La France, championne des nouvelles technologies médicales

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jeudi 6 février 2014 LE FIGARO
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L'ÉVÉNEMENT
La France, championne
des nouvelles technologies médicales
Cœur artificiel, micro-robots, imagerie médicale… De jeunes entreprises de l’Hexagone
multiplient les inventions qui révolutionnent la médecine mondiale.
SANTÉ L’implantation, midécembre, du premier cœur artificiel complet, créé par la société Carmat, est une
réussite entièrement
française. Et c’est
loin d’être la seule
dans les technologies
médicales. La France y
compte plusieurs champions
en herbe.
« Les technologies médicales
sont au carrefour de deux domaines où la France a toujours brillé :
la médecine bien sûr, et l’ingénierie, où les Français ont aussi une
excellente réputation. D’où
l’éclosion d’un nouveau secteur de
pointe », explique Bertin Nahum,
PDG de Medtech, la société montpelliéraine qui a inventé le robot
Rosa de chirurgie mini-invasive.
C’est un domaine dans lequel la
French touch fait merveille, comme dans celui des implants
chirurgicaux et orthopédiques,
avec des entreprises comme Medicrea, Spineguard, Spineway,
Vexim, Spinevision ou encore Implanet, qui a déjà vendu dans le
monde 2 000 implants novateurs
du rachis.
Autre activité d’excellence,
l’imagerie médicale. Bien après
Guerbet, dont le Lipiodol - créé en
1926 - est toujours un best-seller
parmi les produits de contraste,
Supersonic Imaging a développé
et commercialise dans le monde
un échographe révolutionnaire,
tandis qu’EOS rencontre un succès parallèle dans la radiographie.
S’ils conçoivent leurs innovations dans l’Hexagone, la plupart
des entrepreneurs innovants les
Nous
fabriquons
en France.
C’est
une force
SACHA LOISEAU,
DIRECTEUR GÉNÉRAL
DE MAUNA KEA
TECHNOLOGIES
construisent aussi sur place.
« Nous fabriquons en France. C’est
une force. Cela nous permet de bénéficier à la fois d’un outil industriel de très bonne qualité et de la
proximité entre la recherche, le développement et la production, une
condition clé pour améliorer sans
cesse les produits », affirme
Sacha Loiseau, directeur
général de Mauna Kea
Technologies.
Mais l’équation se complique quand il s’agit de
vendre ces bijoux technologiques. Pour se positionner sur
un marché mondial évalué à
200 milliards d’euros et en
croissance de 6 % par an,
il faudrait pouvoir prendre appui sur son marché
intérieur. Or, faute de
crédits publics, « il est
très difficile de vendre des
produits à l’hôpital », reconnaît Sacha Loiseau qui
n’a vendu l’an dernier qu’un seul
appareil de micro-endoscopie en
France, contre 76 à l’étranger.
« L’État, par l’intermédiaire des
CHU, pourrait être un formidable
prescripteur d’innovation s’il jouait
son rôle, estime Bertin Nahum en
s’étonnant qu’il soit « plus facile
d’obtenir des subventions que des
commandes ».
Un terreau de créativité
Sans parler du casse-tête pour faire entrer ces dispositifs novateurs
dans une nomenclature figée. « Le
système français ne rémunère pas
l’innovation. Si nous créons un implant totalement nouveau, offrant
un service médical unique, il faut se
débrouiller pour le rattacher à une
catégorie prédéfinie, sans possibilité d’obtenir un meilleur prix »,
déplore Denys Sournac, patron de
Medicrea. Ce fabricant d’implants
pour la colonne vertébrale réalise
donc toute sa marge à l’export.
D’autres révolutions pour demain
Restaurer la vision, détruire
les tumeurs ou réparer les artères : les projets en gestation
dans les technologies médicales ont de quoi étonner. La
plupart des jeunes pousses
abordent seulement la phase
de commercialisation à l’image de Crossject, inventeur
d’un système d’injection sans
aiguille, qui s’introduit en
Bourse d’ici au 14 février.
