces facteurs s’imbriquent et s’emboîtent aux échelles
nationales, régionales et internationales. Ces interrelations
expliquent un écho des crises régionales dépassant les limites
géographiques du Moyen-Orient.
La diversité des acteurs, les temporalités différentes des facteurs de conflit et l’étendue de l’espace étudié ont induit une
approche organisée autour de différentes études de cas, chacune permettant de révéler une interrelation des facteurs de
tensions.
Le principal écueil est que, pris dans l’actualité, les élèves amplifient un aspect, notamment la dimension religieuse, et négligent
les dynamiques emboîtées qui justifient la permanence séculaire
des crises. En outre, il convient d’éviter de heurter les sensibilités des élèves en cherchant des responsabilités plus ou moins
exclusives dans une région caractérisée par sa complexité.
Chapitre 8 - Un foyer de conflits : le Proche et le Moyen-Orient depuis la fin de la Première Guerre mondiale
• 105
© Hachette Livre
– la raison de l’exode d’environ 700 000 Arabes palestiniens a
suscité d’âpres controverses entre Israël et ses défenseurs d’une
part, et les Arabes et leurs partisans d’autre part. Les représentants du gouvernement et des historiens israéliens soutinrent
que les Arabes avaient fui volontairement ou sur les instructions
des dirigeants arabes. Les porte-parole des Arabes affirmèrent
au contraire que cet exode était le fruit d’une politique planifiée
des dirigeants israéliens. Benny Morris, professeur d’histoire à
l’université Ben Gourion du Neguev, qui a consulté de très nombreux documents dans les archives israéliennes et occidentales,
affirme que ces versions officielles ne sont pas suffisantes pour
établir des faits conformes à la réalité historique. Il semble que
dans la première phase du conflit, alors que les forces juives
étaient encore dans une phase défensive en Palestine, les classes
moyennes et dirigeantes arabes de la région aient quitté ou
envoyé leurs familles en Cisjordanie et dans les États arabes
voisins. Au contraire, les attaques militaires juives ont constitué la cause première de l’exode massif, d’avril à juin 1948, des
Arabes palestiniens, qu’ils aient été expulsés de manière ciblée
de certaines zones ou qu’ils aient fui certains villages par peur
des représailles (écho du massacre d’une centaine de villageois
de Deir Yassin le 9 avril 1948). L’historien israélien affirme pour
conclure qu’il n’y pas eu de politique d’expulsion systématique
de la part des dirigeants israéliens. Et s’il semble que les attaques
militaires et les expulsions par certaines unités de l’armée israélienne constituèrent le principal catalyseur de la fuite des Arabes
palestiniens, l’exode a été le résultat d’un processus cumulatif
d’une série de facteurs allant de la simple appréhension d’une
vie sous domination juive jusqu’aux attaques de la Haganah,
en passant par l’effondrement des infrastructures publiques et
économiques, le retrait des troupes britanniques, la crainte de
l’isolement au milieu de colonies juives, les rumeurs concernant
des massacres perpétrés par des groupes extrémistes, etc.
→Doc. 1 : Le refus du plan de partage de la Palestine par les
Arabes, qui prennent les armes, entraîne des affrontements
avec les Juifs, à la fin du mandat britannique.
L’équipement des soldats arabes palestiniens permet d’évoquer
l’influence britannique sur un cliché pris une semaine avant la
fin du mandat sur la Palestine et la proclamation unilatérale de
l’État d’Israël le 14 mai 1948. Le panneau permet d’évoquer la
complexité de la Palestine, la guerre civile ouverte qui la ravage
depuis 1947, l’échec du plan de partage et enfin la nécessité pour
un camp comme pour l’autre d’occuper les lieux stratégiques
comme les nœuds ferroviaires. Ce cliché permet également
d’évoquer le choc des aspirations nationales revendiquant un
même territoire (Études 1 et 2 et Leçons 1 et 2).
→Doc. 2 : Intervention d’une coalition armée d’États dirigée
par les États-Unis en Irak, 2003-2011.
Plus de 60 ans plus tard, le document 2 permet de conclure à
une constante présence occidentale (Études 4 et 6) et à l’émergence de l’enjeu pétrolier dans les tensions régionales (Étude 3
et Leçon 3). Pris au moment de la guerre d’Irak (Étude 6), ce
cliché doit faire écho dans l’esprit des élèves aux « guerres du
pétrole ».
→Frise
Elle met en évidence une région faisant l’objet de convoitises internationales, passant successivement sous diverses
influences. Elle permet aux élèves d’observer l’escalade des violences après 1967, associée aux conflits israélo-arabes, à l’enjeu
pétrolier mais aussi aux profondes rivalités entre États. Ces facteurs fragilisent la médiation de l’ONU et compromettent la
mise en place de paix durables.
les accords d’Oslo de 1993 dont l’application reste largement
en suspens, d’où la démarche du président Mahmoud Abbas à
l’ONU en septembre 2011.
Ces pages « Repères » permettent aux élèves de situer ces
conflits dans les cadres politiques propres à cette région.
2. Le Proche et le Moyen-Orient :
enracinement et permanence des conflits
Les cartes illustrent la complexité ethnique et culturelle de la
région et permettent de situer les zones de tensions. Le cartouche de la carte 1 montre les grands traits du peuplement du
Moyen-Orient. Souvent présentée comme le cœur du monde
arabo-musulman, la région est un berceau de civilisations partagé entre les influences arabe, perse et turque. La religion
musulmane domine mais la région est marquée par la grande
opposition entre sunnisme et chiisme. Cette diversité est accrue
par la présence des populations juives et chrétiennes.
Cette mosaïque concentre également des enjeux visibles sur les
deux cartes dont on peut noter la permanence :
– la présence des lieux saints des trois grands monothéismes
- et notamment de Jérusalem qui peut avoir fait l’objet d’une
étude dans un chapitre précédent - mais aussi des lieux saints
de l’islam dont le contrôle par la dynastie saoudienne assoit le
rayonnement de celle-ci mais fait l’objet de tensions religieuses
notamment avec l’Iran chiite.
– une grande importance stratégique du fait d’une situation de
carrefour entre Orient et Occident qui se cristallise autour des
détroits et notamment le canal de Suez et aussi la présence des
deux tiers des réserves pétrolières mondiales.
→Carte 1 : Le Proche et le Moyen-Orient en 1918.
Repères
p. 260-263
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1. Les régimes politiques au Proche et Moyen-Orient
Ces repères permettent de mettre en évidence la diversité des
régimes politiques ainsi que la fragilité de la notion d’État dans
une région marquée par l’absence de tradition démocratique.
À l’exception notable d’Israël, une démocratie « en guerre » où
existe cependant une réelle liberté d’expression (d’où la possibilité de débats), la vie politique est souvent confisquée au profit
d’un groupe idéologique, religieux ou tribal : cas des pétromonarchies sunnites du Golfe et notamment de l’Arabie saoudite,
des États « socialistes progressistes » de forme moderne mais
autoritaire car inspirée par le modèle du parti unique (Égypte,
Irak, Syrie) mais aussi de la monarchie autocratique du Shah puis
de la République islamique, en Iran. On peut évoquer l’originalité
de la Turquie, laquelle a échappé à une domination européenne
pour mettre en place, dès les années 1920, une politique de
modernisation de l’État et de laïcisation portée par Atatürk (le
« Turc Père »). Ce dernier accorde cependant un très grand pouvoir à l’armée d’où une série de putschs et une dérive autoritaire
du pouvoir jusque dans les années 1990. Notons que la laïcité
turque se définit surtout par le contrôle par l’État de la vie religieuse et diffère en ce sens de la laïcité française. Le référendum
du 12 septembre 2010 a abouti à une réforme constitutionnelle
levant le contrôle de l’armée sur les élections, avancée démocratique qui a profité aux islamistes modérés de l’AKP.
La carence démocratique permet également d’expliquer la
montée de mouvements contestataires : tentative de « révolution orange » en Iran en 2009, mouvements populaires du
« printemps arabe »… lesquels révèlent des composantes polymorphes (jeunesse, libéraux, islamistes…).
Enfin, l’Autorité Palestinienne présente un cas particulier de
quasi-État se voulant laïc et démocratique mais confronté aux
aléas de la politique israélienne et à des difficultés internes liées
à la montée des activistes religieux du Hamas violemment antisionistes. L’établissement d’un État palestinien est prévu par
Cette carte permet de faire le point sur la situation à la chute de
l’Empire ottoman et surtout d’illustrer l’influence des puissances
européennes. À l’aide des documents 1a et 6a de l’Étude 1, les
élèves peuvent comprendre comment les Britanniques ont
exploité les nationalismes locaux arabes et juifs pour affaiblir
l’Empire ottoman, d’où deux politiques contradictoires. Ces
deux textes sont essentiels à la compréhension des tensions qui
vont naître après la chute de l’Empire ottoman, bien que situés
chronologiquement avant celle-ci.
En 1915, le haut-commissaire britannique au Caire s’engage
auprès du Chérif Hussein à reconnaître l’indépendance des
Arabes sur un territoire dont le tracé des limites reste flou
faute d’accord. Pour Hussein, il s’agit d’obtenir le soutien de la
grande puissance de l’époque dans le projet de création d’un
État arabe. Toutefois, les Bédouins révoltés essuient une série
de revers et se divisent. En novembre 1917, les Britanniques, sans
abandonner le soutien aux Arabes (rôle du colonel Lawrence
« d’Arabie »), se tournent également vers les populations juives
de Palestine. Depuis juin, les troupes britanniques mènent une
large offensive contre les Ottomans et, à la fin octobre, le général Allenby enfonce les lignes ennemies en Palestine. Par une
déclaration du secrétaire d’État au Foreign Office Arthur Balfour
à Lord Walter Rothschild, lequel, avec Chaïm Weizmann, est l’un
des principaux promoteurs et financiers du mouvement sioniste,
le gouvernement britannique affirme son soutien à l’établissement d’un foyer national juif en Palestine. En contrepartie, les
Britanniques aspirent au soutien de la diaspora juive russe et
surtout américaine. Cette déclaration est une grande victoire
pour le mouvement sioniste qui la célèbre chaque année.
→Carte 2 : Le Proche et le Moyen-Orient depuis 1991.
Elle permet de faire le point sur la permanence des tensions,
notamment après 1991 et la fin de la Guerre froide. On note l’apparition de nouveaux facteurs avec les programmes nucléaires
et surtout l’émergence d’un terrorisme, s’inspirant d’un radicalisme religieux tourné notamment contre Israël et son allié
américain. Le cartouche permet de faire le point sur la situation
106 • Chapitre 8 - Un foyer de conflits : le Proche et le Moyen-Orient depuis la fin de la Première Guerre mondiale
Étude 1
p. 264-265
L’échec du mandat britannique en Palestine :
1918-1947
Cette étude permet aux élèves d’identifier les origines du conflit
israélo-palestinien en mettant en évidence l’échec des politiques
britanniques dans la région et l’émergence de deux nationalismes : le sionisme et le panarabisme.
→Doc. 1 : Les Britanniques et les Juifs en Palestine.
Le document 1b s’inscrit dans la continuité de la déclaration
Balfour dont il constitue une sorte de reconnaissance internationale. De ce fait, il favorise une immigration massive de juifs
vers la Palestine organisée d’abord par l’Organisation sioniste
mondiale puis, à partir de 1929, par l’Agence juive dont David
Grün Ben Gourion devient l’un des principaux acteurs. Ces
organismes ont pour but de coordonner l’immigration et l’installation des juifs immigrés.
→Doc. 2 : Le Kibboutz Kiryat-Anavim, 1938.
L’installation des juifs immigrés prend une dimension originale
avec les kibboutz(im) (« assemblée » en hébreu) illustrés par ce
document. Le premier Kibboutz apparaît en 1909 et participe
d’une idéalisation de la communauté rurale marquée à la fois
par un idéal égalitaire socialiste mais aussi par un esprit pionnier
qui n’est pas sans rappeler celui des Américains. Le projet est
d’autant plus original qu’il concerne pour une grande part des
populations juives urbaines. Fondé en 1920 sur des terres achetées en 1913, le kibboutz Kiryat-Anavim est peuplé initialement
de juifs russes venus d’Odessa et abrite environ 200 personnes
qui cultivent des légumes, grâce à d’importants travaux d’irrigation, élèvent des poules et entretiennent des ruches. Dès 1921, il
est amené à se fortifier pour faire face aux violences des populations arabes, qui connaissent un pic en 1929 et lors de la Grande
révolte arabe de 1936-1939.
→Doc. 3 : La population de la Palestine.
Ce document permet de mettre en évidence l’importance de
l’immigration juive entre 1922 (mandat) et 1947 (début de la
guerre civile), et de constater l’évolution des rapports de force
avec les populations palestiniennes arabes.
→Doc. 4 : Affrontements à Jérusalem, octobre 1937.
→Doc. 5 : Le troisième Livre blanc, mai 1939.
→Doc. 6 : Les Britanniques et les Arabes en Palestine.
La montée des tensions aboutit à des affrontements de plus en
plus violents entre les deux communautés. Dès 1933, l’Agence
juive est devenue une sorte de gouvernement officieux disposant d’une milice, la Haganah, tolérée par les Britanniques de
plus en plus dépassés par les violences. Celles-ci culminent lors
de la révolte arabe de 1936 tournée contre les autorités mandataires, accusées de soutenir les populations juives. De 1936
à 1939, la Palestine est le théâtre de violences sporadiques.
La révolte commence par un appel à la grève et à la désobéissance civile fiscale mais se poursuit par des attentats contre les
oléoducs et les voies de chemins de fer. Des heurts intercommunautaires se produisent, notamment à Tel-Aviv. Peu à peu, le
mouvement se structure autour de revendications nationalistes
avec la mise en place d’un Haut-Comité arabe présidé par le
mufti de Jérusalem (doc. 6b), directement adressées à la commission Peel mise en place par les autorités britanniques afin
d’étudier la situation. Les violences reprennent cependant en
octobre 1937 suite à la proposition d’un partage de la Palestine
supposant des déplacements de populations arabes (doc. 4).
Les Britanniques répondent en renforçant les effectifs militaires
et en établissant un couvre-feu. Parallèlement à cette action
répressive, les Britanniques accèdent à certaines revendications
arabes en limitant sensiblement l’immigration juive en 1939 et
en s’engageant à favoriser la création ultérieure d’un État arabe
(doc. 5). En mars 1939, un ordre précaire est rétabli en Palestine
mandataire mais, selon Benny Morris, près de 5 000 Arabes, 500
Juifs et 200 soldats britanniques ont trouvé la mort depuis 1936.
◗ Réponses aux questions
1. Les Britanniques sont partagés entre les engagements pris
auprès des populations juives dans le cadre du mandat, à savoir
la création d’un foyer national juif, et la nécessité d’éviter les
tensions ouvertes avec les populations arabes déjà présentes en
Palestine qui se sentent spoliées.
2. Afin d’établir un foyer national juif, l’administration mandataire des Britanniques s’engage à favoriser l’immigration et
l’installation des juifs, venant surtout d’Europe. Suite à la révolte
de 1936 et ne voulant pas s’aliéner les populations arabes dans le
contexte de la marche à la guerre, les Britanniques acceptent de
réduire l’immigration juive et, à partir de 1944, de la soumettre à
l’approbation des Arabes. Le troisième Livre blanc de mai 1939 va
donc largement à l’encontre des dispositions du mandat de 1922.
Aux revendications du Haut-Comité arabe demandant la remise
en cause de la création d’un foyer national juif et réclamant un
seul gouvernement en Palestine, les Britanniques proposent
d’abord un plan de partage de la Palestine en 1937 (rapport de la
commission Peel), puis avec le Livre blanc de 1939 un État unitaire en Palestine regroupant les populations juives et arabes.
3. Le nationalisme juif, le sionisme, se manifeste après la
Première Guerre mondiale au travers d’une immigration massive
en Palestine dans le but d’y voir renaître un État d’Israël. C’est
une sorte de retour à la Terre promise dans un mouvement à la
fois religieux et politique aboutissant à la création de communautés rurales, les kibboutz(im). Le nationalisme arabe est une
sorte de réaction à l’immigration juive favorisée par les termes
du mandat britannique. Les Arabes redoutent de se voir chassés
de leurs terres ou dominés par les Juifs. Il est donc tourné contre
les Juifs mais aussi contre les autorités britanniques dont le mandat est explicitement favorable à la création d’un État juif.
◗ Texte argumenté
Á la chute de l’Empire ottoman, la Palestine devient une région
administrée par les Britanniques qui s’engagent dès 1922 à favoriser
la naissance d’un État juif.
Le soutien de la première puissance mondiale au sionisme encourage une immigration juive vers la Palestine. Bénéficiant de
capitaux venus d’Europe et des États-Unis, les Juifs acquièrent des
terres aux dépens des populations arabes locales d’où un ressentiment croissant et l’émergence d’un nationalisme arabe palestinien
tourné contre les nouveaux arrivants, toujours plus nombreux, et
les autorités britanniques accusées de les soutenir.
La situation se détériore rapidement et aboutit en 1936 à des
violences sporadiques que les autorités britanniques ne peuvent
juguler. Ces dernières mécontentent à leur tour les populations
juives en s’engageant à limiter leur installation en Palestine.
Incapables de satisfaire les demandes des populations arabe et juive
de Palestine, les autorités britanniques contribuent à l’escalade des
violences entre les deux communautés.
Chapitre 8 - Un foyer de conflits : le Proche et le Moyen-Orient depuis la fin de la Première Guerre mondiale
• 107
© Hachette Livre
de l’État hébreu confronté au terrorisme du Hezbollah libanais
soutenu par l’Iran et la Syrie et à une radicalisation de la lutte
armée palestinienne portée par le Hamas. La carte permet également de revenir sur la question des frontières et de rappeler
que celles-ci sont récentes et résultent le plus souvent d’un état
de fait, non reconnu par l’ensemble de la communauté internationale (« Ligne verte », territoires occupés), d’où les délicates
questions des territoires attribués à l’Autorité palestinienne et
de la construction de la « barrière de sécurité » en 2003.
Leçon 1
p. 266-267
p. 268-269
1918-1948 : le difficile partage
de l’Empire ottoman
Un conflit décisif, la guerre des Six-Jours :
5-10 juin 1967
L’histoire du Proche et Moyen-Orient est largement marquée
par les luttes d’influence entre puissances. Cette leçon explique
comment Français et Britanniques se partagent les ruines de
l’Empire ottoman et sacrifient les aspirations nationales sur
l’autel de leurs intérêts concurrents, alimentant un ensemble
de frustrations. Les Britanniques, bénéficiant d’une suprématie
militaire dans la région, se taillent la part du lion en obtenant le
contrôle des routes vers les Indes et du pétrole.
Après une étude consacrée à la politique ambivalente des
Britanniques en Palestine, les documents accompagnant la leçon
permettent d’élargir l’approche en présentant le découpage
mandataire aux frontières vagues (doc. 2) et les revendications
nationales insatisfaites qui le remettent rapidement en question.
En dépit de sa brièveté, ce conflit est certainement l’un des plus
décisifs de la région. Cette deuxième guerre israélo-arabe établit
en effet durablement une suprématie militaire de l’État hébreu
sur ses voisins arabes. Elle inscrit également dans la durée la
question des « territoires occupés ». Enfin, cette étude permet d’aborder une guerre qui présente des enjeux à différentes
échelles emboîtées les unes dans les autres (nationale avec les
gains territoriaux symboliques et stratégiques réalisés par Israël,
régionale avec la confrontation armée entre Israël et les États
arabes voisins et internationale avec l’intervention d’acteurs
comme l’ONU, les États-Unis et l’URSS) et qui est caractéristique de ce point de vue des nombreux conflits du Proche et du
Moyen-Orient.
→Doc. 1 : Le début de la guerre de Cilicie.
→Doc. 1 : La guerre des Six-Jours.
→Doc. 2 : Les frappes aériennes israéliennes.
→Doc. 4 : La bataille pour Jérusalem, 7 juin 1967.
À l’automne 1919, l’armée française occupe la Cilicie, situation
devant être légitimée internationalement par un mandat de la
SDN. La Turquie est en passe d’être réduite à un territoire aux
frontières floues bordé par la Grèce à l’est et de futurs États
arméniens et kurdes à l’ouest. Dès le printemps 1919, Mustafa
Kemal prend la tête d’un mouvement politico-militaire opposé
à ce démembrement et en décembre s’adresse aux Syriens pour
obtenir leur soutien contre la domination coloniale.
→Doc. 2 : Traités et mandats dans les années 1920 : des frontières contestées.
→Doc. 3 : Fayçal à la conférence de paix à Versailles pour
réclamer un royaume arabe, 1919.
→Doc. 4 : Résolution du congrès arabe syrien, 7 mars 1920.
Dès la fin des hostilités, l’émir Fayçal, fils d’Hussein et chef
militaire arabe, se rend en France où sont négociés les traités
de paix. Il est photographié à Versailles en 1919 (doc. 3) avec
Lawrence d’Arabie, l’officier de renseignement britannique qui,
pendant la guerre, a contribué à porter les promesses britanniques de favoriser la création d’un grand État arabe. Malgré ses
efforts, il n’obtient qu’une partie de la Syrie mandataire partagée avec les Britanniques et les Français. Fayçal ne peut donc
constituer qu’un embryon de royaume arabe depuis Damas. Un
congrès réunissant des représentants des trois zones est élu au
printemps 1919 pour en fixer les frontières. Ce congrès se veut
le défenseur d’un projet panarabe (doc. 4) et s’oppose à la légalisation de l’occupation européenne par le système des mandats
mais aussi au projet sioniste et à la création d’un État libanais
indépendant. Son argumentaire s’appuie sur les principes wilsoniens du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » et sur
les engagements britanniques pris pendant la guerre. Tout en
proclamant Fayçal roi de Syrie, le Congrès ruine ses négociations
avec les Européens. Le 25 avril 1920, le traité de San Remo place
la Syrie sous mandat français. Les Arabes prennent les armes
mais sont écrasés à Maysaloun (doc. 2) par les troupes du général Gouraud : Fayçal est contraint à l’exil mais les Britanniques le
placent sur le trône d’Irak.
Si les espoirs panarabes sont anéantis par les puissances
européennes, Mustafa Kemal obtient le soutien de la Russie
bolchevique et des populations turques humiliées par le traité
de Sèvres du 10 août 1920. Une série de victoires lui permet
de conserver l’intégrité d’une grande partie de la Turquie aux
dépens des revendications arméniennes et kurdes.
© Hachette Livre
Étude 2
Confrontée à une militarisation massive de l’Égypte et de la Syrie
et à un rapport de force de plus en plus défavorable, la situation
stratégique israélienne se détériore rapidement, d’autant plus
que l’État hébreu se trouve de plus en plus isolé sur la scène
internationale. En effet, alors que ses ennemis se montrent de
plus en plus menaçants, ses alliés « traditionnels » britanniques
et français ont pris leur distance. Le 2 juin 1967, Paris décrète un
embargo sur les armes à destination d’Israël.
Considérant le blocus égyptien du détroit de Tiran comme un
casus belli, Israël estime avoir le droit de riposter. Le document 1
met en évidence une véritable « guerre éclair » menée par Israël
et des gains territoriaux considérables. À l’aube du 5 juin, les
aviations syriennes et égyptiennes, équipées et modernisées
grâce à l’aide soviétique, sont détruites au sol par une série de
frappes préventives comme l’illustre la photographie du document 2 d’un Mig égyptien détruit. Le succès total des frappes
aériennes s’explique en partie par l’excellence du renseignement
israélien et un meilleur niveau d’entraînement des pilotes.
Forte d’une supériorité aérienne totale, Tsahal peut ensuite
lancer une vaste opération terrestre qui lui permet de s’emparer du Sinaï égyptien et de menacer le canal de Suez, corridor
vital à l’économie égyptienne. Après avoir anéanti l’essentiel
des forces égyptiennes, Moshe Dayan oriente son effort à l’est
contre les Jordaniens qui, mal informés, restent convaincus
d’une victoire égyptienne et attaquent Israël. Le scénario est
globalement le même : destruction de l’aviation jordanienne au demeurant moins menaçante que celles de l’Égypte et de la
Syrie - et avancée des troupes terrestres. Une brigade de parachutistes encercle Jérusalem, les forces israéliennes entrent en
Cisjordanie et s’emparent de Jérusalem : le 7 juin, la Jordanie se
retire des combats (doc. 4). Au Nord, les troupes israéliennes
s’emparent des hauteurs stratégiques du Golan, rendant extrêmement hasardeuse une hypothétique contre-attaque syrienne.
Les forces aériennes israéliennes sont alors dotées de chasseurs
français Dassault Mirage III et de chars américains modernisés face auxquels les Arabes alignent des appareils d’origine
soviétiques (Mig-15 et -21 et bombardier Tu-16) et un ensemble
terrestre hétérogène, reliquat de la période mandataire britannique, mais avec des équipages globalement moins aguerris.
Depuis 1949, le service militaire israélien concerne tous les
jeunes hommes et femmes âgés de plus de 18 ans pour une
durée de 30 mois (18 pour les femmes). De ce fait, Israël mobilise
très rapidement la quasi-totalité de ses forces alors que l’Égypte,
par exemple, ne peut compter que sur 20 % de ses troupes. On
comprend donc aisément la nécessité pour Israël d’obtenir des
résultats militaires décisifs en peu de temps.
108 • Chapitre 8 - Un foyer de conflits : le Proche et le Moyen-Orient depuis la fin de la Première Guerre mondiale
→Doc. 3 : Les forces en présence.
Ce document illustre les rapports de force qui, d’une certaine
manière, expliquent le choix de l’état-major israélien. Il permet
de rappeler l’importance de la donnée démographique. En effet,
avec moins de 3 millions d’habitants en 1967, Israël est onze fois
moins peuplé que l’Égypte (32 millions d’habitants) et deux fois
moins que la Syrie (5 millions d’habitants). L’État hébreu cherche
à compenser ce déséquilibre par une supériorité qualitative du
matériel, un meilleur entraînement et une capacité de mobilisation des réserves supérieure à celle de ses voisins arabes. Israël
parvient globalement à l’emporter sur tous ces points.
→Doc. 5 : Un enjeu entre l’URSS et les États-Unis.
Dans la lignée de la crise de Suez de 1956, la guerre des SixJours confirme la place centrale du Proche-Orient sur l’échiquier
géopolitique de la Guerre froide comme l’explique dans ses
mémoires Robert Mac Namara, évoquant l’un des premiers
usages du « téléphone rouge », le télex reliant la Maison-Blanche
et le Kremlin, mis en place après la crise de Cuba. Ce document
permet également aux élèves d’évoquer la présence aéronavale
américaine au travers de la VIe flotte déployée en Méditerranée.
Les États-Unis font pression sur la Syrie pour obtenir un cessez-le-feu et s’affirment de fait comme les principaux alliés de
l’État hébreu, se substituant aux Français et aux Britanniques.
En effet, la situation au 10 juin est très favorable à Israël mais
une poursuite des hostilités pourrait inverser la tendance du fait
de la supériorité numérique arabe. À la suite du conflit, Israël se
dote - vraisemblablement avec l’aide des États-Unis - de l’arme
nucléaire.
→Doc. 6 : Résolution adoptée à la conférence arabe de
Khartoum, 1 septembre 1967.
Ce texte permet de mesurer l’écho de la crise dans le monde
arabe. Réunis - sans la Syrie - à Khartoum au Soudan, la majorité
des pays arabes affirment leur unité autour de la « libération »
inconditionnelle des territoires dont Israël vient de s’emparer
et refusent le principe de toute négociation séparée avec l’État
hébreu. La conférence exprime aussi le soutien des pays arabes
à l’Organisation de Libération de la Palestine, fondée en 1964.
De fait, la cause palestinienne est alors présentée comme l’un
des éléments de l’unité arabe. Toutefois, Khartoum voit aussi
le front panarabe se fragiliser du fait de l’antagonisme entre
les pétromonarchies du Golfe, membres de l’OPEP créées en
1960, et les autres nations arabes décidées à se servir du pétrole
comme arme de lutte contre les États-Unis alliés d’Israël.
er
→Doc. 7 : La résolution 242 de l’ONU, 22 novembre 1967.
La crise a également des répercutions à la tribune de l’ONU. Le
22 novembre 1967, le Conseil de sécurité adopte la résolution 242
qui essaie d’établir une paix durable dans la région en passant par
les reconnaissances mutuelles des frontières, notamment celles
d’Israël, toujours en question depuis 1949. L’État hébreu jouera
sur les ambiguïtés du texte sur les territoires occupés desquels
il devrait se retirer. La résolution est rejetée par la Syrie et l’OLP
qui refuse que la question palestinienne soit réduite à l’aspect
humanitaire des réfugiés. L’OLP lance une série d’attaques terroristes pour faire pression sur les opinions publiques alors que
le long du canal de Suez, Israéliens et Égyptiens plongent dans
une véritable guerre de tranchées… Malgré cet échec, la résolution 242 sert de base aux négociations futures.
◗ Réponses aux questions
1. Israël l’emporte grâce à une guerre éclair faisant suite à une
attaque surprise contre ses adversaires.
2. Il s’agit d’un conflit de haute intensité du fait des effectifs
engagés par chacun des belligérants, des formes de combats
et de l’échelle des opérations qui s’étendent sur un théâtre
régional.
3. À Khartoum, les pays arabes cherchent à former un front uni,
solidaire des pays humiliés par la défaite et amputés d’une partie
de leur territoire mais aussi des Palestiniens. En effet, la victoire
israélienne sonne le glas des espérances de voir apparaître un
État palestinien. Leur attitude commune se fonde sur la nonreconnaissance de l’État d’Israël, sur le refus de négociations
avec lui et sur la réaffirmation des droits du peuple palestinien.
4. Les relations entre Israël et les pays arabes s’inscrivent dans
le cadre de la Guerre froide du fait des soutiens apportés aux
deux camps par les superpuissances. Les Soviétiques ont contribué à la modernisation des armées arabes et les États-Unis font
pression sur la Syrie pour mettre fin aux hostilités alors que la
situation militaire est favorable à Israël.
5. Dans le souci d’établir une paix durable, l’ONU demande à
Israël la rétrocession aux pays arabes des territoires dont elle a
pris le contrôle, mais aussi la reconnaissance mutuelle des frontières de la région, impliquant la reconnaissance de l’État d’Israël
par les États arabes de la région.
6. Ces « territoires occupés » permettent à l’État hébreu d’appuyer ses frontières sur des obstacles « naturels » difficilement
franchissable comme l’isthme de Suez, les hauteurs du Golan et
le Jourdain dont il contrôle les sources ; atout majeur dans une
région aride. La prise de la ville sainte de Jérusalem où se trouve
le Mur occidental (mur des Lamentations pour les Occidentaux)
a une grande signification religieuse (cf. chapitre 1). Certains religieux sionistes interprètent la victoire écrasante d’Israël comme
une volonté divine, une sorte de nouvelle victoire de David
contre Goliath.
◗ Texte argumenté
La guerre des Six-jours s’inscrit dans un contexte de rapport de
force entre l’État hébreu et ses voisins arabes. L’escalade des tensions rend le conflit inévitable mais la victoire écrasante qu’obtient
Israël bouleverse les équilibres géostratégiques.
À l’échelle régionale, Israël sort considérablement renforcé du
conflit face à des pays arabes qui bénéficient du poids du nombre
mais ont subi une cuisante défaite et perdu de vastes territoires
(Sinaï, Golan, Cisjordanie) ainsi que le contrôle de la ville sainte de
Jérusalem. Dès lors, la question des « territoires occupés » et des
réfugiés palestiniens arabes cristallise les tensions.
Dans un climat de haine et de frustration, l’hostilité à Israël s’affirme comme l’élément fédérateur de l’ensemble du monde arabe
qui envisage l’usage du pétrole comme moyen de pression internationale. Ce contexte ne permet pas à la résolution 242 de l’ONU
d’établir les bases d’une paix durable.
Le conflit s’inscrit également dans le contexte international de la
Guerre froide. Face à des pays arabes soutenus par l’URSS, Israël
bénéficie de l’appui américain. L’arme pétrolière rend également au
conflit une dimension internationale dans un contexte de mondialisation économique et d’essor des échanges.
Leçon 2
p. 270-271
Israël et la question palestinienne depuis 1948
Cette leçon présente l’un des principaux facteurs - sans pour
autant être exclusif - des tensions au Proche, voire au MoyenOrient. La naissance de l’État hébreu en 1948 et son corrélat,
le sort des populations palestiniennes arabes, sont au cœur des
antagonismes régionaux. La lutte asymétrique que mène l’OLP
Chapitre 8 - Un foyer de conflits : le Proche et le Moyen-Orient depuis la fin de la Première Guerre mondiale
• 109
© Hachette Livre
Le 10 juin 1967, la victoire d’Israël est totale et emplit les
Israéliens comme les juifs de la diaspora d’un sentiment d’invincibilité. Cette euphorie n’a d’égale que l’humiliation de nations
arabes qui ont subi des pertes considérables : autour de 250 000
soldats tués ou blessés (pour la plupart égyptiens), près de 5 000
prisonniers et plus de 450 avions contre 46 appareils détruits et
moins de 1 000 tués du côté israélien. Le rapport de force au
sortir du conflit est donc considérablement bouleversé.
dès 1967, fortement mise en lumière par les médias occidentaux,
donne à la question des « territoires occupés » une dimension à
la fois régionale et planétaire.
→Doc. 1 : Les chartes de l’OLP.
→Doc. 2 : Deux peuples sur un même territoire : la Palestine.
© Hachette Livre
Après la défaite de 1949 (doc. 2), nombre de Palestiniens
s’entassent dans des camps de réfugiés dans les pays voisins
notamment en Cisjordanie, à Gaza et au Liban. Ils espèrent pouvoir revenir en Palestine après une victoire des armées arabes. Ils
portent ainsi de grands espoirs dans l’Égypte nassérienne qui a
tenu en échec Israël et ses alliés européens lors de la crise de Suez
et bénéficie du soutien soviétique. En 1959, Yasser Arafat crée un
premier mouvement pour la libération de la Palestine, le Fatah.
En 1964 est fondée l’Organisation de Libération de la Palestine
(OLP). La mise en relation des chartes de 1964 et de 1968 (doc.
1) met en évidence la radicalisation du mouvement, désespéré
par la défaite arabe lors de la guerre des Six-Jours. Les priorités
se trouvent inversées car la libération de la Palestine devient un
préalable à l’unité arabe et les combattants palestiniens affirment leur autonomie par rapport aux autres pays arabes. Mu
par une logique de lutte armée révolutionnaire, Yasser Arafat
prend la tête du mouvement en 1969 et multiplie les attentats
et les détournements d’avions spectaculaires. Toutefois, cataloguée comme une organisation terroriste, l’OLP s’aliène une
partie de ses soutiens. Après le détournement de trois avions
et leur destruction sur le sol jordanien, la tension grandit entre
le roi Hussein de Jordanie et les fédayins palestiniens qui ont
trouvé refuge dans ce pays et entravent un éventuel rapprochement avec Israël. L’armée royale jordanienne mène donc de
vastes opérations militaires contre les réfugiés palestiniens en
septembre 1970 (« septembre noir »). Le 5 septembre 1972, le
groupe terroriste palestinien baptisé « Septembre noir » attaque
la délégation israélienne lors des Jeux olympiques de Munich.
L’intervention de la police tourne au fiasco : tous les otages sont
tués ainsi que les cinq membres du commando palestinien et
un policier. Malgré leur impact médiatique international, ces
opérations ne font guère avancer la cause palestinienne, voire
obtiennent l’effet inverse.
Après une nouvelle défaite de son pays face à Israël lors de la
guerre du Kippour, le président égyptien Sadate abandonne l’esprit de Khartoum pour se rapprocher d’Israël et conclure, sous
l’égide états-unienne, une paix séparée qui lui permet de récupérer le Sinaï (accords de Camp David). Privé du soutien égyptien,
Yasser Arafat se trouve de plus en plus isolé. En 1982, au cœur de
la guerre civile libanaise qui fait rage depuis 1975, les Palestiniens
des camps de Sabra et Chatila sont massacrés par les milices
chrétiennes. C’est dans ce contexte que naît le Hezbollah libanais, mouvement islamiste violemment antisioniste qui, par son
activisme, va entraver tout processus de paix entre Palestiniens
et Israéliens.
Le 9 décembre 1987, l’OLP appelle les Palestiniens des territoires
occupés à se soulever contre les Israéliens : par son côté désespéré, cette « guerre des pierres » fortement médiatisée suscite
un renouveau des sympathies internationales envers la cause
palestinienne. Néanmoins, l’Intifada prend aussi une dimension
religieuse islamique avec la création du Hamas qui concurrence
rapidement le Fatah. Cette radicalisation s’accompagne de
vagues d’attentats suicides menés par les extrémistes chiites qui
inquiètent tant le Fatah que les autorités israélienne et américaine d’où la recherche d’un accord de paix entre l’OLP et Israël.
→Doc. 3 : Échanges de lettres entre Yasser Arafat et Yitzhak
Rabin, 1993.
→Doc. 4 : La situation en 2011.
Après la victoire de la gauche politique israélienne, les négociations secrètes entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin donnent
naissance « aux accords d’Oslo » dont la déclaration de principes
a été scellée par la poignée de main historique à Washington
le 13 septembre 1993, sous l’égide du président des États-Unis,
Bill Clinton. Avancée décisive vers une paix et la naissance d’un
État palestinien, les accords suscitent à la fois de vifs espoirs
et des mécontentements des extrémistes des deux camps. Les
questions centrales des réfugiés, du statut de Jérusalem et des
implantations juives restent posées. Les islamistes antisionistes
du Hamas rejettent des accords qui légitiment Israël alors que
les extrémistes sionistes de la droite israélienne refusent de
reconnaître l’OLP. Yitzhak Rabin est assassiné par un extrémiste
juif en 1995. Yasser Arafat devient en 1996 le premier président
de l’Autorité Palestinienne, poste qu’il occupe jusqu’à sa mort,
à Paris, le 11 novembre 2004. En 2012, les limites du territoire
et le statut d’un futur État palestinien demeurent toujours en
suspens.
