Fêtes du 14 juillet… A la conquête du droit de vivre

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mémoire
LE PATRIOTE RÉSISTANT
N° 910 - juillet-août 2016
11
Fêtes du 14 juillet…
A la conquête du droit de vivre
De l’institution de la fête nationale au serment du Front populaire de 1936, de la Résistance clandestine à la victoire sur le fascisme,
les 14 juillet n’ont cessé d’affirmer la vitalité de la démocratie républicaine.
Un nouveau mot,
le fascisme
En Europe, un nouveau mot s’affirme
trois ans plus tard. Fin octobre 1922,
Mussolini a marché sur Rome avec ses
chemises noires. Le fascisme a installé
un régime d’exception, interdit tous les
partis politiques autres que lui-même,
déchu tous les députés, pourchassant démocrates et syndicalistes avec sa police
secrète, transformant l’Albanie en une
sorte de protectorat avant de l’occuper
en 1939, après avoir envahi l’Éthiopie.
En Pologne, après le coup d’État de 1926,
le ministre de la guerre Pilsudski règne
sur le gouvernement nationaliste autoritaire. En Lituanie, un autre coup d’Etat a
nouveau média, la TSF, et obtient vite
les pleins pouvoirs, ouvrant les premiers
camps de concentration pour ses opposants réels ou supposés, sous la garde des
SA et des SS…
Venus de partout, nombre de juifs et de
démocrates pourchassés se réfugient au
« pays des droits de l’homme », où le crash
boursier se fait déjà sentir.
Ici, la SFIO et les communistes ont fait scission en 1920. Le Cartel des gauches asso­
cie bien socialistes et radicaux, mais les
socialistes, toujours marxistes,
n’entrent pas au gouvernement (3).
Les congrès pour la paix et
le désarmement se multiplient
sans s’unir. Fin mai 1932, Henri
Barbusse et Romain Rolland
lancent dans L’Humanité un
« Appel pour un Congrès mondial contre la guerre impérialiste ». Il s’adresse « à tous les
hommes et toutes les femmes
sans tenir compte de leurs affiliations politiques et toutes les
organisations ouvrières, culturelles, sociales, syndicales ».
L’appel sollicite aussi les syndicats, qu’ils soient affiliés à la
Section Internationale Rouge
ou à la Fédération Syndicale
Internationale d’Amsterdam.
Un comité de préparation de
26 membres est fondé, qui réunit toutes les tendances, du
monde universitaire aux ouvriers et paysans. Les 27 et
28 août suivants, à Amsterdam,
le Congrès mondial de lutte
La journée du serment. Manifestation du
contre la guerre rassemble 53 %
14 juillet 1935 de la Bastille à Vincennes.
de personnes non syndiquées.
choisi pour premier ministre Augustinas Il fusionnera avec le Congrès européen
Voldemaras, chef du groupuscule fasciste contre le fascisme et la guerre, tenu Salle
« Les Loups de fer ». En Roumanie, le roi Pleyel à Paris du 4 au 6 juin 1933.
Carol, dictateur depuis 1930, finance « La
L’époque est divisée, instable, incerGarde de fer ». En Yougoslavie, monarchie taine. En 1933, des néo-socialistes comme
absolue depuis 1920, les oustachis, ouver- Marcel Déat, ont fait scission avec la SFIO.
tement fascistes, attendent leur heure, Ils veulent un socialisme national. Blum
tandis qu’en Hongrie, règne la « terreur réagit : «  je vous dirai simplement que la
blanche »… L’Espagne a vécu la dictature propagande socialiste n’est pas une promilitaire de Diégo de Rivera entre 1923 pagande d’autorité, qu’elle n’est même pas
et la proclamation de la République en une propagande d’ordre au sens où vous
1931. En 1933, une coalition formée par l’entendez, mais qu’elle est une propagande
des catholiques conservateurs proches de liberté et une propagande de justice. »
des fascismes montants, muselle dans le Député-maire communiste de Saint-Denis,
Jacques Doriot clame : « Devant le fascisme
sang les mouvements sociaux.
Dès 1921, les Sections d’Assaut sèment la qui nous menace, c’est dans nos rangs que
terreur dans les rues d’Allemagne. Le parti se trouve votre place. En avant, Saint-Denis,
nazi, financé par l’anticommunisme des en avant ! ». Mis en minorité par sa secgrands industriels, se développe jusqu’à tion, il démissionne de ses mandats avant
remporter les élections. Nommé chance- d’être exclu par son parti en juillet 1934 (4).
lier en janvier 1933, Hitler tire parti d’un Entre mai 1932 et février 1934, la France
© Photographie de Fred Stein. fredstein.com
M
essieurs, le 14 juillet, c’est la fête
humaine. Cette gloire est donnée à la France, que la grande
fête française, c’est la fête de toutes les nations.
