Le romantisme - Patrimoines musicaux

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Le romantisme
Le contexte historique et social
[Ecoute commentée : Weber–Der Freischütz]
Un mouvement esthétique international et interdisciplinaire
De tous les termes pour décrire un style artistique, celui de "romantisme" est sans
aucun doute le plus familier et le plus évocateur. Le mouvement romantique a été à la
fois international et interdisciplinaire : aucun art n’a été épargné et toutes les cultures de
l’Europe l’ont enrichi considérablement. Originellement appliqué à la littérature du xixe
siècle, le terme a fini par s’imposer dans toutes les autres domaines.
Alors que le terme "baroque" appliqué à la musique a été appliqué a posteriori par
les musicologues qui se sont inspirés du champ des arts plastiques, le terme "romantique"
en revanche provient de la littérature et a été appliqué dès les années 1820, par les écrivains romantiques, aux compositeurs de cette période. Cette anecdote nous apprend deux
choses importantes sur la musique après Beethoven. La première est que grâce à celui-ci,
désormais la musique est considérée comme un art supérieur. Elle est désormais traitée
avec respect dans les cercles cultivés et elle est considérée comme jamais elle ne l’avait été
auparavant. La deuxième est qu’il semble naturel de faire des liens entre la musique et la
littérature. D’Homère à Virgile, de Shakespeare à Milton, la littérature avait toujours été
considérée comme un art majeur. Son prestige et son pouvoir s’étendent désormais à la
musique, celle-ci finit même par la surpasser. Particulièrement en Allemagne, les romantiques pensent que de tous les arts, la musique est celui qui exprime le mieux l’expérience
intérieure. Parce que la musique est la plus proche de la subjectivité, de l’instinct, de l’émotion et de l’inconscient. La musique a ceci de supérieur sur les autres arts qu’elle n’est
pas dépendante de mots ni de la représentation des choses. Elle est le moyen le plus parfait d’expression pour une époque qui insiste par dessus-tout sur la valeur de l’expression
émotionnelle individuelle.
Au xviiie siècle, les différents arts étaient conçus plutôt comme clos ou répartis
chacun à sa place sur une échelle qui devait toujours beaucoup à la division médiévale des
sept arts libéraux. Ce n’est qu’avec les Lumières, que les premières distorsions profondes
ébranlent cette échelle.La période romantique se caractérise donc par la tentative de lier les
arts entre eux. La poésie se fait ainsi plus musicale, les peintures et les œuvres musicales
prennent des titres poétiques. De même, les philosophes incorporent la musique au cœur
de leur vision : Rousseau avait montré la voie, il est suivi par Schopenhauer ou Nietzsche.
C’est Wagner qui synthétisera le mieux ces tendances, par sa volonté d’aboutir à une œuvre
totale. Le xixe siècle concevra les arts, la musique y comprise, d’une façon beaucoup plus
mobile. Mobile jusqu’à la carrière du musicien. Avec le romantisme, la musique s’éloigne
de plus en plus de la vie dans sa tonalité concrète et quotidienne pour se rapprocher dans
son autonomie plutôt des sphères de l’esprit.
Au centre et en marge : la nouvelle relation de l’artiste à la société
L’accent mis sur l’importance du sentiment personnel confère aux artistes un nouveau prestige. Les compositeurs et les musiciens ne sont plus considérés comme des artistes au service de la société, mais plutôt comme des esprité libres qui expriment leur
âme propre avec un génie que le commun ne possède pas. Le compositeur, n’étant plus
sommé de répondre à une demande précise ainsi s’ouvrir le champ entier des possibles de
la composition. Cette ouverture est favorisée par un "esprit du temps" valorisant par dessus
tout l’introspection, la plongée dans le monde intérieur. Et précisément, l’ère romantique
est celle de l’exaltation du sentiment individuel. L’exploration des territoires obscurs de
l’inspiration, du rêve, la mise en scène des épisodes de la vie personnelle de l’artiste dans
son œuvre : tout cela suscite une efflorescence de pièces d’un caractère explicitement passionnel, très étranger à l’époque précédente. Sur le plan social, l’époque romantique voit
la métamorphose profonde de la relation de l’artiste à la société. Le musicien, qui était
jusque là serviteur d’un prince ou dépendant du bon vouloir d’un mécène, acquiert une
indépendance financière qui lui ouvre, du même coup, une liberté créatrice inimaginable
auparavant.
Bien que les différentes fonctions de musicien subsistent, telles que celles d’organiste, cantor, chanteur, directeur d’opéra, etc. subsistent, le xixe siècle voit apparaître une
nouvelle figure du musicien qui ne sera que compositeur et vivra de son travail de créateur,
ou presque. Ou du moins, il ne sera plus l’exécutant principal ou privilégié de ses propres
compositions, à moins d’être soliste et d’en écrire pour son instrument. Pourtant, le compositeur dépend forcément dans sa vie de son entourage, ce qui l’oblige souvent à vivre
une double vie, à faire des concessions au public, à s’occuper de choses qui l’intéressent
moins, pour revenir ensuite à la hauteur de ses préoccupations artistiques intimes, plus
élevées. De là naîtra souvent un conflit en lui-même et entre lui et la société environnante,
sans parler de celui qui surgira d’un décalage de vues sur la vie, sur l’art et sur sa misson.
Les nécessités économiques, les conceptions philosophiques et esthétiques seront la source
de bien des déchirements. La position du musicien au xixe siècle est difficile : par l’importance de sa mission et de son travail, il se sent en même temps au centre de l’humanité et
en marge de la société.
La démocratisation de la vie musicale
Les processus amorcés vers la fin du xviiie siècle dans la vie musicale de l’Europe se
sont considérablement développés au xixe siècle, en aboutissant à une situation inédite dans
l’histoire de la musique occidentale. Désormais, le public restreint des cours et des palais se
réunit de moins en moins pour céder la place à un public numériquement plus important
et composé dans sa majorité de bourgeois. Les patrons et les mécènes nobles cessent peu
à peu de jouer leur rôle traditionnel, évincés par les impressarios et par les différents
groupes de musiciens professionnels et amateurs qui organisent eux-mêmes des concerts
publics. Le public augmente en nombre, surtout dans les grands centres européens, tels que
Londres, Paris et Vienne. Le compositeur, libéré des entraves qui lui étaient imposées dans
le passé, va jouir à l’époque du romantisme du préjugé favorable d’un public néophyte, qui
le regarde souvent comme un être extraordinaire, spécialement doué : le culte du génie se
développe. Conséquence de la démocratisation de la vie musicale, une coupure assez nette
se marque entre "la musique légère" et la "musique sérieuse". C’est une différenciation
déterminante pour l’avenir de la musique. Pour la première tendance, c’est la nouveauté
est est appréciée et demandée, tandis que pour la seconde, c’est plutôt l’appréciation de la
qualité esthétique de la musique.