Étude 3
p. 272-273
Le pétrole, un enjeu stratégique
Avec près des deux tiers des réserves pétrolières conventionnelles mondiales estimées et 40 % des réserves gazières
aujourd’hui connues, le Moyen-Orient est devenu un lieu majeur
de production couvrant une part essentielle des besoins énergétiques mondiaux. Depuis la découverte des gisements perses en
1908, le pétrole est au centre des grands équilibres géopolitiques
de la région et du monde. Son contrôle est un enjeu majeur pour
les grandes puissances, avant de devenir une chance, voire une
arme, pour les pays qui disposent de cette manne.
Dès la découverte des premiers gisements, les Britanniques
assoient leur contrôle sur la région et ses richesses au travers
du système des mandats en Irak et en Palestine, reliée à Kirkouk
par un oléoduc. Ils nouent également des relations étroites avec
l’Iran au travers d’intermédiaires comme Calouste Gulbenkian,
financier avisé qui négocie dès 1920 un pourcentage sur les revenus pétroliers irakiens, territoire à la tête duquel les Britanniques
ont placé Fayçal. Le pétrole devient ainsi le sang irrigant la
« ligne vitale » de l’Empire britannique. Leur influence perdure
même après la chute de la dynastie hachémite renversée en Irak
par un coup d’État en 1941.
À la fin des années 1930 et surtout après la Seconde Guerre
mondiale, les Américains témoignent à leur tour un vif intérêt
pour les ressources de la région. Dès 1938, Roosevelt s’est rapproché d’Ibn Saoud pour obtenir des droits de prospection et
d’exploitation sur les gisements saoudiens. Dix ans plus tard, le
gisement géant d’Al Ghawar est découvert et entre en exploitation en 1951 fournissant un pétrole de bonne qualité (brut
léger). C’est dans ce contexte que J.C. Hurewitz - universitaire à
Columbia et agent de renseignement de l’OSS au Proche-Orient
pendant la guerre - justifie une politique extérieure américaine
active (doc. 1), laquelle accompagne la mainmise des Majors
sur les ressources des États du Moyen-Orient (doc. 3) mais
conduit aussi à des résistances nationales comme celle menée
en Iran par Mossadegh (doc. 2). Ce haut fonctionnaire devient
le Premier ministre du jeune shah Mohammed Reza Pahlavi en
1951 et entreprend de nationaliser l’Anglo-Iranian Oil Company
qui dispose du monopole de l’exploitation du pétrole iranien. En
réaction, les marchés se ferment au pétrole iranien. Inquiété par
la déstabilisation de l’Iran qui profite aux communistes iraniens
(le « Tudeh »), Eisenhower décide de renverser Mossadegh le
19 août 1953. Conduite par les services secrets britannique et
américain, l’opération Ajax est hautement stratégique. Il s’agit
de préserver les intérêts occidentaux dans les gisements pétrolifères iraniens - les Américains profitant de l’occasion pour
accroître leur part - mais aussi de maintenir l’Iran dans le camp
occidental, d’où le soutien apporté à la monarchie de plus en
plus autocratique du Shah.
110 • Chapitre 8 - Un foyer de conflits : le Proche et le Moyen-Orient depuis la fin de la Première Guerre mondiale
◗ Réponses aux questions
1. L’objectif du gouvernement américain est de ménager ses
propres ressources pétrolières tout en exploitant à son profit
celles des États du Moyen-Orient, permettant ainsi une diversification de l’approvisionnement.
2. Les Occidentaux contrôlent l’exploitation pétrolière par des
compagnies concessionnaires qui réunissent des sociétés pétrolières géantes (Majors) ; ces compagnies reversent des royalties
au pays dont le pétrole est exploité ou que traverse un pipeline.
3. Jusque dans les années 1970, les Majors occidentales ont
maintenu un cours bas favorable aux pays industrialisés et à la
mondialisation.
4. Les puissances occidentales réagissent à la nationalisation
du pétrole iranien par l’intervention des services secrets britannique et américain, qui renversent Mossadegh pour préserver
leurs intérêts dans la région.
5. Les conflits se concentrent dans les zones stratégiques où se
trouvent les principaux gisements de pétrole (Koweït, Kurdistan
irakien, frontière iranienne) ou aux points de passage des oléoducs et des tankers (Suez, détroit d’Ormuz). Les conflits dans
la région peuvent avoir aussi une incidence directe sur la production, lorsque le pétrole est utilisé comme une arme. Ainsi,
la décision de réduire les exportations de pétrole vers les alliés
d’Israël lors de la guerre du Kippour provoque une brutale flambée des prix. En 1991, pendant la guerre du Golfe, les incendies
de puits de pétrole entraînent aussi une sensible baisse de la
production.
◗ Texte argumenté
L’industrialisation et la mondialisation voient les besoins en pétrole
s’accroître. Possédant les deux tiers des réserves mondiales, les États
du Moyen-Orient font l’objet de toutes les convoitises.
Les Britanniques puis les Américains s’assurent le contrôle de
l’or noir au travers des Majors qui bénéficient des concessions
pétrolières et dont ils défendent les intérêts en renversant le gouvernement iranien en 1953.
Cherchant à s’affranchir de cette tutelle, les États producteurs
s’associent dans l’OPEP, qui transforme le pétrole en arme diplomatique dont il est fait usage lors de la guerre du Kippour en 1973.
À l’échelle régionale, les pétrodollars se trouvent au cœur des relations diplomatiques entre des États rivaux. Des tensions régionales
dégénèrent en conflit lors de la guerre du Golfe qui voit les ÉtatsUnis s’affirmer comme les gendarmes du golfe Persique, veillant
ainsi de près à leur approvisionnement stratégique.
Étude 4
p. 274-275
La crise de Suez, 1956
En 1956, la crise de Suez marque la fin de la suprématie européenne sur le Proche-Orient qui prend alors une place centrale
sur l’échiquier de la Guerre froide.
Ouvert en 1869 à la suite des travaux de Ferdinand de Lesseps
financés par la France et l’Égypte dont le Royaume-Uni rachète
les parts, faisant du canal l’axe de la « ligne vitale » reliant la
Méditerranée aux Indes. Après la Seconde Guerre mondiale, le
canal demeure un point de passage stratégique pour les pétroliers et les navires de commerce.
En 1952, la monarchie pro-britannique du roi Farouk est renversée par les « officiers libres ». Le 26 juillet 1956, date anniversaire
de la chute de la monarchie, le président Nasser prononce un
discours radiodiffusé annonçant la nationalisation du canal
(doc. 1). Cette décision est la conséquence des difficultés rencontrées par le « Raïs » pour lever les capitaux nécessaires à
la construction du barrage d’Assouan, grand chantier essentiel
au développement économique égyptien. En 1955, la Banque
Internationale pour la Reconstruction et le Développement
(BIRD) a consenti un prêt devant être cautionné par les gouvernements britannique et américain et associé à un contrôle des
finances égyptiennes. La même année, Nasser s’est rapproché
de l’URSS, a participé à la conférence anticoloniale de Bandung
et héberge au Caire le siège du FLN algérien. Cette orientation
politique lui vaut la perte des soutiens financiers américains,
laquelle invalide le prêt de la BIRD le 19 juillet 1956. Le discours
de Nasser prend donc un ton anti-impérialiste qui atteint son
paroxysme avec l’occupation du canal par les commandos égyptiens, ultime défi aux anciennes puissances coloniales qui en
restent les principaux actionnaires.
Ces dernières ripostent en constituant une alliance secrète
avec Israël, qu’elles associent à la planification d’une intervention militaire combinée destinée à sécuriser le canal (doc. 3). En
application des accords de Sèvres, Israël prend le prétexte des
attaques de fédayins palestiniens de Gaza pour pénétrer dans le
Sinaï le 29 octobre 1956.
Les documents 3, 4 et 5 permettent de retracer facilement le
déroulement des opérations militaires : le 31 octobre, les forces
aériennes britanniques et françaises détruisent une grande partie
de l’aviation égyptienne puis les forces aéroportées et aéromobiles entrent en action (doc. 5). Sur le plan militaire, l’opération
connaît un succès total mais la crise se transforme en débâcle
politique car les Français et les Britanniques sont contraints
d’abandonner le canal à Nasser sous la pression des Soviétiques
(doc. 6) mais aussi des Américains (doc. 7) qui redoutent l’escalade et attaquent la livre sur les marchés internationaux. Le 7
novembre, un cessez-le-feu est imposé et les troupes coalisées
commencent leur repli.
Nasser voit donc son prestige grandement renforcé par la crise
qui a cependant coûté la vie à près de 2 000 soldats égyptiens
(contre environ 200, principalement des Israéliens, du côté des
Chapitre 8 - Un foyer de conflits : le Proche et le Moyen-Orient depuis la fin de la Première Guerre mondiale
• 111
© Hachette Livre
L’affaire Mossadegh inquiète cependant les autres pays producteurs de pétrole. Réunis à Bagdad le 10 septembre 1960, les
cinq principaux pays producteurs de pétrole du monde (Arabie
saoudite, Irak, Iran, Koweït et Venezuela), afin de s’émanciper
du poids des Majors et contrôler la production pétrolière, créent
l’OPEP. En 1967, les pays arabes constituent l’OPAEP dans le
but de coordonner leur production, voire de s’en servir comme
moyen de pression internationale essentiellement tournée
contre les États-Unis, alliés d’Israël. Le cours du pétrole devient
donc une sorte de baromètre des tensions régionales (doc. 6).
À partir des années 1970, le pétrole est un levier de développement mais aussi une arme aux mains des pays arabes d’où
un choc pétrolier en octobre 1973 au moment de la guerre du
Kippour contre Israël : de 3 dollars le baril avant la crise, le cours
grimpe à 16 dollars en quelques semaines.
Ainsi, la puissance régionale d’un État pétrolier se trouve directement
associée à sa part des réserves, donnée extrêmement sensible qui
assoit la suprématie de l’Arabie saoudite, laquelle contrôle également
les lieux saints de l’islam. Les conférences de l’OPEP sont également un
espace de médiation pour résoudre les litiges entre pays producteurs.
Ainsi, le différend territorial entre l’Iran et l’Irak sur le Chott-al-Arab
trouve une éphémère solution à Alger en 1975… avant d’être considérée comme caduque par l’Irak, qui attaque l’Iran en 1980.
Étudiée en première, la guerre du Golfe de 1991 reflète également les
tensions entre pays producteurs de pétrole (doc. 4). Saddam Hussein
envahit le Koweït qu’il accuse de maintenir un cours bas du pétrole qui
empêche l’Irak de surmonter les difficultés économiques consécutives
à la guerre contre l’Iran. De plus, l’Irak n’a jamais reconnu les frontières
du Koweït, ancienne province irakienne, dont l’indépendance a été
proclamée le 19 juin 1961 par les Britanniques, soucieux de fragmenter
les réserves pétrolières afin de mieux les contrôler. Contraint à évacuer le Koweït, Saddam Hussein ordonne à ses troupes d’incendier
les puits de pétrole koweïtiens, portant ainsi un rude coup à la petite
pétromonarchie (et à l’environnement…).
coalisés). Israël retire ses troupes du Sinaï mais conserve le bénéfice des livraisons d’armes françaises prévues dans les protocoles
de Sèvres.
◗ Réponses aux questions
1. La nationalisation du canal est présentée comme une lutte
anti-impérialiste, mais doit aussi financer le développement de
l’Égypte.
2. Pour les puissances occidentales, le canal de Suez est un passage stratégique entre la mer Rouge et la mer Méditerranée,
mais également une source de revenus pour ses actionnaires
britanniques et français.
3. Les Britanniques et les Français lancent des opérations
aériennes et amphibies dans le but de sécuriser le canal et
de rétablir la libre-circulation sur celui-ci. Cette intervention
militaire est prévue dans le protocole secret de Sèvres par la
nécessité de séparer les belligérants.
4. L’URSS fait planer la menace d’une intervention militaire
et s’affirme comme le protecteur de l’Égypte. De leur côté, les
Américains lancent une attaque contre la monnaie britannique,
pression économique dans le but de les contraindre à se retirer.
L’objectif américain est d’éviter une escalade avec l’URSS et de
ménager des possibilités diplomatiques avec l’Égypte.
5. L’ONU condamne l’intervention armée et déploie des
casques bleus dans le Sinaï.
◗ Texte argumenté
Le canal de Suez et les richesses pétrolières qui y transitent en font
un passage stratégique dont l’importance est révélée par la crise
de 1956.
La nationalisation du canal par Nasser marque le début d’une crise
internationale. En application d’un accord secret, une opération
militaire combinée est menée par les Israéliens, les Britanniques et
les Français pour sécuriser le canal de Suez.
Les coalisés sont néanmoins contraints de se retirer sous la pression
des deux superpuissances. Favorable au régime de Nasser, l’URSS
fait peser tout son poids nucléaire pour mettre fin à l’intervention
occidentale. Soucieux d’éviter un affrontement direct, les ÉtatsUnis font également pression sur les Britanniques et les Français
pour les contraindre à se retirer.
L’affaire marque un tournant géopolitique majeur caractérisé par
l’effacement des anciennes puissances mandataires au profit des
États-Unis et de l’URSS et l’affirmation de l’Égypte et d’Israël
comme acteurs régionaux.
Leçon 3
p. 276-277
Une région très convoitée
par les puissances étrangères
Cette leçon met en perspective les études sur le pétrole et le canal
de Suez, en replaçant le Moyen-Orient dans le contexte des rivalités
entre puissances étrangères, notamment au moment de la Guerre
froide.
→Doc. 1 : Rencontre entre Saddam Hussein et Leonid Brejnev
© Hachette Livre
à Moscou, 1972.
→Doc. 2 : L’Égypte coule des bateaux dans le canal de Suez
pendant la crise de 1956.
Après la Seconde Guerre mondiale, les États du Moyen-Orient
affichent leur défiance par rapport aux puissances coloniales. Lorsque
Nasser coule des navires pour bloquer le canal de Suez (doc. 2) dont il
vient d’annoncer la nationalisation, il rompt ouvertement avec l’ordre
colonial et fait entrer la région dans des rivalités entre puissances
étrangères. En effet, les États libérés de la tutelle coloniale cherchent
à se moderniser, voire à trouver un modèle politique. Les régimes
progressistes (Égypte, Syrie, Irak) se rapprochent de Moscou (doc. 1).
Outre le modèle socialiste et le parti unique, il s’agit surtout d’obte-
nir un soutien politique. Cette logique s’inscrit dans un contexte de
rivalités entre États de la région qui se livrent une lutte d’influence
opposant notamment les pétromonarchies, et surtout l’Arabie saoudite, aux autres pays arabes. Créée en 1960, l’OPEP devient une sorte
de théâtre de ces rapports de force.
L’intérêt des Soviétiques pour les États arabes est moins pétrolier
- l’URSS dispose d’abondantes réserves - que stratégique. En effet,
s’allier les régimes progressistes permet à l’URSS de prendre à revers
la Turquie, sentinelle des détroits du Bosphore et des Dardanelles, et
l’Iran du Shah, régime pro-occidental jusqu’à sa chute en 1979.
◗ Réponses aux questions
1. (doc. 1) Saddam Hussein recherche le soutien économique et
militaire des Soviétiques alors que son pays est entouré d’alliés
de l’Occident. Il voit dans l’URSS à la fois un modèle politique
(le Baas est un Parti unique comme le Parti communiste) et la
garantie d’un soutien diplomatique.
1. (doc. 2) L’Égypte coule des navires marchands pour bloquer
le canal de Suez et ainsi faire pression sur les Occidentaux. De
plus, les épaves gênent l’acheminement de renforts et d’appui
pour les troupes coalisées venues s’emparer du canal.
→Doc. 3 : Déclaration du président Eisenhower pour le
Moyen-Orient, 1957.
De leur côté, les États-Unis cherchent par tous les moyens à se
garantir des alliances locales pour sécuriser les réserves pétrolières
et endiguer l’avancée des communistes. Dans un premier temps,
poursuivant la « pactomanie » née de la politique d’endiguement, ils
encouragent la signature du Pacte de Bagdad en 1955, alliance militaire regroupant le Royaume-Uni, la Turquie, l’Irak (qui s’en retire en
1959), l’Iran et le Pakistan. Ensuite, prolongeant la doctrine Truman en
y ajoutant les intérêts pétroliers, la doctrine Eisenhower est affirmée
devant le Congrès peu après la crise de Suez. Dès lors, les États-Unis
s’engagent à porter assistance économique et militaire à tout pays du
Moyen-Orient en faisant la demande d’où une intervention armée au
Liban dès 1958. Cette logique reste opératoire même après la fin de la
Guerre froide avec, conjointement à une omniprésence aéronavale,
les déploiements en Arabie saoudite dès l’été 1990 ou en Israël en janvier 2012.
◗ Réponses aux questions
1. Dans le contexte de la Guerre froide, la doctrine Eisenhower
relève de la volonté américaine d’endiguer la progression des
régimes socialistes progressistes alliés de l’URSS, à l’image de
l’Égypte dans le monde arabe. Le président des États-Unis souhaite également sécuriser les approvisionnements en pétrole.
2. Les Moudjahidines mènent une guérilla dans les montagnes
afghanes contre les Soviétiques. Comme ils ne peuvent pas combattre directement l’Armée rouge bien supérieure en puissance
de feu (blindés, hélicoptères d’attaque, avions), ils maintiennent
une pression constante sur les troupes soviétiques par des opérations de harcèlement, tendant des embuscades aux convois de
ravitaillement.
→Doc. 4 : Un convoi soviétique attaqué par les Moudjahidines
afghans, 1984.
La région voit cependant la bipolarité de la Guerre froide perturbée
par la révolution islamique iranienne. L’islamisme radical devient un
adversaire commun aux deux blocs d’où leur soutien à l’Irak dans la
guerre contre l’Iran. Toutefois, si l’Iran de Khomeiny est un ennemi commun, les États-Unis du président Reagan soutiennent les
Moudjahidines afghans contre les troupes soviétiques venues soutenir le régime communiste de Kaboul. Utilisant des intermédiaires
pakistanais et saoudiens, les Américains contribuent indirectement à
financer les futures guérillas islamistes.
112 • Chapitre 8 - Un foyer de conflits : le Proche et le Moyen-Orient depuis la fin de la Première Guerre mondiale
p. 278-279
La Révolution islamique iranienne :
un facteur de déstabilisation ?
En premier lieu, cette étude permet de revenir sur le clivage du
monde musulman entre chiites et sunnites.
En 632, à la mort de Mahomet, se pose la question de savoir qui
doit lui succéder à la tête d’un monde musulman, d’une oummah
en pleine expansion. Le schisme partage les partisans de son
gendre, Ali, les chiites, et ceux d’Abou Bakr, l’un des compagnons
(ansar) du prophète de l’islam, élu calife par les autres ansars. En
effet, pour les chiites, seuls des membres de la famille du prophète (ou de sa « maison »), les « imams », peuvent lui succéder
comme guides spirituels, légitimés par une sorte d’hérédité de la
mission divine. Les sunnites reconnaissent le principe du califat
électif en se basant sur la « sunna », l’ensemble des lois divines
qui s’applique à tous les musulmans.
De cette violente querelle de succession (Ali est assassiné en
661) va naître un antagonisme à la fois politique et doctrinal.
Pour les sunnites, Mahomet est un modèle dont il convient de
perpétuer les actes et les pratiques (hadiths). Le calife est élu
parmi ceux qui présentent des qualités semblables à celles de
Mahomet.
Dans la continuité d’Ali et de ses fils Hasan et Hussein, les
chiites ont une approche interprétative du Coran (« Kalam »),
qui dispose d’un sens évident et d’un sens caché que seuls les
imams peuvent révéler aux croyants. Les chiites accordent donc
une importance particulière à un clergé de lettrés qui ne se
retrouvent pas dans le sunnisme. De plus, la doctrine chiite est
moins figée que le sunnisme puisque prise dans une dynamique
interprétative.
Les chiites accordent aussi une grande place au martyre en s’appuyant sur le sort tragique d’Hussein, fils d’Ali tué à Kerbala en
680 par ses rivaux omeyyades. Hussein se serait littéralement
livré à ses ennemis pour leur prouver sa foi (d’où l’exaltation des
attentats-suicides par les mouvements extrémistes comme le
Hezbollah).
En outre, les chiites attendent et préparent l’arrivée du Mahdi,
« l’imam caché », ultime descendant d’Ali et sorte de Messie
destiné à révéler le sens fondamental du Coran, ce qui donne au
chiisme une dimension eschatologique. En effet, pour les chiites,
le douzième successeur de Mahomet disparaît du monde visible
en 874 mais continue de guider ses fidèles avant de revenir
prendre la tête de l’oummah à la fin des temps. Cette croyance
permet au chiisme de sortir du monde arabe.
Si les sunnites sont majoritaires dans le monde musulman, les
chiites le sont en Iran et, depuis peu, en Irak où se trouvent de
nombreux lieux saints chiites dont la ville de Kerbala.
En second lieu, cette étude permet d’aborder l’islamisme avec
l’Iran qui est le seul État où ce mouvement parvient à s’installer
au pouvoir durablement dans le monde musulman.
En s’appuyant sur l’importance du clergé dans le monde chiite,
l’ayatollah Khomeiny s’affirme dans les années 1960 comme l’un
des principaux opposants au régime occidentalisé et laïc du
Shah, Mohamed Reza Pahlavi.
→Doc. 1 : La Constitution iranienne de 1979.
Longtemps repoussé dans la clandestinité, exilé en France,
Khomeiny prend la tête de la Révolution islamique qui renverse
le Shah et installe une théocratie chiite en Iran. Pour nombre
de chiites iraniens, le retour d’exil de Khomeiny est assimilé au
retour de l’imam caché, confusion qu’exploite le régime à son
profit. Entrée en vigueur le 3 décembre 1979, la constitution de
la République d’Iran a été en grande partie rédigée par Hasan
Habibi en s’inspirant des institutions françaises (suffrage universel) mais elle pose le principe d’une légitimité divine, source
exclusive des lois, dont les religieux chiites sont les dépositaires
et les garants.
→Doc. 2 : Une révolution idéologique.
La ville de Qom jouit d’un statut particulier puisque c’est dans
l’institut coranique de la ville que Khomeiny enseigne la théologie et se fait connaître comme prédicateur particulièrement
hostile au régime du Shah, ce qui lui vaut d’être arrêté par la
Savak, la police secrète, le 22 mars 1963. Dans son discours
d’août 1979, Khomeiny définit les grandes lignes de la politique iranienne. D’une part, il présente les États-Unis et Israël
comme des ennemis de l’islam devant être anéantis. Le discours anti-occidental s’inscrit dans la ligne de la rupture avec
la monarchie puisque la dynastie des Pahlavi avait été mise en
place en 1920 avec l’appui des Britanniques. Le discours de Qom
affirme également l’évolution liberticide du régime en soumettant les intellectuels aux religieux, mettant fin, dans une terrible
répression, à l’évolution libérale de la Révolution islamique. En
effet, à la chute du Shah, de nombreuses factions cherchent à
modeler le nouvel Iran durant l’année 1979. Dans un premier
temps, Khomeiny compose avec elles, plaçant à la tête du gouvernement provisoire Bazargan, un démocrate modéré, avant de
confirmer l’orientation théocratique du régime. Le dernier paragraphe fait référence aux fatwas prononcées contre les œuvres
et leurs auteurs. On peut également évoquer la virulence fanatique avec laquelle le régime de Khomeiny traque ses opposants
partout dans le monde, n’hésitant pas à appeler ouvertement
au meurtre ou à le commanditer : assassinat en 1991 de Shapour
Bakhtiar, ancien ministre de Mossadegh puis du Shah, fatwa et
sentence de mort contre l’écrivain Salman Rushdie en 1989…
→Doc. 3 : Le conflit avec l’Irak.
→Doc. 4 : L’Iran, une puissance islamiste régionale.
Face à l’islamisme triomphant, l’Occident répond en soutenant
massivement l’Irak de Saddam Hussein qui attaque l’Iran le 22 septembre 1980. Les origines de l’agression sont des revendications
territoriales irakiennes sur la partie orientale du Chott-el-Arab
et sur des « Tomb », îlots stratégiques dans le détroit d’Ormuz.
Ne pouvant élargir sa façade maritime vers le Koweït, création
britannique, Saddam Hussein se tourne vers l’Iran, marginalisé par la révolution islamique. La crainte d’une contagion aux
autres populations chiites de la région et notamment d’Irak fait
de Saddam Hussein le champion du monde laïc, voire sunnite,
bénéficiant non seulement du soutien du bloc communiste, allié
du parti Baas, mais aussi des pétromonarchies sunnites et des
États-Unis. Face à cette coalition, Khomeiny appelle à une véritable guerre sainte et se tourne vers les nombreux chiites d’Irak
(doc. 3). Dans les années 1980, l’Iran se présente comme le leader
d’un monde musulman, prenant la relève du panarabisme porté
jusque-là par l’Égypte (cf. Leçon 2). Cette démarche vise aussi à
rompre un certain isolement diplomatique. Le texte illustre donc
les rivalités profondes pour le leadership au Moyen-Orient et l’affirmation d’un discours islamiste au cœur duquel se place l’Iran
(doc. 4). Dans une actualité marquée par la question du nucléaire
iranien, l’Iran est une incontestable puissance régionale appuyée
sur son poids économique (pétrole) mais aussi démographique
(78 millions d’habitants) et une situation stratégique. De plus,
l’effondrement total du régime de Saddam Hussein et le retrait
américain de 2011 lui laissent le champ libre pour étendre son
influence parmi les communautés chiites d’Irak. L’affirmation de
l’Iran en tant que puissance régionale montre aussi l’évolution
du régime, où, malgré un discours islamiste de façade, c’est le
nationalisme qui tend à devenir la véritable source de légitimité
du pouvoir en place. Cette nationalisation de l’islamisme, selon
Olivier Roy (politologue, spécialiste de l’Islam), s’observe dans de
nombreux mouvements au Proche-Orient, comme le Hezbollah
libanais ou le Hamas palestinien.
→Doc. 5 : Manifestation antiaméricaine, 28 novembre 1979.
Khomeiny s’appuie sur les jeunes étudiants en théologie, issus
pour la plupart des milieux populaires. En effet, la révolution
Chapitre 8 - Un foyer de conflits : le Proche et le Moyen-Orient depuis la fin de la Première Guerre mondiale
• 113
© Hachette Livre
Étude 5
islamique provoque un bouleversement politique dans un Iran
caractérisé par l’exode rural, la désagrégation des autorités
traditionnelles, des années de frustration des chiites sous les
Pahlavi et l’aspiration à un meilleur niveau de vie. Le nouveau
régime leur octroie un statut jusque-là réservé aux jeunesses
privilégiées, la promesse d’une promotion sociale et un rôle central dans le nouvel Iran qui se manifeste lors de la prise d’otages
de l’ambassade américaine à Téhéran. Le 4 novembre 1979,
l’ambassade des États-Unis à Téhéran est prise d’assaut par des
« étudiants islamistes » qui réclament que le Shah, empereur
déchu réfugié au États-Unis, soit renvoyé en Iran pour y être
jugé (et probablement exécuté). L’ensemble de l’opération est
orchestré par les autorités iraniennes au déni du droit international sur le personnel diplomatique. Elle survient au moment
où les États-Unis se trouvent fragilisés par le traumatisme du
Vietnam, les difficultés économiques et la crise politique qui
débouche sur la présidence de Jimmy Carter (1977-1981). Outre
l’anti-américanisme du régime visible au travers de la caricature
de Carter, cette photographie de propagande illustre l’instrumentalisation de la foule, de la jeunesse et notamment des
femmes. Les 52 otages ne sont libérés que quatorze mois plus
tard, débâcle diplomatique qui sonne le glas de la présidence
démocrate de Carter, notamment après le fiasco de l’opération
« Eagle Claw » (24-25 avril 1980) visant à exfiltrer les otages.
◗ Réponses aux questions
1. Le régime iranien n’est pas démocratique malgré la présence d’institutions élues au suffrage universel. En effet, la
Constitution accorde un pouvoir de censure aux dignitaires religieux et une place centrale au Guide suprême ; ils contrôlent les
pouvoirs exécutif, législatif et militaire. Sur le plan judiciaire, la
loi reste rattachée à la charia.
2. Khomeiny affirme le prosélytisme de la révolution qui doit se
tourner contre les ennemis de l’Iran : les adversaires extérieurs
que sont les puissances occidentales et Israël mais aussi les
intellectuels libéraux dont les œuvres doivent être censurées.
3. Khomeiny s’appuie sur l’unité de l’oummah, la communauté
des musulmans, qui doit dépasser les clivages entre peuples et
les nationalismes. Il s’appuie sur son statut de religieux chiite
pour placer l’Iran à la tête du monde musulman face à des adversaires corrompus par l’Occident.
4. L’hostilité à l’égard de l’Occident est particulièrement tournée contre Israël et les États-Unis qu’il n’hésite pas à défier
ouvertement par des actes hostiles comme des prises d’otages
ou des attentats terroristes.
5. L’Iran s’affirme comme puissance régionale grâce au poids
économique que lui donnent ses réserves pétrolières et sa
situation stratégique sur le détroit d’Ormuz. Cette manne lui
permet de financer divers groupes terroristes islamistes comme
le Hamas et surtout le Hezbollah qui contribuent à diffuser son
influence au-delà de ses frontières. La défense de l’islam est
confondue avec celle de la République islamique dont le rayonnement régional s’appuie de plus en plus sur la volonté d’obtenir
des capacités nucléaires.
© Hachette Livre
◗ Texte argumenté
L’Iran de Khomeiny est une théocratie totalitaire violemment hostile aux États-Unis et Israël. Dès 1979, Khomeiny fait la promotion
d’un islamisme expansif dont l’Iran, présenté comme le modèle de
l’État islamique, se doit de prendre la tête. La violence de ses discours et la répression contre les intellectuels libéraux donnent au
régime une image qui inquiète l’Occident.
Le prosélytisme chiite est un facteur de déstabilisation régionale
car il fait redouter une contagion aux autres pays de la région. Ces
inquiétudes sont à l’origine de la première guerre du Golfe, la guerre
Iran-Irak (1980-1988).
Grâce à la manne pétrolière, l’Iran finance des groupes terroristes
comme le Hamas ou le Hezbollah. Ces mouvements prônent un
islamisme radical et un nationalisme violemment antisioniste, en
multipliant les attaques contre Israël, ce qui rend difficile l’instauration d’une paix durable.
Depuis quelques années, l’Iran cherche ouvertement à se doter
d’un arsenal nucléaire, faisant redouter le pire aux pays voisins et
notamment à Israël qui se trouve à portée des missiles iraniens.
Étude 6
p. 280-281
La guerre d’Irak (2003-2011) et l’impossible
reconstruction irakienne ?
Cette étude permet d’aborder l’influence américaine dans la
région, les éléments d’une guerre asymétrique, mais aussi les difficultés à stabiliser l’Irak, territoire complexe où se concentrent
nombre de facteurs de tensions du Moyen-Orient (doc. 2).
L’échec de l’intervention américaine peut également être mis en
relation avec la Leçon 1 pour permettre aux élèves de relever les
similitudes.
La lutte asymétrique devient une sorte de guerre d’usure qui se
livre sur l’espace médiatique et dans laquelle la « guérilla gagne si
elle ne perd pas » pour reprendre l’expression d’Henry Kissinger
sur le Vietnam, situation avec laquelle l’Irak partage un grand
nombre de points communs. « It won’t be another Vietnam » a
déclaré Georges Bush lors de l’intervention américaine de 1991
et pourtant...
Troisième guerre du Golfe, la guerre d’Irak (2003-2011) s’inscrit
dans la continuité de celle de 1991 et après le conflit Iran-Irak
(1980-1988). En février 1991, l’opération « Tempête du désert »
balaye l’armée irakienne. Légitimée par la résolution 660 de
l’ONU, cette intervention multinationale a pour finalité la
libération du Koweït, occupé par l’Irak depuis le 2 août 1990.
Confronté à près d’un million de soldats de 34 nations et surtout
à l’impressionnante machine de guerre américaine « libérée »
par une Guerre froide finissante, Saddam Hussein voit son
régime sur le point de s’effondrer avec la débâcle de son armée
dont les épaves calcinées jonchent la « Highway of Death »,
axe reliant Koweit City à Bassora. Toutefois, perçu par les
Occidentaux comme un rempart contre l’Iran islamiste voisin,
Saddam Hussein est maintenu en place par les alliés victorieux.
L’Irak est soumis à la surveillance de la communauté internationale qui échange « pétrole contre nourriture » (résolution 986
de 1995). Exsangue et humilié, le régime de Saddam Hussein
dérive vers la répression notamment contre les Kurdes qui ont
été amenés à se soulever contre lui pendant la guerre mais aussi
contre les opposants chiites. Abandonnant les principes laïcs du
Baas, Saddam Hussein cherche à sauvegarder sa légitimité en
donnant une orientation religieuse à son pouvoir. Ces évolutions
expliquent en partie pourquoi - malgré la surveillance dont il fait
l’objet - l’Irak de Saddam Hussein est catalogué parmi les rogue
states, les « États voyous » de « l’Axe du Mal », accusés de financer le terrorisme international contre lequel l’administration de
G. W. Bush s’est déclarée en guerre après les attentats du 11
septembre 2001. Présentés comme un casus belli, ces attentats
légitiment du point de vue américain toute intervention militaire… La tension monte après l’échec de la commission chargée
de surveiller le désarmement de l’Irak accusé de disposer et/
ou de fabriquer des armes de destruction massive. La suite est
connue : recherche d’une légitimité d’une intervention auprès
de l’ONU, opposition de la « vieille Europe » à la guerre, unilatéralisme et début des opérations militaires (« Iraqi Freedom »)
le 20 mars 2003…
Présentée comme une « guerre pour le pétrole », la guerre d’Irak
exprime aussi la volonté politique des États-Unis de prendre leur
distance par rapport à leurs alliés régionaux traditionnels en instaurant, en Irak, un régime arabe pro-américain. Cette politique
de nation building répond à des impératifs stratégiques, dans la
continuité de la doctrine Eisenhower (cf. Leçon 3), mais aussi
114 • Chapitre 8 - Un foyer de conflits : le Proche et le Moyen-Orient depuis la fin de la Première Guerre mondiale
◗ Réponses aux questions
1. La rapidité de la victoire militaire américaine s’explique par la
décomposition du régime de Saddam Hussein, une supériorité
militaire écrasante et le soutien des Kurdes.
2. La prise de Bagdad marque la chute du régime de Saddam
Hussein.
3. Les Kurdes constituent l’une des principales minorités de la
région, éclatée entre la Turquie, l’Iran et l’Irak. Ils revendiquent
un territoire autonome dans le nord de l’Irak où se trouvent de
vastes champs pétrolifères.
4. Les Américains partagent l’Irak en zones de stabilisation
avant de former les cadres d’un nouveau régime irakien. Le projet se heurte aux luttes de pouvoirs entre les différentes factions
sunnites et chiites mais aussi à l’action extérieure déstabilisatrice menée par l’Iran et par Al-Qaïda.
5. Les forces américaines sont confrontées à une guerre civile et
à des attaques ciblées les visant.
6. L’Irak « libérée » sombre dans le chaos de la lutte entre factions cherchant à en prendre le contrôle. Après avoir maintenu
plus de 150 000 soldats sur le sol irakien de 2003 à 2008, les
États-Unis, confrontés au coût et à l’impopularité grandissante
de leur intervention, décident de se retirer. Privé du soutien des
forces armées américaines, l’Irak risque de basculer sous l’influence de l’Iran, provoquant un véritable séisme géopolitique.
◗ Texte argumenté
En réponse aux attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis décident d’intervenir, sans le soutien de l’ONU, une nouvelle fois en
Irak, qu’ils accusent de fabriquer des armes de destruction massive
pouvant servir à de nouvelles attaques terroristes.
Grâce à leur puissance de feu, ils obtiennent une victoire militaire
rapide contre Saddam Hussein dont le régime s’effondre. Ce dernier
est arrêté et exécuté.
Toutefois, la reconstruction de l’Irak se heurte à de multiples obstacles. Diverses factions s’affrontent pour modeler à leur profit le
nouvel État qui s’enfonce dans une spirale de la violence, que les
Américains, confrontés à une guerre asymétrique menée par des
adversaires protéiformes, ne peuvent désamorcer.
Très médiatisé, le conflit devient extrêmement impopulaire aux
États-Unis, ce qui amène l’administration démocrate de Barak
Obama à rompre avec la politique extérieure de son prédécesseur
en retirant l’armée d’Irak.
Ce retrait consacre l’échec du nation building qui aspirait à créer
en Irak un État arabe pro-américain.
Leçon 4
p. 282-283
Le Proche et le Moyen-Orient entre montée
de l’islamisme et interventionnisme américain
Cette leçon permet de faire le point sur deux facteurs de tension
dont les rôles se sont accrus au Proche et Moyen-Orient ces dernières années : la montée de l’islamisme et l’interventionnisme
militaire américain. Elle replace dans une perspective historique
plus longue et plus large les Études 5 et 6. Cette leçon montre
ainsi que l’islamisme dans cette région ne s’est pas manifesté
uniquement à l’occasion de la Révolution iranienne en en montrant les prodromes et d’autres formes plus radicales. Quant à
l’interventionnisme américain en Irak, il est évoqué dès 1991 et
est élargi à l’Afghanistan.
→Doc. 1 : Dénonciation des sociétés non-islamiques, 1965.
L’islamisme se présente de plus en plus comme une réponse à
l’occidentalisation associée à la politique extérieure des ÉtatsUnis mais aussi comme un refus de toute ingérence ou influence
étrangère. Ce tournant est pris dans les années 1960 comme en
témoigne la radicalisation des Frères musulmans égyptiens et
leur hostilité grandissante envers le régime de Nasser. L’évolution
de la pensée de l’écrivain nationaliste Sayyit Qotb, figure indépendantiste des années 1940, traduit le passage du nationalisme
vers l’islamisme. Qotb rejoint les Frères musulmans en 1953 après
avoir vivement dénoncé le « vide intellectuel » caractérisant le
modèle américain et la société égyptienne qui s’est éloignée
de l’islam, perdant ainsi son identité. Le texte fait référence au
Chapitre 8 - Un foyer de conflits : le Proche et le Moyen-Orient depuis la fin de la Première Guerre mondiale
• 115
© Hachette Livre
diplomatiques car les États-Unis se montrent de plus en plus
méfiants envers l’Arabie saoudite sunnite dont certains dignitaires semblent avoir été impliqués dans les attentats du World
Trade Center (de plus, Oussama Ben Laden est saoudien). Sans
renoncer à son alliance avec l’État hébreu, une partie de l’administration Bush se montre favorable à l’idée de disposer d’un
allié arabe et musulman, lui permettant de déployer des forces
sur son sol face à l’Iran.
