Texte en PDF - Chrétiens du Plateau de Saclay

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Studium de l’Abbaye de Sept-Fons – 2013
201
APPROCHE
PROCHE DES
DES RAPPORTS SCIENCE ET FOI
Par Jean-Michel OLIVEREAU
(Professeur
ofesseur hon. Université Paris V - Descartes)
Cours n°2
M A T H É M A T I Q U E S et P H Y S I Q U E
« Nous avons vraiment beaucoup de chance que ça marche,
parce que personne ne sait vraiment pourquoi les pensées dans notre tête
devraient réellement correspondre au fonctionnement fondamental de l’univers.
l’univers »
James GLATTFELDER (Zurich, 2012)
Physicien spécialiste de la complexité
LES MATHÉMATIQUES
«…si la nature est vraiment structurée avec un langage mathématique,
et si les mathématiques inventées par l'homme peuvent réussir à la
l comprendre,
ceci démontre quelque chose d'extraordinaire :
la structure objective de l'univer et la structure intellectuelle de l'être humain coïncident.»
BENOÎT XVI (26.11.2009)
Il n’est, heureusement, pas nécessaire d’aligner des équations pour démontrer le grand intérêt des
mathématiques en philosophie des sciences,
sc
, ainsi que leurs implications métaphysiques.
métaphysiques Quelques idées essentielles
illustrées par des citations percutantes,
percutantes exprimant la pensée de mathématiciens de premier plan,
plan peuvent suffire.
I – L’IMPASSE DES CONCEPTIONS RÉDUCTRICES
- a) Le "Prométhée" des mathématiques
Il est évident que les grandes questions relatives aux origines – de l’Univers, de
la Vie, et de l’Homme, ont d’emblée une telle portée métaphysique, que les
réponses apportées sont très fréquemment parasitées par des considérations
idéologiques. Les mathématiques, dans leur pureté théorique,
théorique semblaient, au
contraire, bien au dessus de ces querelles de bannières.
Cependant, le scientismee rationaliste prométhéen (et athée) qui atteignit son
apogée à l’articulation des XIXe et XXe siècles, n’épargna pas les mathématiques,
tout spécialement en la personne de David HILBERT (1862-1943. Pr.de
Mathématiques à l’université de Göttingen).
Göttingen
Ce brillant mathématicien était aussi un idéologue rationaliste, il prétendait
témérairement qu’il était a priori possible de trouver dans les mathématiques le
fondement logique et complet de toutes les Sciences, mathématiques et même
celui des autres disciplines scientifiques.
scientifiques
Aussi
ussi confiant dans la raison que méfiant à l’égard de l’intuition,
l’intuition il affirmait
fièrement au début du XXe siècle lors d’un colloque à Paris :
Fig. 1: David HILBERT
Mathématicien
fier et prométhéen.
2
- « Même si les problèmes [mathématiques] nous semblent intraitables [...], nous n’en avons pas moins la ferme
conviction que leur solution doit résulter d’un nombre fini de processus logiques » et encore :
- « Chaque problème mathématique doit nécessairement pouvoir être l’objet
d’une solution rigoureuse [...] nous entendons en nous une voix qui nous crie
constamment : là est le problème, cherche la solution ; tu peux la trouver par
la pure réflexion car dans les mathématiques il n’y a rien d’à tout jamais
inconnaissable. »
Témérairement, et montrant là son peu de sens de la complexité et du mystère
du monde inanimé et du monde vivant, il ajoutait : « Et à mon avis, il en va de
même pour les sciences naturelles. »
Enfin, lors d’un vaste symposium réunissant l’intelligentsia germanique en
1930, il concluait par un aphorisme aussi ambitieux qu’infatué, et qui allait
devenir sa célèbre devise : « Nous devons savoir. [et] Nous saurons ! ».
Cette devise : « Wir müssen wissen, Wir werden wissen. » il la fit même graver
sur sa tombe en guise d’épitaphe ! En fait, cette prétention, bien plus que sur sa
sépulture, se révèle maintenant inhumée avec lui dans le tombeau de ses
prétentions. Coïncidence plaisante ces prétentions avaient été sapées à leur base la
veille même du jour où il avait proféré ex-cathedra son défi. En effet, lors du
même symposium, dans une des modestes "tables rondes" tenues en préliminaires,
un mathématicien inconnu avait commencé à démontrer (devant ses pairs qui n’y
comprirent quasiment rien…) le contraire, il s’agissait de Kurt GÖDEL ; nous en
reparlerons.
Un siècle plus tard, le mathématicien contemporain Gregory CHAITIN
assimile cette prétention volontariste et brutale à la proposition d’une "solution
finale" du problème mathématique, qui aurait, dit-il, – si elle avait réussi – mis
en danger la vitalité même des mathématiques.
Fig. 2 : Tombeau d'un
grand mathématicien
et… de ses illusions,
encore plus grandes !
- b) Lesdites "mathématiques modernes"
Quelques mathématiciens français – inventeurs des fameuses "mathématiques modernes", regroupés sous le
pseudonyme de "Nicolas BOURBAKI", ont prolongé cette conception formaliste et réductrice des mathématiques,
affirmant entre autres que les mathématiques sont "une simple création humaine" et surtout pas "une révélation
divine". Cette dernière affirmation montre toute la dimension métaphysique du Bourbakisme, mais si elle semble
d’emblée légitime et tout simplement scientifique, nous verrons que sa véracité n’est pas aussi évidente qu’il y
paraît au premier abord.
Le "bourbakisme" repose sur un socle idéologique que dénonça fort justement Roger APÉRY (†1994, Pr. Math. +
Philo. des Sc.,Univ. Caen) qui, bien que "jacobin" et ami de Jean DIEUDONNÉ (le principal animateur du
bourbakisme), vit dans ce mouvement un risque de "marxisation" des mathématiques, et dénonça ses
commandements implicites : « Le formalisme, conçu par Hilbert et poussé à l'extrême par Bourbaki, veut créer un
ordre mathématique dont les commandements sont les suivants : (retenons les plus significatifs, entre autres :)
- Rejeter l'ordre ancien .... ; Considérer comme infranchissable le fossé entre les mathématiques et les autres
disciplines… [ce qui, nous le verrons avec la physique, est une contre-vérité flagrante]… ; Refuser comme
dénués de sens les concepts d'espace, de temps, de liberté … ; Extirper l’intuition … [ce serait un crime ! cf.
infra le "cas" Ramanujan] ; Uniformiser les esprits par l'enseignement des "mathématiques modernes", etc. »
(Séminaires Ecole Normale Sup., Seuil, 1982)
Il est vrai que pour ce dernier point, l’un des buts de l’enseignement des mathématiques modernes rentrait dans
le cadre d’une politique éducative égalitariste ; cette forme radicalement nouvelle d’enseignement mettait d’emblée
l’étudiant(e) d’origine modeste sur un pied d’égalité théorique avec les enfants de l’"ingénieur bourgeois", car
même un père "matheux" ne pouvait dès lors plus guère aider ses enfants, vus une approche pédagogique et un
langage totalement nouveaux !
A ce propos, John BARROW (Pr. math. à Cambridge) remarque pertinemment que « La plupart des volumes
publiés par Bourbaki ne présentent aucun résultat mathématique nouveau, mais déclinent des chapitres connus
d’une manière nouvelle et plus abstraite. » ("La grande théorie", Albin Michel, 1994)
Vladimir ARNOLD (†2010, l’un des plus grands mathématiciens du XXe siècle) est encore plus sévère :
- «Au milieu du XXe siècle on a essayé de séparer les mathématiques de la physique. Les résultats ont été
catastrophiques ! On a vu apparaître des générations entières de mathématiciens ignorant la moitié de leur
science — n’ayant d’ailleurs pas la moindre idée d’aucune autre. Ils ont commencé à enseigner leur horrible
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scolastique pseudo-mathématique, d’abord aux étudiants, puis aux lycéens, en oubliant le principe de Hardy,
selon lequel il n’y a pas de refuge permanent sous le soleil pour des mathématiques laides. »
(Société Mathématique de France - Gazette, 10.1998)
Heureusement, les visées prométhéennes et réductrices de Hilbert et consort ont été infirmées, et Gregory
CHAITIN (mathématicien + épistémologue, Staff IBM, NY) peut à juste titre s’en réjouir :
- « Si Hilbert avait eu raison, les mathématiques seraient un champ clos, sans place pour les nouvelles idées. Ce
serait une théorie statique et stérile. […]. Hilbert avait clamé sa foi en l’existence d’une "théorie du tout" pour
les mathématiques, c- à- d. d’un ensemble fini de principes à partir desquels toutes les vérités mathématiques
peuvent se déduire sans recours à des raisonnements transcendants, mais simplement par une application
laborieuse des règles de la logique symbolique. [... mais] Une infinité de faits mathématiques sont irréductibles.
[…] une théorie du tout pour les mathématiques ne peut exister. »
(Pour la Science, 4.2006)
Nous pouvons ainsi conclure avec Jean-Paul DELAHAYE (Pr. Math. + Philo. des Sc., Univ. Lille) :
- « La structure logique du réel mathématique résiste à nos tentatives de réduction. » (La Logique, Belin 2012)
Il est vrai que même les philosophes auraient pu s’insurger contre la possibilité de cette réduction, avec Jean
LADRIÈRE (Pr. Philo. des math.. Univ. Louvain), qui justement à propos des fantasmes hilbertiens, commente :
- « l’idée d’un domaine fondateur privilégié s’avère intenable, à la fois parce qu’il n’y a pas moyen de tout
"réduire" à un tel domaine, et parce qu’il n’est pas possible de repérer une région qui aurait de quoi se fonder
elle-même en un sens absolu. »
(Les limitations internes des formalismes, Réimpression J. Gabay, Paris, 1992)
En effet, il ne suffit pas – comme le fit Hilbert – de changer l’axiomatique et de prétendre expliciter, en amont,
les raisonnements mathématiques eux-mêmes en inventant des "métamathématiques" – que WITTGENSTEIN
considérait comme de simples "mathématiques déguisées" ! (in : F. Waismann : L. Wittgenstein and the Vienna Circle, 1979) –
pour "arraisonner" "l’existence", ne fut-ce que celle des mathématiques.
►Ainsi les mathématiques l’on échappé belle, mais la leçon à retenir est que des scientifiques de premier plan,
dans une discipline idéologiquement aussi peu "sensible" que les mathématiques sont prêts à essayer de la
conformer à leurs options philosophiques, même si l’approche de la vérité n’y gagne rien, voire y perd !
Ces distorsions de la raison, au nom d’un rationalisme réducteur, sont – comme nous le verrons – bien plus
fréquentes dans d’autres disciplines. Le "scientifiquement correct" de nos sociétés de plus en plus matérialistes,
manque trop souvent à la simple objectivité scientifique.
- c) Le nouveau "monde incomplet" des mathématiques
C’est un logicien de première grandeur, Kurt GÖDEL (†1978. Pr. Math. à Princeton) qui porta le premier coup
fatal à l’édifice mathématique monobloc et prométhéen, fantasmée par Hilbert, en pulvérisant son fondement,
l’hypothétique "ensemble fini" sur lequel était censé reposer l’ensemble majestueux de l’édifice des mathématiques,
voire – au-delà – de toute la science.
Le premier théorème de Gödel (présenté, dans l’indifférence quasi générale, en 1931) démontre en effet
l’"incomplétude" du démontrable en mathématiques. On peut résumer ainsi l’essence du théorème de Gödel : « Un
système logique formel ne suffit jamais à sa propre description », (soit la description est incomplète, soit elle est
complète, mais une de ses propositions est fausse).
Les conséquences philosophiques de ce théorème sont extrêmement importantes comme en témoignent les
commentaires suivants, plus compréhensibles pour des non-mathématiciens :
- « Quelle que soit la clarté que peuvent nous apporter les mathématiques, elles ne peuvent fournir toute la
clarté concevable. C’est là le cœur des théorèmes d’incomplétude de Gödel. »
(The Relevance of Physics, 1966)
Stanley JAKI (†2009. OSB, Pr. Phys. + Philo. des Sc.,Seton Hall Univ.)
Cette incomplétude se manifeste d’ailleurs dès les mathématiques les plus élémentaires :
- « La signification du théorème de Gödel est énorme. Il prouve qu’il est impossible de rendre compte de
l’arithmétique élémentaire en déduisant ses résultats de quelques axiomes de base. On ne peut pas connaître
toute la vérité sur l’addition, la multiplication, et la suite des nombres entiers...»
(La Recherche12.2003)
Gregory CHAITIN (mathématicien et philosophe, Staff d’IBM, NY)
Au demeurant, la portée du théorème de Gödel s’étend bien au-delà de l’arithmétique, comme nous le montrent
les affirmations suivantes :
- « Dans n’importe quel système, il y aura toujours des propositions vraies indémontrables… »
(Conf. UIP Paris, 11.4.2001)
- « Il y aura toujours des vérités au delà des lois de la physique. »
David BERLINSKI (Pr. Math + Philo des Sciences, Stanford)
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Avec l’auteur suivant, nous voyons que – dès le niveau le plus abstrait et fondamental des sciences, celui des
mathématiques – la notion de croyance au-delà du démontrable se montre plus que légitime, nécessaire :
- « Le théorème de Gödel dit qu’il y aura toujours une proposition vraie qui ne sera pas démontrable dans le
système ; il y aura toujours des propositions vraies mais indémontrables. »
- « Sa force incroyable n’a pas été encore comprise. […] Il nous révèle que la réalité mathématique a
une richesse incroyable, qui est irréductible à des propositions logiques. »
- « C’est une erreur énorme de croire que l’on peut rendre compte de notre monde en termes matériels. […]. Il
n’y a pas de limites à l’émerveillement que l’on aura, face aux surprises venant du monde extérieur. »
Alain CONNES (Pr.Math, Coll. de Fr., Méd. Fields)
(Conf. Sorbonne., 21.3.2001)
On pourrait résumer l’apport de Gödel et sa confirmation ultérieure, par ces lignes :
- « Ce qui restera l’acquis principal du travail de Gödel, c’est la distinction entre vérité et prouvabilité. […] Le
théorème de Gödel est une réfutation d’un modèle mécanique de la science, de la pensée, du monde. »
(in : "Le théorème de Gödel", Seuil, 1989)
- « Ce n'est qu'avec le développement de l'informatique qu'ont pu se dégager de nouveaux axes de lecture,
[relatifs aux fondements des mathématiques] en rupture de plus en plus nette avec le réductionnisme Hilbertien. »
(Conf. "Les fondements des mathématiques", UTLS, 2000)
Jean-Yves GIRARD (Mathématicien, Dir. Rech. CNRS. Académicien)
Insistons enfin, avec Leonid LEVIN (Pr. Math. Univ. Boston) sur le fait que l’incomplétude en question,
démontrée par Gödel, ne concerne pas les mathématiques en elles-mêmes, mais notre capacité à accéder à leur totale
vérité, et il dénonce justement, comme le rappelle un de ses commentateurs:
- «… les interprétations fausses des théorèmes d’incomplétude, par exemple celle affirmant que la vérité
mathématique est incomplète, alors que ce sont nos moyens formels d’y accéder qui sont inadaptés. »
(P.la Science, Dossier "Les grands problèmes mathématiques", p.71, janvier 2012)
Jean-Paul DELAHAYE (Pr. Math. & Informatique Fondamentale, Univ. Lille.)
Remarquons, pour terminer, – et en accord avec les dires précités de David BERLINSKI et avec ceux de
Freeman DYSON (Pr. à Princeton, ex collègue de Gödel, membre de nombreuses Académies) qui affirme également :
« En raison du théorème de Gödel, la physique est, elle aussi, inépuisable.» (NY Review of Books, 13.5.2004) – que
suivant les démonstrations de Léonid LEVIN, cette incomplétude essentielle peut être légitimement étendue des
mathématiques à la physique, et par conséquence à toutes les sciences dépendant de la physique : chimie, biologie,
etc., dont nous ne pourrions, à jamais, connaître le "dernier mot".
II – LES MATHÉMATIQUES : SIMPLE OUTIL INVENTÉ PAR L’HOMME
AU CONTACT DE LA NATURE, OU VÉRITÉ ÉTERNELLE ?
- a) Les théories à l’épreuve des faits
Certains mathématiciens profondément matérialistes pensent que les mathématiques ne sont qu’un outil, qu’un
langage symbolique inventé, à partir de la préhistoire, par l’homme dans le cadre de sa confrontation quotidienne à
un environnement dont la compréhension favorise la survie. Cette fable est du style : "j’ai tué un bison, deux bisons,
trois bisons, etc. et ainsi, petit à petit, jusqu’au calcul différentiel et à la géométrie non commutative !
Malheureusement certains catholiques – phobiques de tout ce qui pourrait évoquer les idées dites
"platoniciennes", ou séduits par la popularité des thèses naturalistes, voire inquiets de la présence d’éventuels
"signes" évoquant trop "indécemment" une Création, – en viennent à soutenir des thèses similaires.
Ainsi Dominique LAMBERT (Astrophysicien, Pr. Philo. des Sc., Univ. cathol. de Namur) en vient à écrire :
- « L’efficacité des mathématiques [...] ne paraît pas plus mystérieuse que la réussite de la perception usuelle ou
du processus d’acquisition de connaissances en général. [...] L’origine des domaines les plus significatifs, les plus
profonds, des mathématiques pourraient bien être l’extension progressive – coadaptée [processus darwinien], de
temps à autre [par hasard], à des domaines empiriques – de capacités cognitives élémentaires permettant à
l’humain de reconnaître et de se représenter des éléments de réalité. » (La Rech. Dossier n°37, p. 20, 11.2009)
Mais comment peut-on prétendre réduire, dans une optique naturaliste, les mathématiques à la banalité des
autres savoirs ?! De fait, ces derniers sont, par la logique s’appuyant sur la perception, empiriquement déduits du
réel, tandis que les mathématique on trop souvent l’incroyable pouvoir d’anticiper, hors de toute perception
empirique, des pans entiers du réel non encore découvert !
Pour leur part, les "Lumières", par la bouche de DIDEROT, prétendirent même faire, des mathématiques, un
jargon aristocratique élitiste : « Elles ne font qu’interposer un voile entre la Nature et le peuple ! »
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Enfin, le génie mathématique de Bertrand RUSSELL (†1970, Math. + Philo., Nobel) semble fortement biaisé par
un matérialisme radicalement réducteur, lorsqu’il écrit : « Je suis parti d'une croyance plus ou moins religieuse en
un monde éternel, platonicien, dans lequel les mathématiques brillaient d'une beauté comparable à celle des […
musiques les plus sublimes]. Or, j'en suis venu à la conclusion que le monde réel est une futilité, et que les
mathématiques sont seulement l'art de dire la même chose en des mots différents. » (Autobiography, 1952)
Or, les faits démontrent – comme l’avait, le premier, pressenti Gödel – justement le contraire. Nombre de
cogitations produites "gratuitement" par un mathématicien hors de toute expérimentation, ou référence au monde
réel, se retrouvent un beau jour décrire adéquatement tel phénomène physique qui vient d’être découvert ! J.-P.
DELAHAYE le résume avec humour : « Même quand il ne le sait pas, le mathématicien ne travaille jamais
uniquement pour lui : il fait aussi avancer la physique ! » (P. la Sc. Dossier Mathématiques,1.2112)
Ainsi, Roger PENROSE (Pr. Math + Philo. des sciences à Oxford) nous fournit un cas exemplaire. Car c’est en
"jouant au carreleur" qu’il put, par hasard, apporter une preuve de la légitimité de ses convictions platoniciennes en
ce qui concerne les mathématiques, et qu’il exprime ainsi :
- « J’imagine que chaque fois que l’esprit perçoit une idée mathématique, il prend contact avec le monde
platonicien des concepts mathématiques. J’ai peine à croire, comme certains ont cherché à le soutenir, que
ces théories SUBLIMES [telle la Relativité, ou la Mécanique quantique] pourraient être apparues du seul fait
d’une sélection naturelle des idées qui n’aurait laissé survivre que les bonnes. Les bonnes sont simplement trop
bonnes pour être les survivantes d’idées apparues au hasard. En vérité il doit y avoir une raison profonde sousjacente à l’harmonie qui existe entre les mathématiques et la physique... Le système des nombres complexe
serait un cas de ce genre, ces derniers étant les composants fondamentaux de la mécanique quantique (au sujet
des amplitudes des probabilités). »
(≈ à la suite)
- « La notion de vérité mathématique excède le concept même de formalisme. Il y a quelque chose d’absolu et de
"divin" dans la vérité mathématique. »
(L’esprit, l’ordinateur et les lois de la physique, 1992)
Mais étonnamment, c’est, "en jouant", et sans l’avoir en rien cherché que Penrose a prouvé ces dires.
↓
Fig. 3 :
PAVAGES NON PÉRIODIQUES DE PENROSE
http://www.geocities.com/SiliconValley/Pines/1684/Penrose.html
↓
http://fr.wikipedia.org/wiki/Pavage_de_Penrose
Pourquoi les mathématiciens ne peuvent-ils fantasmer et créer à loisir,
sans risquer de découvrir un jour,
que leurs rêves les plus sophistiqués sont depuis toujours incarnée dans la Nature ?
Laissons la parole à Martin GARDNER (†2010, philosophe des sciences rationaliste) son préfacier, qui note
qu’une autre remarquable découverte de Roger Penrose (à la jonction entre physique des trous noirs et relativité)
« a été éclipsée par la découverte de deux formes susceptibles de paver le plan, à la manière des pavages
[complexes] dessinés par Escher, mais de façon non périodique. […] il a inventé ces pavages de façon ludique,
sans en attendre la moindre utilisation. Or il s’est avéré, à la surprise générale, que ce type de pavage pourrait
être au fondement d’un nouveau type de matière. » De fait, il s’agit des "quasi-cristaux", qui existent réellement,
qui combinent l’ordre et la non périodicité, et peuvent rendre les poêles antiadhésives !
Devant ces "coïncidences", comment ne pas prendre très au sérieux l’étonnement d’Albert EINSTEIN:
6
- «Comment est-il possible que les mathématiques, un produit de la pensée humaine qui est indépendant de
l’expérience, décrive si parfaitement les objets de la réalité physique ? La raison humaine pourrait-elle, sans
aucune expérience, découvrir par la seule pensée les propriétés réelles des choses? »
(Cité in John Barrow :" La grande théorie", Albin Michel, 1994)
Au demeurant, malgré cette "intimité" entre Physique et mathématiques, il ne faudrait pas croire que les
mathématiques ne sont qu’une "quintessence" émanant du monde physique et dont on peut toujours l’extraire.
Jean-Paul DELAHAYE précise ainsi que certaines informations ne résident pas dans le monde physique et ne
peuvent pas y être produites : « Les théorèmes de Leonid Levin renforcent la portée du résultat de Gödel et
suggèrent que certaines informations propres au monde mathématique ne peuvent être extraites du monde
physique.» (La logique, Ed. Belin-Pour la Science, 2012)
Notons que cette ascendance des mathématiques sur la physique se retrouve dans les lois mêmes de la
physique (évidement mathématiques) qui n’en sont pas une simple "émanation". Roland OMNÈS (Pr. Phys.
théorique, Paris-Orsay) affirme ainsi : « Les lois de la physique sont écrites en dehors de l’espace-temps. » ("Alors
l'un devint deux", 2002), il précisa même (sur une radio périphérique) :"…dans un logos".
- b) L’extraordinaire cas du génie Indien
Une autre preuve paradoxale de l’existence d’un "monde des mathématiques" extérieur à la créativité
humaine, se rencontre avec le cas de Srinivasa RAMANUJAN (1887-1920). Cet Indien Tamoul de milieu très
modeste (greffier pour pouvoir se nourrir), largement autodidacte en mathématiques, écrivait des théorèmes
complexes (certains non encore démontrés, mais très probablement vrais) un peu comme on écrit des poèmes, "à
l’intuition" ! Celui qui devint son correspondant puis son mentor, Godfrey HARDY (†1947, Pr. Math. à
Cambridge) ne réussit à démontrer qu’une partie des théorèmes produits par Ramanujan, mais il ne douta jamais
de la véracité de la grande majorité des autres car, disait-il : « Nul n’aurait assez d’imagination pour les
inventer ! » Et pourtant, Ramanujan (qui ne les a pas non plus construits et démontrés laborieusement)
effectivement, ne les a pas "inventés" ex nihilo, mais il a fait bien "pire" au regard de l’orthodoxie
mathématique ; il les a "vus d’emblée" comme ne pouvant qu’être vrais dans leur singulière beauté.