L’âge de la virtuosité
Le xixe siècle voit se développer considérablement le sens du timbre et du coloris
sonore. Alors que l’orchestre baroque était fondé sur la primauté sonore des instruments
à cordes, de nouvelles inventions mécaniques permettent à l’orchestre classique et roman2
tique de modifier la qualité de sa sonorité. Tous les instruments deviennent pue à peu
scientifiquement calibrés. La production du son devient déterminée, peu à peu standardisée. Avec l’augmentation du nombre des instruments, la division du travail dans l’orchestre s’affine. Au xixe siècle, le développement des techniques de production et le passage progressif à la production industrielle d’un grand nombre d’instruments, surtout à
vent (cuivres surtout), mais également le piano et l’orgue, ont rendu possibles les perfectionnement des types d’instruments et donc la création d’instruments nouveaux, et ont
facilité l’exécution en renouvelant ses possibilités. Conséquence de ce perfectionnement
musical, l’émancipation de la musique instrumentale et l’épanouissement de la musique
orchestrale, désormais en avance sur la musique vocale du temps, en quantité et en qualité.
Le développement des techniques d’exécution avec des instruments toujours plus
parfaits a surtout permis l’épanouissement de la technique de virtuosité comme jamais jusqu’alors et du même coup la naissance d’une musique virtuose. L’évolution de la virtuosité
est parallèle à l’évolution des perfectionnement apportés aux instruments. Au début du
siècle, le virtuose le plus éblouissant est le violoniste Niccolo Paganini (1782–1840). La fascination qu’il exerçait est telle qu’on le soupçonna de la devoir à un pacte diabolique. Et
tous les grands virtuoses du piano romantique ont été stimulés par le désir de rivaliser, sur
leur instrument, avec Paganini.
[Ecoute : Paganini–Caprice n˚24]
Les développements respectifs de l’orchestre et du piano comme instrument soliste
ne sont pas sans rapport. Ce qu’on a pu appeler l’orchestration du piano est apparent
déjà dans les dernières sonates de Beethoven et plus tard surtout dans les compositions de
Liszt. Les qualités nouvelles de l’instrument ont contribué au développement des grandes
formes qui lui sont destinées et plus encore au raffinement de la technique de la virtuosité
et à la tendance aux dimensions orchestrales chez Liszt. La musique ancienne pour les instruments à clavier et clavecin sera jouée désormais selon les ressources propres, surtout en
ce qui concerna la sonorité et les nuances dynamiques. Les possibilités accrues ont conditionné le style romantique de l’exécution de la littérature ancienne et l’épanouissement de
la musique expressive pour piano. En outre, les nouveaux modes techniques de fabrication du piano ont permis sa diffusion. Il est devenu au xixe siècle l’instrument préféré des
milieux bourgeois et a gardé pendant une longue période une véritable suprématie sur les
autres instruments solistes. Il accède, dans la maison bourgeoise, à une place d’honneur
qui en fait la pièce maîtresse d’un beau mobilier. Mais la diffusion du piano a également
été favorisée par les nouvelles conditions acoustiques, crées dans les grandes salles où se
donnaient les concerts payants, ouverts à un public toujours plus vaste. Avec l’orgue, le
piano est l’unique instrument facilement audible dans les grandes salles.
[Ecoute : Liszt–Etude d’exécution transcendante n˚4 dite "Mazeppa"]
Les principales caractéristiques du romantisme
Individualisme, émotion, mépris des conventions sociales caractérisent l’art romantique. Aujourd’hui le mot "romantique" se rapporte essentiellement à l’amour. Cet usage
date du xixe siècle et dérive du mouvement littéraire. Mais la glorification de l’amour n’est
que l’un des nombreux thèmes abordés par la littérature romantique, thèmes qui sont également au centre de la musique du xixe siècle.
Le culte du sentiment individuel
Aspirer à un état meilleur, idéal, de l’être est au cœur du mouvement romantique.
Pour les Romantiques, le quotidien est une donnée morne et insignifiante, qui le peut être
transcendé que par le libre exercice de la volonté individuelle et de la passion. Le sentiment,
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libéré des conventions, de la religion ou les taboux sociaux devient le bien suprême et
l’expression de l’émotion devient le but artistique à part entière. Les "bohémiens" (parce
qu’ils menaient une vie de bohème), comme on les appelait alors, proclament l’amour,
mènent des vies marginales, portent des vieux vêtements. Ils ont beaucoup œuvré pour
l’image de l’artiste qui est toujours en vigueur aujourd’hui.
Cette nouvelle attitude face à l’art doit beaucoup à Jean-Jacques Rousseau le philosophe des Lumières qui avait prêché au milieu du xviiie pour les sentiments humains
naturels, opposés aux contraintes artificielles imposées par la société. Reconnu comme le
père philosophique de la Révolution française, Rousseau nourrit les Romantiques avec ses
idéaux d’individualité, de liberté et de plénitude. Le second phénomène qui a beaucoup
joué est la Révolution industrielle, qui commence sa course inexorable dès le début du xixe
siècle : au fur et à mesure que se développent les usines s’exprime un malaise face aux
conditions inhumaines d’exploitation des hommes et au développement anarchique du capitalisme. Au cœur de la pensée romantique se trouve un profond désir de s’évader d’une
réalité insupportable.
