(1) Df = ^L=ì ka^-\

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LE CALCUL DIFFÉRENTIEL DANS LES CORPS
DE CARACTÉRISTIQUE p > 0.
JEAN DIEUDONNé
La théorie dont j'ai l'honneur de parler ici est le développement d'idées
que je n'ai réussi à formuler de façon précise que depuis assez peu de temps;
aussi serait-il plus juste de parler d'un embryon de théorie, et je m'excuse d'avance du caractère très incomplet des résultats obtenus jusqu'ici. Ce ne sont
pas par contre les problèmes qui manquent, et qui, comme j'espère vous en
convaincre, se présentent de la façon la plus naturelle; et s'il est vrai que les
problèmes sont la nourriture même du mathématicien, ce sera là ma justification.
1. Dérivations et semi-dérivations1). On sait que, depuis sa fondation, le
caractère formel du Calcul différentiel n'a cessé de frapper les mathématiciens,
jusqu'à en constituer à leurs yeux, à certaines époques, l'élément essentiel.
Mais ce n'est guère que depuis une cinquantaine d'années qu'il a été possible de
donner à ces idées une forme rigoureuse, grâce à l'introduction des notions de
polynôme abstrait et de série formelle. Bornons-nous au cas le plus simple;
dans l'anneau if[[X"]] des séries formelles à une indéterminée sur un corps
commutatif quelconque K, la „dérivation par rapport à X " est l'opération qui
00
à toute série formelle f(X) = S akXk, fait correspondre la série formelle
fc=0
(1)
Df =
^L=ì ka^-\
aA
k=0
et on constate immédiatement que cette opération jouit des trois propriétés
essentielles de la dérivée classique, savoir
(2)
D(f + g)=Df
+ Dg, D(Xf) = XDf pour XeK,
D(fg) = fDg + gDf.
Je ne m'étendrai pas ici sur l'extension de cette notion de „dérivation" aux
algèbres quelconques, ni sur les diverses généralisations qui en ont été introduites, et dont l'importance, dans les travaux modernes d'Algèbre, de Géométrie algébrique et de Topologie algébrique, n'a plus à être soulignée aujourd'hui.
Signalons seulement la généralisation évidente de la définition (1) aux séries
1
) Les numéros entre crochets renvoient à la bibliographie placée à la fin de ce travail.
240
formelles à un nombre quelconque d'indéterminées X^ (1 5g i <g n), avec la
propriété immédiate de permutabilité des „dérivées partielles" 3/9Xz(l^i^n),
Dans les propriétés fondamentales (2), la caractéristique du corps K
n'intervient pas. Mais elle fait son apparition dès que l'on s'occupe des „dérivées d'ordre supérieur" et de ce qu'on peut considérer comme la formule fondamentale du Calcul différentiel classique, la formule de Taylor. Si K est de
caractéristique 0, cette dernière s'établit pour les séries formelles comme dans
le cas classique, et on a donc
(3)
(kl)-1D^f(X)Y^
/(X + Y) = S
fc=0
(Y étant une seconde indéterminée). Mais si K est de caractéristique p > 0, on
a k\ = 0 pour k ^ p, et d'autre part il résulte immédiatement de (1) que l'on
a Dp = 0 (et par suite Dh = 0 pour k ^ p); autrement dit, les termes de (3)
n'ont plus de sens après celui de degré p — 1.
