Intervention Ethnobotanique et Ethnosciences : quelques éléments de théories et de pratiques (accent sur le courant américaniste) Julien Blanc Version 2016 Introduction Séance à objectifs multiples: 1. Vous donner des bases pour effectuer des recherches en relation avec l’étude des classifications populaires des plantes et des animaux (« méthode ») 2. Contribuer à situer les ethnosciences au sein de l’anthropologie (compléter les précédentes présentations) 3. L’un dans l’autre, cela permettra également de souligner combien le problème des catégories dans les systèmes de pensée autres que le nôtre est capital pour l’anthropologie et comment la façon de l’aborder a évolué depuis un siècle. 4. La séance constituera également l’occasion d’évoquer différentes formes, passées et contemporaine de mobilisation de l’ethnobotanique : ce pour quoi elle a été fondée et est utilisé (permettra à la fois de compléter les précédentes présentations et d’ouvrir sur les suivantes). Donc, je vais glisser d’un registre à l’autre (éléments d’histoire, de méthode, de théorie tout au long de la présentation). Cadrage résolument Anthropologique / Ethnologique. COURANT DES ETHNOSCIENCES : Marqué par un certains nombre d’individus : Harold Conklin (1954), William Stutervant, Stephen Tyler, Brent Berlin, Ralph Bulmer : Antrhopologues – Université de Yale. Conklin, H. C. (1954). The Relation of Hanunóo Culture to the Plant World. Thèse. Yale University. Bulmer, R. (1967). Why is the Cassowary Not a Bird ? A Problem of Zoological Taxonomy Among the Karam of the New Guinea Highlands. Man, 2(1), 5–25. Berlin, B., Breedlove, D., & Raven, P. (1973). General principles of classification and nomenclature in folk biology. American Anthropologist, 75(1), 214–242. Sturtevant, W. (1964). Studies in ethnoscience. American Anthropologist, 66(3), 99–131. Berlin, B., & Kay, P. (1969). Basic Color Terms: Their Universality and Evolution. Berkeley : University of California Press. Conklin, H. C. (1955). Hanunóo color categories. Southwestern Journal of Anthropology. Site du Departement d’anthropologie d’Alabama : ramené à l’anthropologie cognitive. Cognitive anthropology : Ethnosemantics, Ethnoscience, Ethnolinguistics, and New Ethnography. « Cognitive anthropology addresses the ways in which people conceive of and think about events and objects in the world. It provides a link between human thought processes and the physical and ideational aspects of culture (D’Andrade 1995: 1). This subfield of anthropology is rooted in Boasian cultural relativism, influenced by anthropological linguistics, and closely aligned with psychological investigations of cognitive processes. It arose as a separate area of study in the 1950s, as ethnographers sought to discover “the native’s point of view,” adopting an emic approach to anthropology (Erickson and Murphy 2003: 115). The new field was alternatively referred to as Ethnosemantics, Ethnoscience, Ethnolinguistics, and New Ethnography. » Cognitive anthropology, leading figures Ward Goodenough (b. 1919) is one of cognitive anthropology’s early leading scholars, inaugurating the subdiscipline in 1956 with the publication of “Componential Analysis and the Study of Meaning” in a volume of Language. He helped to establish a methodology for studying cultural systems. His fundamental contribution was in the framing of componential analysis, Borrowing its methods from linguistic anthropology, involved the construction of a matrix that contrasted the binary attributes of a domain in terms of pluses (presence) and minuses (absence). "Componential Analysis and the Study of Meaning" (1956) and "Componential Analysis of Konkama Lapp Kinship Terminologies" (1964). Floyd Lounsbury (1914-1998) was another influential figure in the rise of the subdiscipline. His analysis of Pawnee kinship terms, “A Semantic Analysis of the Pawnee Kinship Usage” was published in 1956. Charles Frake (b. 1930) He also emphasized that the ethnographer "should strive to define objects according to the conceptual system of the people he is studying" (1969:28), or in other words elicit a domain. He argued that studies of how people think have historically sought evidence of "primitive thinking" instead actually investigating the processes of cognition. He contends that future studies should match the methodological rigor of kinship and should aim for developing a native understanding of the world. He promotes a "bottom up" approach where