mise au point Ventilation non invasive et insuffisance respiratoire chronique d’origine neuromusculaire : implications pour l’intensiviste Aspects éthiques La ventilation non invasive (VNI) lors d’insuffisance respiratoire chronique terminale, notamment d’origine neuromusculaire, est un moyen de lutte contre la dyspnée et, en cas d’apnées du sommeil, contre la fragmentation du sommeil associée. C’est un traitement palliatif intéressant et il n’est pas légitime sur le plan éthique d’en priver les malades qui consentent à sa mise en route. Des options telles que la VNI ou la ventilation invasive via une trachéotomie doivent être discutées loyalement et précocement avec le malade et son entourage, afin qu’une décision raisonnable puisse être prise hors de l’urgen­ce. L’opinion du patient quant au recours à la ventilation mécanique est un facteur prépondérant. Dans un deuxième article de ce numéro, nous discutons les aspects médico-légaux liés à la ventilation mécanique de ces patients. Rev Med Suisse 2010 ; 6 : 2390-5 J.-C. Chevrolet J.-P. Janssens D. Adler Pr Jean-Paul Janssens Dr Dan Adler Service de pneumologie Pr Jean-Claude Chevrolet Service des soins intensifs HUG, 1211 Genève 14 [email protected] Non invasive ventilation in the ICU for the neuromuscular patient : ethical issues Non-invasive mechanical ventilation in patients with chronic neuromuscular disorders is an effective tool for treating dyspnea or sleep disturbances often observed in such patients. So, NIV has to be considered as a palliative treatment and it must systematically be offered to these patients. Mechanical ventilation, non-invasive or invasive (via a trachesotomy) have to be considered systema­ tically with patients and families at an earlier stages of these diseases in order to design a strategy in case of acute respiratory failure. In a second parent paper of this issue, we discuss the medico-legal implications of mechanical ventilation in neuromuscular failure, particularly the end-of-life aspects. introduction La question d’instaurer ou non une ventilation mécanique, soit en phase aiguë, soit de façon prolongée, chez les patients atteints de maladies neuromusculaires progressives, est toujours un sujet de controverse.1-6 En effet, si la ventilation mécanique prolonge indéniablement la vie de la plupart de ces malades en retardant l’échéance de la défaillance respiratoire terminale, la qualité de la vie de ces patients n’est pas toujours à la hauteur de leurs espérances.7 Certains d’entre eux considèrent même sérieusement la possibilité d’une demande de suicide assisté.8,9 Le devoir du médecin consiste alors plus dans l’accompa­ gnement de ces malades en fin de vie que dans l’instauration de technologies sophistiquées.10 Nous allons tout d’abord discuter les enjeux éthiques en relation avec la ventilation mécanique dans différentes situations cliniques, dans un premier article, puis envisager quelques aspects médico-légaux dans un second article, notamment les questions relatives à l’information des malades et à la sécurité d’emploi de la ventilation mécanique, ainsi que la difficile problématique de l’interruption de ces traitements chez les malades déjà ventilés. Par ventilation mécanique, nous entendons a priori une ventilation non invasive (VNI), c’est-à-dire le recours à une assistance respiratoire en pression positive via une interface non invasive (masque nasal ou naso-buccal, embout buccal), par opposition à la ventilation par trachéotomie (dite invasive). Nous essaierons, au fil de ce texte, de répondre aux questions que se posent les cliniciens qui traitent ce type de patients, notamment : quelles sont les options thérapeutiques disponibles ? Quand doit-on en discuter avec les malades et leurs proches ? La ventilation prophylactique, c’est-à-dire la ventilation pratiquée avant la survenue de l’insuffisance respiratoire patente, a-t-elle un sens ? Quelle est la qualité de la vie des malades avec un soutien ventilatoire ? Quel est le risque que la ventilation mécanique ne fasse que prolonger une vie déjà très difficile ? Les patients avec une atteinte bulbaire doivent-ils être traités différemment ? Quelle est la place de la trachéotomie (ventilation invasive) ? Comment traiter la phase terminale de la maladie ? 