dossier par Sandrine Issartel et Victoire N’Sondé Du VIH au neurosida Malgré les traitements antirétroviraux, le cerveau reste le siège de lésions dues au VIH, entraînant des troubles qui passent souvent inaperçus dans leur phase précoce mais qui peuvent notamment perturber le bon suivi du traitement. Transversal n° 40 janvier-février dossier « Neurosida » est un terme dont la définition est finalement plus pratique que scientifique. Avant l’avènement des multithérapies, il faisait spécifiquement référence, d’une part, aux infections opportunistes cérébrales les plus fréquentes chez les personnes séropositives et qui définissent cliniquement le stade sida (leuco-encéphalite multifocale progressive [LEMP], toxoplasmose cérébrale, tuberculose neuro-méningée et cryptococcose) et, d’autre part, à des manifestations directement liées au VIH, dont les formes les plus sévères conduisaient à une démence terminale. Ces troubles spécifiques étaient alors appelés encéphalite à VIH ou encéphalopathie VIH. Actuellement, les spécialistes préfèrent parler de troubles neurocognitifs liés au virus. 16 Un terme obsolète ? Depuis une dizaine d’années, les antirétroviraux (ARV) ont montré une certaine efficacité contre les complications cérébrales graves associées au VIH. « Avant l’ère des combinaisons antirétrovirales, la survie après une pathologie neurologique grave était de quelques mois seulement, se souvient le Dr Jacques Gasnault, neurologue au CHU de Bicêtre (Kremlin-Bicêtre) et spécialiste reconnu du sujet. Depuis que les ARV sont largement utilisés, l’incidence de ces complications a baissé et les patients vivent plus longtemps. » En France, l’une des conséquences de cette avancée a été un désengagement progressif des services de neurologie. Et la plupart des équipes de recherche qui travaillaient sur cette thématique ont réorienté leurs activités. Le neurosida fait-il désormais partie du passé ? Malheureusement pas si on regroupe sous ce terme l’ensemble des troubles cérébraux liés au VIH. Comme le soulignent les auteurs du dernier rapport Yeni 1 du ministère de la Santé : « Si l’incidence et la sévérité des troubles cognitifs ont diminué, leur prévalence continue à augmenter du fait de l’allongement de la survie des 1 Téléchargeable sur www.sante.gouv.fr/htm/actu/yeni_sida/rapport_experts_2006.pdf. patients et de l’efficacité insuffisante des antirétroviraux sur les effets neurotoxiques liés à la réplication virale. C’est particulièrement vrai pour les dysfonctionnements cognitifs légers, dont la fréquence reste très sous-estimée malgré leur retentissement avéré sur la réalisation des activités les plus exigeantes de la vie courante, comme la bonne observance au traitement. » Et si des lésions cérébrales irréversibles sont apparues malgré les traitements, les personnes séropositives en gardent généralement de lourdes séquelles restreignant leurs capacités motrices et leurs fonctions intellectuelles. Origines multifactorielles. On sait depuis longtemps que le cerveau est l’un des premiers organes contaminés par le VIH. Dans le cas des infections neurologiques opportunistes entrant dans les critères de définition du stade sida, les lésions s’expliquent par l’effet pathogène du micro-organisme responsable sur le tissu cérébral : virus dans le cas de la LEMP, parasite pour la toxoplasmose, mycobactérie pour la tuberculose, levure pour la cryptococcose. L’absence de traitement chez une personne très immunodéprimée ou l’échec thérapeutique favorisent ainsi la multiplication de ces micro-organismes, comme c’est le cas dans toutes les infections opportunistes. L’expression des troubles neurologiques moteurs ou cognitifs dépendra alors de l’aire cérébrale affectée et leur gravité sera fonction de l’étendue des lésions. Par contre, en ce qui concerne les lésions cérébrales à l’origine des troubles neurocognitifs directement liés au VIH, on considère maintenant que les responsabilités sont partagées entre les effets neurotoxiques directs du virus et la réaction inflammatoire qu’il provoque localement. Comme dans le reste de l’organisme, le virus