Apériodique - n° 14/02 - juillet 2014 Corée du Sud : Encore quelques défis à relever… La Corée du Sud revient peu à peu à son rythme de croissance potentiel. Grâce à une politique économique adaptée et à une industrie exportatrice performante, elle est parvenue à surmonter la crise de 2009 avec beaucoup moins de difficultés qu’en 1997. Soutenue ces dernières années par la demande des pays émergents et de l’ASEAN, la Corée devrait profiter des reprises américaine et européenne, et surtout de l’intensification de ses échanges avec la Chine. La croissance reste toutefois freinée par divers éléments : le secteur des services est peu développé, le marché du travail est trop segmenté, et la consommation privée (elle-même handicapée par le niveau élevé d'endettement des ménages) n’est pas assez forte pour relayer les exportations si cellesci venaient à ralentir. Le plan économique triennal de la présidente Park Geun-Hye répond à certains des besoins de réformes. S'il est effectivement mis en œuvre, la position déjà solide de la Corée du Sud dans le paysage économique asiatique et mondial en sera renforcée. Des fondamentaux macroéconomiques solides Bien qu’elle ait évolué en dessous de ses performances antérieures, l’économie sud-coréenne s’est montrée plutôt résiliente face aux multiples chocs qui ont agité l’économie mondiale depuis 2009. Après avoir ralenti à 0,3% cette année-là, un chiffre tout de même positif, la croissance s’est établie à 3,7% en moyenne depuis. Le fait est que le gouvernement et la Banque centrale ont su piloter l’économie avec beaucoup de finesse, en desserrant la politique budgétaire et la politique monétaire dans le bon timing et de façon coordonnée lorsque la situation le justifiait, en soutenant les banques et les entreprises en risque de liquidité. Et ce, sans que cela n’affecte significativement les finances publiques ; la dette de l’Etat est passée de 30,4% en 2008 à 35,6% du PIB l’an passé. De plus, la Corée du Sud a continué de dégager de confortables excédents courants. En 2013, celui-ci s’est élevé à 6,7% du PIB et il pourrait rester à ce niveau cette année, voire augmenter légèrement. La croissance pourrait s’accélérer à 3,6% cette année (après 3% en 2013), grâce au raffermissement de l’activité aux Etats-Unis et dans l’UE et à l’intensification des relations avec la Chine. A moyen terme, le gouvernement entend maintenir la croissance autour de 4%. C'est un objectif assurément atteignable. Mais il faudra pour cela préserver la compétitivité du secteur exportateur tout en menant un certain nombre de réformes structurelles visant à surmonter les contraintes qui pèsent aujourd’hui sur la croissance. Graphique 1 – Exportations Croissance, Conmmation, Investissement, % 25 % du PIB 20 60 15 10 5 45 0 -5 -10 30 1980 1990 2000 Investissement (g.) 2010 Exportations (g.) PIB (g.) Conso privée (d.) Source : Datastream, Crédit Agricole S.A. Graphique 2 – Déficits publics, balance courante et indices des prix à la consommation % % du PIB 8 35 6 30 4 25 2 20 0 15 -2 10 -4 5 -6 0 1980 1990 2000 2010 Balance courante (g.) Solde budgétaire (g.) Indice des prix à la consommation (d.) Source : EIU, Banque mondiale, BoK, Crédit Agricole S.A. Études Économiques Groupe http://etudes-economiques.credit-agricole.com Thibaut FAVIER [email protected] Une économie tournée vers l’extérieur Le montant des échanges commerciaux de la Corée du e Sud s’élèvent à plus de 1 300 mds USD (8 rang mondial). Les exportations de biens et services représentent environ 55% du PIB comparé à 25% en France et 15% au Japon. Les importations s’élèvent à environ 50% du PIB. Graphique 3 – Part du commerce extérieur dans le PIB, en 2011 % du PIB 100 80 60 40 20 0 Importations Exportations Source : OCDE, Crédit Agricole S.A. La vitalité du secteur exportateur coréen tient historiquement à un tissu industriel solide et performant (qui s’est structuré autour des chaebols) et, plus récemment, au dynamisme des marchés asiatiques. dont le but fut de concentrer une large partie de la production nationale sur un nombre restreint de conglomérats, les chaebols. Cela permit une plus grande malléabilité et réactivité des