3 2390 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 15 décembre 2010 06_11_35291.indd 1 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 15 décembre 2010 0 09.12.10 08:30 indication de la ventilation mécanique – aspects éthiques Ventilation mécanique dans l’insuffisance neuromusculaire chronique De nombreuses affections neuromusculaires peuvent toucher, à des degrés divers, les muscles inspiratoires et expiratoires.11 Leur évolution est en général lente, parsemée d’épisodes de décompensation aiguë, surtout en fin d’évolution, lorsque la force musculaire respiratoire atteint des valeurs basses, généralement situées autour de 30% de la valeur prédite de la capacité vitale.11-13 Ces malades présentent alors une dyspnée de repos qui, parfois, perturbe plus ou moins gravement leur sommeil,14 avec une hypoventilation nocturne, favorisée par la position couchée qui peut se traduire par des céphalées matinales, voire un état confusionnel à l’éveil causé par l’hypercapnie, ou encore une hypersomnolence diurne et des altérations de la personnalité.14 Enfin, certaines de ces affections, comme les maladies progressives du motoneurone (sclérose latérale amyotrophique, autres affections similaires) peuvent évoluer plus rapidement et, en particulier, se compliquer précocement de troubles de la déglutition à l’origine d’épi­ sodes d’infections broncho-pulmonaires par aspiration.12,15 C’est dans ce contexte et en tenant compte de ces facteurs que se pose la question de l’instauration d’une ventilation mécanique, soit en phase de lente décroissance de la fonc­ tion musculaire respiratoire, soit lorsqu’un épisode de décompensation aiguë avec intubation se solde par un sevrage impossible du respirateur.4,16 Si la question de l’indication à une ventilation mécanique se pose chez tous ces malades un jour ou l’autre, les questions et les problèmes en cause sont assez différents selon le type d’affection, en particulier selon qu’il s’agisse d’une maladie lentement progressive, dont la maladie de Duchenne (dystrophie musculaire de Duchenne de Boulogne – DMD) est un prototype,2 ou que l’on ait à traiter un malade atteint d’amyotrophie rapidement progressive, comme c’est le cas dans la maladie de Charcot (sclérose latérale amyotrophique – SLA).5 Nous discuterons donc de ces deux maladies séparément, comme des prototypes de deux situations différentes, surtout par leur âge d’apparition, leur vitesse d’évolution et leurs taux de survie sous ventilation mécanique. Dystrophie musculaire de Duchenne La dystrophie musculaire de Duchenne (DMD) atteint environ 1/3500 nouveau-nés de genre masculin. L’anomalie concerne le chromosome Xp21. Celui-ci contrôle la synthèse de la dystrophine, une protéine absente dans la DMD.2 L’af­ faiblissement musculaire progressif entraîne la perte de la marche vers l’âge de dix à douze ans, une cyphoscoliose, puis la perte de l’usage des membres supérieurs. Sans assistance ventilatoire, ces malades développent une hyper­ capnie diurne avant l’âge de vingt ans et ils décèdent d’insuffisance respiratoire peu après. Au vu de ce déclin lentement progressif et inéluctable, un contrôle régulier de la fonction respiratoire est de rigueur, afin de prévenir, ou en tout cas de se préparer à la survenue d’une insuffisance res­ piratoire aiguë. La mesure annuelle des volumes pulmo- 0 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 15 décembre 2010 06_11_35291.indd 2 naires, en particulier de la capacité vitale, est indiquée dès l’âge de sept ans. En valeur absolue, la capacité vitale et les autres volumes pulmonaires suivent typiquement une courbe ascendante, en cohérence avec la croissance de l’enfant, puis un plateau et, enfin, une courbe descendante. Le risque d’insuffisance respiratoire est directement lié au taux de la chute de la capacité vitale dans cette dernière phase. Exprimé en pour cent de la valeur prédite, le taux de la chute