the ethnographer firsts attains the domain items (on the segregates) of different categories (or contrast sets). The goal, according to Frake, is to create a taxonomy so differences between contrasting sets are demonstrated in addition to how the attributes of contrasting sets relate to each other. Harold Conklin (b. 1926) A. Kimball Romney’s (b. 1925) many contributions to cognitive anthropology include the development of consensus theory. Unlike most methods that are concerned with the reliability of data, the consensus method statistically measures the reliability of individual informants in relation to each other and in reference to the group as a whole. It demonstrates how accurately a particular person’s knowledge of a domain corresponds with the domain knowledge established by several individuals. In other words, the competency of individuals as informants is measured. For specifics about how cultural consensus works, see the "Methodology" section of this web page. In a recent article in Current Anthropology, "Cultural Consensus as a Statistical Model" (1999), there is an intriguing exchange between Aunger who opposes consensus theory and Romney who rebuts Aunger’s criticisms. Romney maintains that cultural consensus is a statistical model that does not pre-suppose an ideological alignment, as Aunger asserts, but rather it demonstrates any existing relationships between variables. Autre histoire: lignée de l’ethnobiologie: Reference : Heugene Hunn (2007): Hunn, E. (2007). Ethnobiology in four phases. Journal of Ethnobiology, 27(1), 1–10. Harshberger, Castetter et bien d’autres – ethnobotanique, ethnozoologie, etc. Naturalistes & ethnologues. A partier des années 20, les ethnologues vont se saisir de l’ethnobotanique et commencer à la transformer pour de plus en plus s’intéresser à aux représentations du monde sous-jacents à l’usage des plantes, approche plus emic. Si on suit cette ligne les travaux de Conklin sont considérés comme un virage: « Notre intérêt premier ne concerne pas les données botaniques taxinomiques, mais plutôt le savoir populaire botanique des Hanunóo et son organisation. Les considérations botaniques scientifiques sont secondaires et sont incluses seulement pour éclairer la comparaison entre deux domaines sémantiques » (Conklin, 1954, p. 11). Il propose de partir des catégories sémantiques indigènes pour étudier la connaissance qu’une société a de son environnement. Il dépasse ainsi l’approche essentiellement étic — réalité telle qu’elle est perçue de l’extérieur — qui dominait avec des perspectives utilitaristes pour prôner une approche émic — concepts propres à la culture étudiée – des connaissances et des classifications pour comprendre et conceptualiser comment le milieu naturel fait sens pour une société donnée (Clément, 1998b; Friedberg, 1991b). I. Retour en arrière : le texte considéré comme fondateur. Dans le domaine des classifications en anthropologie, l’article fondateur est celui de Durkheim et Mauss. Paru dans l’Année Sociologique, 1903 : « de quelques formes primitives de classification, contribution à l’étude des représentations collectives » CONTENU DU TEXTE : D et M analysent « les systèmes de classification » de différents peuples (tribus) : ils commencent par différentes tribus australiennes" puis continuent par des Indiens d'Amérique du nord (Zunis, Osages, Omahas, etc). Ils présentent des systèmes de classifications dans lesquelles entrent quelques plantes, quelques astres et éléments de l'univers, mais principalement des animaux qu’ils relient avec l'organisation sociale de ces populations. En fait, ils montrent comment divers éléments de l'environnement se trouvent répartis entre des catégories qui servent d'abord à différencier les hommes: fratries, clans, classes matrimoniales Ce texte est fondateur pourquoi ? : 1. Affirmation de l’existence chez les tous les individus d’un procédé qui consiste à classer les êtres, les évènements, les faits du monde, et à déterminer leur rapports (universalité) et plus particulièrement qu’il existe chez les primitifs une pensée logique similaire sous certains aspects à la pensée scientifique : a. qui marche sur la base d’inclusion, d’exclusion, de hiérarchisation b. les catégorisations ne sont pas uniquement de nature utilitaire, loin s’en faut, mais plus largement spéculative » (réflexion intellectuelle portant sur des objets abstrait). CITATION « Les classifications primitives ne constituent donc pas des