structures de production aux directives gouvernementales. En 2012, les ventes annuelles des trente premiers chaebols ont constitué 96,7% du PIB ; le chiffre d’affaires de Samsung, le plus important d’entre eux, a représenté à lui seul un quart du PIB. Ces structures permettent une production à grande échelle suffisamment puissantes, influentes et innovantes pour s’imposer sur des marchés mondiaux. Leur taille imposante pose bien sûr la question du risque systémique en cas de défaillance de l’un d’entre eux, mais leurs activités diversifiées permettent de l’atténuer. Samsung, par exemple, opère dans une dizaine de secteurs : équipement téléphonique, automobile, pétrochimie, finance… Quant au constructeur automobile Hyundai, il a aussi des activités de raffinage de pétrole, dans la construction, etc. Des chaebols diversifiés donc, mais une économie largement spécialisé dans l’industrie lourde (transport maritime, chimie, automobile, sidérurgie, etc.), dix fois plus importante que l’industrie légère (transformation des produits finis, tel le textile). Graphique 5 – Evolutions des exportations de l’industrie lourde et légère mds USD 50 mds USD 500 45 450 40 400 35 350 30 300 Une industrie puissante La force de l’économie coréenne à l’exportation repose sur son industrie. Celle-ci génère près de 40% du PIB (c’est plus qu’il y a 10 ans ; cf. graphique 4). Seules l’Arabie Saoudite, la Chine et l’Indonésie ont un taux plus élevé parmi les pays du G20. La production manufacturière coréenne pèse ainsi 2,8% de la production mondiale, contre 2,4% en 2010. Classée au 5e rang, la Corée se positionne derrière les Etats-Unis, la Chine, le Japon et l’Allemagne (6,1%) mais devant la France (2,5%). Graphique 4 – Production industrielle 25 250 2009 2010 2011 2012 2013 indutrie légère (g.) Indusrie lourde (d.) Source : Datastream, Crédit Agricole S.A. Graphique 6 – Principaux produits exportés. % du PIB 42 mds USD 60 50 38 40 30 34 20 10 30 0 26 22 2000 2005 OCDE 2010 Corée Source : Datastream, Crédit Agricole S.A. Cette industrialisation pousée est en partie la résultante de l’audacieuse politique industrielle du dictateur Park (père de l’actuelle présidente, au pouvoir de 1962 à 1979) N° 14/02 – juillet 2014 2012 2013 Source : Ministère du Savoir et de l'Economie, Crédit Agricole S.A. Symbole de la réussite industrielle et fer de lance de l’économie coréenne, l’électronique génère à lui seul un quart des exportations de produits industriels. Autrefois 2 Thibaut FAVIER [email protected] compétitif grâce à la modération salariale, ce secteur a su élargir la gamme des biens produits (progression horizontale) et remonter les filières jusqu’au stade de la conception de l’objet (progression verticale), lui permettant ainsi de se placer sur des biens technologiquement plus complexes, donc à plus forte valeur ajoutée. Les semiconducteurs sont parmi les biens les plus exportés de Corée. 2 Graphique 8 – Les 10 plus gros importateurs de biens coréens mds USD 160 120 80 Une économie orientée vers les pays émergents Deuxième exportateur mondial à destination de la Chine, l’industrie coréenne profite de l’expansion du marché de 1 son voisin mais aussi de celle des pays de l’ASEAN et, plus généralement, des pays émergents. Sur les années 2009-2013, les exportations vers les pays émergents ont progressé en moyenne de 13,1%, lorsque celles vers les pays développés ont augmenté de 10,6%. Les exportations vers la Chine ont crû de 14,6% et celles vers les pays de l’ASEAN de 18,8%. Graphique 7 – Exportations entre 2009 et 2013 selon les régions mds USD 200 180 160 140 120 100 80 60 40 20 0 2009 2010 2011 BRICS + Mexique UE Etats-Unis Source : Datastream, Crédit Agricole S.A. 2012 Japon 2013 40 0 Source : Datastream, Crédit Agricole S.A. Mais une économie assez sensible aux chocs externes Contrepartie presque inévitable de cette large ouverture commerciale, la Corée du Sud est assez sensible aux fluctuations de la conjoncture mondiale. L’effondrement de la demande aux Etats-Unis et en Europe en 2009 et la chute consécutive de la croissance coréenne cette même année (à 0,3%, comparé à 4,2% en moyenne les cinq années précédentes) le