de la capacité vitale varie selon le volume atteint dans la phase de plateau. La perte de capacité vitale est de 4,1% par an chez les malades qui ont atteint un plateau de 2,5 litres, et de 9,6% par an chez ceux qui n’ont pas atteint un plateau de 1,7 litre.17,18 La perte de volume pulmonaire et l’apparition de l’hypercapnie sont directement liées. En pratique, un contrôle annuel est nécessaire et, en cas de baisse de la capacité vitale à moins de 1,5 litre ou de l’apparition de symptômes évocateurs d’hypoventilation alvéolaire, une gazométrie artérielle devrait être réa­lisée. Si les gaz du sang diurnes sont normaux, un enregistrement nocturne de la saturation en oxygène (oxymétrie) et du gaz carbonique (capnométrie télé-expiratoire) devrait être effectué. Si cet examen est normal, une réévaluation au moins bisannuelle sera prévue. En cas d’hypercapnie ou d’hypoxé­ mie diurne (PaCO2 L 45 mmHg – 6 kPa ; PaO2 l 60 mmHg – 8 kPa), ou en cas de désaturation prolongée nocturne (L 20% du temps passé en dessous de 90% de saturation en oxygène, et/ou présence d’épisodes de désaturation de l 88% pendant plus de cinq minutes consécutives) une assistance ventilatoire devrait être instituée. A ce stade, le choix se porte sur la ventilation non invasive (VNI), en premier lieu par voie nasale ou faciale.19 Insuffisance respiratoire aiguë dans la maladie de Duchenne (DMD) L’admission en réanimation des patients atteints de ma­ ladies neuromusculaires chroniques évolutives sera envi­sa­ gée en cas de décompensation aiguë. Ces décompensations peuvent être dues à des problèmes intercurrents (aspiration bronchique, pneumonie, atélectasie, distension gastrointestinale aiguë à l’origine d’une décompensation respiratoire, etc.).13 La ventilation mécanique à pression positive, après intubation trachéale, ne pose généralement pas de problème technique chez des malades dont les poumons sont peu atteints et qui, en règle générale, présentent une compliance de leur cage thoracique normale, ou peu réduite, sous réserve des patients très cyphoscoliotiques.12 En revanche, lorsqu’un malade est atteint de DMD et qu’il nécessite la ventilation mécanique pour une décompensation aiguë, le risque qu’il devienne dépendant du respirateur est important.20 C’est pourquoi tant le malade que ses proches doivent être mis au courant assez tôt dans l’évolution de la maladie neurologique du risque de décompensation res­pi­ ratoire, de son traitement possible par la ventilation méca­ nique, invasive ou non, afin que la meilleure décision puis­se être prise en connaissance de cause, et non dans l’urgence. Ventilation non invasive au long cours par voie nasale ou faciale dans la maladie de Duchenne (DMD) La VNI peut être prescrite pour les troubles respiratoires liés au sommeil, fréquents chez les neuromyopathes Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 15 décembre 2010 2391 09.12.10 08:30 (apnées, obstructives et/ou centrales, hypopnées),21 avec un effet bénéfique sur la qualité du sommeil et la somnolence diurne, ainsi qu’avec une amélioration de la qualité de la vie et un retard de la perte de la fonction musculaire respiratoire. Elle sera instaurée dès qu’une oxymétrie aura mis en évidence des épisodes de désaturation nocturne dont la nature peut être confirmée par polygraphie ou polysomnographie.6,22 Quand la PaCO2 est constamment élevée (L 50 mmHg – 6,7 kPa), on envisagera une ventilation non invasive diurne, dont la durée ira progressivement en croissant (ventilation par embout buccal, ventilation par masque nasal, notamment).6 Toutefois, les vraies questions ne sont pas tant de nature technique que plutôt d’ordre éthique.2,3,12,23 En effet, lorsque ces malades, notamment s’ils sont déjà placés en VNI à domicile, se décompensent au point de devoir être intubés, c’est que leur insuffisance neuromusculaire est déjà très avancée. Dans ces circonstances, la question de la prolongation de leur vie se pose, d’autant plus qu’il n’est pas certain que leur extubation sera possible.3,20 Il est impossible de discuter ici une attitude générale valable pour tous les