singularités exceptionnelles sans analogies avec celles qui sont en usage chez les peuples plus cultivés ; elles semblent au contraire se rattacher sans solution de continuité aux premières classifications scientifiques. C’est qu’en effet, si profondément qu’elles diffèrent de ces dernières sous certains rapports, elles ne laissent cependant pas d’en avoir tous les caractères essentiels. Tout d’abord, elles sont, tout comme les classifications des savants des systèmes de notion hiérarchiques. (…) De plus, ces systèmes, tout comme ceux de la science, ont un but spéculatif. Ils ont pour objet, non de faciliter l’action, mais de faire comprendre, de rendre intelligible les relations qui existent entre les êtres ». (Durkheim et Mauss, 1903 : 66) On retrouvera cette démarche notamment dans la « pensée sauvage » (1962) où LéviStrauss cherche à décrire les mécanismes de la pensée en tant qu'attribut universel de l'esprit humain : tentative de démonstration que peu de chose démarque la pensée du « sauvage » de celle du « civilisé » ; Les deux premiers chapitres intitulés « La Science du Concret » et « La Logique des Classifications Totémiques » cherchent à convaincre le lecteur de cette universalité de la pensée, et surtout de l'uniformité des capacités intellectuelles et conceptuelles des hommes quel que soit leur degré de civilisation. On va voir en fait que c’est un programme fort des ethnosciences, que l’on retrouve d’ailleurs plus tard dans la valorisation des « savoirs locaux ». En réaction notamment aux théories évolutionnistes (Morgan, Spencer, Frazer) marquée par le préjugé d'une supériorité de la civilisation occidentale sur celles des « sauvages ». APPARTE En fait il est fondateur pour autre chose, et s’inscrit dans une autre controverse de l’époque, mais je ne la développerai pas (déterministe social ou naturel des classification) En effet, 2ème affirmation majeure : il existe une relation non accidentelle entre un système logique de classification des non-humains (plantes, animaux notamment) et un système social: dans les sociétés étudiées les systèmes de classification des non-humains (plantes, animaux notamment) expriment les systèmes de relations sociales où ils sont élaborés (organisation juridique et religieuse, parenté). ET plus encore : C'est sur l'organisation sociale la plus proche et la plus fondamentale que ces classifications ont été modelées.... Les premières catégories logiques ont été des catégories sociales ». • Pour bien comprendre D et M il faut les replacer dans le contexte des débats théoriques quand ce texte a été écrit : démontrer indépendance des faits sociaux vis à vis d'un soi-disant déterminisme du milieu naturel. Ainsi affirment-ils: "Bien loin que, comme semble l'admettre M.Frazer ce soient les relations logiques des choses qui aient servi de base aux relations sociales des hommes, en réalité ce sont celles-ci qui ont servi de prototype à celles-là (p.224). • Evidemment aujourd’hui, personne ne considère plus que ce sont les modes d’organisation sociales qui aussi unilatéralement déterminent les catégorisations et classifications des éléments (êtres) de nous considérons comme éléments de nature. Ils y participent mais personnes ne conçoit plus les choses dans des rapports aussi brutalement déterministes, dans un sens ou dans un autre. 2. Les auteurs ouvrent la voie à l’importance qu’il faut accorder à l’étude des catégorisations autochtones : soulignent l’importance de la description et l’interprétation de ces mises en ordre. (idée qui sera notamment reprise par les ethnosciences, à la base de leur programme). 3. Début d’interrogation sur la raison pour laquelle ces processus de catégorisation et classifications semblent universels, partagés, mais celui-ci reste pour eux assez mystérieux (A cette époque, on ne connait vraiment rien de ces phénomènes : La Psychologie, alors naissante en tant que discipline scientifique, commence à s’intéresser à ces questions à cette époque également ; Psychologie cognitive : 1930 environ) : CITATION « C’est donc que les mêmes sentiments qui sont à la base de l’organisation domestique, sociale, etc. , ont aussi présidé à cette répartition logique des choses (…). Ce sont donc des était de l’âme collective qui ont donné naissance à ces groupements » (…) Nous ignorons encore quelles sont les forces qui ont induit les hommes à répartir les choses selon la méthode qu’ils ont adoptée » Par contre, ce que Durkheim et Mauss entendent