Par exemple, la conjecture de Ramanujan (qu’il proposa en 1911) s’exprime ainsi:
« L'égalité x2 + 7 = 2n, x N, n N, n’existe que si n = 3, 4, 5, 7 ou 15 »
Ce laconique "poème" mathématique est parfait… Mais il ne fut démontré qu’un demi-siècle plus tard !
Écoutons les commentaires d’un autre universitaire contemporain sur ce mathématicien hors normes :
- « S'il était apparu dans une ville universitaire et avait été issu d'une famille de mathématiciens célèbres, ses
productions seraient déjà stupéfiantes, mais il est né dans une famille pauvre ne pouvant se vanter d’aucune
réalisation professionnelle notable, et vivant dans une partie du monde où quasiment personne n’était capable
de comprendre ne serait-ce que la nature de ses talents. Les obstacles s’opposant à la réalisation de son
espoir de devenir un mathématicien professionnel étaient à proprement parler insurmontable. Et pourtant il a
réussi et les mathématiciens dans le monde entier s'émerveillent toujours des succès de Srinivasa
Ramanujan. »
- « Ramanujan élaborait des formules qu'il ressentait comme étant vraies sur la base de l'intuition en se
contentant de la vérification de quelques cas spéciaux. Généralement, il ne fournissait pas de preuve
rigoureuse de ses résultats. D’une manière générale, il n'était pas très fort pour établir des preuves
rigoureuses. »
(~ à la suite)
- « Ramanujan s’intéressait aux limites de séries infinies. L’une d’elle devint sa préférée [devant 16 autres qu’il
avait aussi découvertes !] pour calculer la constante π :
[N.B. : pour k = 0, la formule ne donne que 3 décimales correctes,
mais, pour k =1, on obtient déjà 8 décimales justes, etc.]
Il est impossible que quelqu’un ait pu créer une telle formule sans être marqué par le génie. »
Ainsi l’exprime Thayer WATKINS (Pr. Économie-Math. Univ.San José-Calif.) in ("Srinavasa Ramanujan,
a Mathematician Brilliant Beyond Comparison", http://www.sjsu.edu/faculty/watkins/ramanujan.htm, 2012)
Le professeur Godfrey HARDY, devenu son ami, rapporte qu’étant allé lui rendre visite à l’hôpital – alors
que l’état du malheureux Ramanujan, atteint de tuberculose, empirait – et ne sachant trop que dire, en guise de
préambule, il lui annonça, en entrant dans sa chambre que : « le taxi qu’il venait de quitter, avait un numéro on
ne peut plus banal et sans intérêt : "1729" ». Mais, instantanément, Ramanujan lui rétorqua :
- « Non ! C'est un nombre très intéressant, c'est le plus petit des entiers exprimables comme somme de deux
cubes, et de deux façons différentes. » ! (An Introduction to the Theory of Numbers, Oxford Univ. Press, 1954)
7
Le malheureux Ramanujan,, retourné en Inde dans l’utopique
l’
espoir de guérir, fit encore mieux. Écoutons le
récit qu’en fait la porte parole de l’université Emory (Carol CLARK) :
- « De son lit, où il allait sous peu mourir, Ramanujan écrivit en 1920 une lette à son mentor Le mathématicien
anglais G. Hardy. Cette lettre décrivait diverses fonctions nouvelles [... aussi complexes qu’énigmatiques
q
].
Personne à l’époque ne comprit ce que Ramanujan voulait dire.
dire ... Le paragraphe où il donnait
donn une vague
description de la manière dont il arrivait
arriv à écrire sa nouvelle fonction, a inspiré, pendant plus de 80 ans,
ans des
centaines de publications par des mathématiciens réfléchissant à son sens caché. »
Mais en 2012, « Ken ONO [Pr.
[Pr Math. Univ. Emory] un spécialiste de la théorie des nombres ... résolut [ce
qui était] l’une des plus importantes énigmes laissées derrière lui par le génie Indien. ... Le résultat
correspondait à une formulation de "formes quasi modulaires" lesquelles s’avèrent
s’avère utiles aux physiciens …
pour calculer l'entropie d'un trou noir modulaire. Quelques trous noirs, cependant, ne sont pas modulaires,
mais la nouvelle formule basée sur la vision de Ramanujan peut permettre aux physiciens de calculer leur
entropie comme s'ils étaient. »
[N.B. : "Les
Les formes modulaires sont des fonctions qui ont un grand groupe de symétries (comme les fonctions
trigonométriques, mais beaucoup plus compliquées). Elles jouent un rôle de grande importance dans la physique
théorique". Don Zagier (Dir. Max Planck Institute for Mathematics) (Colloque Fruman, 12. 2010)
Il faut enfin noter, comme pour tant d’autres mathématiciens, que « Ramanujan ressentait ces
extraordinaires éclairs de perspicacité d'une façon "innocente", recherchant simplement la beauté des
mathématiques, sans le moindre souci d’applications pratiques. »
(Emory Univ. eScienceCommons,
eScienceCommons 11.12.2012)
On comprend ainsi que le Pr. Ken ONO [possible future Médaille
édaille Fields pour sa percée magistrale en 2011,
2011
réduisant le méga problème de partition des nombres,
nombres à celui des fractales !] exprime toute son admiration :
- « Il est fascinant
scinant pour moi, d’explorer ses écrits et d’imaginer comment son cerveau a pu travailler [...]
Ce ne fut pas avant 2002 que nous avons pu décrire les fonctions produites par Ramanujan en 1920. [...]
Cependant bien que nous ayons eu une définition des nouvelles fonctions de Ramanujan depuis 2002, nous
ne voyions pas clairement comment la relier à la définition maladroite et imprécise
imprécise de Ramanujan. [...] La
plupart des résultats que nous offre Ramanujan est exprimée
exprimé par des mots mystérieux et en des formules
étranges qui semblent défier le sens mathématique. »
- « [Enfin, tout récemment notre équipe a vérifié la justesse de ses prédictions]. Nous avons prouvé que
Ramanujan avait raison. [...] Nous avons développé un théorème qui montre que la méthodologie bizarre
dont il usait pour construire ses exemples est correcte. Pour la première fois, nous pouvons prouver que les
fonctions exotiques que Ramanujan a fait apparaitre sur son lit de mort dans sa dernière lettre, se
comportent exactement comme il l’a dit, et sans exception. [...] Lorsque
orsque Ramanujan découvrit les "formes
quasi modulaires" en 1920, les
es trous noirs n’étaient pas découverts,, et maintenant, son travail peut
permettre de percer leurs secrets ! [dans le cadre de la Mécanique quantique] »
- « Je suis son plus grand supporter. Ma vie professionnelle est inexorablement liée à Ramanujan. Nombre
d’objets mathématiques auxquels je pense si profondément, ont été prévus par lui. Je suis si heureux qu'il ait
existé. »
(Emory Univ. eScienceCommons, 11.12.2012)
Pour terminer, revenons à laa personne que fut ce génie – et pas seulement
pour reposer les tenants des sciences humaines,
humaines des évocations
mathématiques précédentes! – regardons l’étonnant visage de Ramanujan.
Cette photo est très instructive dans la mesure où elle montre la grande
asymétrie de son visage et les
es caractéristiques de cette asymétrie.
as
On perçoit
celle-ci
ci de façon optimale en cachant alternativement un demi-visage,
d
puis
l’autre, ou mieux en plaçant – dans le plan de symétrie de celle-ci
celle - une
glace perpendiculairement à l’image (on alors obtenir deux visage complets
plus lisibles que le demi visage sur lequel chacun d’eux est construit)
Or, il est connu que les
es deux moitiés du visage humain expriment assez
fidèlement – du fait du croisement des voies nerveuses – une partie du style
et des types de pensée gérés par les hémisphères cérébraux opposés.
Les
es deux hémisphères cérébraux participent évidemment à l’élaboration
mathématique, mais avec des styles particuliers et compétences différentes :
L’hémi-visage droit (sur le côté gauche de la photo) est en rapport avec
l’hémisphère gauche, lequel fonctionne
fonctionn sur un style verbal, séquentiel,
analytique, rationnel, il traduit chez Ramanujan, la tension corrélative de la
très grande concentration nécessaire aux aspects et logiques et techniques de
son travail (calculs interminables,, vérifications, démonstrations, etc.)
Fig. 4 : S. RAMANUJAN
Mathématicien
humble et inspiré
8
L’hémi-visage gauche (à droite sur la photo) se montre, au contraire étonnamment serein, quasi contemplatif.
Or cette partie du visage est en relation directe avec l’hémisphère droit celui qui a un style de fonctionnement
global, synthétique, intuitif, affectif. C’est cet hémisphère cérébral qui gère l’essentiel de la créativité, et
participe aux éclairs de compréhension, voire aux idées géniales, ainsi qu’aux sentiments spirituels et religieux
et aux valeurs qui nous sont chères.
Par exemple lorsqu’un sujet écoute une fable et analyse ses péripéties, c’est essentiellement l’hémisphère
gauche (verbal) que l’imagerie cérébrale montre actif, mais lorsque tombe la morale de la fable, c’est
l’hémisphère droit (synthétique, affectif) qui s’active, car ce qu’il gère, ce sont les pensées fortes contenant le
maximum de sens (a fortiori de Sens) exprimables par le minimum de mots, voire quasiment sans mots, et tout
cas au-delà du verbiage commun.
(cf. Paolo NICHELLI, Pdt. Fac. Med. Univ. Modène) & coll., "Cognitive. NeuroSc., Neoropsychol".,v. 6, p.2309+, 1995)
En résumé, on peut schématiquement dire que l’hémi-visage droit de Ramanujan (à gauche sur la photo)
exprime la tension de son activité acharnée et quasi incessante de calculs gigantesques (cf. infra : sur sa
pauvre ardoise !), tandis que son hémi-visage gauche (qui exprime aussi le moi intime) est celui qui contemple
des révélations (mathématiques) venues de quelque "au-delà". "Au-delà" de l’homme ? Certainement…
"Divin"? Pourquoi pas ? Bien évidemment pour un pieu hindou ces sphères divines ne pouvaient que coïncider
avec le polythéisme de sa culture, Et il attribuait ainsi ces révélations (perçues en rêves) à la déesse Namagiri
(compagne d’un avatar de Vishnou, gardien du Temps et de l’Univers).
Précisons enfin l’un des traits éminents de sa personnalité, il se montrait "doux et humble de cœur" :
Pour ce qui est de la douceur, un soir, dans une chambrée d’étudiants, alors qu’il discutait astronomie avec
un condisciple, un autre étudiant, pressé de dormir, lui renversa une cruche d’eau sur la tête pour "refroidir ton
cerveau surchauffé". La seule réaction de notre mathématicien inspiré fut de dire sans aucun ressentiment :
« C’est comme si je m’étais baigné dans le Gange ».
Pour ce qui est de l’humilité, comme un de ses camarades d’études lui faisait remarquer que l’on parlait de
lui comme d’un génie, voici ce qu’il répondit : « Quoi ! Moi un génie ?! Regarde mon coude je vais tout te
raconter. Mon "génie" a été fabriqué par mon coude qui en est devenu. tout rugueux et noir ! Nuit et jour je fais
mes calculs sur une ardoise. Comme cela prends trop de temps de chercher un chiffon pour l’effacer, je l’essuie
sans arrêt avec mon coude. » Notons que s’il n’écrivait pas sur du papier, c’est parce qu’il avait à peine assez
d’argent pour acheter de la nourriture. Dans un deuxième temps, il abandonna l’ardoise, qui ne lui laissait aucun
document intermédiaire, en écrivant ses calculs sur du papier journal d’emballage (à l’encre rouge… pour
augmenter la visibilité de ses écrits.)
Srinivasa Ramanujan avait donc parfaitement compris que ce qui nous est révélé est une gratification qui ne
nous appartient pas, que nous pouvons en être heureux mais aucunement fier.
Enfin, l’Évangile nous apprend que l’essentielle Vérité peut être plus facilement révélée aux petits, à ceux
qui sont pauvres et humbles. Le cas Ramanujan conduit à se demander si ce privilège n’inclut pas certaines
vérités mathématiques !
- c) Mathématiques et Création ?
Notons tout d’abord, qu’en deçà même des mathématiques, les "simples" nombres entiers ne vont pas de soi,
et leur perception par certains mathématiciens encore moins.
Le mathématicien Charles HERMITE (†1901, Pr. Sorbonne & Polytechnique, + philo. des Math.) affirmait :
- « Dieu nous a donné le nombre, nous avons fait le reste. » Il voulait marquer là l’importance et la non
banalité des nombres eux-mêmes; quant au "reste", il savait bien (étant platonicien) que nous ne l’avions pas
"fait", mais, simplement, découvert, au sens étymologique de ce terme.
Pour un non mathématicien les nombres ne sont qu’une suite de signes quantitatifs abstraits, une banale
gradation qui se déroule au pas de 1 ; mais en fait tout nombre à une "personnalité" plus ou moins marquée (par
ses articulations avec d’autres nombres, par rapport à certaines propriétés ou lois, etc.)
Le même Charles Hermite, en effet, poursuit :
- « …les nombres entiers me semblent exister en dehors de nous et en s'imposant avec la même nécessité, la
même fatalité que le sodium, le potassium, etc. »
(Correspondance avec Stieltjes, janvier1889)
Marcel Paul (dit Marco) SCHÜTZENBERGER (†1996, Math. et Génétique, Pr. à Harvard + MIT + Paris,
Académicien) affirme, pour sa part, (tout en étant approuvé par Alain Connes, coauteur du même ouvrage) :
- « La réalité du nombre 24 ne me paraît pas très différente de celle des sardines [...] j’avoue avoir
beaucoup de difficulté à distinguer mon activité de celle que j’aurais si j’étais entomologiste. »
(in : "Triangle de pensée", p.52, O. Jacob, 2000)
9
Des propos similaires se retrouvent – à propos de la découverte d’un nouveau groupe de symétries – sous la
plume de Marcus du SAUTOY (Pr. Math. Oxford) :
- « Le rôle du mathématicien est de créer quelque chose de spécial à partir de l’immense palette de couleurs
qu’offrent les mathématiques. C’est ce qui fait de notre discipline un art. »
(à la suite)
- « Et pourtant… Je ne peux m’empêcher de me dire que ce groupe était là, qu’il attendait d’être découvert,
ce qui n’est pas le cas d’un morceau de musique. Personne d’autre n’aurait pu créer les ‘Variations
Goldberg’ de Bach. Bach n’aurait pas pu être coiffé sur le poteau par quelqu’un qui les aurait composées
avant lui. Alors que ce groupe que j’ai trouvé ressemble à une nouvelle espèce de papillon – il existait avant
d’être découvert. »
(Extr. de "Symétrie", Héloïse d’Ormesson éd., 2012, in "La Rech.", p.71, 2.2012)
Étonnamment, la même impression "zoologique" est rapportée par certains calculateurs prodiges, tel ce fils
de maçon célèbre à l’âge de 7 ans, et qui devint un ingénieur réputé (George BIDER, † 1878). Il affirmait ainsi :
- « 763 [...] ce nombre se présente à mon esprit exactement comme le mot " hippopotame " se présente pour
exprimer l’idée d’un animal particulier. »
(La Rech. n°185, p.166, 2.1987)
Devant de telles convergences, on ne peut s’empêcher (sans pour autant justifier l’ensemble du platonisme)
de rappeler ici cette parole prophétique de PLATON – d’autant plus remarquable que bien rares sont les
aphorismes scientifiques qui restent pertinents 24 siècles après avoir été énoncés ! :
- « Le mathématicien est un oiseleur capturant dans une volière des oiseaux aux brillantes couleurs. »
RAMANUJAN était, dans la "volière" des mathématiques, un "oiseleur" particulièrement inspiré. Mais le
chemin dérobé par lequel il accédait à cette "volière" demeure énigmatique.
Face à de si étonnantes réalités, le matérialisme montre toute sa pauvreté. Les propositions du trop célèbre
réductionniste qu’est Jean-Pierre CHANGEUX (Pr. Neurobiologie au Coll. de France), apparaissent dérisoires,
voire comiques, par exemple lorsqu’il affirme :
- « Les mathématiques sont un langage plus rigoureux, ni plus, ni moins. » Et encore: "si des extraterrestres
en venaient à produire des théorèmes mathématiques similaires aux nôtres", « c'est qu'ils posséderaient un
système nerveux et un cerveau très proche de celui de l'homme ! » ("Matière à pensée", Odile Jacob, 1989)
L’hypothèse la moins extravagante est de supposer l’existence d’une réalité mathématique, éternelle, ayant
servi à l’ordonnancement du Cosmos et à laquelle les mathématiciens accèdent plus ou moins "gratuitement".
Alain Connes parle ainsi d’une « réalité mathématique archaïque » qui préexiste à nos concepts ; mais le
qualificatif "archaïque" n’est là que parce que, en tant qu’agnostique / matérialiste, il n’ose pas employer
"originaire", ou "fondatrice". Certains spinozistes parlent ainsi de "formes ou d’idées platoniciennes incréées"
(préexistantes par rapport au démiurge-créateur lui-même qui leur serait donc soumis !).
Cependant pour un Catholique, comme René THOM, (†2002, Médaille Fields, Philo. des Sc., Thomiste) ces idées
"platoniciennes", appartiennent tout simplement – de toute éternité – à la Pensée créatrice du Créateur.
Ce même René Thom rejoint d’ailleurs Ramanujan en exprimant que :
- « Le monde des Idées excède infiniment nos possibilités opératoires, et c'est dans l'intuition que réside
l’ultima ratio de notre foi en la vérité d'un théorème - un théorème étant, selon une étymologie aujourd'hui
bien oubliée, l'objet d'une vision. »
("Pourquoi la mathématique?" 1974)
Les mathématiques dévoilent d’ailleurs parfois leur extraordinaire pouvoir de médiation créatrice. Ainsi,
Alain BOUTOT (Math. + Pr. Philo. des Sc. Univ. Grenoble, Aristotélicien) s’étonne :
- « Les théories "de jauge" … en physique des particules… attribuent une origine "mathématique" aux
"forces de la nature". … Les théories de jauge ne se contentent pas de se servir des mathématiques pour
formuler un certain nombre de propositions et les enchaîner, mais elles confèrent aux mathématiques un
véritable pouvoir génératif … elles concluent à la nécessité d’introduire de nouvelles entités en physique. »
« Tout se passe donc (dans les théories de jauge) comme si les mathématiques étaient à l’origine de
l’ontologie elle-même. Il y a là quelque chose de, pour le moins, paradoxal, mais qui n’est pas tout à fait
unique en physique […]. Les mathématiques y sont plus et autre chose qu’une simple "pensée" car elles ne
servent pas seulement à définir et appréhender la structure ou la nature de l’objet physique, mais elles
fondent son existence même. Elles sont dotées […] d’un véritable pouvoir créateur. » (La Rech., 11.1989)
De même, Roland OMNÈS (Pr. Phys. théor. math. à l’Univ. Orsay) précise :
- « Certaines masses [...] ne résultent pas d’une constitution interne de ces particules [...]. Les particules
reçoivent [du champ de Higgs...] une masse par un véritable fiat mathématique. »
(Alors l’un devint deux. La question du réalisme en physique et en philosophie des mathématiques, p.212, 2002)
Ces extraits sont un peu techniques, mais il est surprenant de constater que la physique mathématique peut
déboucher sur des problèmes ontologiques ! Ceci n’est d’ailleurs pas sans rappeler cette affirmation de
LEIBNIZ : « Quand Dieu calcule et pense les choses au travers de ces calculs, le monde est créé. » (Dialogus)
10
Nombre de mathématiciens, y compris agnostiques ou athées, confirment l’idée que les mathématiques
existent indépendamment de leur "invention" progressive par l’homme. En voici quelques exemples :
• Erwin SCHRÖDINGER (†1961. Nobel Physique, Philo des Sciences) in : ("What is Life?", Cambridge Univ. Press, 1967)
- « Une vérité mathématique est hors du temps, elle ne vient pas à l’existence avec sa découverte. »
• Max TEGMARK (Pr. Astrophysique, MIT. Athée.) in : (New-Scientist, 9.2007)
- « Nous n’inventons pas les structures mathématiques, nous les découvrons, et nous n’inventons que la
notation pour les décrire. […] notre réalité physique est une structure mathématique.»
Issues d’une telle source intemporelle et dotées d’une telle portée il devient alors concevable que les
mathématiques supportent intimement l’expression des phénomènes et des lois de l’univers physique :
• Gilles LACHAUD (Pr. Math. Univ. Marseille, Dir. Institut. Math. CNRS) in : ("La Rech".., hors série n°20, p.35, 8.2005)
- « La distribution des nombres premiers se comporte comme la distribution des molécules dans un gaz
parfait. […] L’analogie entre la répartition des nombres premiers et un phénomène physique est
troublante. »
• Yuri MANIN (Dir. "Max Planck Inst.", Pr. Northwestern Univ.) in : ("Mathematics as Metaphor", 2007)
- « Les idées les plus profondes de la théorie des nombres présentent une ressemblance frappante avec celles
de la physique théorique moderne. Comme la mécanique quantique, la théorie des nombres fournit des
modèles de relation entre le discret et le continu qui ne sont pas du tout évidents, et met en valeur le rôle des
symétries cachées. »
On conçoit que confrontés à de telles réalités objectives, les croyants ne puissent en dire moins :
• Michał HELLER (Prêtre, Philo. des sciences et Astronome au Vatican) in : (Conf. remise Prix Templeton, NY, 12.3.2008)
- « Si l’on questionne sur la cause de l’univers, nous nous interrogeons sur la cause des lois
mathématiques. Ce faisant, nous sommes ramenés au Grand Plan de Dieu pensant l’univers. »
Enfin, même un logicien hyper rationaliste – ex marxiste pourfendeur de miracles – mais finalement revenu
de l’athéisme au judaïsme – encore que resté fidèle au pragmatisme – put oser écrire :
- « L’hypothèse d’une réalité extratemporelle que les mathématiques explorent – la seule qui permette de
comprendre l’harmonie et la cohérence des mathématiques – est un miracle. »
Hilary PUTNAM (Pr.de Philosophie de l’esprit à. Harvard) 1* ↓
Au demeurant, comme nous l’avons déjà évoqué, l’harmonie et les convergences notables entre
mathématiques et physique, n’empêchent pas cette relation d’être hiérarchique. L’"incarnation" des math dans la
physique n’est que partielle, et toutes nos connaissances physiques et les "machines" (informatiques) qu’elles
génèrent, ne permettront jamais de reconstituer et de maitriser la totalité de la vérité mathématique. La physique
et le monde physique ressemblent à un "coagulât" local de vérités mathématiques, très loin d’épuiser sa
dynamique et son insondable richesse. Et Jean-Paul DELAHAYE (Pr. Informatique fondamentale à l’Univ. de Lille)
précise que : - « Les résultats et conceptions de Leonid LEVIN (Pr. Univ. Boston) impliquent que le monde des
vérités mathématiques est inaccessible depuis notre monde réel, soumis aux lois de la physique qui ne
permettront jamais autre chose que l’utilisation de systèmes gravement incomplets et impossibles à compléter.
[…] Même le hasard ne permet pas de boucher le trou de l’incomplétude [prévu par Gödel]. » ("Pour la Sc.",1.2009)
Comme l’affirme Gregory CHAITIN (in La Rech.12.2003) : « Le monde des idées mathématiques est d’une
complexité infinie. » Les mathématiques seraient-elles transcendantes ? Nous n’aurons jamais de réponse
certaine, mais cette question est plus que légitime, elle est inévitable.