La guerre d’Irak de 2003 à 2011 est également représentative de
l’évolution que suivent nombre de conflits du Moyen-Orient.
Elle commence par des opérations militaires de haute intensité
qui s’achèvent officiellement le 1er mai 2003. Durant cette phase,
les Américains et leurs alliés (principalement britanniques et
australiens) prouvent leur écrasante supériorité sur une armée
irakienne en déliquescence et assaillie sur plusieurs fronts. En
effet, le gros de l’offensive est mené par les troupes stationnées au Koweït mais les États-Unis ont également mobilisé les
forces kurdes (doc. 3) auxquelles ils ont promis la création d’un
Kurdistan autonome au nord de l’Irak. Les Peshmergas kurdes
permettent ainsi d’évoquer une question qui reste en suspens
depuis la chute de l’Empire ottoman.
Ensuite commence une longue phase de stabilisation, caractérisée par des affrontements asymétriques et la guerre civile
opposant différentes factions au cœur d’un pays extrêmement
composite (doc. 2 et doc. 5). L’Irak est partagé en trois zones
de stabilisation. Les plus stratégiques et riches en pétrole sont
occupées par les Américains et les Britanniques alors que le
reste du territoire est confié aux Kurdes ou aux autres pays
membres de la coalition (parmi lesquels de nombreux États
d’Europe de l’Est soucieux d’afficher leur « atlantisme »). Le
texte d’Yves Lacoste permet de présenter les différentes difficultés auxquelles sont confrontés les Américains et leurs alliés
et notamment l’omniprésence des IED (Improvised Explosive
Device ou Engins Explosifs de Circonstance) dont le repérage
nécessite la mobilisation constante d’équipes de démineurs.
Après avoir totalement désarmé la police et l’armée irakiennes,
les États-Unis reviennent sur cette erreur qui a conduit à une
montée de l’insécurité en entreprenant une « irakisation » des
forces de sécurité. La présence d’Al-Qaïda est aussi un facteur
d’instabilité mais il convient de ne pas en exagérer l’ampleur
dans la mesure où la tentative de contrôle des insurgés irakiens
par l’organisation terroriste échoue : son principal agent, le
Jordanien Al-Zarkaoui, est éliminé en juin 2006. Loin d’apaiser
les tensions, l’exécution de Saddam Hussein, le 30 décembre
2006, s’accompagne d’une montée de l’activisme chiite. Cette
flambée insurrectionnelle trouve ses origines dans les rapports
de force entre factions qui cherchent à s’imposer dans le nouvel
ordre américain mais aussi dans l’influence iranienne.
La médiatisation du conflit et surtout des dérives des forces
d’occupation/stabilisation (excès des mercenaires des sociétés
militaires privées, scandale de la prison d’Abou Graïb en 2004…)
a rendu le conflit extrêmement impopulaire. En 2009, l’arrivée
du démocrate Obama à la Maison-Blanche marque un changement radical de politique avec le début du retrait des troupes
(doc. 6).
Le 17 décembre 2011, les derniers soldats américains quittent
l’Irak, laissant le pays en proie aux incertitudes et consacrant
l’échec du nation building : c’est « la défaite du vainqueur »,
comme l’écrit Jacques Baud, spécialiste du renseignement et
du terrorisme. Au total, la guerre d’Irak a coûté la vie à près de
4 800 soldats américains et à plus de 100 000 Irakiens.
concept de « Jahiliya », « l’ignorance antéislamique » dont il faut
sortir en renversant les élites au pouvoir pour mettre en place
une société plus équitable basée sur le Coran dans lequel se
trouvent toutes les réponses au déclin du monde arabe.
◗ Réponse à la question
1. Cet islamisme radical est violemment hostile à toute forme
de gouvernement ne reposant pas sur le Coran. Il est marqué
par l’antisionisme, le refus de la démocratie et de tout autre
modèle politique. Il s’attaque aux régimes occidentaux et aux
États arabes modernes dont il dénonce une sorte de corruption
morale liée à l’influence étrangère.
→Doc. 2 : L’Afghanistan, une mosaïque de tensions.
L’islamisme se diffuse à l’ensemble du monde musulman, notamment au travers des appels au djihad, à la guerre sainte, en Iran
mais aussi en Afghanistan après l’invasion soviétique de 1979.
L’Afghanistan voit apparaître une forme particulièrement brutale de fondamentalisme portée par les Talibans, soutenus par
le Pakistan, qui placent le pays au ban de la communauté internationale mais aussi au cœur de l’actualité en hébergeant les
principaux chefs d’Al-Qaïda. Cette carte permet de comprendre
en quoi les facteurs de tensions imbriquées (mosaïque ethnique,
islamisme, trafic de drogue, zones grises…) expliquent les difficultés des forces internationales pour stabiliser la situation
d’un pays au bord de l’effondrement. Signe de la complexité
géopolitique du dossier afghan, il est à noter que l’Iran n’a pas
apporté un soutien inconditionnel aux Talibans. De nombreux
accrochages ont eu lieu entre les gardes-frontières iraniens et
les trafiquants.
→Doc. 3 : L’assassinat de Sadate, 6 octobre 1981.
La brutalité de la répression syrienne est proportionnelle à l’inquiétude des dirigeants arabes face à la menace d’un islamisme
de plus en plus violent. Le 6 octobre 1981, le président égyptien
Anouar al-Sadate est victime d’un spectaculaire attentat. Prix
Nobel de la paix suite aux accords de Camp David, Sadate paye
de sa vie la normalisation des relations entre l’Égypte et Israël,
perçue comme une trahison par les islamistes.
→Doc. 4 : Tensions en Syrie avec les Frères musulmans, 1980.
La montée de l’islamisme coïncide avec les cuisantes défaites
arabes face à Israël en 1967 et 1973 qui sont interprétées par les
islamistes, en Égypte et en Syrie notamment, comme une punition divine contre des États qui se sont éloignés de l’islam. En
novembre 1970, Hafez al-Assad a pris le pouvoir en Syrie et lancé
une politique dite de « rectification », moins socialiste que ses
prédécesseurs du Baas. Appartenant à la communauté alaouite,
il est rapidement confronté à une opposition de plus en plus
radicale, orchestrée par les Frères musulmans, qui se généralise
dans les villes du Nord (Alep, Homs, Hama principalement) et
culmine le 8 mars 1980, jour anniversaire de la prise du pouvoir
par le Baas. C’est dans ce contexte qu’Hafez al-Asad s’affirme
comme le seul garant de l’unité nationale et défenseur de l’islam. Il annonce aussi une implacable répression, qui atteint son
paroxysme en février 1982 avec la destruction totale de la ville
insurgée de Hama (près de 15 000 morts). Trente ans plus tard,
son fils mène une politique semblable en pilonnant impitoyablement Homs.
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Histoire des Arts
p. 284-285
Les World Press Photo Awards
Le Moyen-Orient est associé à la guerre, à la souffrance, à la
mort et à l’humiliation des vaincus, thèmes qui se retrouvent
dans ces photographies de presse distinguées par la communauté des photoreporters mais aussi dans les autres photographies
du chapitre. Elles permettent aux élèves de réfléchir sur leur
construction et sur l’image qu’elles donnent de la région dans
l’actualité des conflits.
→Doc. 1 : Peter Skingley : soldats israéliens et prisonniers
égyptiens dans le Sinaï durant la guerre des Six-Jours, 1967.
La photographie illustre l’avancée victorieuse de Tsahal traversant le Sinaï égyptien dans les premières heures décisives de
la guerre des Six-Jours, en juin 1967. En quelques jours, l’armée
israélienne, qui dispose d’une supériorité aérienne totale, fait
plus de 4 000 prisonniers.
→Doc. 2 : Françoise Demulder : réfugiés palestiniens à
Beyrouth (Liban).
Françoise Demulder photographie les civils au cœur de la tourmente. La Quarantaine est un quartier précaire de Beyrouth
où s’entassent près de 30 000 réfugiés palestiniens. En 1975, le
Liban sombre dans la guerre civile entre populations chrétienne
et musulmane. Le 12 février 1976, le quartier est pris d’assaut par
les phalanges (milices) chrétiennes qui chassent les Palestiniens
avant de raser leurs habitations.
→Doc. 3 : David Turnley : soldats américains victimes de « tirs
amis » lors de la guerre du Golfe, 1991.
Le cliché est pris le dernier jour de l’opération « Tempête du
désert », le 28 février 1991, à bord d’un hélicoptère sanitaire qui
évacue des soldats américains, victimes d’un « tir ami ». Sur les
148 pertes américaines enregistrées lors des six semaines de
combats contre l’armée irakienne, 35 sont liées au « tir ami ».
Ces tragiques erreurs d’identification sont en grande partie dues
à une confiance excessive accordée à la technologie : les pilotes
engagent des cibles trop éloignées pour qu’ils aient un contact
visuel.
◗ Réponses aux questions
1. La première vue est une photographie plongeante en noir et
blanc d’un convoi militaire israélien traversant le Sinaï pendant
la guerre des Six-Jours en juin 1967. Elle a été prise depuis un
véhicule du convoi en route vers le front au moment où celuici croise des prisonniers égyptiens envoyés vers l’arrière. Le
cadrage met l’accent sur la file quasiment ininterrompue des
véhicules militaires de Tsahal.
Également en noir et blanc, la deuxième photographie est une
vue horizontale prise en 1976 pendant la guerre civile du Liban.
La photographie est assombrie par la fumée des habitations
palestiniennes en flammes. Le cadrage met l’accent sur la confusion et le chaos en plaçant au centre de l’image une famille qui
s’enfuit et une femme au désespoir visible. La composition met
en valeur l’arme que brandit le milicien libanais.
Seule photographie en couleur, le troisième document est un
plan horizontal de soldats américains pendant la guerre du Golfe
de 1991. La photographie a été prise à bord d’un hélicoptère évacuant des blessés.
2. Le document 1 place au premier plan des soldats israéliens
souriants sur la route de la victoire traversant le désert. Sur la
droite, au second plan, un camion transporte des prisonniers
égyptiens désarmés et dévêtus.
Au 1er plan du document 2 se trouve un milicien en armes. Au
second plan, une femme lui fait face, les bras écartés dans
un signe de désespoir et d’impuissance face au chaos qui les
entoure. Une famille fuit un arrière-plan dominé par les flammes
et la destruction.
Le document 3 place au premier plan un soldat blessé, en pleurs,
assis sur le sol d’un hélicoptère qui l’évacue ainsi que d’autres
soldats. Á ses côtés, légèrement en retrait, se trouve un autre
soldat blessé à la tête. Sur la droite, un homme d’équipage finit
d’arrimer la civière transportant la dépouille d’un troisième soldat tué par un tir fratricide. Á l’arrière-plan, comme indifférent
à la souffrance qui l’entoure, un autre homme d’équipage complète une check-list. L’arrière-plan montre l’intérieur chaotique
116 • Chapitre 8 - Un foyer de conflits : le Proche et le Moyen-Orient depuis la fin de la Première Guerre mondiale
de l’hélicoptère où des sacs pendent des bastingages. L’ensemble
de la photographie est rendu confus par la superposition des
verts des treillis.
3. Le document 1 crée un vif contraste entre la joie des vainqueurs et l’humiliation des vaincus entassés dans un camion.
Dans le document 2, le milicien en armes semble écraser de
toute sa stature les Palestiniens en fuite. Anonyme, le dos tourné à l’objectif, il semble incarner une sorte de divinité guerrière
qu’implore en vain la Palestinienne.
La 3e photographie met en valeur la souffrance et les blessures
des soldats d’une armée pourtant invincible. Le contraste est
dans le tacite : l’armée américaine écrase ses adversaires mais,
sur ce cliché, des hommes souffrent et meurent dans l’espace
exigu et confus d’un hélicoptère. Le sac mortuaire semble n’être
qu’un paquet parmi les autres paquetages et débris humains qu’il
transporte.
4. Á l’exception des sourires des soldats israéliens victorieux,
les autres clichés évoquent la peur et l’humiliation des prisonniers égyptiens, l’angoisse et le désespoir des Palestiniens fuyant
devant les milices chrétiennes et la souffrance des soldats
blessés physiquement et moralement. Les choix esthétiques
influencent le spectateur en suscitant notamment sa sympathie
envers les Palestiniens exilés ou les soldats américains blessés.
Les émotions intenses véhiculées par ces clichés sont associées
à la violence extrême de la guerre, laquelle s’est toutefois banalisée du fait de son omniprésence médiatique. Ce constat peut
alimenter une réflexion sur l’esthétique de la violence.
5. Les trois clichés illustrent toutes les postures du combattant : victorieux dans les clichés 1 et 2, prisonnier dans le cliché
1, blessé ou mort dans le cliché 3.
6. Ces photographies illustrent les conflits couverts par les journalistes en fournissant des images de guerre aux médias, qui
montrent des moments décisifs chargés d’émotion.
7. Le premier et le troisième clichés renvoient à des conflits de
haute intensité alors que le deuxième fait référence à une guerre
civile.
Á partir de 1973, l’échec des armées arabes sur la question de
la Palestine ouvre la porte à des négociations en vue de la paix.
• 3e partie : La paix impossible (depuis 1973) ?
Pourtant, malgré des efforts, une résolution de paix semble
difficile.
1. Des tentatives de paix
– Accords de Camp David (1978)
– Accords d’Oslo (1993) : définition de territoires palestiniens et
d’une Autorité palestinienne
2. Mais des éléments de tension demeurent empêchant la
conclusion d’une paix durable
– Terrorisme et guérilla des organisations palestiniennes,
Intifada
– Parti islamiste : Hamas palestinien avec soutien extérieur
(syrien, iranien)
– Développement de colonies juives en Cisjordanie
Sujet en autonomie - Le Moyen-Orient,
une région de conflits aux enjeux stratégiques
depuis les années 1970
Problématique : Quels sont les facteurs de conflits au MoyenOrient depuis les années 1970 ?
Plan
I. Des facteurs durables de tensions régionales
1. Des frontières non acceptées
2. Des lieux saints convoités par des communautés différentes
3. L’or noir au cœur des conflits
II. La montée de l’islamisme et ses conséquences
1. La Révolution islamique en Iran et ses conséquences
2. La recherche de la déstabilisation par le terrorisme international
III. Des enjeux géostratégiques entre des puissances extérieures
à la région
1. Un terrain d’affrontement entre les grandes puissances durant
la Guerre froide
2. L’interventionnisme occidental après 1991
◗ Étude de document(s)
p. 288-293
◗ Composition
Sujet guidé - La Palestine, un foyer de conflits au
Proche-Orient depuis la fin de la Première Guerre
mondiale
4. Développer le sujet
•
2e partie : Les guerres israélo-arabes (1949-1973)
Á partir de 1949, les conflits se multiplient dans la région
et prennent une double dimension, à la fois régionale et
internationale.
1. Des guerres de dimension régionale
– Panarabisme et sionisme : des nationalismes régionaux
– Nasser, Ligue arabe, Ben Gourion : des acteurs régionaux
– La question palestinienne, le Sinaï enjeu territorial : des
enjeux régionaux
– La guerre des Six-Jours (1967) et la guerre du Yom Kippour
(1973) : une dimension régionale de ces conflits armés de haute
intensité ; conquêtes du Golan et de la Cisjordanie, bataille et
annexion de Jérusalem
2. Une internationalisation des conflits
– 1956, la crise de Suez, la guerre des Six-Jours (1967), la guerre
du Yom Kippour (1973) et l’arme pétrolière : des enjeux internationaux et de Guerre froide
– Rôle régional de la France et du Royaume-Uni, rôle régional
des États-Unis et de l’URSS, résolution 242 de l’ONU (1967),
l’OPAEP : des interventions extérieures
Sujet guidé - Le Moyen-Orient, une région
stratégique à l’échelle internationale
Présentation
Il s’agit d’un texte officiel dont l’auteur est Eisenhower, qui vient
d’être réélu à la présidence des États-Unis. Cette déclaration du
5 janvier 1957 donne les orientations futures de la politique étrangère américaine au Moyen-Orient. Elle est destinée au Congrès
américain, qui contrôle la politique étrangère du gouvernement
et vote l’octroi des crédits. Les Américains commencent à s’intéresser à la région après 1945, notamment en Arabie saoudite.
Mais les Européens aussi s’efforcent de maintenir leur présence
dans la région. La France et la Grande-Bretagne contrôlent
le canal de Suez. En effet, après la Seconde Guerre mondiale,
le Proche et le Moyen-Orient occupent une place-clé dans la
production mondiale de pétrole. Le contrôle des zones de production, mais aussi les lieux de passage stratégiques deviennent
dès lors un objectif essentiel de la politique étrangère des puissances industrielles.
Á partir de ce document nous étudierons pourquoi le MoyenOrient apparaît comme une région stratégique à l’échelle
internationale.
Il convient d’abord d’en mesurer les enjeux économiques,
politiques et religieux. Puis, il faudra comprendre pourquoi l’interventionnisme des États-Unis s’est accru après 1957.
•
Le Moyen-Orient est une région stratégique à plusieurs
titres.
La région abrite de nombreux Lieux saints ; en effet, « Le MoyenOrient est le berceau des trois grandes religions mahométane,
Chapitre 8 - Un foyer de conflits : le Proche et le Moyen-Orient depuis la fin de la Première Guerre mondiale
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chrétienne et judaïque. La Mecque et Jérusalem sont autre chose
que des lieux géographiques ». Ainsi, Jérusalem est dite « trois
fois sainte » car elle appartient au patrimoine des trois monothéismes : centre spirituel et foyer religieux pour le judaïsme
avec le mur Occidental ; lieu de la Passion de Jésus pour le christianisme et pour l’islam, Jérusalem serait l’endroit où la tradition
localise les songes de Mahomet. La Mecque et Médine jouent
un rôle essentiel autour des combats de Mahomet pour imposer
l’islam dans la péninsule arabique.
Les enjeux politiques dans la région s’articulent autour de rivalités de puissances dans le cadre de la Guerre froide. Au nom
des États-Unis, Eisenhower s’appuie sur la menace que représente le « matérialisme athée » de l’URSS pour combattre son
influence au Moyen-Orient. La signature du Pacte de Bagdad
en 1955 sous l’impulsion des États-Unis est clairement tournée
contre cette puissance rivale. En 1956, lors de la crise de Suez,
la volonté de ces deux superpuissances d’étendre leur influence
au Moyen-Orient les pousse à faire pression sur la France et la
Grande-Bretagne pour qu’elles mettent un terme à leurs interventions militaires.
Les enjeux économiques sont tels que la région attise la convoitise des puissances occidentales attirées par les « gisements de
pétrole ». Dès le début du xxe siècle, les Britanniques obtiennent
des droits d’exploitation en Iran, Irak, puis dans les Émirats du
Golfe persique. Les Américains commencent à s’intéresser à la
région après 1945, notamment en Arabie saoudite. Leur politique repose sur deux axes : contrôler la mise en valeur de la
production pétrolière du Proche-Orient et préserver les droits
de concession des Américains. Cette exploitation se fait par le
biais des Majors qui prennent des participations majoritaires
dans les sociétés pétrolières et obtiennent des concessions dans
la région, en échange de royalties. Jusque dans les années 1970,
alors que la production du Proche et du Moyen-Orient représente 37 % de la production mondiale, ces sociétés d’exploitation
sont principalement américaines (Standard Oil, Texaco, Mobil)
ou européennes (British Petroleum, Royal Dutch Shell).
Ces intérêts contribuent à créer des tensions au Moyen-Orient.
Ainsi en Iran, alors que les concessions pétrolières étaient exploitées par l’Anglo-Iranian Company, dont le principal actionnaire
était l’État britannique, le Shah décide en 1951 de nationaliser
toute l’industrie pétrolière et Mossadegh, qui a joué un rôle-clé
dans cette mesure, devient Premier ministre. Deux ans plus tard,
les services secrets américains et britanniques appuient un coup
d’État qui le renverse.
• La doctrine Eisenhower se situe dans le prolongement de la
doctrine Truman. En effet, les « programmes d’assistance militaire et de coopération » rappellent le soutien économique et
financier que Truman jugeait indispensable à la stabilité économique et politique des pays européens libérés du joug nazi mais
détruits et ruinés. En 1945, les États-Unis mobilisent leurs dollars et leurs armées pour assurer leur redressement par le plan
Marshall et le pacte Atlantique.
Mais l’interventionnisme américain répond aussi à une politique
de puissance qui ne prend pas en compte uniquement les intérêts des États ou des populations de cette région. Il s’agit de
s’assurer une présence politique dans une région qui est aussi
convoitée par l’URSS, l’autre superpuissance de cette période.
Il répond aussi au souci économique de s’approvisionner en
pétrole.
C’est pourquoi, après la crise de Suez en 1956, qui montre l’intérêt stratégique du canal et le danger d’une prise de contrôle de
celui-ci par des alliés de l’URSS (en l’occurrence ici l’Égypte de
Nasser), les États-Unis décident de renforcer leur intervention
au Moyen-Orient.
Lors des guerres israélo-arabes de 1967 et 1973, ils soutiennent
Israël, alors que l’URSS livre des armes aux États arabes de la
région. En 1979, la Guerre froide gagne l’Afghanistan, où les
Soviétiques interviennent militairement pour soutenir un régime
prosoviétique installé à Kaboul, contre des moudjahidines
montagnards, armés par les États-Unis. Enfin, le contrôle des
ressources pétrolières jouent un rôle essentiel dans les interventions américaines lors des deux guerres du Golfe (1991 et 2003).
Sujet en autonomie - Le Proche-Orient
et le Moyen-Orient, une région convoitée
Présentation Il s’agit d’un discours adressé par Nasser à N. Khrouchtchev alors
que celui-ci se rend au Caire en 1964. Khrouchtchev est le secrétaire du PCUS qui ouvre la période de coexistence pacifique avec
l’autre superpuissance de la Guerre froide, les États-Unis, tout
en s’efforçant d’étendre la zone d’influence du communisme.
Les liens entre l’Égypte et l’URSS ne sont pas nouveaux : en
1952, des militaires égyptiens renversent la monarchie pro-britannique du roi Farouk et installent un gouvernement soutenu
par l’URSS. Nasser est qualifié de raïs (président) de l’Égypte en
1954, il devient l’un des principaux leaders panarabes en 1956 en
nationalisant le canal de Suez et grâce au soutien soviétique.
Cette période correspond à la volonté des pays producteurs de
pétrole de récupérer la propriété de leurs ressources naturelles
en nationalisant les gisements. La création de l’OPEP en 1960
s’inscrit aussi dans cette perspective.
• Les luttes d’influence se traduisent dans plusieurs domaines.
– Luttes d’influence dans le domaine militaire : volonté des
puissances d’établir des bases et de fournir les États de la région
en armement. L’auteur évoque les tentatives avortées des ÉtatsUnis pour installer des bases militaires dans les pays arabes. Il
souligne aussi le soutien logistique des États-Unis à Israël avec
la présence de « base hostile ».
– Luttes d’influence dans le domaine économique avec la volonté officielle d’œuvrer pour le développement : les puissances
rivalisent pour équiper les pays de la région en infrastructures
à l’instar du barrage que l’URSS se propose de construire en
Égypte.
• Luttes d’influence qui atteignent leur paroxysme lors des
crises dans la région.
– La création de l’État d’Israël en 1948 avec le soutien des puissances occidentales (« les forces impérialistes avaient établi, au
milieu de la terre arabe, une base hostile menaçant sa sécurité »).
– La crise du canal de Suez en 1956 et le soutien de l’Union
soviétique « aux côtés du peuple égyptien dans sa confrontation
aux agressions des impérialistes qui voulaient envahir son ciel et
ses côtes, lui arrachant son canal ».
• Mais ces luttes d’influence pour contrôler le Proche et le
Moyen-Orient présentent des limites.
– Certains pays s’inscrivent dans une politique de non-alignement, le « non engagement ». Nasser et Nehru en sont les
principaux leaders.
– Les pays qui profitent de l’aide d’une des superpuissances ne
tardent pas parfois à leur reprocher un « néocolonialisme ».
• Néanmoins, la position de Nasser n’est pas sans ambiguïté.
En effet, en précisant son orientation socialiste à partir de 1962,
l’Égypte devient, avec l’Inde, le pays du tiers-monde le plus aidé
par l’URSS, militairement et économiquement, ce qui tend à
nuancer la notion de « non-engagement ».
Sujet en autonomie - La difficile reconstruction
irakienne
Présentation
Le premier document est l’extrait d’un article paru dans le
Washington Post en avril 2003 écrit par Rajiv Chandrasekaran.
Le deuxième document est un dessin de presse paru dans The
Economist à Londres en 2003.
118 • Chapitre 8 - Un foyer de conflits : le Proche et le Moyen-Orient depuis la fin de la Première Guerre mondiale
•
Les enjeux majeurs dans le cas de l’Irak visent d’abord à contrôler
les ressources pétrolières mais aussi à contrebalancer la position
de l’Iran dans la région.
•
Mais ces mesures rencontrent des limites à plusieurs niveaux.
Certes, le renversement de la dictature de Saddam Hussein a
rencontré l’assentiment d’une grande partie des populations
locales mais le pays reste très divisé entre communautés.
De plus, la présence occidentale heurte les sentiments religieux
et nationalistes. Or, pour ces « bataillons de religieux, de cheikhs
et de dirigeants de l’opposition (…) [qui] se sont emparés sans
aucune permission du pouvoir, la présence des Américains et de
leurs alliés s’apparente à une force d’occupation ».
C’est pourquoi, après avoir remporté une victoire militaire, les
Américains et leurs alliés britanniques, à l’image des deux soldats qui y sont « jusqu’au cou », s’embourbent dans une paix
qu’ils ont du mal à enraciner et qui laisse présager qu’une nouvelle poudrière est en train de se former. En effet, les « imams
et cheiks » tendent à contrôler le pays et à « réislamiser » la
société irakienne.
© Hachette Livre
Cette année correspond à l’intervention d’une coalition
armée d’États dirigés par les États-Unis en Irak. Ces derniers
souhaitent renverser Saddam Hussein, accusé de fabriquer
des armes de destruction massive, et affirment vouloir stabiliser et reconstruire un pays pacifié selon les principes du nation
building. Néanmoins, les difficultés se multiplient et perdurent
comme le soulignent les deux documents.
• Les mesures des États-Unis et de leurs alliés, dont les
Britanniques, sont multiples en vue de réaliser le nation building :
– donner à l’opposition de Saddam Hussein les moyens militaires de le combattre, en particulier aux « religieux, de cheikhs
et de dirigeants de l’opposition » ;
– envoyer des « militaires et des équipes civiles » pour assurer
une formation et l’encadrement d’après-guerre, en particulier pour donner au gouvernement d’intérim les moyens de se
stabiliser.
Cette théorie géopolitique a été développée par les néo-conservateurs américains et repose sur l’idée selon laquelle une puissance
extérieure peut animer la recomposition politique, économique et
militaire d’un État dans le but de s’en faire un allié.
Chapitre 8 - Un foyer de conflits : le Proche et le Moyen-Orient depuis la fin de la Première Guerre mondiale
• 119
 4 Les échelles de gouvernement dans le monde
de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours
 9
Gouverner la France depuis 
p. 296-327
Thème 4 – Les échelles de gouvernement dans le monde de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours
Question
Mise en œuvre
L’échelle de l’État-nation
Gouverner la France depuis 1946 : État, gouvernement et administration.
Héritages et évolutions.
◗ Nouveauté du programme de terminale
« Gouverner la France depuis 1946 » est un thème nouveau.
Dans les anciens programmes de classes de terminale, la France
de la seconde moitié du xxe siècle faisait l’objet de plusieurs
chapitres consacrés à la vie politique mais qui n’interrogeaient
pas le fait même de gouverner, ce qui implique désormais une
attention accrue aux formes mais aussi aux pratiques de gouvernement. Ce chapitre doit donc dépasser le récit chronologique
des régimes politiques pour mettre en lumière la composition
du personnel politique et la nature des choix gouvernementaux.
◗ Problématiques scientifiques du chapitre
Le titre du chapitre, « Gouverner la France depuis 1946 », mobilise
des notions souvent plus familières aux juristes et aux politistes
qu’aux historiens. Une telle thématique permet toutefois de
mettre en lumière le renouveau de l’histoire de l’État en France.
Étudier l’État en historien implique de ne pas se cantonner à un
énoncé juridique mais à prendre en compte les évolutions chronologiques, à relier l’histoire de l’Administration aux soubresauts
de la vie politique mais aussi à l’histoire économique et sociale.
Les réformes des retraites ou de la Sécurité sociale s’expliquent
par les mutations démographiques et économiques, même si
elles relèvent aussi, in fine, de choix politiques.
◗ Quelques notions-clés du chapitre
© Hachette Livre
•
Administration : le terme d’« administration » recouvre deux
significations. Il désigne en effet tout à la fois une activité et
une catégorie de personnels. En France, le personnel de l’administration relève de la fonction publique, elle-même subdivisée
en trois corps distincts : la fonction publique d’État, la fonction
publique hospitalière et la fonction publique territoriale. Dans
le cas du présent chapitre, l’intitulé « Gouverner la France »
implique de centrer l’attention sur la haute administration et
notamment sur ses liens avec le politique.
• Politique publique : la notion de politique publique est essentiellement familière aux politistes. Elle peut se résumer comme
un ensemble de mesures concrètes, qui comporte des décisions
de nature plus ou moins autoritaire, s’inscrit dans un cadre général d’action, implique des modifications dans la vie d’un public
et doit avoir des buts définis (Y. Mény, J.-C. Thoenig, Politiques
publiques, PUF, 1989). Son objet peut être culturel, social ou politique. Elle fait principalement l’objet des Études 4 et 5, et de la
Leçon 3 mais trouve également un prolongement dans la page
Histoire des Arts.
• Gouvernement/Gouvernance : appliquée à la politique, la
notion de gouvernance est essentiellement issue du vocabulaire anglo-saxon, malgré de lointaines origines françaises. Son
usage s’est diffusé en France à l’extrême fin du xxe siècle. La
gouvernance est pensée comme une manière, non dénuée de
connotations morales, de gérer les affaires publiques dans un
120 • Chapitre 9 - Gouverner la France depuis 1946
souci de transparence et de recherche du consensus. Elle est
employée par de nombreux dirigeants, de Barack Obama lors
de son voyage en Afrique en 2009 à Jean-Pierre Raffarin (devenu
ensuite Premier ministre) qui en fait le titre d’un ouvrage (Pour
une nouvelle gouvernance, L’Archipel, 2001).
D’après Philippe Moreau Defarges (La Gouvernance, PUF,
2003), « les notions de gouvernement et de gouvernance sont
connexes. Leur domaine d’action est le même : l’organisation
et la gestion des structures collectives (entreprises, États, organisations internationales) ». Ce qui les sépare notamment c’est
leur fonctionnement : « un gouvernement est un organe institutionnel. Installé au sommet de la hiérarchie étatique, il donne
des ordres qui descendent de haut en bas de l’échelle sociale.
La gouvernance n’est pas une entité, c’est un système rejetant
toute hiérarchie ». Les décisions sont le résultat d’une négociation globale à laquelle participent de multiples acteurs sans lien
hiérarchique entre eux.
◗ Débat historiographique
Modèle français : choisir l’exemple de la France suppose une
exemplarité ou une originalité du mode de gouvernement de ce
pays depuis 1946. L’expression qui vient rapidement à l’esprit est
donc celle de « modèle français ». Celui-ci peut se définir comme
un système où l’État assure un rôle moteur dans les choix économiques et où son action politique est mâtinée de protection
sociale. Ce modèle français, élaboré pour l’essentiel dans l’élan
de la Libération, s’est principalement cristallisé durant les Trente
Glorieuses. Depuis la crise économique des années 1970, il est
régulièrement remis en question.
Le modèle français s’appuie, dès la période 1944-1946, sur un
compromis entre l’État et les groupes sociaux qu’il associe
à la gestion du modèle (R. Kuisel, Le Capitalisme et l’État en
France : modernisation et dirigisme au xxe siècle, préface de J.-N.
Jeanneney, Gallimard, 1984). Les caisses de Sécurité sociale sont
cogérées par des représentants des salariés. Les entreprises
qui font l’objet d’une appropriation collective sont déclarées
nationalisées, et non étatisées, pour marquer cette volonté de
participation de la société aux orientations de l’économie. L’État
renforce peu à peu son emprise sur ce processus, animé par une
élite technocratique issue de manière croissante de son école
phare de formation (l’ENA). L’intervention de l’État se déploie
alors dans tous les secteurs de l’économie et de l’administration
du territoire (plan Jeanneney en 1960, lois d’orientation agricole
de 1960 et 1962, création de la DATAR en 1964, schéma directeur d’aménagement urbain de la région parisienne en 1965,
plan Calcul de 1966 pour l’informatique…). Les limites de l’État
sont toutefois atteintes lorsque la crise se développe dans les
années 1970, malgré de nombreuses interventions destinées
à sauver ce qui peut l’être (E. Cohen, L’État-brancardier : politiques du déclin industriel, 1974-1984, Calmann-Lévy, 1989). Les
◗ Bibliographie sélective et sitographie
Ouvrages
M.-O. Baruch, Servir l’État français. L’Administration en France
de 1940 à 1944, Fayard, 1997.
M.-O. Baruch, V. Duclert (dir.), Serviteurs de l’État, une histoire
politique de l’Administration française 1875-1945, La Découverte,
2000.
M. Bernard, Histoire politique de la Ve République, Armand Colin,
2008.
J.-L. Bodiguel, M.-C. Kessler, L’École nationale d’administration,
préface de M. Debré, Presses de la FNSP, 1978.
D. Chagnollaud, Le Premier des ordres. Les hauts fonctionnaires
(xviiie-xxe siècles), Fayard, 1991.
D. Chagnollaud, J.-L. Quermonne, Le Gouvernement de la
France sous la Ve République, Fayard, 1996.
P. Gauchon, Le Modèle français depuis 1945, PUF, 2008.
P. Poirrier, L’État et la culture en France au xxe siècle, Librairie
Générale Française, 2006.
P. Rosanvallon, Le Modèle politique français. La société civile
contre le jacobinisme, Seuil, 2004.
Sites internet
http://www.assemblee-nationale.fr/
http://www.gouvernement.fr/gouvernement/etat-et-collectivites
http://www.service-public.fr : site de l’administration française.
http://www.senat.fr/
Introduction au chapitre
p. 296-297
Il s’agira ici d’expliquer le choix des problématiques (quelles
notions-clés interrogent-elles ? pertinence par rapport au
programme ? écueils à éviter…), d’expliquer le choix des 2 documents d’ouverture (contextualisation, intérêt pédagogique de
leur confrontation : révéler une évolution, une opposition, une
complémentarité, une rupture/continuité), de présenter l’intérêt de la frise au regard du chapitre (choix de la périodisation,
des entrées thématiques).
Les deux photographies qui servent de documents d’ouverture
illustrent tout à la fois le rôle prépondérant du chef de l’État
dans les institutions politiques de la Ve République et la variété
des domaines d’intervention de l’État en France.
→Doc. 1 : Le président de la République, Charles de Gaulle, et
le ministre de la Culture, André Malraux, inaugurent la maison
de la Culture de Bourges en 1965.
La maison de la Culture de Bourges, inaugurée dès 1964, est
l’objet d’une nouvelle inauguration en présence du chef de l’État
en 1965. Elle témoigne de l’intérêt accordé par le gouvernement
français à une politique culturelle ambitieuse.
→Doc. 2 : Le président de la République, Jacques Chirac,
accompagné du Premier ministre, Lionel Jospin, du ministre
de la Défense et des chefs d’état-major, passe en revue les
troupes, le 14 juillet 1999.
Ce document présente un défilé du 14 juillet, manifestation traditionnelle de l’attachement montré par la France à son armée.
Celui de 1999 a lieu en période de cohabitation et illustre aussi
la hiérarchie visible pour l’occasion entre le président de la
République, chef des armées, et le Premier ministre, qui marche
en retrait du chef de l’État.
→Frise La frise prend le parti de distinguer deux périodes dans l’intervention de l’État en matière économique et sociale. De la
Libération aux années 1980, l’État est le moteur de la planification économique et le maître d’œuvre de la protection sociale.
Il intervient directement dans la gestion des entreprises par des
opérations de nationalisation. Les années 1980, avec la succession rapprochée des dernières nationalisations et des premières
privatisations, l’insertion de plus en plus forte dans la construction européenne (Acte unique en 1986) et la décentralisation
marquent une érosion du pouvoir de l’État, qu’il convient toutefois de ne pas exagérer puisque de multiples mesures (35 heures,
RSA…) illustrent sa participation toujours possible aux choix
économiques et sociaux.
Repères
p. 298-301
La vie politique française depuis 1946
La lecture des pages « Repères » semble nécessaire pour des
élèves n’ayant pas eu de cours construit de façon chronologique
sur les régimes politiques de la France depuis 1946.
Un premier temps consacré au GPRF (Gouvernement provisoire
de la République française) permet de resituer le contexte des
grandes réformes entreprises en 1944-1946. La succession des
régimes politiques puis des présidents de la République et des
gouvernements a donc été adoptée comme moyen commode de
livrer aux élèves quelques repères chronologiques clairs (cf. frise).
Le document 3 et la ventilation des groupes de plusieurs législatures (doc. 2, 4, 5 et 6) peuvent permettre à l’enseignant de
brosser un rapide tableau des forces politiques en France, en
liaison avec la Leçon 2 éventuellement.
Étude 1
p. 302-303
Le chef de l’État : de la magistrature suprême
à l’hyper présidence ?
En France, la fonction de chef de l’État connaît durant la période
considérée des changements profonds. À la différence de la plupart des pays européens, le chef de l’État intervient de manière
importante dans le gouvernement de la nation. C’est pourquoi
il semble logique d’ouvrir par une étude sur le président de la
République le chapitre intitulé « Gouverner la France depuis
1946 ».
→Doc. 1 : Des pouvoirs présidentiels limités, selon Vincent
Auriol.
