Principes de la chirurgie en oncologie digestive Diane Goéré Département de Chirurgie Oncologique Chirurgie carcinologique • La chirurgie est le traitement le plus efficace en terme de guérison des tumeurs solides • Et ceci malgré, – Son caractère purement local – Ses effets délétères potentiels • Reste encore le plus efficace car ‐ ‐ ‐ ‐ Application de règles de chirurgie carcinologique Progrès techniques chirurgie, anesthésie‐réanimation Meilleure connaissance de la biologie tumorale => sélection Combinaison à d’autres techniques ablatives et aux traitements médicamenteux Chirurgie carcinologique Cancer infiltrant = maladie diffuse • Toute tumeur qui atteint la sous‐muqueuse essaime – par voie sanguine – par voie lymphatique – ou par contiguïté => Tout cancer atteignant la sous‐muqueuse est donc potentiellement métastatique Chirurgie carcinologique • Supprime la source principale de l’essaimage • Supprime un grand volume tumoral • Eradique des sanctuaires vasculaires au centre de la tumeur non vascularisés et inaccessibles aux chimiothérapies • Eradique de potentiels « clones létaux » Pour ceci, elle doit obéir à certaines règles de qualité…. Principes de la Chirurgie Carcinologique Principes à appliquer aux différentes périodes de prise en charge du patient •Période préopératoire •Au bloc opératoire •En période postopératoire Objectif ++++ : traitement chirurgical complet, adapté au patient et à la maladie tumorale, avec une évaluation permanente des bénéfices attendus du geste chirurgical et des risques encourus (complications postop et retentissement sur qualité de vie) bénéfice risque Période préopératoire 1. Première consultation Buts : diagnostic, extension, résécabilité, opérabilité – Evaluation de l’état général du malade : co‐morbidités, état nutritionnel, masse musculaire – Evaluation des risques anesthésiques et chirurgicaux liés • au patient, • à la maladie néoplasique, • aux traitements anti‐néoplasiques – Bilan d’extension • Évaluation de l’extension locale • Evaluation de l’extension à distance Période préopératoire 2. Discussion Réunion de concertation pluridisciplinaire Buts : confirmer diagnostic, stadification, définir stratégie thérapeutique • Si diagnostic histologique non confirmé, discuter biopsies tumorales par voie chirurgicale : méthodes mini‐invasives, matériel tumoral en quantité suffisante, analysable (pas d’électrocoagulation), pas d’essaimage tumoral, pas de délabrement, pas de complications, hospitalisation courte Période préopératoire 2. Discussion Réunion de concertation pluridisciplinaire • Discuter association à un autre traitement pré‐, per‐ ou postopératoire • Evaluer contraintes éventuelles liées aux associations de traitement : • • • • • délai à respecter, toxicité additionnelle potentielle, difficultés opératoires, complications nouvelles Discuter inclusion dans un essai thérapeutique Planifier le GESTE OPERATOIRE qui permettra d’obtenir: le meilleur contrôle local au prix de la morbidité la plus faible et d’une qualité de vie conservée Chirurgie associée à un autre traitement • Avant la chirurgie – Chimiothérapie (systémique ou locale) – Radiothérapie – Radio‐chimiothérapie • Pendant la chirurgie – Chimio‐hyperthermie intra‐péritonéale – Radiothérapie per‐opératoire • Après la chirurgie – Chimiothérapie – Radiothérapie – Radio‐chimiothérapie Traitement préopératoire Améliorer le pronostic, diminuer le taux de récidive locale Améliorer la résection : augmentation des marges Tester la chimiosensibilité Sélectionner les patients, évaluer l’agressivité de la maladie et sa progression • Rendre résécable ce qui ne l’était pas • • • • Traitement préopératoire Cancer du rectum • Radiothérapie – Kapiteijn NEJM 2001 • TME + RT pré • 5 X 5 Gy sur 1 semaine • Taux de RL 2.4% vs 8.2 groupe chir seule • Radio‐chimiothérapie • 45 Gy sur 5 semaines • CT = radio‐sensibilisant => + 5FU (pas de bénéfice sup avec oxali, JP Gérard 2009) • Surtout pour volumineuses lésions, N+, proche du sphincter pour obtenir un downstaging => diminution du taux de récidive locale =>Bénéfice RT préop et K rectum •Contrôle local => diminution RL, préservation sphinctérienne •Pas de bénéfice survie Traitement péri‐opératoire Métastases hépatiques CCR • N=364 – 6 cycles pré et postop Folfox – Chir seule • PFS 3y – CT + Chir : 36% – Chir seule : 28% p=0.04 Nordlinger et al . Lancet 2008 Traitement péri‐opératoire Adénocarcinose gastrique • N=553 – 3 CT pré et postop – Chir seule • OS 5y = 36% vs 23% Cunningham et al . New Engj J Med 2006 Traitement préopératoire Rendre « résécables » : Métastases hépatiques KCR • • • • • N=1104 pts non résécable => CT 138 Résections : 12.5% OS et DFS 5 ans : 33% et 23% < résécables d’emblée > pas de résection Adam et al . Ann Surg 2004 Traitement préopératoire Métastases « pouvant » devenir résécables = > Augmenter le taux de réponse Chimio intra-artérielle hépatique Patients 12 34 19 27 6 25 31 9 1 24 35 2 14 28 30 26 21 13 10 36 15 5 23 33 20 11 16 7 8 0 Oxali IA + -10 5FU + Cetuximab IV Tumor response (%) -20 -30 -40 * -50 -60 -70 ** -80 -90 -100 Réponse Obj : 92% (w/t) * * Résection 2aire : 66% Treatment ongoing (*), 5 pts. Green boxes, objective responses (RECIST). Orange boxes, stable disease. Dashed boxes, curative-intent surgery 35 patients, 1re ligne Malka et al, ASCO 2010 Traitement peropératoire Carcinose péritonéale et chimiohyperthermie intrapéritonéale Résection de toute la maladie visible Nodules restants < 1 mm Bain de chimiothérapie intra‐péritonéale + hyperthermie pour potentialiser effets de la CT pendant 30 minutes • Associée à injection IV de chimiothérapie • • • • Median survival standard : 12.6 m HIPEC : 22.4 m (p=.032) Verwall et al . J Clin Oncol 2003 Dans 2 L /m² de glucosé à 5% Traitement postopératoire • • Cancer du colon : essai MOSAIC : Folfox postop stade III Bénéfice DFS et OS André et al. NEJM 2004 Période préopératoire 3. Nouvelle consultation chirurgicale (si nécessaire) Buts : annonce parcours de soins, explications intervention chirurgicale, risques et bénéfices attendus 4. Autres consultations spécialisées : anesthésique, cardiaque, nutrition, stomathérapie, psychologique…. 5. Nouvelle RCP éventuelle : appréciation de la réponse tumorale au traitement préopératoire et confirmation de l’indication opératoire, et de l’étendue de la résection (adaptée ou non à la réponse au traitement) => Planifier le GESTE OPERATOIRE Au bloc opératoire Différents temps opératoires : 1.Exploration: – Exploration complète de l’abdomen – Examens extemporanés si doute diagnostique – Confirmation de la possibilité de résection R0 complète – Examens imagerie per op si nécessaire (échographie hépatique…) Au bloc opératoire 2. Exérèse: dépend du type de cancer et de la localisation a. Exérèse complète R0, sans effraction tumorale, marges non envahies, vérification par examens histo extemporanés b. Exérèse adaptée aux modes de dissémination de la tumeur c. Curage ganglionnaire adapté (selon lymphophilie, valeur pronostique…) d. Répérage du lit d’exérèse ou de zones de résection à marges nulles par la mise en place de clips (radiothérapie postop éventuelle) e. Chirurgie exsangue Au bloc opératoire Résection complète Résection R0 et Marges saines Pas d’effraction tumorale •Etendue