III – LES MATHÉMATIQUES : CONJONCTION DU VRAI ET DU BEAU
- a) Quand les mathématiciens se soucient d’esthétique
1
*
N.B. : Proférer une telle apostasie du matérialisme peut entraîner des représailles… Lorsque l’ouvrage de P. J. KING
(Maître de Conf. de Philo. à Oxford) intitulé : "One Hundred Philosophers : The Life and Work of the World's Greatest
Thinkers" (2004) fut traduit en français en 2005, sous le titre "100 Philosophes", l’éditeur (Le pré aux clercs), supprima
froidement – sans l’accord de l’auteur ! – le texte consacré à Hillary PUTNAM, et le remplaça par un éloge de DERRIDA,
qui, en tant que spécialiste de la "déconstruction" de tout signifiant, ne risquait pas de se compromettre avec le miraculeux !
11
Le plus surprenant est sans doute que, non seulement les mathématiques semblent relever d’une Vérité
éternelle structurant la réalité du Cosmos, mais elles ont aussi un rapport avec la Beauté éternelle. Elles
semblent être un lieu d’élection du Vrai et du Beau en tant qu’inséparables.
L’un des premiers à le remarquer fut Henri POINCARÉ (†1912), l’un des derniers grands savants universels :
- « On peut s'étonner de voir invoquer la sensibilité à propos de démonstrations mathématiques qui, semblet-il, ne peuvent intéresser que l'intelligence. Ce serait oublier le sens et la beauté mathématique, de
l'harmonie des nombres et des formes, de l'éloquence géométrique. C'est un véritable sens esthétique que
tous les vrais mathématiciens connaissent. »
("Science et méthode", chap.: L’invention mathématique, 1908)
Même un athée, comme Paul LANGEVIN (Pr. Coll. de France), savait se montrer sensible à cette sorte
"d’harmonie logico-esthétique préétablie", qui ne saurait pourtant aller de soi, dans le cadre du
matérialisme strict. Il remarque tout d’abord, lui aussi, cette étonnante conjonction entre les mathématiques et
la physique, puis précise :
- « Il est remarquable que, parmi les constructions abstraites réalisées par les mathématiciens en prenant
pour guide exclusif leur besoin de perfection logique et de généralité croissante, aucune ne semble devoir
rester inutile au physicien. » (à la suite)
- « Par une harmonie singulière, les besoins de l’esprit [du physicien], soucieux de construire une
représentation adéquate du réel, semble avoir été prévu et devancé par l’analyse logique et l’esthétique
abstraite du mathématicien. »
(in Levy-Leblond : Penser les mathématiques,1982)
Mais l’exemple le plus emblématique du savant ayant tout pressenti, compris, et exploité – y compris le lien,
entre la vérité des mathématiques et l’impression de beauté qu’elle donne aux mathématiciens – est celui de
Paul DIRAC, un surdoué, prix Nobel à 31 ans, dont l’athéisme fut ébranlé par ses propres découvertes :
- « Une théorie mathématique belle a plus de chances d’être correcte qu’une théorie inélégante,
même si cette dernière décrit correctement les résultats expérimentaux. »
- « Nous partagions une sorte d’acte de foi : toute équation décrivant les lois fondamentales de la Nature
(Scientific American, 5.1963)
devait y exprimer une grande beauté mathématique. »
Paul DIRAC (†1984. Pr. Math. à Cambridge, Nobel de physique.)
De fait, et très étonnamment, dans la pratique DIRAC "retoucha" certaines de ses équations pour les rendre
plus "élégantes" ! Or, cette allégeance à la beauté le conduisit à prévoir, hors de toute expérimentation,
l’existence de l’antimatière ! Ce fait, qui n’est pas unique – MAXWELL fit de même avant d’aboutir à la
formulation de l’électromagnétisme – infirme, à lui seul, les thèses évolutionnistes matérialistes qui voudraient
que notre sens du Beau ne soit qu’un sous-produit des réactions affectives nées par hasard chez des primates
confrontés à la couleur des fleurs, aux couchers de soleil et aux courbes de leurs femelles !
On pourrait aligner des dizaines de citations de mathématiciens plaidant pour l’importance cruciale de
l’esthétique en leur domaine. Nous choisirons celle-ci, pour sa forte connotation métaphysique :
- « Que l’esprit humain puisse trouver de si beaux outils mathématiques pour expliquer le mouvement du
monde constitue, à mes yeux, l’un des miracles du monde que Dieu a créé. » (Courier UNESCO, t.54, 5. 2001)
Tsevi MAZEH (Pr. d’Astrophysique, Univ. Tel Aviv, Juif)
On peut regretter que rares soient les mathématiciens chrétiens qui aient la même audace. Et pourtant – face
à toutes ces improbabilités – la plus grande vraisemblance n’est-elle pas du côté de cette hypothèse envisagée
par Paul DIRAC, athée qui finira agnostique, mais qu’Heisenberg taquinait en le traitant de "prophète de Dieu ":
- « Dieu est un mathématicien de tout premier ordre, et il a utilisé des mathématique très élaborées pour
construire l’univers »
("The Evolution of the Physicist’s Picture of Nature", Scientific American, 5.1963)
La beauté exprimée par les mathématiques pourrait même conditionner les forces et les lois de l’univers par
l’intermédiaire de la symétrie, cette structuration aussi banale qu’inépuisable, et qui prend corps de maintes
façons dans divers aspects de l’univers : des mathématiques à l’esthétique en passant par la vie. Deux citations
illustreront cette prééminence, voire cette antériorité de la symétrie sur ce qui régit notre univers :
- « Il semble maintenant certain que la symétrie est la clé d’une compréhension correcte des forces de la
nature. Les physiciens croient aujourd’hui que les forces n’existent que pour permettre à la nature de
conserver un ensemble de symétries abstraites dans le monde. »
("Superforce", p.138, Payot, 1987)
Paul DAVIES (Pr. Phys. théor. Cambridge, puis Philo. à Adelaïde)
- « L’un des grands principes de la physique est celui-ci : à chaque symétrie continue correspond une loi de
conservation. [...]. Conclusion très profonde en vérité : les forces sont les manifestations de symétries
abstraites. »
(Énergie noire, matière noire, pp.61-67, Odile Jacob, 2004)
12
Michel CASSÉ (Dir. Recherche Inst. d’Astrophysique, Paris)
► Cette dernière approche est effectivement, comme le remarque Michel Cassé "très profonde", car elle
laisse entendre que les forces et les lois qui régissent si bien l’univers ne sont pas seulement étroitement ajustées
pour que la vie soit possible (comme nous le verrons dans le cours sur la cosmologie) mais, aussi, que leur
conception ne semble pas dépendre d’une sorte de "calcul besogneux" d’un "ingénieur" ayant "bricolé" les bons
compromis pour que "ça marche" en dépit des multiples contraintes rencontrées. Non, ces forces et ces lois
semblent bien plutôt relever d’une harmonie supérieure que seul un Artiste infiniment subtil peut générer
d’emblée. Dès lors, n’est-il pas logique que, dans la Création, le Beau et le Vrai apparaissent comme étroitement
unis ?
- b) Une théorie de "Tout l’Univers" ne saurait ignorer l’esthétique
Mathématiques et beauté sont si intimement liées dans la structure de l’Univers qu’elles sont indissociables
dans ce que l’on appelle ambitieusement les "Théories du Tout" – ces tentatives par lesquelles des théoriciens de
la physique et des mathématiciens de haut niveau recherchent la "clé ultime" qui permettrait de saisir la "recette",
la logique essentielle de l’Univers. Ils poursuivent la quête de ce " Graal", espérant trouver la théorie
fondamentale sur laquelle reposerait non seulement toutes les lois de l’Univers, mais aussi la structuration même
de la matière et de l’espace-temps. Ils ambitionnent – comme le disait jadis Stephen HAWKING, avant de
devenir athée – de connaître la " pensée de Dieu", du moins ce qu’ils en imaginent comme "recette technique de
création" en dehors de toute assise ontologique.
Evidemment ils n’y parviendront pas (cf. Gödel et le cours n°1), mais on constate qu’ils ne peuvent
s’éloigner de l’élégance, en cherchant à s’approcher de leur but prométhéen.
Mais revenons à l’esthétique en mathématique. Il se trouve qu’un mathématicien norvégien, Sophus LIE,
inventa en 1887, pour étudier les symétries (encore elles !) dans les équations différentielles, un "objet"
mathématique – dénommé "E8" (doté de 248 dimensions – terme n’ayant pas ici une signification forcément
"spatiale").
Ce groupe est de surcroît "complexe" ; le résultat du calcul de E 8 est une matrice (tableau de nombre)
comportant plus de 200 000 millions de cases, l’information afférente à E 8 représente plus de 60 fois celle
contenue dans le génome humain ! Rien d’étonnant, donc, à ce que Peter SARNAK (Pr. Math. Princeton) ait fait
remarquer en 2007 qu’E8 « pourrait très bien avoir aussi des applications en mathématiques [en informatique,]
et en physique qu'on ne découvrira pas avant plusieurs années ». Il faut avouer que les représentations
graphiques de E 8 sont aussi complexes qu’esthétiques :
Fig. 5 : GROUPE ALGÉBRIQUE E8 DE SOPHUS LIE
« Peut-être la plus belle structure de toutes les mathématiques » (G. Lisi)
Aspect général en 3 Dimensions
(d’après : https://plus.google.com
/117663015413546257905/posts/X6nFEyPhEWq)
Projection dans un plan réalisée par ordinateur
(d’après : http://www.foxnews.com/story/0,2933,260133,00.html)
13
Or il se trouve, pour revenir aux Théories du Tout, que la dernière mouture conséquente en a été présentée en
2007 par un théoricien de la physique, Garrett LISI (par ailleurs bohême et champion des "sports de glisse"!) qui
a "récupéré" les caractéristiques du groupe E8 et a réussi à y superposer l’essentiel des propriétés des particules
élémentaires connues et prévues par le modèle standard actuel de la physique des particules.
Cette théorie de G. Lisi a été qualifiée ainsi par Lee SMOLIN (Célèbre cosmologiste du"Perimeter Institute") :
- « Fabuleux ! C’est l’une des plus convaincantes théories du Tout que j’ai vue depuis très longtemps »
("The Telegraph", 14.11.2007)
Elle a, certes, été prétendue insuffisante dès 2010 par certains physiciens : de plus, elle prévoit la découverte
de particules qui ne sont pas attendues dans le cadre du "Modèle standard" de la physique des particules.
Cependant, ici encore, un physicien a utilisé, avec un succès tangible, à défaut d’être total, un objet
mathématique, inventé hors de toute prétention cosmologique, pour décrire et ordonner les propriétés intimes
des constituants de la matière-énergie – le tout dans une figuration hautement esthétique, dont voici la
représentation de leur système de "racines" sous forme de vecteurs projetés sur un plan (ce qui demande des
calculs gigantesques).
Devant le résultat obtenu son auteur ne peut s’empêcher de constater lui-même : « Au cœur de ces
(arXiv: 0711.0770v1 [hep-th] 6.11.2007)
mathématiques réside la pure géométrie dans toute sa beauté. »
Cette affirmation est difficilement contestable, comme nous pouvons le vérifier sur la représentation
suivante :
Fig. 6 :
SUPPERPOSITION DES PARTICULES ÉLÉMENTAIRES AUX RACINES DU GROUPE E8
Garrett LISI : "An Exceptionally Simple Theory of Everything " (arXiv:0711.0770v1 [hep-th] 6 nov. 2007)
Étonnante coïncidence… ou dévoilement partiel d’une Harmonie essentielle et fondatrice ? !
Comme on pouvait le lire dans le numéro de décembre 2010 de la revue "Scientific American" :
- « Même si la théorie de Lisi se révèle fausse, la théorie "E8" a ouvert une nouvelle voie, en mettant à
jour une structuration saisissante dans la physique des particules, dont toute nouvelle théorie du tout devra
14
rendre compte » ; et encore : « De nombreux physiciens partagent l’intuition qu’au niveau le plus
fondamental, tous les phénomènes physiques correspondent aux patterns de quelque superbe structure
mathématique. »
L’un de ces physiciens,, philosophe de surcroît, avait depuis longtemps noté que :
- « La tentation de croire que l’Univers est le produit d’une sorte de dessein, une manifestation d’un
arbitrage mathématique esthétiquement subtil, est écrasante. Je suspecte une majorité des physiciens de
croire comme moi qu’il y a "quelque chose derrière tout ça". » ("The Mind of God", Simon & Schuster, 1992)
Paul DAVIES (Pr. Phys. théor. Cambridge, puis Philo. à Adelaïde)
Ainsi, tout comme Le Bien et comme Le Vrai, Le Beau semble avoir une capacité structurante et créatrice
universelle qui va bien au-delà de l’esthétisme qui n’en saisit qu’un reflet superficiel.
Enfin, non seulement les mathématiques sont reliées au beau, mais elles le sont aussi à la Vie. Lila KARI (Pr.
Bio-Calcul, Univ. Ontario) se dit fascinée par le fait que le problème du "voyageur de commerce" (quel est le
chemin le plus court, pour visiter N clients disséminés dans une région) puisse être résolu en manipulant des
brins d’ADN dans des fioles ! Devenue spécialiste de ces questions elle s’interroge :
- « La découverte du calcul reposant sur l’ADN indiquant que les mathématiques sont aussi aux racines de
la biologie, nous fait nous demander si les mathématiques ne sont pas le noyau de toute la réalité connue et
(en tenant compte des géométries non euclidiennes) de toute la réalité possible.»
(Mathematical Intelligencer,, v.19, p.9, 1997)
"Noyau", sans doute, mais de quel Fruit ? Cela, les mathématiques ne sauront jamais le dire.
- c) Quand la physique la plus récente rencontre les artistes grecs antiques
Sur la plupart des austères calendriers-planning accrochés aux murs des secrétariats des administrations
figurait encore, il y a peu, une information bizarre et totalement inutile car toujours égale à elle-même :
"Nombre d’Or = 1,618003398…etc." Cette coutume étrange devait remonter aux premiers almanachs de la
Renaissance qui tenaient lieu, auprès des semi-lettrés, d’encyclopédie du savoir cosmique…
Cependant, le nombre d’or "Ф" (Phi) est bien plus ancien. EUCLIDE le mentionne dans ses "Éléments" de
géométrie vers -300, mais le célèbre sculpteur PHIDIAS (d’où la dénomination Ф) l’utilisait 150 ans plus tôt et
ce nombre aurait été connu des égyptiens ; on le retrouverait dans les proportions des pyramides, tout comme
dans le Parthénon où elles sont plus évidentes.
Dès cette époque le nombre Ф apparut comme un outil permettant de donner des
proportions conventionnelles harmonieuses aux monuments, aux statues, à divers
éléments décoratif, etc. Il est vrai que la plupart des sujets, à qui l’on présente un
rectangle dont le rapport (L / l) ~1,6. le trouvent harmonieux, ni trop plat ni trop massif.
Cette impression disparait si l’on s’éloigne de ces proportions ; mais bien évidemment,
les 2e et 3e décimales ne nous sont pas accessibles sensoriellement et esthétiquement.
Simultanément, avec le calcul approximatif de √5 et du fait de l’école gnostique pythagoricienne et du
platonisme, ce nombre – nanti désormais de trois décimales (Ф = 1,618) – fut très tôt considéré comme magique,
voire divin, dans toute l’Antiquité. Le Moyen-âge renforça cette tendance et l’on en vint à parler de "divine
proportion" que les artistes de la Renaissance honorèrent. Ce nombre fut dès lors utilisé et recherché partout,
entre autre dans diverses proportions du corps humain ; et comme les proportions corporelles des individus
varient largement, à tort ou a raison, on n’eut aucun mal à trouver ce que l’on cherchait.
Notons que les rapports entre le nombre d’or et l’art intéressent aussi la musique, et des musiciens comme
Bela BARTOK ou Claude DEBUSSY s’en sont inspiré.
A ce stade, le fameux nombre d’or apparait surtout comme une lubie d’esthètes en mal d’ésotérisme et de
mathématisation rationalisante de l’ineffable du beau.
A propos de ce "rectangle d’or", notons incidemment un signe emblématique de l’infirmité de la science
actuelle, héritée du rationalisme exacerbé des "Lumières". Notre science moderne a, certes, fait d’immenses
progrès depuis l’Antiquité, mais trop de scientifiques ont perdu le sens du mystérieux. Ainsi, lorsque notre
réductionnisme prométhéen entend s’attaquer à des énigmes plus que séculaires, les résultats sont parfois
consternants. C’est le cas de l’une des prétendues "explication" de l’origine du nombre d’or dans l’architecture,
et bien au-delà. La voici :
Adrian BÉJAN (ancien du célèbre MIT, Pr. de Génie mécanique, Duke Univ.) est l’auteur de la théorie dite
"constructale" proposée en 1996. Elle est censée expliquer que toutes les optimisations observables dans la
nature sont le fruit d’un simple mécanisme naturel, d’où une certaine parenté avec le darwinisme. Cette théorie
15
est satisfaisante pour expliquer la formation du delta d’un fleuve, voire les ramifications successives de l’arbre
broncho-pulmonaire, mais cette théorie ne peut expliquer maintes subtilités du monde inanimé ou vivant.
Néanmoins, Béjan crut pouvoir rendre compte – par un raisonnement utilitariste et darwinien – de l’origine et de
la popularité du fameux nombre d’or,
d’or en le faisant désormais rentrer dans la rubrique officielle des
"conséquences de la Sélection naturelle" (Int. J. of Design Nature Ecodynamics, v. 4, p.97+, 2009).
2009
Son argumentaire repose sur la sensation de "confort" que nous donne un "rectangle
rectangle d’or". Pour A. Béjan
cette formee privilégiée est tout simplement la "fenêtre utile" que notre système visuel est capable de scanner
optimalement et rapidement pour obtenir une prompte exploration satisfaisante dee notre environnement. Dés
lors, on «…sait pourquoi lee rapport égal au nombre d'or surgit partout : les yeux parcourent une image avec
une rapidité maximale quand elle a les proportions du rectangle d'or. » (!)
(PhysOrg,
PhysOrg, 21.12.2009)
Cette "explication" est affligeante d’indigence : non seulement elle identifie vision et cognition, mais elle
semble méconnaitre que notre vision ne "scanne pas" une image "systématiquement" comme le ferait un stupide
scanner à balayage,, mais va de points signifiants en points signifiants,
signifiants, revient sur certains, etc. Nos ancêtres
préhistoriquess n’auraient pas survécus si, cherchant du regard prédateurs et proies,, il n’avaient concentrés leur
attention visuelle sur des lieux clés (orée des bois, replis de terrains, etc.) Enfin, cette "explication" passe
intégralement sous silence toutes les autres
autres occurrences du nombre d’or dans la nature !
Evidemment, Allan NEWELL (Pr. Mathématiques Univ. Arizona + Warwick [GB]) spécialiste de ces questions,
ne se satisfait pas de ce genre d’hypothèse darwinienne :
-« Le nombre d'or est exactement le même que la "divine proportion" [des anciens esthètes]. Oui, les gens
semblent aimer cette proportion divine. On le retrouve dans l'architecture. Ils aiment concevoir des
bâtiments avec ce ratio de la longueur d'une pièce à sa hauteur. Pourquoi cela se passe-t-il
passe
ainsi, est-ce de
la physiologie et de la psychologie, je ne comprends pas ! »
(Sc. Com. Progr. Univ. Santa Cruz, 28.3.11)
Mais revenons au nombre d’or qui est bien plus que les proportions d’un rectangle horizontal ! Très tôt ont
compris que le nombre Ф correspondait mathématiquement à une formule simple : (1+ √5) ⁄ 2.
De plus, au XIIIe siècle, le mathématicien FIBONACCI inventa la série qui porte son nom et dont chaque
terme est obtenu par l’addition des deux précédents (0, 1, 1, 2, 3, 5, 8, 13, 21, 34,, 55, 89 etc.). Chaque terme
divisé par celui juste inférieur (situé à sa gauche) donne une valeur qui s’approche d’autant plus de Ф que l’on
monte dans la série. Ainsi : 8 / 5 = 1,6, 34 / 21 = 1, 619 mais au 20e terme on obtient 6765 / 4181 = 1,61803396,
etc.
Le nombre d’or gagnait ainsi ses premiers galons mathématiques. Il semblee y en avoir bien d’autres ; ainsi
parmi les problèmes de pavage non périodiques (étudiés par PENROSE, cf. ante fig. 3),
) l’angle de 72° que l’on y
rencontre, a son cosinus exprimable en fonction de √5 donc fatalement exprimable aussi en fonction de Ф :
cos72° = 1/ (2 Ф ) ; rien de bien étonnant... Plus inattendu, on doit noter que pour un pavage infini, le nombre de
pavés bleus sur celui de pavés jaunes est précisément égal à Ф ! Le nombre d’or se retrouve donc ainsi dans la
structure même d’une forme de matière : celle des quasi-cristaux avec leur symétrie d’ordre cinq – normalement
incompatible avec les "pavages" (du moins ceux qui sont périodiques).
Cependant, l’important est que cette série (ou suite) de Fibonacci, qui permet de construire des spirales de
Fibonacci, (fig. 7), se retrouve un peu partout dans la nature,
nature de la disposition des graines dans la fleur de
tournesol, au nombre de pétales des marguerites, à l’harmonieuse coquille du nautile, au "tourbillon" spiralé des
galaxies et à l’augmentation des populations de lapins (série de Fibonacci), en passant par la disposition des
feuilles sur les brindilles qui les portent, et le décours de certaines tendances économiques, etc.
Fig. 7 :
SÉRIE DE FIBONACCI ET SPIRALE CORRESPONDANTE S’EXPRIMENT DANS LA NATURE
(Nature by Numbers de Cristóbal Vila, 2010. Vidéo à voir : http://www.etereaestudios.com/docs_html/nbyn_htm/nbyn_mov_vimeo.htm)
16
Evidemment, on peut toujours se dire que cette suite est naturelle parce qu’elle permet une optimisation de
l’occupation de l’espace, ou de la croissance des organismes (ce qui est partiellement vrai) et que, finalement,
les mécanismes darwiniens ont peut être sélectionné tout cela. En effet, Ron KNOTT (Ass. Pr. Univ. Surrey)
précise quant à la disposition des feuilles sur une tige : « Si les orientations des feuilles successives sont
séparées par (1,618 tour)… nous avons la meilleure disposition pour que chaque feuille ait l'exposition
maximale à la lumière, et fasse le moins d’ombre sur les autres. Ceci fournit aussi la meilleure disposition
pour la collecte de l’eau glissant finalement vers les racines. Pour des fleurs ou les pétales, cela permet la
meilleure exposition possible aux insectes pour les attirer pour la pollinisation. Toute la plante semble
organiser sa structure en se basant sur le nombre d'or.» (Site Math. Univ. Surrey, 2013)
A ce stade on peut se croire autorisé à conclure avec Paul ATELA (Pr. Math., Smith. Collège) : « Que les
plantes connaissent les mathématiques ou non, elles sont clairement programmées pour suivre un ensemble
commun de règles liées au développement, qui suggèrent que ces modèles confèrent un avantage
évolutionnaire.» (Smith Coll. News, 20.6.2003).
Mais nous verrons que l’évolution et l’utilitarisme de la sélection naturelle ne sauraient suffire.
D’ailleurs comment ne pas reconnaître comme extraordinaire qu’une même entité mathématique – d’une
simplicité déconcertante – puisse à la fois assurer l’optimisation de la croissance végétale, mais aussi
correspondre à l’équilibre gravitationnel et dynamique des galaxies, à des états quantiques subtils (comme
nous le verrons ci-après), et de plus orienter les préférences esthétiques humaines, lesquelles, bien au delà de
la nature, intéressent au plus haut point la Culture et l’affectivité !
Pour revenir aux végétaux, on peut encore remonter en aval de la disposition
foliaire et remarquer que dans la zone germinative apicale des tiges (là où se trouve le
méristème assurant la croissance) les cellules sont déjà disposées en spirales de
Fibonacci. Serait-ce un fruit de l’évolution biologique, de la sélection naturelle ?