Vincent Auriol, militant socialiste de longue date, ancien ministre
du Front populaire, est élu président de la République en 1947. Il
tient durant son septennat un journal sur ses activités présidentielles. Cette source précieuse ne contient pas nécessairement
de longues réflexions sur l’exercice de sa fonction mais de nombreuses annotations concrètes qui permettent d’en dessiner les
Chapitre 9 - Gouverner la France depuis 1946
• 121
© Hachette Livre
années 1980 marquent la remise en question du modèle, en raison de la diversification de la pensée politique et économique
de la gauche, avec l’émergence d’une deuxième gauche, moins
jacobine en matière administrative mais aussi moins dirigiste,
l’influence du libéralisme refondé outre-Manche et outre-Atlantique (Margaret Thatcher et Ronald Reagan sont des exemples
observés par le gouvernement Chirac de 1986) et enfin l’intégration européenne croissante, qui conduit François Mitterrand à
choisir le tournant de la rigueur plutôt que le repli sur un modèle
national plus singulier. Les politiques conduites par les gouvernements, quelles que soient leur orientation et leurs différences,
s’inscrivent dès lors dans une logique d’ouverture économique
et d’érosion du poids de l’État (par le biais des privatisations
notamment). L’influence du modèle français perdure essentiellement dans le maintien d’une protection sociale de qualité,
dont les gouvernements successifs tentent d’assurer le financement (Michel Rocard institue la CSG, Contribution Sociale
Généralisée, en 1991, Alain Juppé le RDS, Remboursement de la
Dette Sociale, en 1996), voire d’étendre la portée (Lionel Jospin
met en place la CMU, Couverture Maladie Universelle, en 1999).
contours. Les trois extraits regroupés ici tracent les limites assignées par Vincent Auriol au pouvoir présidentiel.
→Doc. 2 : Vincent Auriol tentant de trouver un chef de
gouvernement.
Sennep est l’un des plus fameux caricaturistes de la presse
conservatrice. Après avoir dessiné pour un journal d’extrême
droite durant les années 1930, il s’est engagé dans la Résistance
et partage durant la IVe République la critique gaullienne des
partis politiques. Il est donc logique de retrouver ici son humour
ravageur sur l’instabilité ministérielle. Cette caricature illustre
la difficulté pour le chef de l’État de trouver un président du
Conseil capable d’obtenir la confiance de l’Assemblée et de gouverner dans la durée. Au-delà de la caricature, ce dessin illustre
aussi une relative marge de manœuvre d’un chef de l’État qui,
arbitre suprême, peut jouer avec les étiquettes politiques (ici de
la SFIO au MRP et aux radicaux-socialistes) et les rivalités individuelles. Le phénomène n’est pas nouveau puisque Jules Grévy
en usait déjà à l’encontre de Léon Gambetta…
→Doc. 3 : La prépondérance du président selon Charles de
Gaulle.
Charles de Gaulle, président de la République depuis 1959 (il fut
élu en 1958 mais sa prise de fonction date de 1959), affectionne
particulièrement l’exercice de la conférence de presse (cf. chapitre 4, Leçon 2 doc. 2). Il expose en janvier 1964 sa conception
du rôle (étendu) du chef de l’État.
→Doc. 4 : « La cohabitation », caricature de Plantu.
Plantu est l’un des plus célèbres caricaturistes de la presse française. Depuis 1985, un dessin de lui orne quotidiennement la une
du journal Le Monde. En novembre 1986, il choisit de montrer la
relative impuissance du chef de l’État face à un gouvernement
qui tire sa légitimité des élections législatives du printemps 1986
et non de l’élan provoqué par son accession à l’Élysée, comme
la majorité socialiste qui exerçait le pouvoir durant la période
1981-1986. Sur la caricature, on reconnaît distinctement Jacques
Chirac (Premier ministre) et François Mitterrand (président de la
République), qui sont d’ailleurs les deux seuls à s’exprimer. Les
ministres sont réduits au rang de groupe indistinct et la dyarchie
au sommet de l’État est ainsi accentuée par cette mise en avant
des deux principaux protagonistes.
◗ Texte argumenté
Depuis 1946, la fonction présidentielle présente plusieurs continuités
mais également des évolutions sensibles. L’élément de continuité le
plus évident est le pouvoir de nomination du chef du gouvernement
par le président de la République. Le Premier ministre doit toutefois
disposer d’une majorité à l’Assemblée, ce qui peut occasionner une
cohabitation entre deux hommes politiques de tendance différente
lorsque le parti du chef de l’État ne remporte pas les élections législatives. Le président de la République occupe une place de plus en
plus importante dans la vie politique, notamment par la modification de la Constitution de 1958 qui fait élire le président au suffrage
universel direct. Cette présidentialisation du régime est accentuée
lorsque le chef de l’État se révèle interventionniste : il y a loin de
Vincent Auriol à Nicolas Sarkozy !
Étude 2
p. 304-305
→Doc. 5 : L’élection présidentielle selon Lionel Jospin.
Les référendums, expression politique de la nation
L’inversion du calendrier change la nature du régime. Lionel
Jospin subordonne en effet les élections législatives aux élections
présidentielles, c’est-à-dire d’une certaine manière le pouvoir
législatif au pouvoir exécutif. Placer les élections législatives
immédiatement après les élections présidentielles minimise
aussi la probabilité d’une cohabitation, moment d’équilibre entre
les deux têtes de l’exécutif.
Les élections rythment de façon régulière la vie politique dans
une démocratie. La pratique du référendum est plus singulière.
Largement utilisée sous forme de plébiscite par les empereurs du
xixe siècle (Napoléon Ier puis Napoléon III), la consultation des
citoyens sur une question précise a été ensuite frappée d’ostracisme par les républicains. Elle ne retrouve droit de cité qu’en
1945 et 1946 seulement, au moment où les Français sont appelés
à choisir une nouvelle Constitution. Le référendum est ensuite à
nouveau délaissé jusqu’au changement de République, en 1958. Il
devient véritablement un moyen de consultation des citoyens par
le recours répété du premier président de la Ve République, Charles
de Gaulle. Utilisé à de multiples reprises depuis 1958, il constitue un
bon moyen d’étudier l’expression politique de la nation.
→Doc. 6 : La pratique du pouvoir de Nicolas Sarkozy analysée
par un historien.
Mathias Bernard, président de l’université Blaise-Pascal de
Clermont-Ferrand, est spécialiste d’histoire politique de la
France. Dans son manuel sur la Ve République, il associe la mise
en récit de la vie politique française à une analyse plus structurale des acteurs institutionnels. Il étudie ici la pratique du
pouvoir présidentiel par Nicolas Sarkozy, dont le style de gouvernement rompt avec celui de ses prédécesseurs, à la parole
plus rare.
◗ Réponses aux questions
© Hachette Livre
(tant de son chef, le président du Conseil, que du ministre des
Affaires étrangères, dans le passage cité).
3. L’élection du président de la République au suffrage universel
direct fait de la désignation du chef de l’État un moment-clé
de la vie politique. Par l’onction populaire qu’elle suppose, elle
renforce la légitimité du président de la République par rapport
au Premier ministre et même aux députés. Le président de la
République incarne l’autorité de l’État.
4. L’auteur du texte met en lumière la hiérarchisation croissante
entre le président de la République et le Premier ministre, considéré comme un « collaborateur ». L’usage abondant qui est fait
des médias exprime également une plus grande présence de la
parole présidentielle dans l’espace public.
5. En période de cohabitation, le chef du gouvernement émane
de la majorité parlementaire (en fait, de la majorité de l’Assemblée nationale), dont la tendance politique est différente de celle
du président. C’est cette situation que matérialise le propos de
Jacques Chirac dont la légitimité provient du Parlement et non
du président de la République.
6. Le surinvestissement du chef de l’État dans la vie politique
comporte un risque de banalisation de la fonction présidentielle
et de lassitude vis-à-vis de sa personne.
1. Le président de la République est réputé au-dessus des partis.
Il nomme dans la majorité parlementaire le chef du gouvernement, dont la fonction est toujours distincte de celle du chef de
l’État.
2. Vincent Auriol définit une présidence dont les choix et les
prises de position doivent coïncider avec ceux du gouvernement
122 • Chapitre 9 - Gouverner la France depuis 1946
→Doc. 1 : Les référendums organisés en France depuis 1958.
Le tableau proposé vise à restituer le nombre et la variété des
référendums organisés en France depuis 1958. Il livre également
leur résultat et le taux de participation, élément essentiel pour
apprécier l’appropriation de ce mode d’expression de la citoyenneté par les électeurs français.
→Doc. 2 : Extraits de la Constitution de la Ve République sur
le référendum.
Le référendum est explicitement prévu dans la Constitution de
la Ve République. Les deux articles reproduits ici permettent d’en
mesurer le sens et la portée. L’article délimite le champ d’action
du référendum. Celui-ci peut concerner aussi bien l’organisation des pouvoirs publics que la politique économique et sociale
ou encore la ratification des traités internationaux. L’article 89
énonce les conditions à remplir pour recourir au référendum
en matière de révision constitutionnelle. Son initiative relève
du président de la République, « sur proposition du Premier
ministre », et des parlementaires. Le contenu du projet ou de la
proposition doit faire l’objet d’un vote par les deux assemblées
en termes identiques. C’est la transgression de cette règle qui
provoqua une vive controverse institutionnelle en 1962 entre
Charles de Gaulle et l’opposition (conduite notamment par le
président du Sénat, Gaston Monnerville).
→Doc. 3 : Le référendum local.
Ce document est consacré à une possibilité moins connue de
recourir au référendum afin de faire participer les citoyens à
la vie publique. Il s’agit du référendum décisionnel local, qui
consiste pour une collectivité territoriale à solliciter l’avis des
citoyens de sa circonscription à un choix d’intérêt local. Peu
utilisé, il constitue pourtant une pratique démocratique non
dénuée d’intérêt pour faire participer les citoyens, sinon « aux
choix de la nation », du moins à la vie publique.
→Doc. 4 : Affiche pour le « oui » diffusée en 1962.
Le référendum, comme toute élection, est matière à affichage.
Le document reproduit ici est une affiche en faveur du oui au
référendum d’octobre 1962 proposant d’instituer l’élection du
président de la République au suffrage universel direct. Sur
fond noir, elle présente un texte tricolore, aux couleurs du drapeau français. Le message est simple : ses concepteurs veulent
persuader le citoyen que son influence va augmenter avec le
changement de mode de scrutin. Il est renforcé par la main qui
sort en quelque sorte de l’affiche pour désigner le passant.
→Doc. 5 : Campagne pour le référendum de 1962.
Ce document reproduit lui aussi une campagne d’affichage,
pour le même référendum d’octobre 1962. Trois panneaux y sont
visibles, côte à côte. Le premier panneau est occupé par l’UNR,
formation gaulliste dont le message associe le choix référendaire
et le soutien à Charles de Gaulle. Ce faisant, l’UNR nourrit les
arguments souvent opposés à la pratique du référendum car son
enjeu dépasse la seule question posée. Le deuxième panneau
exprime l’opposition résolue du PCF, affirmée par la répétition
du non sur l’affiche. Enfin, le troisième panneau montre la distance désormais visible entre les gaullistes et leurs alliés de 1958,
les indépendants et paysans, hostiles à la forme nouvelle prise
par la Ve République.
République au suffrage universel direct est approuvée par
62,25 % des suffrages exprimés.
5. La pratique des référendums locaux permet aux citoyens de
pouvoir peser directement sur les décisions qui engagent leur
vie quotidienne.
◗ Texte argumenté
Le référendum fait participer les citoyens aux choix de la nation
sur des sujets très variés. La décolonisation, l’intégration européenne et l’organisation des institutions (choix du mode de scrutin
de l’élection présidentielle, durée du mandat présidentiel, nature de
la seconde Chambre…) sont les principaux. Les électeurs sont alors
amenés à se prononcer, non sur un programme varié comme c’est le
cas lors des scrutins présidentiels ou législatifs, mais sur des questions précises, où le choix se réduit à oui ou non. De manière plus
récente, les citoyens sont aussi sollicités pour exprimer de tels choix
à l’échelle locale, et non plus seulement nationale.
Leçon 1
p. 306-307
L’évolution des institutions
« Gouverner la France depuis 1946 » invite à une approche thématique. Une vision réaliste conduit pourtant à présenter une
première leçon sur les institutions de manière chronologique.
En effet, malgré les pages « Repères », les élèves peuvent avoir
besoin de s’appuyer sur une vision diachronique des phénomènes
politiques. La leçon vise donc, de façon classique, à illustrer le
passage d’une démocratie parlementaire (la IVe République)
à un système où l’exécutif prend de plus en plus le pas sur le
pouvoir législatif (la Ve République), en dépit de la lettre des
institutions, qui définit toujours un régime parlementaire où le
gouvernement est responsable devant l’Assemblée nationale. Le
troisième paragraphe introduit une autre mutation intervenue
postérieurement, dans les années 1980 : la décentralisation et
l’exercice croissant du gouvernement à l’échelle locale, non sans
débats.
→Doc. 1 : Évolution des effectifs de la fonction publique.
L’évolution des effectifs de la fonction publique distingue les
trois catégories existantes (fonction publique d’État, fonction
publique territoriale et fonction publique hospitalière). Elle
illustre la progression globale des effectifs depuis 30 ans, contredisant ainsi la vision univoque d’une régression de l’État dans
l’administration de la France.
◗ Réponse à la question
1. Les référendums organisés sous la V République portent sur
e
trois thèmes. Les sujets les plus nombreux faisant l’objet d’un
référendum visent à réformer les institutions (1958, 1962, 1969,
2000). La construction européenne motive l’organisation de
trois référendums (1972, 1992, 2005). La situation de territoires
français en voie d’autonomisation ou d’indépendance constitue
enfin le dernier thème (1961, 1962, 1988).
2. Les modifications profondes de la Constitution (1958 et 1969)
correspondent aux taux de participation les plus élevés lors des
référendums. Elles mobilisent davantage les citoyens que les
questions dont les conséquences sur la vie politique de la majorité des Français semblent moins perceptibles (1972, 1988, 2000).
3. Par cette campagne d’affichages d’allure classique, l’UNR
(Union pour la Nouvelle République), soutien du président
Charles de Gaulle, tente de mobiliser les électeurs en faveur du
régime lui-même (« Oui à la Ve République », pourtant officiellement en place depuis 1958…).
4. Le citoyen devient un acteur direct de la vie politique française, ici du choix du chef de l’État. Le résultat du référendum
de 1962 est favorable, puisque l’élection du président de la
1. Les effectifs de la fonction publique ont surtout augmenté
dans la fonction publique territoriale, en liaison avec les différentes phases de la décentralisation.
→Doc. 2 : Constitution de la IVe République.
→Doc. 3 : Constitution de la Ve République.
Sous la IVe République, l’Assemblée nationale constitue la
majorité du corps électoral présidentiel (puisque les députés
sont plus nombreux que les conseillers de la République). Le
président du Conseil (chef du gouvernement) peut dissoudre
l’Assemblée nationale, dans des circonstances très codifiées qui
en limitent l’usage. Sous la Ve République, c’est le président de
la République qui dispose de ce droit de dissolution. De plus, il
ne tire pas sa légitimité du Parlement, qui compte fort peu dans
le collège électoral dont il est issu au début du régime et qui
perd son rôle électif à partir de la révision constitutionnelle de
1962, qui conduit à l’élection du chef de l’État au suffrage universel direct. Enfin, le gouvernement dispose, avec le système des
ordonnances et de l’article 49.3, d’un moyen de court-circuiter le
Parlement dans son rôle législatif.
Chapitre 9 - Gouverner la France depuis 1946
• 123
© Hachette Livre
◗ Réponses aux questions
◗ Réponse à la question
1. L’Assemblée nationale affirme sa prépondérance sous la IVe
République car elle est la seule institution à être élue au suffrage
universel direct. De plus, les députés jouent un rôle-clé dans
l’élection du président de la République. Enfin, la mise en œuvre
de la dissolution de l’Assemblée par le chef de gouvernement
n’est pas aisée. Sous la Ve République, c’est le président de la
République, élu lui aussi désormais au suffrage universel direct
(à partir de 1965), qui jouit d’un droit de dissolution plus aisé à
prononcer. De plus, le gouvernement dispose, avec le système
des ordonnances et de l’article 49.3, d’un moyen de légiférer en
court-circuitant le Parlement.
Étude 3
p. 308-309
L’ENA, une élite au service de l’État
Souvent brocardé, le corps des énarques compose une part non
négligeable des élites de l’État. Lui consacrer une étude reconnaît cette importance symbolique mais permet aussi de rappeler
les conditions de sa naissance, de mettre en lumière son recrutement et d’illustrer le devenir de ses membres en tentant de
mesurer leur adéquation aux missions confiées à leur formation.
→Doc. 1 : La création de l’ENA.
L’ordonnance du 9 octobre 1945 qui crée l’École nationale d’Administration en définit clairement les objectifs mais explicite aussi
les conditions d’accès à l’institution et le statut de ses élèves. La
création de l’ENA vise à doter la France d’une école de formation généraliste en matière administrative et de démocratiser
ainsi le corps des hauts fonctionnaires, jusque-là tributaire dans
son recrutement de concours jugés trop élitistes (le concours
du Quai d’Orsay) et souvent de nature privée (l’École libre des
Sciences Politiques). Un projet d’École nationale d’Administration avait été présenté par Jean Zay et adopté par la Chambre
des députés le 27 janvier 1938. Le Sénat n’avait pas eu le temps
de l’examiner avant la Seconde Guerre mondiale. Michel Debré,
père de l’ENA après le conflit, avait participé à la réflexion sur
cette école durant les années 1930.
→Doc. 2 : Affectation des élèves achevant leur scolarité en
décembre 2011.
Le tableau est issu de données disponibles sur le site de l’ENA
(http://www.ena.fr). Il présente l’intérêt évident de fournir les
affectations par institution publique des énarques. Il montre
notamment leur diffusion dans l’ensemble des administrations.
© Hachette Livre
→Doc. 3 : Origine professionnelle et sociale des élèves de
l’ENA issus du premier concours durant les années 1960.
Jacques Mandrin est le pseudonyme adopté par un petit groupe
d’énarques contestataires qui adhèrent à la SFIO en 1966
et proposent une vive critique de l’école dont ils sont issus.
Le plus célèbre d’entre eux devient rapidement Jean-Pierre
Chevènement. Le titre choisi pour leur pamphlet, L’Énarchie ou les
mandarins de la société bourgeoise, illustre bien leur engagement
socialiste. Le tableau reproduit ici présente le recrutement du
premier concours (voie principale d’accès à l’ENA), à un moment
de massification de l’enseignement supérieur, et offre un regard
sur des années qui se suivent. Or, l’ouverture aux classes populaires, constaté alors dans les facultés, ne se retrouve pas et
l’examen de plusieurs années consécutives montre qu’il s’agit
d’une tendance lourde.
→Doc. 4 : Le « pantouflage » des énarques.
L’extrait de ce document est issu des travaux d’une équipe de
chercheurs parisiens. Leur analyse permet de traiter la question du « pantouflage ». Ce nom est donné, depuis la fin du xixe
siècle, à la pratique qui consiste pour un haut fonctionnaire à
quitter le secteur public pour le secteur privé. Utilisé d’abord
124 • Chapitre 9 - Gouverner la France depuis 1946
(« la pantoufle ») par les polytechniciens, il devient ensuite générique. Le document nuance une idée reçue : il montre en effet
que si les énarques travaillant au ministère des Finances vont
tous en moyenne une fois dans le secteur privé au cours de leur
carrière, cette incursion est le plus souvent assez brève puisque
86 % de leur carrière se déroule tout de même dans le secteur
public. Sur la notion de pantouflage : C. Charle, « Le Pantouflage
en France (vers 1880-vers 1980) », Annales. Économies, Sociétés,
Civilisations, 1987, vol. 42, p. 1115-1137.
→Doc. 5 : Un gouvernement sous la Ve République : le gouvernement Jospin, 1997.
La photographie d’une partie du gouvernement conduit par
Lionel Jospin en 1997 révèle, plus que bien des commentaires,
la place des énarques au sein de l’appareil gouvernemental.
Issu des élections législatives provoquées par la dissolution de
l’Assemblée nationale en 1997, le gouvernement Jospin regroupe
l’essentiel de la génération socialiste qui a fait ses classes pendant les présidences de François Mitterrand. Sa composition
n’est donc pas particulièrement originale et illustre bien, à ce
titre, le poids des énarques dans la vie politique française.
→Doc. 6 : De nombreux chefs d’État et de gouvernement issus
de l’ENA.
L’École nationale d’Administration a été créée après la Seconde
Guerre mondiale. Ses élèves, âgés alors d’une vingtaine d’années, accèdent donc à des responsabilités de manière un peu
différée. C’est durant les années 1960 qu’ils apparaissent véritablement dans la vie politique et au tournant des années 1970
que leur présence est visible au sommet de l’État. 1974 constitue
l’année marquante de cette accession, avec l’arrivée conjuguée
d’un énarque à l’Élysée (Valéry Giscard d’Estaing) et à Matignon
(Jacques Chirac). Depuis cette date, environ la moitié des chefs
d’État et de gouvernement, droite et gauche confondues, sont
issus de l’ENA.
◗ Réponses aux questions
1. L’ENA doit former des fonctionnaires chargés d’occuper des
postes de responsabilité dans les grands corps de l’État (Conseil
d’État, Cour des comptes, Inspection générale des Finances) et
dans les carrières diplomatique et préfectorale.
2. Les affectations des élèves de l’ENA correspondent globalement à leur mission de service de l’État dans des administrations
diverses.
3. Les élèves de l’ENA sont majoritairement issus des milieux
favorisés, salariés (cadres) ou non (professions libérales).
4. La plupart des énarques quittant leur poste au ministère de
l’Économie et des Finances effectuent un passage dans le secteur privé, mais reviennent le plus souvent dans la fonction
publique.
5. Les énarques occupent une place importante dans la vie
politique française, et particulièrement dans l’appareil gouvernemental. La moitié environ des chefs de gouvernement du
dernier tiers du xxe siècle sont issus de l’ENA et deux chefs
d’État également. Au sein du gouvernement Jospin, les énarques
détiennent les principaux ministères (Intérieur, Affaires étrangères, Emploi et Solidarité, Justice).
◗ Texte argumenté
L’ENA joue un triple rôle dans l’administration et le gouvernement
de la France depuis 1946. Les énarques remplissent tout d’abord la
mission pour laquelle ils sont formés, à savoir l’exercice de fonctions d’encadrement et de direction dans les diverses branches de
l’administration. De plus, ils s’engagent fréquemment en politique,
où ils occupent souvent des positions élevées, ainsi que le prouve
l’examen de la composition du gouvernement Jospin ou le repérage
des énarques parmi les chefs d’État et de gouvernement. Enfin, il
convient d’ajouter qu’ils peuvent également jouer un rôle significatif dans le monde de l’entreprise, y compris dans les entreprises
Leçon 2
p. 310-311
Le personnel politique et administratif
L’objectif de cette leçon est de dégager le rôle respectif des
différents acteurs qui participent au processus décisionnel de
gouvernement de l’État. Gouverner la France n’est pas seulement
un acte administratif. L’importance des élites administratives
et du pouvoir exécutif est évidente (premier paragraphe) mais
la décision politique procède du pouvoir législatif, dans lequel
le rôle des partis politiques (reconnu dans la Constitution) est
fondamental. Les citoyens peuvent enfin être consultés directement sur des questions précises, par la voie du référendum,
national ou local, mais aussi peser sur la prise de décision par
leurs manifestations publiques (sous forme de mobilisations
sociales et politiques).
→Doc. 1 : Une carrière économique : Jacques Calvet, PDG de
PSA.
→Doc. 2 : Une carrière politique : Philippe Séguin, président
de la Cour des comptes.
Ces documents proposent deux rapides portraits d’énarques
ayant conduit des carrières assez dissemblables en apparence
puisque le premier, Jacques Calvet, s’identifie surtout au monde
de l’entreprise (Peugeot-Citroën) tandis que le second, Philippe
Séguin, a siégé au Parlement durant plus d’un quart de siècle
et fut ministre. Leurs itinéraires illustrent toutefois les allers et
retours entre public et privé (Jacques Calvet a longtemps travaillé
au cabinet de Valéry Giscard d’Estaing et s’est présenté aux élections législatives de 1997, sans succès) ainsi qu’entre politique et
administration (puisque Philippe Séguin a terminé sa vie comme
président de la Cour des comptes, où il avait commencé sa carrière au sortir de l’ENA, avant de devenir homme politique).
→Doc. 3 : « Oui » ou « non » à la nouvelle Constitution ?
Les affiches disposées à l’occasion de la campagne référendaire
de 1958 montrent la participation des partis politiques dans le
processus décisionnel, y compris lorsqu’il s’adresse à l’ensemble
des citoyens. Ils apparaissent comme des médiateurs entre l’État
et la nation.
→Doc. 4 : Origines professionnelles des députés français.
La catégorie sociale la plus représentée parmi les députés est
sans conteste celle des fonctionnaires de l’État, parmi lesquels
se singularise le groupe des enseignants ; les professeurs de la
« vague rose » sont 167 en 1981 (sur un total de 490 députés) et
représentent plus de la moitié des députés du parti socialiste.
Des explications sont souvent avancées à cette prépondérance
des fonctionnaires à l’Assemblée nationale. Un fonctionnaire
dispose de plus de facilités pour préparer ses campagnes et
retrouver son emploi en cas de non-réélection. Il est volontiers
tourné, par formation et par goût, vers la résolution des problèmes d’intérêt général.
◗ Réponse à la question
1. La part des fonctionnaires est plus élevée parmi les députés
français lorsque la gauche est majoritaire (1981, 1988 et 1997).
Au-delà de cette distinction entre gauche et droite, un mouvement d’ensemble se dessine toutefois dans le sens d’une plus
grande représentation des fonctionnaires parmi les députés
français (leur proportion double globalement de 1958 à 2007).
→Doc. 5 : Manifestations entre les deux tours des élections
présidentielles, 1er mai 2002.
Lors des élections présidentielles de 2002, le candidat du Front
National, Jean-Marie Le Pen, se qualifie pour le second tour face
au président sortant Jacques Chirac. Cette situation engendre
de nombreuses manifestations, qui prennent surtout un caractère massif à l’occasion du 1er mai.
Étude 4
p. 312-313
Les nationalisations : l’État acteur de l’économie
Les nationalisations constituent l’un des moyens d’intervention
les plus évidents de l’État en matière de gouvernement économique puisque le processus conduit à l’appropriation publique
de secteurs industriels ou commerciaux (en France, il n’y eut pas
de nationalisation des terres comme dans les pays ayant conduit
des réformes agraires d’inspiration socialiste). Deux courtes
périodes concentrent ces nationalisations : la Libération et l’alternance politique de 1981. De multiples nationalisations eurent
lieu avant 1946 mais il paraissait difficile d’opérer une coupure
arbitraire en 1946 pour de seules raisons liées à l’intitulé du programme actuel. Il existe bien une continuité entre les politiques
économiques et sociales de 1944 à 1947, sous la houlette du tripartisme et dans la lignée du programme du Conseil national de
la Résistance.
→Doc. 1 : Nationalisations effectuées en 1945-1946 et en 1982.
Le tableau réalisé offre une vue comparée des nationalisations
qui suivent la Libération et de celles que met en place le gouvernement de gauche issu des élections de 1981. Un regroupement
thématique a été effectué afin de mettre en lumière les principaux secteurs visés par ces mesures. Les banques et assurances,
l’industrie lourde et l’énergie sont prioritairement l’objet de
nationalisations.
→Doc. 2 : La nationalisation dans la Constitution.
La Constitution de la IVe République a été préparée par une
Assemblée constituante largement dominée par les forces
de gauche sensibles au programme du Conseil national de la
Résistance (cf. doc. 1, p. 298). Son préambule est imprégné de
leurs idéaux politiques mais aussi économiques et sociaux. C’est
ce qui explique la présence d’un passage concernant l’appropriation collective de certains biens privés.
→Doc. 3 : La nationalisation des usines Renault, 1945.
La nationalisation des usines Renault résulte d’un processus où
se mêlent considérations économiques et ressentiments politiques. C’est en raison de sa proximité avec les Allemands que
Louis Renault est visé par l’épuration qui suit la Libération.
Toutefois, au-delà de la seule sanction politique, la nationalisation des usines Renault exprime aussi une volonté de la part
de l’État de réaliser une expérience de gestion et d’exploitation d’une entreprise industrielle et commerciale. C’est ce qui
explique la création d’une Régie. Elle ne constitue donc pas une
administration directe par le gouvernement mais bénéficie d’une
certaine latitude d’action.
→Doc. 4 : La nationalisation de la Banque de France, 1946.
La nationalisation de la Banque de France procède, comme celle
des usines, de motivations diverses. Le contrôle d’un pouvoir
régalien, celui de l’émission de monnaie, constitue naturellement un motif suffisant pour expliquer la nationalisation de
cette institution. Il convient de rappeler néanmoins que, depuis
l’expérience du Cartel des gauches, la Banque de France incarnait aux yeux de l’opinion de gauche le « mur d’argent » dressé
par les grands noms de la finance contre les gouvernements
progressistes.
→Doc. 5 : « Le transformateur », caricature de Jean Effel à
l’occasion de la nationalisation d’EDF, 1946.
Jean Effel était un caricaturiste proche du PCF. Il dessine ici un
ministre communiste, Marcel Paul. La forte carrure du ministre
Chapitre 9 - Gouverner la France depuis 1946
• 125
© Hachette Livre
publiques. Leur place et leur rôle apparaissent donc considérables
dans l’administration et le gouvernement de la France depuis 1946.
et la forme même de sa tête présentent quelques similitudes
avec celles de Maurice Thorez, secrétaire général du PCF d’alors.
◗ Réponses aux questions
1. Les nationalisations qui suivent la Libération ont pour objectif de mettre au service de la collectivité, via le contrôle de l’État,
les biens ayant un caractère d’intérêt public national (Banque de
France, secteur énergétique…).
2. La caricature montre que la nationalisation d’EDF en 1946
s’effectue grâce à l’action d’un ministre communiste, appartenant aux gouvernements provisoires, formés au lendemain de la
Seconde Guerre mondiale. Les nationalisations sont effectuées
par des majorités politiques dominées par la gauche (le tripartisme à la Libération, l’Union de la gauche en 1981-1982).
3. La Banque de France assure l’émission des billets de banque,
dont elle a le monopole.
4. Les nationalisations de 1982 visent à augmenter la part des
salariés dans l’organisation de leurs tâches et dans la gestion des
entreprises dans lesquelles ils travaillent.
5. Les usines Renault sont placées sous l’autorité d’une Régie.
Celle-ci est dotée de la personnalité civile et de l’autonomie financière et est chargée d’assurer le développement de
l’entreprise.
6. Les sociétés industrielles nationalisées en 1982 sont administrées par des représentants de l’État, des représentants des
salariés et des personnalités qualifiées, désignées en fonction
de leurs compétences dans le secteur d’activité de l’entreprise
concernée.
7. Les banques, assurances et entreprises du secteur de l’énergie et des transports semblent en effet relever des biens ou
entreprises « dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un
service public national », et donc leur gestion doit s’effectuer
dans l’intérêt de la Nation.
◗ Texte argumenté
Les nationalisations mêlent des objectifs économiques et politiques.
Ces derniers peuvent être étroitement ciblés : c’est le cas de la
nationalisation de l’entreprise Renault, en raison des liens de son
dirigeant avec l’occupant allemand durant la Seconde Guerre mondiale. De manière plus large, elles émanent de pouvoirs marqués
à gauche (le tripartisme à la Libération, l’Union de la gauche en
1981-1982) et visent à mettre à disposition de la Nation des biens
et services jugés nécessaires à la puissance publique (énergie, transports…). Elles offrent également l’occasion à l’État de proposer
et d’expérimenter un mode de gestion jugé original : l’exemple de
Renault peut être à nouveau évoqué, avec le système de la Régie
Renault.
Étude 5
p. 314-315
© Hachette Livre
La Sécurité sociale, affirmation de l’État-providence
L’instauration d’un système de protection sociale destiné à
l’ensemble des citoyens est l’une des aspirations principales du
Conseil national de la Résistance. Elle est largement partagée,
ainsi qu’en témoigne l’extrait des Mémoires de guerre de Charles
de Gaulle (cf. doc. 1, p. 324) : « il n’y a pas de progrès véritable
si ceux qui le font de leurs mains ne doivent pas y trouver leur
compte ». Sa mise en œuvre est décidée en 1945 mais se poursuit dans les années suivantes.
La Sécurité sociale désigne l’ensemble des mécanismes de couverture des risques liés à l’existence et au travail, à l’exception
du chômage (risque quasiment inexistant en 1945 - l’assurance
chômage sera créée par un accord collectif interprofessionnel
le 31 décembre 1958) : famille, accidents du travail et maladies
professionnelles, maladie-maternité-invalidité-décès, vieillesse.
Elle est organisée sous forme de branches correspondant à ces
quatre risques, gérées par des caisses nationales de Sécurité
126 • Chapitre 9 - Gouverner la France depuis 1946
sociale où siègent les partenaires sociaux, sous tutelle de l’État
et chapeautant chacune un réseau de caisses locales.
L’examen de la Sécurité sociale sur la longue durée permet
d’étudier le lien entre les politiques publiques et les évolutions
économiques d’ensemble mais aussi les réponses politiques
apportées aux problèmes posés.
◗ Réponses aux questions
1. La Sécurité sociale est fondée en 1945. Elle a pour mission de
protéger les travailleurs contre tous les risques de la vie et de
leur assurer des ressources leur permettant de subsister.
2. La Sécurité sociale est administrée par des organes paritaires
où siègent employeurs et salariés. Ces derniers sont donc bénéficiaires mais aussi administrateurs de la Sécurité sociale.
3. La question du déficit de la Sécurité sociale se pose depuis
la fin des Trente Glorieuses et donc de la période de croissance
économique. La baisse des cotisations patronales et des salariés
(montée du chômage), mais aussi l’augmentation des dépenses
expliquent l’accroissement du déficit de cet organisme d’assurances sociales.
4. Les membres du Parlement (députés et sénateurs) interviennent désormais dans la gestion de la Sécurité sociale dont
ils votent les lois de financement.
5. Les deux principales sources de financement de la Sécurité
sociale sont les entreprises et les ménages.
◗ Texte argumenté
La protection sociale mise en place par l’État est un moyen de
cohésion nationale dans la mesure où elle fait appel, dans son
financement, à l’ensemble des acteurs économiques (salariés mais
aussi employeurs) et vise surtout à protéger l’ensemble des citoyens
contre tous les risques liés aux accidents et maladies. La Sécurité
sociale joue un rôle de garantie contre la misère, étend la protection
sociale aux ayant droits des travailleurs (leurs enfants, par exemple)
et mobilise la solidarité nationale. Elle fait l’objet de l’intérêt des
politiques, dès sa création mais aussi depuis sa réforme en 1996, qui
place son financement sous la responsabilité des parlementaires.
Leçon 3
p. 316-317
Les politiques publiques
Les politiques publiques (cf. « Quelques notions-clés » en début
de chapitre) sont le moyen d’affirmation de l’État dans la société.
Elles ne peuvent être déconnectées du contexte global (européen mais aussi mondial). Le modèle français (cf. « Quelques
notions-clés ») s’est construit autour d’un État-providence mais
se déploie également dans le domaine culturel.
→Doc. 1 : L’adoption des nouvelles monnaies.
Depuis 1946, la France a connu deux changements de monnaie.
L’adoption du nouveau franc suit de peu l’instauration de la
Ve République. Il procède d’un choix national de politique monétaire. Le passage à l’euro matérialise quant à lui l’intégration
économique européenne.
→Doc. 2 : Manifestation pour la revalorisation des retraites et
la défense de la Sécurité sociale, 2005.
La manifestation présentée dans ce document associe deux
registres revendicatifs. Le premier relève de la question du pouvoir d’achat (l’emploi, les retraites). Le second est plus récent
et caractéristique des années 2000 : il s’agit de la défense du
modèle social français tel qu’il s’est construit après la Seconde
Guerre mondiale, à travers la défense de la Sécurité Sociale et
de la solidarité nationale qu’elle implique face aux aléas de la vie.
→Doc. 3 : Le pacte de stabilité.
Le pacte de stabilité et de croissance, adopté en 1997, est destiné à coordonner les politiques budgétaires des pays de la zone
euro, amenés alors à partager une monnaie unique. Le texte, issu
d’un manuel universitaire, présente de manière pédagogique les
grandes lignes de ce pacte et ses conséquences.
◗ Réponse à la question
1. La politique financière des États est contrôlée par l’Union
européenne. Chaque pays doit respecter un niveau autorisé de
déficit. Dans le cas où il excède le niveau fixé (3 % du PIB), il est
soumis à des sanctions de l’Union européenne.
→Doc. 4 : L’enjeu de la culture.
Les maisons de la Culture, créées en 1961, visent à diffuser la
création et les œuvres culturelles sur l’ensemble du territoire.
Pensées par André Malraux comme des cathédrales modernes,
elles sont essentiellement mises en place durant sa décennie
au ministère des Affaires culturelles (1959-1969). Il inaugure en
février 1968 celle de Grenoble, pendant les Jeux olympiques
d’hiver qui se déroulent alors dans cette ville, symbole de la
modernité des années 1960 (cf. Bernard Bruneteau, « Le “mythe
de Grenoble” des années 1960 et 1970. Un usage politique de
la modernité », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 58, avr.-juin
1998, p. 111-126).
Prépa Bac
p. 322-327
◗ Composition
p. 318-319
Les Grands travaux présidentiels :
la Bibliothèque nationale de France
Le choix de la BNF comme thème de la page « Histoire des
Arts » permet de prolonger l’intérêt porté aux politiques culturelles dans le dernier paragraphe de la Leçon 3. La BNF est le
dernier des Grands travaux de François Mitterrand, président
de la République de 1981 à 1995. Durant ses deux septennats,
les commandes d’État ont porté sur d’autres « Grands chantiers » : la grande arche de la Défense, la pyramide du Louvre,
le ministère des Finances à Bercy… La puissance de l’État doit
s’affirmer à travers l’architecture, mais cette étude révèle aussi
les engagements politiques dans le domaine culturel (doc. 1). En
conservant un patrimoine écrit considérable (onze millions de
livres dans les tours et sous terre), la BNF symbolise la culture et
sa nécessaire transmission.
