Synthèse Jérôme Palazzolo La personnalité schizoïde Les sujets atteints d’un trouble de la personnalité schizoïde semblent froids et distants ; ils fuient les relations avec autrui. Jérôme Palazzolo, psychiatre, est professeur au D é p a rtement santé de l’Université i n t e rnationale Senghor, à Alexandrie, en Égypte, chargé de cours à l’Université de Nice-Sophia Antipolis et chercheur associé au Laboratoire d’anthropologie et de sociologie, Mémoire, identité et cognition sociale, LASMIC, à Nice. 92 L e terme « schizoïde » a été proposé par le psychiatre suisse Eu gen Bleuler (1857-1939) pour décri re une tendance à l’introspection et à l’isolement, l’absence d’expression émotionnelle, l’association contradictoire d’émoussement affectif et d’hypersensibilité, ainsi que la po u rsu i te d’intérêts vagues ou mys t é ri eux. Cette définition rejoint celle proposée par le DSM IV, la quatrième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux : la c a ract é ri s ti que essen tielle de la personnalité schizoïde est « un mode général de détachement des relations sociales et de restriction de la variété des expressions émotionnelles dans les rapports avec autrui ». En app a ren ce, les individus sch i zo ï des n’ on t pas de désir d’inti m i t é ; ils sem bl ent indifférents aux po s s i bilités de dével opper des rel ati ons avec des proch e s , et ne tirent pas be a ucoup de plaisir à app a rtenir à un groupe, qu’il s oit social ou familial. Ils pr é f è rent passer leu r temps seul plutôt qu’avec autrui, ce qui chez un ado l e s cent par exemple a ten d a n ce à inqu i é ter l ’ en toura ge . Ils vivent en ermites, s ont souven t isolés soc i a l em en t , et ch oi s i s s ent pre s que to uj o u rs des passe-temps ou des activités solitaire s qui leur perm et tent d’évi ter les interacti on s avec autru i . Ils pr é f è rent des tâches mécaniqu e s ou abstra i tes tels les jeux vi d é o, les mathématiques ou l’inform a ti qu e . Les sen s a ti ons corporelles généra l em en t considérées comme agréables (par exemple se prom en er sur une plage au coucher du soleil ou faire l’amour) ne leur proc u rent souvent qu’un plaisir limité. Ces pers onnes n’ont pas de con f ident ou d’ami, sauf parfois un parent proche. E lles semblent souvent indifférentes à l’éloge ou à la cri ti que, et ne para i s s ent pas con cernées par ce que les autres pen s ent d’elles. Généralement, elles ign orent les su btilités qui régi s s ent les interacti ons soc i a l e s , et ne réagi s s ent donc pas de façon ad a ptée aux signaux soc i a u x , que ce soit les sourires, les saluts, les expressions du vi s a ge, ou les atti tu des du corp s . Pour cet te raison, ces su j ets para i s s ent parfois ga u ches, su perf i c i els ou égocentri qu e s . Ils ont souvent une expression impavi de , qui ne laisse transpara î tre aucune émoti on , et ne répon dent que ra rem ent aux sollicitati ons soc i a l e s . Ils disent ne ressentir qu e ra rem ent des émoti ons fortes, telles que colère, joie ou ten d resse. Ils para i s s ent froids et distants. To utefoi s , dans les ra res mom ents où ils se sentent assez à l’aise pour se dévoiler, ils peuvent ad m et tre un certain mal-être, notamment dans les interacti onssoc i a l e s . Une personnalité distante et inaccessible Le nombre d’individus atteints de trouble de la personnalité schizoïde serait compris entre un et dix pour cent de la population générale, avec sans doute une prédominance chez les hommes. Cette variabilité reflète les difficultés qu’il y a à établir une définition clinique claire de ce trouble. Ce chiffre est probablement surestimé, car on ne sait pas toujours distinguer de façon nette des sujets atteints d’un trouble de la personnalité schizoïde et ceux qui présentent des troubles schizophréniques débutants. Par aill eu rs , des pers onnes d’ori gines culturelles différen tes de la nôtre pr é s en tent parfois des com portem ents défen s i fs et des types de rel a ti on à autrui qualifiés à tort de sch i zo ï de s . Par exemple, des su j ets qui ont récem m en t déménagé de la campagne vers une grande vi lle peuvent réagir par une sorte de « sidérati on émoti on n ell e » po uvant du rer plu s i eu rs m ois et se manifester par des activités solitaires, un émoussem ent des affects, voire des déficits de com mu n i c a ti on . Certains immigrants s ont parfois per ç u s , là en core à tort, comme h o s tiles ou indifféren t s . La pers onnalité sch i zo ï de pr é s en te trois s ym ptômes essen ti el s : une pauvreté des rel ati ons aux autre s , de l’affectivité et de l’ex pre ss i on émoti on n ell e . Il est fréqu ent de rel ever © Cerveau & Psycho - n° 49 janvier - février 2012 chez ces pers onnes une pauvreté des con t act s , un repli sur elles-mêmes, une solitu de marqu é e , des difficultés à lier de nouvelles rel a ti ons soc i ales. Les su j ets sont décrits comme solitaires, to u rnés sur eux-mêmes et rel a tivem ent inacce ssibles. Ces différen tes caract é ri s ti ques illu s tren t la pauvreté