rappellent. L’ouverture du bas de la balance des paiements renforce ce phénomène, élargi même la sensibilité de l’économie sudcoréenne à tout choc externe (susceptible d’altérer l’humeur des investisseurs sur les marchés coréens, comme les tensions avec le frère ennemi du Nord ou les différents diplomatiques en Mer de Chine) et explique la volatilité historique du won (soumis à un régime de change flexible). Pour mémoire, la devise coréenne s’est dépréciée de 15% face au dollar en 2009, après s’être appréciée de 36% l’année précédente. ASEAN De telle sorte que les marchés émergents absorbent aujourd’hui presque trois cinquièmes des exportations de biens coréennes, dont 26% est capté par la Chine et 17,2% par l’ASEAN. Dans ce contexte, trois éléments pourront retenir l’attention à court terme, car porteurs d’un risque baissier sur la croissance et d’un risque de change. Le ralentissement en cours de l’économie chinoise et qui ne manque pas de nourrir des craintes d’un atterrissage brutal (même si ce scénario paraît très peu probable) ; à noter aussi que le rattrapage économique de la Chine, s’il semble aujourd’hui une aubaine, n’est pas sans risque pour la Corée du Sud dans une perspective de plus long terme (cf. encadré 1). La sortie progressive de la politique d’assouplissement quantitatif de la Fed. Ce tapering est source potentielle de tensions, éventuellement vives, sur les marchés internationaux de capitaux ; le won n’a pas trop souffert du mouvement qui a agité les devises émergentes l’été dernier, mais un durcissement des conditions de financement sur ces derniers affecterait les banques et les autres agents économiques, assez dépendants des lignes de crédit externe à court terme. Enfin, la politique économique du Premier ministre japonais Abe (Abenomics) table sur la relance et le soutient aux exportations via une dévaluation 2 1 Les données relatives à l’ASEAN ne tiennent compte que de la Malaisie, Indonésie, Thaïlande, Viêt-Nam, Singapour, Taiwan et les Philippines. N° 14/02 – juillet 2014 Les statistiques douanières brutes surévaluent la valeur ajoutée du commerce bilatéral avec la Chine. En écartant le phénomène d’éclatement des processus de production (qui génèrent de multiples échanges de mêmes biens), le solde bilatéral, mesuré en valeur ajoutée avec la Chine et les Etats-Unis sont identiques en 2012. La conclusion que l’on peut tirer est que la Chine est un partenaire commercial très impliqué dans la chaine de production coréenne et les Etats-Unis sont principalement consommateurs de biens finaux. 3 Thibaut FAVIER [email protected] du yen et la prise de contrôle de la Banque du Japon. Cette stratégie peut être une menace pour la Corée qui a une structure industrielle relativement proche de son voisin nippon.3 Encadré 1 : L’ambivalence de la montée chinoise Partenaire privilégié de la Corée, l’émergence de la Chine peut être vue comme une formidable opportunité pour maintenir et développer son haut niveau d’exportation mais peut aussi être un danger, dans le sens où elle empiète sur les secteurs clés de l’économie coréenne. 4 Les protestations populaires sur l’importance des biens de consommation en provenance de Chine sont peu fondées. Ceux-ci ne représentent que 20% des importations coréennes en provenance de Chine, alors que les biens intermédiaires sont trois fois plus importants, soulignant l’imbrication des processus de production. Par contre, l’émergence de la Chine pose la question de la concurrence sur les marchés tiers. Pour la construction navale, par exemple, l’un des secteurs industriels coréens les plus importants, la Chine est récemment devenue le nouveau leader mondial avec plus de 40% de part de marché, devant la Corée (qui a reculé de 35,5% en 2009 à 29% en 2012). Les résultats d’exploitation de Hyundai Heavy Industries, plus gros chantier naval coréen, ont chuté de 60% en 2013 par rapport à l’année précédente. Il y a certes un effet conjoncturel important dans ce chiffre mais il existe aussi un effet substitution au profit du marché chinois.5 Il est vrai que les nombreux investissements coréens en Chine conduisent à des transferts de technologie et à un