Chaire de recherche du Canada en pharmacogénomique 2016 La médecine personnalisée vise une stratification plus précise des patients ou des maladies à l’aide de biomarqueurs à des fins de dépistage, de diagnostic, de pronostic et d’efficacité thérapeutique. UNE APPROCHE PERSONNALISÉE POUR MIEUX TRAITER LE CANCER La problématique La pharmacogénomique, ou médecine personnalisée, représente l’un des grands enjeux actuels de la médecine. Elle utilise de nouvelles méthodes d’analyses génétiques et moléculaires afin de favoriser des traitements médicaux ciblés et de meilleurs diagnostics. Ce nouveau modèle de système de santé se nomme également la Médecine 4P, pour prédictive, préventive, personnalisée et participative. Ainsi, la médecine personnalisée vise une stratification des patients ou des maladies à l’aide de biomarqueurs à des fins de dépistage et de diagnostics plus précis. Cette approche permet également d’évaluer le pronostic, de sélectionner un traitement pharmacologique adapté au patient, de suivre le patient ou l’évolution de sa maladie afin d’adapter les interventions thérapeutiques au besoin. Les projets Concentrés sur la pharmacogénomique appliquée au domaine de l’oncologie, nos recherches visent une meilleure compréhension des processus à l’origine de la variabilité dans les voies de biotransformation des médicaments par l’étude des variations génétiques, des mécanismes épigénétiques et d’épissage alternatif. Nos recherches sont également orientées vers la découverte de biomarqueurs permettant d’identifier les patients les plus susceptibles de répondre à certaines pharmacothérapies du cancer et ceux à risque de développer les effets indésirables causés par ces médicaments; l’identification de marqueurs pronostiques associés à la progression du cancer, à la découverte et à la caractérisation de nouvelles cibles thérapeutiques. D’un point de vue clinique, un premier projet étudie comment le profil génétique des patients atteints d’un cancer colorectal métastatique influe sur la réponse à un agent anticancéreux. Ces travaux pourraient conduire au développement de tests génétiques permettant de mieux guider le choix ou la posologie du médicament afin de prévenir les effets indésirables sérieux ou, en contrepartie, de cibler les patients avec un profil favorable pouvant bénéficier d’une dose plus élevée afin de maximiser les chances de succès de la thérapie anticancéreuse. Fonds de la recherche en santé La Société de recherche sur le cancer SOCIÉTÉ DE LEUCÉMIE& LYMPHOME DU CANADA Un deuxième projet clinique étudie le rôle d'un nouveau biomarqueur pronostic et de résistance au traitement de la leucémie lymphoïde chronique (LLC). Ces travaux visent à une meilleure prédiction des leucémies les plus à risque de progresser et celles potentiellement résistantes à certains traitements de chimiothérapie. Ces études cherchent également à mieux comprendre les facteurs déterminants tels que ceux liés au sexe dans la progression de la LLC afin d'identifier de nouvelles cibles thérapeutiques. Un autre projet clinique vise l’étude prospective des déterminants pharmacocinétique (devenir du médicament dans l’organisme), pharmacodynamique (action du médicament à la cible thérapeutique) et pharmacogénomique (facteurs génétiques) dans le succès de la thérapie immunosuppressive visant à prévenir la réaction du greffon contre l’hôte (GvHD), une complication majeure fréquemment observée chez les patients cancéreux après une greffe de cellules souches hématopoïétiques. L’étude de cancers hormonodépendants (tels ceux de l’endomètre et la prostate) constitue également un volet de recherche très actif. À travers ces recherches, en plus des aspects génomiques, notre équipe a su développer une expertise unique en profilage métabolomique par spectrométrie de masse; une approche qui constitue le plus haut standard de qualité en bioanalyse et qui permettra une meilleure compréhension de la physiologie hormonale en lien avec les cancers hormonodépendants et leur progression. Faculté de pharmacie D CHANTAL GUILLEMETTE re La chercheure principale La Dre Chantal Guillemette est professeure titulaire à la Faculté de pharmacie de l’Université Laval. Elle a réalisé un doctorat en endocrinologie moléculaire à la Faculté de médecine de l’Université Laval. Elle a poursuivi