Certains parlent de "formes primordiale" ce qui ne représente pas une avancée
décisive pour la compréhension de ces phénomènes…
Mais il y a bien plus intéressant. Deux physiciens, Stéphane DOUADY et Yves
COUDER (Dir. Rech. CNRS, Univ. Paris VII) ont pu obtenir, en 1992, la fameuse
spirale par des moyens strictement physiques. Cette spirale serait alors le produit
Fig. 8 : BOURGEON
d’un phénomène d’auto-organisation dans un système dynamique, soumis à quelque d’une branche d’épicéa
"pattern universel" ("The phyllotactic Pattern…" in R.V. Jean & D. Barabé : "Symetry in plants", p.539, 1998)
Cependant, tous les mathématiciens ne trouvent pas leur conclusion aussi évidente :
Scott HOTTON (Pr. Math., Harvard), spécialiste de ces mêmes questions, "se demande toujours pourquoi
l'angle d'or apparaîtrait ici. Et il réduit l'expérience de Couder et Douady à un modèle mathématique…"
(Julie Rehmeyer, ScienceNews, 3.5.2007 - d’où est extraite la Fig. 8 ci-dessus.↑)
Pour sa part, Allan NEWELL (Pr. Math Univ. Arizona + Warwick), spécialiste de l’analyse mathématique des
formes naturelles, et flairant un risque d’appel aux "formes platoniciennes", ironise: - « Dans leur travail de
pionnier Yves Couder et son collègue ont fait cette merveilleuse expérience utilisant des gouttelettes d’huile
dans un champ magnétique. Ils ont alors vu de belles spirales de Fibonacci apparaitre. Ils ont donc admis que
peut-être le type de structure que nous observons dans les plantes correspondait à une sorte de comportement
universel, et ils ont adoptés le point de vue suivant lequel tout cela pourrait être dirigé par des algorithmes
discrets. C’est comme si un quasi dieu doté d’un petit ordinateur dans la fleur disait : "Mettez la [feuille ou
graine] suivante à cette place !". » (Science Communication Program, Interviews, Univ. Santa Cruz, 28.3.11).
Cependant, grâce à des modèles mathématiques sophistiqués, A. Newell apporte une information importante,
à savoir que la plupart des formes naturelles – y compris la spirale de Fibonacci – sont le fruit de forces
physiques et non celui de l’évolution biologique. Ceci nous ramène aux mathématiques "primordiales". Et Allan
Newell – qui se définit comme "un scientifique de la Renaissance" finit par conclure : « Les mathématiques sont
semblables à un bon poème, qui sépare le superflu de tout ce qui est fondamental et fait fusionner cet essentiel
en un "cœur" [noyau] de vérité. »
(Science Daily, 24.2.2011)
Ce "poème", comme nous le verrons, ressemble fort ici, à une sorte de loi structurant l’Univers, et
s’interroger sur son origine ne permet pas d’éviter certains questionnements à portée métaphysique.
L’observation nous montre que la Nature ajuste certaines structures végétales jusqu’à sembler "respecter" Ф
avec une précision mathématique. Par exemple (fig. 7) si l’on considère les spirales qui séparent les graines
d’une fleur de tournesol, on observe deux ensembles spiralés de graines : les uns (peu incurvées) tournent dans
le sens des aiguilles d’une montre, et les autres (beaucoup plus incurvés) tournent en sens inverse. Ces derniers
beaucoup plus longs (car plus enroulées sur eux-mêmes) couvrent plus efficacement la surface concernée et sont
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donc moins nombreux ; au demeurant, l’ensemble donne une impression de symétrie radiale harmonieuse. Si
maintenant l’on compte ces spirales, on en trouve 34 dans le sens horaire et 21 dans l’autre sens ; or il se trouve
que 34/21 = 1, 6190 soit = Ф à 6/10000 près. Il en va de même pour le "cœur" d’une marguerite. Une pomme
de pin présente, dans la grande majorité des cas, des particularités similaires, avec 13 spirales dans un sens et 8
dans l’autre ce qui donne un rapport de 13/8 = 1,625, certes un peu moins bon, mais toujours obtenu à partir de
nombres (8 et 13) de la série de Fibonacci.
(voir le site: http://mompiou.free.fr/wiki/index.php?title=Le_nombre_d%27or%2C_l%27art_et_la_science)
Des travaux récents ont aussi montré que la structure de l’ADN n’était pas indépendante du nombre d’or ;
par exemple, le "pas" de la double hélice par rapport à sa largeur (34Å / ~21Å ≈ 1,619). Est-ce un hasard ? Le
nombre d’or se retrouverait aussi dans la structure fractale [autosimilarité à différentes échelles] de l’ADN, selon
les travaux de J.- Claude PEREZ ("Interdiscip. Sc. : Computational Life Sci..", v.2, p.228+, 2010). De même, Ф
participerait au système de codage de l’ADN… Cependant, Perez est un chercheur solitaire ; ceci peut certes
s’expliquer parce que ses recherches "sentent le souffre" pour le rationalisme matérialiste dominant mais, dans
le doute, oublions pour l’instant, ses résultats. Oublions aussi l’usage intensif de la suite de Fibonacci, par les
traders (qui ne font rien gratuitement) à des fins de prévisions boursières !
Au demeurant, il nous faut sans doute minorer la méfiance avec laquelle on considère généralement certaines
publications scientifiques évoquant le suspect nombre d’or, et ceci, du fait d’articles publiés dans les deux plus
prestigieuses revues scientifiques mondiales : Science (v.327, p.177-80, 8.1.2010) et Nature (v.464, p.362-3, 18.3.2010).
On ne peut raconter des sornettes ésotériques dans les colonnes de ces "Temples de la Science", et pourtant, les
premiers résultats, décrits ci-après, auraient ravi les pythagoriciens très amateurs
d’"harmonies cosmiques", au sens musical du terme !
• Le 1er article (Science), aboutissement d’une expérience délicate démarrée il y a dix ans, montre que des
chaines d’atomes peuvent se comporter comme les cordes d’un instrument de musique révélant alors :
- « une gamme de notes correspondant à des résonnances. Les deux premières notes montrent une parfaite
relation entre elles. Leurs fréquences (leurs hauteurs tonales) sont dans le rapport 1 / 1,618, lequel est celui
du nombre d’or, célèbre dans l’art et en architecture. Cela reflète les si belles propriétés du monde
quantique, à savoir une symétrie cachée. En réalité une symétrie tout à fait spéciale appelé E8 par les
mathématiciens, et ceci est sa première observation dans un échantillon de matière. »
R. COLDEA (Physicien, Oxford, "Sc.Daily", Golden Ratio Discovered in Quantum World ",7.1.2010)
Curieusement, nous retrouvons donc, en cette affaire, le fameux groupe E8 ; ce qui n’est pas si surprenant,
puisque le nombre Ф n’est pas étranger aux symétries de E8.
Le physicien Robert KONIK (Ass. Pr. Phys., Brookhaven National Lab. NY.) s’étonne à bon droit :
- « Le fait qu'un système aussi simple – consistant essentiellement en des chaînes unidimensionnelles
d’aimants [constitués d'infimes atomes]– doive exhiber une telle symétrie si complexe, est surprenant. [...]
rien qu’à regarder le système, on ne s’attendrait pas à ce que cela se produise. [...] Il est remarquable de
voir ce pan des mathématiques, plutôt exotique, apparaître dans le monde réel. » (New Scientist, 7.1.2010)
Et le commentateur de "New Scientist" de surenchérir :
- « La "plus belle" des structures mathématiques apparait pour la première fois dans un laboratoire ! »
On a donc ici une double surprise ; celle de découvrir la présence du nombre d’or au cœur de la matière,
mais aussi celle d’avoir la preuve qu’un pur objet mathématique, extrêmement sophistiqué (E8), bien avant
d’apparaître dans la pensée d’un mathématicien dépressif, existait dans la structure de l’univers physique depuis
ses débuts… (et donc, très probablement, dans la Pensée du Créateur, de toute éternité) !
• Du 2d article (Nature), il suffira d’extraire cette phrase confirmant la découverte précédente de Ф :
- « Le rapport [défini par le nombre] d'or – un nombre "magique" souvent mis en avant et prétendument
observé dans les proportions de l’architecture, de la sculpture, et de la peinture antique et moderne – a été
découvert dans un composé magnétique. » Ian AFFLECK (Pr. Phys., Univ. British Columbia. Membre de la très
select Royal Society).
► Nous sommes donc en présence de deux énigmes, qui finalement n’en font qu’une.
Admettons que les artistes grecs aient éprouvé le besoin de mathématiser l’esthétique, et qu’un nombre
voisin de 1,6 leur soit apparu intéressant. Passe encore qu’avec l’aide de pythagoriciens ayant trouvé la valeur
approchée de √5, ils soient arrivés, comme ce fut le cas, à cette valeur de 1,618 qui fut révérée dans toute
l’antiquité comme la clé transcendante de l’Harmonie et du Beau.
Or, 2500 ans plus tard – grâce à des techniques très sophistiquées (obtention de "colliers de perles" faits
d’atomes, diffusion de neutrons, maintient d’une température très proche du zéro absolu, etc.) les scientifiques
allaient redécouvrir que ce même nombre 1,618 se retrouve participer à l’harmonie de la matière en ses
structures intimes à une échelle infinitésimale !
18
Passons au groupe mathématique E8, inventé, rappelons-le, pour clarifier certaines problématiques relatives
aux équations différentielles. Le fait que sa structure puisse abriter les caractéristiques des particules atomiques
connues est déjà étonnante, mais lorsque (conjointement au nombre Ф) on le découvre expérimentalement en
laboratoire, on ne peut évacuer des questions fondamentales sur la nature : des mathématiques, de l’intuition et
de la créativité humaine, ainsi que sur le rôle des mathématiques dans la réalisation du Cosmos.
Ces deux énigmes convergent sur les mêmes questions métaphysiques auxquelles nul ne peut apporter de
réponse précise. Cependant, au terme de cette brève étude réduite à l’essentiel :
• Il est évident que les mathématiques ne sont pas "une autre forme de langage" inventé – de novo – par
l’homme. Dieu est aussi Le Mathématicien, ce qui ne retire rien à ses autres Attributs et Prééminences.
(Et, par analogie avec les mathématiques, quid de l’origine de ce langage ineffable qu’est la musique ?)
• Il est très probable que si les mathématiques permettent de décoder l’univers, c’est d’abord parce que
l’univers à été structuré (encodé) créé, en recourant aux mathématiques.
• Le sens esthétique semble indubitablement avoir une dimension cosmique, auquel cas la position du Beau,
à côté du Vrai et du Bien, n’est pas usurpée.
• Enfin, lorsque l’on constate que les "créations" des plus grands mathématiciens semblent n’être que l’accès
à des fragments de la Pensée créatrice à l’œuvre dans l’univers, on peut se demander ce qui resterait de
la créativité humaine, en mathématiques et au-delà, si l’homme n’était pas "à l’image de Dieu", et
inspiré par Lui ?
°°°°°°°°°°°°°
LES SCIENCES PHYSIQUES
« Jamais les problèmes métaphysiques
n’ont été aussi clairement posés à l’intelligence humaine...
là parmi les savants qui scrutent l’Univers et la nature...
Claude TRESMONTANT (1970)
Habitués au monde qui nous entoure, nous oublions de nous interroger, de nous renseigner, de nous étonner,
à propos de la complexité du cadre matériel de notre quotidien. Cependant, les avancées de la physique
théorique (étayées par des expériences décisives) devaient nous imposer – dès le premier tiers du XXe siècle –
de nouveaux regards sur le monde, d’où l’étonnement, voire l’émerveillement, ne peuvent plus être exclus à
moins de cultiver systématiquement l’absurde, comme SARTRE qui qualifiait ce monde de "saleté poisseuse"
(La nausée, 1938). Désormais, le "simple" monde matériel ne va plus de soi.
Pourtant, au début du XXe siècle, les plus grands physiciens croyaient la physique achevée ! Albert A.
MICHELSON (†1931, Pr. de physique, Univ. Chicago) annonçait froidement en 1894 : « Les lois et les faits
fondamentaux les plus importants des sciences physiques ont tous été découverts », et lorsque le jeune Max
PLANCK (1858-1947) – qui allait justement révolutionner la physique avec sa découverte des quanta – annonça
(vers 1880) à son éminent professeur de physique de l’université de Berlin qu’il entendait continuer dans cette
discipline, celui-ci lui répondit : « La physique est achevée jeune homme ! C’est une voie sans issue. »
Il faut se méfier des problématiques réputées achevées, ce sont les plus explosives car le point final que l’on
veut leur imposer est comme un couvercle de cocotte minute sans soupape. D’ailleurs le grand biologiste
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espagnol RAMON Y CAJAL (Nobel), pourtant contemporain des physiciens précités, savait et affirmait qu’ « Il
n’y pas de question épuisée, mais seulement des individus épuisés dans leurs questionnements ! ».
Deux coups de tonnerre allaient bouleverser la physique, ébranler puis dévaluer le "sens commun": la
découverte de la Relativité (1905-1915) puis celle de la "Mécanique quantique" (~1927+).
I – LA THÉORIE DE LA RELATIVITÉ
Introduction à l’étrange
René DESCARTES, dans son fameux Discours se félicitait de ce que, disait-il : « Le bon sens est la chose du
monde la mieux partagée. » et il l’estimait nécessaire et suffisant, pour qu’avec un peu de méthode (la sienne !)
quiconque puisse « …bien juger, et distinguer le vrai d’avec le faux. »
Dans la même optique raisonnable, voire rationaliste, le grand-père de l’auteur du "Meilleur des mondes",
Thomas HUXLEY (†1895, aïeul d’Aldous, Biologiste darwinien que son évolutionnisme réducteur conduisit à
l’athéisme) affirmait : « La science n’est rien d’autre que du bon sens formé et organisé, ne différant de ce
dernier que comme un vétéran peut différer d'une nouvelle recrue. »
Avec la découverte de la Relativité, ce qui semblait évident depuis Aristote, cette banalité quotidiennement
partagée, allait voler en éclats.
Au vu de ses propres découvertes, Albert EINSTEIN (†1955) affirmait au contraire que le fameux "bon
sens" – même si chacun entend le revendiquer – ne repose que sur un savoir rudimentaire acquis dans
l’adolescence, lequel est fort utile dans la vie quotidienne, mais totalement inadéquat pour évaluer le
fonctionnement intime de notre monde, ne serait-ce qu’au "simple" niveau physique.
La théorie de la Relativité, hâtivement médiatisée au milieu des années Vingt, dut sa popularité à cet aspect
provoquant. Le bouleversement des mœurs consécutif à la Première Guerre mondiale s’accommodait fort bien
de ce qui apparaissait, à première vue, comme un autre "chamboulement" des "années folles" affectant le savoir
et le la raison. Mais celui proposé par Einstein n’était pas un nouveau déchaînement, un débridement "d’idées
folles". Einstein ne nous dévoilait pas un tohu-bohu incohérent, mais au contraire, une savante architecture,
outrepassant notre raison tout en lui restant accessible. Il apportait une sorte d’"au-delà" de la physique
mécanicienne et somme toute un début de libération du carcan que la toute-puissance de cette dernière,
jusqu’alors incontestée, représentait pour le savant comme pour le peuple.
Les découvertes de Newton, entre autre la gravitation témoignant d’une "force d’attraction universelle"
semblaient parfaitement établies. Pourtant, Einstein corrigea la conception newtonienne en remplaçant la "force"
d’attraction universelle par une déformation de l’espace temps. Ainsi , à proprement parler, la Terre, ne
"tourne" pas autour du soleil parce que ce dernier l’attire, non, elle file "tout droit devant elle", mais dans la
déformation locale de l’espace-temps causée par la masse du soleil, le "tout droit devant " ne peut (vu les
paramètres en jeu) qu’être un mouvement orbital elliptique.
Notons qu’au vu, entre autres, de certaines anomalies gravitationnelles dont témoignent la rotation des
galaxies il a semblé raisonnable à certains physiciens d’envisager un au-delà de la relativité.
Ces soupçons ne sont pas confirmés par les travaux d’une équipe internationale ayant mesurée les énormes
effets du champ gravitationnel d’une étoile à neutrons (hyperdense) ayant pour compagnon une "naine blanche"
(Sc.Daily: Einstein's Gravity Theory Passes Toughest Test Yet, 25.4.2013). Voir la représentation du champ gravitationnel sur :
http://www.sciencedaily.com/releases/2013/04/130425142250.htm?utm_source=feedburner&utm_mediu
m=feed&utm_campaign=Feed%3A+sciencedaily+%28ScienceDaily%3A+Latest+Science+News%29.
Ces mesures constituent la vérification la plus "pointue", de la validité de la théorie gravitationnelle de la
relativité à ce jour. ("Science", v.340, 26.4.2013). De plus, la limite de la vitesse de lumière a bien été confirmée par
une équipe de Berkeley (Phys. Rev. Letters, 29.7.2013; DOI: 10.1103/PhysRevLett.111.050401).
La Relativité outragea le bon sens jusqu’au scandale. Certains faits prévus parurent tellement incroyables,
que des scientifiques patentés en niaient la possibilité. Ainsi en fut-il de la relativité du temps, illustrée par
l’exemple (théorique) du voyageur sidéral inventé par Paul LANGEVIN (†1946, Pr.au Collège de France).
Cette application de la relativité heurte tellement le sens commun, que des contemporains de Langevin,
tentèrent, non de le contredire, mais de le faire passer pour un plaisantin !
20
On peut résumer ainsi cette réalité paradoxale emblématique de la Relativité : un astronaute partant pour un
voyage dans une fusée assez puissante pour atteindre une vitesse proche de celle de la lumière pendant le
voyage aller puis lors du retour, vivrait un écoulement temporel très ralenti par rapport à celui qu’il aurait vécu
en restant sur Terre.
Ainsi, pour cet astronaute véloce, son voyage aura duré, disons, quelques années. Mais sa famille, restée sur
Terre, aura vécu un écoulement du temps non ralenti et cette séparation aurait, pour elle, duré beaucoup plus
longtemps, des dizaines d’années ! Par exemple, pour le père (en mouvement ultra rapide), son voyage aurait
duré 7 années, tandis que pour le fils (relativement "immobile"), la séparation aurait duré, par exemple, dix fois
plus longtemps. Ainsi lors de leurs retrouvailles, le père âgé de moins de 50 ans, retrouverait un fils qui aurait
déjà plus de 80 ans !
Notons bien que ces temps différents ne le sont pas subjectivement mais réellement, qu’ils soient mesurés
par des horloges locales (dans la fusée d’une part, et sur Terre d’autre part), mécaniques aussi bien
qu’atomiques, ou par le vieillissement des intéressés.
Cet exemple outrage tellement le bon sens que, comme nous l’avons déjà évoqué, lorsque Paul LANGEVIN
proposa en 1911 cette "expérience de pensée", sous une forme un peu différente (celle de deux jumeaux
vieillissant à des vitesses différentes suivant leurs dynamiques respectives), il se trouva des scientifiques
français – dont certains membres de l’Académie des sciences – pour demander avec autorité, y compris dans des
ouvrages de vulgarisation scientifique, de n’y voir qu’une mauvaise plaisanterie…
Et pourtant, en remplaçant l’astronaute et son fils, par des horloges atomiques placées dans des satellites ou
bien par des particules atomiques hyper véloces, la réalité de ce paradoxe a bel et bien été confirmée. Ainsi le
rayonnement cosmique primaire donne naissance, dans la haute atmosphère, à certaines particules (muons)
d’une durée de vie si faible (2 millionièmes de seconde) que l’on ne devrait pas pouvoir les observer aux basses
altitudes où se trouvent nos laboratoires. Or, elles le sont couramment, car leur grande vitesse "ralentit" leur
temps propre par rapport au nôtre.
Fig. 9 : LE VOYAGEUR (RELATIVISTE) DE LANGEVIN
- Sur la base spatiale, le fils retrouve son père, cosmonaute, parti depuis 70 ans.
- Après son long voyage de 7 ans vers les étoiles, le père retrouve son fils.
Question stupide : "Qui se trouve dans le fauteuil roulant, le père ou le fils ?"
Le temps de l’un n’est pas le temps de l’autre. Il n’existe pas de référentiel temporel général absolu.
Ainsi, le temps n’est pas un absolu, le temps "universel" n’existe pas ; le "point de vue de Sirius", cher à
Voltaire, n’est plus que le "point de vue" propre à Sirius ! Analogiquement, on conçoit alors que notre
représentation du temps – dans lequel nous sommes complètement immergés – ne puisse être qu’infirme, et que
la proposition de l’Écriture : "Pour Dieu mille ans sont comme un jour", n’évoque pas seulement le mystère de
l’éternité de Dieu mais aussi les paradoxes nés, non pas de l’insertion de la Création dans le temps, mais nés de
l’insertion du temps au plus intime de la structure de la Création", ceci pour rester fidèle à la géniale intuition de
St AUGUSTIN : « Ce n’est pas dans le temps, c’est avec le temps que Dieu a créé le monde. »)
21
Curieusement, cette histoire de voyage imaginaire et fantastique n’est pas sans évoquer les processus
réflexifs qui sont à l’origine de la créativité extraordinaire d’Einstein. Ses cogitations qui furent les plus
fécondes ne se fondèrent pas sur le monde des concepts et des équations, mais, grâce à l’analogie, sur celui du
ressenti de sensations imaginées liées à des "voyages" extraordinaires dans un monde peuplé d’objets réels.
Par exemple, dès l’âge de 16 ans le jeune Einstein se demandait comment il verrait le monde s’il pouvait
chevaucher un rayon de lumière et voyager à la vitesse de celle-ci. Un peu plus tard, il s’imaginera : «…sautant
d’un toit tout en laissant tomber une pierre (ce qui le conduisit à concevoir que gravité et accélération sont des
quantités relatives) ». Grégory J. FEIST (Ass. Pr. Psycho., State Univ. San Jose) qui rapporte ces faits insiste, en tant
que spécialiste de la psychologie scientifique, sur le fait que : « L’analogie est l’un des cheminements les plus
(Curr. Dir.
communs par lequel le cerveau intègre des sensations nouvelles et leur donne une signification. »
Psychol. Sc. v. 20, p. 330+, 2011)
Einstein, à l’apogée de sa carrière, prisait toujours l’analogie à des fins didactiques. Il la poussait même
parfois un peu loin en prétendant devoir être en mesure de faire comprendre la relativité du temps, même à sa
cuisinière, et il inventait des histoires où un homme passe le "même" temps, assis soit près de la femme qu’il
aime, soit sur un poêle brûlant !
Mais l’analogie ne se montre pas fructueuse dans le seul domaine de la compréhension de la Création. A
condition de bien saisir – comme le précisait Kant envisageant justement son usage dans le domaine spirituel –
qu’« …elle ne signifie pas une similarité imparfaite entre deux choses [...] mais une parfaite similarité des
relations entre deux choses très différentes... », alors il semble bien que l’analogie (et toute voie métaphorique)
puisse significativement servir à l’approche du Créateur.
Ainsi le Cardinal Joseph SIRI (†1989, Pdt. de l’Épiscopat italien et papabile) affirmait :
- « L’analogie […] apparaît comme une mystérieuse voie de communication dans l’entendement, entre le
monde créé et la réalité éternelle divine. »
(Gethsémani, p.23, 1981)
Einstein, familier de l’analogie, aurait-il pu bénéficier des deux ouvertures de cette voie intuitive, vers la
Création et vers le Créateur ? Nul ne peut le dire, mais, il est clair que, sur un plan philosophique, la pensée
d’Einstein se caractérise par un fervent respect manifesté face à l’Intelligence déployée dans la Nature.
Ainsi s’incline-t-il avec déférence devant :
- «… L’harmonie des lois de la nature, dans laquelle se dévoile une intelligence si supérieure que toutes nos
pensées humaines ne peuvent révéler, face à elle, que leur néant dérisoire. »
- « La plus belle chose que nous puissions ressentir est le mystérieux. Il est la source de toute vérité, de tout
art, de toute science. »
- « Nulle beauté ne surpasse celle du mystérieux; celui qui y reste insensible, qui ne sait plus contempler et
qui ne connaît plus ce frémissement de l'âme émerveillée, celui-là pourrait tout aussi bien être mort, il a
déjà les yeux fermés. »
("Mein Weltbild", 1931. Trad. "Comment je vois le monde", Flammarion, 1958)
Einstein réputé spinoziste, avait en ce domaine des opinions mal définies. En effet, il a écrit plusieurs fois
que l’idée d’un Dieu personnel était pour lui impensable, voire, lui semblait une conception infantile ; mais
d’autre part, certaines de ses affirmations semblent aller au delà du froid déisme, par exemple lorsqu’il exprime
que : « L'escalier de la science est l'échelle de Jacob, il ne s'achève qu'aux pieds de Dieu ».