Romantisme et révolte
Dans le sillage de la Révolution industrielle se produisent les révolutions politiques,
faits sociaux et politiques majeur de l’époque. Le phénomène commence avec la révolution
américaine et se poursuit avec la Révolution française. Il est suivi par de nombreuses secousses qui culminent en 1848, année de bouleversements majeurs en France, Allemagne,
Autriche et Italie. Les Romantiques prennent inévitablement fait et cause contre l’ordre
établi. Nombre de musiciens épousent des causes politiques, ainsi Beethoven qui écrit une
symphonie "Bonaparte", ainsi Liszt avec Lamennais, ainsi Verdi, dont le nom est l’acronyme du mouvement de libération italien, ou encore Wagner qui fut expulsé d’Allemagne
en 1849 pour avoir tenus des discours enflammés depuis les barricades révolutionnaires
de la ville de Desde. En outre, la révolution politique se double d’une révolution sociale.
L’époque voit la fin des privilèges de la noblesse et les classes populaires et moyennes accèdent à plus de mobilité sociale. Il est révélateur que Liszt entretienne des liaisons avec
une comtesse française et une princesse russe.
Les mondes populaires
Le champ du folklore, celui d’une culture populaire ressentie comme une "enfance
de l’art", un berceau de la culture savante, est fortement valorisé tout au long de la période
romantique. Les musiciens de cette époque voient dans la simplicité relative des productions populaires la source vive de toute création artistique et le moyen de se mesurer à
cet objet simple pour élaborer un monde sensible plus riche d’ambivalences, de sonorités
inouïes, de cadres changeants. Les retrouvailles des musiciens romantiques avec un fonds
populaire plus ou moins authentique vont donc leur permettre, soit de recourir à un "ton
populaire" relativement conventionnel, mais doté d’un charme nouveau, soit de repenser
beaucoup plus subtilement leur métier en reprenant les outils de la musique populaire
pour renouveler leur art en profondeur.
[Ecoute : Schubert–Impromptu n˚4 en fa mineur D. 935]
Musique et surnaturel
Le surnaturel, souvent lié au macabre, joue une grande place chez les Romantiques,
ce qui n’est pas très étonnant pour un mouvement qui prétend transcender l’ordinaire. La
figure de Faust, qui vend son âme au diable pour un simple moment de bonheur, le roi
des Aulnes de Schubert, le Frankenstein de Mary Shelley, le Vaisseau fantôme de Wagner ou
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la Symphonie fantastique de Berlioz sont autant d’exemples particulièrement évocateurs. La
nuit apparaît également comme une métaphore de l’inspiration, inaugurée par le poète
Novalis dans ses Hymnes à la nuit. Celle-ci est le cadre idéal au déploiement de forces fantasmagoriques, suscitant des pièces obsessionnelles et fébriles ou des œuvres ouvrant sur
un monde hypnotique, sur un entre-deux de la conscience et du rêve, propose à toutes les
variations de l’imagination. Le mécanisme est propice à l’art musical, qui est à même de
travailler l’ambivalence (harmonique entre autres), mais également d’exploiter le mouvement dans toutes ses possibilités. Les compositeurs se plaisent à cultiver des harmonies
étranges et des sonorités orchestrales sinistres.
[Ecoute commentée : Schubert–Erlkönig]
[Ecoute commentée : Liszt–Totentanz]
Nature et émotion
La nature apparaît comme une force tutélaire, tour à tour bienveillante et inquiétante, consolatrice et meurtrière. Lieu de toutes les métamorphoses, la nature ne pouvait
que fasciner les musiciens de cette période qui mettant en question les cadres et la rhétorique de l’âge classique, étaient à la recherche d’une langue musicale plus diverse, plus
riche d’ambiguïtés, capable d’exprimer par la sonorité elle-même, par la texture harmonique (non plus seulement par le modelé des thèmes) toutes les variations du sentiment,
dans leur correspondance avec celles de la nature elle-même. [Ecoute commentée. Berlioz–
Symphonie fantastique]
Le style romantique
L’expression de toutes ces individualités pose problème dès que l’on veut qualifier
le style romantique. Car chaque artiste a un style personnel. Tous les compositeurs du
xixe siècle partagent des intérêts communs, mais cet intérêt résonne différemment selon
les uns et les autres. Une autre façon de poser le problème est de distinguer des styles
propres à la période et des styles propres aux individus. La période romantique est le
moment dans l’histoire de la musique où la balance penche de manière décisive en faveur
des styles individuels. Quand on écoute de la musique baroque, on distingue d’abord un
style (le baroque), puis on trouve s’il s’agit de Vivaldi, Bach ou Handel. Avec une oeuvre
romantique, la première réaction est de dire "cela ressemble à du Chopin". L’âge classique
avait élaboré ses formes musicales (sonate, symphonie, quatuor, etc.) et construit un style
doté de caractéristiques précises (art des contrastes et du mouvement, liens étroits entre la
musique instrumentale et le monde du théâtre et de la danse). Le xixe siècle voit la mise
en question des acquis du classicisme. Les principaux genres musicaux vont être conservés
mais donneront lieu à de subtiles modifications. Il est difficile de faire une liste des formes
comme on peut le faire pour le baroque par exemple. Mieux vaut se contenter de quelques
caractéristiques générales.
Le rythme
La tendance romantique de brouiller les formes trouve une bonne expression dans la
pratique rythmique du tempo rubato, terme italien signifiant "temps volé". Le rubato indique
que lors de la représentation le rythme est flexible : il est possible d’accélérer certaines notes
de la mélodie ou d’en ralentir d’autres pour abandonner la rigueur de la mesure. Ces variations de vitesse sont appliquées selon l’inspiration de l’interprète ou du chef d’orchestre. A
l’origine, le tempo rubato affectait uniquement la mélodie, l’accompagnement ne connaissant pour sa part aucune variation de vitesse. Par la suite, mélodie et accompagnement
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furent affectés dans une même mesure. Caractéristique du jeu des musiciens romantiques
et de Frédéric Chopin en particulier, le tempo rubato permet aux interprètes classiques
de marquer le morceau joué d’une expression émotionnelle qui leur est propre. Considéré
comme un signe de mauvais goût dans la musique classique ou baroque, au moins lorsqu’il
était appliqué de manière extensive, le rubato est une ressource essentielle du jeu, du chant
et de la direction de la musique romantique. La sensibilité et le sentiment d’un musicien
dépend de sa capacité à user du rubato.