Le traitement des yeux mobilise plusieurs start-up. C’est
le cas d’EyeTechCare, inventeur d’un traitement du glaucome par ultrasons et de
Pixium. En partenariat avec
l’Institut de la vision, cette
très jeune entreprise a créé un
implant qui rend en partie la
vue aux patients atteints de
pathologies telles que la dégénérescence maculaire. À partir d’une caméra installée sur
une paire de lunettes, la prothèse IRIS1 de Pixium traduit
les images filmées en impulsions électriques envoyées à
des électrodes posées sur la
rétine, permettant au cerveau
de percevoir de nouveau l’environnement.
Dans le domaine cardiovasculaire également, les innovations sont nombreuses, notamment dans l’écurie du
fonds Truffle Capital qui couve
Epygon (créateur d’une valve
mitrale dite percutanée, posée
sans chirurgie), Kardiosis
(endoprothèse vasculaire, ou
stent) et Kephalis (anneau mitral réglable). En association
ou non avec des chimiothérapies, les technologies médicales visent aussi à soigner certains cancers. Theraclion cible
ainsi les tumeurs par ultrasons. Et Nanobiotix, cotée depuis 2012, a développé NanoXray, un procédé à base de
nanoparticules. Injectées dans
une tumeur, celles-ci vont
amplifier l’effet d’un traitement par radiothérapie. ■
A. BOH ET G. B.
« La France reste un terreau de
créativité mais n’est pas un marché
qui nous permet de vivre », indique
le dirigeant qui constate le rachat
ou l’exil de ses concurrents aux
États-Unis.
Peu à peu, les autorités prennent conscience des freins imposés à ce secteur qui emploie déjà
45 000 salariés. Arnaud Montebourg, ministre du Redressement
productif, a affirmé sa volonté que
les acheteurs publics préfèrent les
produits français et la filière des
dispositifs médicaux fait partie
des 34 plans de « reconquête industrielle » lancés en 2013.
Pour les premières étapes de la
vie de ces start-up, « les aides fiscales et les subventions sont plutôt
opérants en France, même si des
améliorations sont nécessaires »,
estime Bertin Nahum. Et, sur les
marchés financiers, les « medtechs » françaises s’en sortent
bien. Quatre des douze dernières
introductions en Bourse dans ce
secteur concernaient des entreprises françaises. Ces dernières
ont levé 32 millions d’euros, indique le cabinet Ernst & Young.
Passer à la taille supérieure et se
mettre à l’abri d’un rachat par un
groupe étranger est plus compliqué. « Pour devenir leader mondial, il faut être capable de lever
100 millions d’euros ou plus pour
établir des ponts en Asie ou en
Amérique du Sud ou racheter une
société du secteur », rappelle Antoine Papiernik, partenaire de la
société de capital-risqueur Sofinnova, dont la société CoreValve a
été cédée en 2009 à l’américain
Medtronic. Des financements difficiles à trouver pour les start-up
médicales françaises. À moins que
le gouvernement n’entende leur
appel et n’incite assureurs et mutualistes à investir dans ce secteur
risqué mais prometteur. ■
Pourquoi
est-il
si difficile
d’obtenir des
commandes
des hôpitaux
publics
français ?
BERTIN NAHUM,
PDG DE MEDTECH
HORVAT/AFP
LES FRANÇAIS
INNOVENT,
LES EMPLOIS
SE DÉVELOPPENT
OUTRE-ATLANTIQUE
DANS LE SECTEUR DES
DISPOSITIFS MÉDICAUX
45 000
salariés en France
2 millions
de salariés
aux États-Unis
200
milliards de dollars.
de ventes annuelles
sur le marché
mondial
des technologies
médicales.
Carmat,
le cœur
du futur
Medtech,
la chirurgie
sans cicatrice
Mauna Kea
explore
les cellules
Medicrea
et la chirurgie
du dos
EOS,
un Nobel pour
fondateur
Le premier cœur totalement artificiel a été implanté à l’hôpital
Georges-Pompidou à Paris, par
une équipe française. Une réussite
exceptionnelle due à la rencontre
d’un cardiologue, chercheur dans
l’âme, et d’un industriel français.