patients, car la qualité de la vie est une notion éminemment subjective, certains patients acceptant une autonomie très limitée, d’autres non. Il est frappant de constater que certains malades atteints de DMD, sous VNI par masque nasal à domicile, décrivent leur sort comme comparable à celui que vivent d’autres patients (cypho­ scoliotiques, bronchopathes obstructifs chroniques), eux aussi placés sous VNI, mais ne présentant pas de maladie neurologique progressive.24 Il est en tous les cas préférable d’avoir envisagé au préalable, et même assez tôt, la possibilité d’une décompensation aiguë avec le patient et d’avoir discuté avec lui et ses proches l’attitude à suivre dans une telle éventualité, recommandation que l’on doit généraliser à toutes les décisions graves quelle que soit l’affection de base considérée.25 Malheureusement, il ne semble pas que ce type de discussion ait lieu systématiquement avec les patients et leurs proches.2,26 Il est pourtant essentiel de mentionner que seul le malade peut esti­mer la qualité de son existence présente, et non le thérapeute ou l’entourage du patient. On est en effet parfois surpris que des patients atteints de DMD, trachéotomisés et ventilés, ne présentent que peu de troubles de l’humeur, en particulier de dépression.25,27 Moyennant ces précautions, dans la pratique, la décision est rarement problématique et il est souvent assez aisé de détecter le moment où le malade estime que sa qualité de survie est si médiocre qu’elle ne justifie plus la prolongation de sa vie.13 La présence de troubles de la déglutition ne semble pas être une contre-indication à la VNI.3 Enfin, l’état de la fonction myocardique doit être pris en considération avant d’instituer une ventilation mécanique au long cours dans la DMD. La gravité de la cardiomyopathie est indépendante de l’âge, de l’atteinte musculaire périphérique et de la fonction respiratoire. La fraction d’éjection du ventricule gauche peut être estimée par échocardiographie ou ventriculographie isotopique. Lorsqu’elle est inférieure à 20% avec cette dernière méthode, la survie est de moins d’une année et elle ne peut guère être influencée par une assistance ventilatoire au long cours.28 Il est d’autant plus 2392 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 15 décembre 2010 06_11_35291.indd 3 important de s’assurer de la présence d’une fonction cardiaque encore compatible avec une survie raisonnable que des données suggèrent que les malades atteints de DMD survivent plus longtemps sous VNI que sans ventilation assistée. Ceci tendrait à montrer que la VNI n’est pas qu’une simple assistance respiratoire destinée à accroître le confort.28 Bien entendu, les cardiomyopathies liées aux maladies musculaires que nous discutons doivent être pri­ ses en charge pour elles-mêmes, car elles sont accessibles au traitement, notamment à l’administration de b-bloqueurs et d’inhibiteurs de l’enzyme de conversion.29,30 Enfin, même si la VNI ne modifiait pas la survie, il est désormais admis que la ventilation assistée au long cours dans la DMD réduit le nombre des hospitalisations pour insuffisance respiratoire.31 Maladies progressives du motoneurone – la sclérose latérale amyotrophique (maladie de Charcot) La prévalence des maladies dégénératives du neurone moteur spinal est d’environ cinq pour 100 000 et près de 30% de ces malades vont présenter une atteinte bulbaire qui menace les voies aériennes en raison du risque d’aspiration bronchique.32 La moitié de ces malades va mourir dans les trois ans qui suivent le diagnostic.33 Une fois le diagnostic neurologique posé et l’insuffisance musculaire respiratoire assurée, plusieurs options sont possibles. Tout d’abord, il convient de ne pas négliger l’ensemble des trai­ tements symptomatiques (nutrition, kinésithérapie respiratoire, traitement pharmacologique de la dyspnée, oxygène, etc.).25,32,34,35 Une consultation multidisciplinaire, par exemple en hôpital de jour, est une bonne opportunité de réaliser la meilleure coordination possible entre tous les intervenants autour du patient. Ensuite, une stratégie