Mais il est clair que l'on peut toujours „développer" /(X + Y) suivant
les monômes Ylù, quelle que soit la caractéristique de K, et par suite écrire
(4)
f(X + Y) =
ÎA,J(X)Y"
fc=0
ou les Ah sont des opérateurs linéaires dans l'anneau i£[[X]] ; d'où l'idée naturelle d'étudier ces opérateurs, qui, dans le cas où la caractéristique est ^ 0,
jouent en quelque sorte le rôle des „dérivées d'ordre supérieur". Cette idée a
sans doute été introduite pour la première fois par H. Hasse, F. K. Schmidt et
O. Teichmüller ([6], [7], [9]), qui, ainsi que leurs élèves, ont commencé l'étude
des opérateurs Ah et ont cherché à s'en servir dans diverses questions d'algèbre,
On constate aussitôt, par multiplication des formules (4) pour / et g, que la
propriété fondamentale des dérivations, la troisième relation (2), est remplacée
par une „formule de Leibniz"
m
(5)
4»(te)=2^*/4»-*g;
7c=0
d'autre part, en exprimant /(X + Y -f Z) de deux manières, on a les relations
A A
(6)
àmAn =[
/M +
„
n\
A
J Am+n-
Il semble donc (et c'est le point de vue des auteurs précités) que l'on ne puisse
étudier les opérateurs Ak isolément, mais uniquement le système qu'ils forment,
avec les relations (ô) et (6) qui les relient; et on conçoit sans peine que le maniement d'un tel système présente des difficultés considérables. Mais il est
241
possible d'envisager ces opérateurs d'un autre point de vue: de même qu'en
caractéristique 0, les Ak ne sont autre que les monômes Dk/k !, on peut chercher
un „système de générateurs" des opérateurs Ak en caractéristique p. On constate aisément que, si on pose Dh = A^ (h = 0, 1, . . .,), les Dh sont de tels
oo
générateurs; et de façon précise, si m = S anph avec 0 ^ aÄ ^ p — 1 et aA = 0
à partir d'un certain rang (développement ^-adique de m), on a [3]
(?)
Am = n Ko- 1 ^».
On est donc ramené à l'étude des Dh, et on vérifie aussitôt les propriétés
suivantes de ces opérateurs: 1) restreint à l'anneau K[[XP ]] des séries formelles en Xp , Dh est une dérivation; 2) plus généralement, on a
(8)
Dh(fg) = fDtf + gDJ
pourvu que Vune au moins des séries formelles f, g appartienne à K\\XV ] ] .
L'intérêt de ces propriétés est que, contrairement à (5) et (6), elles font intervenir l'opérateur Dh individuellement, et sont par suite beaucoup plus maniables; mais elles ne déterminent pas Dh et on est donc conduit à étudier tous les
opérateurs ayant ces propriétés.
Plaçons-nous tout de suite dans l'algèbre o = K[[xlt . . ., xn]\ des séries
formelles à n indéterminées xi (1 fg i ^ n) sur un corps K de caractéristique
p > 0; on désignera par or la sous-algèbre des séries formelles en xf, . . ., x%.
Nous dirons qu'un opérateur A dans fl est une semi-dérivation de hauteur r si
A (or) C or et si l'on a
(9)
A{fg) = fAg + gAf
pourvu que l'une au moins des deux séries formelles /, g appartienne à 0T. Il est
immédiat que A(l) = 0 et que la restriction de A à or est une dérivation; la
formule de Leibniz montre alors que A s'annule dans o^. Nous dirons que A est
une semi-dérivation spéciale de hauteur / si elle s'annule dans or; toute semidérivation de hauteur r est donc une semi-dérivation spéciale de hauteur r + 1.
On vérifie aisément les propriétés suivantes:
3) Si A est une semi-dérivation de hauteur r, il en est de même deAvet de fA,
où feOr.
4) Si Av A2 sont deux semi-dérivations de hauteur r, il en est de même de
[Alt A2] = AXA2 — A2AX; en outre, \AX,A2\ est spéciale si A1 ou A2 l'est.
5) Si Av A a sont deux semi-dérivations spéciales de hauteur r, il en est de
même de AXA2 et de gA± pour toute série formelle g.
On peut encore dire que les semi-dérivations de hauteur r forment une
242
algèbre de Lie ® r sur l'anneau or, dans laquelle les semi-dérivations spéciales
forment un idéal ©,,; en outre, @r est une algèbre associative sur l'anneau 0.