de la résection dépend du mode de dissémination de la tumeur, de son extension locale (envahissement ou accolement organes voisins) : résection MONOBLOC, ne pas séparer la tumeur d’organes voisins accolés •Manipulation de la tumeur avec précaution, éviter toute rupture tumorale et dissémination intra‐péritonéale Préférer de grandes voies d’abord pour extraction des volumineuses tumeurs fragiles (type sarcome rétropéritonéal) En cas de perforation tumorale perop : protéger le reste de l’abdomen, les berges de l’incision, suivi d’ un lavage péritonéal au sérum phy (plusieurs litres) (faible niveau de preuve) Shimada S at al, Rev Recent Clin Trials. 2011 Kuramoto M et al, Ann Surg 2009 Yamamoto K et al, Int J Oncol 2005 Au bloc opératoire Résection complète Résection R0 et Marges saines Pas d’effraction tumorale •Marges de résection envahies (microscopiques (R1) ou macroscopiques (R2)) = facteur de mauvais pronostic et de récidive dans toutes les études Muratore A et al, Ann Surg Oncol 2010 Pawlick TM et al, Ann Surg 2005 Park JS et al, Dis Colon Rectum 2014 •Abord laparoscopique : pas de preuve d’infériorité (qualité de la résection et survie) après de nombreuses études, notamment en chirurgie colorectale. Le geste chirurgical doit être le même qu’en laparotomie, en conservant les principes de chirurgie carcinologique Au bloc opératoire = principes de la résection carcinologique Exérèse adaptée Exemple : Cancer du rectum Exérèse du mésorectum : marges distales = 5 cm sous le pôle inférieure de la tumeur Scott BJS 1995, Hida 1997 Au bloc opératoire Exérèse adaptée Exemple : Cancer du rectum Exérèse du mésorectum : •marges latérales > 1 mm •Sans effraction Sans effraction Marges < 1mm > 1mm Récidive locale 10% 78 % Quirke et al, Lancet 1986, 1994 Au bloc opératoire Exérèse adaptée Exemple : Cancer du rectum Cancer du rectum : exérèse chirurgicale adaptée = principes de la TME => Diminution du taux de récidive locale Au bloc opératoire Exérèse adaptée ‐ Marges Exemple : Cancer du pancréas La marge rétropéritonéale de la DPC ou « lame rétroportale » (au contact VMS, AMS, et VCI + graisse rétropéritonéale) Au bloc opératoire Exérèse adaptée ‐ Marges Exemple : Cancer du pancréas DPC ‐ Survie selon statut des marges Marges + facteur pronostique Raut et al, Ann Surg 2007;246:52-60 Au bloc opératoire Curage ganglionnaire • Adapté aussi à la tumeur – Mode de dissémination, – Cancer lymphophile (sein) vs non lymphophile (sarcome) – GG sentinelle : • Adapté pour le sein, le mélanome • Valeur thérapeutique : 1er système d’essaimage • Valeur pronostique – Staging – Ratio nombre de gg envahis/ gg examinés Au bloc opératoire Curage ganglionnaire • Nombre « minimum » de ganglions examinés – Cancer du colon : 12 gg selon UICC – Cancer estomac : 15 gg – ….. • Curage selon le type histo et la localisation de la tumeur – Rectum, œsophage, cardia, estomac…. Au bloc opératoire Limiter les pertes sanguines et les transfusions Transfusion : augmente le risque de complications infectieuses postop et pourrait avoir un effet délétère sur la survie *Laurent et al, J Am Coll Surg 2005 Dionigi et al, Surg Oncol 2007 Yeh JJ et al, Br J Surg 2007 Période postopératoire • Prise en charge médico‐chirurgicale, réanimation • Reconnaître et traiter les complications précocement • Inclusion dans un programme de réhabilitation précoce Période postopératoire Compte-rendu opératoire • Dicter dans les 24 heures • Bien décrire les lésions observées (ou absentes), l’étendue de la maladie • Décrire précisément les gestes réalisés, les marges de résection constatées macroscopiquement • Ne pas hésiter à faire