Le Prix Nobel de physique Charles TOWNES, pense même qu’Einstein qui affirmait : « Dieu est subtil mais
il n’est pas malicieux » aurait pu partager ces paroles de Job : « Même si Dieu me tuait, je lui garderais toute
ma confiance. » ("Science et quête de sens", p.161, Pr. de la Renaissance 2005) Einstein avait, en tout cas, certainement
assez d’humilité et de sens de la transcendance pour pouvoir le dire.
Il est étonnant de constater que Sainte FAUSTINE (†1938), s’adressant au Christ, emploie quasiment cette
même formule : « Même si Tu me tues, j’aurais confiance en Toi. » !
Qui aurait pu supposer une telle similitude d’attitudes face à l’Essentiel, entre, d’une part, un génie déiste –
qui deviendra le plus célèbre scientifique de la planète – et, d’autre part, une humble sœur converse qui quitta
l’école avant dix ans et fut affectée aux cuisines de son monastère ?
Mais la transcendance divine, qui transparait dans la Crétion, élève tous ceux qui la contemplent dans
l’humilité. Au premier fut dévoilé un pan de la splendeur de la Création fruit d’une insondable Intelligence. À la
seconde fut révélée la magnificence du Créateur comme insondable Miséricorde. La première faveur est bien
petite auprès de la seconde, pourtant elle fut, chez Einstein, déjà suffisante pour le hisser jusqu’à cet
inestimable état qu’est l’esprit d’enfance – ce sommet où l’on vénère comme l’on respire.
____________
22
II – LA MÉCANIQUE QUANTIQUE
La fin du mécanicisme étriqué
Pourquoi l’expression de "mécanique" quantique a-t-elle été conservée alors que celle de Physique quantique
traduirait mieux sa portée générale ? Peut être pour se rassurer car, malgré sa précision, l’aspect du monde
probabiliste, incongru et déroutant qu’elle dévoile n’a rien d’un "mécanisme" simple, aisément compréhensible,
et rassurant.
Pour le "bon sens", dont nous sommes si fier, la découverte de la Relativité représentait déjà une rude
épreuve, mais le "pire" (et le meilleur pour notre édification et notre humilité) restait à venir. Il est significatif de
constater que lorsque les scientifiques veulent illustrer et vulgariser les découvertes de la physique (quantique)
moderne, ils empruntent fréquemment leurs illustrations aux aventures fantastiques d’"Alice au pays des
merveilles" (lesquelles, comme par hasard, ont été écrites par un mathématicien !)
Lorsque ce que l’on appela d’emblée la "mécanique quantique" surgit après le premier quart du XXe siècle,
elle fut pour la plus grande part l’œuvre d’un jeune chercheur de 26 ans : Werner HEISNBERG (†1976) qui
sera prix Nobel de physique à 31 ans.
– a) Apprendre à compter avec l’extravagance et le mystérieux
Pour bien saisir ce que, d’emblée, cette théorie (qui cependant fonctionne parfaitement) avait d’étrange, il
suffit de considérer les commentaires de l’un plus grands scientifiques de l’époque (découvreur de la structure
quantique de l’atome), propos qui ont accompagné cette révolution scientifique et conceptuelle :
- « Nous sommes bien d’accord pour convenir que votre théorie est extravagante ["crazy ~ insensée]. Mais ce
qui nous divise, c’est d’estimer si elle l’est assez [pour pouvoir être juste] ! »
(Dit à l’adresse du jeune Heisenberg venant d’exposer sa théorie lors du Congrès Solvay en 1927)
- « Si quelqu’un n'est pas pris de vertige face à la mécanique quantique, cela signifie qu’il n’en a pas
compris le premier mot. »
("Atomic Physics and Human Knowledge", 1958)
Niels BOHR (†1962, Prix Nobel de Physique)
Par exemple, le "Principe d’incertitude" de HEISENBERG prévoit que l’on ne peut pas connaitre (et surtout
prévoir), avec une précision suffisante, à la fois la position d’une particule et sa vitesse. Tout ce que l’on gagne
méthodologiquement sur un paramètre, on le perd sur l’autre. Ceci n’est pas dû à l’imperfection de nos mesures,
mais c’est une caractéristique constitutive des lois de l’Univers.
Anders S. SØRENSEN (Pr. au Niels Bohr Inst., Univ. Copenhague) affirme : « La nature elle-même ne peut pas
connaître simultanément la position et le moment [énergétique du photon]. » (Conf. Copenhague: 29.4.2012)
A dire vrai, pour les physiciens les plus en pointe dans ce type de recherche ce n’est pas tant que nous ne
pouvons connaître [en même temps et exactement] position et vitesse d’une particule, mais, bien plutôt, ces deux
paramètres n'existent pas simultanément !
Confirmant cette interprétation, Eran KOT (Physicien au même Institut Niels Bohr) précise :
- « La lumière peut avoir à la fois un champ électrique et un champ magnétique [autre exemple de propriétés
physiques complémentaires], mais pas en même temps. Nous fournissons ainsi une preuve simple qu'une
expérience brise les principes classiques [de la physique]. »
(ScienceDaily, 7.6.2012) + (Phys. Rev. Letter, v.108, 2012.)
Ce principe d’incertitude se révèle ainsi déborder les limites de nos capacités techniques, à inventorier, mais
se présente aussi comme une sorte de principe d’"inconnaissabilité". On ne pourrait donc pas obtenir de
réponses parfaitement satisfaisantes à certaines questions relatives à l’être intime de la nature.
Mais, après tout, ce principe d’incertitude peut apparaitre comme une simple infirmité supplémentaire de la
science sans grande portée philosophique ; il n’est est rien. L’astronome LAPLACE (†1827) – celui qui
présentant son " Système du Monde" à Napoléon 1er, se vantait de s’être passé de Dieu, même à titre d’hypothèse
– avait posé sur le devenir de l’univers, et sur la liberté humaine une chape de fatalité.
Résumons-la brièvement : en appliquant, dans un cadre mécaniciste et déterministe matérialiste, le principe
de causalité à toutes les particules de l’univers, il suffit de supposer que leurs positions et mouvements soient
parfaitement connus à un instant donné. Ce ne serait alors plus qu’une question de calcul pour connaître tout le
23
futur de l’univers et de ses constituants, humains y compris. Il résumait ainsi son rêve démesuré : « Donnez moi
l’état du monde, je vous donnerai son futur. »
Ce futur intégralement déterminé et inventoriable eut représenté un bien triste avenir, mais grâce à
Heisenberg on sait que nul ne peut et ne pourra jamais calculer l’"état du monde" – ni présent, ni futur – avec
une précision absolue. Le phantasme réducteur et prométhéen de Laplace qui ne voulait pas d’un Créateur (mais
se serait bien attribué certaines de ses prérogatives quant à la connaissance de l’avenir) a été, grâce à la
mécanique quantique, renvoyé aux poubelles de la science.
Il y a bien d’autres exemples, démontrant que la mécanique quantique peut être extrêmement surprenante.
Par exemple, une particule peut passer simultanément par deux trous d’un écran, proches mais distincts.
- « Personne ne peut entrer dans une chambre par plusieurs portes simultanément. Mais, en passant un
système de fentes, les électrons semblent le faire très précisément. Nul objet normal ne peut se comporter
comme ses composants élémentaires. »
(Colloque Teilhard, Rome, 19.11.2004)
Lothar SCHÄFER (Pr. Chimie-Physique quantique, Arkansas State Univ.)
Autre exemple : les particules élémentaires, possèdent une caractéristique fondamentale appelée spin (de
l’anglais "tournoyer sur soi-même") et assimilable à leur "énergie de rotation" (la direction du spin étant la
direction définie par l’axe de rotation). Le spin de l’électron joue un rôle important dans le magnétisme et c’est
sa manipulation qui permet d’obtenir les images médicales IRM (Imagerie par Résonance Magnétique).
Mais l’étonnant n’est pas là. Prenons un électron, qui (comme tous ses semblables) possède un spin de valeur
½. Nous sommes habitués à ce que n’importe quel objet (y compris tournant sur lui-même), se retrouve dans la
même position /orientation après qu’on l’ait fait tourner de 360° (un tour complet) autour d’un axe imaginaire
quelconque. Mais pour qu’un électron se retrouve exactement dans son état quantique initial, ce n’est pas un,
mais deux tours qu’il faut lui faire exécuter sui lui-même (360° x 2) .
Mieux (ou pire !), on peut démontrer, comme l’explique Jean-Paul DELAHAYE (Pr. Math., Univ. Lille)
- «…que le spin n’a pas de valeur déterminée avant qu’on le mesure : le spin se "décide" au moment de la
mesure pas avant. »
(cf. infra § b)
(in "La Logique, Belin 2012)
La multitude et l’ampleur des paradoxes que nous découvrons dans l’analyse du monde par la mécanique
quantique, est tel qu’un génie éclectique et physicien spécialiste de ces questions, Richard FEYNMAN (†1988,
Pr. au Caltech, Prix Nobel) les présentait ainsi à ses étudiants :
- « Le prix à payer pour une théorie aussi précise, est l'érosion de notre bon sens, il nous faut
accepter des comportements très étranges […], les photons qui vont plus ou moins vite que la vitesse
conventionnelle de la lumière, les électrons qui remontent le cours du temps, etc. »
("Lumière et matière : Une étrange histoire", Inter Editions, 1987)
- « Je vais vous raconter comment la nature se comporte. Mais – si vous pouvez l’éviter – n’en restez pas à
vous répéter : "Mais comment cela peut-il se faire ?", car vous serez submergé, noyé et entraîné dans une
voie sans issue dont personne encore n’a réussi à s’échapper. Personne ne sait comment cela peut se
passer ainsi. » […] « Les conceptions scientifiques aboutissent à la révérence et au mystère, se perdant à la
limite dans l’incertitude… Je crois pouvoir dire à coup sûr, que personne ne comprend la mécanique
("The Character of Physical Law", 1967)
quantique. »
►Cet aspect déconcertant de la mécanique quantique désole certains physiciens qui ne désespèrent pas à
l’aide de "variables cachées" ou autres hypothétiques artifices ou failles exploitables, de ramener la physique
quantique dans les rangs de la "rationalité". On trouve parmi ces contestataires, aussi bien des matérialistes
allergiques à tout "mystère irréductible" que quelques chrétiens entendant réserver cette catégorie au monde
spirituel. Mais cet espoir de retour à une physique plus classique paraît toujours plus infondé. Une expérience
récente conduite par d’Anton ZEILINGER (Dir. Inst. Quantum Information, Univ. Vienne) a pu « fournir la preuve
expérimentale la plus complète que le monde quantique est en conflit avec notre expérience quotidienne. »
(ScienceDaily, 15.4.2013) cf. (Nature, 2013; DOI: 10.1038/nature12012)
Il est donc légitime de considérer avec Vlatko VEDRAL (Pr. Physique, Oxford) que :
- « Pour un expert en théorie quantique, la physique classique est la version en noir et blanc d'un monde en
couleurs. Les catégories de la physique classique ne suffisent plus à saisir le monde dans sa richesse. Dans
la vision propagée par les vieux manuels, la richesse des teintes se dilue à mesure qu'augmente la taille.
Isolées, les particules seraient quantiques ; en grand nombre, elles deviendraient classiques. Cette vision est
fausse. […] Au contraire, le sentiment général est que si une théorie plus efficace remplace un jour la
physique quantique, elle montrera que le monde est encore plus contraire à l'intuition que tout ce que nous
("Living in a quantum world", Scientific American, 6.2011)
avons vu jusqu'à présent. »
L’ensemble de ces propos pourrait paraître pessimiste au vu d’un triomphe récent de la physique des
particules, où l’homme à réussi à pénétrer un peu plus avant les secrets de la matière, en comprenant ce qu’il a
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observé, et sans rencontrer d’extravagance déconcertante. Après tout le Boson de HIGGS, prévu par ce dernier
depuis un demi-siècle, n’a-t-il pas été découvert (avec une certitude de 99,9999 %) à l’été 2012 ?
Cette découverte fut presque autant médiatisée que la première bombe atomique ; mais ce n’est pas une
bombe épistémologique, qui bouleverse nos connaissances. En effet, cette particule prévue dans les années 60,
confirme le "modèle standard" de la physique atomique formulé à cette époque. Cette découverte (qui a coûté
1010 $) a certes permis d’acquérir des informations collatérales (par ex.sur l’univers à ses débuts) mais elle ne
s’est accompagnée d’aucune "surprise" conduisant à des questions imprévues et fécondes.
Certains scientifiques ne cachèrent pas leur déception ; par exemple Adam MANN de "Wired Sc. Mag" :
- «…le boson de Higgs commence à apparaître comme un peu trop ordinaire. [...] tout au long de cette quête,
les scientifiques avaient secrètement espérés que le boson de Higgs découvert, cette particule se révélerait
avoir des comportements inattendus, voire extravagants, alors qu’un boson de Higgs, bien conforme, laisse
beaucoup moins de place pour une nouvelle physique excitante…attendue.»
(Wired Sc., 2.7.2012)
Le célèbre Stephen HAWKING, laissa lui aussi filtrer la même déception (Interview BBC, 4.7.2012)
La réaction la plus désabusée est celle de Stephen WOLFRAM (Surdoué, il publia son 1er article de physique à
16 ans. Il est parfois considéré comme "l’homme le plus intelligent". Mais après une brève carrière à Princeton, il
préféra faire fortune en inventant des logiciels mathématiques sophistiqués.). Il voit bien que cet ultime vérification
du "Modèle standard", ainsi que l’achèvement de cette page du "Grand Livre de la Nature", n’est pas
l’achèvement de la physique, et qu’il faudrait tourner cette page (ce que le Boson de Higgs nous suggère sans
pouvoir le faire) mais il est sans illusions car l’on ne sait pas si le nombre de pages de ce "livre" est fini !
- « Quelque part, je suis vraiment désappointé [...] Il n’y a pas eu de véritable surprise [...] est-ce que cela
vaut encore la peine de construire des accélérateurs de particules ? »
(~ à la suite)
- « Le Modèle Standard [de la phys. des particules] ne représente certainement pas la fin de la physique. Il
comporte clairement des "trous" [gaps] …. Et nous ignorons toutes sortes de choses au vu des découvertes
en cosmologie [matière et énergie sombres, etc.]. Mais imaginons que nous puissions résoudre toutes ces
questions. Et alors ? Peut-être y aura-t-il un autre ensemble de trous et de problèmes. Et peut-être, en un
sens, y aura-t-il, toujours, une nouvelle strate de la physique à découvrir. » (stephenwolfram.com 5.7.2012)
Wolfram, en toute lucidité, ne se fait aucune illusion sur les capacités de l’intelligence humaine à épuiser la
complexité physique de l’Univers. Il décrit parfaitement notre connaissance en strates qui se superposent tout
en restant lacunaires. Nous "empilons" du savoir, mais aussi (moins visibles) nombre de "trous".
Notons enfin que la relative déception accompagnant la découverte du Boson de Higgs, tient aussi au fait
que nombre de physiciens avaient prévu que sa découverte s’accompagnerait d’éléments décisifs en faveur de
la "Théorie des cordes". Cette théorie, dont j’ai choisi de ne pas parler pour ne pas alourdir inutilement cet
article, ambitionne d’être une véritable "Théorie du Tout" permettant de clarifier tout l’univers de la physique.
Mais cette théorie est comme la Belle au bois dormant, elle est extrêmement courtisée à cause de ses vertus
prométhéennes, mais depuis des dizaines d’années personne n’a réussi à l’éveiller pour la faire passer de l’état
d’hypothèse confuse à celle de réalité lucide et fonctionnelle ! Voici 30 ans Richard FEYNMAN disait : « Les
théoriciens des cordes ne font pas de prédictions, ils font [périodiquement] des excuses ! ». La situation n’a
guère changé ; certains physiciens se moquent de sa version la plus synthétique ("M Theory"), en interprétant
"M", au mieux comme Magic, au pire comme Mud (crottée), Murky (louche), Moron (idiote) !
La Théorie M admettant plus de 10500 solutions, elle peut dont accueillir quasiment n’importe quel
résultat expérimental. Ce n’est plus une théorie c’est un tohu-bohu.
Vraisemblablement plus important que l’affaire du Boson de Higgs, et un an après sa découverte. l’étude de
la désintégration d’un méson B par Joaquim MATIAS (Ass. Pr. Phys. Théor. / Univ. Barcelone) montra des
phénomènes incompatibles avec le Modèle standard. Tout en restant prudent, J. Mathias exprime :
- « Si [nos résultats] sont confirmés [ce qui est en bonne voie], ceci représente la première preuve directe de
la Nouvelle Physique, à savoir, une théorie plus générale que le Modèle Standard actuel [...] Si le Boson de
Higgs a achevé le casse-tête du Modèle Standard, ces découvertes pourraient être la première pièce d’une
énigme encore plus grande . »
(Phys.Org., 31.7.2013) et : ( http://arXiv.org/abs/1307.5683v2 30.7.2013)
Le Modèle standard serait moribond ? Vive la "nouvelle physique" ! La montagne du savoir
incontestablement s’élève, mais c’est un gruyère. Le volume des "trous" lui aussi augmente !
– b) Quand le sujet semble nécessaire à l’existence de l’objet
Phénomène aussi étrange, et de portée métaphysique, le rôle de l’observateur s’avère essentiel en physique
quantique, et certaines réalités ne prennent corps qu’à partir du moment où on les observe.
- « Dans l’univers quantique, il est commun qu’un atome, un photon un électron, se trouve en deux lieux
différents au même moment. [Similairement…] Un atome peut tout à la fois pointer l’est et l’ouest. Et,
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lorsqu’on en fait l’expérience, on peut démontrer qu’il est erroné de supposer qu’il indique déjà une
direction ou une autre avant d’être observé par un œil humain. »
("Science et quête de sens", 2005)
William D. PHILLIPS (Prix Nobel de physique. Chrétien)
L’importance de la mesure est telle que l’un des pionniers de la physique quantique Hugh EVERETT († 1982)
disait : « Mesurer c’est faire exister un monde. » Ce qui est certain, c’est que mesurer affecte réellement les
phénomènes quantiques.
Ceci est objectivable – et de façon très spectaculaire – dans ce que l’on appelle l’effet Zénon quantique (par
analogie avec le paradoxe du philosophe grec Zénon, qui, à force de morceler l’espace-temps prétendait
suspendre tout mouvement). Cet effet se traduit par le fait que divers phénomènes quantiques – qui en l’absence
d’observations suivent une certaine évolution prévisible (ce peut être par exemple l’émission statistiquement
uniforme de particules dues à la radioactivité) – sont considérablement ralentis, voire arrêtés si l’on multiplie
les mesures-observations de façon répétée à un rythme assez soutenu !
Ce phénomène bizarre à été traduit en langage courant par Alexeï OURJOUMTSEV (Physicien, CNRS+ Univ.
Paris). Pour trouver un analogue d’un système empêché de "fonctionner" parce qu’on l’observe, il avance – non
pas dans quelque article de vulgarisation, mais dans Nature (v.456, p.880, 2008) – cette boutade :
- « Avant de bondir sur le téléphone et d’appeler un technicien pour réparer un four à microondes en panne,
il y a toujours des choses très simples que l’on devrait toujours vérifier. Mais jusqu’à présent "cessez de le
regarder" ne fait pas partie de la check liste…» Or, en mécanique quantique, cette précaution serait
légitime !
Serge HAROCHE (Nobel de physique) sur le site de son laboratoire de l’ENS précise effectivement :
- " Pour le philosophe grec Zénon d’Élée la notion de mouvement était paradoxale [...] Près de 2500 ans
plus tard, les physiciens s’inspirent de ce paradoxe pour nommer "effet Zénon quantique" le fait que des
mesures répétées à un rythme soutenu sur un système quantique gèlent son évolution. Cet effet est une
conséquence directe du postulat de la mesure en physique quantique qui stipule que chaque mesure projette
répétitivement le système observé sur son état initial sans lui laisser une chance d’évoluer."
(http://www.cqed.org/spip.php?article250, 2012)
Ce rôle, plus que privilégié, mais essentiel de l’observateur, est déconcertant. La "subjectivité", normalement
considérée comme un obstacle à l’accès au réel "en soi ", devient ici, l’élément indispensable à l’existence
manifeste d’un objet, voire – pour certains physiciens – à son existence, tout court !
Erwin SCHRÖDINGER (Nobel, † 1961) fut l’un des premiers à se poser cette conception inattendue :
- « Sans conscience l’observant, le monde aurait-il continué à jouer "devant des chaises vides", n’existant
pour personne, et ainsi – à proprement parler – n’existant pas? »
Mais n’est-ce pas là, oublier (ce qui est étonnant de la part de Schrödinger élevé dans le christianisme) le fait
que la Création est toujours "sous le regard du Créateur " qui, de toute façon, assure sa pérennité dans l’être. Le
Créateur est aussi un observateur ; la Conscience totale qu’Il a de l’Univers suffirait à conférer à l’univers son
objectivité intrinsèque. Cette Pensée de Dieu est évidemment intemporelle, Dieu ne contemple pas
"aujourd’hui" un univers qu’Il aurait créé "jadis" ! Sa pensée incessante est incessamment créatrice.
Quelle que soit la conscience participant à l’existence du monde quantique, sa nécessité est irréfutable :
- « Les physiciens ont découvert qu’il est impossible de formuler les lois de la théorie quantique, sans faire
référence à la conscience. » Eugène P. WIGNER († 1995, Nobel, "Symetries and…, Scientific Essays", 1970)
Mais revenons à la physique. On assiste ici à un véritable renversement épistémologique parfaitement précisé
par Stanley A. KLEIN (Pr. de Biophysique à Berkeley + Philo. des Sciences) qui définit la nouvelle centralité
épistémologique de l’homme :
- « La mécanique quantique a fait faire un tour complet à la révolution copernicienne, elle restaure
l’observateur comme étant au centre de l’univers. » ("Phys. quant. et valeurs humaines", Paris UNESCO, 20.5.2000)
Evidemment, ce rôle d’"observateur/actualisateur" dans lequel se retrouve l’homme, représente une centralité
autrement importante que la simple centralité géométrique qu’il s’attribuait jadis.
Ainsi le monde n’existerait pas "en soi" mais seulement pour "autrui". Il est intéressant de voir comment de
telles conceptions rejoignent les intuitions des philosophes. Ainsi à la question qu’est-ce qu’être, l’évêque et
philosophe empiriste George BERKELEY († 1753) répondait : « être perçu ou percevoir », ce qui définit assez
bien, respectivement, le monde quantique et le physicien qui l’étudie !
Toujours dans les conséquences philosophiques de cette prééminence du subjectivisme opératoire dans la
mécanique quantique, il faut savoir que cet aspect très particulier a des incidences sur le fameux problème des
rapports esprit /cerveau.
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Tout d’abord, on pourrait penser que le rôle capital de l’observateur, dans l’existence des phénomènes
physiques quantiques, l’instrumentalise et fait de l’homme et de son esprit un système physique parmi d’autres
systèmes physiques. Il n’en est rien, c’est le contraire qui est vrai :
- « Le monisme [qui identifie spirituel et matériel, et le plus souvent ramène le spirituel au matériel] dans son
acception matérialisme, [en ce qui concerne l’esprit humain], n’est pas logiquement compatible avec la
mécanique quantique actuelle. »
Eugène P. WIGNER
- « L’hypothèse que vous puissiez décrire en termes de physique la fonction entière d'un être humain [...]
incluant [ses] connaissances et [sa] conscience, n’est pas défendable. Il y a toujours quelque chose qui
manque. »
Rudolf PEIERLS († 1995, Pr. Phys. Math. Univ. Birmingham.)