Désignons en outre par DMf le coefficient de yf dans le „développement
de Taylor" de f(x1 -f ylt . . ., xn + yw), où les yt sont w indéterminées; Du est
une semi-dérivation de hauteur h, telle queD w (#f') = ôti (indice de Kronecker),
DM(x^ . . . x^f) = 0 si tous les a,,- sont < ^7l; on a DuDkj = DkjDhi quels que
soient les indices, et DfH = 0. On montre alors que le o-module @r a une base
r—1 n
formée des produits II I I Dfhf, où 0 5g A7ii <p et les XM ne sont pas tous nuls;
7i=0 <=i
et d'autre part, leor-module S),, est somme directe de © r et duor-module ayant pour
base les Dri (1 ^ i 5j n). Il est commode ici d'introduire des notations abrégées;
pour tout système a = (<xv . . ., a n ) de n entiers ^ 0, on pose xa = x^x^ . . .
oo
x*n; si aÄ- = S AÄ^A est le développement ^-adique de ae- (1 ^ i t=i n), on pose
co
n
Z)a = I l II Dfy. On dit que a est de hauteur r si r -f 1 est le plus petit entier tel
que les Xhi soient tous nuls pour h ^ r + 1, et on pose r = Ä(a). On écrit aussi
00
«
| a | = ocx + a2 + . . . + aw („degré total" dea, oude# a ), eta! = I I I I XM\, si
bien que la „formule de Taylor" prend la forme
(10)
/(% + yl9. . ., xn
+yn)=X-yaDJ.
a a!
2. Groupes de Lie formels et hyperalgèbres de Lie. Il paraît vraisemblable
que les notions introduites ci-dessus puissent avoir de nombreux usages en
algèbre; j'ai indiqué comment on est amené assez naturellement à les introduire
dans la théorie des extensions radicielles d'exposant quelconque [2]. Je vais
me borner ici à montrer comment elles servent à bâtir une théorie de Lie pour
les „groupes de Lie formels" sur un corps K de caractéristique p > 0 (voir
[4] et [5]).
Un groupe de Lie formel de dimension n (qu'il vaudrait peut-être mieux
appeler une „loi de groupe"2)) sur un corps commutatif K consiste en la donnée
de n séries formelles à coefficients dans K, sans terme constant, par rapport à
2n indéterminées, (pi(xlt . . ., xn, ylf . . ., yn), satisfaisant aux conditions
ç>(ç>(x, y), z) = ç>(x, <p(y>z))
(n)
(12)
<p(x, e) =cp(e,x)
2
=x
) Dans cette conception, il ne subsiste en effet plus rien de la notion „ensembliste"
de groupe; on ne peut même plus parler d'un „élément" du groupe, et il n'est pas question,
en général, de „substituer" des valeurs quelconques aux indéterminées x{.
243
où on a posé x = (xv . . . , xn), y = (yv . . ., yn), z = (zlf . . ., zn) fo nouvelles
indéterminées), cp = (q>v . . ., cpn) et e = (0, . . ., 0). On tire aussitôt de là que
les termes du premier degré de q?t sont xt + yi}, et qu'il existe n séries formelles
0^(x) telles que <p(x, 0(x)) = <p(0(x),x) = x (autrement dit, l'„associativité"
et l'existence d'un „élément neutre" entraînent l'existence d'un „inverse").
La loi de composition d'un groupe de Lie au sens classique, considérée dans un
voisinage de l'élément neutre, donne un exemple de groupe de Lie formel (sur
le corps des nombres réels ou des nombres complexes) ; de même, les „groupes de
Lie algébriques" au sens de Weil-Chevalley ([10], [1]), sur un corps quelconque
•K, donnent des groupes de Lie formels lorsqu'on les considère "localement",
c'est-à-dire que l'on identifie l'anneau local de la variété du groupe en l'élément
neutre avec un sous-anneau d'un anneau de séries formelles.
A partir d'un groupe de Lie formel G, on peut en déduire d'autres par le
procédé du „changement de variables": étant données n séries formelles %
(1 5^ i 5^ n) sans terme constant, dont le jacobien a un terme constant ^ 0,
on considère le système des n séries formelles cp (x, y) = u (^(ir^x), u _1 (y)))
par rapport à 2n indéterminées xlt . . ., xn, ylt . . ., yn; il est immédiat que cela
définit un nouveau groupe de Lie formel G, dont la structure n'est pas essentiellement distincte de celle de G; on dira que les n séries formelles % constituent un isomorphisme u de G sur G, et les résultats intéressants de la théorie
seront évidemment ceux qui restent invariants par tout isomorphisme.