renforcement de la compétitivité chinoise. D’autant que le douzième plan chinois (2010-15) cible les mêmes secteurs d’activité que la Corée. Cependant, l’avance technologique des entreprises coréennes les positionne sur un niveau de gamme encore supérieur sur nombre de marchés. La Fédération des Industries Coréennes évalue cette avance à 5 ans. C’est donc en partie pour la maintenir que la Corée investit massivement dans la R&D (objectif de 5% du PIB en 2017) et dépose 2 fois plus de brevets aux Etats-Unis que les Chinois. sociaux et démographiques témoignent d’un profond 7 malaise . Trois principaux freins à la croissance peuvent être identifiés. D’une part, l’atomisation des entreprises de services (caractérisées par une faible productivité) limite la création d’une valeur ajoutée sectorielle plus conséquente. D’autre part, bien que le taux de chômage soit relativement faible, le marché du travail est précaire et inégalitaire, ce qui limite l’utilisation des forces productives, notamment des femmes. Enfin les ménages font face à de lourdes charges « incompressibles », liées à leur endettement très élevé (luimême dû à la hausse des prix de l’immobilier et au coût du logement) et à l’éducation. Ces deux postes absorbent un tiers de leur budget et handicapent la consommation. Des services trop faibles Le secteur des services génère un peu moins de 60% du PIB (contre 80% en moyenne pour les pays de l’OCDE), mais emploie plus de 70% des travailleurs. Cela témoigne d’une productivité relativement faible dans l’ensemble ; par travailleur, elle s’élève à environ 30 000 USD/an (selon McKinsey) lorsqu’elle atteint plus de 80 000 USD dans l’industrie manufacturière (2e rang mondiale derrière les Etats-Unis), et est nettement inférieure à celle des quatre premiers pays de l’OCDE en la matière8. La décomposition de la croissance du tertiaire (environ 4% en moyenne entre 1995 et 2009) révèle que les deux tiers reposent sur l’augmentation du nombre de salariés et le dernier tiers sur celle de la productivité. L’accroissement de la production est donc assuré par l’emploi, à l’inverse du secteur manufacturier. Graphique 9 – Gain de productivité entre 1995 et 2009 par secteur, en taux de croissance annuel 10 8 Le taux de change entre le Japon et la Corée est fortement affecté par la politique du président Abe et dégrade les termes de l’échange bilatéraux. Par contre, cela ne change que modérément le taux de change effectif réel coréen, composé d’un panier de biens échangés avec tous ses partenaires et pondérés par leurs poids relatifs dans les échanges totaux. La menace de l’Abenomics est donc à relativiser. 4 Voir la guerre de l’ail et la guerre du kimchi. 5 A noter que sur les deux premiers mois de l’année 2014, la Corée semble profiter de son avance technologique. En volume, ses parts de marché dans ce secteur s’élèvent à plus de +45%. 6 : « Government prioritises FTA with China over TTP », EIU. N° 14/02 – juillet 2014 6,6 2,7 4 4 1,3 2 0 -2 -1,6 -4 Manufacturier Service croissance de la productivité viariation du nombre d'employés croissance de la production Source : OCDE STAN, McKinsey, Crédit Agricole S.A. Un modèle de croissance à ajuster 3 8,2 6 Enfin, des négociations bilatérales sur un accord de libreéchange pourraient aboutir cette année. Selon certaines sources, cet accord pourrait augmenter le PIB coréen de 6 3% . Bien que la Corée ait accédé en peu de temps à un niveau de développement proche des pays avancés, son modèle de croissance est, de l’aveu de la présidente Park Geun-Hye, à réinventer. Il est vrai que les indicateurs % Plusieurs explications à cela. D’abord, ce secteur est constitué d’un nombre important (+34% environ) d’entreprises de proximité (restaurants, agences immobilières, services à la personne, etc.). Ensuite, les faibles barrières à l’entrée créent une concurrence rude qui tend à tirer à la baisse les profits et à altérer la capacité d’investissement et de modernisation de ces entreprises. De plus, les chaebols préfèrent internaliser les activités de 7 La Corée est le pays avec le plus fort taux de suicide au monde, un taux de divorce parmi les plus importants des pays de l’OCDE et le taux de fécondité le plus bas, avec en moyenne 1,2 enfant par femme. 