512 COMPTES-RENDUS DES SÉANCES allongés. — Les Azerolles (442-480), lieu planté en érables (en patois az'rol'). Section B. — La Barbière (56-74) du nom d'un propriétaire. — En l'Argillière (257-336), terrain argileux où pousse en abondance l'arç/iij', nom patois du lùthyrus hirsutus. — Les montants de la fin (113-222), champs en pente et faisant partie d'un-même assolement (en patois une /en-).— Es Blanches dents (223-248), terrain parsemé de petites pierres blanches comme des dents. *** « BALAI » ET « BALAYURES » DANS LES PATOIS DE LA COTE-D'OR (par M. Paul Lebel) I. « BALAI » Les réponses au questionnaire ont fait connaître que le « balai » est désigné en Côte-d'Or par cinq mots principaux : r'mès' (var. ènnès') (f.), le plus répandu ; rèn- (m.) ; j'nèt (f.) ; pan-noûr (f.) dans le Morvan ; et enfin balè. Sur la carte n° 107 de l'Atlas linguistique de la France on voit, en effet, que le département de la Côte-d'Or est à cheval sur deux zones principales où régnent les termes bas bourguignon balai et haut bourg., franc-comtois, savoyard r'mès'. Le mot balai a été étudié dans Le français moderne (VII, 1939, p. 343-346), par M. A. Dauzat qui s'appuie sur les formes de langue d'oïl pour établir que le mot vient du breton où il désigne le « genêt ». Il a été apporté à Paris par des marchands originaires de Bretagne ; deux textes du x m e siècle apportent un argument décisif à ce sujet. De Paris, le mot balai a ensuite rayonné dans presque toute la France jusqu'aux Pyrénées et jusqu'à la Méditerranée. « Cette extension en pays d'oc plaide aussi en faveur d'un emprunt au breton ». Telle est la conclusion,, de M. Dauzat qui ne tire pourtant aucune indication de « balai » et « balayer » en langue d'oc sur l'époque approximative de l'extension. Dans cette région, la couche sous-jacente est celle du latin scopa « balai » qui émerge encore en Gascogne et en Provence. A l'extrême nord, à cheval sur la frontière franco-belge, de Picardie jusqu'en Lorraine, règne le mot ramon-. C'est un dérivé du latin ramus « branche » que continue le bourguignon rèn- (on pourrait l'écrire raim en graphie française). Ce dernier mot a été recueilli dans la région de Vitteaux et à Montceau-Écharnant (où il a été supplanté par r'mès', apporté par les domestiques de culture). L'existence de ce mot raim établit que, dans l'Auxois, les balais primitifs étaient les plus simples que l'on pût réaliser : une simple branche d'arbre. On s'en servait sans doute pour ramasser le grain sur l'aire SÉANCE DU 5 MAI 1938 513 où l'on venait de le battre, car une branche souple ne grattait pas la terre et ne souillait pas le grain. Le wallon ramon- est lui aussi un dérivé de ramus ; il désignait un balai composé d'une touffe de brindilles, souvent de bouleau (du bois de boni pour faire des ramons, lit-on dans un texte picard de 1494). Ramon a donné le verbe ramoner. Un autre dérivé est notre bourguignon r'mès' que l'on pourrait écrire remesse, d'après la graphie française. Dans certains villages de la Côte-d'Or, un e prosthétique s'est développé devant Vr fortement roulé, après disparition de la voyelle atone de la première syllabe : remès' ^> rmès' ^> ermès'. Un phénomène semblable existe en gascon et en basque où, à l'initiale d'un mot, Vr- primitif est rendu par ar-. Au moyen âge on écrivait ramasses ou remasses : les comptes de Philippe le Hardi enregistrent l'achat de ramasses a ramassier la maison dudit monseigneur le duc ; dans un inventaire de la mairie de Dijon en 1395 on lit : une douzaine de remasses à remassier maison. Une Rue des ramasses existait à Luxeuil (Haute-Saône), c'est l'actuelle Rue des balais. Godefroy, qui donne ce renseignement, cite le bourguignon rèmès' « correction, volée de coups » ; Roquefort note l'expression donner la ramasse « fouetter, corriger » que je n'ai pas encore relevée en Bourgogne. C'est peut-être de là que vient l'expression argotique se faire ramasser « se faire disputer, corriger ». Dans le patois de la forêt de Clairvaux on dit de même foutre du rameau ou avoir du bouleau pour « fouetter, corriger ». Ici le suffixe -asse est le même que dans l'épithète larnas' donnée encore à un vieux chemin près des sources de la Seine. Cette voie larenasse était une « voie aux larrons » « via latronicid) infestée de voleurs de grand chemin. Dans la région de Nice, ramasa « balai » coexiste avec ladriinasa « voleuse ». On peut donc reconstituer un prototype *ramicia, qui fut à l'origine un adjectif féminin accolé au substantif scopa dont l'aire ancienne s'étendait largement dans la France du nord, à en juger par l'ancien français escouve et son dérivé à valeur diminutive *scopilione ^> écouvillon. On distinguait au moins deux sortes de balais ; le (scopa) ramicia était un bouquet de menues branches liées ensemble. Cet adjectif *ramicia a dû désigner en latin vulgaire tout ce qui était ainsi constitué : en anc, français ramisse signifiait « clôture faite de branchages » : c'est sans doute une haie artificielle de cette espèce qui entourait l'ancienne propriété qui, à Blagny-sur-Vingeanne (Côted'Or), a pris le nom de la Ramisse ; en Franche-Comté ramassée a la valeur de « ramée, fagot » ; dans le Châtillonnais existe le dérivé ramazèn-, rèmazèn- « fagot léger, extrémité de branchage, rame de pois ». Au moyen âge la ramoison était le droit que l'on avait de prendre dans la forêt la ramoison, c'est-à-dire les branchages. La forêt où l'on jouissait de ce droit a dû s'appeler Ransonière. Dans le Loiret le bois ramassé est dit ramoisonné. Une variante remoîson, en ancien fran- 514 COMPTES-RENDUS DES SÉANCES çais, est entrée en collision phonétique avec le verbe remanoir « demeurer, rester », auquel se rattachent 'remasance « demeure » et remasille « reste, reliquat ». L'article remason « bois qui reste clans les forêts » doit être fondu avec l'article ramoison dans le Dictionnaire de Godefroy. Citons encore le dérivé médiéval ramassière que. l'on donnait jadis à la sorcière qui se rendait au sabbat en chevauchant sur un balai. Une variété de balai végétal est la jnèt' : c'est tout simplement la geïiêtre ou « genêt à balai », dont les fleurs, au mois de mai, forment l'une des plus belles parures du Morvan. Une touffe de genêt constituait un excellent balai : point n'était besoin de le lier ni de le munir d'un manche. A Messigny, près de Dijon, on faisait des balais soit avec une espèce, de groseiller à baies rouges qu'on appelle galette à la bique, soit en bouleau. Ces derniers étaient réservés pour le nettoyage des écuries où il fallait un balai plus dur. Dans beaucoup de régions du département, on en confectionnait avec de l'osier de petit diamètre. La dernière variété lexicologique, pan-noûr (que l'on peut franciser en panoire), est un dérivé de pan-né «balayer», verbe commun au Morvan, à l'Auxois et à la région des Vosges. Le dérivé vosgien est panure «balai». Ce verbe pose un problème étymologique que-nous ne résoudrons pas ici. Remarquons simplement que son sens primitif a pu être « nettoyer avec une *pane » ; entre la Bourgogne et la Lorraine, « balayer » se dit * nettoyer et le balai *nettoir (Haute-JVIarne ntoyé et nioûr, tnasc). Mais que représente le terme *pane ? Une serpillière d'étoffe ou un plumeau ? Je pencherais pour cette seconde hypothèse, car dans le Dijonnais et l'Auxois le panean (et en HauteMarne la pane) désignent une « aile de volaille garnie de ses plumes et desséchée ». Il semble, jusqu'à plus ample information, que le balai employé pour un travail moins grossier que le nettoyage des écuries (par exemple pour enlever la poussière et les déchets dans la maison ou rassembler les grains éparpillés au moment du battage) devait être constitué par une aile de volaille ou un plumeau. • Ces considérations purement linguistiques incitent les folkloristes et les dialectologues à pousser plus minutieusement leurs enquêtes. On a trop tendance à croire que l'outillage n'a pas évolué au cours des siècles et qu'en particulier le balai de bois a toujours existé sous sa forme actuelle. Mais les mots eux-mêmes, lorsque nous tentons de les désarticuler, nous montrent combien nos informations sont imprécises et avec quelle sécheresse nous enregistrons la traduction patoise d'un mot français. Hâtons-nous, pendant que les patois et les derniers vieillards sont encore vivants, de questionner sur les variétés d'objets du temps passé et sur l'emploi qu'on en faisait : linguistique et folklore ne sont que deux branches d'une même science, l'histoire des arts et traditions populaires. SÉANCE DU 5 MAI 1938 515 I I . « BALAYURES » Ce terme manque dans l'Atlas linguistique de la France, ce qui est regrettable. Il mérite de figurer dans les futurs Atlas régionaux, quitte à y supprimer la carte « balayer » (n° 109 de l'A.L.F.). Deux termes principaux ont été signalés en Côte-d'Or : rmèsûr (Auxois, Dijonnais, Plaine de la Saône) et ch'nî (Châtillonnais, Auxois, Dijonnais, Plaine de la Saône) avec sa variante ch'nèn- à Champrenault (canton de Vitteaux) et Gurgy-le-Château (canton de Recey). Remessures (f. pi.) est un dérivé récent du verbe remesser ; il a été formé comme balayures sur balayer. Le mot ancien est ch'nî (m. pi.) que l'étymologie permet d'écrire chenils, avec un / étymologique non articulé. La variante ch'nèn- (soit chenin en lettres françaises) est