exerce un effet toxique sur certaines cellules du système immunitaire – lymphocytes CD4 et monocytes-macrophages – qui pénètrent et circulent dans le cerveau à partir de la circulation sanguine périphérique. Une fois dans cet organe, le VIH agit aussi sur des cellules immunitaires spécifiques du cerveau, qui constituent la microglie. L’interaction de l’ensemble de ces cellules immunitaires avec le VIH provoque une réponse inflammatoire dont le rôle semble majeur dans l’altération de constituants-clés du tissu cérébral. « Les conséquences de ces dommages sur le fonctionnement cérébral sont longtemps compensées, jusqu’au moment où la destruction neuronale atteint un seuil critique au-delà duquel le risque d’évolution vers une démence irréversible devient majeur », décrit le Dr Gasnault. Autrement Sous-estimation. Comment prévenir efficacement et assez tôt la survenue de troubles cérébraux provoqués par le VIH et limiter ainsi les risques de dommages irréversibles ? Aux stades les plus précoces, le retentissement des troubles neurocognitifs sur le quotidien du malade est trop peu marqué pour être perceptible lors d’une simple consultation de routine. Pourtant, certains signes, a priori anodins, doivent attirer l’attention des proches et des personnels médicaux. Des troubles de la mémoire, des difficultés de concentration ou un défaut d’organisation même mineur dans la vie tant personnelle que professionnelle, devraient alerter le médecin et justifier une évaluation cognitive par un neurologue ou neuropsychologue. « À l’aide de tests appropriés, il est possible de détecter des déficits cognitifs avérés, même chez un patient qui “fait illusion” dans le quotidien », souligne le Dr Gasnault. Cependant, selon le rapport Yeni, les consultations capables d’assurer ces évaluations sont trop rarement intégrées aux services prenant en charge les personnes infectées par le VIH. Pour optimiser le dépistage de ces troubles, le rapport préconise donc de cibler les populations les plus à risque : les personnes séropositives âgées de plus de 50 ans – du fait du vieillissement du cerveau avec l’âge –, ainsi que les personnes en échec thérapeutique sans cause apparente d’une première ligne de traitement antirétroviral. En effet, un dysfonctionnement cognitif léger peut être à l’origine de difficultés pour suivre correctement un GLOSSAIRE Infections opportunistes du cerveau : LEMP ou leuco-encéphalite multifocale progressive Affection provoquée par le polyomavirus JC contre lequel aucun traitement spécifique n’existe. Toxoplasmose. Image à résonance magnétique nucléaire. © Institut Pasteur Toxoplasmose cérébrale Maladie causée par le parasite Toxoplasma gondii. Tuberculose neuroméningée Ensemble des complications neurologiques de la tuberculose, infection due à Mycobacterium tuberculosis (appelé aussi BK pour bacille de Koch). Troubles neurocognitifs Provoqués par des dysfonctionnements du système nerveux central (principalement le cerveau) liés à la présence du VIH. Au stade de la démence chez une personne séropositive, ces troubles font partie des critères de définition du stade sida. Transversal n° 40 janvier-février dossier dit, avant même que les premiers symptômes n’apparaissent, l’infection au VIH peut déjà avoir provoqué des lésions au niveau du cerveau dont les effets s’additionneront progressivement. En outre, il semble de plus en plus probable que le cerveau constitue un site réservoir pour le VIH, qui, dans certains cas, pourrait continuer à s’y multiplier à bas bruit. Y compris chez des personnes sous traitement dont la charge virale est devenue indétectable dans le sang. On ne sait pas encore si cette réplication intracérébrale joue un rôle dans l’apparition des troubles cognitifs. Une éventuelle neurotoxicité sur le long terme des ARV a été longuement discutée, mais n’est pas établie. Cryptococcose Résulte de l’inhalation de la levure Cryptococcus néoformans et infecte préférentiellement le cerveau, mais peut également toucher les poumons et la peau. 17 dossier par Sandrine Issartel et Victoire N’Sondé traitement. Ce défaut d’observance