Cancer et désir de guérir - Cancer and desire to cure

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Cancer et désir de guérir
Cancer and desire to cure
● J.P. Lellouche*
a pratique médicale est une école de modestie. Lorsque
Dieu dit : “Que la lumière soit”, Il crée par son dire la
lumière, il n’y a aucun espace entre sa parole et le fait.
Nous, médecins, ne sommes pas des dieux ! Ce que nous disons
n’est pas toujours la Vérité, ce que le malade entend n’est pas
toujours conforme à ce que nous avons dit, ou à ce que nous voulions dire et que nous avons mal dit.
Mickaël Balint a très bien décrit la façon dont le médecin joue,
par la relation qu’il établit entre le malade et lui, un rôle thérapeutique. L’effet placebo nous confronte au fait que des forces
mal connues opèrent dans la guérison.
Comment aborder la question du traitement des maladies graves
et du cancer ?
Personne ne met en doute l’utilité de la chirurgie, de la radiothérapie et des chimiothérapies. Personne ne met en doute l’utilité des protocoles et de la recherche méthodique des meilleures
solutions techniques.
Pourtant, de nombreux malades et proches de malades sont insatisfaits. Ils ont l’impression plus ou moins vague, plus ou moins
confuse que toutes les dimensions de la guérison ne sont pas
explorées.
Il y a dans cette révolte une protestation face à la maladie ellemême et face aux traitements, souvent lourds, qui sont imposés.
Pourquoi moi ? Pourquoi ça ? Pourquoi maintenant ? Mais peutêtre faut-il écouter davantage ce qui se dit dans cette insatisfaction.
Plusieurs techniques médicales parallèles sont proposées. Il y a
très certainement des illuminés, des charlatans et des profiteurs.
Il y a peut-être aussi des gens de bonne foi qui se trompent. Mais
s’ils ne se trompaient pas totalement et si leur démarche comportait une part de vérité ? S’il y avait dans certaines de ces alternatives un élément de réponse, même partiel ? Aurait-on le droit
de refuser ces pistes ?
Quand on essaye de repérer ce qui, pour l’essentiel, fait la différence entre les traitements mis en œuvre dans les centres anticancéreux (CAC) et ceux qui se proposent comme complémentaires, on peut schématiser ainsi les démarches (au risque de les
caricaturer) :
L
* Pédiatre, Caen.
– Dans les CAC, le malade est considéré comme le porteur d’une
maladie (dans ce cas, un cancer). Il est soumis à des traitements
qui sont standardisés, c’est-à-dire que tout malade ayant une
maladie comparable à celle d’un autre malade recevra le même
traitement, et ce quel que soit le médecin prescripteur.
Le médecin est bien sûr un être humain et, comme tel, il est bon
qu’il soit gentil, empathique, concerné, mais tout cela est relativement secondaire. Il est d’abord et surtout un technicien qui
connaît la maladie, qui connaît les différents moyens thérapeutiques et leurs indications respectives.
Le malade n’est pas invité à mieux connaître et à mieux comprendre la maladie. Il n’est pas non plus attendu de lui qu’il la
combatte. Ce sont les thérapeutiques choisies et administrées par
le médecin qui, si possible, le guériront. Il en bénéficie, mais de
façon passive et ces thérapeutiques administrées de l’extérieur
ne font pas partie de son environnement naturel.
– Les thérapeutiques non classiques ont comme caractéristiques
communes habituelles d’impliquer davantage le patient comme
sujet actif et le thérapeute, qui est plus engagé dans un acte thérapeutique auquel il participe pleinement. Par ailleurs, s’il peut
y avoir un recours à certaines drogues, et donc à un agent extérieur ne faisant pas partie des éléments de la vie quotidienne, il
est souvent fait appel à une modification de l’alimentation et des
conditions psychologiques, c’est-à-dire que le malade est invité
non pas à se soumettre à des techniques extérieures, mais à changer de l’intérieur et dans sa vie quotidienne.
Pour le médecin de CAC, il est bon de souhaiter la guérison du
malade, mais celui-ci se doit d’être réaliste et de se soumettre à
ce qu’il observe et subit.
Le thérapeute alternatif invite le malade à lui faire confiance, à
s’abandonner à lui, à croire absolument et sans réserve à la guérison. L’un et l’autre s’abandonnent au “désir fou de guérir”.
Désir de guérir qui s’entend de deux façons : désir qu’a le thérapeute de contribuer à la guérison du malade, désir du malade
d’être guéri (au sens passif d’être guéri par le thérapeute et les
thérapeutiques) et de guérir (au sens actif où c’est le malade luimême qui se guérit).
Il y a dans ce désir fou de la place pour la folie, l’irréalisme et la
charlatanerie. Mais n’y a-t-il que cela ?
Il y a très certainement des patients qui ont besoin de s’abandonner au technicien bienveillant qui a une bonne connaissance
de son métier et qui fait de son mieux. Et il y a des médecins qui
La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 302 - janvier-février 2006
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ont besoin que le malade s’abandonne à eux et ne pose pas de
questions, ou juste ce qu’il faut, pour mieux se soumettre au traitement. Il n’est pas impossible que la rencontre entre un malade
ayant besoin d’être pris en charge sur un mode traditionnel et un
médecin qui envisage son rôle comme celui d’un parent protecteur soit ce qui peut arriver de mieux pour ce malade-là. Toute
la médecine telle qu’elle est enseignée tend à reproduire et instituer ce schéma du malade passif attendant la guérison venue de
l’extérieur et apportée par la connaissance et le savoir-faire du
médecin actif.
Il y a cependant des malades qui ont envie de mieux comprendre et de
mieux participer, des malades qui ne rejettent en rien ce qui peut leur être
apporté par les thérapeutiques classiquement utilisées dans les CAC. Ils
ont même le désir que ces thérapeutiques soient utilisées avec la plus
grande rigueur, mais ils veulent aussi autre chose. Ils veulent croire en
leur guérison, ils veulent que le médecin y croie lui aussi. Ils veulent entrer
avec lui et grâce à lui dans une dynamique de désir fou, d’espoir fou.
Peut-on être à la fois un médecin fou de désir et en même temps totalement rationnel et mesuré ? La guérison est-elle, dans certains cas,
à ce prix ?
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La force de guérir
Zarifian E. Paris : éd. Odile Jacob, 2005.
E. Zarifian développe dans ce livre l’importance de la
relation qui doit s’établir entre le médecin et le malade,
et considère l’homme dans sa globalité.
Dans la première partie, il nous parle du soigné : le soigné a un savoir qu’il faut que le médecin connaisse par
un dialogue adapté. “Le décryptage de la fonction de
cette souffrance dont il peut parler permet au symptôme
de disparaître définitivement”.
Dans la deuxième partie, l’auteur développe le rôle du
médecin qui est plus qu’un technicien : “Pour vouloir soigner un homme, il faut s’intéresser à tous les hommes...”
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Dans la troisième partie est évoqué le rôle important des
témoins, de la famille, des amis, qui ont aussi un rôle
dans le pouvoir de guérison.
Enfin est développée l’importance de la relation thérapeutique, avec une explication sur le transfert et l’effet
placebo.
La force de guérir permet ainsi au médecin ou au soignant travaillant dans le monde complexe de la douleur
chronique de mieux comprendre la complexité de la
relation médecin-malade, et l’importance de celle-ci
dans le processus de guérison du patient.
C. Wood
La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 302 - janvier-février 2006
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