par classification, c'est un système de classes mutuellement exclusives et hiérarchisées correspondant au modèle des taxinomies scientifiques, ce qui, comme on va le voir pose problème (ici aussi, on peut y voir une volonté de démontrer l’unité de l’être humain). TRANSITION II) Je vais avancer dans le temps pour revenir aux années 50/60 : moment clé pour le développement des « ethnosciences » et en particulier ce que certains considèrent comme son autonomisation en tant que champ scientifique. Intéressant parce que ça veut dire qu’elle se constitue en tant que discipline, donc que ses promoteurs, ses acteurs, sont amenés à la caractériser à en donner les concepts clés : travail de formalisation et positionnement (avec constitution de communauté épistémique). Développer un petit peu la question du positionnement des ethnosciences (et donc de l’ethnobotanique) dans le champ de l’anthropologie en particulier américaine. 1) Du côté des anglosaxons, il est courant de situer les ethnosciences au sein de l’anthropologie culturelle (américaine) et de considérer qu’elles relèvent d’une approche tout à fait spécifique de l’étude des phénomènes culturels. 2) Cette approche répond en fait, certes au nom d’ethnoscience mais aussi à celui d’ethnolinguistique, d’ethnosémantique ou, comme l’avait qualifié alors (Sturtevant, 1964) de New Ethnography (nouvelle ethnographie). 3) L’idée principale portée par cette New Ethnography est qu’il ne peut y avoir d’ethnologie scientifique qu’en partant des catégories indigènes. S’inscrit donc dans une recherche de l’objectivité: il faut que l’observateur se débarrasse de ses propres catégories et s’attache à reconstruire les mondes des autres par l’intérieur. Donc il faut s’intéresser de manière sérieuse et rigoureuse à ces catégories. CELA SIGNIFIE QUE : 1) Les idées de catégories, de catégorisation et de classification sont donc fondamentales pour l’ethnoscience. [proposition méthodologique forte] D’abord parce que catégoriser et classifier sont considérées comme des opérations nécessaires à tout être humain qui veut s’adapter à son milieu: CITATION « Nous classifions parce que la vie dans un monde où tout est identique est intolérable. C’est dans la dénomination et la classification que tout le riche monde de la variabilité infinie se rétrécit à une grandeur manipulable et devient supportable (Tyler, 1969). Ensuite parce qu’elle révèle la manière dont divers peuples perçoivent leurs univers ; « Comment les différents peuples construisent l’univers de leurs expériences quotidiennes ». 2) Les ethnosciences sont soutenues par une position théorique / methodologique forte, le rapport entre langue et culture: il s’agit en effet de révéler comment les différents peuples construisent l’univers de leurs expériences quotidiennes en étudiant très précisément la façon dont ils en parlent. D’où une définition spécifique de la culture posée par les ethnosciences : « la façon particulière qu’a une société de classifier, principalement par le langage, son univers matériel et social » (Sturtevant, 1964) – vision culturaliste américaine. 3) Certes l’ethnoscience ne réduit pas la classification à la dénomination (toute communication verbale ou non exige la classification) mais reconnait que pour pénétrer les différents systèmes de classification d’une culture, le vocabulaire demeure le seul instrument pratique disponible : CITATION « Nous nous intéressons aux codes mentaux, mais comment pouvons-nous faire pour inférer1 ces processus mentaux ? Pour ce, il a été postulé que l’accès le plus facile à de tels processus était par le langage et la plupart des études récentes ont cherché à découvrir les codes qui sont retenus dans le langage. Presque tout ce travail avait pour objectif d’étudier comment les autres peuples nomment les choses de leur environnement et comment ces noms sont organisés en des ensembles plus grands. Ces noms sont à la fois considérés comme un indice de ce qui est significatif dans l’environnement de ces peuples et comme un moyen de découvrir la façon dont ceux-ci organisent leur perception de ces environnements. » (Tyler, 1969 : 5) DONC : Parler ainsi des ethnosciences, c’est les positionner dans le champ de l’anthropologie culturelle nord-américaine. C’est positionner les ethnosciences en droite ligne d’une approche « culturaliste » (anthropologie culturelle) mais dont les promoteurs s’attachent à créer une définition opérationnelle (resserrée) de la culture. A