626 ACTUEL En médecine, moins peut aussi être plus Smarter Medicine: la liste «Top 5» pour le secteur hospitalier Dr Sabine Bavamian a , Prof. Dr méd. Luca Gabutti b , Dr méd. Omar Kherad a, c , Prof. Dr méd. Nicolas Rodondi d, h , Prof. Dr méd. Jonas Rutishauser e , Prof. Dr méd. Gérard Waeber f , Prof. Dr méd. Christoph A. Meier g Hôpitaux universitaires de Genève, Genève; b Ospedale Regionale di Bellinzona e Valli, Bellinzona; c Hôpital de La Tour, Genève; d Universitätsklinik für Allgemeine Innere Medizin, Inselspital, Bern; e Kantonsspital Baselland, Bruderholz; f Centre hospitalier universitaire vaudois, Lausanne; g Universitätsspital Basel, Basel; h Berner Institut für Hausarztmedizin (BIHAM), Universität Bern a Introduction En 2011, la campagne intitulée «Choosing Wisely» – Nouvelle liste des traitements inutiles pour le domaine hospitalier choisir avec sagesse – a été lancée aux Etats-Unis avec Lors de son Assemblée de printemps en mai 2016, soit pour objectif principal la promotion d’une médecine deux ans après la parution de leur première liste, la SSMI devenue la Société Suisse de Médecine Interne au patient au centre de la démarche thérapeutique [1]. Générale (SSMIG) après avoir fusionné avec la Société Cette initiative a permis la publication de listes dites Suisse de Médecine Générale publie une deuxième liste «Top-5» qui constituent le cœur de la campagne. Ces de cinq interventions qui vise cette fois la médecine listes contiennent cinq interventions fréquemment interne hospitalière. Cette nouvelle liste a été élaborée pratiquées, pour lesquelles il n’y a souvent pas de béné- par les auteurs de ce papier et avec la contribution de fices directs et qui peuvent exposer le patient à de pos- 22 chefs de Service de médecine interne d’hôpitaux ­ ­ plus efficiente et qui place la qualité des soins apportés suisses. Les recommandations sélectionnées par le Combattre le surdiagnostic et la surprescription médi- groupe d’experts couvrent des mesures diagnostiques cale a suscité beaucoup d’intérêt ces dernières années, et thérapeutiques courantes à l’hôpital, notamment les comme en témoigne l’organisation de la conférence prélèvements sanguins, les examens radiologiques, la internationale sur le thème de la surmédicalisation pose de sonde urinaire, les transfusions sanguines, ou «Preventing Overdiagnosis» qui a lieu chaque année encore l’administration de somnifères. Ces recomman- depuis 2013. De nombreux pays anglo-saxons et euro- dations concernent des gestes qui n’apportent généra- péens ont également, depuis, publié leurs listes d’inter- lement aucun bénéfice pour le patient et qui peuvent ventions jugées inefficaces et qu’il convient d’éviter. En engendrer des risques, dont une atteinte de la qualité de Suisse, dans sa feuille de route intitulée «Un système vie. L’intérêt de cette liste est d’autant plus important de santé durable pour la Suisse», l’Académie Suisse des que 46% des coûts de la santé sont générés à l’hôpital. ­ sibles effets indésirables. Sciences Médicales (ASSM) a demandé aux sociétés de disciplines médicales d’identifier des axes d’amélioration pour une meilleure qualité des soins [2]. La Société Suisse Le groupe de spécialistes s’est penché sur plus de 400 re- bliant la première liste suisse. En mai 2014, elle présente commandations publiées par les différentes sociétés au grand public une première liste de cinq interventions américaines dans le cadre de la campagne «Choosing à éviter dans le domaine de la médecine interne ambu- Wisely». Après élimination des propositions redon- latoire [3]. Cette initiative suisse a suscité des discussions dantes, ils ont sélectionné les plus pertinentes pour la et un débat intense entre le corps médical, les patients, pratique hospitalière aboutissant à une présélection le grand public ainsi que les médias. Les discussions se de 