Si on veut étudier les groupes de Lie formels sur le modèle de la théorie
classique de Lie, on est conduit à introduire les opérateurs différentiels invariants
par le groupe. Par „opérateur différentiel" au sens strict, on entend une combinaison linéaire finie S caDa, où les ca appartiennent à l'anneau o; plus géoc
néralement, si A est un o-module (par exemple un anneau de séries formelles
par rapport aux xi et à certaines autres indéterminées), un „opérateur différentiel" au sens large, à valeurs dans A, sera une somme S oJDa, où les coefficients
a
ca appartiennent à A et sont tels que la somme S caDaf ait un sens pour toute
a
série formelle / e o; on introduira en outre ici l'opérateur différentiel impropie
DQ= I (identité). Des exemples importants de tels opérateurs différentiels au
sens large sont donnés par les opérateurs de translation à gauche et à droite
dans G
(13)
Lyf = f(<p(y,x)),
BJf =
f(v{x,y))
A étant ici l'anneau des séries formelles à 2n indéterminées xi} yi} comme il
résulte aisément de la formule de Taylor et de (12). Cela étant, un opérateur
différentiel D = S caDa est dit invariant à gauche par G (ou simplement in244
variant) s'il satisfait à la relation
(14)
LyD
Un tel opérateur est entièrement
D(e), où D(e)f est la série formelle
Sc a (e)Z) a (e)/; il résulte en effet de
= DLy.
déterminé par sa „valeur à l'origine"
Df où on substitue e à x, c'est-à-dire
(14) que l'on a
(D/)(y)=.D(e)(V).
En outre, les aa = ca(e) peuvent être pris arbitrairement dans le module A,
pourvu que la sommeS« a ö a (e) ait un sens. Parmi les opérateurs invariants
a
obtenus ainsi, nous considérerons en particulier ceux dont la „valeur à l'origine"
est celle d'une semi-dérivation DM, opérateurs que nous désignerons par
Xhi (1 ^ i 5g n, 0 5g h < -f- co); ces opérateurs sont des semi-dérivations de
hauteur h, qui en général ne commutent plus entre eux; pour tout indice
a = (ocp . f ., a n ) de hauteur r, on posera
X — A^oi X*°2
Y***» X" A U
XAl»
X**
X*™
(les notations étant celles du no 2); on notera qu'en général, la „valeur à
l'origine" X a (e) est distincte de Da(e) si X a n'est pas l'un des XM. Cela étant, on
montre que le o-module © r a une base formée des X a où h(<x) < r, et que le
Or-module ® r est somme directe de @r et du Démodule ayant pour base les Xri
(1 ^,i<^n).
E n outre pour qu'un opérateur différentiel (au sens large)
S c a X a , où les c a sont des séries formelles par rapport aux xi (et éventuellement à
a
d'autres indéterminées) soit invariant, il faut et il suffit que les ca ne contiennent
pas les x€. E n particulier, considérons l'ensemble ® des opérateurs différentiels
(au sens strict) invariants S eaDa, où les ca sont danso; cet ensemble est évidemoc
ment une algèbre associative sur K, que nous appellerons Yhyperalgèbre de Lie
de G; elle admet pour base sur K l'ensemble des X a . De façon plus précise,
8 r = S f O g est une p-algèbre de Lie*) (pour l'opération [X, Y] =
XY-YX)
formée des semi-dérivations invariantes de hauteur r, dans laquelle ê r = @r O ©
est un idéal, qui est aussi une sous-algèbre associative de ©, formée des semfcdérivations spéciales invariantes (de hauteur r), et qu'on peut identifier à
l'algèbre enveloppante de l'algèbre de Lie Q^, les X a de hauteur h(a) <r forment
une base de 8r sur K, et g r est somme directe de 3 r et du sous-espace vectoriel
ayant pour base (sur K) les Xri (1 5g i 5g w) ; g0 n'est autre que l'algèbre de Lie
(au sens usuel) du groupe G, formée des dérivations
invariantes.