ses études avec deux stages postdoctoraux en pharmacogénomique en Norvège à l’Institut du cancer, puis au Massachusetts Institute of Technology à Boston. En 2000, elle a rejoint le corps professoral de la Faculté de pharmacie de l’Université Laval et a établi son équipe de recherche au Centre de recherche du CHU de Québec, site CHUL. Ses projets sont financés par les Instituts de recherche en santé du Canada ainsi que la Fondation canadienne pour l’innovation, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, Prostate Cancer Canada, la Société de recherche du cancer et la Société de Leucémie et Lymphome du Canada. Depuis 2003, elle est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en pharmacogénomique. Les collaborateurs Les retombées scientifiques L’équipe de recherche au laboratoire compte actuellement plusieurs étudiants au doctorat et à la maîtrise, une stagiaire post-doctorale ainsi que des professionnels de recherche. Les recherches s’effectuent avec d’autres cochercheurs et de nombreux collaborateurs du Canada, des États-Unis, d’Europe, et d’Asie, dont plusieurs sont cliniciens dans diverses spécialités comme l’oncologie, l’urologie, la pathologie et la gynécologie. L’interdisciplinarité et la complémentarité de l’équipe de recherche créent un milieu de formation exceptionnel, une synergie et une collaboration active et fructueuse. Toujours en étroite collaboration avec les cliniciens, les projets visent à transférer ces connaissances en clinique pour adapter le traitement pharmacologique au profil du patient, par la découverte marqueurs moléculaires pronostiques du cancer permettant de mieux cibler les formes de cancers qui évoluent après un traitement initial, et d’ouvrir des pistes de recherche sur de nouvelles cibles thérapeutiques pouvant être exploitées afin de prévenir ou retarder les cancers récidivants. Les retombées sociales Les répercussions de ces recherches sont de première importance puisque le patient bénéficiera d’une approche personnalisée dans le traitement de son cancer en étant plus ciblé et adapté à son profil génétique. L’objectif est d’arriver à guider la décision thérapeutique à l’aide de biomarqueurs moléculaires qui, combinés aux outils cliniques actuels, permettraient de minimiser le risque d’effets indésirables tout en maximisant les chances de réponse aux traitements. La découverte de ces biomarqueurs et de nouvelles thérapies médicamenteuses permettrait ainsi d’accroître le niveau de confiance de l’équipe traitante dans la prise de décisions importantes relatives au traitement et au suivi des patients atteints d’un cancer. Derrière : Andréa Fournier, Adrien Labriet, Anne-Marie Dupéré, Yannick Audet-Delage, Éric Allain, Véronique Turcotte, Éric Lévesque, Patrick Caron Devant : Lyne Villeneuve, Camille Girard-Bock, Chantal Guillemette, Michèle Rouleau, Sandra-Milena Guauque, Sylvie Desjardins Propositions de projets été 2016 Chantal Guillemette, professeur titulaire Chaire de recherche du Canada en Pharmacogénomique Faculté de pharmacie, Université Laval Centre de recherche du CHU de Québec Projet 1 Le rôle de la voie métabolique UGT2B17 dans la leucémie lymphoïde chronique (LLC) : La LLC est la maladie cancéreuse du sang la plus fréquente chez les adultes du monde occidentale. Elle est caractérisée par une prolifération clonale, non-contrôlée de lymphocytes B et se manifeste par des atteintes aux niveaux des ganglions lymphatiques, thrombocytopénie et l’anémie. Les cellules B malignes s’accumulent dans la moelle osseuse, le sang périphérique et dans les ganglions lymphatiques. La LLC est plus fréquente chez les caucasiens que chez les autres ethnicités, donc la majorité des cas qui se développent sont en Europe ou en Amérique du nord. Les hommes, les personnes âgées ainsi que les individus ayant une histoire familiale de LLC sont aussi plus à risque de développer la maladie. La survie moyenne des patients, la réponse aux médicaments et la progression de la maladie est très hétérogène, ce qui présente un obstacle pour le traitement de la LLC. Le pronostic des patients dépend largement des symptômes et du bagage cytogénétique des cellules cancéreuses. Certains individus ont une LLC asymptomatique, tandis que pour d’autres la progression est rapide et la maladie est plus agressive nécessitant