peut passer totalement inaperçu aux yeux même du patient. « On sous-estime la proportion de gens qui peinent ainsi à suivre convenablement leur programme thérapeutique et qui finissent par se retrouver dans une spirale où la mauvaise observance conduit à l’échec virologique qui favorise la multiplication active du VIH dans le cerveau, elle-même responsable d’une aggravation des lésions cérébrales », alerte le Dr Gasnault. Transversal n° 40 janvier-février dossier Outils diagnostiques. Pour asseoir un diagnostic de complications neurologiques, les médecins disposent de plusieurs outils. L’Imagerie par résonance magnétique (IRM) est une technique médicale qui permet de visualiser les lésions au niveau du cerveau. C’est un examen très sensible qui doit être pratiqué le plus rapidement possible après le début des premiers signes d’atteintes neurologiques. L’étude du liquide céphalo-rachidien – prélevé par ponction lombaire (en tenant compte des contre-indications) – est très utile pour dépister certaines infections virales (comme la LEMP) ou non virales (tuberculose, cryptococcose). Enfin, dans certains cas très particuliers et en évaluant scrupuleusement le rapport entre bénéfice attendu et risque encouru, réaliser une biopsie cérébrale peut s’avérer nécessaire afin d’orienter au mieux le traitement. 18 Compartiment cérébral. Une fois le diagnostic confirmé, le traitement doit être adapté. Certaines infections opportunistes (toxoplasmose, tuberculose, cryptococcose) ont un traitement spécifique. Concernant ces pathologies et plus particulièrement les deux dernières, une des questions principales est de déterminer à quel moment introduire les ARV afin d’éviter le syndrome inflammatoire de restauration immunitaire – une réaction provoquée par la restauration probablement trop rapide de la réponse immunitaire. Par contre, aucun traitement antiviral efficace n’est disponible contre le virus responsable de la LEMP. La stratégie consiste donc à optimiser le traitement contre le VIH dans le but de restaurer au plus tôt les défenses immunitaires, ce qui permettra indirectement de contrôler la LEMP. De même, le traitement des troubles neurocognitifs directement liés au VIH repose sur une multithérapie antirétrovirale la plus active possible dans le compartiment cérébral. « Nous étions persuadés depuis longtemps que les traitements les plus efficaces étaient ceux dont la diffusion dans le cerveau était la meilleure, explique le Dr Gasnault. Mais il aura fallu attendre le milieu de cette décennie pour en obtenir des preuves scientifiques. » La capacité d’un ARV à traverser la barrière hémato-encéphalique (BHE), la membrane qui sépare le cerveau du sang circulant, dépend des propriétés intrinsèques de chaque molécule antirétrovirale et non de sa classe. « Les inhibiteurs de protéase (IP) ont été davantage étudiés, précise Stéphane Neurones. © CDC Azoulay, chercheur au laboratoire de chimie des molécules bioactives et arômes à Nice. On peut les classer et faire des corrélations avec leurs propriétés physico-chimiques. » Passerelles avec Alzheimer ? Le vieillissement des personnes infectées par le VIH amène naturellement à s’interroger sur leur vieillissement cérébral, y compris dans un contexte de parfait contrôle virologique de l’infection. « Certaines études récentes nous font penser que dans la population actuelle des personnes séropositives, les effets du vieillissement commencent à apparaître vers 50 ans, alors que dans la population générale on retient plutôt l’âge de 65 ans, précise le D r Gasnault. On commence notamment à constater quelques similitudes cliniques, voire biologiques, entre les troubles cognitifs liés au VIH et ceux rencontrés dans la maladie d’Alzheimer, la maladie neurodégénérative la plus répandue. » La question d’un risque accru pour les sujets séropositifs de développer une maladie d’Alzheimer est donc posée. Cette interrogation émergente devrait susciter de nouveaux axes de recherche dans un secteur particulièrement dynamique : celui des neurosciences du vieillissement. Gageons que ces interrogations sur