[Ecoute : Liszt–Rhapsodie hongroise en do dièse mineur]
Mélodie et l’harmonie
Le trait le plus reconnaissable de la musique romantique est son style mélodique. La
mélodie est plus émotionnelle, effusive et démonstrative qu’auparavant. Souvent la ligne
mélodique se déploie plus largement qu’à l’époque classique. Les mélodies sont plus irrégulières en rythme et en phrasé, elles résonnent avec plus de spontanéité. L’harmonie est
l’un des domaines où la musique romantique fait de grandes avancées techniques. D’une
part, les compositeurs apprennent à se servir de l’harmonie pour soutenir la mélodie de
façon à lui conférer le plus d’émotion possible. La mélodie romantique est inséparable de
l’harmonie. D’autre part, l’harmonie est considérée pour elle-même, et les compositeurs
aiment expérimenter des nouvelles juxtapositions d’instruments qui permettent souvent
d’aboutir à des humeurs mystérieuses, sinistres ou éthérées. Le chromatisme est un terme
qui emploie délibérément l’ensemble des douze notes de la gamme. Si le style baroque
et classique ne sont pas chromatiques, tous les compositeurs romantiques développent le
chromatisme afin de donner davantage de puissance à leur harmonie et à leur mélodie.
Wagner s’en fera le maître, et après lui les compositeurs du début du xxe siècle.
[Ecoute commentée : Wagner–Tristan und Isolde]
L’expansion des couleurs tonales
Les couleurs tonales avaient été traitées subtilement par les compositeurs viennois
de la période classique. Les compositeurs romantiques vont également manifester beaucoup d’enthousiasme pour les couleurs vocales. Pour la première fois dans l’histoire de la
musique occidentale, la qualité du son revêt un importance artistique majeure, à égalité
avec le rythme, la mélodie et la forme musicale. Et ce n’est pas un hasard si tous les instruments de musique connaissent des développement techniques majeurs durant le xixe siècle.
Ils prennent la forme qu’ils ont encore aujourd’hui, l’orchestre s’étoffe et atteint son niveau
actuel. Les compositeurs apprennent à mélanger les couleurs instrumentales avec la même
liberté et virtuosité que les peintres. Les sonorités claires, bien définies de l’époque classique laisse place à des sonorités orchestrales multicolores et nuancées. Les compositeurs
et le public romantique étaient fascinés par l’orchestre symphonique et pour la première
fois apparaît le personnage du chef d’orchestre (et non plus du simple batteur de mesure).
[Ecoute commentée : Schumann–Concerto pour piano]
Les formes de la musique romantique
Les romantiques sont constamment à la recherche d’expériences leur permettant
d’aboutir à "toujours plus d’expression". Cette quête provoque une réaction contre les restrictions des formes et des genres musicaux et un refus d’obéir aux règles. Les romantiques
s’en prennent notamment aux notions abstraites de beauté ou de décorum qui tuent toute
spontanéité. En littérature, Shakespeare est pris pour modèle : à chacune des scènes de ses
pièces l’unité de lieu est brisée, la tragédie entre en collision avec la farce, les riches rimes
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poétiques avec la mauvaise prose, les personnages nobles partagent la scène avec les bouffons. Les compositeurs romantiques vont beaucoup s’inspirer de la turbulence pleine de
vie et de la liberté formelle de Shakespeare dans leurs oeuvres : l’auteur anglais aurai une
grande influence chez Mendelssohn, Berlioz, Tchaokovski, Wagner et Verdi. En musique, le
travail porte sur l’harmonie et la forme, que l’on cherche à briser. Tous les compositeurs se
permettent des choses qui leur avait été interdites jusqu’avant.
Compositions grandioses et miniatures
Le romantisme réalise de nouvelles configurations formelles. Premier cas de figure,
les formes classiques sont respectées, mais étirées à l’extrême, poussées dans leurs retranchements expressifs. La forme sonate par exemple, marque de fabrique du classicisme, est
traitée très librement dans les sonates pour piano de Schumann, tant et si bien que celui-ci
lui préfère la dénomination de "fantaisie", terme qui proclame la suprématie de la spontanéité en musique. L’époque romantique est celle des pièces grandioses. Dans les symphonies, les cantates, les opéras, le nombre de mouvement, d’exécutants et le temps total
augmentent considérablement, la finalité étant d’impressionner l’auditoire par la combinaison d’émotions grandioses et de volume sonore important.
A contrario, l’époque voit se développer des formes brèves, appelées miniatures.
[Ecoute : Schumann–Carnaval]
[Ecoute : Chopin–Valse op. post. en la mineur n˚11]
Les oeuvres programme
L’oeuvre programme est un principe qui découle de la volonté des compositeurs
romantiques de rendre la musique expressive. Selon eux, la musique était proche de la
source de l’émotion humaine et pouvait exprimer un sentiment spontané profond et librement. Le xixe siècle abonde en musique qui porte des titres évocateurs, associant les mots
au contenu émotionnel de la musique. Là réside d’ailleurs peut-être l’une des contradiction
de la musique romantique, qui n’a pas besoin d’explication mais qui pourtant est expliquée
au moyen des mots. Le but était sûrement de combiner la musique avec tout ce qui pouvait
l’enrichir – et par conséquent le langage en fait partie. C’est la combinaison des deux éléments qui fait sens, pas la musique seule. L’époque romantique est celle des compositions
orchestrales et vocales où les textes narratifs et philosophiques sont exprimés en musique.
[Ecoute : Mendelssohn–Ouverture du Songe d’une nuit d’été]
L’unité thématique
Les compositeurs tendent de plus en plus à faire courir les mêmes thèmes tout au
long des nombreux mouvements de leurs oeuvres. L’utilisation de la forme cyclique est
une manifestation subtile du principe de l’unité thématique. Les variations sur un thème
(ou transformations thématiques) sont utilisées successivement dans les différentes parties
d’un mouvement ou dans toutes les mouvements d’une pièce. Cette pratique se distingue
des périodes baroque ou du classique où le thème est rappelé sur le même ton et où les
variations se suivent directement en ordre. Il n’est pas toujours facile de distinguer les variations, les transformations ou les vagues ressemblances à l’intérieur d’une même oeuvre.