La condition d'associativité (11) peut s'écrire LyRz = RzLy, et signifie donc
que Rx est un opérateur différentiel invariant à gauche. On en conclut que, pour
3
) „Restricted Lie algebra of characteristic p" dans la terminologie de Jacobson [8].
245
toute série formelle feO, on a la „formule de Taylor" dans le groupe G
(15)
/( P (x,y)) = S P 8 ( y ) I j
a
où les P a sont des séries formelles par rapport aux yi seuls, dont le terme de plus
bas degré total est de degré | a | (P 0 = 1). On démontre que toute relation
2c a P a (x) = 0, où les ca ne contiennent pas les xif entraîne ca = 0 pour tout a
a
(„indépendance linéaire" au sens fort des P a ).
Pour tout couple d'indices a, ß, on peut écrire
(16)
XaXß =
-Zc^Xr
Y
où les constantes de structure caßy eK définissent complètement la structure
de l'algèbre associative ®.
Il est clair que ces constantes ne sont pas indépendantes, et sont entièrement déterminées lorsqu'on connaît l'expression: 1° des crochets [XM, Xkj]
(k ^ h) comme combinaisons linéaires des X a appartenant à gA si h = k,
à êA si k < h; 2° des puissances X^. comme combinaisons linéaires des X a
appartenant à gÄ.
Ces constantes sont liées à la loi de groupe par les deux formules fondamentales
(17)
Py(<p(x,y)) =
(18)
XßPa
ZlcaßyPa(x)Pß(y)
=
I,cvßaPr
Y
On notera aussi que l'on a
(19)
X a (e)P j8 = oaß (indice de Kronecker)
et en particulier que, dans la série formelle P a (x), il n'y a pas de terme en xf ,
sauf si a = phej} en désignant par eó l'indice (0, . . ., 0, 1, 0, . . . 0) où le 1 est
à la /-erne place.
On montre que pour que G soit abélien il faut et il suffit que l'algèbre ® soit
commutative. La structure de © est alors entièrement déterminée par l'expression des X^.. Par exemple pour le groupe additif (n = 1) de loi
(xyy) ->x + y
on a Xh = Dh, X^ = 0 pour tout h (on supprime ici l'indice i = 1); pour le
groupe multiplicatif (n =. 1), de loi
(x,y) ^x
vh
+ y + xy
on a Xh = (1 + x )Dh, et X\ = Xh pour tout h. Pour le „second groupe
additif de Witt" de dimension n = 2, défini par
246
\<Pi{x>y) = *i + yi
p_t
U(x, y) = x2 + y a - S (- Ifxlyl^ik
on a les relations
On notera que l'algèbre de Lie g0 peut par contre être abélienne sans que le
groupe G soit abélien 4 ).
Il n'est peut-être pas sans intérêt de remarquer que la théorie des groupes
de Lie formels sur un corps de caractéristique 0 peut être présentée de façon
exactement analogue, mais que dans ce cas l'algèbre ® est engendrée par
l'algèbre de Lie g0, d'où le caractère beaucoup plus simple de la théorie.
3. Homomorphismes et sous-groupes. Soient G et G deux groupes de Lie
formels, de dimensions n et m respectivement, et soient ç?(x, y), ip(x, y) leurs
lois de composition respectives. Par définition, un „homomorphisme" de G
dans G est un système u = (ux, . . ., um) de m séries formelles en x = (%, . . ., xn)
telles que l'on ait les m relations ^(u(x), u(y)) = u(cp(x, y)). A partir d'un tel
homomorphisme, on définit un homomorphisme u' de l'hyper algèbre de G dans
celle de G, dit dérivé de u, de la façon suivante: à toute semi-dérivation invariante X e ©, on fait correspondre la semi-dérivation invariante X = u'(X)
dont la „valeur à l'origine" est, pour une série formelle/par rapport au système
x = (xlt . . ., xm) d'indéterminées, le terme constant de la série formelle X(/ 0 u).