un traitement de chimiothérapie. Des travaux publiés par notre groupe ont démontrés un lien entre l’enzyme UGT2B17 et la LLC. Les cellules cancéreuses d’un sous-groupe de patients LLC démontrent une surexpression d’UGT2B17. Les patients de ce sous-groupe avaient des taux de survie réduits et contenaient plusieurs éléments pronostiques indicatifs d’une maladie agressive. Cette étude a démontré qu’UGT2B17 peut avoir une valeur pronostique dans la LLC. Plusieurs outils sont utilisés par les cliniciens afin de stratifier les patients en sous-groupes pronostiques, mais il y a toujours un manque de marqueurs moléculaires permettant de mieux guider le traitement. La découverte récente de l’implication d’UGT2B17 dans la maladie sert d’un point de départ afin d’étudier la valeur pronostique et prédictive de l’enzyme. Les régimes anti-leucémiques ne réussissent pas toujours à combattre la maladie, car plusieurs patients développent une résistance au traitement. Les UGTs peuvent aussi participer à la détoxification des médicaments, donc il est possible qu’UGT2B17 soit impliquée dans la résistance au traitement. Les travaux précédents soulèvent aussi une induction de l’expression UGT2B17 suite au traitement fludarabine-cyclophosphamide, un régime de première ligne pour le traitement de la LLC. De plus, l’activité UGT2B17 envers les agents antileucémiques utilisés dans le traitement de la LLC n’est pas connue. Le projet de recherche proposé visera à déterminer la façon par laquelle cette enzyme affecte le développement de la maladie, ainsi que le rôle potentiel d’UGT2B17 dans la résistance au traitement. 1 Projet 2 Pharmacogénomique du métabolisme moléculaires et impact clinique des médicaments: mécanismes Les enzymes uridine diphospho-glucuronosyltransférases (UGT) catalysent l’inactivation et l’élimination de nombreuses molécules endogènes et exogènes parmi lesquelles de multiples médicaments de toutes classes. La variabilité de l’expression et de l’activité de cette voie, nommée glucuronidation, est associée à certaines pathologies et à une exposition variable à divers composés incluant des médicaments. Les polymorphismes génétiques entrainent une variabilité de cette voie et sont associés à une modification du risque de cancers hormonaux-dépendants et d’effets indésirables causés par certains médicaments. L’épissage alternatif crée une variation de l’expression des enzymes UGT mais également la production de nouvelles protéines alternatives aux fonctions encore peu étudiées mais pouvant interagir avec d’autres voies métaboliques. Les hypothèses du projet stipulent que la génétique du patient modifie sa réponse au traitement (obj.1) alors que l’épissage alternatif modifierait le métabolisme cellulaire au-delà de la voie de glucuronidation (obj.2). Le premier objectif consiste en la découverte de nouveaux marqueurs génétiques prédictifs de réponse à un agent anti-cancéreux, l’irinotécan. L’association entre les variations génétiques, la réponse au traitement et le risque de toxicités sera initialement testée avec une cohorte de découverte constituée de 167 patients canadiens atteints d’un cancer colorectal métastatique traité avec l’irinotécan puis répliquée dans une cohorte similaire mais indépendante composée de 250 patients italiens. Un criblage génétique des variations de gènes candidats incluant ceux de voies du métabolisme, du transport et de l’action de ce médicament sera effectué et le génotypage réalisé par spectrométrie de masse à temps de vol. Des analyses multivariées par régression logistique ou selon un modèle de Cox permettront d’établir les associations entre la génétique et le devenir du patient. Pour les marqueurs d’intérêt, l’élucidation des mécanismes moléculaires pouvant expliquer les associations se fera par des approches complémentaires incluant des analyses bioinformatiques, de banques de tissus et l’utilisation de modèles in vitro. Le second objectif sera d’éclaircir le rôle de deux nouveaux variants d’épissage des gènes UGT2B7 et UGT2B10. Des systèmes d’expression hétérologue de ces isoformes seront établis dans 2 lignées humaines exprimant (HepG2 ; foie cancéreux) et n’exprimant pas (HEK293 ; rein fœtal) les UGT. Nous allons d’abord tester la capacité de glucuronidation, puis déterminer par une approche métabolomique