d’éventuelles passerelles entre VIH et Alzheimer donneront un nouveau souffle à la recherche sur les troubles neurologiques liés au virus. Victoire N’Sondé Neurosida et dépendance : quelle prise en charge ? Pour les patients qui survivent au neurosida, les séquelles sont importantes et conduisent souvent à la perte d’autonomie. Trop jeunes pour la maison de retraite, pas assez autonomes pour un retour à domicile, ni assez « malades » pour rester à l’hôpital : que deviennent-ils une fois sortis des services de courts et moyens séjours ? En France, environ 600 nouveaux patients développent un neurosida chaque année. La moitié des cas diagnostiqués se concentrent sur l’Ile-de-France. Un tiers d’entre eux décèdent dans la première année suivant le diagnostic et deux tiers survivent 1. Selon le Dr Bénédicte Bouhris, médecin inspecteur de santé publique à la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (Ddass) de l’Oise, la moitié des patients encore en vie retrouveront leur autonomie complète, mais l’autre moitié, soit une centaine de personnes par an en Ilede-France, deviendront dépendants du fait des séquelles. Certains profiteront des dispositifs de maintien à domicile et d’aide à la vie quotidienne (86 %), mais les autres (14 %) auront besoin d’une structure au long cours de type Maison d’accueil spécialisée (MAS) ou Unité de soins de longue durée (USLD) 2. Question cruciale : l’offre est-elle à la hauteur de la demande ? Apparemment pas, vu le nombre de patients qui stagnent dans les services de moyens séjours pendant parfois presque un an dans l’attente d’une solution. Problème émergeant. « Les personnes qui ont un toit et une famille qui les entoure réintègrent leur domicile et bénéficient d’une aide à la vie quotidienne, explique le Dr Hervé Bideault, médecin au service de Soins de suite et de réadap- : Base de données hospitalière française de l’infection 2 Prise en charge des patients dépendants après un neurosida : état des lieux et perspectives en région Ile-de-France, Bénédicte Bouhris, École nationale de la santé publique (ENSP), septembre 2007. Offre inadaptée. « En attendant de trouver une solution individuelle pour ces patients, on les garde le plus longtemps possible, bien au-delà des 90 jours réglementaires, au détriment de nouvelles personnes que nous ne pouvons pas accueillir, faute de place, explique le Dr Bideault. Le pire, humainement parlant, est lorsque nous sommes contraints de “faire tourner” un malade dans tous les services identiques du département. » Ce constat est unanime : il n’y a pas de solution en aval des SSR. Quid des ACT, MAS, MAD, HAD et Transversal n° 40 janvier-février dossier 1 Source à VIH (DMI2). tation (SSR) de Bligny (Essonne), mais c’est rarement le cas. » En 2005, 10 % des patients présentant un neurosida pris en charge dans ce service étaient sans abri. Même son de cloche à la Maison sur Seine du D r Michel Denis, dans le 18e arrondissement de Paris, qui pointe l’état de précarité et d’isolement d’un grand nombre d’entre eux. « Notre grand désespoir, déplore-t-il, est que beaucoup de nos patients sont en attente d’une réponse au long cours souvent pour des raisons sociales, notamment des revenus trop faibles, voire inexistants. » Parmi ceux admis à la Maison sur Seine en 2005, 10 % bénéficiaient de l’Allocation adultes handicapés (AAH), 17 % étaient sans ressources, 10 % étaient en situation irrégulière et 63 % vivaient seuls. Des chiffes qui traduisent une grande précarité sociale, affective et financière. « Pour ceux qui ont un travail et des revenus leur permettant d’avoir une mutuelle, la situation est gérable, poursuit-il. Ils pourront intégrer un établissement privé adapté. Mais pour les autres, il faut trouver un système pour pallier ce manque de revenus. » Et autant prendre le problème à bras le corps, car avec l’arrivée des trithérapies, la population séropositive vieillit et se trouve exposée aux maladies dégénérescentes. Aujourd’hui, si les pathologies neurologiques peuvent être traitées et ne conduisent donc plus immédiatement à la mort, survivre signifie souvent l’existence de séquelles irréversibles sur le plan de l’autonomie. « C’est comme pour d’autres maladies chroniques, comme la myopathie ou la mucoviscidose, au sujet desquelles la recherche a progressé. L’allongement de la vie permet aux malades de vivre plus longtemps, mais avec plus de soins et moins d’autonomie », constate le Dr Christine Barbier, médecin inspecteur régional adjoint à la Direction régionale des affaires sanitaires et sociales d’Ile-de-France (Drassif). 