8 Etats-Unis, Japon, France, Allemagne. 4 Thibaut FAVIER [email protected] services (dont ils ont besoin). Enfin, les nombreuses aides fiscales et autres incitations financières à l’exportation de biens manufacturés détournent le capital productif des services. Le gouvernement tente de corriger cette situation mais les résultats sont jusqu’à présent restés limités. Pourtant le potentiel ne manque pas, notamment dans les secteurs du tourisme, de la finance et de la santé. Le marché du travail Encadré 2 : Les PME La question des PME rejoint celle des services : 60% d’entre elles opèrent dans cette branche d’activité. Ces entreprises souffrent d’une carence de productivité (de un quart à un tiers seulement de celle des chaebols) et de compétitivité. Elles offrent des salaires deux fois moins élevés (en moyenne et toutes fonctions confondues). Graphique 10 – Résultats d’exploitation des entreprises entre 2011 et 2013 % 100 90 80 54 70 60 65 60 50 40 30 46 20 40 35 10 0 2011 2012 2013 10 plus importantes entreprises Source : BoK, Crédit Agricole S.A. Autres entreprises Outre la concurrence rude des chaebols, cette réalité semble tenir au manque « d’esprit entrepreneurial ». La Corée a enregistré nombre de succès industriels grâce à des « fast followers », des agents réactifs qui intègrent rapidement les innovations mais qui n’innovent pas euxmêmes. Les créateurs d’entreprises le font pour la plupart par défaut ou par nécessité, mais pas par vocation. De plus, les PME rencontrent de grandes difficultés à attirer des salariés hautement qualifiés. Un cercle vicieux entre salaires peu élevés et faible productivité les emprisonnent dans un processus de stagnation. Un défi pour le gouvernement sera de changer les esprits : les jeunes valorisent d’avantage la sécurité professionnelle que l’entreprenariat. Pour courber cette tendance, l’échec doit être moins sanctionné ; aujourd’hui, un entrepreneur qui fait faillite n’a presque aucune chance de pouvoir rebondir. Réaffirmer les droits de propriétés intellectuelles constitue un deuxième objectif. La Corée n’est que le septième pays asiatique sur 19 pour la protection de ses données, derrière Taiwan et Hong Kong. Cette défaillance inhibe l’innovation. Enfin, les politiques d’aides au lancement et au financement des nouvelles entreprises ont eu des effets inattendus. Afin de continuer à percevoir les aides financières réservées aux entreprises de petites tailles, certains entrepreneurs ont volontairement limité leur développement 9. 9 “Beyond Korean style: shaping a new growth formula” McKinsey Global Institute; Avril 2013. “The Korean Hidden Champion Strategy”. Ministry of Strategy and Finance , Ministry of N° 14/02 – juillet 2014 Le soutien aux PME a constitué l’un des piliers de la campagne présidentielle de Mme Park et vient d’être renouvelé lors de l’annonce du plan triennal en début d’année. Toutefois, la proximité du chef de l’Etat avec les dirigeants des chaebols pourrait être un frein à la « démocratisation » de l’économie (concept politique de la présidente, pour impliquer davantage chaque individu, dont les PME, dans le processus de création et de production). Le taux de chômage est faible, oscillant depuis plusieurs années entre 3% et 4% ; et le sérieux coup de frein de 2009 n’y a rien changé. Cependant, ce chiffre cache le caractère fortement inégalitaire du marché du travail pour les femmes, les plus âgés et les jeunes. Graphique 11 – Taux de participation des femmes en âge de travailler sur le marché du travail % 80 70 60 50 40 30 20 10 0 Femmes en Corée Femmes dans l'OCDE Source : OCDE, Crédit Agricole S.A. Hommes en Corée Le taux de participation des femmes âgées de 15 à 54 ans est l’un des plus faibles de l’OCDE. La plupart d’entre elles quittent leur activité professionnelle lors de la naissance d’un enfant. Les responsabilités familiales (qui incombent traditionnellement aux femmes en Corée) et les journées de travail longues rendent la conciliation entre vie professionnelle et vie privée difficile et amènent souvent les femmes à faire ce choix10. Par