utilisant la spectrométrie de masse, l’influence de ces nouvelles isoformes sur le métabolisme global de la cellule (acides gras, acides aminés, lipides, glycolyse, cycle TCA, etc.). Des expériences d’immunofluorescence, d’immunohistochimie et de protéomique permettront de mettre à jour la localisation subcellulaire et tissulaire de ces protéines ainsi que leur niveau d’expression. La découverte de nouveaux marqueurs de réponse à l’irinotécan pourrait permettre d’optimiser le traitement des patients en fonction de leur profil génétique. L’étude de nouveaux variants d’épissage des gènes UGT permettra d’en savoir plus sur leur fonction et leur implication potentielle dans le métabolisme de diverses molécules incluant les médicaments. 2 Projet 3 Régulation du métabolisme cellulaire par de nouvelles protéines alternatives La glucuronidation par les enzymes Uridine diphospho-GlucuronosylTransférase (UGT) est l’une des principales voies d’élimination d’une multitude de molécules non-polaires et lipophiles. Cette réaction enzymatique consiste en l’ajout d’un sucre soluble, l’acide glucuronique, à un groupement réactif présent sur le substrat. L’activité de glucuronidation influence le niveau d’exposition à différentes substances de nature endogène, comme la bilirubine et les hormones stéroïdiennes, ou encore exogène, incluant des composés toxiques ou carcinogéniques, ainsi que des médicaments de toutes classes. La variabilité de cette voie métabolique affecte la susceptibilité de l’individu à différentes maladies tels les cancers hormono-dépendants et ceux associés à l’exposition à des composés toxiques (colon, vessie, poumon). Une étude approfondie du locus UGT1, codant pour la moitié des 19 enzymes humaines, a permis de mettre en évidence un évènement d’épissage alternatif entraînant la production de neuf nouvelles protéines de 45 kDa, tronquées en C-terminal et nommées isoformes 2 ou i2. Bien que dépourvues d’activité enzymatique, ces protéines i2 peuvent moduler l’activité de glucuronidation des enzymes UGT1A_i1 (55 kDa), situées au réticulum endoplasmique, par le biais d’interactions protéiques. Ceci constitue un nouveau mécanisme de régulation de la voie de glucuronidation, corroboré par l’immuno-localisation des protéines i1 et i2 dans les mêmes structures tissulaires du foie, du rein, de l’estomac, de l’intestin et du côlon. De plus, en lien avec l’observation d’une localisation cytoplasmique des protéines i2, nous avons récemment identifié de nouveaux partenaires de ces protéines par une approche protéomique. Le premier objectif du projet est de déterminer l’effet de la modulation des niveaux des isoformes i2 sur la réponse cellulaire à divers stimuli exogènes, tels des médicaments et des carcinogènes étant des substrats des enzymes UGT1A. Approche : Nous utiliserons des lignées cellulaires cancéreuses représentant divers contextes biologiques et dans lesquelles les formes i2 sont réprimées ou surexprimées. Divers phénotypes cellulaires en lien avec les molécules testées seront étudiés, notamment la prolifération cellulaire, la migration, l’apoptose, ainsi que des mesures spécifiques aux composés étudiés. Nous espérons montrer que le niveau d’expression des protéines i2 influence la réponse cellulaire à divers composés, démontrant ainsi leur pertinence pharmaceutique et toxicologique. Le deuxième objectif est d’étudier l’implication des formes alternatives i2 dans la modulation d’autres voies métaboliques, dans lesquelles de nouveaux partenaires protéiques ont été récemment identifiés. Approche : En utilisant les modèles cellulaires mentionnés ci-haut, 1) nous évaluerons le statut métabolique de cellules ayant des niveaux variables des protéines i2 par le biais d’une approche métabolomique ; 2) nous évaluerons l’influence des formes i2 sur des voies enzymatique spécifiques, notamment la glycolyse, où plusieurs partenaires ont été identifiés ; et 3) nous étudierons le lien entre ces paramètres et les phénotypes cellulaires établis à l’objectif 1. Les nouvelles protéines alternatives UGT1A_i2 pourraient jouer un rôle important dans la régulation de diverses voies du métabolisme cellulaire, ainsi que dans la reprogrammation métabolique, la régulation du métabolisme énergétique et l’accumulation de biomasse durant la tumorigenèse. 3