19 dossier par Sandrine Issartel et Victoire N’Sondé Transversal n° 40 janvier-février dossier Lymphone cérébral d’un patient atteint du sida. © Institut Pasteur 20 autres Ssiad ? Il existe tellement de structures que l’on peine à s’y retrouver. Si, à terme, l’idéal est le retour à la maison et à l’autonomie, les données montrent que ce cas de figure n’est pas la règle. Par ailleurs, les besoins ne sont pas les mêmes d’une personne à l’autre. Quel type de placement ? Pour quel patient ? « Cela dépend des atteintes neurologiques de la maladie. Or il existe des atteintes très sévères qui peuvent aller jusqu’à la démence », explique Jean-Baptiste Bollens, président de SOS Habitat et Soins. « Pour certains, une aide à la vie quotidienne pour le ménage, la toilette ou la livraison du repas suffit, alors que d’autres ne peuvent rester seuls à aucun moment du jour ou de la nuit. » SOS Habitat et Soins gère des Appartements de coordination thérapeutique (ACT) et admet que le dispositif semble inadapté à ce type de patients. « On ne peut absolument pas accueillir de patients neurosida, car nous n’avons pas de personnel sur place 24 heures sur 24 », conclut Jean-Baptiste Bollens. Si ces derniers sont sortis de la phase aiguë de leur pathologie et ne nécessitent plus de soins médicaux importants, une simple aide à la vie quotidienne ne suffit pas pour autant. Le Maintien à domicile (MAD) est donc exclu puisque cette solution nécessite un minimum d’autonomie et surtout un chez soi, ce qui n’est pas le cas de bon nombre de patients en situation d’extrême précarité. Quant à l’Hospitalisation à domicile (HAD) ou les Services de soins infirmiers à domicile (Ssiad), outre la question lancinante de l’existence ou non d’un domicile, ces offres, trop médicales, ne constituent pas non plus une réponse adaptée. « Le problème est que nous apportons toujours des réponses clivées, déplore le Dr Christine Barbier. Il est question soit de handicap, soit de soins. Il y a véritablement un chaînon manquant ! » Besoins spécifiques. Quel dispositif serait le plus à même de répondre au défi de la prise en charge médico-sociale que nécessite la dépendance engendrée par la manifestation d’un neurosida ? À quels besoins spécifiques doit-il répondre ? « Certains patients développent une dépendance vis-à-vis de l’alimentation, de la marche, de la toilette », explique le Dr Bideault. « Dans un sens, du point de vue du handicap, la situation est la même que pour une personne ayant de lourdes séquelles suite à un accident vasculaire cérébral ou une sclérose en plaque avancée », remarque Christine Barbier. « Cependant, il s’agit d’une maladie au long cours transmissible et évolutive, qui touche en particulier une population déjà précaire et stigmatisée, comme les migrants ou les usagers de drogues », poursuit-elle. Ce qui en fait une pathologie générant des besoins propres. C’est peut-être cette spécificité qui explique la quasi-impossibilité pour ces patients d’intégrer les USLD, qui sont pourtant, a priori, parfaitement adaptées à la situation. En effet, ces unités sont censées accueillir les « personnes présentant une pathologie organique chronique ou une polypathologie, soit active au long cours, soit susceptible d’épisodes répétés de décompensation, et pouvant entraîner ou aggraver une perte d’autonomie » 3. Ce dispositif permet un « suivi rapproché des actes médicaux itératifs » et offre « une permanence médicale, une présence infirmière continue et l’accès à un plateau technique minimum » 4. Seulement, d’après les professionnels, l’offre est quasi inexistante en Ile-de-France. Peut-être l’âge d’entrée