globale devrait être discutée avec le malade et son entourage assez tôt, à froid, avant un épisode de décompensation respiratoire nécessitant l’intubation.4 Toutes les options devraient avoir été envisagées et expliquées, notamment les possibilités et les techniques de ventilation mécanique disponibles et leurs avantages et inconvénients – VNI ou par trachéotomie.3,36 Quelques données suggèrent que la grande majorité des malades souhaitent que ces discussions aient lieu avant une décompensation respiratoire majeure et ils estiment important de connaître précisément ce qui va leur arriver et les décisions qui pourraient être alors prises.5 De plus, il semble qu’une minorité de malades choisissent, une fois correctement informés, de vivre avec une ventilation permanente par trachéotomie.37,38 Ces patients, dans la mesure où leur soutien socio-affectif et leur encadrement médico-soignant sont adéquats, peuvent même montrer un certain degré de satisfaction de vivre dans leur situation.39 Malheureusement, il n’est pas rare que des malades atteints d’affection progressive du motoneurone se présentent inopinément aux urgences en insuffisance respiratoire grave, sans être connus des services hospitaliers, voire sans être médicalisés. Il n’est pas possible d’établir une doctrine vis-à-vis de la ventilation mécanique universellement acceptable dans cette situation et seule une évaluation individualisée du patient apparaît comme légitime. Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 15 décembre 2010 0 09.12.10 08:30 Toutefois, la majorité des thérapeutes adoptent ici une attitude réaliste qui consiste à intuber le malade pour se donner le temps de la réflexion, puis à tenter un sevrage et une extubation rapide en prenant le relais avec la VNI, si l’évaluation du patient entreprise entre-temps rend cette option raisonnable. Ventilation non invasive dans les maladies chroniques du motoneurone L’indication à la VNI se pose plus dans le but de soulager la dyspnée que de prolonger une survie de qualité jugée médiocre.3,4,25,40-42 Le moment optimal pour l’instauration de la VNI est mal connu chez ces malades. Nous ne disposons que de peu de données sur une stratégie de prévention, c’est-à-dire sur l’instauration de la technique avant l’apparition de symptômes comme la dyspnée, la somnolence diurne, etc. De même, la valeur prédictive de mesures physiologiques, comme la capacité vitale, n’a pas été souvent testée dans ce type de maladies.25 Il semble que l’hypoventilation alvéolaire (manifestée par une hyper­ capnie) apparaisse chez la grande majorité des patients environ une année après la survenue des premiers symptômes neurologiques, quel que soit l’état respiratoire initial, alors que seulement 2-3% de ces malades arrivent avec une atteinte respiratoire contemporaine de leur atteinte neurologique périphérique. Une évaluation systématique effectuée trois mois après le début des premiers symptômes semble être un bon indicateur de la rapidité d’apparition de l’insuffisance respiratoire.43 Certains auteurs 41 préconisent tout de même un recours le plus précoce possible à la VNI dans le but d’améliorer la qualité de la vie, notamment en réduisant ou en supprimant la dyspnée. Il existe clairement un consensus pour estimer qu’au moment où des symptômes apparaissent, en relation avec une faiblesse musculaire respiratoire, la VNI doit être proposée,3,4,13 alors que certains préconisent le recours à la VNI au moment de l’apparition des difficultés respiratoires lors du sommeil.44 La présence de troubles de la déglutition, notamment dans les formes bulbaires de ces maladies, ou de paralysies des cordes vocales ne paraît pas être une contre-indication formelle à la tentative d’instauration de la VNI, mais une certaine prudence est de rigueur, la tolérance individuelle à l’égard de cette technique devant être testée pour chaque patient.45 Par ailleurs, il semble que, même si les soignants sont assez sceptiques sur ce point, les malades atteints de maladies progressives du motoneurone ne regrettent pas l’option choisie, c’est-à-dire la