Celle du professeur Alain Carpentier, qui s’est battu bec et ongles
pendant vingt ans pour créer un
cœur tricolore, et de Jean-Luc Lagardère, qui détenait les clés de la
technologie ultrasophistiquée de
l’industrie spatiale et électronique
à la tête du groupe Matra, devenu
par la suite EADS. La société Carmat, financée par le fonds Truffle
et cotée en Bourse où elle est valorisée 400 millions d’euros, a ensuite finalisé le développement de
ce cœur. Il pourra être commercialisé d’ici à deux ans, après une
vingtaine
d’essais
cliniques
A. BOH
supplémentaires. ■
Bertin Nahum, son fondateur, a été
classé en 2012 quatrième entrepreneur high-tech le plus révolutionnaire au monde par la revue canadienne Discovery Series, derrière
Steve Jobs (Apple), Mark Zuckerberg
(Facebook) et James Cameron (cinéaste et explorateur de fonds marins). Son haut fait : avoir inventé le
robot Rosa, champion de la chirurgie
mini-invasive. Medtech, qui a vendu
son premier robot, Brigit, à l’américain Zimmer, réalise 60 % de ses
ventes à l’international mais conçoit
et fabrique ses machines à Montpellier. « La production restera en France. L’herbe n’est pas toujours plus
verte ailleurs, que ce soit en créativité
ou en productivité», assure Bertin
Nahum. Mais il n’a pas hésité à s’exiler deux ans en Amérique du Nord
pour y lancer Rosa, dont les ventes
ont atteint 1,8 million d’euros entre
A. BOH
mi-2012 et mi-2013. ■
Polytechnicien, docteur en astrophysique et en instrumentation
optique, Sacha Loiseau a œuvré à
la conception du télescope spatial
de la mission Gaia partie établir la
cartographie de notre Voie lactée.
Or les technologies de traitement
de l’image qui permettent de décoder les signaux obtenus par un
télescope s’appliquent aussi bien
en microscopie. C’est l’origine du
Cellvizio, le plus petit microscope
implantable au monde. Cette sonde, miniaturisée pour pénétrer
dans le corps humain, offre un
grossissement capable de détecter
d’éventuelles cellules cancéreuses. Plus précis qu’une biopsie,
Cellvizio est déjà utilisé dans le
monde entier pour améliorer
considérablement le diagnostic de
cancers gastro-intestinaux, et
bientôt dans la pneumologie ou
G. B.
l’urologie. ■
Avec 23 millions d’euros de chiffre
d’affaires et un résultat bénéficiaire en 2013, Medicrea fait figure
de leader français parmi les spécialistes des nouvelles technologies pour le traitement des déformations de la colonne vertébrale,
un marché de 9 milliards de dollars à l’échelon mondial. La société conçoit et fabrique, à La Rochelle, des dispositifs peu invasifs
destinés à des opérations complexes. Pour améliorer sans cesse ses
produits, Medicrea collabore avec
les praticiens français car plus de
trente ans après les pionniers, le
Dr Yves Cotrel et le Pr Jean Dubousset, l’école française garde
une réputation mondiale. Mais
c’est surtout grâce au marché
américain, où la firme a pris pied à
partir de 2007, que la société est
désormais bénéficiaire : elle y réaG. B.
lise 85 % de son résultat. ■
Seul EOS Imaging est capable de
fournir aux chirurgiens orthopédistes une image complète du
squelette d’un patient en trois dimensions et en position debout.
Sans équivalent dans le monde, ce
système d’imagerie est directement issu des travaux de Georges
Charpak, Prix Nobel de physique
en 1992 pour ses détecteurs de
particules, et fondateur de la société. Il permet de vérifier les défauts des articulations lorsqu’elles
supportent réellement le poids du
corps. EOS équipe déjà 75 hôpitaux de référence au plan mondial, et la société se développe
maintenant dans la conception de
prothèses adaptées à la posture de
chaque patient. Autre caractéristique du système d’EOS Imaging,
la dose de radiation est divisée par
dix par rapport à une radiographie
G. B.
classique. ■
CARMAT, DR, MAUNA KEA TECHNOLOGIES, SOUDAN/ALPACA/ANDIA.FR, F. MALÉCOT
ARMELLE BOHINEUST
@armelella
ET GUILLAUME BAYRE
@GuillaumeBayre
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