ailleurs, si le taux de participation (au marché du travail) des 45-49 ans s’élève à 80%, il tombe à 57% pour les 60-64 ans ; un chiffre relativement stable depuis 2000. Cette réalité semble trouver une explication dans la faible adaptabilité au changement et le bas niveau de compétences (dans l’ensemble) de cette tranche d’âge, mais aussi dans des particularismes culturels. Les travailleurs coréens acceptent très difficilement d’être encadrés/dirigés par des plus jeunes qu’eux. Enfin, le taux de participation des 15-24 ans est passé de 37% en 1994 à 25% en 2010 ; la moyenne dans les pays de l’OCDE est de 47%. L’enseignement dans le supérieur est presque une obligation institutionnelle. Mais cela crée des inadéquations entre l’offre et la demande sur le marché du travail ; les PME proposent fréquemment des postes ne correspondant pas aux qualifications et aux prétentions Knowledge Economy, Financial Services Commission; March 2010 10 Aujourd’hui, seulement 44% des ménages disposent de deux revenus contre 57% en moyenne pour les pays de l’OCDE. 5 Thibaut FAVIER [email protected] salariales des jeunes diplômés11, et nombre de ces derniers accèdent difficilement à l’emploi. Ces trois catégories, à laquelle s’ajoute les moins diplômés constituent plus souvent la main-d’œuvre flexible et bon marché coréenne : les travailleurs irréguliers. Souvent sous contrat à durée déterminée, à temps partiel ou en intérim, ils ont de moins bons salaires, aucune sécurité de l’emploi et une faible couverture sociale. Cette 12 catégorie représente entre 35% et 50% du nombre total d’employés. Le marché du travail est donc dual et cette réalité entrave la cohésion sociale souhaitée par la présidente Park. La précarité de l’emploi est d’autant plus génératrice de tensions sociales qu’elle est en réalité une trappe de laquelle il est très difficile de sortir13. La grande réforme du marché du travail de 2007 (négociée pendant 5 ans), visant à limiter les discriminations à l’égard des travailleurs irréguliers, n’a donc pas eu les effets escomptés, ni sur les salaires, ni sur la proportion de contrats de travail à durée déterminée. La donne pourrait, néanmoins, commencer à changer progressivement. Une réforme visant à diminuer le nombre d’heures de travail hebdomadaire à 52h est en cours. De plus, la présidente Park s’est fixée pour objectif d’élever le taux de participation au niveau des pays les plus développés, notamment en réintroduisant les femmes sur le marché du travail. Consommation et dette des ménages. C’est en quelque sorte la résultante d’une économie tournée vers l’extérieur et des deux points précédents : la consommation privée n’est pas très dynamique, en tout cas pas suffisamment pour prendre le relais des exportations en cas de choc sur la demande globale. Graphique 12 – Consommation des ménages 12 64 8 62 60 4 58 0 56 -4 54 -8 52 -12 Par ailleurs, leur endettement absorbe un quart de leurs revenus. Entre 2005 et 2014, son montant a presque doublé et dépasse désormais 1000mds USD, soit 80% du PIB ou encore 137% de leur revenu disponible. Si l’endettement des ménages est l’une des préoccupations des autorités, le 14 risque financier reste néanmoins assez faible . Graphique 13 – Indice de prix (base 100, mars 2013) des logements 110 100 90 80 70 60 50 40 30 20 1986 1990 1994 1998 2002 2006 2010 Corée Appartements à Séoul. Source : Datastream, Crédit Agricole S.A. Les dépenses liées à l’éducation ponctionnent, quant à elles, environ 10% du revenu disponible des ménages. Il faut savoir que pour les familles coréennes, la réussite scolaire conditionne plus qu’ailleurs le succès professionnel futur, ce qui les amène à investir lourdement15. De plus, si elle se montre un peu plus favorable depuis quelques mois, la dynamique des prix de l’immobilier au cours des trois dernières années a sans doute peser sur la confiance des ménages ; l’immobilier représente 75% de leur épargne/patrimoine Pour remédier au manque de vigueur de la consommation, les autorités coréennes envisagent d’augmenter les transferts sociaux et d’améliorer la situation sur le marché de l’emploi (augmentation des salaires et de la protection sociale pour les travailleurs irréguliers). Sur la dette des ménages, le gouvernement se montre également entreprenant pour endiguer ce phénomène via une 16 approche « soft landing » . Après avoir ralenti la croissance des prêts et lancer le « National Happiness Fund » pour les ménages endettés à bas revenus, il prévoit en 2014 d’augmenter la part des crédits hypothécaires à taux fixe à 40% (contre 10% en 2013) et veut réduire le ratio dette sur revenu disponible des ménages de 5 points d’ici 2017. 