Notre exercice de la médecine

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Notre exercice de la médecine
La guérison est-elle une illusion ?
Marc-Olivier Bitker
Un homme de soixante deux ans est opéré en 1989 d’une lésion tumorale rénale avec extension métastatique ganglionnaire massive dont l’exérèse est cependant complète. La gravité du pronostic en fonction des données statistiques est
annoncée à l’entourage. De manière surprenante l’évolution sous surveillance annuelle est favorable jusqu’en 1999 où,
pour fêter ses dix ans de " guérison ", le patient organise une réception somptueuse réunissant ses proches et ses médecins.
Six mois plus tard, lors du bilan annuel, on découvre une récidive métastatique inextirpable conduisant au décès du
patient quelques mois plus tard.
Ce type d’évolution, bien qu’inhabituel, ne peut que conduire à s’interroger, au-delà même de la signification pour le
patient du mot guérison, sur la perception par certains malades du temps écoulé et par la même de leur propre vieillissement.
" L’immortalité de l’âme a été inventée par la peur de mourir et par le regret des morts. La seule façon de guérir est de
se considérer comme guéri ".
Cette citation extraite de la correspondance de Gustave Flaubert peut être utilisée au quotidien en pratique médicale et
singulièrement lors du suivi des patients atteints de pathologies néoplasiques, suivi au cours duquel, les termes de "
rémission " ou de " maladie non évolutive " - volontiers considérés par le malade comme insupportables - sont souvent
préférés par le thérapeute, dans un souci de prudence, à celui de guérison.
S’il paraît en effet difficile, voire cruel, de rappeler au consultant suivi pour une affection néoplasique que seul le décès
lié à une autre affection apportera la certitude d’une non récidive de sa tumeur, la seule humanité devrait suffire à faire
proposer d’autres formulations de réponse aux interrogations de l’individu malade concernant sa guérison.
En effet, la guérison et le désir de guérison sont deux objets différents, le premier ne dépendant pas directement du
second mais de l’état d’avancement de la maladie lors du diagnostic, des traitements institués et parfois des progrès de
la science.
Le désir de guérison appartient lui bien au malade mais le laisse souvent dans un état d’insatisfaction lié pour beaucoup
à la peur de la récidive, peur qui, à elle seule, lui interdit de jouir de la santé recouvrée et lui fait parfois anticiper une
reprise évolutive avant même sa survenue.
A la question du patient " suis-je guéri ? " le souvenir de l’écrit de Flaubert pourrait permettre au médecin de formuler
sa réponse par une invitation positive " vous pouvez vous considérer comme guéri " reprenant le terme " guéri " choisi par le patient en évitant la notion de " rémission " ou de " maladie non évolutive " dont le contenu contient en lui
même l’idée de survenue d’un épisode ultérieur dont la crainte est sous jacente à la question.
L’atténuation du nouveau traumatisme que représente l’annonce de la récidive, véritable fracture psychique, chez un
patient déjà fragilisé est la raison principale de la nécessaire construction d’un lien entre soignant et soigné au cours du
temps . Le médecin peut alors enrichir son colloque singulier avec le patient d’une réflexion autour du principe de
Lavoisier "rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme". L’individu non malade a en effet souvent tendance à
oublier ce principe de non permanence et le malade, à travers son désir de guérison, à le rejeter.
Cette propension de l’homme - et particulièrement de l’individu malade - à " décoller du réel " et à ne pas voir " ce qui
est " conduit à des situations de déni du réel dont les conséquences sont au mieux la perte de chance à travers le non respect des règles du suivi médical et au pire un sentiment de révolte et d’injustice devant l’échec thérapeutique ou lorsque
les possibilités de traitement se réduisent, voire disparaissent, du fait de l’âge.
Ainsi la marge de manœuvre pour le médecin apparaît elle étroite entre le nécessaire " séquençage du futur " rendant au
patient un avenir dont la maladie l’a parfois un moment dépossédé et l’indispensable rappel du caractère fini de l’existence. C’est là toute la difficulté et la justification d’une réflexion sur nos pratiques actuelles de consultation.
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