Ecologie politique - E719 / 2013 La construction des problèmes environnementaux Marc Hufty THE GRADUATE INSTITUTE | GENEVA Plan 1. Introduction 2. Le tournant constructiviste 3. Une nature construite 1. Introduction Réalisme • S'oppose à la métaphysique (spéculation intellectuelle: existe-t-il une cause première? l'âme est-elle immortelle?) • La science classique repose sur l'idée qu'il existe un monde réel dont les propriétés sont clairement déterminées et indépendantes de l'observateur (objectives) • Ces propriétés peuvent être observées et décrites de la même façon par divers observateurs • Les affirmations au sujet de cette réalité peuvent être testées expérimentalement, et reconnues vraies ou fausses Courants du réalisme Positivisme, empirisme... • • L'expérience sensible est à l'origine de la connaissance La systématisation des observations empiriques, des liens entre les phénomènes observables (les lois) et leur test constitue la science, universelle, cumulative, transmissible • Science ≠ croyance: ce qui n'est pas vérifiable empiriquement, reconnu vrai ou faux, n'est pas significatif • Les concepts doivent nécessairement se référer en dernier ressort à objets réels Problème : réalité et perception • • • Réalité: ce que j’observe existe-t-il? Perception: mes sens rendent-ils compte de la réalité? Interprétation: ce que je comprends correspond-il à ce qui existe? Réalité et perception • La « réalité » dépend donc à la fois de ce qui est observé, l’objet, et de celui qui observe, le sujet • Idéalisme: la seule chose certaine est la pensée, tout n'est que représentation de l'esprit Relativisme • • Nos sens s'interposent entre nous et l'observé Nous avons un biais culturel qui nous pousse à des interprétations auxquelles nous ne pouvons échapper • Le langage, convention culturelle, biaise notre capacité à décrire et analyser le monde • Il ne peut y avoir de science universelle, contrairement à l'hypothèse réaliste-positiviste, il n'y a que des connaissances contingentes (accidentelles ou due au hasard) • « Tout est relatif » 2. Le tournant constructiviste Constructivisme (constructionnisme) • L'idée même d'objectivité (un monde en-dehors, observable et susceptibles de lois) est un produit social, une construction • La connaissance ne peut donc dériver de l'expérience, car celle-ci résulte des conventions sociales et donc de la culture (invalidation de l'empirisme) • Version radicale: La réalité est socialement construite. Les référents ne peuvent être observés en-dehors du discours, puisqu’ils sont le produit du langage, lui-même construit • Version modérée: la connaissance est co-construite, les mécanismes cognitifs qui orientent les pratiques des acteurs se forment collectivement, de façon intersubjective La démarche constructiviste • l'objet de la connaissance devrait donc porter sur les représentations du monde qui sont partagées au sein de groupes • La culture, le langage et les idées sont des éléments intersubjectifs producteurs de normes et d'institutions • Les normes et institutions sont constitutives: elles rendent possibles des comportements en intervenant dans la constitution des identités et des intérêts des agents The Social Construction of Reality Berger & Luckmann (1966) • • Ouvrage clé des sciences sociales Les faits sociaux que l'ont considère comme donnés (races, genres, castes, identité...) sont contruits et maintenus par les interactions sociales • Institutionnalisés par le langage, les modèles partagés, les rôles et les pratiques récurrentes qui structurent le social • Théories et idéologies (interprétations de la réalité) sont manipulées par les détenteurs du pouvoir pour le maintenir • La socialisation (primaire / secondaire) est l'intériorisation des faits sociaux, de l'ordre The construction of social reality John Searle (1995), le "réalisme externe" • Comment le lien entre les catégories cognitives (partagées) et la réalité s'opère-t-il? • Différence entre a) les faits bruts (une montagne, sa hauteur) existant en dehors de l'humain - ce qui place Searle chez les réalistes b) les faits institutionnels (les règles sociales), socialement construits - ce qui le place chez les constructivistes • De la somme des connaissance, une part importante est socialement construite • Une chaise est en partie fait brut, en partie fait institutionnel (intentionnalité) Laboratory Life: the Social Construction of Scientific Facts, Latour & Woolgar, 1978 • Etude anthropologique d'un laboratoire de recherche spécialisé en neuroendocrinologie au Salk Institute • La description naïve de la méthode scientifique (selon laquelle la réussite ou l'échec d'une théorie dépend du résultat d'une expérience) ne correspond pas à la pratique • Une expérience ne produit que des données peu concluantes • Une grande partie de l'éducation scientifique consiste à apprendre comment trier les données qui doivent être gardées et celle qui doivent être rejetées • Ce processus, pour un regard extérieur « non-éduqué », serait perçu comme une manière d'ignorer les données qui contredisent l'orthodoxie scientifique • Les objets d'étude scientifiques sont « socialement construits » dans les laboratoires • Ils n'ont pas d'existence en dehors des instruments de mesure et des spécialistes qui les interprètent • L'activité scientifique est donc un système de croyances, de traditions orales et de pratiques culturelles spécifiques Le constructivisme en relations internationales Alexander Wendt: Anarchy is what states make of it: the social construction of power politics. International Organization. 46 (2), 1992; The agent-structure problem in international relations theory. International Organization. 41 (3), 1987 • • Le rapport agent-structure est un rapport de co-détermination • Les structures du système international sont des constructions sociales • “The structures of human association are determined primarily by shared ideas rather than material forces” Les structures sociales, normes et institutions, constituent les acteurs; les acteurs produisent et reproduisent ces structures par leurs pratiques sociales • “The identities and interests of purposive actors are constructed by these shared ideas rather than given by nature” • Logiquement, l'anarchie des relations internationales (une institution) n'existe pas en soi, elle est construite • A partir de là les acteurs agissent selon cette croyance partagée, elle s’institutionnalise par les pratiques des acteurs • Le comportement des Etats est donc guidé par les idées partagées • Les organisations internationales sont d’importantes productrices de la perception de l’identité et des intérêts des Etats (Martha Finnemore, National Interests In International Society. New York: Cornell UP, 1996) 3. Une nature construite La nature de la nature • En dehors de nous existe un environnement physique, certains le qualifient de nature • L'appeler "nature" est, selon l'approche constructiviste, une convention sociale, une co-construction historique (modernisme, colonialisme - Willems-Braun), politique et culturelle • • Naturalisme: séparation entre l'humain et la nature • Courant de la Deep ecology Certaines sociétés ne font pas cette différence et perçoivent l'humain comme partie de la "nature" (Descola) La nature de la nature • Chacun voit en la nature ce qu'il a intériorisé par le travail des institutions contingentes à sa société • Chaque société a une vision différente de la nature • La forêt tropicale est une construction (Stott) • Diverses visions co-existent au sein d'une même société • Par exemple l'autochtone devenu passeur culturel et entrepreneur, qui voit une nature organique, capitaliste et bureaucratique (Escobar) Nature? (Escobar) • • La nature, comme les autres “objets” est une construction • Essentialisme: prêter à ce que nous appelons nature des qualités intrinsèques • La séparation humain-nature est le produit d’une culture particulière (utilitariste, productiviste et capitaliste) et des ses rapports de force • • La “crise de la nature” est la crise de ce modèle Ce que nous percevons comme naturel est construit, par le discours et les relations de pouvoir Recherche d’une écologie politique de la nature