On ne peut apprécier pleinement la musique romantique si on cherche à l’inscrire dans
un cadre formel bien défini. Dans beaucoup de cette musique, la forme intérieure – la
forme spontanée spéciale d’une pièce individuelle – est liée au principe de l’unité thématique. Ecouter de la musique romantique requiert des oreilles qui ne sont pas seulement
attentives mais également imaginatives, curieuses et capables de fantaisie.
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Wagner–Tristan und Isolde
Chopin
Frédéric Chopin (1810–1849) est né près de Varsovie, où son père, un français émigré en Pologne et marié à une polonaise, tenait une école privée pour jeunes gens de la
bonne société. Plongé dans cette ambiance, Chopin acquis un goût prononcé pour la vie
de la haute société. Etudiant avec les meilleurs pianistes, il devint un pianiste hors pair.
Ses variations sur "La ci darem la mano" de Mozart, écrites à l’âge de dix-sept ans, lui
valurent un article élogieux de Schumann dans sa revue. Chopin s’installe à Paris et s’intègre parfaitement à la haute société et aux autres artistes et intellectuels, tels Honoré de
Balzac et Eugène Delacrois. Chopin se fait une carrière en tant que professeur de piano et
en vendant sa musique à des éditeurs. Chopin avait une personnalité fragile et délicate.
S’il jouait parfois dans des concerts publics, il préférait jouer pour des publics triés dans
des grandes maisons. Plus que les autres compositeurs de son époque, il ne compose essentiellement que pour un seul instrument : le piano. L’événement majeur de sa vie fut
son histoire d’amour mouvementée avec Aurore Dudevant, mieux connue sous le nom de
Georges Sand. Après sa rupture, la santé de Chopin déclina. Il mourut de la tuberculose
peu après.
Concerto pour piano en la mineur
Robert Schumann (1810–1856) est issue d’une bourgeoisie modeste mais cultivée.
Très vite passionné par la musique et la littérature, le jeune Schumann n’est pas un enfant
prodige. Sa mère l’envoie étudier le droit à l’Université de Leibzig à ses dix-huit ans. Seul
dans une ville qu’il n’aime pas, étudiant une matière qui ne l’intéresse pas, Schumann fréquente alors les sociétés musicales et les meilleurs musiciens amateurs de Leipzig. C’est
dans ces salons qu’il rencontre Friedrich Wieck (le père de Clara qui n’a alors que neuf
ans), professeur éminent et grand pianiste mais sans grand talent créatif, qui va devenir
son maître vénéré. Rapidement Schumann éprouve le besoin de voyager en Allemagne,
en Suisse et en Italie. A Pâques 1830, il entend jouer Paganini : c’est une révélation. Il arrête ses études de droit et se lance définitivement dans la musique. Schumann s’installe
chez Wieck, se lance dans l’étude du piano, ambitionnant de devenir un virtuose et compose ses toutes premières oeuvres pour piano. A force d’acharnement pour développer
sa technique digitale, il aboutir à un blocage des deux doigts de sa main droite. C’en est
fini de ses espoirs de carrière comme virtuose. Il tente de se défenestrer. Émergeant d’une
crise qui a manqué de lui coûter la vie, Schumann écrit de plus en plus, et fonde la Neue
Zeitschrift für Musik, gazette où il part en guerre contre les admirateurs de Rossini, les «
philistins », gardiens d’un ordre musical rétrograde et classique, que le romantisme allait
rapidement emporter. De 1835 date son amour pour Clara Wieck. Très vite celle-ci lui sera
interdite par la volonté du père de la jeune femme. L’éloignement obligé de Clara, des fiançailles en cachette, la lutte contre Frédéric Wieck dans l’exaspération et le chagrin laissent
beaucoup de traces dans sa création. C’est l’époque de ses grandes oeuvres pour piano,
toutes adressées à Clara, l’époque aussi des amitiés avec Chopin et Listz, de l’admiration
sans borne pour Mendelssohn. Un peu plus tard, il se lance dans la composition d’oeuvres
plus vastes : concertos, symphonies, musique de chambre et un opéra. Il gagne sa vie en
tant que professeur et chef d’orchestre. Mais Schumann souffre de troubles de l’humeur
et des traces de dépressions survenues dans son enfance (dues notamment au suicide de
sa soeur). En 1854, il entend sans cesse la note "la", a des hallucinations, des troubles de
la parole. Le 27 février, il sort de chez lui en pantoufles et se jette dans le Rhin. Repêché
par des bateliers, il est éloigné de Clara qui attend un huitième enfant et conduit dans un
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asile, où il meurt deux ans plus tard. En février 1854, Schumann est repris par des troubles
devenus habituels. Il entend sans cesse la note « la », a des hallucinations, des troubles
de la parole[1]. L’angoisse de devenir fou croît de jour en jour. Le 27, il sort de chez lui,
en pantoufles, et, après avoir traversé ainsi Düsseldorf sous la pluie, se jette dans le Rhin.
Repêché par des bateliers, il est éloigné de Clara qui attend un huitième enfant, et conduit
à l’asile d’Endenich, près de Bonn, dont il ne sortira plus jamais.
Le Concerto pour piano en la mineur, achevé en 1845, est l’un des plus grands
concertos pour piano de l’ère romantique. C’est le seul concerto pour piano que Schumann
acheva, trois projets antérieurs étant resté inachevés. En 1841, Schumann écrit une Phantasie
pour piano et orchestre, conçue selon ses propres termes comme "un juste milieu entre
symphonie, concerto et grande sonate". C’est cette Phantasie qui deviendra, quatre ans
plus tard, le premier mouvement de son concerto. En 1845, il y greffe un intermezzo et
un finale, ses éditeurs trouvant un concerto plus commercialisable qu’un simple Allegro.
L’oeuvre fut créée à Dresde le 4 décembre 1845 par Clara au piano, et Ferdinand Hiller,
dédicataire de la pièce, puis reprise à Leipzig, le 1er janvier 1846, sous la direction de Felix
Mendelssohn. Le concerto n’eut pas un succès immédiat, n’ayant pas été conçu comme
un morceau de bravoure. Schumann, dont la main droite était endommagée depuis 1832,
s’était écarté de toute virtuosité démonstrative dans ses oeuvres.