On démontre que l'on a
(20)
/(u(x)) = S P , ( x ) . ( u ' ( Z , ) ( è ) ) /
a
et par suite que la donnée de u' détermine complètement l'homomorphisme u;
en outre, si
(21)
! ! ' ( * „ ) = 2 «„»X,
A
on a
(22)
jP1(»(x))=SariP„(x).
a
Il est immédiat, par ailleurs, que u' transforme une semi-dérivation invariante
4
) Par suite d'une erreur de transcription, l'exemple de groupe pour lequel se présente
ce phénomène, dû à Chevalley, a été remplacé dans [4, no 11] par un groupe dont l'algèbre
de Lie n'est pas abélienne; ce passage doit être rectifié comme suit. La loi de groupe est
(*i > *•) (yi > y*) = (*i + Vi + *i7i * *• + y2 + *Jy»)
ce qui donne
X M = (i + *i)A>i.
* o 2 = (i + *»)A»
* u = U + *f)-Dii. * » = (1 + *?)Di*
s'où [X01, Xoz] = 0,
mais [X11L , A"02] = J^02.
247
de hauteur r (resp. une semi-dérivation spéciale invariante de hauteur r) en
une semi-dérivation de même nature.
Toutefois, on se heurte ici au premier des problèmes non résolus, et qui
n'ont pas d'analogue dans la théorie classique; toutes les conditions nécessaires
précédantes, même jointes à d'autres conditions qui seront indiquées plus loin,
ne sont pas suffisantes pour qu'un homomorphisme de © dans © soit de la
forme u'. On ne connaît même pas de telles conditions lorsqu'on suppose que
l'application considérée est un isomorphisme; ce qui, en particulier, interdit
pour Je moment de caractériser les „changements de variables" par leur effet
sur l'hyper algèbre du groupe.
Les formules précédentes permettent cependant de définir, par analogie
avec le cas classique, la notion de „loi de composition canonique". On dit que la
loi <p est canonique pour le groupe G, si les „premiers termes" P e . dans les
développements (15) sont tels que
(23)
*„(*)=*<
( 1 ^ *?£»).
En général, une loi cp n'est pas canonique; le problème des „variables
canoniques" consiste à trouver un changement de variables x = u(x) du type
%i = xi + • • • (1 ^ *' â* n) J-es termes non écrits étant de degré > 1, tel que la
loi de groupe pour ces nouvelles variables soit canonique. Dans le cas classique,
le problème est immédiatement résolu, en prenant xt = P8.(x); j'ai d'abord cru
par erreur que ce résultat était encore valable en caractéristique p > 0 [4, n° 16] ;
en fait, il existe bien un changement de variables qui donne une loi canonique,
mais on ne peut l'obtenir qu'en itérant indéfiniment le changement de variables
précédent [5]. Même pour les groupes les plus simples, la détermination explicite des variables canoniques est un problème qui paraît ardu. Pour le groupe
additif (n = 1) et le second groupe additif de Witt, la loi est canonique; il en
est de même pour le groupe multiplicatif (n = 1) lorsque p = 2, mais cela
n'est plus exact dès que p > 2; pour p = 3, le changement de variables
canoniques est x = (x — x2)/(l + x), et j'ignore l'expression de ce changement
de variables pour p > 3.
On notera ici que,'par passage aux „variables canoniques", les constantes
de structure de l'algèbre de Lie g0 restent inchangées, mais non les caßy dont les
indices sont de hauteur ^ 1.
L'intérêt de la notion de loi canonique est qu'elle permet de formuler des
théorèmes qui „remontent" de l'hyperalgèbre au groupe. En premier lieu, on a
la „moitié" du troisième théorème de Lie, celle qui affirme l'unicité du groupe;
de façon précise, il ne peut exister qu'une seule loi canonique correspondant à une
hyperalgèbre de Lie donnée [5]. Bien entendu, cela laisse intact le problème
fondamental de la théorie, l'existence d'une telle loi; on sait, par des exemples,
248
que les caßy doivent vérifier certaines conditions pour que le problème admette
une solution, mais il semble difficile de trouver le système complet de ces
conditions. On ne sait même pas attaquer le problème dans les cas les plus
simples: par exemple, on ignore si un groupe de dimension 1 est nécessairement
abélien, et on ne sait pas davantage énumérer tous les types de groupes abéliens
de dimension 1. ms)
La notion, de „sous-groupe" qui paraît la plus naturelle dans la théorie
(et qui correspond à la notion classique dans les groupes de Lie réels ou complexes, ainsi que dans les groupes de Lie algébriques sur un corps quelconque)
est celle d'une „variété" de dimension m < n ayant un point simple à l'origine
et stable pour la multiplication. Cela revient à la définition suivante: après au
besoin un changement de variables, le sous-groupe H de G doit s'obtenir en annulant les n — m dernières coordonnées xt de x; le fait que H est stable signifie
que l'on doit avoir identiquement
(24)
(pi(xlt . . ., xm, 0, . . ., 0, ylt . . . ym, 0, . . ., 0) = 0,
tn + l ^ i ^ n.