partir d’une définition large telle que celle de Tylor (1871) qui est fondatrice: « la culture est cet ensemble complexe qui comprend les connaissances, les arts, les croyances, le droit, la morale, les coutumes et toutes les autres aptitudes et habitudes que l’homme acquiert en tant que membre d’une société » Une définition qui est donc très large, très élastique. Bien qu’elle définisse un programme de recherche. La New ethnography à travers notamment Goodenough (1957) vont s’appliquer à refermer, à resserrer en quelque sorte cette définition très ouverte, autour de la connaissance et de la fabrication du sens2. Donc ça définit un programme de recherche : Etudier les constructions mentale des objets, les schèmes de perception, de mise en relation et d’interprétation de ces objets dans un groupe social donné à partir d’une méthode consistant en l’analyse rigoureuse des catégories que dessinent le langage (qui se dessinent à travers le langage) et les relations qui existent entre ces catégories et donc les classifications que l’ensemble dessine. DONC : FORMALISATION DE CE QUE SONT LES ETHNOSCIENCES (PROGRAMME, THEORIE, METHODE) à qui on peut évidemment trouver des origines plus anciennes, des formes 1 Tirer une conclusion d’une proposition ou d’un fait. Ici : « y accéder » 2 [D’ailleurs certains considère les ethnosciences comme fondatrice de l’anthropologie cognitive]. embryonnaires, non formalisées. Parmi les auteurs cités dans champ de l’anthropologie on trouve aussi bien Radcliff-brown, Levi-Strauss, (analyse formelle); Mauss, Boas, EvansPritchard (ébauches de taxonomies populaires); Malinowski (socio-linguistique); Sapir (ethnosémantique) ou Bateson (organisation cognitives des expériences). 2 remarques : On ne parle pas du tout de naturalistes, ni de relations au vivant ici. Une conception spécifique des ethnosciences dans sa synonymie avec « nouvelle ethnographie » Cette époque est celle de la rencontre entre la linguistique structurale (Hard) et l’ethnologie. III) Usages (et mésusages ?) de la première génération des ethnosciences. Contenu : identification de certaines des controverses qui ont caractérisé le champ des ethnosciences dans les années 70 et 80 principalement, Objectif : Perspective historique, évoquer l’une des trajectoires prise par cette discipline (et pas des moindre). Permet de parler de méthodes et de concepts fondamentaux et d’écueils à éviter. Points développés : Les controverses autour de l’universalité du modèle taxinomique comme modèle de référence dans le processus de catégorisation Les controverses autour du recours au modèle taxonomique scientifique comme point de référence (ethnocentrisme) Les controverses autour du mouvement de cloisonnage des champs d’investigation, du « saucissonnage » en domaines spécifiques Divers… D’une certaine manière, on peut dire que toutes ces controverses sont très liées et en rapport avec une focalisation excessive sur la recherche d’universaux en matière de processus classificatoires, dynamique dont des auteurs tels que B. Berlin, C. Brown, Eugène Hunn sont des figures de références. a) Les controverses autour de l’universalité du modèle taxinomique comme modèle de référence dans le processus de catégorisation. Le modèle « taxonomique » est un modèle à attribut distinctifs…. Le modèle à « attributs » distinctifs : Les parties constituantes (les catégories) sont le produit de combinaison d’attributs (de caractéristiques) bien identifiées (ressemblance, différence). Modèle de présence / absence d’attributs qui définissent l’appartenance à une catégorie. Ce modèle de l’attribut c’est : la catégorie A est distincte de la catégorie B, sur la base d’un ensemble de caractéristiques (attributs) clés. Ex : un oiseau a des ailes, des plumes, un bec et vole, en contraste au poisson qui nage et qui a des écailles. Souvent on a affaire à des structures binomiques (opposition), les types d’adjectifs qualificatifs utilisés peuvent être des descriptifs d’attributs visuels, utilité, odeurs, bruits. ….. qui est de type hiérarchique : Il fonctionne par inclusion et exclusion de classe et ordonnent les classes de manière hiérarchique par inclusion. (exemple illustrée) Toute une série de chercheurs, dont Brent Berlin, éminent ethnobotaniste, a défendu l’idée que ce modèle était universel (cross-cultural) tout du moins sur le plan des classifications ethnobiologiques, c’est-à-dire qu’il guidait les principes classificatoires (du vivant) dans leur