un schéma Période postopératoire Complications postopératoires N=311 pts opérés de MHCCR Mortalité : 3% Morbidité : 30% => Morbidité = facteur de mauvais pronostic Laurent et al, Br J Surg 2003 Ito H et al, Ann Surg 2008 Période postopératoire Etude anatomopathologique • Pièce opératoire : annotée par le chirurgien, et dès que nécessaire : épinglée sur un liège, orientée • Doit figurer sur le compte‐rendu : – – Stade TNM, UICC si adaptée Analyse adaptée à la tumeur • • • • • • • • • Marges d’exérèse Nombre de ganglions envahis Nombre de ganglions examinés Présence d’embols lymphatiques, veineux, nerveux Degré de différenciation Nombre de mitoses (TNEndocrine, GIST) Degré de nécrose, de fibrose, évaluation de la réponse tumorale Immunohisto fonction de la tumeur (marquages spécifiques, recherche expression protéique MSS….) Analyse génétique (mutations spécifiques, statut RAS, BRAF, Ckit… – Réponse au traitement • Faire des prélèvements pour tumorothèque • Utiliser des comptes‐rendus standardisés Compte‐rendu standardisé Période postopératoire Etude anatomopathologique Analyse standardisée DPC ‐ Marquage de la pièce opératoire Encrage de la pièce au bloc par le chirurgien 150 DPC Encrage des marges de résection standardisé marges 0 mm < 1,0 mm < 1,5 mm < 2,0 mm Patients, n (%) 35 (23) 91 (61) 94 (63) 107 (71) Delpero JR et al. HPB (Oxford) 2013 Période postopératoire •Réunion de concertation pluridisciplinaire – Discuter qualité de l’exérèse – Instaurer un traitement complémentaire – Discuter inclusion dans essai thérapeutique – Etablir mode et rythme de surveillance •Penser à organiser une reconstruction si nécessaire Règles chirurgie carcinologique 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. Chirurgie complète, résection complète R0 Curage ganglionnaire adapté Peu de pertes sanguines Conservation de la qualité de vie Evaluation des bénéfices et risques attendus Encadrée d’un traitement pré‐ et/ou postopératoire Discutée en Réunion de concertation pluridisciplinaire Points clés 1. Chirurgie carcinologique se doit d’être complète, adaptée au patient et à la maladie tumorale 2. Après évaluation pluridisciplinaire des bénéfices attendus et des risques encourus 3. Après validation en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) de l’indication chirurgicale, associée ou non à un traitement pré‐, per‐, et/ou post‐opératoire 4. Une résection ne peut être considérée comme complète que si toutes les marges de résection sont saines, exemptes de cellules tumorales à l’examen histologique définitif Points clés 5. Les règles d’exérèse reposent sur l’ablation de tout le tissu tumoral, sans effraction, ni contamination, en évaluant au mieux le délabrement et la reconstruction éventuellement nécessaire, en minimisant les pertes sanguines 6. Les comptes rendus opératoire et anatomopathologique doivent être détaillés et complets et servent à la décision thérapeutique post‐ opératoire lors d’une nouvelle RCP En conclusion • La chirurgie reste un traitement efficace et indispensable • Les résultats en terme de survie 2aires à la chirurgie sont liés – À une meilleure connaissance des tumeurs, de leur mode de dissémination, de leur évolution, ce qui a permis d’améliorer les techniques chirurgicales et d’établir des critères de « qualité » – aux progrès en anesthésie‐réanimation, et radiologie diagnostique et interventionnelle – Aux associations chirurgie‐chimiothérapie, radiothérapie…. • La chirurgie oncologique repose sur des principes de bonnes pratiques, adaptés au patient et à la maladie tumorale, en cela, elle représente le premier des traitements personnalisés