Représentatives de l’architecture conceptuelle, les intentions de
l’architecte se lisent dans la conception de l’édifice (doc. 3). C’est
une architecture incrustée dans le sol (doc. 4), où sont situés
les deux niveaux de lecture ; cette stratification correspond à la
volonté présidentielle d’ouvrir la bibliothèque au grand public
et aux chercheurs (doc. 1). Mais l’usager doit échapper à cette
sensation d’enfermement, que vient renforcer le concept même
de bibliothèque, car l’architecte a conçu un lieu ouvert sur un
espace arboré (fermé au public) et sur un parvis, dont la limite
avec la ville est constituée seulement par quatre tours d’angle
(doc. 2).
◗ Réponses aux questions
1. L’architecture de la BNF symbolise des livres ouverts en disposant quatre tours en angle, qui évoquent quatre livres ouverts
face à l’intérieur du rectangle qu’ils forment.
2. La BNF est organisée en différentes strates. La plus directement accessible - le haut-de-jardin - est destinée à l’accueil
du grand public. Le rez-de-jardin, quant à lui, est d’accès limité,
réservé aux chercheurs.
3. L’utilisation du verre, du bois et de la moquette rouge, couleur terre d’Afrique, comme éléments fonctionnels et décoratifs
montre la volonté d’ouvrir l’édifice sur la nature et le monde
extérieur (la ville, mais aussi des mondes plus lointains).
4. Les tours d’angle délimitant le parvis, les grands emmarchements face à la Seine et l’organisation du socle de la bibliothèque
Sujet guidé - État, gouvernement et administration
de la France de 1946 aux lois de décentralisation de
1982-1983
4. Développer le sujet
I. De l’extension des missions de l’État à la décentralisation
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’État élargit ses
missions et fait le choix de la décentralisation.
1. La protection sociale
– État-providence
– Sécurité sociale (1945)
– Création du SMIG (1950), puis du SMIC (1970)
– RMI, RSA
2. La politique culturelle
– Création d’un ministère des Affaires culturelles (1959)
– Malraux : maisons de la Culture et loi de 1962
– Grands travaux des présidents de la Ve République (Pompidou
et Giscard d’Estaing)
3. Le transfert de compétences
– Loi de décentralisation du 2 mars 1982
– Fonction publique territoriale
Les missions de l’État sont variées et importantes à travers les
politiques publiques mais on note, à partir des années 1980,
un recul de ses compétences. En France, les missions de l’État
s’étendent aussi au domaine économique.
II. L’État, acteur économique majeur
Dans le domaine économique, l’État s’affirme aussi comme un
acteur majeur à travers les nationalisations, son action modernisatrice et son engagement dans la construction européenne.
1. Les nationalisations
– Les nationalisations d’après-guerre : secteurs énergétique,
bancaire, d’assurance et du transport
– 1982 : les banques, certaines industries
2. La planification et les modernisations
– Les choix du GPRF et la création d’un ministère au Plan
– Modernisation de l’appareil productif dans les entreprises
nationales et nouveau franc
– Mais un désengagement : privatisations à partir de 1986
3. L’engagement économique dans la construction européenne
– Un marché unique
– La politique agricole commune
– Participation au SME
L’intervention importante de l’État dans l’économie a constitué
un modèle français. Mais dans le cadre de la construction euroChapitre 9 - Gouverner la France depuis 1946
• 127
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Histoire des Arts
autour d’un jardin arboré traduisent les intentions de l’architecte
d’ouvrir l’édifice à l’espace environnant.
5. La BNF est située presque en bord de Seine, fleuve qu’elle
surplombe de son esplanade, dans un quartier moderne très
urbanisé, où dominent des immeubles élevés à vocation résidentielle et tertiaire.
6. En insérant un espace de végétation à l’intérieur des bâtiments (significativement découpés en « rez-de-jardin » et
« haut-de-jardin »), les concepteurs de la BNF ont repris la
forme d’un cloître (doc. 4a).
7. François Mitterrand fixe trois objectifs à la BNF qu’il souhaite mettre en place. Elle doit tout d’abord recueillir et réunir
« toutes les données du savoir », qu’elle a ensuite pour mission
de communiquer au plus grand nombre. Elle doit enfin être mise
en réseau avec les grandes institutions culturelles européennes.
8. La BNF est née d’un projet présidentiel, annoncé par le chef
de l’État lui-même à la télévision française. Le président de la
République a ensuite confirmé le choix de l’architecte.
péenne et d’une économie globalisée, l’État s’est désengagé de
certains secteurs. L’autorité de celui-ci s’affirme aussi à travers
les institutions politiques et l’administration.
III. Les institutions de l’État (gouvernement, administration) et
leurs pratiques en évolution
Cette évolution se retrouve dans les domaines institutionnel et
administratif.
1. Les évolutions institutionnelles
– Sous la IVe République, un gouvernement soumis au contrôle
du Parlement et un président effacé
– Á partir de 1958, un gouvernement qui conduit la politique de
la nation et un président acteur majeur de la vie politique
2. L’évolution des pratiques politiques
– Une bipolarisation croissante de la vie politique française
– Une participation renforcée des citoyens à la vie publique :
élections, référendums, mobilisation
3. La formation d’un personnel administratif
– L’ENA, vivier d’administrateurs
– Un élitisme renforcé mais aussi contesté
5. Rédiger l’introduction et la conclusion
Introduction
L’État est une autorité souveraine qui s’exerce en France sur le
territoire et le peuple français. Cet exercice de l’autorité s’effectue avec un gouvernement, émanation de la nation, qui prend
des décisions politiques qu’une administration fait appliquer par
ses fonctionnaires. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale,
on assiste à une extension des missions de l’État jusqu’aux lois de
décentralisation qui transfèrent une partie de ses compétences
à des collectivités territoriales. Comment l’État gouverne-t-il la
France de la sortie de la Seconde Guerre mondiale aux lois de
décentralisation ? En premier lieu, nous verrons les domaines
touchés par cette extension des missions de l’État jusqu’au
transfert d’une partie de ses compétences administratives. Puis,
nous montrerons l’intervention particulière de l’État dans le
domaine économique. Enfin, nous évoquerons les leviers institutionnels de commande de l’État.
Conclusion
Incontestablement, le champ couvert par les politiques publiques
depuis 1946 est très large, notamment dans le domaine social et
économique, construisant un modèle français de gouvernement.
Mais une économie de plus en plus globalisée et une construction européenne qui s’approfondit incitent l’État, à partir des
années 1980, à se désengager de la gestion de certains secteurs
économiques et financiers au profit d’entreprises privées ou
d’institutions supranationales.
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Sujet en autonomie - Gouverner la France
depuis 1946
Problématique : Comment évolue le rôle de l’État dans le gouvernement de la France depuis 1946 ?
Plan
I. De 1946 aux années 1970, l’extension du rôle de l’État
1. Un champ très large de politiques publiques (État-providence,
dirigisme économique, politique culturelle) : le modèle français
2. Une administration au service des politiques publiques
3. Des évolutions institutionnelles renforçant l’action
gouvernementale
II. Depuis les années 1980, l’érosion du rôle de l’État dans un
contexte de mondialisation et de construction européenne
1. Les lois de décentralisation
2. Le désengagement des structures économiques : les
dénationalisations
3. Le transfert des compétences à des institutions supranationales
128 • Chapitre 9 - Gouverner la France depuis 1946
◗ Étude de document(s)
Sujet guidé - Un nouveau rôle pour l’État
au lendemain de la guerre
Présentation
Le document proposé est un texte extrait des Mémoires de guerre
de Charles de Gaulle, tiré du volume Le Salut 1944-1946. Une
quinzaine d’années sépare l’édition du texte (1959) des événements analysés (1945-1946). De Gaulle incarne la Résistance en
tant que chef du Gouvernement provisoire de la France (GPRF)
entre 1940 et 1946. Il est donc un acteur essentiel de cette
période et inscrit logiquement ses projets politiques dans la
continuité du programme du Conseil national de la Résistance.
Ces mémoires ont été écrits pendant le retrait de de Gaulle de la
vie politique, entre 1946 et 1958, conséquence de son désaccord
vis-à-vis des institutions de la IVe République.
Á partir de ce document, nous étudierons quel nouveau rôle est
donné à l’État en France au lendemain de la Seconde Guerre
mondiale.
Il convient de montrer quels sont les principaux axes de la conception gaullienne du rôle de l’État, en s’interrogeant en particulier
sur la politique économique, marquée par les nationalisations, et
la politique sociale, qui affirme le rôle de l’État-providence, dans
le contexte particulier de l’après-guerre.
• Dans la France d’après-guerre, l’État doit jouer un rôle essentiel, à la fois pour reconquérir sa légitimité, mais aussi pour
refonder le pacte social. C’est pourquoi le Général de Gaulle lui
attribue la responsabilité des décisions en matière économique,
plaçant sous son contrôle certains secteurs jugés stratégiques
afin d’orienter leur évolution : « C’est ainsi que les sources
principales de l’énergie sont mises aux mains de l’État. » L’État
décide de nationaliser, c’est-à-dire de rendre publique la propriété de plusieurs entreprises : « Étant donné que l’activité
du pays dépend du charbon, du courant électrique, du gaz, du
pétrole et dépendra un jour de la fission de l’atome, que pour
porter l’économie française au niveau qu’exige le progrès ces
sources doivent être développées, qu’il y faut des dépenses et
des travaux que seule la collectivité est en mesure d’accomplir,
la nationalisation s’impose. »
Le secteur énergétique n’est pas le seul à être placé sous le
contrôle de l’État, les finances font également l’objet de nationalisations : « l’État se voit attribuer la direction du crédit ; en
effet, dès lors qu’il lui incombe de financer lui-même les investissements les plus lourds, il doit en recevoir directement les
moyens. Ce sera fait par la nationalisation de la banque de
France et des grands établissements de crédit. [...] »
• Les secteurs vitaux de l’économie étant sous contrôle, l’État
doit également se préoccuper du bien-être des Français car « il
n’y a pas de progrès véritable si ceux qui le font de leurs mains ne
doivent pas y trouver leur compte ». La politique sociale d’aprèsguerre est à rattacher à la mise en place d’un État-providence,
conception de l’État poursuivant un objectif de protection
sociale pour les citoyens et de redistribution des richesses.
En 1945, la protection sociale en France se résume pour l’essentiel à deux lois, adoptées non sans critiques et contestations :
les retraites ouvrières et paysannes (1910) et les assurances
sociales (1930), qui ne concernaient que certaines catégories de travailleurs. Le GPRF veut assurer une protection plus
générale à l’ensemble des Français : « Le gouvernement de la
Libération entend qu’il en soit ainsi, non point seulement par
des augmentations de salaires, mais surtout par des institutions
qui modifient profondément la condition ouvrière. » Dans cette
optique, deux grands chantiers sont lancés en 1945 :
– celui de la Sécurité sociale, garantissant la protection contre
les accidents de la vie : « Tout salarié en sera obligatoirement
couvert. Ainsi disparaît l’angoisse, aussi ancienne que l’espèce
Sujet en autonomie - L’État-providence, entre
affirmation et remise en question
Présentation Le document 1 est une affiche de 1945 portant sur la Sécurité
sociale, symbolisée par deux lourdes portes qui se rabattent sur
la misère. Les deux mains qui referment ces portes sont celles
de l’État et, comme l’indique le slogan, « Fermons la porte à la
misère », son intervention permet de mettre fin à la précarité.
Le document 2 est un extrait d’un entretien accordé par Jacques
Delors en 1994, tiré du livre L’Unité d’un homme, Entretiens avec
Dominique Wolton, dans lequel cet homme politique revient sur
les conditions de création de la Sécurité sociale et s’interroge
sur la nécessité de la réformer.
• 1945, affirmation de l’État-providence : la conception de l’État
poursuivant un objectif de protection sociale pour les citoyens et
de redistribution des richesses est présente dans le programme
du CNR dès 1944.
La Sécurité sociale est officiellement créée par le GPRF en
octobre 1945, afin de protéger les Français contre les principaux
accidents de la vie (maladie, accidents, vieillesse, chômage) et
de les soutenir dans leur vie familiale (allocations familiales).
Dans le contexte des Trente Glorieuses, la croissance garantit
le financement de la Sécurité sociale, et donc son bon fonctionnement : « Le développement de l’État-providence, dans un
contexte qui s’y prêtait, a stimulé la croissance économique et
réduit les inégalités ».
• Fin xxe siècle, remise en question de l’État-providence : avec
le ralentissement économique, dès le milieu des années 1970,
le déficit de la Sécurité sociale apparaît. De plus, les dépenses
de santé augmentant sans cesse, ce déficit se creuse davantage : « Aujourd’hui, nous sommes dans un système inverse.
La croissance économique n’est plus suffisante pour nourrir le
développement de la Sécurité sociale, puisque, pour des raisons
liées aux progrès de la médecine, au vieillissement de la population, et – je m’en réjouis – à une meilleure qualité de la santé,
les dépenses en question augmentent, en termes réels, plus vite
que la croissance économique. »
Par ailleurs, avec l’augmentation du chômage, les revenus de la
Sécurité sociale se sont réduits, et sa mission de lutte contre
les inégalités sociales a malheureusement échoué : « En second
lieu, le système de protection sociale, malgré son caractère universel, s’est révélé un “panier percé”, car il n’a pas empêché le
développement de l’exclusion sociale, fondée, bien entendu,
essentiellement sur le rejet hors du circuit du travail de millions
de personnes. [...] »
C’est pourquoi de nombreux spécialistes et décideurs politiques
proposent depuis plusieurs années la réforme de l’État-providence : « Si nous ne pouvons plus financer la Sécurité sociale
dans de meilleures conditions, c’est-à-dire d’une manière universelle, ne faut-il pas consentir un effort supérieur pour ceux qui
ont peu de moyens, par rapport à ceux qui en ont beaucoup ?
Ce qui pose la question de la structure du financement de la
Sécurité sociale. »
Sujet en autonomie - La politique culturelle de l’État
français, un intérêt jamais démenti
Présentation
Le document 1 est un extrait de l’intervention d’André Malraux
à l’Assemblée nationale sur le budget des Affaires culturelles,
le 27 octobre 1966. A. Malraux, écrivain engagé entré en politique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, est alors
ministre d’État chargé des Affaires culturelles. Il a été nommé à
ce poste par le Général de Gaulle en 1959, année de création de
ce ministère. Il définit ici sa mission en proposant une définition
des Affaires culturelles, afin de justifier les dépenses qu’il entend
y consacrer.
Le document 2 est un extrait de l’allocution de Jacques Chirac,
président de la République, à l’occasion de l’inauguration du
musée du quai Branly, le 20 juin 2006. Le président, qui a porté
personnellement ce projet muséographique, profite de l’inauguration des lieux pour réaffirmer la mission culturelle de la
République.
•
Les Affaires culturelles, une création de la Ve République
1959, André Malraux est le premier à prendre la direction de ce
ministère. Il défend l’idée d’une nécessaire démocratisation de la
culture, trop longtemps réservée à une élite : « Pendant un certain temps, des gens riches ont donné de l’argent aux musées ;
l’État, de son côté, en donnait un peu, c’était l’équivalent de la
cassette impériale, et puis il y avait un certain nombre de gens
qui visitaient ces musées. » Il veut permettre à chacun d’accéder
à la culture : « Le problème est donc de faire pour la culture
ce que la IIIe République a fait pour l’enseignement : chaque
enfant de France a droit aux tableaux, au théâtre, au cinéma
comme à l’alphabet. » Car, selon lui, « les peuples demandent
de la culture ! ».
La démocratisation de la culture n’est pas la culture de masse :
« Il y a deux façons de concevoir la culture : la soviétique et la
démocratique. Disons plutôt : la culture pour tous et la culture
pour chacun. Dans le premier cas, tout le monde va dans le
même sens et l’on aide tout le monde. Dans le second, tous
ceux qui veulent quelque chose à quoi ils ont droit l’obtiennent.
Je n’ai pas besoin de vous dire que nous avons choisi la culture
pour chacun. »
Pour répondre à cette demande, il développe les maisons de la
Culture : « Religion en moins, les maisons de la Culture sont les
modernes cathédrales : le lieu où les gens se rencontrent pour
rencontrer ce qu’il y a de meilleur en eux. Sachez que chaque
fois que nous en bâtissons une dans une ville moyenne, nous
changeons quelque chose d’essentiel en France. » Il se donne
l’objectif suivant : « Il faut donc que nous bâtissions une maison
de la Culture par département. »
Le budget demandé semble bien dérisoire au regard des enjeux :
« Une représentation montée pour cinq maisons coûte cher ; elle
est rapidement amortie quand on travaille pour quatre-vingts
maisons. Or, savez-vous ce que représentent quatre-vingts
maisons de la Culture ? Le coût de vingt-cinq kilomètres
d’autoroutes. Avec cette somme misérable, la France – dont
les expériences retiennent aujourd’hui l’attention du monde
entier – pourrait redevenir le premier pays de la culture. Voilà ce
que j’avais à vous dire et à vous demander. »
Chapitre 9 - Gouverner la France depuis 1946
• 129
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humaine, que la maladie, l’accident, la vieillesse, le chômage faisaient peser sur les laborieux. »
– celui des allocations familiales, pour soutenir les familles :
« D’autre part, un système complet d’allocations familiales est
alors mis en vigueur. »
La conception gaullienne du rôle de l’État se situe dans la
droite ligne du programme du Conseil national de la Résistance,
organisme créé en 1943 et rassemblant les représentants des
mouvements de Résistance, des partis politiques opposés à l’État
français et des syndicats. Dès 1944, celui-ci mettait en avant le
principe des nationalisations et le projet de sécurité sociale,
mesures-phares visant à restaurer la légitimité républicaine.
La reconstruction du pays et la volonté de balayer les mauvais
souvenirs laissés par l’État français expliquent l’importance du
rôle confié à l’État en 1945. Revenant sur cette période de l’histoire de France alors qu’il est de retour au pouvoir, le Général de
Gaulle veut rappeler au souvenir des Français qu’il a été l’homme
de ces avancées majeures, celui qui a refondé la République et a
redonné à l’État toute l’étendue de ses responsabilités.
•
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Une politique culturelle jamais démentie
2006, Jacques Chirac, passionné par les Arts Premiers, inaugure
le musée du quai Branly dont il a personnellement accompagné la création. Il en souligne l’intérêt culturel à l’heure de la
mondialisation : « Alors que le monde voit se mêler les nations,
comme jamais dans l’histoire, il était nécessaire d’imaginer un
lieu original qui rende justice à l’infinie diversité des cultures, un
lieu qui manifeste un autre regard sur le génie des peuples et des
civilisations d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques. [...] »
L’objectif de ce musée est double :
– faire connaître des civilisations autres que celle de l’Europe :
« Le musée du quai Branly sera, bien sûr, l’un des plus importants
musées dédiés aux arts et civilisations d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques […]. […] En multipliant les points de vue,
il ambitionne de restituer, dans toute leur profondeur et leur
complexité, les arts et les civilisations de tous ces continents. »
– mettre un terme à un certain européocentrisme : « Par-là, il
veut promouvoir, auprès du public le plus large, un autre regard,
130 • Chapitre 9 - Gouverner la France depuis 1946
plus ouvert et plus respectueux, en dissipant les brumes de
l’ignorance, de la condescendance ou de l’arrogance qui, dans le
passé, ont été si souvent présentes et ont nourri la méfiance, le
mépris, le rejet. [...] »
L’action culturelle prolonge ainsi une action politique : « Tel
est aussi l’enjeu de ce musée. Dresser, face à l’emprise terne et
menaçante de l’uniformité, la diversité infinie des peuples et des
arts. [...] Cette ambition, la France l’a pleinement faite sienne.
Elle la porte inlassablement dans les enceintes internationales
et au cœur des grands problèmes du monde. Elle la porte avec
ardeur et conviction, car elle est conforme à sa vocation, celle
d’une nation de tout temps éprise d’universel mais qui, au fil
d’une histoire tumultueuse, a appris la valeur de l’altérité. [...] »
D’A. Malraux à J. Chirac, la politique culturelle permet aux chefs
d’État français de réaffirmer les valeurs fondamentales de la
République, et d’apporter « un message de paix, de tolérance et
de respect des autres ».
 10 Le projet d’une Europe politique depuis 
p. 328-359
Question
Mise en œuvre
L’échelle continentale
Le projet d’une Europe politique depuis le congrès de La Haye (1948)
◗ Nouveauté du programme de terminale
•
Le chapitre sur l’Europe semble être un des seuls qui subsistent de l’ancien programme. La tentation est grande de
considérer que la différence avec l’ancien chapitre sur la
construction européenne n’est qu’une nuance de formulation.
En réalité, la perspective proposée est nouvelle.
• Il ne s’agit pas ici de faire l’historique de toute la construction
européenne, mais de présenter l’évolution du projet européen
dans le cadre du thème sur les échelles de gouvernement dans
le monde. Si une connaissance des grandes étapes de l’histoire
des traités et des élargissements est indispensable (d’où la présence des pages « Repères »), celle-ci ne constitue pas l’angle
d’approche essentiel du chapitre. Le programme demande de
travailler sur les différentes conceptions élaborées afin de bâtir
une Europe unie, y compris celles qui ne se sont pas traduites
dans les faits. Il faut montrer que si, après la Seconde Guerre
mondiale, beaucoup de dirigeants politiques sont d’accord pour
construire une Europe nouvelle, il existe plusieurs logiques
concurrentes ou complémentaires qui se sont manifestées ces
dernières décennies. Il est demandé aux élèves de connaître ces
logiques et d’évaluer quelle a été leur application réelle au cours
des différents moments de la construction européenne.
◗ Problématiques scientifiques du chapitre
•
Il faut distinguer les deux grands types de projet européen,
qui s’affrontent dès le congrès de La Haye de mai 1948. Derrière
Winston Churchill et les conservateurs britanniques, puis les
gaullistes français, les unionistes ou confédéralistes sont partisans d’une libre coopération fondée sur l’entente entre les
gouvernements, considérés comme les seuls représentants de la
légitimité électorale, sans perte de souveraineté nationale. Dans
les années 1990, à la suite du débat sur le traité de Maastricht
(1992), ils prennent le nom de souverainistes. Les fédéralistes,
de Denis de Rougemont à Jacques Delors, ont une conception
plus ambitieuse de la construction européenne : par souci d’efficacité, ils sont prêts à abandonner une partie de la souveraineté
nationale des États membres au profit d’une instance supranationale, indépendante des gouvernements, ce qui suscite les
réticences d’une partie de l’opinion publique, notamment en
France.
• Concrètement, chaque camp a défendu la mise en place de
certaines structures à l’échelle européenne.
– Les unionistes privilégient les instances de discussion entre
chefs d’État ou de gouvernement ou entre ministres responsables d’un même secteur au sein de leurs gouvernements
respectifs. Ils sont également partisans d’assemblées consultatives choisies à l’intérieur des Parlements nationaux. Pour eux,
en effet, seules les structures nationales, pourvues d’un mandat
électoral, ont vocation à parler au nom de leur pays. La sauvegarde des intérêts de chaque pays doit être assurée, au moins
pour les questions les plus graves, par un vote à l’unanimité, où
le veto d’un seul membre peut suffire à annuler la décision litigieuse. C’est précisément ce que le général de Gaulle chercha
à maintenir par sa politique de la chaise vide à la Communauté
économique européenne (CEE) en 1965. Pour les fédéralistes, ces
structures trop proches de l’échelon national ne permettent pas
d’avoir une hauteur de vue nécessaire pour défendre des intérêts
proprement européens ; leur facilité de blocage par un seul pays
rend également leur fonctionnement peu efficace.
– Les fédéralistes préfèrent une autorité exécutive indépendante des gouvernements, composée de hauts fonctionnaires
spécialisés, dont les compétences professionnelles sont reconnues. Leur absence de mandat électoral leur permet, selon eux,
de se tenir à l’écart des débats partisans et d’inscrire leur action
dans la durée, au service de l’Europe et non de celui de leur
État d’origine. Ils soutiennent également l’idée d’un Parlement
supranational, indépendant des assemblées des pays membres.
Pour eux, la plupart des décisions doivent être prises à la majorité qualifiée (c’est-à-dire une majorité suffisamment forte et
représentative) pour qu’un pays ne puisse pas, à lui seul, bloquer
le mécanisme. Les unionistes reprochent aux fédéralistes de
privilégier un système dénué de légitimité démocratique (l’accusation classique de « technocratie ») et de sacrifier les intérêts
nationaux au profit d’un idéal souvent vu comme utopique.
• Dans la réalité, aucune conception n’a réussi à l’emporter
exclusivement sur l’autre, bien que la logique fédéraliste ait souvent réussi à dominer les débats à partir de 1950. L’histoire de
la construction européenne montre une succession d’avancées
et de crises, de progrès et de remises en cause. En se gardant
d’une vision idéologique réductrice, on doit reconnaître que les
institutions et les traités adoptés sont, le plus souvent, issus
d’un compromis entre les différentes tendances en fonction
de leur poids politique à un moment donné. Il faut apprendre
aux élèves à discerner les traces de ce compromis en relevant,
au sein des organigrammes et des textes officiels, ce qui tient de
l’une ou de l’autre logique. Par exemple, le Conseil de l’Europe
(1949) s’inspire nettement de la conception unioniste puisqu’il
possède des instances dépendantes des structures nationales :
le Comité des ministres, composé des ministres des Affaires
étrangères de chaque pays membre, et l’Assemblée consultative,
directement issue des Parlements nationaux. Cette assemblée
n’a d’ailleurs qu’un pouvoir consultatif, impropre à contraindre
les gouvernements. En revanche, la CECA (1951) et la CEE (1957)
sont respectivement dotées d’une Haute Autorité et d’une
Commission indépendantes de l’action des gouvernements,
comme le souhaitent les fédéralistes, mais elles ont aussi un
Conseil des ministres respectant la logique unioniste. De même,
le traité de Maastricht (1992), vu par les souverainistes comme
le symbole des idées fédérales, prévoit pourtant des politiques
de coopération intergouvernementale dans les domaines de la
police et de la justice.
• Les champs d’action de la construction européenne font
également débat. Faut-il se limiter à quelques secteurs importants ou élargir sans cesse le terrain des actions en commun ?
Au début de la construction européenne, les dirigeants firent le
choix d’une coopération sectorielle (diplomatie pour le Conseil
de l’Europe, charbon et acier pour la CECA, énergie atomique
pour Euratom, commerce intracommunautaire pour la CEE),
puis les champs concernés se sont progressivement diversifiés,
d’abord à l’intérieur de l’économie (politique agricole, régionale),
puis en dehors. Pour les pères fondateurs de la construction
européenne, l’économie n’était qu’un moyen du rapprochement
entre les peuples, tandis que beaucoup estimaient la prospérité économique comme une fin en soi. En 1992, le traité de
Maastricht effectue un saut qualitatif en multipliant les terChapitre 10 - Le projet d’une Europe politique depuis 1948
• 131
© Hachette Livre
Thème 4 – Les échelles de gouvernement dans le monde de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours
rains d’action (monnaie unique, politique étrangère, coopération
policière) et en proposant le principe de subsidiarité comme critère de distinction entre les compétences réservées aux États et
celles transférées à l’Union. L’Europe a réinvesti la sphère politique, ce qui n’a pas été sans susciter de vives oppositions, mais,
aujourd’hui, sa réalisation n’est pas achevée, comme l’ont montré récemment les débats autour de la crise de la dette (2011).
◗ Quelques notions-clés du chapitre
• Pères fondateurs : expression donnée par les institutions
européennes à cinq dirigeants politiques à l’origine des premiers
traités communautaires, dans les années 1950. On y trouve deux
Français (le président du Conseil Robert Schuman et le haut
fonctionnaire Jean Monnet), un Allemand de l’Ouest (Konrad
Adenauer), un Italien (Alcide de Gasperi) et un Belge (Paul-Henri
Spaak). Certains spécialistes ajoutent le Britannique Winston
Churchill, qui a suscité la création du Conseil de l’Europe, et
l’Italien Altiero Spinelli, inspirateur de nombreux penseurs fédéralistes, mais ils ne figurent pas dans la liste officielle.
• Souverainisme : conception politique, plus ou moins dérivée
de l’unionisme des années 1950, qui critique le développement
de la construction européenne depuis le traité de Maastricht
(1992) au nom de la défense de la souveraineté nationale. On
classe dans ce courant la partie la plus conservatrice de la droite
classique (Charles Pasqua, Philippe Seguin, le Mouvement pour
la France de Philippe de Villiers, aujourd’hui Nicolas DupontAignan) et l’extrême droite (Front national, Mouvement national
républicain), mais aussi le Mouvement des citoyens de JeanPierre Chevènement. La qualification de souverainistes pour les
mouvements de gauche et d’extrême gauche défavorables à la
construction européenne actuelle est abusive.
• Principe de subsidiarité : idée développée dès l’époque médiévale par la pensée chrétienne (saint Thomas d’Aquin) et reprise
par le traité de Maastricht au sujet de la répartition des responsabilités entre les différents échelons hiérarchiques de l’autorité
politique. Selon le principe de subsidiarité, cette répartition doit
se faire en fonction de la plus grande efficacité possible des décisions. Les compétences d’intervention de l’instance supérieure
ne peuvent concerner que les domaines dans lesquels l’instance
inférieure n’est pas assez efficace, pour des raisons de taille ou
de moyens. L’application de ce principe transfère ainsi à l’Union
européenne la gestion de la politique agricole, douanière et
monétaire et une partie des politiques économiques, sociales,
régionales et étrangères.
◗ Débat historiographique
Il existe de nombreuses discussions à propos des différentes
conceptions de l’Europe et il faut prendre garde de ne pas s’y
perdre. Une des plus intéressantes concerne les pères fondateurs : peut-on les qualifier de fédéralistes ? La réponse est
affirmative pour Jean Monnet, fondateur d’un Comité d’action
pour les États-Unis d’Europe. Robert Schuman, qui reprend
l’idée de Monnet d’une communauté du charbon et de l’acier,
est davantage fonctionnaliste : il considère l’économie comme
un moyen de rapprocher les Européens, sans forcément tendre
vers une stricte fédération. Les autres pères fondateurs présentent des conceptions similaires.
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◗ Bibliographie sélective
Ouvrages universitaires
J.-C. Asselain et coll., Précis d’histoire européenne, Armand
Colin, 2011.
M.-T. Bitsch, Histoire de la construction européenne de 1945 à nos
jours, Complexe, 2008.
J.-F. Drevet, Une Europe en crise ?, La Documentation photographique, n° 8052, 2006.
A. Giacone, B. Olivi, L’Europe difficile, La construction européenne, Gallimard, Folio Histoire, 2007.
132 • Chapitre 10 - Le projet d’une Europe politique depuis 1948
S. Kahn, Histoire de la construction de l’Europe depuis 1945, PUF,
2011.
Sites internet
http://europa.eu/index_fr.htm : site officiel de l’Union européenne, comprenant de nombreux documents sur l’histoire,
le fonctionnement et la législation de l’Union, ainsi qu’un
« espace enseignant » qui peut être pratique.
http://www.cvce.eu/ : site du Centre de recherche et de documentation sur l’Europe, basé au Luxembourg, rassemblant
une grande série de documents (textes, affiches, caricatures)
et de dossiers sur l’Europe. Une base très intéressante, mais
d’un niveau parfois supérieur aux exigences de la terminale.
http://www.touteleurope.eu/ : portail d’informations très
diverses sur la construction européenne, avec cartes et
statistiques.
Introduction au chapitre
p. 328-329
Les problématiques d’ouverture centrent le chapitre sur les projets de construction de l’Europe, passés et présents, et sur leurs
résultats et non pas sur les nombreux événements qui se sont
déroulés depuis 1948. Le programme fait réfléchir les élèves sur
les différentes manières de construire l’Europe plus que sur la
chronologie de la construction européenne. Il faut éviter à tout
prix de tomber dans une chronologie commentée de la création
des communautés européennes successives.
Les deux documents d’ouverture renvoient justement à des
conceptions de l’Europe plus qu’à des événements particuliers.
Tout en les replaçant dans leur contexte historique (surtout pour
le premier), il faut les confronter afin d’évaluer s’il y a une évolution dans la manière de construire l’Europe.
→Doc. 1 : Winston Churchill au congrès de La Haye, mai 1948.
La photographie d’archives, très classique, montre l’emblématique ancien Premier ministre britannique Winston Churchill,
battu aux élections législatives de 1945 (il reprendra le pouvoir
en 1951), en train de prendre la parole au congrès de La Haye
(Pays-Bas). Après sa défaite électorale, Churchill a une grande
activité de conférencier : on se souvient par exemple du discours
de Fulton, aux États-Unis (mars 1946) sur la Guerre froide, où il
emploie la célèbre expression de « rideau de fer ». En septembre
1946, lors d’un voyage à Zurich pour parler de la construction
européenne, il évoque les « États-Unis d’Europe » chers à Victor
Hugo. C’est ce discours qui donne l’idée de réunir un congrès
international. L’abondance des micros devant la table montre
qu’il s’agit d’un événement médiatique : c’est la première grande
réunion internationale consacrée à la construction européenne
depuis la guerre. La présence sur la photographie de personnages vêtus d’un costume strict et la mention, dans la légende,
de la présence des 750 délégués (dirigeants, anciens résistants)
montrent qu’il s’agit d’une réunion de personnes dotées de
hautes responsabilités. L’Europe est donc encore une affaire de
dirigeants politiques.
→Doc. 2 : Affiche du mouvement fédéraliste Jeunes européens
aux élections européennes de 2009.
La confrontation avec le document précédent doit faire surgir
l’idée d’une opposition complète, à la fois de date, de nature
et de contenu. Beaucoup moins connue, beaucoup plus récente
(plus de 60 ans d’écart avec la photographie de Churchill),
l’image est une affiche électorale parue à l’occasion des dernières élections européennes (dont la date est mise en exergue :
« 7 juin 2009 »), qui ont lieu tous les cinq ans au mois de juin. Le
drapeau et les couleurs bleu et jaune renvoient pourtant à une
réalité commune : l’Europe. L’affiche a ceci de particulier qu’elle
n’est pas destinée à soutenir un parti ni un candidat (elle ne
comprend aucun signe partisan), mais simplement à convaincre
les électeurs d’aller voter. Le mouvement Jeunes européens qui
→Frise La chronologie sommaire se divise en deux temps et deux thématiques, afin de montrer l’évolution générale de la construction
européenne. De 1948 à 1989, l’Europe apparaît comme un idéal
lointain, qui se développe surtout sur le plan économique. Elle
est le théâtre d’une concurrence entre deux types de projets,
l’Europe fédéraliste, qui échoue parfois (la CED), et l’Europe
des nations (à consonance unioniste). Depuis la fin des années
1980, l’Europe politique est davantage une réalité, bien que non
achevée, portée par des textes présentant à la fois des idées
fédéralistes et des concessions au souverainisme.
Repères
p. 330-333
1. Une Europe politique en projet
La double page sert à rappeler le contexte chronologique dans
lequel se bâtit l’Europe politique. Remontant jusqu’au xixe siècle,
elle souligne que le projet de construction du continent ne date
pas de l’après-guerre. En 1848, par exemple, au moment du printemps des peuples européens, l’écrivain Victor Hugo lance un
vibrant appel pour « les États-Unis d’Europe ».
→Doc. 1 : Les États-Unis d’Europe, un idéal lointain ?
Le document 1 et la petite biographie insistent sur un acteur
plus récent, à relier au programme de première : le Français
Aristide Briand, Prix Nobel de la paix en 1926 et auteur d’un discours à la Société des nations, le 5 septembre 1929, qui reprend
l’expression d’Hugo. La SDN lui donne alors un mandat pour
rédiger un mémorandum sur le sujet. La célèbre caricature présentée ici montre Briand, en habit de patriarche, diriger la foule
des dirigeants politiques qui le suivent vers le soleil levant des
fameux « États-Unis d’Europe » qu’il espère de ses vœux. Le titre
« La terre promise » indique que la caricature fait référence au
dernier épisode de la vie de Moïse dans l’Ancien Testament. De
même que le patriarche hébreu, qui conduisait le peuple élu à
travers le désert, n’a pu qu’apercevoir de loin la terre promise
avant de mourir, le dessinateur suggère que Briand ne pourra
pas voir l’accomplissement de son œuvre utopique. En effet, le
dessin a été réalisé en septembre 1931, deux ans après le discours
de Briand, en pleine crise économique mondiale et alors que la
santé de Briand (gros fumeur, comme le rappelle la cigarette de
la caricature) se dégrade rapidement : il meurt en effet le 7 mars
1932, sans avoir vu son rêve réalisé. La mention du manifeste
de Ventotene (1941), du nom de l’île où fut exilé l’antifasciste
Altiero Spinelli, sert à rappeler que la France n’a pas l’apanage
des projets européens.
→Doc. 2 : Jean Monnet fabrique le premier lingot d’acier de la
CECA (1953).
Le deuxième point met en exergue les deux acteurs principaux
des débuts de la construction européenne, le haut fonctionnaire
Jean Monnet, inspirateur du projet de la CECA, et le politique
Robert Schuman, plusieurs fois président du Conseil et ministre
des Affaires étrangères. La photographie illustre une réalisation
concrète de l’entente européenne : deux ans après la signature du traité de Paris créant la CECA, Jean Monnet lui-même,
nommé président de la Haute Autorité, inaugure en grande
pompe, devant les médias, une aciérie au Luxembourg. Cette
fois, ce ne sont plus les discours qui prennent le devant de la
scène (doc. 1, p. 328), mais une réalité économique.
→Doc. 3 : La chute du mur de Berlin, novembre 1989.
La photographie de l’ouverture du mur de Berlin (9 novembre
1989) est un symbole de la chute du rideau de fer qui sépara
le continent en deux pendant plus de 40 ans. Elle induit un
questionnement sur les conséquences de ce phénomène sur
la construction de l’Europe : à la fois approfondissement des
relations entre les États et élargissement de la communauté
vers l’est (27 membres en 2007). Jacques Delors, président de la
Commission européenne, et François Mitterrand, président de la
République française, jouent un rôle important dans ce processus.
2. L’Europe politique, une lente construction
Les deux cartes illustrent spatialement la double page précédente, rappelant qu’il ne faut jamais oublier la dimension
géographique de la construction européenne. Sans faire une
chronologie complète des différents élargissements, on a voulu
comparer la situation dans l’immédiat après-guerre et celle du
début du xxie siècle, que tout sépare.
→Carte 1 : Les débuts de l’Europe politique (1948-1960).