ensemble. Pourtant H. Conklin avait déjà émis l’idée que ce modèle n’était pas l’unique auquel il fallait se référer, qu’il existait d’un peuple à l’autre, différentes modalités par lesquelles passaient ces processus de catégorisation et de classification : les arbres, les index, les typologies et les paradigmes. Plus tard, Claudine mettra en évidence des formes en réseau (Friedberg, 1979 ?). Tout ça toujours sur la base des « attributs distinctifs ». Un exemple d’autre modèle à « attributs distinctifs » : Le modèle « paradigmatique ». Comme le taxonomique, il organise ses parties constituantes sur la base de leur ressemblances et de leur différence, mais ne les ordonnent pas par inclusion mais par combinaisons simultanées ; les éléments sont le produit de combinaison d’attributs (attributs communs). Ce mode d’organisation est multidimensionnels mais, contrairement à la taxonomie, n’est pas hiérarchique. Le modèle prototypique Non seulement, le modèle taxonomique ne peut pas être considéré comme le seul modèle classificatoire, mais en outre, le processus de catégorisation via l’attribut distinctif ne doit pas l’être non plus. Un autre modèle est issu des travaux menés par Eléonore Rosch (psychologue) dans les années 70 (1977), qualifié de modèle prototypique. Pour elle si le modèle à attribut peut parfois ou à certains niveaux être adéquat, il n’est pas l’unique référentiel. Une autre manière de penser la catégorisation pourrait reposer sur le principe de l’analogie : fondement de la notion de « prototypes cognitifs » « Treeness », « birdness » : prototypes. Les percepts entrant (la couleur, le son, la forme, la taille) viennent correspondre à des prototypes de manière plus ou moins « exacte » ; c’est le rapprochement au prototype qui fait sens. La présence ou l’absence d’attributs particuliers ne sont pas, dans ce modèle, rédhibitoires. Ce modèle fonctionne sur l’idée centre / périphérie : une alouette est un représentant central de la catégorie oiseau ; une autruche, qui est un bipède à plume pondant des œufs mais qui ne vole pas est une représentante périphérique de cette catégorie « oiseau ». Il semblerait donc que dans les faits, il faille intégrer, articuler ces deux grands modèles (de l’attribut et du prototype) ainsi que pour le premier ne pas se limiter au taxonomique. Donc si vous travaillez, de manière poussée, sur les catégorisations, il faut avoir conscience de tout ça, et ne pas hésiter à creuser un peu la question. Tout le monde s’accorde sur le fait que modèle à attributs distinctifs, voire taxonomique semble assez évident au-dessous du niveau de base, c’est-à-dire celui, à partir de laquelle étaient construites les ordres supérieurs et inférieurs : c’est la première catégorie nommée, celle qui revient le plus fréquemment, qui sert de référentiel fort. Il faut des enquêtes pour identifier ce niveau de base. Pour compléter : Il y a également eu controverses autour du recours au modèle taxonomique scientifique comme point de référence (ethnocentrisme) En plus de ce qu’on a vu, B. Berlin a en effet fait l’hypothèse que partout et à chaque fois une série de niveaux identiques pouvaient être trouvés (existaient) et qu’ils correspondaient globalement à ce que propose la classification scienctifique ? comme niveaux : unique beginners, life-form, intermediates, generics, specifics and varietals. Illustration sur l’article de Brown, 1987. B. Berlin défendait en outre différentes idées quelque peu saugrenues : le niveau « espèce » se retrouvait partout, le genre constituait la catégorie de base, c’est-à-dire celle à partir de laquelle étaient construites les ordres supérieurs et inférieurs (la première nommée) et que les contenus conceptuels des différents niveaux étaient à chaque fois à peu près identiques. On voit ici une dérive de la recherche d’universaux en matière de catégorisation et de classification, orientée sur les produits finaux ou tout du moins les structures des classifications et en référence d’un modèle à validité universel qui serait le modèle naturaliste. POURQUOI JE VOUS RACONTE CA ? Attention à la tentation de contraindre les modèles autochtones dans ces modèles généraux (scientifique, taxonomique, attributs distinctifs), ce qui passe généralement par l’exclusion d’anomalies… A se fixer sur une modalité de catégorisation spécifique, rigide, apparaissent forcément des anomalies crées par le chercheur lui-même. Ce qui ne signifie pas qu’il n’existe per se des