50 1980 1990 2000 En pourcentage du PIB 2010 croissance annuelle (g.) Source : Datastream, Crédit Agricole S.A. Le fait est que le revenu disponible brut des ménages progresse assez lentement. Depuis 2005, il a augmenté d’un point de pourcentage de moins que le PIB réel. Des réformes en vue L’annonce du plan triennal de la présidente Park pour restructurer l’économie en février dernier va dans le sens des recommandations des observateurs et des investisseurs. Ce discours tient en trois points. 14 11 Presque un quart d’entre elles admettent faire face à une pénurie de main-d’œuvre (et font donc appel à des travailleurs étrangers) et dix-sept autres pourcents s’attendent à rencontrer ce problème. 12 Varie selon les sources et les critères retenus. L’OCDE est dans la fourchette basse, l’IRES et Problèmes économiques dans la fourchette haute. 13 Seul 10% des travailleurs irréguliers auraient réussi à accéder à un emploi plus confortable entre 2003 et 2008. N° 14/02 – juillet 2014 Le ratio LTV s’élevait à un prudent 50% en juin 2013, ce qui a pour effet de limiter l’impact sur les créanciers en cas d’une succession de défauts. On constate également une baisse du taux des CDL des ménages depuis le début de l’année 2013 qui est toujours resté modéré, à savoir moins de +1%, depuis le début de la crise. 15 Ils choisissent le système privé (jugé par les familles comme nettement plus fiable pour obtenir une entrée dans les meilleures universités), les parents dépensent $100.000 pour l’éducation de leurs enfants. Les frais d’inscription universitaires et les cours particuliers très répandus en Corée sont intégrés dans l’estimation. 16 « Atterrissage en douceur». 6 Thibaut FAVIER [email protected] Premièrement, construire une économie basée sur des paramètres solides ; c’est-à-dire des services publics plus performants, moins de corruption, un régime de protection sociale plus développé… Bref, il s’agit là, en substance, d’améliorer la gouvernance. En dépit de progrès significatifs ces dernières décennies ou même plus 17 récemment , les indicateurs de gouvernance sud-coréens restent en dessous de ceux des pays de niveau de développement supérieur. Graphique 15 – R&D en pourcentage du PIB 18 % du PIB 5 4 3 2 1 Graphique 14 – Indicateurs de gouvernance de la Banque Mondiale 0 Maitrise de la corruption 100 Expression et Responsabilité Efficacité des pouvoirs publics 50 Source : Banque mondiale, Crédit Agricole S.A. 0 Instabilité politique et violence Etat de droit Fardeau réglementaire Japon Corée du S. France Source : Banque Mondiale, Crédit Agricole S.A. Deuxièmement, favoriser l’innovation qui est au cœur du principe cher à la présidente Park : « l’économie créative ». Ou autrement dit, promouvoir la science et la technologie pour développer une industrie innovante (TIC, NTIC et culture). La stratégie de rattrapage par assimilation des connaissances a, de l’aveu du gouvernement, atteint ses limites. Certes, les dépenses en R&D (rapportées au PIB) de la Corée du Sud la classe parmi les pays les plus performants dans ce domaine (cf. graphique 14). Mais ce chiffre ne dit pas tout. La Corée du Sud est beaucoup plus performante en « développement » qu’en « recherche » et dépend encore de l’innovation de ses concurrents étrangers. Conscient, le gouvernement veut redistribuer 40% du budget alloué à la R&D sur la recherche fondamentale d’ici 2017 qui s’élèveraient à 5% du PIB. Troisièmement, promouvoir la demande intérieure : développer les PME, le secteur des services, réduire les inégalités salariales… Cette réorientation de la politique économique, avec l’accent mis sur les réformes structurelles, va clairement dans