On en conclut aisément que les X a tels que a = (OLV . . ., am, 0, . . ., 0) forment
une sous-algèbre de ©. En outre, on peut montrer que les formules correspondant à (24) sont encore vraies lorsqu'on passe en variables canoniques pour la
loi de G. Mais ici, on a une réciproque: si les X a tels que a = (%, . . .,aw,0, . . .,0)
forment une sous-algèbre de G et si la loi de G est canonique, alors les relations
(24) sont vérifiées; en d'autres termes, à la sous-algèbre de © considérée correspond un sous-groupe [5]. Malheureusement, l'intérêt de ce résultat est fortement limité par le fait qu'on ignore quels sont les „changements de base"
permis dans © (i.e., provenant d'un changement de variables dans G).
Lorsqu'on se tourne vers les relations entre homomorphismes et sousgroupes, on rencontre des phénomènes tout à fait nouveaux. Par exemple,
soit G(1) le groupe dont la loi est obtenue en élevant à la puissance p-ème tous
les coefficients des <pz-; il est immédiat que si on pose pi(x) = xf, p= (pv . . ., pn)
est un homomorphisme „canonique" de G sur G^ (qu'il convient d'appeler
„l'homomorphisme de Frobenius"), qui n'est pas un isomorphisme, mais dont
le „noyau" est réduit à e. L'homomorphisme „dérivé" p ' est tel que
a
(9K\ J F '(^a) = 0 si oc n'est pas de la forme pß = (pßlt . . ., pßn),
(Xva)
=
X
*'
4
bis) (Note ajoutée pendant la correction des épreuves). Depuis l'époque où a été prononcée cette conférence, je suis parvenu à déterminer la structure des groupes abéliens de
dimension quelconque, sur un corps quelconque de caractéristique p (voir deux articles
dans American Journal of Mathematics et un untre dans Math. Zeitschrift). D'autre part,
M. Lazard a prouvé que tout groupe formel de dimension 1 est abélien (C. R. Acad. SciParis, 239 (1954), p . 942).
249
De l'existence d'un tel homomorphisme, on déduit que l'on a
(26)
P »
=
(P»)»;
en outre, l'algèbre de Lie Qr/är est isomorphe à l'algèbre de Lie (g 0 ) (r) , obtenue
en élevant à la puissance pr les constantes de structure de g0. De même, les
constantes aaX de la formule (21) sont telles que
.'est pas de la forme pß
f:^ = _°;: a n ' e
(27)
Supposons maintenant le corps K parfait. On peut alors montrer [4] que,
si u est un homomorphisme de G dans G, on peut faire des changements de
variables dans ces deux groupes, de sorte que u soit donné par les relations
\ui(x)=xf
ï=**ft p o u r r 0 + . . . + r M + l ^ f ^ r 0 + . . . + r f c
(O^k^t)
, ,x
l«,(x)=0
. .. /_\_n
p o u r %> Q = r0 + r1 + ... + rt.