VNI, et que leur qualité de vie est plus affectée par les limites imposées par la maladie neurologique elle-même que par celles qui sont amenées par la ventilation mécanique.25,46 Plusieurs auteurs ont démon­ tré que la qualité de la vie telle que la ressent le malade est améliorée par l’emploi de la VNI, essentiellement en raison de la régression de la dyspnée,14,47,48 quoique tous les malades ne tolèrent pas la VNI.47 Il est bien sûr important de tenir compte de différences culturelles lorsqu’on se réfère aux résultats d’études portant sur la qualité de vie de tels patients.49,50 Enfin, même si la philosophie de la mise en route de la VNI dans ce type de maladie réside plus dans une palliation des symptômes que dans une 0 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 15 décembre 2010 06_11_35291.indd 4 tentative de prolonger la survie, certains pensent que les malades équipés d’une VNI ont une survie plus longue.25,51 Transition de la VNI vers la ventilation invasive par trachéotomie et la gestion de la fin de vie Tôt ou tard, les malades affectés de maladies progressives du motoneurone sous VNI vont devoir affronter deux questions : la prolongation de leur vie au prix de la mise en place d’une trachéotomie, ou l’interruption de la VNI, lorsque cette technique deviendra inefficace, en particulier lorsque survient une atteinte bulbaire ou encore lorsque ces patients jugeront leur condition insupportable. Il existe à l’égard de la trachéotomie dans ces maladies d’importan­ tes divergences d’opinion, notamment d’origine culturelle,49 les Américains étant plus favorables que les Européens à l’instauration d’une technique qui ne fait que prolonger une situation difficilement tolérable.3,25,50 Il faut toutefois reconnaître que les soignants, et parfois les proches des malades, ont tendance à sous-estimer la qualité de vie des patients et certains témoignages de malades ventilés au long cours par trachéotomie pour une sclérose latérale amyotrophique rapportent que ce type de situation est au moins tolérable et parfois même souhaité.43 Il semble que les malades les plus jeunes, notamment s’ils ont des enfants en bas âge, et ceux qui sont les plus instruits avec les plus hauts revenus, au moins aux Etats-Unis, font partie des 30% qui choisissent la trachéotomie.37 Toutefois, 20% des ventilés par cette méthode souhaitent décéder après un certain temps de ventilation. Relevons néanmoins que la ventilation par trachéotomie permet des survies prolongées, parfois de plusieurs années, bien entendu au prix d’une dégradation de la qualité de la vie qui engendre un découragement, voire un état dépressif, et une surcharge de travail pour l’entourage si le patient est ventilé à domicile.39 Pour notre part, nous déconseillons aux malades de se soumettre à ce geste et il est exceptionnel dans notre expérience que des patients ou leur entourage, dûment et précocement informés des techniques de ventilation mécanique, réclament cette option.4 Il est clair que, si des progrès thérapeutiques surviennent dans le futur, cette opinion devra être profondément révisée. Il faut aussi reconnaître que très peu de données existent sur l’opinion réelle des patients placés en VNI quant à la poursuite de leur trajectoire vers la ventilation par trachéotomie.52 L’interruption de la VNI arrivera tôt ou tard, qu’elle soit demandée par le malade, ou qu’elle devienne inefficace.25,53 Dans notre modeste casuistique, on arrête exceptionnellement la VNI : les patients deviennent ventilateurs dépendants avec parfois moins d’une heure de «temps libre». Il va de soi que les soignants ont alors un devoir d’assistance au patient et que le recours à des médicaments sédatifs, même majeurs, en suivant les recommandations données par les spécialistes de la médecine palliative, est parfaitement légitime. Il en va de même si le malade demande que la ventilation mécanique par trachéotomie soit interrompue (voir l’article suivant).53 On veillera à ce que la volonté du malade soit en tous les cas respectée, en étant très attentif aux graves problèmes de communication qui