Le premier mouvement (Allegro affettuoso) suit la forme sonate, mais de manière
très lâche. Schumann trouvait que la forme de double exposition était inappropriée à l’effet d’intimité qu’il voulait donner à son mouvement. Une petite introduction explosive au
piano est suivie par le beau thème de tout le concerto, d’abord introduit par l’orchestre,
puis par le piano, auquel il convient mieux. Le reste du mouvement contient des variantes
très intéressantes du thème principal du point de vue du tempo, de l’humeur. Ce ne sont
pas des variations à proprement parler, car elles ne concernent pas tout le thème, mais
uniquement quelques mesures. Schumann nous donne un bon exemple de transformation
thématique, l’une des caractéristiques de l’unité thématique mise en oeuvre par les compositeurs romantiques. La coda est écrite entièrement par Schumann, qui ne laisse donc pas
de place à la libre improvisation du pianiste.
Ecoute commentée. Mendelssohn
Félix Mendelssohn(1809–1847) est le seul grand compositeur de la période issus
d’une famille très aisée, convertie au judaïsme et travaillant dans la banque. Sa maison
était un lieu de rencontre entre les artistes et les intellectuels de toutes les générations.
Félix et sa soeur Fanny furent élevés dans un bain de musique, avec tous les avantages
d’une éducation de privilégié (Mendelssohn est également peintre amateur). A l’âge de 15
ans, Félix dirigeait l’orchestre familial et faisait jouer sa propre musique. Il eut une carrière
éblouissante, non seulement en tant que compositeur à succès, mais également en tant que
pianiste, organiste, chef d’orchestre, professeur (il fonda le conservatoire de musique de
Leipzig) et même musicologue. Sa représentation de la Passion selon Saint Matthieu de
Bach contribua beaucoup à exhumer la "musique ancienne". Dès le début Mendelssohn
montra un grand respect pour les compositeurs classiques. Sa musique ne va jamais aussi
loin dans les expériences romantiques que celle d’un Schumann ou d’un Chopin ; elle garde
toujours une base classique. L’un des champs d’activité les plus importants de Mendelssohn
fut l’ouverture, un genre précurseur de la musique à programme romantique.
Ecrite à 17 ans, Ein Sommernachtstraum figure parmi les oeuvres les plus célèbres
de Mendelssohn. Elle est inspirée de l’oeuvre de Shakespeare, que Félix et sa soeur appréciaient beaucoup. Mendelssohn n’est pas le seul à s’inspirer de Shakespeare, Berlioz le
fera également abondamment. La partition est réalisée à deux moments de la courte vie
du compositeur : dans son adolescence (écriture préalable de l’Ouverture en 1826, à 17
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ans), puis à l’âge d’homme quand trentenaire, musicien de la Cour berlinoise, il écrit le
ballet complet (une quarantaine de minutes), à partir du matériau musical de l’Ouverture,
pour l’anniversaire du roi, en 1843. L’histoire est complexe. Elle met en scène deux couples
d’amoureux transis, une dispute entre le roi et la reine des fées, une potion qui s’en mêle et
une troupe de comédiens amateurs qui préparent une pièce pour le mariage d’un prince.
Tous vont s’entrecroiser dans cette forêt étrange, un peu magique, le temps d’une nuit d’été
ensorcelante qui ressemble à un rêve. La scène la plus connue, celle qu’évoque l’ouverture,
est l’apparition de Bottom, qui porte une tête d’âne, avec Titania, qui par la magie de Puck
en est tombée amoureuse. L’ouverture (allegro do molto) donne une description musicale
géniale de la féerie dramatique de Shakespeare. La tonalité de mi mineur marque la partition dans le sillon de l’amour et du songe. Des harmonies d’instruments à vent pianissimo
introduisent l’ ?uvre, mais après cinq mesures, cette atmosphère recueillie est interrompue
par les tourbillons staccato des cordes aiguës. Des accords diminués des vents sont intercalés afin de conférer un peu à la danse l’obscurité menaçante de la forêt enchantée lors
d’une nuit d’été. Mais le soleil intervient dans un mi mineur majeur rayonnant, pour n’être
interrompu que par la danse pesante des artisans. Après que le "hi-han" de l’âne s’est fait
entendre et que des fanfares de chasse ont résonné, l’enchantement reprend encore une fois
à partir du début.
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Ecoute commentée. Weber–Der Freischütz
Der Freischütz est un Singspiel en trois actes et en langue allemande de Carl Maria
von Weber (1786-1826). Considéré aujourd’hui comme l’un des premiers opéras romantiques avec Fidelio de Ludwig van Beethoven, son livret fut écrit par le poète Johann Friedrich Kind d’après un conte populaire germanique. L’œuvre fut créée le 18 juin 1821 au
Königliches Schauspielhaus de Berlin : elle connut un grand succès, se propagea par la
suite dans toute l’Europe et devint le symbole de l’opéra romantique allemand. Ton populaire, imaginaire de la nature sauvage, présence du fantastique, exploration des "forces
obscures" : Der Freischütz n’usurpe pas son sous-titre d’ "opéra romantique". Wagner, qui le
vénérait et reconnaissait lui devoir beaucoup, y voyait la première expression sur la scène
lyrique d’une sensibilité spécifiquement germanique.
Dans une localité forestière de Bohême, au xviie siècle, le jeune chasseur Max épousera Agathe, la fille du garde-chasse, s’il remporte le concours de tir. Inquiet de ses récents
revers, il se laisse tenter lorsque Kaspar lui promet le succès grâce à des balles qui, fondues
à minuit dans la Gorge-aux-Loups, ne manquent jamais leur cible. Ce dernier lui cache que
la dernière balle appartient en fait au Chasseur Noir (le Diable), à qui il a vendu son âme et
dont il espère obtenir un sursis sur terre en lui livrant Max comme victime. Le lendemain,
Max multiplie les exploits au concours et, au moment de l’ultime épreuve, Agathe, qui a
rêvé qu’elle était elle-même la colombe désignée pour cible, tente de l’arrêter. Il tire ; la
jeune femme tombe, mais elle n’est qu’évanouie car la balle a atteint Kaspar qui meurt en
maudissant ciel et diable. Face au trouble général, Max doit avouer son recours à la magie
noire et n’évite d’être banni par le prince Ottokar que grâce à l’intervention d’Agathe et
surtout d’un ermite. Après un an de mise à l’épreuve, il pourra se marier avec sa fiancée.