Ces deux citations ont été reprises par Stephen M. BARR (Pr. Phys. Univ. Delaware) dans un article en 2012
- « Lorsque l’on a demandé à Rudolf Peierls si une machine pouvait jouer le rôle de l’" observateur", il
répondit non, en expliquant que "la description propre à la mécanique quantique se fait en termes de
connaissance et que la connaissance exige quelqu'un qui connaît, et pas une chose purement physique, mais
un esprit". »
("Big Questions Online", 10.7.2012)
Simultanément, la neuropsychologie armée des nouveaux modes d’imagerie cérébrale, des nouvelles
techniques de stimulation (transcranienne) et d’enregistrements électro-physiologiques, ne cesse de nous
présenter une image de plus en plus réductrice de l’homme pensant qu’elle entend bien ramener à un réseau
neuronal un peu plus complexe que les autres. Il y a bien des arguments opposables à ce projet, mais l’un des
plus simples et les plus radicaux peut être exprimé de la façon suivante.
La biochimie et les activités électriques du cerveau étant, en droit, réductibles à des phénomènes physiques,
les spécialistes des neurosciences peuvent se dire "physicalistes", cela fait plus évolué que "matérialiste" mais
revient quasiment au même ! Cependant vouloir ramener la pensée, la conscience, la liberté humaine à la
physique, ne peut pas constituer une authentique "explication" simplificatrice et réductrice, si la physique ellemême n’existe que par la conscience de l’observateur !
C’est ce que remarque Rupert SHELDRAKE (Pr Philo des Sc., Graduate Inst., Bethany Univ.) :
- « La propre crédibilité des physicalistes a été réduite par la physique elle-même [… En effet,] Certains
physiciens insistent sur le fait que la mécanique quantique ne peut pas être formulée sans prendre en compte
l’esprit de l’observateur. Et ils argumentent que l’esprit ne peut pas être réduit à des phénomènes physiques
puisque la physique présuppose l’esprit des physiciens. »
("Sc. Delusion", p. 10, 2012)
Tout ce que l’on peut faire alors, c’est en fait de définir une circularité, une corrélation lisible dans les deux
sens ! Mais il a bien longtemps que philosophes et théologiens savent que si le corporel agit sur l’esprit, l’esprit
agit en retour sur l’organique. Que serait un esprit réputé produit par un système physique qui n’existerait luimême que par l’esprit qu’il produit ? Un mystère de plus !
Précisons enfin que la théorie quantique, malgré ses bizarreries et de son subjectivisme reste parfaitement
consistante et fiable. Étonnamment, cette approche subjective, où la conscience humaine joue un rôle
prépondérant, fonctionne cependant parfaitement pour prévoir (à défaut de comprendre) le comportement des
structures infimes de l’univers. En effet, si la mécanique quantique ne nous fournit pas une représentation
clairement intelligible du monde physique, elle n’en permet pas moins de prévoir ce qui s’y passe avec une
fabuleuse précision.
Comme l’affirme Thierry GRANDOU (Physicien Dir. de Rech., Inst. Non Linéaire CNRS, Nice) :
« L’électrodynamique quantique, […] peut prédire le résultat d’une expérience avec une précision telle
qu’elle équivaut à l’épaisseur d’un cheveu sur la distance Paris - New York. »
(Colloque Projet Nouveau Regard, Ganagobie, 16-18.11. 2007)
Or nous avons vu précédemment combien l’importance de l’observateur était grande en mécanique
quantique, son importance est même plus que quantitative, elle est essentielle. Comment une science marquée
à ce point par l’homme en tant que sujet, peut-elle atteindre une telle précision opérationnelle ? Comment,
malgré le mystérieux et le paradoxal omniprésents et irréductibles, tout cet édifice peut-il "fonctionner" aussi
bien ?
On est ainsi conduit à admettre qu’en mécanique quantique, les qualificatifs de "subjectif" et
d’"anthropocentrique" cessent d’être uniquement dévalorisants ; ce ne sont plus seulement des infirmités, ce
sont aussi comme des prérogatives ! C’est ce que laissait entendre, Bernard d’ESPAGNAT (Pr. Phys. théorique,
Univ. Paris + philosophe) en affirmant : « Le concept de mesure en mécanique quantique est un concept
humain. » (Conf. Sorbonne, 2.6.2007)… "Humain rien qu’humain", aurait objecté Nietzsche, mais concept qui
paradoxalement se montre parfaitement opératoire lorsqu’il se confronte à la structure intime de l’Univers !
27
L’homme serait-il au sens propre – et dans une acception différente de celle du relativisme péjoratif – « la
mesure de toute chose » comme l’affirmait PROTAGORAS ? Ce dernier aurait-il, malgré-lui préfiguré cet
aspect de la mécanique quantique ?! Mais le relativisme inhérent à sa conception subjectiviste, prend ici une
tout autre dimension, qui nous rapproche au contraire de l’objectivation. Ce n’est plus l’homme qui projette sa
subjectivité sur la Nature pour y miner le fondement de toute authenticité, c’est au contraire la nature ne tant que
Création qui se montre – autant qu’il est possible, vu notre finitude – dans son authenticité à la subjectivité
humaine, laquelle cesse d’être une infirmité pour devenir comme un agent privilégié de décodage de la nature.
Ce privilège apparaîtrait alors comme nous ayant été accordé (dans les deux sens du terme) par l’Auteur, et de la
Création et de l’Homme, lesquels semblent avoir été comme formés l’un pour l’autre… et nous retrouvons ici la
forte parole de Benoît XVI donnée en exergue de ce cours !
[N.B. : Je remercie Antoine SUAREZ, Physicien et philosophe (cf. infra) pour les lumières qu’il m’a apporté sur
cette question capitale.]
►Tout ceci, qui apparaît comme une sorte d’"harmonie préétablie" est finalement aussi étonnant que –
et épistémologiquement très semblable à – l’extraordinaire concordance entre le sens de l’esthétique humaine et
la beauté des expressions mathématiques des lois de la physique (cf.ante Dirac).
D’où provient cet incroyable accord intime entre l’objet complexe qu’est l’univers physique au niveau
quantique et la subjectivité humaine lorsqu’elle se pique d’observer le réel où d’y définir le beau et le vrai ?
Nous retrouvons ici la même question que nous nous posions à l’issue du chapitre traitant des mathématiques.
– c) Distorsion et évanouissement du temps et de l’espace ?
Les premières expériences qui montèrent une curieuse distorsion du temps et de la causalité sont celles du
type "choix retardé". [Nous ne pouvons les commenter ici en détail ce qui demanderait schémas et explications
préalables longues et un peu complexes ; mais le lecteur peut en trouver le détail dans l’ouvrage "The Fabric of
the Cosmos" de Brian GREENE, trad. Robert Laffont en 2005, sous le titre "La magie du cosmos" ; voir p.228-243].
Dans ces expériences, des photons se voient proposer (pour aboutir à une même cible) une bifurcation
conduisant à deux sortes de chemins ; d’autre part, les photons conservent leur capacité de se manifester soit
comme onde, soit comme particule. Ils peuvent donc dans des "labyrinthes à bifurcation" de types variés (en
réalité des interféromètres permettant d’observer des interférences lumineuses) se "comporter" de différentes
façons, que l’on détecte de différentes manières.
Les résultats expérimentaux obtenus sont très étonnants et conduisent à se demander, comme le note Brian
GREENE (Pr. Math. + Physique, Univ. Columbia NY) : « Le passé dépend-t-il du futur ? » Si, malgré les
apparences, il lui faut finalement répondre "non", l’affaire reste pour le moins complexe et déconcertante. En
témoignent ces quelques citations de Brian Greene (pourtant surdoué puisqu’il aborda les mathématiques de niveau
universitaire à 12 ans !)
- « Tout se passe comme si les photons pouvaient ajuster leur comportement dans le passé en fonction de
notre choix futur [de les soumettre à telle ou telle détection]. Tout se passe comme si les photons avaient une
"prémonition" de la situation expérimentale qu’ils rencontreront en aval, et qu’ils adaptaient
[préventivement] leur comportement en conséquence. Tout se passe comme si un historique cohérent et défini
ne se manifestait qu’après que le futur auquel il conduit a été complètement fixé. » (p.231)
- « Comme d’habitude en mécanique quantique, le mystère n’oppose pas la théorie à l’expérience. Elle
oppose plutôt la théorie, confirmée par l’expérience, à notre conception intuitive du temps et de la réalité. »
- «… il se passe quelque chose d’ahurissant … c’est vraiment extraordinaire. » (p.239)
- « On voit que le futur aide à façonner le récit que l’on fait du passé. Ces expériences portent un coup
magistral à nos concepts conventionnels de l’espace et du temps.» (p.243)
("La magie du Cosmos", Laffont, 2005)
Évoquons enfin l’un des paradoxes les plus déconcertants de la théorie quantique. Il fut (très difficilement)
prouvé expérimentalement (à Orsay) seulement au début des années 1980 ; c’est le phénomène dit de la "nonséparabilité", observable entre deux particules "jumelles".
Par exemple, deux photons "jumeaux", nés de la même interaction entre particules, peuvent voir leurs destins
étroitement intriqués, bien qu’ils partent dans des directions opposées Si l’on met l’un des deux photons en
situation d’adopter une certaine polarisation (par ex. : verticale ou horizontale) – que nous observons comme
telle – l’autre, adoptera instantanément et spontanément, une polarisation complémentaire, quelle que soit sa
distance !
Illustrons ce paradoxe par cette citation de Lothar SCHÄFER, spécialiste de la portée de ces questions :
28
- « Des décisions prises par un chercheur dans un laboratoire [effectuer une mesure de polarisation sur l’un des
deux photons], peuvent instantanément affecter les résultats [mesure de la polarisation de l’autre photon jumeau]
obtenus par un autre chercheur dans un autre laboratoire, quelle qu’en soit la distance. »
(Conf. UIP : "Physique et biologie : vers un nouveau
au paradigme ?",
? Paris, 23.2.2004)
Et par cette autre, d’un spécialistes de l’intrication quantique (Thomas JENNEWEIN, Ass. Pr. Univ Waterloo) :
- « Il est excitant [... grâce aux progrès réalisés par son équipe dans le domaine de l’intrication quantique] d’être
finalement capable de créer, de contrôler, et d’intriquer des particules d’une façon nouvelle [... rendant]
possible d’interagir et de produire des phénomènes d’intrication avec les mémoires d’un ordinateur
quantique situé à distance… »
(Sc.Daily "… New kind of quantum entanglement…".. 14.12.2012)
14.12.2012
ère
Notons, ici encore, l’importance de l’observateur.
l’observateur Dans la 1 citation, c’est
’est parce que
qu le premier chercheur
mesure la polarisation de la particule n°1, que
qu simultanément la particulee n°2 "adopte" une polarisation
complémentaire,, que pourra constater un autre observateur situé dans un laboratoire éloigné ; et que le premier
observateur connait donc a priori.
Ainsi les deux photons semblent toujours ne faire qu’un (on parle aussi de non--localité) fussent-ils séparés
par des distances énormes. Précisons qu’il
qu’i ne s’agit pas là d’un "message" envoyé par la particule n°1 à la n°2,
ou d’une quelconque "action
action à distance"
distance voyageant dans l’espace et le temps
mps (elle devrait
de
d’ailleurs voyager à
une vitesse très supérieure à celle de la lumière pour assurer la simultanéité !), mais d’un comportement unitaire
d’un "système " binaire.. Ce système est,
est dual dans l’espace mais conserve une mystérieuse unité de
comportement indifférente à la distance entre ses deux "moitiés".
Antoine SUAREZ (Dir. "Center
Center for Quantum Philosophy", Zurich, + Physicien, Univ. Genève) qui participa à
d’étonnantes expériences de pointe en ce domaine précise :
- « Dans le domaine des phénomènes quantiques non locaux, les choses viennent à passer, mais le temps, lui,
ne semble pas s’écouler. […] Il n’y a pas d’ordre temporel derrière les évènements quantiques, quelque
chose se passe, mais le temps, lui, ne passe pas ! »
(Conférence
Conférence UIP, Sorbonne, 2.6.2007)
Notons que ce type d’expérimentation semble donner raison (du
du moins sur ce point)
point au philosophe JeanToussaint DESANTI (†2002, Pr. Univ. Paris) qui affirmait que le temps n’est pas le "contenant" du devenir ;
autrement dit, que le devenir n’implique
’implique pas nécessairement un "cadre" temporel.
Mais il est vrai que cela n’étonnera pas les chrétiens qui attendent un Devenir surnaturel
concomitant d’une éternité qui n’est
n’ aucunement réductible à un "temps" infini.
De tels phénomènes mettent à rude épreuve ce que nous croyons savoir de l’espace et du temps !
Or ces deux paramètres étant essentiels (par l’intermédiaire de relations de contigüité et de sériation
temporelle) à la définition de la causalité,
causalité celle-ci semble menacée par les étrangetés quantiques.
Cette menace s’est précisée avec des expériences réalisées sous l’égide d’un
d’un des pionniers actuels de la
mécanique quantique, Anton ZEILINGER (Pr. Phys. Théor., Univ. Vienne) qui, ayant réalisé des phénomènes
d’intrication sur des distances de 150 km, se voit obligé de conclure qu’aucune
qu
e action causale classique ne peut
être envisagée (car elle devrait "voyager"
"voyager à une vitesse bien plus grande que celle de la lumière) et
que finalement : « ... en un certain sens les phénomènes quantiques sont indépendants de l’espace et du temps. »
(Sc.Daily, "News from the world of quantum physics : A non-causal quantum eraser", 91.2013)
Cette mise en question de la causalité, au niveau des particules, s’est trouvée
confirmée, du fait d’une autre extravagance de la mécanique quantique,
quantique la notion
de "superposition d’états".
Cette notion, qui peut outrepasser le paradoxal, a été popularisée par une
expérience (évidement théorique !) inventée par Erwin SCHRÖDINGER, en
1935, et dans laquelle un chat servant de "cobaye" peut, ou non, être tué par un
mécanisme (libérant des vapeurs létales) déclenché par une désintégration
radioactive, certes probable mais imprévisible.
imprévisible Or la théorie quantique prévoit
que – tant qu’un observateur n’a pas constaté le résultat de cette expérience – le
chat doit être à la fois vivant et mort (superposition des états "vivant"/ "mort") ! Fig. 10 : Un Chat paradoxal
À la fois vivant et mort ? !
(Source Pour la Science, n°395,2010)
(Source:
Résumons rapidement ce qu’est "la superposition d’état" avec Serge HAROCHE (Pr. Collège de France) dont
les travaux sur cette question lui valurent le Prix Nobel de Physique :
- « Le principe de superposition est au cœur de la théorie quantique. Un système microscopique pouvant
exister dans plusieurs états différents peut également être dans tous ces états à la fois, pour ainsi dire
"suspendu" entre différentes réalités, ce qui conduit à des phénomènes d’interférence impossibles à
comprendre classiquement. […] »
(6e colloque : Physique et interrogations fondamentales, Paris, 15.11.2000)
29
Or, des travaux de chercheurs de l’université de Vienne et de l’UB (Bruxelles) ont démontré que l’ordre
causal entre deux évènements pouvait être en état de superposition ["superposition" de "A cause B" et de "B cause
A"] telle sorte que "l’on peut concevoir des situations dans lesquelles un évènement peut tout aussi bien être la
(Science Daily, 2.10.2012) + Publ. originale :
cause, que la conséquence d’un autre évènement" !!
("Quantum correlations with no causal order", Nature Communications 3, doi:10.1038/ncomms2076, 2.10.2012)
Mais revenons au problème de la causalité vécue. Que les philosophes et théologiens se rassurent, l’immense
nombre de particules impliquées dans les phénomènes macroscopiques ainsi que l’observation, la prise de
conscience ne peuvent que supprimer cette ambigüité et rétablir une flèche du temps classique pour les
phénomènes courants ainsi que pour la perception subjective de notre responsabilité morale.
Cependant, au niveau des mécanismes subtils qui régissent l’univers, cette double lecture (qui peut prendre
aussi la forme d’une circularité) permet de supposer que, dans certains domaines, le futur puisse aussi être
considéré comme pouvant agir sur le passé. Ceux qui n’ont pas jeté aux oubliettes la notion de cause finale
héritée d’Aristote, n’en seront pas surpris.
Au demeurant la flèche du temps n’est pas un mythe, non seulement pour la conscience humaine, mais
même à l’échelle des constituants infimes de la matière.
Théoriquement, pour une particule isolée, l’écoulement du temps peut se faire dans un sens ou dans l’autre
(par exemple, fusion ou séparation de deux particules) ce qui correspond à ce que l’on nomme "la symétrie par
renversement du temps". Mais cette loi connait des exceptions et l’expérience surnommée "BaBar", qui a
accumulé des mesures depuis plus de 10 ans, permet d’affirmer que certains processus subatomiques ont bien
une préférence quant à la direction du temps vers ce que nous nommons le futur (par ex : a+c → b sera plus
fréquent que a+c ← b).
(ScDaily, "BaBar Experiment confirm Time asymmetry", 19.11.2012)
– d) Quand la mécanique quantique se retrouve dans la vie quotidienne
Il faut d’abord tordre le cou à une conception de la mécanique quantique, que l’on sait être fausse depuis
quelques années seulement, ce que la plupart des scientifiques non physiciens n’ont pas encore intégré.
Ecoutons pour cela l’un des meilleurs spécialistes de la question : Vlatko VEDRAL (Pr. Physique, Oxford) :
- « Dans les manuels de physique, la théorie quantique décrit les particules, les atomes, les molécules, bref
le monde microscopique, mais céderait le pas à la physique classique à l'échelle des poires, des gens ou des
planètes. Il y aurait ainsi, quelque part entre la poire et la molécule, une frontière où prend fin l'étrangeté
quantique et où commence le caractère familier des comportements décrits par la physique classique. [...]
Ce cloisonnement du monde physique est un mythe. [...] la physique classique n'est qu'une approximation
utile dans un monde qui est quantique à toutes les échelles. »
- « …les physiciens multiplient les expériences où se manifestent à l'échelle macroscopique des effets
quantiques, dont on s'aperçoit qu'ils sont bien plus présents qu'on ne le soupçonnait. Ils pourraient même
jouer un rôle dans nos cellules ! [...] la frontière entre le monde classique et le monde quantique n'est pas
fondamentale, assez d'ingéniosité expérimentale suffisant à l'effacer. »
(Pour la Sc., p.22+, 9. 2011)
Malgré cela, nombreux sont les scientifique et penseurs qui objectent encore : "N’avons-nous pas, avec la
physique quantique, une simple curiosité de laboratoire n’intéressant que d’infimes particules et n’ayant rien à
voir avec notre monde macroscopique où se déroule l’évolution biologique tout comme le destin de l’humanité ?
N’est-ce pas au mieux qu’une source de cogitations pour les philosophes des Sciences ?"
Eh bien, justement non. Par exemple le phénomène d’intrication quantique que l’on croyait réservé au monde
des particules a pu être étendu par l’équipe de Nicolas GISIN (Pr. Physique Univ. Genève) d’abord à des
cristaux (en 2011) puis à des fibres optiques peuplées de 500 photons. ("Displacement of entanglement back and
forth between the micro and macro domains.", Nature Physics, 21.7.2013, DOI: 10.1038/nphys2681)
Ces chercheurs notent que "L'état d’intrication subsiste en dépit de sa transition vers le monde
macroscopique et le phénomène pourrait même être observé avec les moyens traditionnels de détection, c'est-àdire pratiquement de l'œil nu " ! (ScienceDaily, 25.7.2013)
Et Nicolas GISIN précise enfin :
- « Cette première expérience à grande échelle fraie la voie à nombre d'applications qu’offre la physique
quantiques. L'intrication au niveau macroscopique est l’un des principaux sujets de recherche dans ce
domaine et nous espérons intriquer des objets de plus en plus grands … » (ScienceDaily, 25.7.2013)
Encore plus convaincant, on sait maintenant que le phénomène d’intrication quantique intéresse au premier
plan tous les jardiniers, ainsi que tous les êtres vivants qui ont besoin de l’oxygène pour respirer !
30
On a en effet découvert, en 2010, que ce phénomène d’intrication quantique joue un rôle important dans la
photosynthèse, ce processus fondamental utilisé par les plantes (et certaines bactéries) pour transformer, grâce à
la chlorophylle, l’énergie solaire en glucides et en oxygène. C’est grâce à ce phénomène quantique que la
photosynthèse atteint un rendement supérieur à 95% alors que nos panneaux solaires, dépassent difficilement un
rendement de 15%. Dans ce dernier cas, les 3/4 de l’énergie solaire sont alors perdus sous forme de chaleur. Le
panneau solaire chauffe beaucoup tandis qu’une feuille verte, recevant la lumière du soleil, reste fraiche.
L’un des chefs de file d’une des équipes travaillant sur ces questions nouvelles nous donne un petit aperçu
de l’extravagance (pour le sens commun) et de l’efficacité des processus quantiques sous-tendant la
photosynthèse. Il explique, de façon imagée, comment les processus quantiques assurent une grande rapidité des
transferts énergétiques, et minimisent ainsi les déperditions d’énergie :
- « Analogiquement c’est comme si vous aviez trois chemins possibles pour rentrer chez vous parmi les
embouteillages des heures de pointe. Certains jours vous passez par tel itinéraire, d’autres jours vous passez
par ailleurs, mais à chaque fois vous ne passer évidemment que par un seul itinéraire, tout en ignorant si un
autre trajet eut été plus ou moins rapide. Mais en mécanique quantique, vous pouvez emprunter les trois
itinéraires simultanément [= superposition d’états, cf. supra p.26]. Mais vous ne préciser pas sur quel trajet
vous êtes jusqu’à ce que vous soyez arrivé, et là, vous choisissez l’itinéraire le plus rapide ! » [N.B. : On
retrouve ici un autre type d’exemple de "choix retardé" (cf.. p. 25) ou l’optimisation du résultat "futur" semble
déterminer un choix d’itinéraire "antérieur" !]
Gregory D. SCHOLES (Pr. nano-biophysique, Univ. Toronto)
- Et de conclure : « Il va y avoir des surprises. Qui sait ce que l’on va encore découvrir?»
(Wired, 3.2.2010)
Annexe plus technique : cohérence et décohérence, l’exemple de la photosynthèse
En mécanique quantique, la décohérence survient lorsqu’un système interagit avec son environnement
d’une façon irréversible qui interdit désormais toute superposition d’états (cf. p. 26) et ramène les diverses
possibilités physiques à une seule réalité observée.
Dans l’exemple analogique précédent des différents chemins pour rentrer chez soi, le choix du plus
court "a postériori" correspond bien à une décohérence (choix d’une seule réalité) ; mais celle-ci n’est
possible que parce qu’elle fait suite à un état de cohérence (lorsque tous les chemins coexistaient comme
possibles).
Pour que ce choix optimal a postériori soit possible, il faut donc que l’état initial de cohérence dure au
moins aussi longtemps que le trajet le plus long. Or cet état de cohérence est extrêmement fragile, la
simple agitation thermique moléculaire suffit à le détruire On estimait donc qu’il ne pouvait subsister chez
un être vivant "trop humide et trop chaud".
Cependant les bactéries vertes sulfureuses, vivant à 2000m sous la surface de l’océan (et ne pouvant se
permettre de perdre un seul des rares photons parvenant à ces profondeurs !) utilisent ce phénomène de
cohérence-décohérence et atteignent ainsi un rendement proche de 100%, en ce qui concerne la
transformation de l’énergie solaire en énergie biochimique. On note qu’effectivement les phénomènes de
cohérence y durent environ cent fois plus longtemps qu’ils ne le devraient, et pendant ce temps les
"excitons" (états excités provoqués par les photons) peuvent explorer divers cheminements (dont chaque
exciton ne "choisira" que le plus rapide qui est aussi celui pendant lequel son énergie à le moins de chance
de se dissiper).