dans ce type d’établissement est-il en cause ? En effet, il est fixé à 60 ans minimum alors que la moyenne d’âge des patients atteints de neurosida se situe entre 40 et 50 ans. Ce qui ne saurait constituer une raison valable et suffisante puisque, d’une part, il est possible, voire fréquent, de demander et d’obtenir une dérogation – comme pour les patients jeunes atteints de formes sévères de pathologies neurodégénératives – et, d’autre part, du fait de la réforme du statut de ces établissements, ce critère d’âge étant voué à disparaître. Comme le fait remarquer Christine Barbier : « Ce n’est pas forcément l’âge qui fait la perte d’autonomie, mais la maladie. » Ce qui prouve que le sida reste malheureusement une maladie stigmatisante, avec « Ce n’est pas son lot de craintes injustifiées comme forcément l’âge la peur des personnels soignants du qui fait la perte risque d’accident d’exposition au sang d’autonomie, – angoisse qui témoigne d’un manque mais la maladie. » de formation et d’information sur la maladie. « On revit ce que l’on vivait il y a 25 ans dans les services de courts séjours », s’indigne Christine Barbier. Mais il existe surtout un frein financier dû au coût élevé des antirétroviraux (en moyenne 30 euros par jour), qui sont à la charge de l’établissement. « Cela risque d’entraîner un surcoût pour les structures qui ont un budget global, estime Christine Barbier. Mais il peut être facilement absorbé lorsque l’établissement accueille également des patients au traitement peu onéreux. » ments de type médico-social s’adressent aux « adultes handicapés qui n’ont pu acquérir un minimum d’autonomie et dont l’état requiert une surveillance médicale et des soins constants » 5. Thierry Béranger, de la Fédération nationale d’hébergements dédiés au VIH (FNE-VIH), confirme : « Ce sont des MAS qu’il faut créer, car il s’agit du dispositif le mieux adapté. Et si cela appelle des dépenses et des efforts spécifiques, ces coûts seront toujours moindres que ceux d’une hospitalisation. » Une seule en région parisienne accueille ces patients : la Maison de lumière, située à Magnyen-Vexin (le Val-d’Oise) et spécialisée dans la dépendance liée au sida. Ici, tous les malades se déplacent en fauteuil roulant, présentent des problèmes d’incontinence ou des troubles cognitifs. Il s’agissait au départ d’une structure associative de soins palliatifs. Mais au vu de l’évolution épidémiologique, l’établissement est devenu une MAS d’une quinzaine de lits. La gestion de cette petite structure a été reprise par le centre hospitalier du Vexin, ce qui permet au malade l’accès à un plateau technique, tout en étant intégré au village de Vexin et donc de préserver du lien social. La demande se fait plus importante que l’offre. En effet, depuis 2003, la Maison de lumière s’est vu adresser 60 demandes pour seulement 14 admissions. Faute de places, 18 dossiers sont toujours en attente. Parallèlement, le projet de MAS porté par l’association SOS Habitat et Soins devrait voir le jour prochainement. Cette structure, établie à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), disposera de 60 places pour des patients rendus dépendants après des pathologies neurologiques graves, dont 20 places réservées aux patients ayant déclaré un neurosida. « Le projet a été accepté dans le schéma régional d’organisation sanitaire [SROS], se réjouit Michel Denis. Le terrain est acheté et le centre devrait ouvrir ses portes courant 2009 ! » Une amorce de solution pour un problème qui ne fait qu’émerger, mais qui concerne l’ensemble de la population vieillissante et révèle, selon le Dr Bideault, « une difficulté sociétale à envisager que nous allons tous vieillir et devenir dépendants. » Sandrine Issartel 3 Bénédicte Bouhris, op. cit. 4 Bénédicte Bouhris, op. cit. 5 Bénédicte Bouhris, op. cit. Transversal n° 40 janvier-février dossier Places en MAS. Autres structures intéressantes mais dépourvues de places en nombre suffisant : les Maisons d’accueil spécialisées (MAS). Pour Michel Denis, « les MAS sont le dispositif à développer en priorité. » En effet, ces établisse- 21