Le drame est dense et les atmosphères bien tranchées. Aux tableaux populaires,
le célèbre chœur des chasseurs de l’acte III s’oppose la mémorable scène de satanisme
de la Gorce-aux-Loups au finale de l’acte II : le chœur d’esprits invisibles, puis le faceà-face Kaspar-Samiel (le Diable, dont le traitement en rôle parlé accentue encore le côté
inquiétant), enfin la fonte des balles, au milieu d’un déchaînement orchestral croissant, lui
donnent un impact dramatique puissant. Les personnages sont dessinés avec ce même sens
du contraste qui prime sur la complexité psychologique : violence sinueuse du chant de
Kaspar, lyrisme ample et lumineux de la grave et pieuse Agathe, ligne plus enjouée de son
espiègle cousine Ännchen, simplicité naïve de Max. Remarquable, enfin, est l’écriture orchestrale, tant par les recours très abondants aux couleurs des vents et des cuivres (les cors
sont bien sûr au premier plan), que par les soli intrumentaux qui accompagnent certains
airs.
Ecoute commentée : Liszt–Etude d’exécution transcendantale n˚4
Franz Liszt (1811–1886) apprit la musique auprès de son père, à la cour du prince Esterhazy. A l’âge de onze ans, le jeune homme donna son premier concert de piano à Vienne,
où il rencontra Beethoven. Il s’installa plus tard à Paris, comme Chopin. Le style de Liszt,
sa personnalité et sa liaison avec une aristocrate mariée, la comtesse d’Agoult, passionna
l’Europe tout autant que son incroyable virtuosité pianistique, qui soulevait véritablement
les foules. Après sa rupture avec la comtesse, Liszt entama une tournée de concerts dans
toute l’Europe. Puis, fatigué, il prit un poste de chef d’orchestre et de directeur du théâtre
de Weimar, en Allemagne, où il y avait encore une cour qui mécénait les arts à la manière
du xviiie siècle. Il y écrivit la partie de son œuvre la plus importante et la plus influente.
Comme nombre de compositeurs romantiques, Liszt était également un critique musical.
Il se fit l’ardent défenseur notamment de la musique de Wagner, qui devint son ami. Liszt
a donc eu deux carrières. La première, à Paris, en tant que virtuose fantastique est celle
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des œuvres virtuoses pour piano, telles que les Etudes transcendantales et les Rhapsodies hongroises. La deuxième, à Weimar, se concentre plutôt sur les œuvres orchestrales, symphonies
à programme ou poèmes symphoniques.
Les douze études d’exécution transcendentale forment un cycle de douze pièces
dont la composition a commencé en 1826 et s’est achevée en 1852. Dans leur version définitive, les études couplées selon une relation majeur-mineur suivent un plan tonal logique
par quartes. Étant donné qu’elle ne sont que douze, elles ne parcourent évidemment pas
toutes les tonalités majeures et mineures (qui sont au nombre de vingt-quatre) mais commencent en do majeur avec Preludio et s’achèvent en si bémol mineur avec Chasse-neige.
Il existe trois versions des études. Les études, en particulier dans leur deuxième version,
sont parmi les œuvres les plus difficiles jamais écrites pour le piano. Robert Schumann
disait lui-même qu’elles n’étaient pas jouables (à l’époque) par "tout au plus dix ou douze
pianistes dans le monde". Liszt prit conscience que sa technique pianistique virtuose, qui
influença la composition de ces études, était pratiquement insurpassable. En conséquence,
la version finale des études, même si elle est plus abordable, pose des difficultés techniques
et physiques extrêmes à l’interprète. Les cinquième et douzième études par exemple, Feuxfollets et Chasse neige, sont d’une difficulté redoutable. Mis à part les deuxième et dixième,
les études portent toutes des titres inspirés d’ ?uvres littéraires et poétiques ou y font fortement référence. Les études auront une immense influence sur la musique pour piano qui
a suivi : celles de Claude Debussy, Serge Rachmaninov, Béla Bartók et György Ligeti, entre
autres, en portent clairement l’empreinte.
La quatrième étude du recueil, en ré mineur, est l’une de ses pièces maîtresses et
l’une des plus connues. Après une introduction en accords brisés, puis en gammes mineures aux deux mains, le thème en octaves apparaît, qui mêle de nombreuses difficultés :
déplacements des deux mains à la fois, enchaînement rapides de tierces mineures, majeures et de quartes pour chacune des mains, chromatismes. Ces difficultés en font l’une
des Études les plus impressionnantes à écouter et voir jouer. Liszt a dédié cette étude à
son ami Victor Hugo et s’inspire librement de son poème Mazeppa tiré des Orientales qui
raconte la chevauchée de Mazeppa, ukrainien pauvre mais noble qui vécut au xviie siècle,
et qui surpris en flagrant délit d’adultère avec la femme d’un gentilhomme, fut attaché nu
sur un cheval sauvage qui l’emmena dans une course folle au fin fond des steppes ukrainiennes. Le ton de la pièce est particulièrement héroïque et après un récitatif désespéré,
elle s’achève sur des accords tonitruants annonçant la chute et la résurrection du cavalier :
"Il tombe enfin !. . . Et se relève Roi !"
Ecoute commentée : Schubert–Erlkönig
Un lied est un poème germanique chanté par une voix, accompagné par un piano
ou un ensemble instrumental. À l’origine, les lieder étaient des chants ecclésiastiques allemands populaires (source du choral luthérien lors de la réforme au xvie siècle). Ce sont
d’abord des lieder à trois ou quatre voix basées sur des mélodies populaires ou courtoises
existantes, puis vers le milieu du xvie siècle des lieder à une seule voix, de forme strophique
(alternance couplet/refrain) et qui ressemblent à la canzonetta italienne, tout en gardant un
texte en allemand.
Erlkönig est un lied à composition continue ("durchkomponiert"), c’est-à-dire que la
musique se renouvelle à chaque strophe (c’est donc beaucoup plus flexible que la forme
strophique). C’est une adaptation musicale du poème Der Erlkönig de Gœthe, composée
par Schubert en 1815, alors qu’il n’avait que 17 ans. Chanté pour la première fois en public
par le baryton Johann Michael Vogl en 1821, l’œuvre reçut un accueil triomphal. Les thèmes
développés dans le poème sont typiquement romantiques : la mort, la nuit, le fantastique,
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la peur, la nature. La musique, en sol mineur, se fait sérieuse, profonde et tragique.