→Carte 2 : L’Europe politique en 2012.
Il faut montrer que les divers obstacles à l’agrandissement de
la Communauté européenne (devenue Union européenne en
1993, suite au traité de Maastricht) sont tombés les uns après
les autres. Le Royaume-Uni et ses alliés d’Europe du Nord
(Irlande, Danemark) ont abandonné leur isolationnisme, puis
les anciennes dictatures des pays d’Europe du Sud (Espagne,
Portugal, Grèce) ont été acceptées dans les années 1980. Les
pays neutres ont rallié la construction européenne à la fin de la
Guerre froide (Autriche, Suède, Finlande en 1995), puis les pays
de l’Est sont entrés à partir de 2004 après avoir satisfait aux critères d’adhésion décidés au sommet européen de Copenhague
(1993). Il reste à intégrer plusieurs pays, économiquement instables, en retard (les Balkans) ou mal acceptés par une partie
de l’opinion publique européenne (la Turquie). L’Islande n’a
déposé sa candidature qu’après la crise de 2008 et pourrait être
acceptée rapidement. Sur le plan institutionnel, il faut mettre
en évidence les résistances à l’approfondissement, qui se manifestent notamment par des référendums perdus dans plusieurs
pays (Irlande, Danemark, France, Pays-Bas).
◗ Réponses aux questions
1. Au début, la construction européenne ne concerne que six
États de l’Europe de l’Ouest (France, RFA, Italie, Belgique, PaysBas, Luxembourg). En effet, plusieurs pays se trouvent exclus du
processus par leur régime communiste (les pays situés à l’est du
rideau de fer) ou par leur dictature (Europe du Sud), tandis que
d’autres restent à l’écart pour des raisons de neutralité dans la
Guerre froide (Suisse, Autriche, Suède, Finlande) ou d’isolationnisme (le Royaume-Uni ne dépose sa candidature, longtemps
refusée, qu’en 1961).
2. La construction européenne a beaucoup progressé, mais elle
n’est pas encore complète. Sur le plan géographique, les élargissements ne sont pas achevés puisque plusieurs pays candidats
ne sont pas entrés dans l’Union européenne, essentiellement
pour des raisons économiques. La Croatie intégrera l’Union le
1er juillet 2013, mais le sort de la Turquie n’est pas encore réglé.
Sur le plan politique, la construction politique s’est heurtée à de
nombreuses résistances (refus de ratification de plusieurs traités
par référendum) et à une division face à des décisions importantes (par exemple, refus de l’euro de la part du Royaume-Uni,
du Danemark et de la Suède).
Chapitre 10 - Le projet d’une Europe politique depuis 1948
• 133
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l’a produite, de sensibilité fédéraliste, a été créé en 1972 ; il milite
pour une plus grande participation des citoyens européens à la
construction de l’Union. Le document met ainsi en valeur une
Europe qui se construit par le suffrage universel direct des
citoyens, contrairement à l’époque de Churchill. Cependant,
l’évolution est à nuancer : l’abstention à ces élections est forte
(d’où l’utilité de l’affiche) et tous les responsables européens ne
sont pas élus au suffrage universel.
Étude 1
p. 334-335
Le congrès de La Haye en 1948,
entre unionisme et fédéralisme
Cette étude, à relier au document 1 p. 328, s’interroge sur l’événement qui constitue le point de départ du chapitre selon le
programme, le congrès de La Haye (Pays-Bas). Souvent passé
sous silence dans l’ancien programme, il n’a pas été choisi pour
l’importance de ses réalisations, mais pour son aspect symbolique
(c’est la première grande réunion internationale sur la construction européenne depuis la guerre) et surtout pour l’opposition
entre les deux conceptions de l’Europe à laquelle il donne lieu.
Plusieurs associations défendant chacune leur vision de l’Europe
ont en effet été fondées peu après la fin du conflit mondial :
l’Union des fédéralistes européens est créée en septembre 1946
à Paris, tandis que Churchill a inspiré l’United Europe Movement
en 1947. L’axe principal de cette étude consiste à identifier clairement les camps en présence et à comprendre quel projet a
dominé les débats.
→Doc. 1 : Churchill appelle à l’unité européenne.
Le premier document concerne le personnage le plus célèbre
du Congrès, qui a participé à le réunir, l’ancien Premier ministre
conservateur britannique Winston Churchill (1874-1965). S’il n’a
plus, à cette époque, de responsabilité politique (il a été battu
aux élections législatives de juillet 1945, qu’il avait lui-même
convoquées, par le travailliste Clement Attlee), il jouit toujours
d’un grand prestige, ayant réussi à résister seul à Hitler durant
l’été 1940. Dans cet extrait de son discours d’ouverture du
congrès, il justifie l’union de l’Europe et développe le projet d’un
Conseil de l’Europe.
→Doc. 2 : Le projet de Denis de Rougemont.
Nettement plus jeune que Churchill, Denis de Rougemont (19061985) est un écrivain et philosophe francophone suisse dont la
réputation est grandissante à l’époque. Auteur d’une magistrale
étude sur la passion amoureuse à partir de l’histoire de Tristan
et Yseut (L’Amour et l’Occident, 1939), il s’est engagé dans l’effort
de guerre allié, puis a lui aussi milité pour l’union de l’Europe. En
août 1947, il prononce ainsi un discours au premier congrès de
l’Union européenne des fédéralistes, l’autre grand mouvement
favorable à la construction européenne. Comme en témoignent
la référence du document ainsi que le nom de l’association qu’il
soutenait, Denis de Rougemont est partisan d’une Europe fédérale, gommant les différences au sein du continent afin de forger
une entité européenne cohérente. En 1970, il recevra le prix
Robert Schuman en reconnaissance pour son action au service
de la construction européenne.
→Doc. 3 : Une vision critique du Conseil de l’Europe.
L’élève doit repérer que l’ordre des documents ne suit pas la
chronologie. Comme le document 5, cette caricature allemande
(datée d’août 1949, plus d’un an après les deux textes) évoque la
création, issue du congrès de La Haye, du Conseil de l’Europe,
suggéré par Churchill dans le document 1. Le dessinateur souhaite mettre en valeur l’inutilité de la structure, qui n’aboutit,
selon lui, à aucune réalisation palpable.
© Hachette Livre
→Doc. 4 : Les participants du congrès de La Haye, 7-10 mai
1948.
Il est important de montrer aux élèves ce qu’a été concrètement
le congrès de La Haye : une grande réunion de 750 responsables européens, hommes politiques, intellectuels et anciens
résistants, provenant de 17 pays différents, dans une salle prestigieuse du château de La Haye, la Ridderzaal (salle des chevaliers).
L’image pourra être avantageusement complétée du document 1
p. 328 où l’on voit un gros plan sur la tribune. Le décor et l’apparence des participants montrent qu’il s’agit naturellement d’une
rencontre diplomatique et non populaire. Le grand « E » apposé
134 • Chapitre 10 - Le projet d’une Europe politique depuis 1948
sur la cheminée témoigne de l’importance du mouvement de
Churchill, qui a organisé la réunion de concert avec l’Union européenne des fédéralistes.
→Doc. 5 : Extraits du Statut du Conseil de l’Europe, 5 mai 1949.
Ce document présente le résultat de ces quelques jours de
congrès. Moins d’un an après la fin de la réunion, dix pays
d’Europe occidentale signaient à Londres, au pays de Churchill,
le traité créant le Conseil de l’Europe, première pierre de la
construction européenne, qui existe toujours aujourd’hui (47
États membres en 2012). Il faut cependant rappeler que ce
n’est pas la première instance internationale de coopération en
Europe : le 16 avril 1948, quelques semaines avant le congrès de
La Haye, était créée par la convention de Paris l’Organisation
européenne de coopération économique (OECE), rassemblant
17 pays, à l’initiative des États-Unis, pour coordonner les aides
issues du plan Marshall. Le 14 décembre 1960, après la fin du
plan Marshall, l’OECE se transforme en Organisation de coopération et développement économique (OCDE), qui sert surtout
à publier des rapports statistiques réguliers ayant trait aux pays
développés. Le Statut du Conseil de l’Europe contient 42 articles,
dont quatre sont présentés ici, qui mettent en valeur l’aspect
clairement unioniste de cette institution.
◗ Réponses aux questions
1. Le décor luxueux et solennel de cette grande salle (estrade,
baldaquin, lustres, fauteuils) et l’apparence des délégués, souvent
des hommes d’un certain âge (la calvitie se lit sur de nombreux
crânes), tous habillés d’un costume, montrent que les personnes
invitées ne sont guère représentatives de la population européenne. Comme l’indique la légende, ce sont essentiellement
des responsables politiques et des intellectuels plutôt que des
représentants de toutes les couches de la société.
2. Winston Churchill s’inspire clairement de l’Organisation
des Nations unies (ONU), créée en 1945 à la fin de la Seconde
Guerre mondiale, qui réunit la plupart des pays du monde pour
s’entendre sur le règlement des problèmes internationaux. Pour
lui, le Conseil de l’Europe dont il voudrait voir le jour est « un
élément » de l’organisation mondiale. Churchill appelle à une
action libre décidée par les gouvernements européens, qu’il
invite à s’entendre : il développe donc une vision unioniste de la
construction européenne, sans perte de souveraineté de la part
des États.
3. Prenant un ton lyrique qui dramatise la situation (l’union de
l’Europe ou le chaos), Denis de Rougemont ne s’adresse pas aux
gouvernements comme Churchill, mais aux peuples eux-mêmes
(« un si puissant rassemblement d’hommes », « les peuples
d’outre-mer associés à nos destinées »). Son projet peut être
qualifié de fédéraliste car il souhaite unir tous les Européens dans
« la plus grande formation politique », dotée d’institutions qu’on
rencontre normalement au sein d’un État, comme une Cour de
justice et une Assemblée représentative. Le penseur suisse veut
aller plus loin que Churchill dans la construction européenne.
4. Le Conseil de l’Europe reprend la conception confédéraliste
défendue par Churchill. En effet, elle laisse principalement la
main aux gouvernements des États membres plutôt qu’à une
instance supranationale et indépendante. L’institution principale, le Comité des ministres, est composée d’un membre
de chaque gouvernement, le ministre des Affaires étrangères
(doc. 5, article 14). L’Assemblée est également issue de représentants de chaque pays, selon une procédure décidée par les
gouvernements (doc. 5, article 25), et ne possède qu’un pouvoir
consultatif (doc. 5, article 22 : « Assemblée consultative ») : ses
recommandations peuvent ne pas être prises en compte par le
Comité des ministres.
5. La caricature montre une succession à la tribune du Conseil
de l’Europe de sept orateurs, tous des hommes habillés d’un costume sombre et faisant de grandes gesticulations. La légende
◗ Texte argumenté
Trois ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, un congrès
sur la construction politique de l’Europe se réunit à La Haye, aux
Pays-Bas, à l’instigation de l’ancien Premier ministre britannique
Winston Churchill. Rassemblés dans la salle principale d’un grand
château, 750 délégués issus de nombreux pays de toute l’Europe
occidentale, essentiellement des responsables politiques et des
intellectuels, discutent pendant quatre jours des moyens de rapprocher les Européens. La question est de savoir si le congrès a défendu
un projet politique cohérent.
Les débats voient en réalité s’affronter deux conceptions opposées de l’Europe. Winston Churchill, fondateur de l’United Europe
Movement, est le chef de file du camp unioniste. Partisan d’une réunion des peuples occidentaux sur le modèle de l’Organisation des
Nations unies, il est favorable à une entente libre et volontaire des
gouvernements qui respecte la souveraineté nationale de chaque
État. Au contraire, les fédéralistes, comme l’écrivain et philosophe
suisse Denis de Rougemont, défendent une Europe plus audacieuse
dotée d’institutions communes, dont une Assemblée représentative
et une Cour de justice.
Les fédéralistes apparaissent comme minoritaires dans cette réunion
dominée par les responsables politiques. Le congrès aboutit donc à
la création, en mai 1949, d’une institution d’inspiration unioniste,
le Conseil de l’Europe. Son instance principale est le Comité des
ministres, constitué des ministres des Affaires étrangères de chaque
État, tandis que l’Assemblée n’a qu’un rôle consultatif. Bien qu’étant
l’objet de diverses critiques quant à son manque d’action d’envergure, le Conseil de l’Europe s’est doté en 1950 d’une Convention
européenne des droits de l’homme et représente un élément important de l’identité de l’Europe occidentale.
Étude 2
p. 336-337
Le plan Schuman et la CECA
L’étude porte sur l’un des épisodes les plus connus de la
construction européenne. Il s’agit d’une étape-clé à remettre
dans un contexte complexe. Sur le plan européen, la création du
Conseil de l’Europe en 1949 a suscité quelques déceptions et a
donné l’envie de prolonger le rapprochement par de nouveaux
moyens : c’est toute l’intuition de Jean Monnet, instigateur de
ce plan d’intégration du charbon et de l’acier en France et en
RFA. Cinq ans après la fin de la guerre, on est également dans
le contexte de la reconstruction d’un continent marqué par
de nombreuses destructions et de la réconciliation entre les
ennemis européens d’hier. En effet, sur le plan international,
la Guerre froide s’est accentuée en 1948-1949 par le blocus de
Berlin (les Soviétiques échouent à faire évacuer Berlin-Ouest par
les Occidentaux, malgré un blocus de 11 mois contré par un pont
aérien occidental). La guerre de Corée est sur le point d’éclater
(juin 1950) et les relations internationales sont tendues. Les pays
d’Europe occidentale se retrouvent désormais unis dans le camp
démocratique contre le bloc communiste dirigé par l’URSS.
L’initiative de Robert Schuman est donc une décision majeure
qui bouleverse la suite de la construction européenne.
→Doc. 1 : Le plan Schuman.
Robert Schuman, ministre des Affaires étrangères dans plusieurs
gouvernements de la IVe République, est l’homme de la situation. Homme de la frontière, né à Luxembourg d’une famille
mosellane, il a subi de plein fouet les conséquences des affrontements franco-allemands et souhaite vivement mettre fin à
cette rivalité (« que l’opposition séculaire de la France et de
l’Allemagne soit éliminée »). Pour lui, la constitution d’une organisation commune dans les secteurs stratégiques du charbon et
de l’acier a pour triple intérêt d’anéantir le risque d’une renaissance de la puissance allemande, de rendre toute guerre entre
France et Allemagne techniquement impossible et de réconcilier les deux pays par une solidarité concrète. Son annonce aux
médias, le 9 mai 1950, cinq ans presque jour pour jour après la
capitulation allemande et la fin de la guerre en Europe, a surpris
tout le monde.
→Doc. 2 : Le projet de Jean Monnet.
Contrairement au document précédent, le texte de Jean
Monnet, haut fonctionnaire français, n’est pas un document
public, mais un texte technique destiné à justifier l’idée d’une
communauté du charbon et de l’acier auprès du ministre Robert
Schuman. Il est daté de six jours avant le discours de Schuman :
l’initiative réelle de ce qui est resté dans l’histoire comme « le
plan Schuman » provient donc de Monnet. Celui-ci a toujours
travaillé dans l’ombre. Spécialiste des questions techniques, il
a coordonné l’effort de guerre de la Triple Entente pendant la
Première Guerre mondiale, avant d’être secrétaire général de la
Société des Nations (SDN) en 1919. En 1940, il rejoint le général
de Gaulle à Londres et s’occupe de nouveau de la coordination des Alliés. En 1945, il devient commissaire au Plan, vaste
programme économique chargé d’encadrer la reconstruction
économique de la France. Les objectifs techniques de Monnet
rencontrent harmonieusement les ambitions diplomatiques de
Schuman.
→Doc. 3 : Les institutions de la Communauté européenne du
charbon et de l’acier (CECA) d’après le traité de Paris du 18
avril 1951.
Cet organigramme présente les cinq principales institutions de la
CECA. Les élèves sont normalement habitués à ce type de document, classique en histoire politique. On relève du premier coup
d’œil la coexistence d’instances de type intergouvernemental
(en orange) et d’autres de type fédéral (en bleu, indépendantes
des gouvernements), ce qui montre que la CECA a fait l’objet de
compromis.
→Doc. 4 : La bienveillance des partenaires européens.
Cette photographie, prise au Conseil de l’Europe en 1951, montre
que les dirigeants des trois grands pays de la future CECA, issus
de la même génération, qui a connu les deux guerres mondiales,
et du même courant politique (la démocratie chrétienne), n’entretiennent pas seulement des relations diplomatiques, mais
aussi des rapports amicaux, au-delà de la barrière linguistique.
→Doc. 5 : Les réactions européennes au plan Schuman.
Parmi les très nombreuses réactions immédiates (les articles
datent tous d’un ou deux jours après l’annonce officielle de
Schuman), on a choisi de mettre en valeur quelques-unes des
plus significatives. On remarque tout de suite l’originalité du
journal l’Humanité (organe officiel du Parti communiste français), qui condamne l’initiative en la resituant dans le cadre de
la Guerre froide et de la domination américaine sur le camp
occidental (alors que Schuman ne fait jamais référence aux
États-Unis). En revanche, les autres coupures de presse expriment un enthousiasme certain pour le projet français.
◗ Réponses aux questions
1. Le projet de Schuman est original car il n’appelle pas les gouvernements européens à discuter de questions globales, comme
l’avait fait le Britannique Winston Churchill au congrès de La
Haye en 1948, mais il propose « des réalisations concrètes »
qui engagent les acteurs économiques de la France et de l’Allemagne fédérale, anciens pays ennemis, à travailler ensemble
dans deux secteurs industriels précis et stratégiques, ceux du
charbon et de l’acier. Schuman développe donc une approche
qu’on a appelée fonctionnaliste.
Chapitre 10 - Le projet d’une Europe politique depuis 1948
• 135
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« Je déclare la première séance ouverte… Avec cela, je clos la
dernière séance » fait penser que ces longues discussions n’ont
servi à rien. Il est vrai que l’Assemblée du Conseil de l’Europe n’a
qu’un pouvoir consultatif.
2. Le mémorandum de Jean Monnet, qui a inspiré le texte de
Schuman, montre que l’idée d’une communauté du charbon et
de l’acier s’inscrit dans un plan d’ensemble destiné à rapprocher
les Européens (« créer l’Europe ») et à leur apprendre à abandonner une partie de leur souveraineté nationale pour travailler
en commun. Jean Monnet exprime ici clairement des arguments
fédéralistes.
3. Presque tous les journaux et les dirigeants politiques d’Europe occidentale se montrent favorables au plan Schuman, dès
qu’il est rendu public. Le chancelier allemand Adenauer parle par
exemple d’« un pas généreux accompli par la France ». Sur la
photographie, l’échange de sourires entre les dirigeants de trois
grands pays d’Europe de l’Ouest (France, RFA, Italie) suggère
une bonne entente entre eux, tous démocrates chrétiens. Les
socialistes eux-mêmes, situés dans un bord politique opposé à
celui de Schuman, trouvent l’idée « séduisant[e] » parce qu’elle
vise à empêcher une nouvelle guerre. Les seuls qui critiquent
ouvertement l’initiative sont les communistes (cf. l’Humanité)
car, dans le cadre de la Guerre froide, il leur paraît soutenir les
intérêts des capitalistes et des Américains.
4. Le traité de la CECA respecte les objectifs de Schuman
puisqu’il prévoit la présence d’une Haute Autorité, indépendante des gouvernements, chargée de coordonner la production
de charbon et d’acier. Située à Luxembourg, elle est au cœur
d’une région industrielle, entre la France et la RFA.
5. Les institutions de la CECA apparaissent clairement comme
le fruit d’un compromis car elles mélangent des instances de
deux types différents. La Haute Autorité, le Comité consultatif
et la Cour de justice, tous placés à Luxembourg, ne dépendent
pas des gouvernements des États membres, ce qui relève de
la logique fédéraliste, tandis que le Conseil des ministres et
l’Assemblée commune sont liés aux gouvernements, comme le
souhaitent les unionistes. C’est toutefois un grand changement
par rapport au Conseil de l’Europe, dont les institutions respectaient uniquement la logique intergouvernementale.
◗ Texte argumenté
Lorsque, le 9 mai 1950, cinq ans presque jour pour jour après la
fin de la Seconde Guerre mondiale, le ministre français des Affaires
étrangères Robert Schuman convoque les médias pour leur communiquer son projet de coopération européenne connu sous le nom de
plan Schuman, la question se pose de la postérité d’une telle initiative. Il faut se demander comment ce texte a pu aboutir à un projet
politique européen durable.
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Le principe de base de la proposition de Schuman, inspirée par le
haut fonctionnaire Jean Monnet, a le mérite d’être original. Il ne
s’agit pas de faire avancer la construction européenne par des discussions abstraites, mais par la poursuite d’un objectif commun
concret, la coordination de la production de charbon et d’acier,
source d’énergie et matériau importants dans l’industrie de l’époque,
entre les deux anciens pays ennemis d’hier, la France et l’Allemagne
fédérale. Le projet est également ouvert à tous les pays voisins qui
voudraient y participer. Il a le double avantage de pousser les gens
à travailler ensemble sur le terrain et de rendre une guerre entre les
deux pays impossible.
Le succès de cette initiative est dû à plusieurs facteurs. L’effet de
surprise avec lequel le projet a été annoncé a favorisé son retentissement médiatique. Les dirigeants politiques des pays voisins, presque
tous démocrates chrétiens comme Schuman (Adenauer en RFA, de
Gasperi en Italie), ont accepté avec enthousiasme et la presse a été
unanime, à l’exception des communistes liés à l’URSS, pour vanter
les mérites du plan. Les institutions prévues ont habilement lié les
deux types de logique de construction politique, à la fois fédéraliste
(la Haute Autorité) et unioniste (le Conseil des ministres), ce qui a
garanti sa solidité. Les négociations ont ainsi rapidement abouti :
le traité de Paris (1951), signé moins d’un an après l’annonce de
136 • Chapitre 10 - Le projet d’une Europe politique depuis 1948
Schuman, jette les bases de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), embryon de l’Union européenne actuelle.
Étude 3
p. 338-339
De Gaulle et l’Europe politique
Le dossier a pour ambition de mettre en lumière l’ambiguïté des
rapports du général de Gaulle avec la construction européenne.
Fondateur de la Ve République, défenseur proclamé de l’identité
et de la grandeur de la France, de Gaulle est contemporain des
débuts de la Communauté économique européenne (CEE) et est
surtout connu pour les ralentissements qu’il a imposés à ses partenaires européens (double refus de la candidature britannique
en 1963 et 1967, politique de la chaise vide en 1965 contre la fin
de la règle de l’unanimité dans les prises de décision). Les documents montrent qu’il ne se contente pourtant pas d’une posture
de frein de la CEE ; il possède sa propre vision de la construction
européenne, assez différente de celle des pères fondateurs.
→Doc. 1 : L’idée gaullienne de l’Europe.
Parmi les 18 conférences de presse et les 53 allocutions télévisées du général de Gaulle, plusieurs comprennent des
développements plus ou moins longs sur la conception gaullienne de l’Europe. Certaines citations sont restées célèbres,
comme lorsque, le 14 décembre 1965, pendant la campagne pour
les élections présidentielles, il s’écrie : « Bien entendu, on peut
sauter sur sa chaise comme un cabri en disant l’Europe ! l’Europe ! l’Europe !... mais cela n’aboutit à rien et cela ne signifie
rien ». C’est la conférence de presse du 15 mai 1962, prononcée
quelques mois après l’adoption de la Politique agricole commune
(PAC) à laquelle la France est favorable, que nous présentons ici
car elle oppose clairement deux conceptions défendues par de
Gaulle lui-même.
→Doc. 2 : Une proposition française, le plan Fouchet.
La France de de Gaulle ne fait pas que résister aux initiatives
fédéralistes européennes, elle propose également de nouveaux
traités. Christian Fouchet, proche du général, ambassadeur de
France au Danemark, élabore en 1961 et en 1962 deux versions
successives d’un projet d’Union des États européens, à vocation
clairement confédérale, où les gouvernements reprennent la
main sur les structures fédéralistes. Suscitant une vive opposition de la part des partenaires européens, surtout des pays du
Benelux qui ont peur d’être écrasés par une hégémonie francoallemande, le plan Fouchet est finalement abandonné.
→Doc. 3 : « Sans roue », caricature du Suisse Hans Geisen sur
la politique française de la « chaise vide », 1965.
Un document d’origine étrangère était indispensable afin de voir
comment l’action de la France pouvait être perçue par ses voisins européens. Le caricaturiste suisse Hans Geisen n’habite pas
la communauté européenne, mais il présente une vision partagée par beaucoup d’hommes politiques de la CEE, mécontents
de voir les institutions paralysées par de Gaulle, qui bloque le
processus de décision par son absence aux réunions du Conseil
des ministres pendant six mois en 1965. Le différend sera finalement réglé en janvier 1966 par le compromis de Luxembourg,
qui donne gain de cause à la France : les décisions continueront
à être prises à l’unanimité lorsque les intérêts vitaux d’un des
pays seront en jeu.
→Doc. 4 : De Gaulle et Adenauer à Reims, 4 juillet 1962.
Très célèbre, cette photographie symbolise le choix du général
de Gaulle de privilégier les relations bilatérales entre les anciens
ennemis d’hier, la France et l’Allemagne, au détriment du multilatéralisme européen. Elles ont notamment l’avantage de
s’établir sur une base de coopération intergouvernementale et
non supranationale. À la suite d’un voyage triomphal en RFA en
→Doc. 5 : La politique européenne de de Gaulle.
Répondant au document 1, ce texte est un article de l’éditorialiste André Fontaine qui porte un regard critique sur la vision
gaullienne de l’Europe, quelque temps après la démission (avril
1969) et la mort de de Gaulle (novembre 1970), ce qui lui donne
un certain recul historique. Fontaine nuance l’idée fortement
répandue que de Gaulle était « antieuropéen » en montrant qu’il
avait plutôt des convictions unionistes, qui se sont notamment
exprimées dans le plan Fouchet.
◗ Réponses aux questions
1. Les trois documents évoquent plusieurs occasions de désaccord entre de Gaulle et ses partenaires européens. En 1958, il
suscite l’inquiétude par son arrivée au pouvoir en France, mais il
se rallie vite au traité de Rome (1957). En 1961 et 1962, les deux
versions successives du plan Fouchet de constitution d’une
Union des États européens sont refusées par les cinq autres
membres de la Communauté économique européenne (CEE). En
1965, la France résiste à ses partenaires européens en bloquant,
par son absence, le Conseil des ministres pour protester contre
la suppression prévue de la règle de l’unanimité dans les prises
de décision importantes ; elle gagne finalement la partie en 1966
grâce au compromis de Luxembourg, qui pérennise le droit de
veto pour chaque pays menacé dans ses intérêts.
2. La voiture à six roues, occupée par six personnages aux physiques assez typés, représente l’Europe des Six (France, RFA,
Italie, Belgique, Pays-Bas, Luxembourg, membres de la CEE)
qui se dirige « vers le marché commun » selon le panneau. De
Gaulle, reconnaissable à sa grande taille, à son couvre-chef militaire et à son physique caricatural, quitte le véhicule et s’en va
dans la direction opposée, en emportant une roue. La voiture
reste donc immobile en plein milieu de la chaussée, au grand
dam des autres passagers, qui fixent tous le président français
sans rien dire. Ce geste représente le refus de de Gaulle de siéger pendant six mois au Conseil des ministres européen, en 1965,
afin de préserver la règle de l’unanimité dans les prises de décisions européennes.
3. Le plan Fouchet a été refusé par les autres pays de la CEE car
il allait à l’encontre des idéaux qu’ils défendaient depuis le plan
Schuman. Tandis que la CECA et la CEE se sont construites sur
des institutions partiellement inspirées par la logique fédéraliste
(Haute Autorité, puis Commission, toutes deux indépendantes
des gouvernements), de Gaulle, qui refuse toute instance supranationale, promouvait la coopération entre gouvernements
(article 5 du plan Fouchet) et la règle de l’unanimité (article 6).
4. De Gaulle reste fermement attaché à l’État nation comme
base des relations internationales. Pour lui, l’Europe n’a pas
d’identité propre ni de « réalité vivante » : elle n’est que l’addition des peuples qui la composent. C’est donc le gouvernement
de chaque État qui doit toujours avoir le dernier mot pour
défendre ses intérêts, y compris lorsqu’il s’oppose à la totalité de
ses pays voisins, par l’usage d’un droit de veto. Le succès de de
Gaulle a été mitigé : s’il a réussi à sauvegarder le droit de veto
par la politique de la chaise vide en 1965 et s’il a pu empêcher
l’acceptation de la candidature britannique dans la CEE par deux
fois (1963 et 1967), il a cependant échoué à faire adopter le plan
Fouchet, d’inspiration confédérale.
5. De Gaulle refuse toute évolution vers une Europe fédérale
située au-dessus des entités étatiques : il ne veut pas avoir à
rendre des comptes à une institution indépendante des gouvernements et il s’oppose à ce que les décisions soient désormais
prises à la règle de la majorité, sans possibilité de blocage de la
part d’un ou plusieurs pays.
6. Pour de Gaulle, le rapprochement avec l’Allemagne fédérale
représente l’achèvement de la réconciliation avec un ancien
ennemi, avec lequel ont éclaté trois guerres en trois quarts de
siècle, mais aussi une possibilité de dialogue avec un gouvernement étatique et non pas une instance supranationale.
◗ Texte argumenté
Premier président de la Ve République française (1959-1969), le
général Charles de Gaulle arrive au pouvoir moins de deux ans
après la signature du traité de Rome (1957) qui a mis en place la
Communauté économique européenne (CEE). Jugé antieuropéen
par beaucoup, il ne revient pas en arrière, mais entend défendre
une vision personnelle de l’Europe, différente de celle des « pères
fondateurs » des années 1950.
La conception gaullienne se fonde sur la primauté de l’État nation
comme élément de base de la politique internationale. De Gaulle
ne nie pas l’existence de l’Europe, mais il ne lui reconnaît pas une
identité en soi, elle n’est pour lui que l’addition des peuples qui la
composent. Il refuse donc le développement d’une autorité supranationale qui ne soit pas contrôlée par les gouvernements, préférant
le dialogue direct entre les États eux-mêmes. Méfiant envers la
logique fédéraliste de la construction de l’Europe, il se montre donc
proche des conceptions unionistes telles que le Britannique Winston
Churchill les a développées au congrès de La Haye en 1948.
Le président français a tenté de mettre ses idées en application.
D’une part, il a usé de tout son pouvoir pour freiner l’évolution de la
construction européenne vers le fédéralisme, utilisant par exemple
la stratégie de la chaise vide en 1965, au Conseil des ministres de la
CEE, pour éviter la suppression de la règle de l’unanimité dans la
prise de décisions importantes, au risque de déclencher une crise
majeure. Il use aussi de son droit de veto pour refuser, par deux
fois, l’entrée dans la CEE du Royaume-Uni, qu’il juge trop proche
des États-Unis. D’autre part, il privilégie les relations bilatérales en
se rapprochant de la RFA du chancelier Adenauer, avec lequel il
signe une alliance étroite par le traité de l’Élysée en 1963. Il propose
aussi, en 1961 et en 1962, deux versions successives du plan Fouchet
d’Union des États européens, chargé de réorganiser l’édifice européen selon une logique intergouvernementale.
Son action rencontre cependant certaines limites. Si l’usage de son
droit de veto lui permet de remporter la victoire dans la crise de la
chaise vide (le compromis de Luxembourg en 1966) et dans l’affaire
de la candidature britannique, il provoque cependant des mécontentements chez ses partenaires européens, qui refusent par deux
fois le plan Fouchet, trop éloigné des idéaux fédéralistes. Le départ
de de Gaulle, en 1969, marquera d’ailleurs un soulagement au sein
de la Commission européenne.
Leçon 1
p. 340-341
1948-1989 : l’Europe politique, un idéal lointain
→Doc. 1 : « La peur », un ciment pour l’Europe occidentale au
début de la Guerre froide.
L’un des moins connus et des plus atypiques des « pères fondateurs » de la construction européenne (il est socialiste, alors
que la plupart sont démocrates chrétiens), le Belge Paul-Henri
Spaak a occupé de nombreux postes très prestigieux au sein des
institutions européennes (président du Conseil de l’Europe, de
la CECA, puis de l’OTAN). Son célèbre discours de « la peur »,
prononcé à l’Organisation des Nations unies en septembre
1948, révèle l’une des lignes de conduite majeures qui guident
son action : le rejet de l’idéologie communiste et la nécessité
de s’unir entre Européens, aux côtés des Américains, leaders du
monde libre, pour faire face à la menace de la Guerre froide. Il
ne faut pas oublier cet élément du contexte dans les facteurs
explicatifs de la construction européenne.
◗ Réponse à la question
1. Un peu plus d’un an après le déclenchement de la Guerre
froide, Spaak compare les deux modèles idéologiques qui s’afChapitre 10 - Le projet d’une Europe politique depuis 1948
• 137
© Hachette Livre
septembre 1962, de Gaulle signe, le 22 janvier 1963, le traité de
l’Élysée avec le chancelier Adenauer.
frontent pendant le conflit : le modèle occidental, dont il se
réclame, et le modèle soviétique, qu’il critique fortement. Pour
lui, le modèle occidental a le mérite de respecter les libertés
fondamentales et les choix politiques des électeurs, tandis que
la politique soviétique, qualifiée d’« impérialiste » en raison des
conquêtes effectuées par Staline à la suite de la Seconde Guerre
mondiale, est au service d’un parti unique, le Parti communiste.
→Doc. 2 : Affiche célébrant le traité de Rome (1957) « L’Europe
unie pour le progrès et pour la paix ».
Cette affiche italienne a été reproduite sur de nombreux supports destinés aux scolaires afin de populariser chez les plus
jeunes l’idée de la coopération européenne, symbolisée par une
heureuse danse réunissant six femmes dont les jupes portent
les couleurs des drapeaux des six pays membres de la jeune
Communauté économique européenne (CEE).
◗ Réponses aux questions
1. La citation en italien est une phrase de l’homme politique
italien Alcide de Gasperi, huit fois président du Conseil entre la
fin des années 1940 et le début des années 1950. Mort en 1954, il
n’a pas vu la signature du traité négocié dans la capitale de son
pays en 1957 : l’affiche rend ainsi un hommage posthume à son
engagement européen.
2. Par le slogan et par la citation d’Alcide de Gasperi, l’affiche
met en avant deux objectifs importants de la construction
européenne. Le premier est la consolidation de la paix, dans
une région du monde marquée par de nombreuses guerres à
l’époque contemporaine. Le second est d’ordre économique : la
« libre circulation des hommes, des biens et surtout du travail »
vise à favoriser l’emploi et la croissance (« le progrès »).
→Doc. 3 : Mésentente au cours d’un sommet.
Le caricaturiste français Jean Plantureux, dit Plantu, représente ici, avec humour, la paralysie qui a affecté la construction
européenne au sommet de Fontainebleau en juin 1984 au sujet
des revendications britanniques développées depuis plusieurs
années par le Premier ministre conservateur Margaret Thatcher.
Le sommet aboutira finalement à l’adoption d’une forte réduction de la contribution britannique au budget européen, objet
d’une autre caricature célèbre de Plantu (elle montre notamment Mme Thatcher levant un gros chèque en signe de victoire).
◗ Réponse à la question
3. La femme aux cheveux clairs et au long nez représente
Margaret Thatcher, Premier ministre conservateur britannique
entre 1979 et 1990. Sa colère et le fait qu’elle soit le seul personnage entièrement en blanc montrent son isolement par rapport
aux autres : elle remet en cause le fonctionnement des institutions européennes et obtiendra une réduction de la participation
de son pays au budget communautaire. Le personnage à la tête
allongée qui fait face à Mme Thatcher est François Mitterrand,
président socialiste de la France de 1981 à 1995. Opposant aux
prétentions du Royaume-Uni, il s’est appuyé sur l’Allemagne
d’Helmut Kohl, avec qui il a signé le traité de Maastricht en 1992.
Les autres personnages en costume figurent les autres dirigeants
européens.
© Hachette Livre
→Doc. 4 : Les pères de la construction européenne.
Le tableau résume les principaux traits biographiques des cinq
personnages regroupés sous l’appellation de « pères fondateurs » de la construction européenne. Il faut évidemment faire
comprendre aux élèves qu’on ne doit pas apprendre par cœur
son contenu, mais établir des comparaisons entre les parcours
et relever des points communs entre les pères fondateurs
(naissance à la fin du xixe siècle, souvent en terre frontalière
ou disputée, famille issue de la bourgeoisie, convictions catholiques, courant politique démocrate chrétien, responsabilités
électorales à l’exception de Jean Monnet).
138 • Chapitre 10 - Le projet d’une Europe politique depuis 1948
Étude 4
p. 342-343
Maastricht, un pas vers l’Europe politique ?
Le traité de Maastricht (7 février 1992), négocié pendant plusieurs mois entre les partenaires européens, est une des dates
importantes de la construction européenne. C’est lui qui a mis
en marche le mécanisme de l’Union économique et monétaire aboutissant à la monnaie unique. Il a également changé
le nom de la Communauté, qui devient Union européenne au
1er novembre 1993. Mais l’étude s’intéresse ici aux implications
politiques du traité et aux réactions qu’il a pu susciter en France
et en Europe. Le but est de montrer qu’il a été mal accepté par
une partie de l’opinion publique car il effectuait pour la première
fois un saut important dans la construction européenne.
→Doc. 1 : Extraits du traité de Maastricht (Pays-Bas) signé le
7 février 1992.
Cette étude démarre très logiquement par des extraits du texte
du traité. Composé de 6 titres (chapitres) comprenant 55 articles,
suivis de « protocoles, annexes et déclarations », le traité est
long et très technique, ce que les électeurs français (qui ont
reçu l’intégralité du texte avant de voter) ont déploré. Le passage proposé contient un extrait du préambule, qui présente les
objectifs du traité, et plusieurs articles issus des premiers titres,
consacrés aux institutions de la future Union.
→Doc. 2 : Jacques Delors présente le traité de Maastricht.
Président de la Commission européenne pendant deux mandats
de 5 ans, Jacques Delors a joué un rôle majeur dans la rédaction
du traité. Beaucoup moins ardu que le texte du traité lui-même,
ce discours prononcé à l’occasion de la signature du traité
dévoile les principaux objectifs qu’il s’est fixés.
→Doc. 3 : Le principe de subsidiarité.