37 recommandations. Ces dernières ont ensuite été sont concentrées sur les thèmes de la surmédicalisa- classées sur la base de la pertinence clinique en Suisse, tion, la qualité des soins, la prise de décision partagée en intégrant les critères de sélection suivants: fré- avec le patient et sur les possibles incitations financières quence de l’intervention, preuves scientifiques, évalua- perverses du système de santé. Enfin, le sujet a égale- tion du rapport bénéfice/risque pour le patient et pos- ment trouvé écho auprès de la sphère politique. Près de sibilité d’influencer la pratique médicale. A l’issu de ce 300 acteurs de la santé ont discuté des traitements classement, une liste des 10 recommandations ayant super flus prescrits en Suisse lors de la 3e conférence obtenu les meilleurs scores a pu être établie et soumise nationale «Santé2020» à Berne le 1 février 2016. pour évaluation à 22 chefs de Service de médecine ­ de Médecine Interne (SSMI) a joué un rôle pionner en pu- er SWISS MEDICAL FORUM – FORUM MÉDICAL SUISSE ­ Sabine Bavamian Processus de sélection 2016;16(32):626– 629 627 sang et ce, sans but diagnostique bien défini. Ces pré critères. Sur la base d’un consensus, le groupe d’experts lèvements sanguins répétés peuvent, en plus d’être a finalement retenu les cinq propositions qui ont fait une source d’inconfort et de douleur pour le patient, l’objet de cette deuxième liste officielle. conduire à une anémie secondaire pouvant nécessiter ­ interne en Suisse, qui les ont classées selon ces mêmes ­ ctuel A des transfusions sanguines [4]. Quelque 20% des pa- La SSMIG recommande de ne pas pratiquer les tests et prescriptions suivants dans le domaine hospitalier: tients atteints d’infarctus du myocarde développent lors de leur séjour à l’hôpital une anémie modérée à sévère (Hb <11 g/dl) [5]. L’utilisation excessive de ces tests peut avoir un impact délétère sur la prise en charge du patient notamment ­ 5 recommandations à la base d’une médecine plus rationnelle (fig. 1) en étant potentiellement préjudiciables et augmenter Recommandation 1: Ne pas faire de prises de sang les coûts de la santé. Ces examens comportent égale- à intervalles réguliers (par exemple chaque jour) ment le risque de générer des résultats faussement posi- ou planifier des batteries d’examens, y compris des tifs et ainsi devoir suivre et traiter des patients qui n’en examens radiographiques, sans répondre à une ont pas besoin. La formation du personnel médical, un question clinique spécifique. suivi régulier des prescriptions de ces examens, l’utili- rente à de nombreux examens cliniques (par ex. radiographies thoraciques, gazométries, formules sanguines, électrolytes, électrocardiogrammes, etc.). Ces examens sation d’outils informatiques qui contrôlent qu’une indication appropriée justifie le test demandé ou encore qui rappellent que le test a déjà été prescrit, sont des moyens de lutter contre cette sur utilisation médicale. ­ Les patients hospitalisés sont soumis de façon récur- doivent être justifiés et répondre à une question cli- Recommandation 2: Ne pas poser ou laisser en place nique spécifique. Ils ne doivent être réalisés que si leur une sonde urinaire uniquement pour des raisons résultat influence la prise en charge du patient. A titre de commodité (incontinence urinaire, surveillance d’exemple, il n’est pas rare de pratiquer régulièrement, de la diurèse) chez des patients en dehors des soins parfois même de manière quotidienne, des prises de intensifs. La Société Suisse de Médecine Interne Générale recommande de ne pas pratiquer les tests et prescriptions suivants dans le domaine hospitalier: Ne pas faire de prises de sang à intervalles réguliers (par exemple chaque jour) ou planifier des batteries d’examens, y compris des examens radiographiques, sans répondre à une question clinique spécifique. Ne pas