Un seul et même chanteur interprète alternativement quatre personnages différents :
le narrateur, aux première et dernière strophes, l’enfant, le roi des aulnes et le père de
l’enfant. Pour distinguer les différents personnages, le compositeur a joué sur le registre
(hauteur de la partie chantée) et sur la nuance de chaque partie.
– Le narrateur est chanté dans le registre du baryton, en mode mineur. C’est lui qui
annonce la mort de l’enfant.
– L’enfant est chanté dans le registre du ténor (notes aiguës), en mode mineur, et
toujours forte, pour signifier la détresse, la souffrance et la peur, Chaque nouvelle
apparition se fait un demi-ton plus haut que la précédente, ce qui en accroît la
tension émotive.
– Le roi des aulnes est chanté dans le registre du ténor (notes moyennes, chantées
presque en voix de tête), en mode majeur, sur une mélodie douce et suave, pianissimo, en accord avec les paroles séduisantes du personnage fantastique.
– Le père chante dans le registre de la basse, en mode majeur et mineur. Il représente
le lien à la réalité, le secours rassurant de l’enfant.
Le piano joue également un rôle important dans la narration : les octaves et les
accords en triolets de la main droite figurent le galop du cheval, alors que les gammes
ascendantes (de six notes seulement) de la main gauche évoquent le vent dans les branches.
De même, l’accompagnement prend un caractère berceur lorsque le roi des aulnes tente de
séduire l’enfant.
Ecoute commentée : Liszt–Totentanz
La Totentanz de Liszt, sous-titrée "paraphrase sur le Dies irae", est à moitié un poème
symphonique et à moitié un concerto pour piano. Il nous offre la possibilité d’observer le
poème symphonique à un stade précoce et de transition, lorsque la technique de Liszt
était davantage celle du thème et variation que celle de la transformation thématique. La
pièce montre également la direction que prend la virtuosité instrumentale après Chopin et
Schumann. Il y a incontestablement chez Liszt un côté clinquant, presque vulgaire. Liszt
s’inspire des Simulacres de la mort gravées à la Renaissance par Hans Holbein. Liszt utilise
le thème du Dies irae, chant grégorien associé par excellence aux horreurs de la mort. Et
il connaissait parfaitement l’effet produit par le Dies Irae dans la Symphonie de Berlioz.
En écrivant une série de variations sur ce thème, il pouvait surpasser Berlioz et donner
l’impression de différents personnages se joignant à la danse. Liszt transpose en musique
avec beaucoup de succès l’humour noir de la danse telle qu’Holbein la dépeint, la brutalité
et même la vulgarité de la mort. Peut-être le clavier du piano de l’époque pouvait donner
l’impression d’imiter le claquement des os : Saint-Saëns dans sa Danse macabre assigne
cette fonction au xylophone, avec sûrement encore plus de réalisme. Liszt débute par des
accords ressemblant à un glas, simulés par le piano qui joue dans les graves et les timbales.
Seulement deux phrases du Dies irae sont jouées par les trombones et le tuba avant que
le piano n’arrive avec sa première cadence, ignorant les hurlements d’indignation de l’orchestre. Il semble que Liszt poursuive l’idée d’une confrontation initiale entre l’orchestre et
le piano, comme l’avait fait Beethoven dans son concerto n˚5.
Ecoute commentée : Berlioz–Symphonie fantastique
Hector Berlioz (1803–1869) est issu d’une vieille famille dauphinoise. Il est le premier grand compositeur qui ne joue pas d’un instrument classique comme le piano ou le
violon. Son père, un docteur de la campagne, l’envoie à l’Ecole de médecine à Paris. La
légende prétend que Berlioz fut horrifié par les salles de dissection et par les rats qui s’y
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trouvaient, sauta par la fenêtre et courut au Conservatoire de Musique. Plus que n’importe
quel autre compositeur de sa génération, Wagner excepté, Berlioz a pensé l’impensable
en musique. Sa symphonie programme n’a aucun précédent et ne sera pas concurrencée
avant Mahler. Le seul instrument qu’il jouait était la guitare, et cependant son imagination
pour les couleurs de l’orchestre est impressionnante. Comme tous les compositeurs romantiques, il s’inspire de la littérature, en particulier de Shakespeare et de Virgile. Berlioz eut
deux mariages malheureux, le premier pour l’actrice Harriet Smithson, qui est immortalisée par l’idée fixe de la Symphonie fantastique. Comme Berlioz fut très décrié, il eut recours à
sa propre publicité : ses Mémoires sont l’un des ouvrages les plus délicieux jamais écrits sur
la musique. Ses œuvres majeures sont la Symphonie fantastique, Les Troyens, La Damnation de
Faust et un très grand requiem.
Sous l’influence de l’opium, un jeune artiste doué d’une sensibilité extrême, a une
série de visions – les différents mouvements de la symphonie – dans lesquelles la femme
aimée apparaît comme une idée musicale, l’idée fixe, qui revient dans chaque mouvement
mais chaque fois sous une forme différente. Berlioz innove profondément en ajoutant un
cinquième mouvement aux quatre mouvements de la symphonie classique et en créant des
effets nouveaux au moyen des instruments de musique de son orchestre. Le cinquième
mouvement est le plus volontairement provocant de toute la symphonie et va bien au delà
de tout ce qu’on avait pu tenter dans le genre jusqu’alors. Il est de forme très libre, quoique
rigoureusement construit. Après une brève introduction qui donne le ton (mesures 1-20),
l’idée fixe apparaît une dernière fois, mais seulement pour être rapidement mise l’écart
après une brutale parodie musicale (mesures 21-78). Les affaires sérieuses peuvent alors
commencer : d’abord le Dies irae (mesures 127-221), puis la Ronde du Sabbat (mesures
241-347), avec pour finir l’inévitable réunion des deux qui précipite la musique dans une
conclusion échevelée (mesures 348-524). L’artiste se réveille. Tandis que le soleil se lève, la
vision s’achève.
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