Si ces états d’excitation en phase (en état de cohérence) durent si longtemps c’est qu’ils cheminent
(passant de molécules en molécules) dans des complexes protéiques très particuliers. En effet, les
fréquences de vibrations de ces protéines s’accordent pour rentrer en résonnance avec les ondes d’excitons
qui les parcourent. En conséquence, ces ondes, non seulement ne s’amortissent pas, mais sont activement
entretenues par les vibrations des protéines locales.
Ainsi les vibrations des molécules de protéines que tout le monde considérait comme un "bruit"
nuisible, se révèlent ici capables d’entretenir un mécanisme de transfert d’énergie très fragile et complexe.
Personne n’aurait pu imaginer que des protéines (soi-disant : "simples" fruits du "hasard et de la
nécessité") puissent si utilement non seulement permettre mais optimiser des phénomènes quantiques aussi
subtils qu’énergétiquement importants pour la vie.
(d’après Callas COFIELD)
("Proteins boost quantum coherence in bacteria", Inst. Of Physics, London. Website, physicvworld.com, 11.1.2013)
(Publication originale: "The role of non-equilibrium vibrational structures in …", Nature Phys. online, 6.1.2013)
En résumé, comme le remarque le coauteur Martin PLENIO (Pr. Phys. Quant., Imperial College, Londres) :
- « Ceci représente réellement une nouvelle façon de penser les choses. »
31
Notons aussi la portée écologique planétaire de ces mécanismes rendant (avec d’autres purement
biochimiques mais tout aussi étonnamment "intelligents") la photosynthèse si efficace. Écoutons à ce propos les
déclarations d’un spécialiste de ces questions :
Alexander RUBAN (Pr. Biochimie, Univ. de Londres) spécialiste de ces questions :
- « Si nous pouvions d’une façon ou d’une autre maitriser les capacités de ce magnifique mécanisme et
adapter ces résultats au bénéfice de l’énergie solaire, notre lutte à l’encontre du changement climatique
pourrait devenir bien plus facile. […] Si nous pouvions contrôler cette régulation et cette intelligence pour
produire de l’énergie solaire, alors l’avenir de la terre pourrait être bien plus enviable. »
("Sc.Daily", 1.6.2011, Publ. originale: "Natural light harvesting: principles …". Energy & Environm. Sc., v. 4, p. 1643, 2011)
Mais bien d’autres phénomènes quantiques, paradoxaux sont utilisés par la vie : des capacités phénoménales
d’orientation des animaux migrateurs, aux actions enzymatiques parfois "prodigieuses" puisque certains
enzymes permettent à des réactions biochimiques de se réaliser en une fraction de seconde, alors qu’en
l’absence d’enzyme, la même réaction vitale demanderait des milliers ou des millions d’années !
Dans ce dernier cas la vie instrumentalise l’"Effet tunnel", un autre effet étrange propre à la mécanique
quantique (voir Site Klinman Group, Berkeley, 6. 2011). Disons schématiquement que cet effet tunnel permet à une
particule de se retrouver de l’autre coté d’une "barrière" (de potentiel) normalement étanche, sans avoir eut à la
franchir ! C’est un peu comme un automobiliste qui, grâce à un tunnel, se retrouverait de l’autre côté d’une
montagne sans avoir eu la difficulté de passer le col. Mais l’étonnant c’est, qu’en réalité, il n’y a aucun tunnel.
C’est paradoxalement l’aspect probabiliste des rapports onde /particule qui en est l’explication.
Finalement, ce qui apparaissait comme extravagant, et même impossible, aux yeux d’Einstein – qui trouvait
dérangeantes les bizarreries de la mécanique quantique, celles de la Relativité lui suffisant largement ! – se
révèle sagesse supérieure dans le fonctionnement harmonieux de la Création.
Dans cette optique, il s’avère qu’intrications et non-localités ont leurs avantages ; cependant, si elles étaient
beaucoup plus répandues, disons qu’un minimum d’"indépendance" ferait défaut quant au degré de liberté en ce
monde. Imaginons, analogiquement, que l’humanité comporte un grand nombre de "jumeaux" et que ceux-ci
n’aient pas seulement des goûts étroitement corrélés, mais qu’ils soient obligés de faire instantanément, et
exactement, "l’action complémentaire de celle de l’autre", quelle catastrophe ce serait !
Cependant ce risque est écarté en physique car l’on a découvert que le fameux principe d’incertitude (qui est
incertitude non seulement du fait de l’observation, mais du fait de la particule elle-même) limite ces
phénomènes paradoxaux d’intrication. Comme l’expriment les scientifiques auteurs de cette découverte, dont
Stephanie WEHNER (ex hacker, passé des "tricheries" informatiques aux relations "biaisées" entre particules !) :
- « La théorie quantique semble, non seulement rendre le monde mystérieux et bizarre, mais en plus imposer
une limite à cette étrangeté du monde. »
(↕ "Surprise Link Between…", ScienceDaily, 18.11.2010)
- « La théorie quantique se montre passablement étrange, mais pas aussi étrange qu’elle pourrait être. Nous
devons vraiment nous interroger : pourquoi la mécanique quantique est-elle ainsi limitée ? »
►Ainsi, la nature pourrait nous apparaitre encore beaucoup plus étrange, mais ce n’est pas le cas.
L’étrangeté de la mécanique quantique est comme volontairement limitée, pourquoi cela ?
Nous n’avons pas de réponse scientifique évidente pour cette question ; mais pour un croyant, il est
parfaitement dans les attributs d’un Dieu Père, de faire comprendre aux hommes que ses Pensées – y compris
celles relatives à la Création – sont très au dessus des leurs, mais qu’Il ne les veut pas, pour autant,
intégralement hermétiques et étrangères à ses enfants. L’homme en est alors émerveillé et stimulé, et non pas
déconcerté, voire découragé de sonder la Création. (Cf. Citation de Philippe Boulanger in cours n°1, haut de p.29)
– e) Une nouvelle vision du monde non propice au matérialisme
L’ensemble de ces découvertes fascinantes n’empêche pas qu’il y ait encore des physiciens matérialistes,
mais leur matérialisme n’a plus rein à voir avec celui du XXe siècle où l’on cherchait à expliquer toute la
complexité de l’Univers, par l’agencement de simples particules d’une matière supposée élémentaire et "allant
de soi" et se réduisant à un "Étant-là", façon Heidegger. Maintenant, que la matière se révèle fantastique dans
son comportement, c’est à cause de ses impressionnantes propriétés (connues et non encore découvertes) qu’ils
entendent rester fidèle à un néo-matérialisme qui ressemble encore plus à une sorte de "matiériolâtrie". Mais ils
ne peuvent plus prétendre réduire et "expliquer" les énigmes du complexe par la "simple" évidence de la matière
opérant par des causalités explicites ordonnées temporellement. Alors, ils tentent d’"expliquer" la vie, l’homme,
l’esprit par une autre forme de complexité mystérieusement enfouie dans la matière, et d’où "émergerait" – nul
ne sait comment, malgré toutes les hypothèses proposées – tous les systèmes complexes.
32
Au demeurant, nombre de spécialistes de la physique, estiment que les
progrès accomplis, grâce à la théorie quantique, infirment le matérialisme.
Le premier à l’avoir exprimé fut justement Werner HEISENBERG :
- « Les atomes ne sont plus des objets matériels au sens véritable
du mot […] ; Ainsi, l’électron n’est pas complètement réel, il existe …
dans un état de puissance aristotélicienne, entre l’idée d’un objet et un
véritable objet. »
- « Ce qui importe pour l’image matérialiste de l’Univers, c’est la
possibilité de reconnaître ces infimes moellons, que sont les
particules élémentaires, comme la dernière réalité. »
- « L’ontologie matérialiste reposait sur l’illusion que la "réalité"
directe du Monde qui nous entoure pouvait s’extrapoler jusqu’à l’ordre
de grandeur de l’atome. Or cette extrapolation est impossible. »
(" Physique et Philosophie", p.165, Albin Michel, 1961)
Et ce grand scientifique finit par conclure :
Fig. 11 : Werner HEISENBERG
- « Étant une personne, je n’ai aucune chance de comprendre le monde,
si ce n’est pas aussi une personne qui s’y exprime. »
Une position analogue fut plus récemment reprise par le physicien et philosophe Antoine SUAREZ qui fut
un collaborateur de John BELL (†1990), théoricien de la mécanique quantique, où ses fameuses "inégalités"
permirent des avancées théoriques et expérimentales décisives. Le Professeur Antoine Suarez collabore avec
Nicolas GISIN pour réaliser à l’université de Genève des expériences novatrices et cruciales sur la "nonséparabilité" quantique, et il en tire différentes conclusions à portée métaphysique.
Antoine Suarez part tout d’abord d’une étonnante conséquence de la mécanique quantique qui prévoit,
derrière le moindre phénomène, une débauche d’information et de calculs. Nous avons déjà signalé la surprise
de Richard FEYNMAN (cf. cours n°1, p. 8) intrigué par le fait qu’« il faudrait à un ordinateur une infinité
d’opérations logiques pour décrire ce qui se produit dans une région finie de l’espace et dans un intervalle de
temps borné, et cela aussi petits qu’ils soient. »
Cet étonnement est partagé par Gerard ’t HOOFT (Pr. Phys. Univ. Utrecht, Nobel) qui note que pour qu’existe
l’indéterminisme observé en mécanique quantique, la "Nature" doit effectuer des calculs prodigieux (étonnant
paradoxe relatif à la structure intime de l’indéterminisme qui apparait à première vue comme un "simple flou
hasardeux" !) De plus, ce physicien s’étonne de la vitesse à laquelle ces calculs sont réalisés :
- « La Nature fait ses propres calculs bien plus rapidement qu’aucun engin fait de main d’homme à partir
d’éléments empruntés à la nature ne pourra jamais les effectuer. » (arXiv:quant-ph/0701097v1, 15.1.2007)
Comment essayer de rendre compte des phénoménales capacités de calcul de la nature ? A cette question
portant sur une réalité aussi étrange, les réponses ne pourront être que paradoxales.
On peut supposer avec les tenants du "pan-computationnalisme" (prétention de tout ramener au calcul, y
compris la pensée.) que tout est à la fois : calculant et le fruit de calculs, (génome, cerveau, etc. jusqu’à l’univers,
voire jusqu’à "dieu" !). Seth LLOYDS (Pr. d’ingénierie au Massachusetts Institute of Technology) l’exprime ainsi :
- « L’univers est un ordinateur quantique. Tout ceci amène à la question : qu’est-ce que l’univers calcule ?
Eh bien, il se calcule lui-même. [...] Après le Big-bang, les différentes parties de l’univers tentent tous les
calculs possibles. »
("Programming the Universe", Alfred A. Knopf publ., NY, 2006)
Mais cette hypothèse soulève bien des problèmes, non seulement celui de l’origine du super ordinateur et de
ses logiciels, mais aussi celui de l’intentionnalité sous-jacente nécessaire. Pour-quoi, (et éventuellement pour
Qui) un ordinateur cosmique ferait-il des calculs amenant un gain d’information, et une complexification
des différentes parties de l’Univers ? Certains matérialistes ont suggéré que l’intentionnalité nécessaire serait,
elle-même, le fruit d’un calcul ; mais on tombe alors dans une circularité qui n’est pas plus apte à atteindre un
statut explicatif, qu’une roue de moulin ne peut remonter à la source du courant qui la meut !
La réponse d’Antoine SUAREZ au paradoxe de G.’t HOOFT, n’est finalement pas plus extravagante :
- « Si "la nature calcule", c’est que des esprits font des calculs [...] [nos] expériences montrent que les
phénomènes quantiques résultent d’une énorme quantité de calculs et de décisions, que font de puissantes
intelligences voilées. [c-à-d. non scientifiquement détectables].»
(Conf. UIP, Sorbonne, 02.6.2007)
Notons qu’Antoine SUAREZ exprime aussi sa thèse audacieuse dans des revues purement scientifiques :
- « Tous ces résultats soutiennent la conception selon laquelle les distributions quantiques proviennent d'une
énorme quantité de calculs et des décisions effectuées et prises par des intelligences invisibles tenant compte
des conditions expérimentales. "Les fonctions d’onde" existent et se développent dans de tels esprits
puissants, qui n'ont pas besoin de cerveau pour savoir et agir. Par analogie, tout autant que par contraste,
33
avec les "démons" (de Laplace et de Maxwell) classiques en physique, je voudrais proposer de nommer
"anges quantiques" les intelligences non-neuronales permettant l’accomplissement des distributions
observées en mécanique quantiques. »
- « La conception "d’information quantique" suivant laquelle "ce qui fait la substance du monde, c’est
l’information", me semble finalement signifier que la réalité physique est faite de vocables que des intelligences
non-neuronales disent aux intelligences neuronales [les humains]. » (arXiv:0705.3974v1 27.05.2007)
Serait-il ridicule, pour des chrétiens, d’imaginer derrière ces « anges quantiques » des "esprits" serviteurs
voulus par le Créateur ? Pas forcément, ceci n’est pas contradictoire avec la théologie la plus classique, puisque
St THOMAS d’AQUIN considérait comme nécessaire l’influence des anges "même sur les corps
inférieurs" (Question 110, Art. 1, Rép.). Cette idée fut jugée par Jacques MARITAIN comme ne devant pas être
exclue, et plus récemment, le Directeur de la Revue Thomiste considérait cette idée comme ne pouvant être
méprisée. ("Les anges et les démons, Quatorze leçons de théologie", [Note 235], Ed. Paroles et silence, 2007).
L’hypothèse osée de A. SUAREZ, ne peut évidemment être démontrée (toujours le "test projectif" à
l’œuvre !) mais une découverte aussi inattendue qu’incongrue semble laisser la porte ouverte aux hypothétiques
"anges quantiques".
Rappelons tout d’abord ce qu’est la "Théorie des jeux", en empruntant sa définition à un commentaire de la
découverte en question :
- « La théorie des jeux - qui est utilisé aujourd'hui dans une vaste gamme de domaines –tels que l'économie,
les sciences sociales, la biologie et la philosophie – donne un cadre mathématique pour décrire une situation
de conflit ou la coopération entre des acteurs raisonnables intelligents. Le but principal est de prévoir le
résultat du processus. » (ScienceDaily, 12.7. 2013)
Toute cette problématique de confrontation de stratégies d’ "acteurs raisonnables" semble, évidemment,
complètement étrangère à la physique quantique et comportement intime de la matière
Or deux chercheurs : Noah LINDEN (Pr. Math.) et Nicolas BRUNNER (physicien quantique) (Univ. de
Bristol) ont récemment « découvert une connexion profonde et inattendue entre leurs deux domaines
d'expertise : théorie des jeux et physique quantique. » (ScienceDaily, 12.7. 2013)
Nicolas Brunner souligne l’importance de ce travail (publié dans Nature): « la découverte de tels liens, a le
potentiel nécessaire pour déclencher des progrès significatifs et ouvrir des avenues complètement nouvelles à la
recherche. »
(ScienceDaily :"Link Between Quantum Physics and Game Theory Found", 12..7.2013)
Evidemment cela n’implique pas l’existence d’"anges quantiques", mais comme le remarque Antoine
SUAREZ : cela « renforce l’idée de ce que le monde visible est gouverné par des principes non-matériels qui
agissent de l’extérieur de l’espace-temps. » (Communication personnelle, 13.7.2013)
Notons, pour ceux qui seraient intéressé par l’approche physique et métaphysique d’Antoine SUAREZ ses
interviews réalisés par Zenit à l’été 2013 : http://www.zenit.org/en/articles/is-science-compatible-with-free-willpart-1 et : http://www.zenit.org/en/articles/is-science-compatible-with-free-will-part-two
Des positions congruentes, compatibles avec le théisme se retrouvent chez d’autres physiciens :
- « Je ne conçois le monde qu’avec un créateur donc un Dieu. Pour un physicien, un seul atome est si
compliqué, si riche d’intelligence, que l’univers matérialiste n’a pas de sens. » ("…Étrange matière",1976)
Alfred KASTLER (†1984, Pr. Univ. Paris, Nobel de physique)
- « Le monde est si merveilleusement et parfaitement ordonné que je ne puis imaginer qu’il ait pu survenir
par hasard. »
Arthur SCHAWLOW (†1999, Pr. Phys. à Stanford, Nobel)
Cependant, si ces deux auteurs étaient ouvertement chrétiens, leurs semblables sont devenus rares ; vu la
déchristianisation croissante du monde occidental, leur espèce à d’abord été remplacée par de semi agnostiques
ou déiste, panthéiste, bouddhiste etc., puis l’on vit apparaître des physiciens non seulement matérialistes, mais
qui maintenant s’opposent activement à toute approche scientifique qui laisserait une place au spiritualisme.
Nous verrons que cette dernière attitude est particulièrement fréquente chez certains cosmologistes
Mais revenons à la mécanique quantique. Au vu de cet aperçu des "bizarreries" qui la parsèment, précisons
encore, que ce n’est pas seulement l’image de la matière qui doit être corrigée, mais aussi des concepts
apparemment "simples" que nous utilisons quotidiennement en oubliant leur portée métaphysique.
Ainsi la notion de "vide" doit être complètement repensée. Le vide quantique, n’est pas le néant, ce n’est pas
"rien", mais une mer de particules de "matière" et d’"antimatière" en incessantes et très éphémères, apparitions,
interactions, annihilations. Dans un tel "brouhaha" de particules, aucun système ne peut subsister à cause, non
pas d’une absence de substrat, mais d’une surabondance chaotique, antinomique d’elle-même. Toutes ces
particules "virtuelles" représentent un débordement d’énergie colossale (triple de celle identifiable dans les
structures de l’univers !). De plus ce "vide" possède une structure géométrique.
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L’un des pionniers de l’étude du "vide" Igor V. SOKOLOV (Pr. Univ. Michigan) en parle ainsi :
- « Il vaut mieux dire, après Paul Dirac, que le vide, ou rien, est en fait la combinaison de matière et
d'antimatière, autrement dit de particules et d’antiparticules. Leur densité est énorme, mais nous ne pouvons
percevoir aucune d'entre elles parce que leurs effets observables se neutralisent [mutuellement] entièrement.
»
- « La question fondamentale : qu’est-ce que le vide et qu’est-ce que rien, porte au-delà de la science. Elle
est implantée profondément à la base non seulement de la physique théorique, mais aussi de notre
perception philosophique de toute chose : de la réalité, de la vie, et affecte même la question religieuse de
savoir si le monde pourrait provenir de rien. »
("Theoretical Breakthrough: Generating Matter and Antimatter from Nothing", Sc.Daily, 23.9.2010)
Le titre de cet article laissant croire à une création de matière à partir de rien, peut induire en erreur. Il s’agit
en fait d’une expérience où, moyennant un apport d’énergie, l’on arrive à extraire des particules, de ce fameux
"vide" quantique.
Si l’on risquait une analogie entre le vide quantique et "tohu-bohu" primordial évoqué par la Bible, un
démiurge pourrait sans peine y faire apparaitre un univers comme le nôtre, en y introduisant un "biais"
favorisant les particules au détriment des antiparticules, mais aussi des lois et constantes adéquates le structurant.
Les formes du monde auraient pu être créées à partir d’une telle turbulence "informe", sorte de "proto-Création",
page vierge sur laquelle le Créateur se réservait d’écrire.
On voit, ici encore, le "test projectif univers" à l’œuvre : un matérialiste se réjouira que l’on puisse créer de
la matière à partir de ce qu’il croit être "rien" (en oubliant la nécessité des lois physiques !), tandis qu’un
chrétien pourra, sans pour autant tomber dans un concordisme désuet, s’étonner que cette bizarre allusion
biblique à un tohu-bohu (Genèse, 1-2) d’agitation et de désordre précédant la Création proprement dite, puisse
analogiquement évoquer la découverte par la science moderne de cet océan "vide" – débordant d’énergie et
fourmillant de virtualités – à partir duquel l’univers aurait pu être créé – simple coïncidence ?
Nous avions vu précédemment comment dans les expériences de "non-séparabilité et non-localité",
l’écoulement du temps (la fameuse flèche du temps) semblait étonnamment hors de propos. Il faut aussi se
rappeler les expériences où l’on fait interférer un faisceau lumineux (voire un seul photon) avec lui-même, et où
ce dernier semble se comporter différemment suivant des mesures effectuées après son "choix" éventuel entre
deux chemins possibles. Les résultats de ces expériences conduisent Brian GREENE (Pr. Phys. théor. + Math.,
Columbia Univ.), à des expressions superlatives dans son ouvrage ("La magie du cosmos") :
(pp.234-243, R. Laffont, 2005)
- « ahurissant ; vraiment extraordinaire ; complètement dément. »
Il s’étonne lui-même des conséquences philosophiques de ces faits paradoxaux :
- «…si l’on ne peut modifier quelque chose qui a déjà eu lieu, peut-on néanmoins parvenir à éliminer son
incidence sur le présent ? Jusqu’à un certain degré ce phantasme peut parfois être réalisé. » (p.235)
Notons bien qu’il s’agit d’éliminer, et non banalement de contrecarrer, les conséquences du passé !
[N.B. : Cela peut effectivement apparaître comme "dément" à un physicien agnostique, mais non pas à tous les
croyants qui espèrent d’une illumination eschatologique la "réévaluation" du mal dans leur vie.]
En définitive, le monde quantique nous offre une image si éloignée des stéréotypes matérialistes, que des
scientifiques peuvent déclarer à l’instar du physicien Lothar SCHÄFER (entre déisme et teilhardisme) :
- « Aux fondements de la réalité, nous trouvons des relations numériques – des principes non matériels – sur
lesquels est basé l’ordre du monde.»
("In Search of Divine Reality", 1997)
- « A la base des choses ordinaires on trouve des entités ayant des propriétés ressemblant à celles de l’esprit.
Il y a là une promesse de message venue du tréfonds de l’univers. […] On ne peut plus se servir de la science
pour fonder l’athéisme, c’est fini. »
(Conf. UIP, UNESCO, Paris, 20.5.2000)
Nous pouvons donc poser une question. Serait-ce à cause de ses éventuelles implications métaphysiques que
la physique quantique n’a été vulgarisée auprès du grand public qu’un bon demi-siècle après sa découverte,
alors que la Relativité le fut en une demi-douzaine d’années ? La disparité est flagrante !
Il est vrai que certains phénomènes tels la non-localité peuvent éventuellement évoquer analogiquement des
phénomènes paranormaux (par ex. : la "bilocation") avec des excès possibles dont s’effarouchent – souvent
préventivement – les rationalistes, même si très peu de physiciens spiritualistes ont suivi cette voie.
Quoi qu’il en soit, certains scientifiques posent eux-mêmes la question :
- « Peut-être reste-t-il une peur profondément enracinée que le simple fait de considérer l'idée de nonlocalité pourrait rouvrir les vannes qui nous protègent de ce qui est perçu comme des pensées irrationnelles.
Même si c'était le cas, ce ne serait pas un argument valable contre la non-localité.» (The undivided univ.,1993)
David BOHM (†1992, Pr. Philo. des Sc., Londres)
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- « La théorie quantique… ne se confond pas avec les concepts classiques. Est-ce pour cette raison qu’elle
est si peu diffusée dans l’opinion publique? Ou est-ce aussi parce qu’elle s’éloigne du positivisme primaire
qui continue à imprégner les esprits dans l’enseignement de la République ? »
(Les deux rationalismes, 2006)
André GIRARD (Physicien, Dir. de Recherches / Aérospatiale)
– f) Un apport des conceptions quantiques au christianisme ?
Et d’abord quel rapport avec la liberté, sans laquelle responsabilité et valeurs s’évanouissent ?
Nous ne pouvons ici qu’effleurer cette immense question, et sans oublier deux repères essentiels :
1° «Toute définition de la liberté [à prétention probatoire] donnera raison au déterminisme. » (BERGSON)
2° « La liberté n’est pas autre chose que la faculté de choisir entre deux obéissances. » (G. THIBON)
Rappelons que si le monde est intégralement déterministe, on se retrouve dans la situation proposé par
Laplace [Cf. ante p. 20] et la liberté – comme le pensaient tous les philosophes des "Lumières" – est un leurre (on
peut d’ailleurs se demander si leur insistance sur la liberté politique, n’est pas une forme d’épitaphe
compensatoire de feue la liberté morale !)