des rel a ti ons avec les autre s . La pauvreté de l’affectivité se manife s te par le fait que la pers onnalité sch i zo ï de est introverti e , décon n ectée de son envi ron n em ent social sans pour autant être considérée comme margi n a l e ou anti conformiste. Enfin, leur froi deur émoti on n elle s’accompagne de façon éton n a n te d’une gra n de richesse de la vie imaginaire qu i con tra s te avec cet te pauvreté affective app aren te. Leur hu m eur égale s’ accom p a gne d’une i n s en s i bilité et d’un sang-froid perm a n ents. En fait, ces su j ets en treti en n ent une certaine dist a n ce vis-à-vis des autres par peur de l’enva h i ss em en t . Ils per ç oivent les autres pers on n e s comme intru s ives, et ils redoutent l’em pri s e qu’elles po u rra i ent exercer sur eu x . D’une apparente indifférence à une vraie souffrance Cette apparente indifférence masque en fait une réelle souffrance, qu’il s’agisse d’un état de tension dû à l’obligation d’entretenir, malgré leurs réticences, des contacts sociaux ou parce que leur humeur est sombre quand ils prennent con s c i en ce de leur singularité, a l ors même qu’ils ont des aspirations conformistes. Les su j ets sch i zoïdes sont aussi ava res de leu rs é m o ti ons que de leu rs pen s é e s . Ils ont une forte ten d a n ce à la méditati on , mais éga l em ent aux pensées abstra i tes voi re herm é ti ques, non acce ss i bles à autru i . La percepti on qu’ils ont d’eu x mêmes est souvent guidée par le sen ti m en t d ’ ê tre des indivi dus à part, ce qui les con duit à se détach er des autre s . Ils pen s ent que : « Le s a utres sont to u j o u rs source de probl è m e s», « La vie serait moins com p l i quée sans les autres », « Je suis un solitaire », « Je suis différen t ». Bi en souven t , ils ad h è rent à des croya n ces mystiques ou métaphys i ques bi z a rres, et on en retrouve be a u coup dans certaines secte s . Comment évolue le trouble ? Généralement – ce qui n’est guère surprenant étant donné le tableau cl i n i que pr é s enté – l’ad a pt a ti on est mauvaise sur le plan socio-pr ofessionnel et familial. Les personnes souffrant d’une person© Cerveau & Psycho - n° 49 janvier - février 2012 Les signes de la personnalité schizoïde S elon la quatrième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, DSM IV, la personnalité schizoïde correspond à « un mode général de détachement par rapport aux relations sociales et de restriction de la variété des expressions émotionnelles dans les rapports avec autrui », qui apparaît au début de l’âge adulte et est présent dans des contextes divers. Parmi les manifestations répertoriées ci-dessous, le sujet devrait en présenter quatre pour que le diagnostic de personnalité schizoïde soit posé. • Il ne recherche ni n’apprécie les relations proches y compris avec les membres de sa famille. • Il choisit presque toujours des activités solitaires. • Il n’a que peu ou pas d’intérêt pour les relations sexuelles avec d’autres personnes, • Il n’éprouve du plaisir que dans de rares activités (sinon dans aucune). • Il n’a pas d’amis proches ni de confidents, en dehors de ses parents du premier degré. • Il semble indifférent aux éloges ou à la critique d’autrui. • Il fait preuve de froideur, de détachement, ou d’émoussement de l’affectivité. nalité schizoïde se retrouvent généralement isolées. Certains psychiatres considèrent que la personnalité schizoïde est l’une des personnalités pr é d i s posant à une sch i zophrénie ultérieure. Il n’existe aujourd’hui aucun consensus sur les causes biologiques, génétiques ou psychologiques de cette pathologie, même si un dysfonctionnement des circuits dopaminergiques est parfois évoqué. Com m ent prend-on en ch a r ge ces pati ents ? Il est ra re que le pati ent fasse lui-même une démarche pour demander à être tra i t é , car il ne s em ble pas souffrir de son état, du moins en a pp a ren ce comme nous l’avons évoqu é . En général, ce sont ses proches qui s’ i n qu i è tent de son mode de fon cti onnement, su rto ut si le trouble su rvient du rant l’ado l e s cence, une période i m port a n te pour la soc i a l i s a ti on de l’indivi du . La prise en charge vise à réduire l’isolement social et la marginalisation du sujet. Le thérapeute lui appr end à développer ses habiletés sociales, à élargir sa palette émotionnelle et à mieux décoder les émotions, les siennes et celles des autres. Les thérapies cognitives et comportementales semblent être le mode de prise en charge le plus adapté, bien qu’il soit difficile de maintenir une relat ion thérapeutique au n long cours avec ces personnes. Bibliographie J. Palazzolo, Cas cliniques en thérapies comportementales et c o g n i t i v e s, 3e édition, Masson, Coll. Pratiques en Psychothérapie, Paris, 2011. J. Palazzolo, Les thérapies c o m p o rtementales et cognitives, Manuel pratique, Éditions In Press, 2007. J. Bergeret, Les thérapies cognitives des troubles de la personnalité, Masson, 2006. J. Bergeret, La personnalité norm a l e et pathologique, Dunod, 1996. 93