anomalies, qui peuvent chercher à signifier de l’ambiguïté, mais l’anomalie doit poser question. Remarque sur les motivations de B. Berlin (et peut-être d’autres nord-américains) : démontrer que tous les hommes ont les mêmes capacités mentales « both folk and scientific classifications are attributed with taxonomical structures, suggesting common cognitive processes ». Très rapidement : la recherche d’universaux va se poursuivre, trouver sa voie, dans le domaine de la cognition, du fonctionnement du cerveau (la neurobiologie), de la psychologie évolutive : Dans les grandes lignes, la recherche d’universaux va se tourner vers les processus mentaux de l’activité de catégorisation et non sur leurs résultats en termes de catégories. Rque : Conklin ne se situait pas dans cette ligne « universaliste ». Mais au contraire dans une ligne qui a été qualifiée par opposition de relativiste. Avec un autre ethnobiologiste très connu, Ralph Bulmer (animaux). Insistaient fortement sur la contextualisation ; sur le caractère emic ; sur la manière dont ces classifications révèlent des mises en ordre du monde qui sont également des mises en œuvre du monde. Travaux d’ethnologie au sens large avec une entrée privilégiée sur les classifications de ce que nous appelons le monde naturel. En France, J. Barrau et C. Friedberg vont ramener cette tradition des ethnosciences et ainsi contribuer à renouveler ce qui se faisait au laboratoire d’agronomie tropicale où l’ethnobotanique s’était constitué sous la houlette d’Auguste Chevalier, de Georges Haudricours puis de Portères. Ils vont ramener la version relativiste… opposition de Friedberg à Berlin. Les classifications vernaculaires peuvent regrouper des objets de différentes natures où les critères choisis à priori illustrent la correspondance entre eux pour la société étudiée. Il s’agit très régulièrement de liens plutôt symboliques ou métaphoriques puisque ces objets ont un rôle plus global dans le fonctionnement de la société. Les personnes regroupent les objets naturels de manière variée dans une multitude de catégories, qu’ils mobilisent en fonction du contexte (Bulmer, 1967; Dwyer, 2005; Friedberg, 1974). Les catégories englobantes qui regroupent différents éléments hiérarchiquement équivalents, mais nommés différemment, c’est le cas dans nos travaux où l’ensemble « goémon », pour les anciens goémoniers, inclut tous les types d’algue (cf. figure). Dans son travail, C. Friedberg insiste sur plusieurs points fondamentaux. Il n’y a pas une volonté délibérée et explicite de classer comme pour les scientifiques spécialisés dans ce domaine. Les discontinuités et les différences entre deux catégories ou deux objets apparaissent à chaque fois qu’il est nécessaire de distinguer les éléments jouant un rôle particulier pour une société donnée (usages techniques ou culturels ou repère écologique). Dans les classifications populaires, les plantes peuvent appartenir à plusieurs catégories. Une autre différence entre taxonomies scientifiques et populaires tient au fait qu’il y a peu de chance que la classification forme un ensemble homogène rendant compte de la totalité du monde végétal ou animal et où toutes les parties aient une place définie. Ainsi, les classifications vernaculaires ne peuvent être schématisées sous la forme d’arborescence comme ceux de la systématique, science de la classification (Lecointre & Le Guyader, 2001) mais « plutôt un réseau de rapports entre les différents types de plantes et leurs groupements » (Friedberg, 1974 : 331). Au cours de l’enquête, l’ethnoécologue peut être amené à collecter des données différentes entre les informateurs. Les raisons sont multiples – diversité des histoires de vie, phénomène d’emprunt ou d’hybridation, etc. – et rendent difficile une séparation entre une étude sur les taxonomies populaires de l’enquête ethnologique générale : « la première peut enrichir la seconde, elle ne peut certainement pas la précéder ; il faut pour l’entreprendre avoir une bonne connaissance de la population étudiée » (Friedberg, 1974 : 319). b) Les controverses autour du mouvement de cloisonnage des champs d’investigation, du « saucissonnage » en domaines spécifiques La pratique des ethnosciences, et notamment dans le cadre de la recherche d’universaux, s’appuie sur l’idée qu’il existe différents domaines que l’on peut penser séparément selon une vision digne du modèle scientifique occidental (et notamment naturaliste, séparation nature/culture). En