poser ou laisser en place une sonde urinaire uniquement pour des raisons de commodité (incontinence urinaire, surveillance de la diurèse) chez des patients en dehors des soins intensifs. Ne pas transfuser plus que le nombre minimum de culots érythrocytaires nécessaires pour soulager les symptômes liés à l’anémie ou pour normaliser le taux d’hémoglobine selon des seuils définis: 7 g/dl chez des patients stables non cardiaques et 8 g/dl chez des patients stables avec une maladie cardiovasculaire pré-existante. Ne pas laisser les personnes âgées alitées pendant leur séjour à l’hôpital. De plus, des objectifs thérapeutiques individuels doivent être établis en fonction des valeurs et des préférences de chacun. Ne pas utiliser de benzodiazépines ou autres sédatifs-hypnotiques chez les personnes âgées pour le traitement de l’insomnie, de l’agitation ou d’un état confusionnel aigu et éviter leur prescription à la sortie de l’hôpital. SWISS MEDICAL FORUM – FORUM MÉDICAL SUISSE Figure 1: Liste «Top-5» des recommandations pour le milieu hospitalier. 2016;16(32):626– 629 628 avaient un meilleur pronostic après transfusion res- dans les unités de soins, on rencontre les infections trictive [10–13]. La décision du seuil d’apports érythro- urinaires associées à la pose de cathéters urinaires à cytaires à utiliser doit être évaluée au cas par cas et ne demeure. Les sondes urinaires sont fréquemment uti- doit pas seulement prendre en compte les concentra- lisées sans indication précise ou sans même que le tions d’hémoglobine du patient. Cette décision doit médecin qui suit le patient en soit informé. Un des fac- également intégrer les autres symptômes et le diag teurs les plus importants qui contribue à augmenter nostic de base. Pour les patients hospitalisés stables le risque d’infection est la durée d’utilisation de ces non cardiaques, un seuil de transfusion de 7 g/dl est gé- sondes. En effet, ces sondes restent parfois en place néralement admis. Pour les patients stables avec une même lorsqu’elles ne sont plus médicalement néces- maladie cardiovasculaire pré-éxistante, un seuil de saires [6]. Une méta-analyse regroupant les conclu- transfusion de 8 g/dl est recommandé [14]. sions de 14 études a démontré les avantages du retrait précoce des sondes urinaires sans effet néfaste ultérieur pour le patient [7]. Cette simple intervention de limiter la durée de pose de la sonde a permis de diminuer de 52% le taux d’infection urinaire. Ces infections peuvent augmenter la morbi-mortalité hospitalière, ­ Parmi les infections les plus fréquemment rencontrées ­ Recommandation 4: Ne pas laisser les personnes âgées alitées pendant leur séjour à l’hôpital. De plus, des objectifs thérapeutiques individuels doivent être établis en fonction des valeurs et des préférences de chacun. les durées d’hospitalisation et avoir un impact finan- Les patients âgés hospitalisés représentent jusqu’à 60% cier significatif. Les recommandations internationales des admissions à l’hôpital [15]. Jusqu’à 65% d’entre elles proposent aux hôpitaux et aux établissements de soins risquent de perdre leur autonomie en raison d’un alite- de longue durée de mettre en place des procédures ment prolongé [16]. C’est pourquoi il est recommandé claires quant aux indications au sondage urinaire, aux de mobiliser ces patients à risque durant leur séjour à techniques de mise en place et d’entretien, ainsi qu’aux l’hôpital, afin de maintenir leur capacité fonctionnelle. indications de retrait ou de remplacement de ces Les conséquences de ce déconditionnement sont, en sondes [8]. plus de l’impact financier significatif, une augmenta- Recommandation 3: Ne pas transfuser plus que le nombre minimum de culots érythrocytaires nécessaires pour soulager les symptômes liés à l’anémie ou pour normaliser le taux d’hémoglobine selon des seuils définis: 7 g/dl chez des patients