Les nombres rk (qui peuvent être nuls) sont indépendants de tout changement
de variables; en annulant les g premières coordonnées dans G, on a un sousgroupe, le noyau H de u, et en annulant les m — Q dernières coordonnées dans
G (m dimension de G) un sous-groupe L, l'image de u. Les Xoi tels que
i > r0 + . . . + rk engendrent un p-idéal ak de l'algèbre de Lie g0 de G; l'idéal
û0 est le noyau de la restriction de u' à g0, mais ce n'est ici que le premier élément
d'une suite d'idéaux
OoCttiC-Ca*
(28)
dont le dernier seulement est l'algèbre de Lie de H. De même, dans l'algèbre de
Lie g0 de G, les Xoi tels que i 5g r0 + . . . + rk engendrent une sous-algèbre i)k,
et on a ainsi une suite croissante de sous-algèbres
60CB1C...CBi
dont chacune est un p-idéal de la suivante; b t est l'algèbre de Lie de L, b 0 est
isomorphe à g0/a0 et hk[bk-x à l'algèbre de Lie (aÄ-1/aÄ;)(Ä).
Une conséquence facile de ces résultats est que si l'algèbre de Lie g0 est
simple, le groupe G est simple au sens suivant: il n'existe pas d'homomorphisme
5
,) Pour les groupes de Lie algébriques, cette notion de „simplicité" est plus stricte
que la notion „ naturelle" dans cette théorie, c'est-à-dire V inexistence d'homomorphismes
rationnels non triviaux; on pourrait en effet concevoir qu'il existe des homomorphismes
au sens „local" considéré ici, mais que ces homomorphismes ne proviennent pas d'homomorphismes rationnels. Il serait donc concevable que des groupes algébriques „simples"
ne soient pas simples au sens de la définition donnée ici; cette éventualité me paraît
toutefois peu probable, même lorsque l'algèbre de Lie du groupe algébrique considéré
n'est pas simple, comme dans l'exemple qui suit. Il y a encore là un problème à élucider,
qui est peut-être d'ailleurs moins inabordable que les autres.
250
de G autre que des isomorphismes, composés avec des homomorphismes de
Frobenius itérés 5 ). La réciproque est inexacte; on sait par exemple [8] que
pour p = 2, l'algèbre de Lie du groupe unimodulaire SL2(K) est résoluble, mais
on peut montrer que ce groupe est cependant simple au sens précédent, en
considérant la „seconde" algèbre de Lie Qx de ce groupe.
4. Conclusion. Les résultats que je viens d'esquisser me semblent permettre de conclure que s'il doit jamais exister une „théorie de Lie" pour les
groupes formels en caractéristique p > 0, elle ne peut guère être fondée d'autre
façon. Mais pratiquement tout reste à faire pour qu'on puisse vraiment parler
d'une telle théorie, et peut-être un jour l'appliquer à d'autres branches des
mathématiques. Je voudrais en terminant indiquer un mode d'attaque possible
qui „fractionne" en quelque sorte les difficultés considérables que semblent
présenter les problèmes dont j'ai parlé. Il s'agit d'une idée qui est substantiellement due à M. Lazard: désignons, dans l'anneau 0, par ur l'idéal engendré par
les puissances xf des indéterminées, et au lieu des relations d'associativité (11),
considérons ces relations modulo ur (on peut évidemment supposer alors que les
çpi sont des polynômes de degré < pr par rapport à chaque indéterminée) ; on
peut dire, avec M. Lazard, qu'on définit ainsi un bourgeon de groupe formel de
hauteur r — 1. On vérifie alors aisément qu'on peut développer toute la théorie
précédente, en calculant constamment „modulo tt," sur les séries formelles,
et en ne considérant que les semi-dérivations de hauteur < r. En particulier, on
voit exactement à quoi correspondent les p-algèbres de Lie: ce ne sont pas aux
groupes de Lie formels, mais bien aux bourgeons de hauteur 0. On peut espérer
arriver sans trop de peine à donner une théorie satisfaisante de ces bourgeons,
puis essayer de „monter" dans l'échelle des bourgeons successifs, peut-être en
introduisant ici des idées analogues aux „obstructions" de la Topologie algébrique? Pour le moment, il est bien certain qu'il nous manque avant tout,
dans ce nouveau'„calcul différentiel", la technique du maniement des formules,
qu'une familiarité de 3 siècles nous a permis d'acquérir en calcul différentiel
classique; c'est sans doute seulement lorsque nous en aurons acquis l'habitude
que nous pourrons, suivant l'expression de Galois, „sauter à pieds joints par
dessus les calculs" et parvenir peut-être ainsi aux résultats décisifs.
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