ne manquent pas de survenir dans ces situations de délabrement neurologique très avancé.5 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 15 décembre 2010 2393 09.12.10 08:30 conclusion Contrairement à la place de la VNI dans la bronchopneumopathie chronique obstructive décompensée 54 ou les pneumopathies hypoxémiantes aiguës, de l’hôte immunocompétent 55 ou immunocompromis,50 il n’existe pas d’étude sur la VNI dans les syndromes restrictifs aigus ou chroniques portant sur des collectifs importants de malades qui satisfont les critères de la médecine fondée sur les preuves (evidence-based medicine). La plupart des travaux mentionnés dans ce texte, à l’exception de quelques-uns d’entre eux14,16,27,51,56-58 portent sur des collectifs restreints et ils n’offrent pas les garanties apportées par un groupe contrôle ou tout autre atout méthodologique capable d’ap­ porter un niveau de preuve plus élevé.59 Malgré tout, dans l’attente de données plus solides, on ne doit pas renoncer à la VNI dans ces situations, car il existe un corpus d’expérience clinique et des arguments physiopathologiques qui laissent penser que cette technique peut réellement aider certains malades. Ainsi, l’emploi de la VNI comme traitement palliatif de la dyspnée chez les neuromyopathes en phase avancée de leur maladie, ou comme moyen d’éviter l’intubation, doit être sérieusement envisagé. Les aspects éthiques et médico-légaux liés à l’utilisation de la ventilation mécanique chez les neuromyopathes doivent être connus, en particulier ceux qui sont reliés à la phase de fin de la vie de ces patients (voir l’article suivant). On n’insistera jamais trop sur le bénéfice que peuvent tirer ces malades et leurs proches d’une information claire, loyale et à leur portée sur l’évolution de leur maladie à ses différentes étapes et sur les possibilités thérapeutiques disponibles. Les malades souhaitent fortement cette anticipation et les médecins doi­ vent affronter tôt une discussion avec leur patient même si elle peut être difficile sur le plan psychologique. Implications pratiques > La ventilation non invasive (VNI) est indiquée dans la dystro- phie musculaire de Duchenne avec des critères de mise en route bien définis. Elle soulage la dyspnée et améliore le pronostic vital de plusieurs années. Elle peut être complétée de jour par une ventilation d’appoint (ventilation nasale, ou par embout buccal). La place de la trachéostomie est aujourd’hui discutée de cas en cas, lors d’une dépendance pratiquement totale à la ventilation > Lors de sclérose latérale amyotrophique (SLA), l’évolution vers une insuffisance respiratoire symptomatique est la règle. La VNI permet de soulager les symptômes associés et fait partie de la prise en charge palliative de ces patients. Elle peut être prodiguée de façon continue. Le recours à une ventilation par trachéostomie est réservé à des sujets fortement demandeurs, en raison de l’évolution inéluctable vers un «locked-in syndrome» > Dans les deux cas, les traitements doivent viser le maintien d’une qualité de vie jugée acceptable par le patient. La possibilité d’une admission en réanimation et ses modalités doivent être discutées avec le patient et ses proches : la rédaction de directives anticipées permet alors de clarifier la prise en charge Bibliographie 1 Annane D, Chevrolet JC, Chevret S, Raphael JC. Nocturnal mechanical ventilation for chronic hypoventilation in patients with neuromuscular and chest wall disorders. Cochrane Database Syst Rev 2000(2):CD 001941. 2 Gibson B. Long-term ventilation for patients with Duchenne muscular dystrophy : Physicians’ beliefs and practices. Chest 2001;119:940-6. 3 Polkey M, Lyall R, Craig Davidson A, Nigel Leigh P, Moxham J. Ethical and clinical issues in the use of home non-invasive mechanical ventilation for the palliation of breathlessness in motor neurone disease. Thorax 1999; 54:367-71. 4 Kohler A, Genoud D, Magistris M. Sclérose latérale amyotrophique. Rev Med Suisse Romande 1999;119: 497-502. 5 Moss AH, Oppenheimer EA, Casey P, et al. 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