Le principe de subsidiarité représente la grande nouveauté
du traité dans le domaine de la répartition des compétences
entre l’autorité traditionnelle des États et celle des institutions
européennes. Cet article, tiré de la revue française Le Monde
diplomatique, dresse une définition précise de ce principe.
→Doc. 4 : Une campagne disputée.
Les deux photographies témoignent de la complexité des clivages politiques à l’égard du traité de Maastricht. Alors qu’ils
appartiennent à la même coalition de droite RPR-UDF, alors
dans l’opposition, qui devait remporter une très large victoire
aux élections législatives de mars 1993, ces hommes politiques
défendent des options opposées pour le référendum du 20
septembre 1992. Les députés Pierre Méhaignerie et Bernard
Bosson, issus du Centre des démocrates sociaux (composante
de l’Union pour la démocratie française, UDF), sont partisans
du « Oui », tandis que le sénateur Charles Pasqua, membre du
Rassemblement pour la République (RPR), défend le « Non ». La
question européenne n’oppose donc pas droite et gauche, mais
plutôt le centre de l’échiquier politique (favorable) aux parties
plus extrêmes.
→Doc. 5 : Une adoption délicate.
Si, après de vifs débats, la France a finalement adopté le traité
de justesse par référendum (51,04 % de « Oui »), les électeurs
danois avaient, quelques mois plus tôt, refusé le traité à une
courte majorité (50,7 % de « Non »). Dans l’article présenté, issu
du journal Libération, politiquement marqué à gauche, l’éditorialiste Serge July s’en réjouit en espérant que cet épisode puisse
introduire plus de démocratie dans le fonctionnement de la
construction européenne. Grâce à certains aménagements, les
Danois voteront « Oui » le 18 mai 1993.
◗ Réponses aux questions
1. La citoyenneté européenne est un nouveau niveau de
citoyenneté qui s’ajoute à la citoyenneté nationale : tout citoyen
◗ Texte argumenté
Le traité de Maastricht (1992) est le premier texte majeur adopté
par les États de la Communauté européenne après la chute du bloc
communiste en Europe de l’Ouest. Fruit de longues négociations
entre le président de la Commission européenne Jacques Delors,
le président français François Mitterrand, le chancelier allemand
Helmut Kohl et leurs partenaires, il marque un pas important dans
l’histoire politique du continent. En quoi peut-on dire qu’il a fait
progresser l’Europe politique et pourquoi a-t-il été contesté ?
Maastricht organise un saut qualitatif dans l’approfondissement de
la construction européenne. En effet, c’est notamment pour réagir
à la montée de la puissance allemande après la réunification survenue en 1990 et à la mondialisation croissante que les dirigeants
européens ont voulu rapprocher davantage les pays membres. Pour
ce faire, ils ont changé le nom de la Communauté en Union européenne et prévu d’unir davantage leurs politiques monétaires et
étrangères. Ils ont aussi modifié les institutions en donnant un rôle
plus grand au Parlement, en introduisant le principe de subsidiarité
dans la répartition des compétences en Europe et ils ont instauré
une citoyenneté donnant plus de droits aux Européens dans tout
le territoire de l’Union. Cette politique d’envergure rompt avec la
stratégie des « petits pas » utilisée jusque-là.
Cette rupture politique a entraîné bon nombre de résistances. Dès
le départ, les négociations entre les pays sont difficiles, en particulier avec les Britanniques, réticents devant une montée de la logique
fédérale. La ratification du traité a également posé problème dans
plusieurs États. Par exemple, de nombreux mouvements dits souverainistes ont critiqué la perte d’indépendance nationale que ce
traité allait entraîner pour chaque pays. Les Danois refusent le texte
par référendum en juin 1992, tandis que les Français l’acceptent
par une très courte majorité en septembre. Il faudra de nouvelles
concessions pour que les Danois disent finalement « Oui » au traité
en mai 1993. Au final, Maastricht a renforcé l’Europe politique, mais
a creusé un certain fossé entre les dirigeants européens et une partie
de l’opinion publique.
Étude 5
p. 344-345
2005 : le « Non » français et néerlandais
au projet de Constitution européenne
On oppose souvent le traité de Maastricht, adopté de justesse
malgré les réticences d’une partie des électeurs, et le traité de
Constitution européenne, abandonné après l’échec de deux
référendums en France et aux Pays-Bas, un peu plus de dix ans
plus tard. C’est la première fois depuis le refus français de la
Communauté européenne de défense (CED) en 1954 que la
construction européenne marque le pas à la suite de l’opposition
d’un ou plusieurs de ses membres. Cette étude cherche à mettre
en valeur les raisons qui ont abouti à cet échec et la manière
dont l’Europe a finalement rebondi.
→Doc. 1 : Pourquoi une Constitution européenne ?
Ce texte est le pendant du document 2 p. 342 pour le traité de
Maastricht : il s’agit de la présentation du traité par un de ses
principaux rédacteurs, en l’occurrence l’ancien président français Valéry Giscard d’Estaing. Celui-ci fut choisi pour diriger la
Convention chargée de la rédaction du traité. Son discours a
lieu au moment de la présentation d’un premier projet de traité,
qui sera finalement remplacé par le traité du 29 octobre 2004.
→Doc. 2 : Le vote des Français.
Document classique en sciences sociales, ce tableau statistique
présente les principaux résultats d’un sondage de sortie des
urnes réalisé par l’institut SOFRES le jour du référendum français, le 29 mai 2005. On y apprend la répartition du vote selon
plusieurs critères (âge, profession du chef de ménage, diplôme,
préférence partisane). On pourrait déplorer que le sondage ne
donne pas de chiffres concernant l’abstention, qui fut notable
au scrutin (30,7 %).
→Doc. 3 : Une analyse des résultats du référendum français.
Issu d’une revue d’analyse politique parue avec un recul de plusieurs mois sur les événements, cet article tente d’expliquer
le résultat du référendum français par une série de facteurs
politiques et sociaux. Il est évidemment à relier au document
précédent.
→Doc. 4 : Une double surprise pour l’Europe.
L’abondance des unes de journaux consacrées au « Non » français, au lendemain du référendum du 29 mai 2005, montre la
grande résonance médiatique de cet événement. La grande
banderole favorable au « Non » (« Nee » en néerlandais, avec
deux « E » remplacés par le sigle de l’euro) sur une péniche aux
Pays-Bas, où le « Non » l’emporte aussi quelques jours plus
tard, montre que tous les moyens ont été utilisés pendant une
campagne intense. Beaucoup d’analystes remarquent que cette
campagne fut aussi marquée par l’importance d’échanges de
points de vue sur Internet.
Chapitre 10 - Le projet d’une Europe politique depuis 1948
• 139
© Hachette Livre
d’un pays membre de l’Union est automatiquement citoyen
européen. Il s’agit d’une avancée pour l’Europe politique dans
le sens qu’elle implique de nouveaux droits valables dans toute
l’Union et pas seulement dans le pays d’origine (être électeur et
éligible aux élections municipales de son pays d’accueil, déposer
une pétition devant le Parlement européen).
2. Les autres nouveautés présentes dans le document relèvent
des institutions, avec un rôle accru du Parlement européen, et
de la politique étrangère, avec la recherche d’une plus grande
unité entre Européens. Selon Jacques Delors, il s’agit de rendre
l’Europe plus démocratique et davantage capable de parler
d’une seule voix.
3. Le principe de subsidiarité est une nouveauté importante
car il remet en cause les schémas préétablis sur la souveraineté.
Désormais, les compétences ne sont plus censées appartenir
automatiquement aux États, qui pourraient les déléguer à l’Union
européenne ; elles sont réparties entre les États et l’Union selon
la plus grande efficacité de l’intervention, ce qui rend cette
répartition susceptible d’évoluer dans le temps.
4. Les deux affiches s’appuient paradoxalement sur la même
notion de liberté, une des trois valeurs de la devise française.
Pour les partisans du « Oui », il s’agit de la liberté de circulation et de vote qui appartient à chaque individu de l’Union. Les
défenseurs du « Non » se placent au contraire au niveau de la
nation, mettant en avant la liberté de l’État français de conserver sa souveraineté et de ne pas se soumettre à une autorité
supérieure.
5. Jacques Delors reconnaît que la signature du traité s’est faite
« au prix de compromis » et qu’il n’était « pas facile » de concilier les différents objectifs, ce qui montre que les négociations
n’ont pas été aisées. L’adoption a elle aussi été complexe car
Maastricht prévoit des nouveautés qui ont été contestées par
les partisans de la souveraineté nationale. Dans plusieurs pays
ayant ratifié le traité par référendum, les débats ont été âpres ;
le « Non » l’a emporté, dans un premier temps, au Danemark,
avant l’organisation d’un second vote, et le « Oui » n’a remporté
la victoire que de justesse en France.
6. C’est au moment où les Français n’ont pas encore voté par
référendum que Serge July se réjouit du vote négatif des Danois,
en juin 1992. Pour lui, cette « grande crise » doit permettre aux
Européens de mesurer la fragilité de la construction politique
et d’accentuer sa dimension démocratique au détriment de son
aspect « technocratique », aux mains de fonctionnaires non élus
par les citoyens.
→Doc. 5 : De la Constitution au traité de Lisbonne.
La revue Courrier international, présente au CDI de nombreux
établissements scolaires, rassemble chaque semaine les meilleurs articles de journaux du monde entier afin de donner une
vision internationale de l’actualité. Ici, elle reprend l’article d’un
journaliste portugais qui commente la rédaction, alors en cours,
du traité de Lisbonne, signé dans son propre pays fin 2007. Il est
destiné à remplacer le traité constitutionnel, finalement considéré comme caduque après l’échec des deux référendums déjà
cités.
◗ Réponses aux questions
1. Valéry Giscard d’Estaing, président de la Convention chargée de rédiger une Constitution européenne, considère le
texte comme une avancée pour l’Europe politique car il répond,
selon lui, aux aspirations des citoyens européens dans plusieurs
domaines-clés. La Constitution prévoit en effet de renforcer les
pouvoirs de l’Union européenne relatifs à la libre circulation,
d’unifier sa politique étrangère et de rendre ses institutions plus
démocratiques, avec un rôle accru du Parlement européen, élu
directement par les Européens depuis 1979.
2. À quelques jours d’intervalle, au printemps 2005, la France,
puis les Pays-Bas refusent nettement le traité avec respectivement 54,7 % et 61,6 % de « Non ». L’Europe avait déjà connu
plusieurs votes négatifs de la part d’un Parlement national (la
France contre la Communauté européenne de défense en 1954)
ou même d’un peuple (les Danois contre Maastricht en 1992, les
Irlandais contre le traité de Nice en 2001), mais jamais deux fois
de suite. Cette situation crée donc une crise inédite.
3. Le traité de Lisbonne (Portugal), dont l’initiative revient au
président français Nicolas Sarkozy, est chargé de combler le
vide juridique créé par l’abandon de la Constitution européenne.
Il contient de nombreux points communs avec cette dernière,
mais il ne revendique pas de caractère constitutionnel. La principale différence avec le traité de 2004 est que les chefs d’État
européens se mettent d’accord pour ne pas soumettre le texte à
référendum. Le journaliste dénonce sévèrement ce fait et prédit
que ce manque de démocratie coûtera cher à la construction
européenne.
4. Le vote « Non » a été davantage choisi par des catégories
d’électeurs très diverses. À l’exception des plus de 65 ans, toutes
les classes d’âge ont refusé le traité, en particulier les gens
d’âge moyen (35-49 ans). D’un point de vue social, ce sont les
catégories inférieures (ouvriers) et les classes moyennes (ce qui
constitue une nouveauté par rapport au référendum de 2005)
qui ont le plus montré leur défiance vis-à-vis du texte. Les partisans du « Non » ont également plus souvent un niveau d’études
faible. Politiquement, ils se situent majoritairement à gauche, à
l’extrême droite (Front national) ou parmi les électeurs n’exprimant pas de préférence partisane.
© Hachette Livre
◗ Texte argumenté
À partir de 2002, les autorités européennes expriment le désir de
rédiger un traité chargé de récapituler en un texte unique l’ensemble
des traités issus de la construction européenne. La Convention dirigée par l’ancien président français Valéry Giscard d’Estaing aboutit
en octobre 2004 à la signature du traité de Rome, aussi appelé
traité constitutionnel. Il est largement rejeté par référendum, en
mai et juin 2005, par deux des pays fondateurs de l’Union, la France
et les Pays-Bas. Comment peut-on expliquer cet échec et comment
la construction européenne a-t-elle pu redémarrer après ce coup
d’arrêt ?
Le traité de Constitution européenne a été soumis à référendum
dans plusieurs États membres de l’Union au cours de l’année 2005.
Si l’Espagne et le Luxembourg ont dit « Oui », la France (54,7 %
de « Non »), puis les Pays-Bas (61,6 % de « Non ») ont tous deux
rejeté le texte à moins d’une semaine d’intervalle. En France, ce sont
essentiellement les classes moyennes et les électeurs de gauche, sans
140 • Chapitre 10 - Le projet d’une Europe politique depuis 1948
oublier les souverainistes de droite, qui ont massivement refusé le
traité. Ce vote fut le fruit d’une inquiétude sur l’avenir et d’une
défiance envers une construction européenne jugée lointaine. Le
terme « Constitution » a également rebuté certains car il s’applique
normalement aux États indépendants, ce que n’est pas l’Union
européenne.
Cette double victoire du « Non », inédite dans l’histoire politique du
continent, a été très médiatisée et a marqué une crise profonde de la
construction européenne. Après de nombreuses hésitations, les dirigeants européens ont décidé d’abandonner le texte au profit d’un
traité simplifié, sans valeur constitutionnelle, signé à Lisbonne le 13
décembre 2007. Il reprend l’essentiel des éléments du traité refusé,
mais sans les aspects les plus disputés. Le choix d’adopter le texte
sans référendum (sauf en Irlande, où le vote a d’abord été négatif) a
permis de relancer rapidement la construction européenne, mais a
mécontenté une partie de l’opinion publique.
Leçon 2
p. 346-347
1989-2012 : l’Europe politique, avancées
et remises en cause
→Doc. 1 : Les institutions européennes après le traité de
Lisbonne en 2007.
Cet organigramme simplifié reprend les mêmes codes de couleur que le document 3 p. 336 pour favoriser la comparaison. Il
n’est pas nécessaire de mémoriser le détail des attributions de
chaque institution, mais il faut retenir l’architecture d’ensemble.
◗ Réponse à la question
1. La comparaison montre que les institutions européennes se
sont étoffées depuis les années 1950 autour d’un noyau resté
identique. Plusieurs instances nouvelles ont été créées, comme
le Conseil européen et le président du Conseil européen ;
d’autres se sont transformées : la Haute Autorité est devenue
la Commission européenne dès 1957, l’Assemblée commune est
depuis 1979 le Parlement européen, élu au suffrage universel
direct. Les institutions de type fédéraliste ont pris une place
croissante, mais les deux types d’institutions continuent de
coexister.
→Doc. 2 : Deux avis sur la construction européenne.
Les deux documents ont pour point commun d’être des professions de foi politiques rédigées à l’occasion des élections
européennes de juin 2009 et destinées à guider le choix des
électeurs. Les deux textes présentent des idées totalement
opposées, ce qui montre que la question européenne reste un
clivage fort de la vie politique française, qui ne recoupe d’ailleurs
pas l’opposition classique entre droite et gauche.
◗ Réponses aux questions
1. Le Mouvement démocrate (MoDem) est un parti centriste,
issu de l’ancien camp démocrate chrétien (centre droit), fondé
par l’ancien ministre François Bayrou. Le Mouvement pour la
France de Philippe de Villiers est classé parmi la droite nationale,
entre la droite classique et le Front national.
2. Le parti de F. Bayrou centre son propos sur la situation économique mondiale, en évoquant la crise et le phénomène de la
mondialisation. Pour lui, « une réponse européenne unie » est
la seule arme efficace pour lutter contre les problèmes rencontrés. Au contraire, le parti de Ph. de Villiers parle avant tout de
la France, opposée aux « commissaires européens, nommés
et non-élus », comme le rappelle la mention de la victoire du
« Non » au référendum de mai 2005. Son but est de maintenir
l’identité française face à une Europe vue comme lointaine et
envahissante. Les deux partis ont donc un point de vue totalement opposé sur la question européenne : pour l’un, l’Europe est
une alliée ; pour l’autre, une adversaire.
→Doc. 3 : « Cameron, cheval de Troie turc ».
◗ Réponse à la question
L’entrée dans l’Union européenne de la Turquie, candidate
depuis 1987, suscite un débat passionné en Europe, pour des
raisons à la fois géographiques (le pays est majoritairement
situé en Asie), économiques (le pays a un PIB inférieur à celui
des membres de l’Union), politiques (il ne respecte pas tous les
droits de l’homme) et surtout culturelles (il est massivement
musulman). La caricature souligne les divergences entre les partenaires européens sur ce sujet sensible.
1. Le vote du budget 2011 a provoqué un vif conflit entre
plusieurs institutions de l’Union européenne. Le Parlement
européen, élu au suffrage universel direct, qui a un rôle croissant dans l’élaboration du budget annuel depuis le traité de
Lisbonne (2007), cherchait à peser dans les grandes orientations
budgétaires, selon une logique supranationale. Au contraire, les
ministres de chaque État, réunis dans le Conseil européen qui
codécide avec le Parlement, souhaitaient avant tout diminuer
les dépenses de l’Union, en des temps de crise économique,
dans l’intérêt financier de leur pays. Cette divergence d’intérêts
a créé un blocage qu’il a été très difficile de résoudre.
1. Les cinq éléments du dessin sont reconnaissables aux couleurs de leur drapeau. L’Europe (douze étoiles jaunes sur fond
bleu) apparaît comme une forteresse gardée par deux grandes
tours, la France (à gauche) et l’Allemagne (à droite). Le Premier
ministre turc Erdogan, coiffé d’un fez ottoman marqué du drapeau turc, monte un cheval de bois aux couleurs britanniques
et se dirige vers la forteresse européenne. Cela montre que le
soutien à la candidature turque apporté par le nouveau Premier
ministre David Cameron ne suffira sans doute pas à vaincre les
réticences franco-allemandes.
Leçon 3
p. 348-349
L’Europe politique aujourd’hui
→Doc. 1 : Législation européenne et législation nationale :
Natura 2000.
Beaucoup de gens savent que la plupart des lois nationales sont
désormais la transposition de décisions prises à l’échelon européen ; les hommes politiques le répètent souvent, soit pour s’en
réjouir, soit pour le dénoncer. Cependant, peu savent exactement à quoi correspondent ces décisions. Natura 2000 est un
bon exemple d’un groupe de directives européennes, ayant pour
but de promouvoir la protection de l’environnement dans toute
l’Union, destinées à être répercutées dans les législations de
tous les pays membres.
→Doc. 2 : La répartition des compétences entre États et
Union européenne.
Depuis le traité de Maastricht (1992), c’est le principe de subsidiarité, cher à l’ancien président de la Commission Jacques Delors,
qui décide de la répartition des compétences entre l’Union
européenne et les États membres. Il a pour but de faire gérer un
domaine par l’institution jugée la plus efficace pour cette tâche,
en fonction de ses moyens et de sa vision du problème.
◗ Réponse à la question
1. La répartition des compétences est d’une grande complexité.
L’Union a reçu le transfert partiel ou total de certaines compétences majeures qui appartenaient auparavant aux États seuls.
C’est notamment le cas de la politique monétaire, qui est pourtant une fonction régalienne normalement assurée par chaque
État ; en effet, l’euro, monnaie unique de 17 pays membres, est
géré par la Banque centrale européenne, agence de l’Union.
Les autres compétences de l’Union relèvent surtout du cadre
structurel de l’économie (union douanière, concurrence, libre
circulation) ou des politiques d’ensemble (Politique agricole
commune), tandis que les décisions économiques et sociales les
plus importantes restent essentiellement aux mains des États.
→Doc. 3 : La difficile préparation du budget européen 2011.
Cet article récent du journal Le Monde, qui décrit à chaud le
conflit budgétaire alors en train de se produire, a l’avantage d’expliquer clairement les logiques de l’affrontement, qui n’opposent
pas plusieurs partis politiques comme c’est souvent le cas dans
les États, mais plusieurs institutions de l’Union.
→Doc. 4 : Une critique contre les finances européennes.
La question du coût financier de l’Union européenne est un
argument classique des souverainistes, qui déplorent souvent le
manque de transparence et de visibilité des dépenses engagées.
Il n’est pas étonnant de retrouver cette critique dans une revue
(Le Cri du contribuable) qui, comme son nom l’indique, critique
le poids excessif des impôts en France. La France est effectivement un contributeur net du budget européen, mais elle reçoit
des aides dans certains secteurs importants (reconversion industrielle, rénovation urbaine).
◗ Réponse à la question
1. Le dessin dénonce le prix jugé excessif des dépenses de
l’Union européenne : le fonctionnaire de Bruxelles (siège de
la Commission européenne, organe exécutif de l’Union) présente au contribuable une facture démesurément longue en lui
demandant de payer sans contester. L’Europe est vue comme
une structure lointaine et anonyme, sur laquelle le contribuable
n’aurait pas de prise et qui représente un gouffre financier.
L’idée, jugée très excessive par les fédéralistes, est à rapprocher
des convictions souverainistes.
Histoire des Arts
p. 350-351
Les faiblesses de l’Europe politique
vues par les caricaturistes
La caricature est un moyen d’expression classique en politique,
que les élèves connaissent depuis le collège. Son étude est adaptée à cette partie du programme car, au-delà de l’humour qu’elle
véhicule, elle transmet toujours une vision de la réalité. Il s’agit à
la fois d’apprendre à décoder cette vision, par l’analyse des éléments du dessin, et de la confronter à la réalité historique. On
notera la diversité des caricatures choisies, tant pour les origines
(l’une est réalisée par un Français, la deuxième par un Soviétique,
la dernière par un Anglais) que dans le temps (de 1950 à 2001).
◗ Réponses aux questions
1. Dans le document 2, le personnage de gauche, un homme
d’affaires bien habillé au ventre très prononcé, fumant le cigare,
représente les États-Unis, comme le suggère le sigle du dollar inscrit sur le papier qu’il tient à la main. Le marié au nœud papillon
blanc et au costume sombre est le ministre français des Affaires
étrangères Robert Schuman, auteur du projet de Communauté
européenne du charbon et de l’acier (CECA) en 1950. La mariée,
portant à la main la Ruhr (riche région industrielle allemande)
comme dot, est en fait le chancelier de République fédérale
allemande (RFA) Konrad Adenauer. Dans le document 3, le
grand personnage est le général Charles de Gaulle, président
de la République entre 1959 et 1969, reconnaissable à sa grande
taille, à son nez et à son costume militaire. Sur son épaule, de
très petite taille (pour signifier son faible rôle), figure Georges
Pompidou, alors Premier ministre.
2. Le symbole qui figure sur le cadran du téléphone est le sigle
de l’euro, monnaie créée en 1999 pour une partie des États de
Chapitre 10 - Le projet d’une Europe politique depuis 1948
• 141
© Hachette Livre
◗ Réponse à la question
l’Union européenne, qui n’est entrée dans les porte-monnaies
qu’en 2002.
3. Le document 2 se situe au moment du plan Schuman, projet
de Communauté européenne du charbon et de l’acier présenté
le 9 mai 1950. Le document 3 date du premier refus par le général de Gaulle, au début de 1963, de la candidature britannique
dans la Communauté économique européenne (CEE). Le document 1, datant de 2001, n’est pas relié à un contexte particulier
identifiable.
4. La troisième condition (abandonner le Commonwealth,
sphère d’influence britannique correspondant à peu près à l’ancien empire colonial anglais) est impossible car le Commonwealth
rappelle la grandeur passée de l’empire britannique et joue
un rôle économique important pour le Royaume-Uni. La cinquième condition (abolir l’anglais pour ne parler que français)
s’oppose à la culture britannique, qui utilise l’anglais depuis des
siècles. La neuvième condition (renommer la gare de Waterloo
« gare Jeanne-d’Arc ») bafouerait l’histoire britannique puisque
Waterloo fut une victoire anglaise alors que Jeanne d’Arc fut une
ennemie des Anglais. Toutes ces conditions absurdes imaginées
par le dessinateur veulent montrer que de Gaulle est prêt à tout
pour empêcher l’entrée du Royaume-Uni dans la CEE.
5. La caricature représente le chancelier Konrad Adenauer en
femme pour symboliser le mariage franco-allemand de la CECA,
ce qui relève de l’humour du dessinateur. En revanche, qu’Adenauer soit associé à la croix gammée, signe distinctif du nazisme,
parce qu’il est Allemand, est une manipulation politique : en
effet, il était un opposant notoire au nazisme (il a été limogé de
son poste de maire de Cologne dès 1933) et l’idéologie d’Hitler
a été éradiquée en Allemagne à partir de 1945. Robert Schuman
fut également très hostile aux nazis. Le mariage est placé, dans
le dessin, sous la bénédiction du capitalisme américain alors
qu’il n’en est pas question dans le plan Schuman. Cette vision
diffamatoire se retrouve parfaitement dans l’article du journal
communiste l’Humanité : elle constitue la version officielle du
camp communiste.
6. Dans les documents 1 et 2, le personnage de gauche représente
diverses variantes de l’Oncle Sam, personnage emblématique
des États-Unis. C’est un homme d’âge mûr, portant tel ou tel
attribut de la puissance américaine : le chapeau avec l’étoile et
les bandes qui rappellent le drapeau américain, le costume ou le
dollar, monnaie au rayonnement mondial.
7. Ces caricatures mettent en valeur plusieurs défauts reprochés à l’Europe politique. Le document 2 l’accuse d’être sous la
coupe des États-Unis et, de manière manipulatrice, de rester liée
à l’héritage de l’Allemagne nazie. Le document 3 accuse indirectement l’Europe d’être bloquée par l’autoritarisme d’un seul
dirigeant politique, le Français Charles de Gaulle, dont le veto
empêche le Royaume-Uni d’entrer dans la CEE. Enfin, le document 1 déplore que l’Europe politique n’ait pas de tête et ne
sache pas parler d’une seule voix à ses interlocuteurs mondiaux
(personne ne répond à l’appel téléphonique de l’Américain).
Prépa Bac
p. 354-359
◗ Composition
Sujet guidé - De 1948 à 1992, deux projets
pour une Europe politique
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5. Rédiger l’introduction et la conclusion
Introduction
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les Européens
tentent de renforcer leur union. Mais dès le congrès de la Haye
en 1948, deux conceptions différentes des institutions et de la
place des citoyens s’opposent : l’unionisme et le fédéralisme. Sur
quel projet se construit l’Europe politique entre 1948 et le traité
142 • Chapitre 10 - Le projet d’une Europe politique depuis 1948
de Maastricht en 1992 ? La période 1948-1951 voit naître le projet
européen mais aussi s’affronter ces deux conceptions. De 1951 à
1979, les défenseurs d’une Europe des États imposent leur vision
mais, entre 1979 et 1992, la question du fédéralisme est relancée.
Conclusion
Unionisme ou fédéralisme ? La période 1948-1992 ne permet pas
de trancher même si en 1992, le choix du fédéralisme semble
relancé. Cependant, le manque d’adhésion populaire laisse planer le doute sur le succès de ce projet.
6. Rédiger le développement
1. Après la Seconde Guerre mondiale, et alors que la Guerre
froide débute, les États d’Europe occidentale tentent de se rapprocher pour consolider la paix.
Pour ces États, il y a nécessité d’une Europe politique pour garantir la paix durablement. Dès 1946, Winston Churchill appelle à
l’unité européenne. Son initiative se concrétise par l’ouverture
du congrès de La Haye en mai 1948. Les délégués, venus de 17
pays d’Europe, dont de nombreux dirigeants et anciens résistants, discutent de ce que l’ancien Premier ministre anglais a
appelé les « États-Unis d’Europe » et de la forme à donner à
cette union. Ainsi naît le Mouvement européen. Mais une division fondamentale entre les partisans de ce projet européen
apparaît.
Pour les unionistes, rassemblés derrière Churchill, il est essentiel
de maintenir la souveraineté des États. Ils sont donc favorables
à une simple confédération. Ils sont à l’origine de la création du
Conseil de l’Europe en 1949, un organe consultatif regroupant
les représentants des pays d’Europe occidentale et destiné à
promouvoir les droits de l’homme.
Face à eux, le courant fédéraliste défend l’approfondissement
de l’union en une fédération indépendante des États membres,
gouvernée par un pouvoir supranational doté d’une souveraineté
propre. Ce projet est porté par le Français Jean Monnet. Celuici convainc alors le ministre français des Affaires étrangères
Robert Schumann de proposer à l’Allemagne la mise en commun de deux ressources industrielles essentielles, le charbon et
l’acier, sous la responsabilité d’une Haute Autorité commune à
six États et indépendante des États. C’est le point de départ de
la Communauté économique du charbon et de l’acier (CECA),
qui voit le jour en 1951. Elle représente un compromis entre fédéralistes et unionistes.
L’idée d’une Europe politique est désormais acceptée par les
principaux dirigeants de l’Europe occidentale, mais elle peine à
se concrétiser en raison de conceptions différentes.
2. À partir des années 1950, la construction économique de
l’Europe prime sur le projet politique en raison du poids des
défenseurs d’une Europe des États.
En 1952, la France propose la constitution d’une Communauté
européenne de défense (CED). Mais le refus des gaullistes et
des communistes en France fait échouer ce projet. La construction européenne se concentre alors sur le domaine économique.
En 1957, le traité de Rome crée la Communauté économique
européenne (CEE) destinée à devenir une vaste zone de libreéchange. Les institutions mises en place traduisent le choix
d’une Europe non fédérale. Les décisions, suite au compromis
de Luxembourg en 1966, sont prises à l’unanimité, après le refus
du président de Gaulle, opposé à l’idée d’une Europe supranationale, de la règle de la majorité. Cependant, il soutient le projet
européen et rassure les autres États membres en se rapprochant
de l’Allemagne et de son chancelier, Konrad Adenauer. Le traité
de l’Elysée signé en 1963 concrétise cette amitié franco-allemande. De Gaulle et Adenauer encouragent une « coopération
des États ». L’unionisme l’emporte donc. Il est renforcé en 1974
par la création du Conseil européen, rassemblant les chefs d’État
et de gouvernement des États membres.
Le projet politique de l’Europe se cantonne alors à un élargissement à de nouveaux États. En 1973, le Royaume-Uni, l’Irlande
Sujet en autonomie - L’évolution du projet européen
de la CECA au traité de Lisbonne
Problématique : Selon quels axes évolue le projet européen
entre 1951 et 2007 ?
Plan
I. De 1951 à 1973, la construction européenne autour d’un projet
économique
1. Naissance du projet européen en 1951
2. Désaccords sur un projet politique
3. Le choix d’un projet économique et la création de la CEE
II. De 1973 à 1992, le renforcement du projet politique de l’Europe
1. L’élargissement progressif de la CEE
2. Relance du projet politique et traité de Maastricht
III. De 1993 à 2007, élargissement et renforcement du rôle international de l’UE
1. Nouveaux élargissement de l’Union européenne
2. Réformes des institutions européennes : le traité de Lisbonne
◗ Étude de document(s)
Sujet guidé - Deux conceptions de l’Europe politique
Présentation
Le document 1 est un extrait d’une intervention de Paul-Henri
Spaak, député, à la Chambre des représentants belge au cours
de la séance du 7 février 1952. Il y défend sa vision d’une Europe
fédérale, et en présente les spécificités et les avantages.
Le document 2 est un extrait d’une conférence de presse donnée
par Charles de Gaulle à Paris le 15 mai 1962. Répondant aux journalistes qui l’interrogent sur l’échec du plan Fouchet, le général
de Gaulle, alors président de la République française, attaque
les thèses supranationales et atlantistes pour défendre une nouvelle fois sa conception d’une Europe des États.
Á partir de ces documents, nous indiquerons quelles conceptions de l’Europe politique s’affrontent lors de sa mise en place.
Il convient de démontrer en quoi la conception fédérale et celle
d’une Europe des États s’opposent, chacune étant influencée
par son contexte national.
•
Paul-Henri Spaak est l’un des Pères de l’Europe qui souhaitaient la création d’un État fédéral européen (les États-Unis
d’Europe, tout en préservant les particularités des nations constituant cet État). Ainsi, dans ce texte il défend une conception
fédérale de l’Europe, condition de réussite du projet européen,
selon lui. La condition pour que le projet fonctionne, « c’est
qu’il y ait, en Europe, une autorité supranationale ». Spaak ne
craint pas de dire les choses clairement : « il convient d’envisager [...] des abandons de souveraineté ». Ce courant politique
défend en effet une fédération indépendante qui unit des États
membres sous la souveraineté d’un gouvernement supranational. Ce gouvernement possède une autorité supranationale, qui
se situe au-dessus du cadre des États, c’est-à-dire que ses décisions s’imposent aux États membres de l’union fédérale. Spaak
défend cette idée en affirmant que le fédéralisme protège les
petits États, en leur apportant « une sécurité bien plus grande ».
Il démontre, avec l’exemple du fédéralisme américain que, quel
que soit leur poids économique, les petits États peuvent faire
entendre leur voix dans une telle structure politique.
• En revanche, le général de Gaulle, attaché à la souveraineté
nationale, est méfiant, ce qui lui vaut à tort d’être considéré
comme antieuropéen : « il ne peut pas y avoir d’autre Europe
que celle des États ». En réalité, sa position est plus complexe :
il admet en effet bien volontiers que l’Europe, pour fonctionner,
doit parvenir à une « union politique », mais celle-ci ne saurait
se substituer à la « réalité des États ». Autrement dit, les États
nationaux sont disposés à coopérer avec leurs partenaires à
condition toutefois de conserver leur souveraineté nationale.
« […] je ne crois pas que l’Europe puisse avoir aucune réalité
vivante si elle ne comporte pas la France avec ses Français, l’Allemagne avec ses Allemands, l’Italie avec ses Italiens, etc. Dante,
Goethe, Chateaubriand appartiennent à toute l’Europe dans la
mesure même où ils étaient, respectivement et éminemment,
Italien, Allemand et Français. » Les partisans de l’unionisme
veulent une Europe solidaire, mais sans abandon de souveraineté. Il s’agirait de favoriser la coopération intergouvernementale.
Cette conception est partagée par les Britanniques.
• Ces deux textes proposent deux visions différentes de l’Europe politique.
Depuis sa création en 1957, l’Europe ne parvient pas à choisir
clairement une option, ce qui la fragilise sur la scène politique
internationale. Les débats sont permanents entre fédéralistes et
unionistes, et se compliquent depuis l’élargissement de l’Europe
des six. La position de chaque auteur est très ancrée dans chaque
contexte national. Même s’ils parlent de l’Europe, c’est avant
tout à leur pays qu’ils pensent. Ainsi Paul-Henri Spaak défend
d’autant plus volontiers la thèse fédéraliste qu’il est citoyen d’un
petit État, la Belgique. Or « la pensée fédérale […] est inventée
par les petits pour se défendre contre les grands. »
De la même manière, la position unioniste du général de Gaulle
s’explique aussi par son attachement à l’indépendance nationale. Il s’oppose à une Europe fédérale qui pourrait limiter la
souveraineté de la France et défend au contraire une « Europe
des États » où chaque pays garde son indépendance. De même,
il refuse l’entrée de la Grande-Bretagne dans la CEE, car il estime
ce pays trop proche des intérêts américains. Pour lui, l’Europe
est avant tout l’association de la France et de l’Allemagne, et ces
deux grands pays doivent garder les rênes.
Chapitre 10 - Le projet d’une Europe politique depuis 1948
• 143
© Hachette Livre
et le Danemark intègrent la CEE. Pour le Royaume-Uni, cette
entrée annonce la fin d’un long processus marqué par deux refus
de de Gaulle. Mais l’élargissement est freiné en raison de la
Guerre froide : les pays neutres et pays d’Europe de l’Est restent
à l’écart du projet.
Le projet politique reste limité et essentiellement visible à
travers les rencontres des chefs d’États ou de gouvernement,
intégrant peu les citoyens de l’Europe.
3. À partir de 1979, une ouverture à plus de fédéralisme relance
le projet politique.
En 1979, la décision est prise d’élire au suffrage universel les
députés au Parlement européen. Par ailleurs, l’élargissement de
la CEE se poursuit avec la Grèce en 1981, l’Espagne et le Portugal
en 1986, tandis que la fin de la Guerre froide permet d’ouvrir le
processus d’adhésion avec les pays neutres, Autriche, Suède et
Finlande.
Mais cette période est aussi marquée par un approfondissement
du projet européen. Le traité de Maastricht signé en 1992 est
une étape décisive. Il crée une citoyenneté européenne tandis
que le pouvoir législatif du Parlement est renforcé. Les citoyens
sont appelés à se prononcer par référendum sur ce traité et
sont ainsi associés aux décisions prises au sein de l’Europe. Sont
aussi prévues la mise en place d’une union monétaire avec une
monnaie unique (l’euro) ainsi qu’une politique étrangère et de
sécurité commune. Surtout, le traité prévoit l’élargissement
de l’utilisation de la majorité qualifiée au conseil de l’Union
et l’introduction du principe de subsidiarité, donnant ainsi un
véritable pouvoir supranational aux institutions européennes.
En raison de ce volet politique du traité, la CEE cède la place
à l’Union européenne. Mais ce volet politique et cette supranationalité sont vivement contestés par les souverainistes, qui
s’opposent au traité.
En 1992, on parle à nouveau « d’Europe politique », mais aucune
des deux conceptions ne s’est imposée.
Sujet en autonomie - La citoyenneté européenne,
entre théorie et pratique
Présentation
Le document 1 est un extrait du traité constitutif de l’Union
européenne, signé à Maastricht, aux Pays-Bas, le 7 février 1992,
et plus connu à ce titre comme « Traité de Maastricht ». Il s’agit
principalement d’extraits des articles 9 et 10 portant sur la
citoyenneté européenne.
Le document 2 est une affiche du mouvement fédéraliste Jeunes
européens réalisée lors des élections européennes de 2009. Elle
incite les citoyens européens à se mobiliser, avec le slogan : « Le
7 juin 2009, votez !!! ».