effet, l’attention s’est portée, à chaque fois sur des segments isolés des univers de pensée et de pratique, des univers relationnels (limité à des champs spécifiques). Dans ce cadre, l’ethnographe isole (arbitrairement et souvent avec difficulté) un domaine, c’est-àdire une classe d’objets qui partagent au moins un trait commun qui les différencient des autres domaines sémantiques: êtres vivants, couleurs, maladie, plantes, animaux, écologie, etc. En soi, ce n’est pas l’entrée par un domaine particulier qui pose problème. Encore faut-il, lorsqu’on cherche à reconstruire un système d’ordonnancement du monde, respecter les définitions de domaines fait par les populations étudiées (leurs découpage, leurs domaines) ou entrer par un domaine prédéfini (le végétal, l’animal) mais ne pas s’y cloisonner et laisser se dessiner, par l’enquête ce qui pour nous apparaitrait comme des transversalités. Car bien entendu, les domaines se chevauchent et se croisent en termes de contenus empiriques. Ce que dessine le modèle naturaliste comme mode d’organisation du vivant n’est pas universel. Dans bien des cas, il y a continuité entre le naturel et le surnaturel, le visible et de l’invisible. Comme le dit Dwyer (2005): Sur quelques difficultés pour l’analyse des modes de catégorisation : • un mot pour plusieurs catégories, plusieurs mots pour une catégorie, et des catégories non labelisés (covert categories). Categories latentes. • Sur la flexibilité et variabilité des comportements classificatoire: Sur des savoirs non également distribués, catégorisations flexibles, variable dans un même groupe selon personne (évident dans une société où il y a spécialisation des tâches et où justement il est intéressant de s’intéresser aux différences, aux conflits de légitimités autour de la définition de catégories dominantes, aux hybridation, etc.) • Sur le caractère dynamique (transformatoire) des catégories et classifications (obsolescence, nouvelles catégories, changement de niveau). • “The people carve-up the world in a number of cross-cutting ways. In different contexts and for different purposes those people grouped things in different ways. They operated with multiple classifications of nature. » • IV) Dans quel cadre donc mobiliser l’ethnobotanique ? Elle constitue en fait un point d’appui, un outil méthodologique pour aborder différents types de question. L’idée c’est de considérer que sur le terrain, on se trouve plus souvent face à un ordonnancement des éléments composant l’environnement d’une société qu’à une véritable volonté de les classer, ordonnancement qui prend en compte les caractéristiques physiques, biologiques et comportementales de ces éléments, mais aussi leur rôle dans la vie des membres de cette société. Le plus important est alors de repérer les relations que ces derniers établissent entre ces différents éléments, entre ceux-ci et eux-mêmes et en y incluant les êtres de l’au-delà que l’on y trouve. Parmi ces relations, certaines ne concernent que les êtres vivants et relèvent donc de ce que l’on peut appeler l’ethnoécologie. L’analyse des catégories utilisées pour mettre de l’ordre dans l’environnement est donc une façon de mettre en évidence les pratiques techniques, mais aussi les conceptions que la population se fait de son action sur cet environnement, des relations qu’elle entretient avec les êtres qui le peuplent et du fonctionnement de l’ensemble du système dans lequel ils vivent tous ensemble, en y incluant les êtres de l’au-delà qui s’y manifestent, y compris les morts et les ancêtres. De notre point de vue, donc l’intérêt d’une mobilisation des ethnosciences (comme méthode, comme approche) apparait donc dans une perspective plus large d’analyse : des relations sociétés/nature, d’analyse des ontologies, mais également d’analyse de dynamiques sociales, de construction de savoirs, de conflits environnementaux, etc… Pour revenir sur l’ethnobotanique en particulier : outils performant en tant que point d’entrée pour identifier les relations au végétal en tant que tel, au vivant en général et à leurs caractéristiques contemporaines. Etudier le changement, à travers l’identification de référentiels hybrides ou la transformation des modalités de catégorisation, étudier les conflits en matière de gestion de l’environnement. Exemples : Bernadette (De la nature en ville à la fabrique de la ville), Georges (relation au végétal au japon), Ariadna (conflit autour de la gestion des mangroves), etc.