un mot refait sur chenil comme l'anc. franc, conin sur conil « lièvre » et le bourg. îkèn- sur îkî « ici ». La couche du mot chenils devait recouvrir jadis tout le département. Le mot est plutôt employé au pluriel quand il désigne les « poussières ou détritus emportés par le balai », mais on l'emploie au singulier en parlant d'un « grain de poussière (qui tombe dans l'œil ou dans un liquide transparent) ». C'est un substantif masculin, que l'on peut gloser par ««saleté ». Cette valeur sémantique nous met immédiatement sur la voie pour trouver son étymologie. De même que le mot chenille (fém.) a servi à dénommer une « bête dont le contact répugne » ou des « personnes repoussantes par leur malpropreté, leur caractère et leurs mœurs », de même le bourguignon cheni(l) désigne toute sorte d' « ordure ». En Wallonie le terme tchînîs' a ces deux valeurs. Puisque chenille provient du latin *canicula, il est logique de penser que, parallèlement, cheni(l) remonte au latin *caniculiis. La « chenille » n'a pas été dénommée ainsi parce qu'elle avait une tête de petite chienne, mais parce qu'elle inspirait un certain dégoût. En effet, le chien joue dans le folklore de toutes les époques un rôle peu enviable. Est-il utile de rappeler les expressions péjoratives : un temps de chien, garder un chien de sa chienne, être chien, une peau de chien, une canaille, etc. ? Chez les Romains, il était interdit au flamen dialis de prononcer le mot « chien » ; l'influence, supposée néfaste, de la canicule était écartée par le sacrifice de petits chiens aux poils roux que l'on immolait au printemps. Les chenilles se distinguent-elles par quelques particularités au moment de la canicule ? Ce serait à rechercher. En tout cas, il est assez troublant de faire les deux constatations suivantes. En Sicile, on répandit des balayures dans les prés pour conjurer la sécheresse de l'année 1893. En Dauphihé on plante encore des baguettes de noisetier aux trois coins d'un champ, et l'on récite une prière pour éloigner les chenilles. L'opération est vouée à l'insuccès si un chien se montre ou aboie !... 20 516 COMPTES-RENDUS DES SÉANCES Voilà une tétralogie folklorique bien curieuse, canicule, chenille, cheni(l) et chien, qui attend encore son explication. Une fois de plus on constate combien les enquêtes doivent être fouillées dans les plus petits détails. Le verbe paner a un dérivé panure « balayures » à Nan-sous-Thil, mais dans cette région de l'Auxois on a relevé aussi ékeùy', pakeùif sans préciser les nuances que comportent ces différents termes, coexistant tous les trois, par exemple à Nan-sous-Thil. Leçon à tirer pour les futurs interrogatoires. Mes confrères ont signalé les mots minons, mitons, moutons, attribués aux bourres de poussière qui roulent sous les meubles. Ils ont été choisis pour rappeler que leur contact donne une sensation de duvet. Voyez le geste d'un enfant qui trouve un objet doux au toucher : il le porte à sa joue et s'en frotte légèrement. Les noms des animaux, dont la fourrure laisse cette même sensation, ont servi à dénommer les chatons du saule et du noisetier (appelés également minons) et les moutons poussiéreux qui font le désespoir des ménagères bien ordonnées 1 . Mihon et miton sont les noms enfantins du « chat » et l'on comprendra, en se rappelant le geste évoqué ci-dessus, les expressions faire la chatte mitte « faire le doucereux », landais gatemine ( = *chaUe mine) « chenille », normand catte pelouse (* = chatte poilue) « chenille ». Dans ces régions l'invertébré est comparé à un « chat », parce qu'il s'agit de la variété « poilue « des chenilles. Du même coup on perçoit la signification de chatte mitte : « chatte qui vient se frotter à vous pour obtenir des caresses », de chatouiller « caresser doucement comme fait un chat » et naturellement de chatteries « caresses ». La première syllabe mi-, commune à miton, minon, minou et minet, vient, de l'onomatopée miaou qui désigne le « chat » dans le langage des enfants. Séance du 19 mai 1938 PRÉSIDENCE DE M. F. LENOBLE, président de l'Académie M. G. Grémaud, secrétaire, dépouille la correspondance : réponses au questionnaire et lettre de M. Gabriel Jeanton annonçant la création d'une Section de linguistique et de toponymie au sein de l'Académie de Mâcon. Il lit une note où M. P. Perrenet explique certains lieux-dits de Marcilly-sur-Tille : Bugnon, terrain en légère élévation ; Charme aux loups (la), friche sans terre végétale appréciable ; Cras (la), Crais 1. A Gondecourt (Nord), le minou désigne le «duvet du coton, du chardon, du pissenlit » ; l'herbe à rninou le « myosotis » ; une pelisse à minou est un « manteau de fourrure ».