le bon sens. Les problématiques évoquées précédemment devraient y trouver des solutions. Bien que les évènements du ferry de Sewol en avril dernier aient fragilisé la classe politique au pouvoir, qui pourrait être plus timorée sur le rythme des réformes, l’objectif de croissance à 4% en moyenne au cours des trois prochaines années n’est pas remis en cause. Mais il faudra sans doute plus à plus long terme. Car le système éducatif montre ses limites et la dynamique démographique va contraindre la croissance. En dépit des très bons classements au concours Pisa de l’OCDE depuis 2000, l’enseignement proposé est très académique et répond assez mal aux attentes des employeurs19 et aux besoins de l’économie créative de Park. Par ailleurs, lancée par le précédent président Lee, la formation professionnelle 20 est encore insuffisamment développée . Le faible taux de natalité va faire basculer la Corée d’un des pays les plus jeunes à l’un des plus âgés de l’OCDE en 205021. L’OCDE table ainsi sur une baisse de la croissance potentielle à 1,7% d’ici 2030. Bien que le gouvernement ait fait divers efforts pour stimuler la fertilité, les résultats sont jusqu’à maintenant incertains. 18 17 Depuis 2011, les dénonciateurs de pratiques frauduleuses sont mieux protégés. En accord avec les Nations unis, la Corée a également présenté un projet de loi fin 2013 pour prévenir et sanctionner les actes de sollicitations, de corruption et les conflits d’intérêts. Et La présidente Park veut aller plus loin, en limitant les pratiques anti-concurrentielles lors d’accord sur des marchés mêlant publics et privés et surveillant mieux ces derniers. N° 14/02 – juillet 2014 Pour l’uniformité, les chiffres proviennent de l’année 2010 et 2011. Pour la Corée, l’investissement en R&D n’a cessé de croître pour atteindre 4,4% en 2013. 19 Le taux d’emploi des diplômés d’université est l’un des plus faibles de l’OCDE : 75% contre 82%. 20 Seulement 28 écoles avec 11 000 étudiants proposent ce type de formation. 21 A cet horizon, la population âgée de moins de 20 ans et de plus de 65 ans pourrait dépasser le nombre d’actifs. Un ratio de plus de 100% donc, contre 52% en 2012). 7 Thibaut FAVIER [email protected] Graphique 16 – Taux de natalité (nombre d’enfants par femme) Solidité nationale et incertitude régionale Avec un PIB par tête qui devrait dépasser 30 000 USD/an en 2015, la Corée du Sud a pu éviter la trappe aux revenus moyens. Les risques semblent modérés sur sa dette souveraine (AA3 par Moody’s; A- par S&P ; AA par Fitch, tous les trois avec des perspectives stables) et le risque pays est faible : la résilience de son économie face à la crise et la volonté affichée par Park Geun-Hye invite à un certain optimisme sur les perspectives de croissance. 4 3 2 1 1974 1984 Corée 1994 OCDE 2004 Japon Source : Datastream, Crédit Agricole S.A. France Finalement, le risque majeur tient à l’instabilité régionale : l’affirmation de la Chine (notamment en mer de Chine du Sud), les relations tendues avec le Premier ministre nationaliste japonais Abe qui affiche des ambitions militaires croissantes et les menaces continuelles du voisin nordcoréen. L’attitude provocatrice de Kim-Jung Un et le probable 4e essai nucléaire nord-coréen entravent la « trustpolitik » souhaitée par Park. Le scénario central demeure tout de même le statu quo. Achevé de rédiger le 1er juillet 2014 Crédit Agricole S.A. - Etudes Economiques Groupe 12 place des Etats Unis – 92127 Montrouge Cedex Directeur de la Publication : Isabelle Job-Bazille Rédacteur en chef : Jean-Louis Martin Secrétariat de rédaction : Véronique Champion-Faure Contact: [email protected] Consultez les Etudes Economiques et abonnez-vous gratuitement à nos publications sur : Internet : http://etudes-economiques.credit-agricole.com iPad : l’application Etudes ECO disponible sur l’App store Cette publication reflète l’opinion de Crédit Agricole S.A. à la date de sa publication, sauf mention contraire (contributeurs extérieurs). Cette opinion est susceptible d’être modifiée à tout moment sans notification. Elle est réalisée à titre purement informatif. 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