•
Le Traité de Maastricht a créé une citoyenneté européenne
La citoyenneté européenne est définie, depuis 1992, par l’article
9 du traité de Maastricht : « Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre. »
Elle est conçue comme une citoyenneté additionnelle, ne se
substituant pas à la citoyenneté nationale mais s’y ajoutant :
« La citoyenneté de l’Union s’ajoute à la citoyenneté nationale
et ne la remplace pas. » Autrement dit, un citoyen français, ou
allemand, ou italien est aussi depuis 1992 citoyen européen.
Á ce titre, il peut participer à la vie politique européenne, en particulier lors des élections des députés au Parlement européen :
comme le rappelle l’article 10-1, « Le fonctionnement de l’Union
est fondé sur la démocratie représentative. » Les citoyens européens peuvent être éligibles et électeurs.
Le nombre de députés européens de chaque pays est fonction
de sa taille démographique (par exemple, la France a 72 députés,
alors que Malte n’en a que 6).
Le Parlement européen joue trois rôles essentiels :
– il examine et adopte les actes législatifs européens avec le
Conseil ;
– il exerce un contrôle sur les activités des autres institutions de
l’UE, notamment la Commission, afin de garantir que celles-ci
fonctionnent démocratiquement ;
– il examine et adopte le budget de l’UE avec le Conseil.
• Une mise en œuvre qui reste encore limitée
Toutefois, si le cadre existe, la participation des citoyens aux
élections européennes reste encore limitée : en 1979, on enregistrait un taux d’abstention de 37 % et, en 2009, de 57 % ! C’est
pourquoi les Jeunes européens encouragent les citoyens à voter.
La citoyenneté européenne reste à promouvoir, elle est encore
plus théorique que réelle, sans doute doit-on informer davantage
les citoyens sur leurs droits et leurs devoirs à l’égard de l’UE pour
qu’ils prennent davantage conscience de leurs responsabilités.
Sujet en autonomie - L’Union européenne,
entre élargissement et approfondissement
© Hachette Livre
Présentation Le document 1 est un extrait du discours de Joschka Fischer,
ministre allemand des Affaires étrangères, tenu au cours d’un
débat sur l’avenir de l’Union européenne à l’université Humboldt
de Berlin, le 12 mai 2000. Il s’interroge sur la finalité de l’intégration européenne.
Le document 2 est un dessin satirique de Kroll, publié dans le
quotidien belge Le Soir, le 6 janvier 2007, intitulé « L’Europe
en 1957, l’Europe en 2007 ». Il montre comment on est passé
144 • Chapitre 10 - Le projet d’une Europe politique depuis 1948
d’une possible unanimité à 6 (les 6 membres acceptent tous de
prendre du café) à un impossible consensus à 27 (chacun voulant
une boisson différente).
•
Les enjeux politiques de l’élargissement
Comme le souligne Joschka Fischer au début de son discours,
l’Europe mène actuellement un double projet.
Tout d’abord, celui de l’élargissement : « Un élargissement aussi
rapide que possible. Cette question pose de difficiles problèmes
d’adaptation aux pays candidats tout comme à l’Union. [...] » On
peut rappeler en effet qu’en 50 ans, la CEE des 6 est passée à
l’UE des 27 :
– 1957 : 6 membres, lors de la création de la CEE, avec la
France, l’Allemagne (RFA), l’Italie, la Belgique, les Pays-Bas et le
Luxembourg.
– 1973 : 9 membres, avec l’entrée de la Grande-Bretagne, de
l’Irlande et du Danemark.
– 1981 : 10 membres, avec l’entrée de la Grèce.
– 1986 : 12 membres, avec l’entrée de l’Espagne et du Portugal.
– 1995 : 15 membres, avec l’entrée de l’Autriche, de la Suède et
de la Finlande.
– 2004 : 25 membres, avec l’entrée de 8 pays de l’Est, de Chypre
et de Malte.
– 2007 : 27 membres, avec l’entrée de la Roumanie et de la
Bulgarie.
L’élargissement s’est particulièrement accéléré depuis la chute
du bloc communiste en 1989, qui a ouvert de nouvelles perspectives à l’Europe politique grâce à la mise en place de régimes
démocratiques en Europe de l’Est. En 1993, les Européens ont
ainsi décidé de la vocation de la Communauté de s’élargir à la
taille du continent, processus qui n’est d’ailleurs à ce jour pas
achevé (d’autres pays sont candidats : la Croatie, la Macédoine,
le Monténégro, la Serbie, l’Islande et la Turquie, cette dernière
candidature suscitant le plus la polémique). L’élargissement ne
se fait pas sans difficultés, car il était plus aisé de fonctionner à
6 membres qu’à 27.
Ensuite, l’Europe mène aussi le projet de l’approfondissement,
car « les institutions de l’Union européenne ont été créées pour
six États membres. […] On risque donc qu’un élargissement à
27 ou 30 États membres dépasse la capacité d’absorption de
l’UE avec ses vieilles institutions et ses vieux mécanismes, et
engendre des crises graves. »
• Améliorer la gouvernance L’UE doit réformer ses institutions pour pouvoir fonctionner
et prendre des décisions le plus efficacement possible. C’est
pourquoi plusieurs traités se sont succédé afin d’améliorer la
coopération entre les États membres :
– 1992 : Traité de Maastricht.
– 1995 : Traité d’Amsterdam.
– 2001 : Traité de Nice.
– 2005 : échec du Traité constitutionnel.
– 2007 : Traité de Lisbonne.
• L’UE n’a cessé de s’élargir depuis sa création, ce qui a nécessité de multiples réformes de ses règles de fonctionnement.
Plus que jamais, le projet de fédération européenne est d’actualité car, comme le rappelle J. Fischer, « Parachever l’intégration
européenne n’est concevable que si ce processus s’effectue sur
la base d’un partage de souveraineté entre l’Europe et l’Étatnation. » Il reste encore à inventer l’Europe de demain.
 11 La gouvernance économique mondiale depuis 
p. 360-381
Thème 4 – Les échelles de gouvernement dans le monde de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours
Question
Mise en œuvre
L’échelle mondiale
La gouvernance économique mondiale depuis 1944
Il s’agit d’une question radicalement nouvelle par rapport aux
anciens programmes de terminale qui ne l’abordaient que marginalement dans le bilan de la Seconde Guerre mondiale avec la
mise en place de l’ONU et des institutions de Bretton Woods
(FMI, Banque mondiale). L’approche est aussi novatrice puisque
la question de mise en œuvre comme le vocabulaire retenu
(gouvernance) font appel à des disciplines extérieures à l’histoire
comme l’économie et la science politique. Néanmoins, l’élève
de terminale a déjà été pleinement familiarisé à cette approche
pluridisciplinaire de la gouvernance mondiale avec l’aspect politique étudié en première concernant la SDN et l’ONU.
◗ Problématiques scientifiques du chapitre
• On peut tout d’abord s’interroger sur le concept de « gouvernance mondiale » qui remonte à Kant et au Projet de Paix
perpétuelle de 1796 dans lequel il concevait une assemblée des
nations pour éviter les conflits entre États. Cette idée d’une
gouvernance mondiale repose donc initialement sur une coopération entre États plutôt que sur la fondation d’un État-monde.
Cette dernière notion n’apparaît qu’au moment de la seconde
industrialisation à la fin du xixe siècle qui correspond aussi à la
première mondialisation « britannique » des échanges. Le raccourcissement des distances par la diffusion de l’automobile et
des chemins de fer, la généralisation du télégraphe sont autant
de phénomènes qui nourrissent le concept d’État-monde.
Des penseurs et écrivains britanniques comme H. G. Wells ou
Norman Angell, issus du courant de pensée libéral, préconisent
la création d’un État-monde rendu indispensable par la diffusion
du libre-échange commercial et l’uniformisation des modes de
production industrielle avec l’organisation scientifique du travail
(OST) de Taylor. Pourtant, avant 1939, cette construction d’un
État-monde politique comme économique reste une pure utopie
intellectuelle tandis que les projets de gouvernance économique interétatique restent soit marginaux (création du Bureau
International du Travail à Genève en 1920) soit inefficaces (échec
de la conférence monétaire et financière internationale de
Londres en 1933).
• La date de 1944 mise en avant par le programme est fondamentale puisque la gouvernance économique mondiale connaît
une première incarnation concrète avec la formation des institutions de Bretton Woods, le Fonds monétaire international
(FMI) et la Banque mondiale, qui ont pour buts respectifs, pour
le premier, de garantir la stabilité monétaire mondiale et, pour
la seconde, d’aider au développement mondial. Ces institutions
sont directement le résultat de la Seconde Guerre mondiale dont
les origines ont démontré le risque d’une guerre économique
prolongée comme celle des années 1930 entre totalitarismes
autarciques et démocraties libre-échangistes. Pourtant, ces institutions sont très ambiguës : à la fois interétatiques, puisque
leur financement est assuré par les États, mais assumant des missions supranationales en prêtant des fonds aux États. De plus, le
FMI comme la Banque mondiale sont immédiatement associés
aux États-Unis qui en sont les concepteurs et les promoteurs.
Cette gouvernance économique est donc partielle puisque les
pays du bloc soviétique l’abandonnent entre 1947 et 1964 (Cuba
quitte le FMI et la Banque mondiale). Elle est aussi incomplète,
le projet d’une Organisation internationale du commerce (OIT),
qui devait être le troisième pilier de Bretton Woods, étant abandonné après 1948 à cause des débuts de la Guerre froide.
• Le premier choc pétrolier de 1973 et la récession mondiale
consécutive sont un autre moment décisif pour l’évolution de la
gouvernance économique mondiale de Bretton Woods. En effet,
le FMI, privé de sa mission fondatrice par la décision unilatérale
du président Nixon de suspendre la convertibilité-or du dollar en
août 1971, ne put rien faire pour rétablir la stabilité économique
internationale. Les accords de la Jamaïque de 1976 redonnèrent
une mission au FMI qui devint le prêteur financier des États en
développement du tiers-monde qui ne pouvaient se financer sur
les marchés financiers internationaux – mais réduisirent singulièrement son ambition : l’idée originelle d’un Keynes à Bretton
Woods d’une « banque internationale » était abandonnée. Plus
largement, l’universalité d’un gouvernement économique mondial fut mise de côté au profit d’un renouveau de la dimension
interétatique avec la formation du G6/G7 des pays industrialisés. La coordination des politiques économiques paraissait la
réponse adéquate aux défis de l’inflation et du chômage à la fin
des années 1970. Mais cette gouvernance interétatique se révéla, elle aussi, bien limitée puisque les divergences croissantes
de politique économique entre pays industrialisés (révolutions
libérales et monétaristes de Reagan et Thatcher aux États-Unis
et en Grande-Bretagne, social-démocratie en France avec la présidence Mitterrand) empêchaient toute coordination effective.
Au sein même de l’espace européen, la création d’une gouvernance monétaire commune par le traité de Maastricht en 1992
était remise en cause par les divergences de politique économique (refus de la Grande Bretagne d’abandonner sa politique
de dévaluation compétitive pour converger vers l’euro).
• Cependant, l’essor d’une seconde mondialisation des échanges
après 1980 amène la redéfinition des besoins de régulation de
l’économie. Une Organisation mondiale du commerce, fondée
en 1995, ressemble à l’État-monde des utopistes libéraux du
début du xxe siècle, imposant depuis Genève des règles acceptées universellement pour le commerce mondial et disposant
des sanctions juridiques pour les faire appliquer, comme un
véritable État. Face à des crises financières devenues mondiales
du fait de la vitesse de circulation des capitaux, la coopération économique intergouvernementale s’étend aux anciennes
puissances dominées du Sud afin de rendre plus efficientes des
politiques économiques publiques qui ne peuvent plus avoir de
frontières (exemple de la lutte du G20 contre les paradis fiscaux
ou la rémunération excessive des agents de change). Pourtant,
malgré ces progrès qui expliquent la redécouverte du concept
même de « gouvernance » (cf. infra), les institutions comme le
G20 et l’OMC sont sévèrement critiquées comme n’assurant pas
un partage équitable des richesses entre les populations mondiales (altermondialisme).
◗ Quelques notions-clés du chapitre
• Altermondialisme : courant de pensée international né dans
les années 1980 qui juge la gouvernance économique de la mondialisation biaisée en faveur des États les plus riches du Nord
et de leurs firmes multinationales au détriment des pays en
développement du Sud. C’est pourquoi ses partisans réclament
un échange plus équitable entre Nord et Sud et une meilleure
représentation des peuples et des minorités sociales ou eth-
Chapitre 11 - La gouvernance économique mondiale depuis 1944
• 145
© Hachette Livre
◗ Nouveauté du programme de terminale
niques (cf. Indiens d’Amérique centrale) dans les institutions de
gouvernance économique mondiale.
• Libre-échange : doctrine économique mise en pratique depuis
le xixe siècle (Corn Laws britanniques de 1846) qui vise à la suppression de tout obstacle douanier à l’échange commercial afin
de favoriser la diffusion de richesses et la coopération entre
nations.
• Mondialisation des échanges : désigne l’augmentation continue et considérable du volume des flux d’échanges et du nombre
de parties impliquées dans ces échanges à l’échelle mondiale
grâce à l’universalisation du libre-échange, à la dématérialisation
des moyens de communication et à l’accélération des modes de
transport.
◗ Débat historiographique
Le concept de « gouvernance » appartient originellement dans le
monde anglo-saxon au monde de l’entreprise, y définissant l’ensemble des relations hiérarchiques entre dirigeants et employés.
Il a été « importé » dans le champ des sciences humaines par la
Banque mondiale qui, dans les années 1980, l’a utilisé pour définir
les relations entretenues dans les pays en développement entre
dirigeants et population (la « mauvaise gouvernance » désignant
ainsi les États africains dont les dirigeants étaient corrompus et
prévaricateurs). Mais cette « importation » pose problème dans
le champ des sciences humaines car il semble, pour certains
historiens et politistes français (Bertrand Badie, Marie-Claire
Smouts), que l’usage du mot « gouvernance » implique de retenir une vision économique libérale du monde comme le faisait la
Banque mondiale dans sa classification. Par ailleurs, le concept
paraît flou et difficile à cerner : des organisations non gouvernementales (ONG) établissant des normes internationales pour
la mondialisation (Transparency pour la corruption, Amnesty
International pour les droits de l’homme) ne sont-elles pas étonnamment des instruments majeurs de gouvernance ?
◗ Bibliographie sélective
C. Bastidon, J. Brasseul, P. Gilles, Histoire de la globalisation
financière, Armand Colin, 2010.
J.-C. Graz, La Gouvernance de la mondialisation, La Découverte,
Coll. Repères, 2008.
P. Moreau Defarges, La Gouvernance mondiale, PUF, Coll. Que
sais-je ?, 2008.
P. Norel, L’Invention du marché, une histoire économique de la
mondialisation, Seuil, 2004.
« Mondialisation, une gouvernance introuvable », Questions
internationales, n° 46, mai-juin 2010.
Introduction au chapitre
p. 360-361
© Hachette Livre
Le chapitre s’organise autour de plusieurs problématiques
distinctes rappelées ci-dessus : d’une part, comment la gouvernance économique mondiale évolue-t-elle depuis 1944 entre
deux pôles différents mais complémentaires de l’interétatique
(du G6 au G20) et du supranational (FMI ou OMC) ? D’autre part,
comment cette évolution a-t-elle été contrariée ou modifiée par
le contexte historique général de la Guerre froide puis du nouvel ordre mondial, la date de 1991 étant une rupture évidente
dans les formes de la gouvernance ? Enfin, quelles alternatives
critiques ont été proposées à la gouvernance économique mondiale institutionnelle ?
→Doc. 1 : Lors de la conférence internationale de Bretton
Woods en juillet 1944, l’économiste J. M. Keynes, chef de la
délégation britannique, plaisante avec le haut fonctionnaire
du Trésor américain Harry White.
Cette photographie très célèbre de John Maynard Keynes et
d’Harry White à l’été 1944 a été choisie tout d’abord pour rappeler l’importance de la conférence de Bretton Woods pendant
146 • Chapitre 11 - La gouvernance économique mondiale depuis 1944
laquelle elle fut prise. Cette conférence a été convoquée par le
président américain Roosevelt car les États-Unis, finançant les
guerres de leurs alliés (Royaume-Uni, Chine, URSS) par la loi
du prêt-bail en 1941, sont les seuls à pouvoir réorganiser l’économie mondiale après-guerre. Lors de cette conférence qui se
tient durant les trois premières semaines de juillet 1944, sont
ainsi créés le Fonds monétaire international et la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD)
qui doivent satisfaire deux objectifs majeurs : éviter toute instabilité monétaire semblable à celle des années 1930 et aider
à la reconstruction rapide du monde. Mais cette fondation
d’une gouvernance économique mondiale résulte des travaux
concurrents des deux économistes représentés sur la photographie. L’Anglais John Maynard Keynes, reconnu depuis 1936 pour
sa Théorie générale de la monnaie et de l’emploi comme le plus
grand économiste contemporain, avait proposé des solutions à
la crise économique et financière des années 1930. L’Américain
Harry White est beaucoup moins connu même s’il a aussi une
solide expérience académique, ayant même enseigné l’économie à Harvard. Les deux hommes deviennent, après 1941, les
économistes en chef des départements du Trésor britannique
et américain. Ils sont donc chargés entre 1942 et 1943 de concevoir une nouvelle organisation de la gouvernance économique
mondiale. Leurs deux plans divergent fortement, Keynes souhaitant en particulier l’instauration d’une monnaie internationale,
le Bancor, quand White défend le rôle pivot du dollar. Mais en
décembre 1943, la Grande-Bretagne rallie le plan White préfigurant la domination américaine à Bretton Woods.
→Doc. 2 : En 2011, les chefs de gouvernement et des États les
plus importants au monde se réunissent lors du sommet du
G20 de Cannes.
Le G20 (ou groupe des 20) a été fondé originellement en 1999
par le ministre canadien des Finances de l’époque, Paul Martin,
qui souhaitait former un nouvel outil de gouvernance économique face aux crises globales comme celle du rouble russe en
1998. Ce premier G20 réunit annuellement entre 1999 et 2008
les ministres des Finances et les gouverneurs de banque centrale
des grands États industrialisés du G7, de la Russie mais aussi des
grands pays émergents comme la Chine, le Brésil ou l’Inde. En
2008, le président français, qui occupait la présidence tournante
de l’Union européenne, choisit d’utiliser cette structure pour
une réunion d’urgence des chefs d’État face à la crise financière
mondiale. La tenue régulière de ce G20 à partir de 2008 signale
le déclin des institutions de Bretton Woods (FMI, Banque
mondiale) comme gestionnaires de l’économie mondiale. Le
document photographique choisi permet d’illustrer la personnalisation souhaitée de la gouvernance économique mondiale
par rapport à des institutions de Bretton Woods perçues par
les opinions publiques comme opaques et peu démocratiques.
Le slogan apparaissant en arrière-plan « Nouveau monde, nouvelles idées » souligne l’adaptation du G20 à la mondialisation
économique après 2000.
Repères
p. 362-365
1. La gouvernance économique avant 1945
→Doc. 1 : L’impossibilité d’une gouvernance économique
mondiale.
Cet extrait est tiré d’un livre très original, The Shape of Things to
Come, publié en 1933 par Herbert George Wells, rendu célèbre
dans les années 1890 par ses romans L’Homme invisible ou La
Machine à explorer le temps. Dans ce livre, Wells écrit une histoire du monde à venir depuis la fin de l’année 1933 jusqu’au
xxiie siècle. Mais avant ce récit de futurologie, Wells décrit les
conséquences de l’échec de la conférence internationale économique et monétaire de Londres dont il fait le point de départ
→Doc. 2 : Des pays qui se replient sur eux. Publicité lumineuse
à Trafalgar Square en 1931.
À l’été 1931, le Royaume-Uni est touché par la crise économique
mondiale née du krach boursier américain de 1929. Le gouvernement travailliste de Ramsay MacDonald apparaît incapable de
freiner la spéculation boursière contre la livre et démissionne
fin août 1931. MacDonald décide alors de former un gouvernement d’union nationale contre la crise. Il est désavoué par le
parti travailliste (Labour Party) dont il est exclu, déclenchant des
élections anticipées en octobre 1931 qui sont un raz-de-marée
pour les partisans du gouvernement d’union nationale. Ainsi
conforté, le gouvernement MacDonald, désormais dominé par
les conservateurs (Tory Party), décide de remettre en cause le
libre-échange commercial traditionnel au profit d’une préférence
pour les produits britanniques et impériaux. C’est pourquoi il
lance en novembre 1931 la campagne publicitaire « Buy British »,
coordonnée par l’Empire Marketing Board qui fédère les patronats, les chambres de commerce et les organisations caritatives
pour promouvoir le mot d’ordre ici exposé dans le document à
Trafalgar Square à Londres.
→Doc. 3 : La Charte de l’Atlantique (extraits), 14 août 1941.
La charte de l’Atlantique est un des documents essentiels de
l’histoire du xxe siècle mais aussi l’un des plus méconnus. En
effet, contrairement à son nom français, il ne s’agit pas d’un
texte à valeur juridique mais d’une déclaration commune signée
par le président des États-Unis Franklin Roosevelt et le Premier
ministre britannique Winston Churchill le 14 août 1941. Cette
déclaration est cependant décisive puisqu’elle fixe les buts de
guerre des deux grandes puissances anglo-saxonnes alors que
les États-Unis n’entrent effectivement en guerre que quatre
mois plus tard. Parmi ces buts communs, les extraits présentés
démontrent la volonté de construire une gouvernance mondiale
économique associant pays vainqueurs et vaincus afin d’éviter la
concurrence économique des années 1930. La charte de l’Atlantique sert de base à la déclaration des Nations unies qui réunit,
en janvier 1942, 26 pays pour combattre l’Axe.
2. L’évolution de la gouvernance économique
mondiale de 1945 à 2011
→Carte 1 : La gouvernance économique mondiale au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Cette carte représente les pays membres des institutions de
gouvernance économique mondiale fondées après la conférence
de Bretton Woods. Elle a pour intérêt de montrer que ces institutions ne sont alors pas universelles, l’URSS ayant renoncé à y
participer pour cause de début de Guerre froide.
◗ Réponses aux questions
1. La France, le Royaume-Uni et ses anciennes colonies (Inde,
Afrique du Sud) et les États-Unis avec les pays d’Amérique latine
sont très bien représentés dans ces institutions de gouvernance économique mondiale en 1945-1947. Le Royaume-Uni, les
États-Unis et la France sont trois puissances victorieuses de la
Seconde Guerre mondiale, les deux premières ont contribué à
leur création par la charte de l’Atlantique.
2. Le continent africain est presque totalement absent des institutions de gouvernance économique mondiale car il est encore
sous la domination coloniale de la France et du Royaume-Uni.
→Carte 2 : La gouvernance mondiale au début du xxie siècle.
Cette carte souligne par contraste par rapport à la précédente la
quasi-universalité des institutions de gouvernance économique
mondiale au début du xxie siècle.
◗ Réponses aux questions
1. Les membres du G8 sont situés exclusivement dans l’hémisphère nord parmi les puissances occidentales industrialisées.
2. En 2012, le seul État important, non membre de l’OMC et du
FMI, est la Corée du Nord parce que c’est un pays communiste
complètement fermé aux échanges internationaux.
Étude 1
p. 366-367
Bretton Woods, naissance d’une gouvernance
économique mondiale
Il a paru essentiel, comme le suggérait le programme en choisissant la date de 1944, de consacrer une étude de documents sur
la conférence internationale de Bretton Woods puisqu’elle est à
l’origine des premières institutions permanentes et durables de
gouvernance économique mondiale.
→Doc. 1 : Le président américain Roosevelt fixe les objectifs
de la conférence de Bretton Woods en 1944.
Il s’agit d’un extrait du message d’ouverture de la conférence de
Bretton Woods par le président américain Roosevelt qui en était
l’initiateur. La conduite de la guerre, la campagne pour sa réélection (la convention démocrate se tenait à la fin juillet à Chicago)
et sa santé déclinante expliquent l’absence de Roosevelt à
Bretton Woods. Néanmoins, son message rappelle sa volonté
de construire un ordre économique mondial coopératif et de ne
pas renouveler les erreurs qu’il avait lui-même commises lors de
son premier mandat. Il avait ainsi suspendu en avril 1933 la participation des États-Unis au Gold exchange standard ouvrant la
voie à des dévaluations compétitives dans les années suivantes.
→Doc. 2 : Les conférenciers au travail à Bretton Woods en
juillet 1944.
L’URSS prit part à la conférence avec une délégation complète
menée par le commissaire au peuple chargé du Commerce,
Sergei Stepanov, ici représenté sur la photo. L’URSS fut également signataire des accords mais elle refusa de les ratifier à l’été
1945 après que l’administration Truman lui eut refusé un prêt
pour sa reconstruction.
→Doc. 3 : Les outils de gouvernance économique mondiale
mis en place à Bretton Woods.
Ce tableau récapitulatif met en évidence les missions distinctes
du FMI dont le but premier est la stabilité monétaire internationale et de la Banque internationale pour la reconstruction
et le développement qui a pour mission prioritaire d’aider les
pays détruits par le conflit mondial. L’information essentielle
de ce tableau est la mainmise géographique des États-Unis
sur ces deux institutions puisqu’elles s’installent toutes deux à
Washington, à 500 m à peine de la Maison-Blanche et du département du Trésor.
→Doc. 4 : Le premier prêt de la Banque mondiale à la France
en 1946.
Ces deux extraits montrent le processus qui amène au premier
prêt de la Banque mondiale en mai 1947 de 250 millions de dollars. La France avait demandé un prêt de 500 millions de dollars
un an plus tôt par l’intermédiaire de l’ancien résistant Henri
Bonnet, devenu ambassadeur de France aux États-Unis jusqu’en
1954. Cette demande de prêt était une conséquence directe des
accords signés par l’ambassadeur extraordinaire français Léon
Blum et le secrétaire d’État américain James Byrnes le 28 mai
1946. Ces accords Blum-Byrnes prévoyaient - outre l’annulation
des dettes françaises dans le cadre de la loi du prêt-bail - un nouveau prêt de 650 millions de dollars par les États-Unis à la France
et comportaient la promesse d’un futur prêt de 500 millions de
dollars par la Banque mondiale naissante. Le délai d’un an entre
la demande et l’obtention du prêt, tout comme la diminution
Chapitre 11 - La gouvernance économique mondiale depuis 1944
• 147
© Hachette Livre
dans sa fiction d’une crise économique mondiale poursuivie
jusqu’aux années 1970.
du montant alloué par les États-Unis, s’expliquent par les difficultés de la France pour satisfaire aux exigences de la Banque
et des États-Unis sur l’équilibre du budget et de la balance des
paiements.
◗ Réponses aux questions
1. Dans son message d’ouverture de la conférence de Bretton
Woods, le président Roosevelt décrit la construction d’une
gouvernance économique mondiale comme la suite logique de
la Grande alliance de la Seconde Guerre mondiale qui a permis de rapprocher les nations et les peuples. La présence de
l’URSS et d’un pays déjà dominé par les communistes comme la
Yougoslavie à la conférence de Bretton Woods semblent confirmer son caractère universel.
2. Le président Roosevelt veut appuyer la nouvelle gouvernance
économique mondiale sur la solidarité entre les peuples mais
aussi sur le libre-échange commercial qui est un des piliers du
modèle économique américain.
3. La Banque mondiale assure la solidarité économique entre
les nations puisque, grâce aux financements fournis par les pays
les plus riches, elle peut aider les pays les moins développés. Le
Fonds monétaire international (FMI) crée une solidarité monétaire internationale par le rôle de monnaie-étalon du dollar mais
aussi une stabilité monétaire pour les échanges économiques.
4. La Banque mondiale et le FMI sont très fortement influencés
par les États-Unis, à la fois par leur localisation géographique
(Washington) et par leur mode de financement puisque le système de quote-part proportionnelle à la richesse économique
favorise les États-Unis, première puissance mondiale.
5. La France a besoin de la Banque mondiale en 1946 car elle
sort de quatre années d’occupation allemande et des combats
de la libération de son territoire qui ont largement détruit son
économie. Elle doit donc se reconstruire.
◗ Texte argumenté
La conférence de Bretton Woods est convoquée aux États-Unis
début juillet 1944 par le président américain Roosevelt auprès des
pays alliés de la Seconde Guerre mondiale afin de créer une nouvelle
gouvernance économique mondiale. Roosevelt souhaite établir une
solidarité économique mondiale pour éviter la concurrence destructrice connue dans les années 1930, en préconisant un libre-échange
international pour favoriser la diffusion de la richesse.
La conférence de Bretton Woods respecte les souhaits de Roosevelt
en créant le Fonds monétaire international (FMI), garant de la stabilité monétaire mondiale, et la Banque mondiale, qui a pour but
de financer la reconstruction du monde. Mais ces institutions apparaissent dès leur création comme beaucoup trop influencées par les
États-Unis qui les hébergent et prennent une part essentielle dans
leur financement. Malgré la participation de l’URSS à la conférence
de Bretton Woods en 1944, son universalité paraît donc remise en
cause.
Étude 2
p. 368-369
© Hachette Livre
Le dollar, outil de gouvernance financière
pendant la Guerre froide
Parmi les outils de gouvernance mondiale fondés à Bretton
Woods, le dollar comme monnaie de référence internationale,
seule convertible en or, était le plus visible dans le monde. Cette
étude de documents veut montrer combien le rôle central du
dollar fut rapidement remis en cause, à la fois dans le camp
occidental mais aussi par l’URSS dans le contexte de la Guerre
froide.
148 • Chapitre 11 - La gouvernance économique mondiale depuis 1944
→Doc. 1 : Les plans Keynes et White et le compromis final de
Bretton Woods.
Ce schéma représente les deux visions concurrentes des plans
Keynes et White pour le nouveau système monétaire international (cf. l’introduction du chapitre).
→Doc. 2 : La critique du dollar par le général de Gaulle en
février 1965.
Le document est un extrait des Discours et messages du général de Gaulle qui rassemblent en cinq volumes l’essentiel de ses
allocutions et discours publics entre juin 1940 et avril 1969. Le
général de Gaulle prononce ses paroles lors d’une conférence
de presse du 4 février 1965 où il est interrogé par les journalistes
sur la situation du dollar. À cette époque, le général de Gaulle
est à la fin de son premier mandat de président de la République
et laisse planer le doute sur une seconde candidature alors qu’il
est âgé de 75 ans. Depuis 1962, il a délaissé progressivement la
scène politique intérieure au profit de la politique étrangère. Il
souhaite faire de la France une puissance de rang mondial en
s’affirmant par rapport aux États-Unis qui dirigent le monde
occidental depuis la formation des blocs en 1947.
Cette volonté d’émancipation, qui s’appuie sur la construction d’une dissuasion nucléaire indépendante, passe aussi par
une remise en cause de ce que le ministre des Finances français, Valéry Giscard d’Estaing, dénomme dès 1965 le « privilège
exorbitant » du dollar américain. En effet, comme le rappelle de
Gaulle dans cette conférence de presse, les États-Unis peuvent
payer leur dette extérieure en dollars, ce qui leur permet d’en
alléger le poids. Or, ce privilège ne se justifiait qu’à condition que
les États-Unis disposent d’un stock d’or suffisant pour éventuellement rembourser leur dette. Constatant que cette condition
n’était plus remplie, le général de Gaulle propose, à la fin de
cette conférence de presse, le retour du système monétaire
international à l’étalon-or.
→Doc. 3 : Les avoirs américains en or et les engagements
américains en dollars à l’extérieur du pays entre 1945 et 1970.
Ce graphique démontre qu’à partir de 1950, les engagements
financiers extérieurs des États-Unis en dollars ne cessent d’augmenter, ce qui était logique puisqu’avec le plan Marshall, par
exemple, les États-Unis prêtèrent et investirent massivement en
Europe. Par ailleurs, à partir des années 1960, les États européens
de l’Ouest ayant redressé leur économie bénéficient d’excédents
commerciaux en dollars et leurs banques centrales accumulent
donc les avoirs en dollars. C’est pourquoi, en 1960, l’économiste
Robert Triffin, dans son livre L’Or et le Problème du dollar, met
en évidence ce paradoxe (ou dilemme) qui porte depuis lors son
nom : pour que le système monétaire international de Bretton
Woods fonctionne, les États-Unis doivent accumuler les déficits
de leur balance des paiements, ce qui est intenable à long terme.
→Doc. 4 : Le dollar dans la propagande soviétique de la Guerre
froide.
Cette affiche de propagande soviétique démontre le rôle central
du dollar dans les propagandes des deux superpuissances de la
Guerre froide. Pour l’URSS, depuis l’annonce du plan Marshall en
1947, il s’agit de démontrer que le dollar est un outil d’asservissement de leurs alliés par les États-Unis (cf. la statue de la Liberté
qui porte un anneau de bovin en forme de dollar).
→Doc. 5 : Nixon suspend la convertibilité du dollar en or.
Plusieurs réformes du système monétaire international avaient
eu lieu dans les années 1960 afin de combler l’écart croissant
entre le stock d’or des États-Unis et leurs engagements en dollars à l’étranger (cf. doc. 2 et 3). En 1961, les États-Unis avaient
imposé à leurs partenaires occidentaux (Royaume-Uni, France,
RFA, Italie, Suisse, Benelux) un pool de l’or par lequel les pays
européens s’engageaient, par des ventes régulières d’or sur
les marchés internationaux, à soutenir la parité officielle de
◗ Réponses aux questions
1. Le plan Keynes défend une véritable monnaie internationale qui n’appartient à aucun État même si elle est réservée aux
échanges interbancaires. Le plan White souhaite la transformation de la monnaie américaine, le dollar, en monnaie de réserve
internationale. Le plan White l’emporte, ce qui reflète la prédominance internationale des États-Unis en 1944.
2. Le système de Bretton Woods, en instaurant une parité fixe
entre dollar et or, imposait que les États-Unis maintiennent
cette parité, en ne dépensant pas trop de dollars et en gardant
un stock d’or nécessaire pour couvrir leurs engagements en
dollars.
3. À partir des années 1960, les États-Unis ne parviennent plus
à couvrir leurs engagements en dollars par des réserves suffisantes en or. Le général de Gaulle l’explique par le redressement
des États européens qui ont accumulé d’importantes réserves de
dollars qu’ils pourraient vouloir convertir en or.
4. Le dollar apparaît dans chacune des vignettes comme associé
à l’oppression : il est sur l’anneau bovin porté par la statue de
la Liberté (au centre), sur les uniformes du Ku Klux Klan (haut
droite), sur le camion de policiers (bas droite) ou sur la lettre du
directeur de prison (bas gauche).
5. Le président Nixon met fin au système monétaire international de Bretton Woods puisque les États-Unis suspendent toute
convertibilité en or du dollar. Il justifie sa décision par le redressement économique achevé de l’Europe et par la nécessité de
relancer la croissance économique américaine.
◗ Texte argumenté
Le dollar devient la monnaie de référence du système monétaire
international après la conférence de Bretton Woods puisqu’il est la
seule monnaie convertible en or à la parité fixe de 35 dollars l’once.
Ce système monétaire international est conçu par les États-Unis
par le plan White imposé à leurs alliés.
Mais ce système, conforme à la puissance économique américaine
à la fin de la Seconde Guerre mondiale, est remis en cause dès la
fin des années 1940 par l’URSS communiste comme un asservissement des pays occidentaux aux États-Unis. Il est pourtant critiqué,
après 1965, à l’intérieur même du camp occidental par le général de
Gaulle, qui reproche aux États-Unis de ne plus disposer d’un stock
d’or suffisant pour couvrir leurs dépenses en dollars et de pouvoir
émettre autant de dollars qu’ils le souhaitent. Cette critique française aboutit à la dislocation du système monétaire de Bretton
Woods qui se concrétise avec la décision du président américain
Nixon en août 1971 de suspendre la convertibilité du dollar en or.
Étude 3
p. 370-371
La gouvernance mondiale en action :
le FMI face à la crise mexicaine de 1982
Si le thème proposé est une étude à l’échelle mondiale, il est
apparu indispensable de traiter des interactions d’une institution de gouvernance économique mondiale (FMI) avec une
réalité locale (la crise de la dette au Mexique en 1982) afin d’avoir
une approche moins institutionnelle de son action.
→Doc. 1 : La crise de la dette mexicaine en 1982 selon le directeur du FMI de l’époque.
Le Français Jacques de Larosière avait été nommé directeur
général du Fonds monétaire international (FMI) en 1978 après
avoir été un proche collaborateur du président français Valéry
Giscard d’Estaing. Sa nomination intervenait alors que les missions du FMI avaient été profondément modifiées, après la fin
de la convertibilité du dollar en or, par les accords de la Jamaïque
de 1976. Le FMI devient alors une banque de financement pour
les pays en développement du tiers-monde qui ne peuvent
financer, au contraire des pays industrialisés, le défi cit de leurs
balances des paiements sur les marchés internationaux. Dès la
fin des années 1970, ces prêts du FMI aux pays du tiers-monde
dépendent des réformes structurelles de leur économie pour
redresser durablement la balance des paiements. En 1982, ce
nouveau système monétaire international est confronté, comme
le rappelle ici Jacques de Larosière, à l’endettement massif du
Mexique qui l’oblige à se refinancer auprès du FMI.
→Doc. 2 : La crise mexicaine vue par le journal britannique
The Guardian.
Cette caricature du journal britannique de centre gauche, le
Guardian, en août 1982, illustre la situation du Mexique représenté par l’homme allongé dans le désert portant un sombrero.
Le désert illustre l’impossibilité pour le Mexique de financer une
dette publique devenue colossale après l’effondrement des prix
internationaux du pétrole fin 1981 (gourde vide). Le secours provient d’un nuage porteur de pluie (les prêts internationaux) où
l’on distingue les figures des banques américaines et britanniques
mais aussi celles de Ronald Reagan et Margaret Thatcher, alors
respectivement président des États-Unis et Premier ministre
britannique. Les banques commerciales anglo-saxonnes, ici caricaturées, étaient souvent les principales créancières des pays
endettés du tiers-monde. Elles s’organisent dès 1976 sous la
forme du « club de Londres » pour rééchelonner les remboursements des dettes à la condition, après 1982, que le FMI surveille
les pays endettés.
→Doc. 3 : La crise mexicaine à l’origine des plans d’ajustement
structurel du FMI.
L’intervention du FMI lors de la crise mexicaine en 1982 reposait
sur un compromis entre banques créancières et pays débiteur.
Le FMI persuadait les banques de dégager
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