6 panorama TRÉSORS CACHÉS DE L’ AMAZONIE // QUAND L’ATLANTIQUE BAIGNAIT LA CORDILLÈRE... Quel pouvait bien être le visage de l’Amazonie il y a 40 millions d’années ? À cette question longtemps restée en suspens, les chercheurs de l’Institut des sciences de l’évolution de Montpellier viennent d’apporter un nouvel élément de réponse. P De gauche à droite : Récolte de sédiments fossilifères à fleur d’eau dans une rivière d’Amazonie péruvienne Feuilles fossiles datées d’environ 34 millions d’années Prospection à flanc de paroi en pleine jungle, dans des roches datées de 8 à 5 millions d’années © Pierre-Olivier Antoine érou, dans la région de Contamana, bourgade de 10 000 âmes blottie au détour de l’un des innombrables méandres du fleuve Amazone. Un petit coin de terre apparu sur les radars en 2008 lors de la première expédition paléontologique de l’histoire dans la région. « Il s’agissait d’une terre vierge pour la recherche » raconte Pierre-Olivier Antoine, enseignant-chercheur à l’Isem et coordinateur d’un consortium d’une quarantaine de spécialistes issus de 12 pays. En cause, les conditions extrêmes et une végétation si dense que toute exploration des sols y est quasiment impossible. Sauf quand on sait où chercher. Car cette terra incognita va se révéler d’une richesse inouïe pour les paléontologues de l’UM, dont l’expertise dans la découverte de fossiles est internationalement reconnue. Au fil de 7 années ponctuées d’aller-retours entre la France et le Pérou, Pierre-Olivier Antoine et son équipe grattent sans relâche la terre pour en extraire des secrets enfouis depuis des millions d’années. Un travail de longue haleine, souvent harassant, qui va néanmoins leur permettre d’enchaîner les découvertes. « Jusqu’à il y a 11 millions d’années, toute la région située au pied des Andes était baignée dans un lac immense parsemé d’îlots. Au gré des pulsations de soulèvement des Andes et des élévations du niveau de la mer, ces lacs se confondaient parfois avec l’océan, donnant des incursions d’organismes marins en plein continent, à des endroits situés à 4 000 kilomètres de l’embouchure actuelle du fleuve ! ». Une théorie avancée depuis les années 90 et confirmée par la mise au jour en 2012 de bancs d’huitres fossilisés. Là encore une découverte capitale, mais pour Pierre-Olivier Antoine l’essentiel est peut-être ailleurs : « nous effectuons un travail de collaboration très étroit avec les populations locales, qui nous servent notamment de guides ». Un partenariat qui assure un revenu aux communautés natives et garantit aux chercheurs de pouvoir mener leurs activités en toute sécurité. Une chance aussi pour ces populations de se réapproprier l’histoire de leur terre. Un livre trilingue — espagnol, français, shipibo — est ainsi en cours de réalisation pour que tous puissent avoir accès à cette nouvelle connaissance. « Il s’agit d’une vraie coopération, basée sur l’entraide et l’intérêt mutuel. Les pièces récoltées repartent dès qu’on les a étudiées au musée de Lima, que nous contribuons à développer » détaille le chercheur de l’Isem, également impliqué dans la formation de spécialistes locaux. Comme Rodolfo Salas-Gismondi, qui termine à l’UM une thèse portant sur l’évolution des crocodiles d’Amazonie. « Il n’existe pas pour l’heure de formations de paléontologues au Pérou mais Rodolfo va pouvoir utiliser son savoir-faire pour structurer cette discipline » se réjouit Pierre-Olivier Antoine. Et continuer à défricher une terre encore loin d’avoir livré tous ses secrets. DU PATRIMOINE HISTORIQUE À LA RECHERCHE D’AUJOURD’HUI // ESPÈCES INCONNUES Des découvertes obtenues à la force du poignet et de jours passés à tamiser des tonnes de sédiments pour en extraire des fragments minuscules d’une importance colossale. Comme cette dent fossile, retrouvée au cours de leur dernière mission, qui prouve la présence de dinosaures en Amazonie. « Les seuls dinosaures connus au Pérou avaient été découverts plus au Nord dans la partie andine. Il s’agit de manière quasi-certaine d’espèces nouvelles. C’est un très gros scoop » explique le chercheur. Fortes de ces avancées, les équipes impliquées dans ces travaux sont aujourd’hui en mesure de retracer l’évolution des écosystèmes d’Amazonie sur les 70 derniers millions d’années. Une première mondiale. En assemblant les pièces de ce vaste puzzle, les scientifiques apportent un nouvel éclairage sur les origines de la biodiversité amazonienne. Conclusion : « dès le début de l’ère tertiaire, la zone présentait déjà une biodiversité exubérante ». Pour autant, le visage de l’Amazonie a connu bien des bouleversements depuis 66 millions d’années. Pas besoin de s’aventurer en Amazonie pour dénicher des trésors paléontologiques. Les chercheurs de l’Isem ont ainsi redécouvert l’an dernier sur le campus Triolet plusieurs tonnes de sédiments récoltés dans les années 80 dans une région de l’Altiplano aujourd’hui classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, et donc interdite à toute fouille. « C’est un miracle que nous disposions de ce matériel, qui représente un intérêt colossal » se félicite Pierre-Olivier Antoine. Des trésors scientifiques oubliés dans l’enceinte même de l’université ? Rien de bien surprenant, ces collections ne faisant fait l’objet d’un inventaire systématique que depuis quelques années. Un travail auquel participent activement les étudiants paléontologues-en-herbe de la Faculté des sciences, mis à contribution pour répertorier et inventorier ces collections dont beaucoup restent à découvrir. « C’est une manière de former les étudiants par la recherche et de leur donner une idée de ce que le métier implique comme travail de fourmi ». La dynamique de patrimonialisation bénéficie également aux chercheurs du monde entier, qui peuvent désormais observer, à Montpellier, spécimens uniques et autres moulages réalisés à partir de pièces renvoyées ensuite dans leur pays d’origine. Comptant près de 2 millions de spécimens, la collection de paléontologie de l’UM figure parmi plus importantes de France. La réserve de pollen fossilisé forme quant à elle l’un des ensembles les plus complets du monde. F O R U M / / U N I VE R SI TÉ DE MONT PEL L I ER / / NOVEMBRE 2 01 5