Le physicien Charles TOWNES (Nobel) a cru pouvoir faire un rapprochement entre l’effet Zénon quantique
(cf. p. 22) et la liberté. Cela reste évidemment conjectural, et – de toute façon – ne résoudrait pas la question de
l’essence de la liberté. Mais cette approche montre, analogiquement, comment le désir de liberté pourrait être
efficace à l’encontre de fatalités on ne peut plus naturelles. Cet effet Zénon quantique montre que, par une
extrême attention à un phénomène, on peut contrer son aspect implacable.
Si une désintégration radioactive on ne peut plus naturelle et obligatoire peut être ralentie par des mesures
répétées, il apparaît comme non inconcevable que par une extrême attention, notre prise de conscience de la
poussée incessante de nos pulsions, puisse enrayer la fatalité de celles-ci. Lorsque le Saint Padre PIO donne,
comme point numéro un de sa règle d’or de sanctification : « vivre toujours sous le regard de Dieu ! », il
propose aussi, comme essentiel, un effort incessant d’évaluation de nos sentiments et actions en fonction des
exigences divines. De plus, comment le "regard de Dieu", surtout si on Le recherche, ne pourrait-Il pas nous
aider à arrêter la dégradation, plus que probable, de notre âme laissée à ses seules forces, et nous permettre (ou
plutôt Lui permettre en nous) de repousser les assauts incessants du Mal ?
Mais la science n’est pas un cinquième Évangile ! Nous avons dûment précisé, dans le premier cours
(épistémologie) que la science, si elle indique clairement – comme l’affirmait le psychologue Carl G. JUNG –
que l’hypothèse du spiritualisme "n’est en rien plus fantastique" que celle du matérialisme (elle l’est même
nettement moins !), elle est par contre bien incapable de mener à l’adhésion au Christ et à sa Parole.
Certes, EINSTEIN en vint à confesser :
- « Je suis un juif, mais je suis captivé par la lumineuse figure du nazaréen. Le personnage de Jésus est trop
immense pour n’être que le fruit de la plume de phraseurs quelque soit leur art. Personne ne peut se
débarrasser de la chrétienté par un "bon mot". Personne ne peut lire les Évangiles sans ressentir la réelle
présence de Jésus. Les traits de sa personne palpitent dans chaque mot. Aucun mythe n’est rempli d’autant
(Saturday Evening Post, 26.10.1929)
de vie. »
Mais cette relative illumination, il la doit à la grâce de l’Évangile, et non à la Relativité !
Cependant cette dernière a pu l’aider à s’éloigner du matérialisme réducteur et à reconnaître – lors d’un
entretien avec le Père BRUCKBERGER (alors son voisin à Princeton) – que :
- « Nous ne pouvons fixer aucune limite aux virtualités de la matière. Encore moins pouvons-nous en fixer au
pouvoir de l’esprit. »
("Au diable le Père Bruck, l’Amérique 1950-1958", Plon, 1986)
La physique moderne, par toutes ses découvertes d’apparence quelque peu "magique", contraste avec la
physique à au déterminisme implacable héritée de Newton, laquelle d’emblée plut tants aux "Lumières", et à
Voltaire en particulier. La physique quantique a, selon l’expression d’un philosophe des sciences, opéré un
certain "réenchantement du monde", pour le meilleur et pour le pire (cf. cours n°1 Épistémologie, la notion de
"test projectif").
Ainsi de nombreux courants "spiritualistes exotiques" (du taoïsme au New-Âge) se sont inspirés de la
physique moderne, en extrapolant allègrement ses acquis, pour pouvoir prétendre justifier ainsi leur ésotérisme
et leurs approches gnostiques.
Devant ce danger – et aussi (dans une optique parfois trop étroitement aristotélicienne) pour conserver la
notion classique de "matière" et le pouvoir de la raison d’accéder au réel, comme nous l’avons déjà évoqué –
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quelques physiciens catholiques contestent les étrangetés de la mécanique quantique, en tentant de réduire au
maximum cette partie de la physique à des algorithmes (à des méthodes mathématiques) qui "marchent".
Mais cette position, très minoritaire, ne nous semble guère objective. Ces scientifiques se retrouvent
finalement avoir, paradoxalement, des arguments scientifiques très proches de ceux des matérialistes
rationalistes qui contestent la dimension non-matérialiste de la mécanique quantique ! Une de leurs différences
reste cependant que pour les rationalistes matérialistes le mystérieux n’est toujours qu’une illusion provisoire,
alors que pour les scientifiques catholiques "rationalistes", le mystérieux existe bel et bien, mais seulement dans
le domaine religieux. Nous sommes pourtant évidemment confrontés au "mystérieux", bien en deçà des
Mystères théologiques, et ce mystérieux, malgré l’accumulation des savoirs, est loin de s’amenuiser.
De fait, des scientifiques de premier plan, tel Étienne KLEIN (Dir. Rech. CEA + Philosophe des sciences) ne
peuvent pas ne pas remarquer combien nombre de paradoxes de la mécanique quantique évoquent des
problèmes (y compris affectifs) que nous rencontrons au-delà du "matériel". Il commente ainsi, la nonséparabilité quantique par cette analogie sentimentale : « Deux cœurs qui ont interagi dans le passé ne peuvent
plus être considérés de la même manière que s'ils ne s'étaient jamais rencontrés. Marqués à jamais par leur
rencontre, ils forment un tout inséparable. »
(Cité in M. Ouiter : "Face au chef d’œuvre", p.158, 2011)
John Stewart BELL (du CERN, †1990), l’un des plus subtils théoriciens du phénomène de "non-séparabilité",
était pour sa part fasciné par la similitude qu’il y voyait avec les vrais jumeaux, lesquels même séparés à la
naissance, et élevés dans des milieux différents, ont parfois des "destins" bizarrement similaires.
De toute évidence, l’apport de cette physique paradoxale à la foi n’est pas nul. Le Père Michal HELLER
(Philosophe des sciences, Astronome à l’Observatoire du Vatican) – répondant à une question posée jadis par Erwin
Schrödinger – exprime ainsi :
(dans: "Science et quête de sens", 2005) :
- « Qu’apporte à la religion la science contemporaine ? […] elle nous rend, plus fortement que jamais,
sensible au mystère. Dans les sciences nous rencontrons le mystère à chaque pas. »
("Science et quête de sens", p.317, Pr. de la Renaissance 2005)
Ce sens du mystère, effectivement fructueux, fut fort justement vanté par André FROSSARD :
- « L'immense supériorité de la religion sur toute autre forme de pensée tient à son sens aigu du mystère des
choses. »
("Le parti de Dieu", 1998)
► Cependant, par le mode de l’analogie (qui se révèle parfois équivaloir à une sorte de "pan-logie"), la
mécanique quantique peut nous apprendre beaucoup plus que ce que nous avons exposé ci-dessus. Elle peut,
entre-autre, nous aider à accepter dans l’humilité, et dans la lucidité, certaines vérités de foi qui semblent trop
paradoxales à notre "bon sens", voire antinomiques, et qui sont pourtant incontournables.
Charles TOWNES (Pr. de physique à Berkeley, Nobel) exprime ainsi fort pertinemment :
- « Dans le domaine de la religion, nous sommes dérangés par la souffrance qui nous entoure et son
inconsistance apparente avec le Dieu d’Amour. De tels paradoxes, [existent] en science, [or] ils ne détruisent
pas notre confiance en elle, [mais] nous rappellent que notre compréhension des choses est limitée et qu’ils
peuvent nous aider à faire de nouvelles avancées. » (retraduit de Science et quêtede sens, 2005)
Cet auteur met aussi l’accent sur l’étrange notion de complémentarité-dualité si importante en physique
quantique. Par exemple, un électron (ou tout autre particule) a une nature double, ambivalente ; il est à la fois
un corpuscule et une onde. Or ces deux caractéristiques, qui appartiennent au même objet, sont comme les deux
faces d’un même médaille ; dès que l’on appréhende la première (y compris expérimentalement), l’autre semble
s’évanouir, voire disparaitre ; et si l’on se focalise sur la seconde, alors la première nous échappe.
Or cette difficulté se rencontre fréquemment dans le domaine religieux et fut même à l’origine d’hérésies,
lorsque la "raison ", trop sûre d’elle-même, voulut trancher dans le mystère.
Évoquons quelques une de ces "médailles de la foi", dont les deux faces ne nous apparaissent "opposées",
que parce qu’elles enserrent une Vérité pluridimensionnelle qui nous dépasse :
- l’homme en tant que "primate à gros cerveau" et en tant qu’être spirituel et Enfant de Dieu ;
- l’Eucharistie, dans ses dimensions sacrificielle et festive (Banquet du Seigneur) ;
- la double Nature Divine et Humaine du Christ (que nous étudierons, ci-après);
- la Justice et la Miséricorde Divine ;
- la Sainte Trinité en tant qu’unité et pluralité.
etc.
► Revenons aussi à la déconcertante notion de "superposition d’états" illustrée par le mythique "chat de
Schrödinger" à la fois vivant et mort (cf. p.28) Si ce phénomène ne se rencontre pas dans la vie courante, il est
cependant, ici aussi, difficile de lui fixer une limite. Ce qui était "admissible" pour quelques particules devient
plus étonnant lorsque la superposition d’état est réalisée avec de très nombreux photons comme dans
l’expérience conduite par Alex LVOVSKY (Pr. Physique Univ. Calgary) et qui se résume ainsi :
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- « La percée réalisée par des physiciens quantiques de Calgary est qu'ils ont pu inventer, un état [de
superposition] quantique lumineux impliquant cent millions de photons et pouvant même être vu à l'œil nu.
Dans lequel les composantes "mort" et "vivant" "du chat" correspondent à des états quantiques qui diffèrent
(ScienceDaily, 21.7.2013)
l’un de l’autre par des dizaines de milliers de photons. »
Et Alex LVOSKY pose la question corrélative fondamentale :
- « Les lois de mécanique quantique qui dirigent le monde microscopique diffèrent grandement de la
physique classique qui règne sur les objets de grandes taille comme les êtres vivants. Le défi est de
comprendre où il faut tracer la ligne frontière et rechercher si une telle ligne existe finalement. Voilà les
questions qu’éclaire notre expérimentation. » Ce à quoi son collaborateurs Chris SIMON (Ass. Pr.) ajoute :
- «On est encore très loin de pouvoir réaliser cela avec un vrai chat, mais nos résultats suggèrent que
d’amples opportunités nous sont offertes pour progresser dans cette direction. »
(ScienceDaily, 21.7.2013)
Ainsi, la superposition d’état à cessé d’être un fantasme provocateur pour physiciens quantiques, elle est
entrée dans le domaine de la réalité et de la réalité macroscopique. Pourrait-elle jouer au niveau des mécanismes
cérébraux participant à nos décisions ? Aurait-elle des implications dans le domaine de la liberté, dans certains
états mystiques, etc. ? Rien ne l’indique actuellement, mais nul ne peut affirmer que c’est impossible.
Au minimum, la portée analogique de la superposition d’état est importante. La logique philosophique, tout
comme le bon sens commun, veut qu’un chat soit ou mort ou vivant, mais la physique quantique nous apprend
que dès le niveau – réputé basique – de la matière, certaines exigences logiques de type "ou-bien, ou-bien"
doivent parfois céder la place à des "et " plus qu’inattendus, car paradoxalement, des états apparemment
exclusifs l’un de l’autre peuvent parfois vraiment se "superposer" et coexister. La logique scientifique,
philosophique, voire théologique, peuvent-elles l’ignorer ?
Reportons nous un instant aux premiers siècles de l’Église, au Concile d’Ephèse (431) et à celui de
Calcédoine (451) qui virent le manteau du Christ être déchiré et où furent lancés des anathèmes contre ceux qui
ne pouvaient ou ne voulaient pas reconnaître dans le Christ, une seule personne dotée de deux natures : (divine
et éternelle d’une part, et humaine et acquise d’autre part) [Pour plus de détails voir, par exemple : http://livresmystiques.com/partieTEXTES/Huan/theologi.html]
Heureusement l’union s’est depuis refaite avec nombre de ces dissidents et la réunion avec les "Nestoriens"
commencée au XVIe siècle s’est poursuivie avec l’Église Assyrienne grâce au Bx Jean-Paul II. Il reste encore
quelques dissensions avec les Églises "monophysites" (censées considérer que le Christ n’a qu’une seule nature
divino-humaine), mais Pie XII reconnaissait dès 1951 que leur monophysisme était purement verbal ; de fait, les
Coptes – qui de nos jours, pour vivre leur foi, acceptent si courageusement le martyre infligé par des islamistes
– ne se posent pas de question sur l’articulation du Vrai homme et Vrai Dieu dans la personne du Christ, ils
vénèrent en Lui l’enseignement et le Sacrifice de l’Homme Jésus et la Miséricorde de Dieu le Fils en acte.
Alors, toutes proportions gardées, en considérant bien qu’outre l’infinie disparité de substance, de nature, de
niveau, etc. ; et en sachant que les deux Natures (Divine et Humaine) du Christ n’ont rien à voir avec des états
quantiques, on doit tout simplement reconnaitre qu’en ce qui concerne cette superposition de "qualités" divine et
humaine, logiquement aussi incompatibles que l’"eau" et le "feu", nous n’avons que fort peu de chances
d’arriver à une conception clairement intelligible propre à convaincre tous les humains.
En effet, si la matière peut à ce point heurter notre logique, il va de soi que la structure infiniment plus
complexe de la personne du Christ ne peut qu’appartenir au domaine, non seulement du mystérieux, mais du
Mystère, devant lequel on ne peut que s’incliner.
Les avancées les plus récentes de la mécanique quantique on ici l’avantage de nous aider à comprendre qu’il
n’est ni déraisonnable ni ridicule de nous incliner devant l’invraisemblable, un invraisemblable que nous devons
constater sans pouvoir l’expliciter. Dommage que les chrétiens des premiers siècles n’aient pas connus la
superposition d’états quantiques qui montre les limites de notre raison immédiate, certains anathèmes auraient
peut-être été évités !
► Reconsidérons enfin, encore une fois les expériences dites de "choix retardé" déjà évoquées
précédemment, et dont les résultats étonnent à juste titre le Pr. Brian GREENE qui en vient à écrire :
- « Un évènement qui a lieu des années après un autre, et à une distance considérable, se révèle néanmoins
essentiel à notre description de ce premier évènement.
Autant que l’on puisse en juger du point de vue classique (celui du sens commun), eh bien… c’est
complètement dément ! » (retraduit de "The Fabric of the universe" ; p.243 in "La magie du Cosmos", R. Laffont, 2005)
« Complètement: "dément" » ? Brian Greene est agnostique, il peut logiquement supposer que l’univers
puisse présenter des caractéristiques "démentes", fruit du hasard… Mais pour un croyant – vu la démesure de la
Pensée du Créateur par rapport à la nôtre – la Création peut nous apparaitre comme étrange, mais elle ne saurait
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être tenue pour "démente", même si elle nous apparaît parfois comme extravagante. Saint Paul nous rappelle
avec force que: « Ce qui est folie aux yeux des hommes est [ou du moins "peut" être] sagesse aux yeux de
Dieu. » Pourquoi cette divergence de perspectives, liée à notre finitude peccamineuse, et qui vaut évidemment
dans le domaine spirituel, ne pourrait-elle se retrouver aussi dans certains domaines physiques, liés aux
fondements de la Création ?
Tout en prenant bien garde à ne pas confondre le spirituel et la physique, fut elle quantique, ces dernières
expériences nous proposent un modèle très riche : "aucune histoire ne peut être racontée et prendre
définitivement Sens, tant qu’elle n’est pas achevée". Ainsi la perception (et le récit) d’une Histoire, de l’intérieur
d’elle-même, alors qu’elle court encore, ne peut qu’être déformée, voire incohérente. Le Temps est un mystère
dont la solution réside dans son seul achèvement.
Alors, analogiquement, qu’en est-il de ce que nous nous représentons comme les différents "épisodes" de la
Création et de leur articulation ? L’apparition de l’homme que la préhistoire semble nous montrer comme une
émergence laborieuse de l’animalité, peut-elle être dissociée de la Chute originelle censée être survenue "après".
D’une façon plus générale la Création peut-elle nous apparaître dans sa splendeur reconnue par le Créateur
comme bonne et même très bonne, ou seulement comme incontestablement marquée – y compris dans la
violence des phénomènes naturels et la cruauté de la vie animale – par cette catastrophe cosmique qu’est le
péché du monde ? Mais cette vision altérée de la Création ne saurait subsister la parousie venue, d’où l’attente
légitime d’une Terre et de Cieux nouveaux…Ce péché des origines, lui-même, qu’infirmes, nous expérimentons
comme nous englobant, ne somme nous pas subjectivement contraints de le percevoir – de l’intérieur même de
cette tragédie inachevée – comme n’ayant justement pas d’origine identifiable et se perdant dans les errances de
l’animalité ? D’où la dangereuse tentation de le nier, de nier la responsabilité afférente avec ses conséquences
cosmiques ? Ceux qui s’insurgent contre la souffrance humaine, et/ou s’en déchargent en récusant la Toutepuissance de Dieu ne font-ils pas qu’émettre une interjection passionnelle pauvrement locale et subjective, sans
aucune portée théologique signifiante ?
Ce n’est que l’Histoire et le Temps achevés, dans la Personne du Christ, que la Vérité se dévoilera toute
entière. LEIBNIZ définissait (avec son rationalisme fort sec) Dieu comme : « La Substance qui n’a pas de point
de vue » ; c’est cependant théologiquement acceptable. Mais c’est encore plus vrai de reconnaître que nous les
hommes n’avons que des "points de vues", pauvrement subjectifs, participant à la fondation d’une "réalité pour
nous" fatalement marquée de nos faiblesses.
Au demeurant si cette finitude nous empêche d’avoir une compréhension intégrale de la CréationRévélation-Incarnation, cette immersion dans le Mystère n’entrave ni notre dignité, ni nos efforts pour le
Royaume, puisque ces "points de vue" (tout comme en mécanique quantique) représentent aussi nos points
d’action et l’enracinement de notre efficience.
III – CONCLUSION
Un bref examen philosophique des mathématiques, nous a montré qu’elles semblent être un tissu précieux
d’inépuisables relations. Non seulement relations entres des nombres, des grandeurs, des figures, des formes,
des espaces, mais aussi entre elles-mêmes et d’autres domaines tels que la raison logique, le monde physique
dans ses arcanes les plus exquises, et aussi avec d’incomparables formes de beauté.
Devant tant de complexité, de richesse, d’harmonie, comment ne pas y voir bien plus qu’un outil où un
langage, mais une subtilité universelle préexistante, voire le signe d’une éternelle Préexistence. Cette dernière,
par le don des mathématiques nous initie à la splendeur et au mystère de tout l’Univers. Dès lors, celui-ci peut
nous apparaître – on ne peut plus logiquement et légitimement (mais non obligatoirement) – comme Création.
Le relationnel – tant logique qu’affectif – sans lequel l’homme se défait, est donc présent dès le niveau le
plus conceptuel des sciences, celui des mathématiques. Cependant si ce monde mathématique nous est
laborieusement accessible, il ne nous est pas intégralement livré. L’exploration émerveillée de cette
incommensurable symphonie, que nous n’avons pas inventée, nous ramène à notre finitude et à l’humilité.
En ce qui concerne plus précisément le lien entre mathématiques et physique, celui-ci peut apparaître comme
un précieux message en quelque sorte "réservé" à l’homme. En effet si les mathématiques étaient simplement –
en une sorte d’immanence – coextensives à l’univers physique, l’extraction des lois de ce dernier (qu’elles
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expriment) serait une tâche assez simple. Ces lois universelles pourraient être empiriquement calculées et
énoncées par un système informatique adéquat relié à des instruments de mesure opérant dans le temps.
Mais alors, NEWTON, MAXWELL ou EINSTEIN auraient-ils pu être remplacé par quelque
superordinateur ? Eh bien non, les lois mathématiques de l’univers ne peuvent être extraites de l’observation du
réel que par un sujet et non par un automate. Seule l’implication assidue de l’intelligence et de la créativité
humaine est capable d’affronter la difficulté (NP) de ces problèmes, ainsi que l’a démontré (Phys. Rev. Letters, v.108,
120503, 2012), un mathématicien au nom comme prédestiné : Toby CUBITT. [l’unité d’information en mécanique
quantique s’appelle justement le "Qubit" !]
En définitive, face aux extravagances de physique moderne, notre raison humaine sort-elle dévaluée de
cette confrontation décapante? Aucunement, puisque qu’elle a pu aller jusqu’à reconnaître ce qui la dépasse
tout en promouvant des théories qui permettent d’analyser et de prédire des comportements "déraisonnables".
Cependant, si la raison philosophique – pour autant qu’elle soit bien informée – peut articuler avec
pertinence des concepts relatifs au Cosmos, cette capacité à manipuler nos représentations de l’univers, ne peut
permettre de préjuger de la validité de concepts que seule l’exploration systématique de la réalité de l’Univers
peut nous révéler demain. L’expérience montre que de nouveaux paradigmes, imposés par l’étude scientifique
approfondie de l’"infiniment petit" et/ou de "l’infiniment grand", peuvent sembler à la raison philosophique, de
prime abord, extravagants et inacceptables.
Il s’avère ainsi, qu’au niveau de la physique fondamentale, encore plus que dans la vie quotidienne, ainsi que
l’exprimait un poète classique (Nicolas Boileau): « le vrai peut, quelquefois, n’être pas vraisemblable ».
La raison humaine reste certes un outil précieux, mais la physique moderne lui a appris, en fait lui a imposé,
l’humilité. Nous savons maintenant que, si nous devons toujours faire notre possible pour nous représenter toute
problématique en termes clairs et distincts, nous n’avons plus l’illusion cartésienne de croire qu’à son niveau
intime, la "simple" matière doive nous apparaître comme claire et distincte. Alors, comment ne pas reconnaître
comme nécessaire, comme essentielle, une importante part de mystérieux dans ce monde qui nous abrite et qui,
d’évidence, n’est pas seulement "matériel", mais porte maintes traces du spirituel !
Vu que la part de mystère est prodigieuse dans le domaine physique, elle ne peut qu’être insondable dans le
domaine spirituel et religieux. La physique quantique pourrait ainsi apprendre la prudence et l’humilité à
bien des théologiens…
Par exemple, si Rudolf BULTMANN (†1976) le spécialiste renommé de l’herméneutique protestante (qui
influença malencontreusement nombre de catholiques…), avait eu un peu de curiosité à l’égard de la physique
de son temps, il aurait compris que la "démythologisation" du monde quantique outrepassait les capacités
humaines, et a fortiori qu’il convenait d’être modeste et plus que prudent avant de prétendre "démythologiser"
l’Écriture sainte ! Cela lui aurait peut-être évité de faire allégeance au matérialisme le plus primaire, en écrivant
très imprudemment :
- « On ne peut pas utiliser la lumière électrique et la radio, se servir des instruments modernes de médecine
et de chimie pour soigner des maladies et croire en même temps au monde des esprits et des miracles du
Nouveau Testament. »
(Kerygma Und Mythos, 1955)
Quand à ses continuateurs – qui, tel le Pr. et Pasteur André MALET (†1989, ex prêtre catholique), abondent
dans le même sens : « Tout l’élément miraculeux des Évangiles n’est que mythologie » – il est maintenant
manifeste qu’ils ont une conception du vraisemblable, qui, au regard de la science même, a un siècle de retard !
Puisque nous savons maintenant que les paradoxes relatifs à la nature physique de l’univers, non seulement
n’empêchent pas, mais participent à la magnifique harmonie efficiente de la Création, et que, comme l’affirmais
LEIBNIZ : « Il n'y a guère de paradoxe sans utilité ». Alors, analogiquement, nous avons toutes les raisons de
croire que les paradoxes apparents des données de la foi, ne font que laisser transparaître l’insondable et
magnifique Transcendance du Créateur. Quoi de plus (sur) naturel : on ne saurait, y compris par la Foi,
s’approcher de Celui qui Est la Lumière, sans souffrir des scotomes propres à tout éblouissement.
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