stables non cardiaques et 8 g/dl chez des patients stables avec une maladie cardiovasculaire pré-existante. tion des durées de séjour, le recours à des services de réhabilitation, un risque accru de chutes pendant et après la sortie de l’hôpital ainsi qu’une augmentation de la mortalité chez les personnes âgées [17]. Des études ont montré que le fait de rester alité 10 jours chez des adultes de plus de 60 ans en bonne santé participait à une diminution de la masse maigre (perte de 1 kg de muscle en 10 jours) et de la force musculaire ainsi que Chez les patients hospitalisés gravement malades, des capacités fonctionnelles en général (extension des l’anémie est une pathologie fréquente. La transfusion membres inférieurs, capacité respiratoire, vitesse de est alors le seul traitement efficace capable de normali- marche, etc.) [18]. Ainsi, la promotion de la marche des ser les niveaux d’hémoglobine de ces patients. Il a été patients âgés hospitalisés pendant leur séjour permet démontré qu’une politique de transfusion libérale avec une meilleure mobilité à leur sortie de l’hôpital, une des seuils de transfusion plus élevés ne permettait pas durée de séjour plus courte et une amélioration de leur une meilleure prise en charge des symptômes liés à capacité à effectuer indépendamment des activités de l’anémie par rapport à la stratégie restrictive définie la vie de tous les jours, tout en récupérant plus rapide- ci-dessus. Au contraire, un apport de sang inutile gé- ment après une intervention. nère des coûts supplémentaires et expose les patients à des effets indésirables potentiels sans aucun bénéfice (infections, réactions d’hémolyse, augmentation de la durée d’hospitalisation, mortalité, etc.) [9]. De nombreuses études réalisées chez des patients souffrants de pathologies diverses (par ex. patients présentant un Recommandation 5: Ne pas utiliser de benzodia ­ ctuel A zépines ou autres sédatifs-hypnotiques chez les personnes âgées pour le traitement de l’insomnie, de l’agitation ou d’un état confusionnel aigu et éviter leur prescription à la sortie de l’hôpital. Des nombreuses études montrent de façon consistante gnements gastro-intestinaux ou ayant subi une chirur- que le risque d’accidents de la route, de chutes et de gie de la hanche) ont montré que la mortalité (par ex. fractures de la hanche nécessitant une hospitalisation mortalité à 30 jours, mortalité hospitalière, saigne- et pouvant entraîner la mort peut plus que doubler ments) était comparable ou même que les patients chez les personnes âgées prenant des benzodiazépines SWISS MEDICAL FORUM – FORUM MÉDICAL SUISSE choc septique, une atteinte cardiovasculaire, des sai- 2016;16(32):626– 629 629 zodiazépines (par ex. zolpidem) ne sont pas des alternatives plus sûres aux benzodiazépines classiques. Le taux de fractures sous zolpidem est même plus élevé chez les personnes de plus de 65 ans [22]. L’utilisation de benzodiazépines doit donc être réservée au traitement de delirium observé lors du sevrage de l’alcool ou en cas de troubles anxieux généralisés sévères et lorsque d’autres traitements se sont montrés inefficaces. souvent pour une médecine maximaliste où «tout» est souvent peu efficaces, voire inefficaces, et qui sont parfois même associées à des effets indésirables importants. Disclosure statement Les auteurs n’ont déclaré aucun lien financier ou personnel en rapport avec cet article. CH-1205 Genève sabine.bavamian[at] gmail.com de Genève SWISS MEDICAL FORUM – FORUM MÉDICAL SUISSE Hôpitaux universitaires Dr Sabine Bavamian 1 Choosing Wisely. 2013. http://www.choosingwisely.org/. 2 Académie Suisse des Sciences Médicales. Médecine durable. Bâle: Académie suisse des sciences médicales. 2012:1–32. 3 Selby K, et al. Creating a list of low-value health care activities in Swiss primary care. 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