Fête unique. Ce jour-là, le 14 juillet, au-dessus
de l’Assemblée nationale, au-dessus de Paris
victorieux, s’est dressée, dans un resplendissement suprême, une figure plus grande que toi,
Peuple, plus grande que toi, l’Humanité ! » (1)
Entre l’Assemblée nationale et le Sénat, les
débats furent âpres, à l’issue desquels fut
promulguée la loi du 6 juillet 1880 instituant
le 14 juillet, fête nationale de la République
française.
Fallait-il célébrer le 14 juillet 1789, prise
de la Bastille, symbole de l’arbitraire, par le
peuple de Paris ? Constitué en milices sous la
menace de troupes étrangères, manifestant
pour du blé les jours précédents, il incendiait
les barrières de l’octroi, pillant le couvent
Saint-Lazare ! Fallait-il glorifier cette multitude victorieuse, qualifiée par Chateaubriand
d’« ivrognes heureux, ­déclarés conquérants
au cabaret » (2) ? Ou le 14 juillet 1790, fête de
la Fédération proposée par Lafayette pour
commémorer l’unité de tous les Français, à
l’occasion de ce premier anniversaire ? Cette
fête grandiose précédée d’une messe, ne vitelle pas les fédérations de gardes nationaux
monter des provinces au Champ de Mars
pour entendre le roi prêter ­serment, s’engageant solennellement devant la Nation à
maintenir la Constitution et la loi ? Ne futelle pas l’occasion d’embrassades remplies
d’espoir ? Le symbole resta double : à la fois
celui d’un peuple émancipé de l’arbitraire,
citoyen conscient d’être acteur de sa propre
Histoire, et celui d’une Nation fédérée.
Les débats n’étaient pas clos le 14 juillet
1919. La veille du « défilé de la victoire »,
Joffre, Foch et Pétain recevaient leur épée
de maréchal avant de conduire un cortège
de militaires comptant symboliquement
1 000 mutilés et gueules cassées. Une photo prise ce jour-là place de la Concorde témoigne de l’hécatombe : une foule noire du
deuil des veuves, orphelines, sœurs ou fiancées… Les socialistes, critiques sur le Traité
de Versailles, dénoncent alors le mot « victoire », appelant à une morale publique fondée sur le respect des disparus, tandis que les
catholiques dénoncent une fête laïque et que
les anarchosyndicalistes fustigent son militarisme. L’heure est à la conquête de la loi des
8 heures, arrachée fin avril après nombre de
grèves engagées dès le XIXe siècle.
«
a connu 6 gouvernements. Conclu en
­octobre 1932, le traité franco-soviétique
de non-agression sera suivi d’un traité
d’assistance mutuelle s­ igné en mai 1935.
La République en danger
L’antiparlementarisme est attisé par les
nombreux scandales politico-­fi nanciers,
dont l’affaire Stavisky reste emblématique. Les temps sont aux ligues aux
allures de plus en plus militaires. Dès
début janvier 1934, l’Action française,
les ­c amelots du roi, les Jeunesses patriotes et leurs « groupes mobiles », la
Ligue des contribuables se rejoignent
dans la rue conjuguant royalisme, anticommunisme, antisémitisme et haine des
francs-maçons. Le 27 janvier, les communistes, eux aussi dans la rue, scandent « des
­soviets partout ! ». Ce jour-là, sous la présidence d’Albert Lebrun, le gouvernement
­d irigé par Chautemps, radical-socialiste
et franc-maçon, se termine. Il convient
­d ’écarter tous ceux qui ont pu sembler
mêlés à ­l ’affaire Stavisky. Le 6 février, le
nouveau gouvernement doit être présenté à la Chambre lors de l’investiture de
Daladier, autre radical, futur initiateur
au Congrès de Nantes du slogan des 200
familles : «  200 familles sont maîtresses de
l’économie française, et de fait, de la politique française ». La droite cherche une
occasion de se débarrasser du Cartel des
gauches, majoritaire depuis 1932. Les
phalanges universitaires pensent qu’une
révolution d’extrême gauche se prépare
à l’Assemblée. L’Action française et les
Camelots du roi veulent « renverser la
gueuse ». Ceux de Solidarité française,
financée par le parfumeur Coty et les
membres de la francisque se joignent à eux.
Ce 6 février, aux cris de « A bas les
­voleurs », 50 000 manifestants et émeutiers font face aux gardes-mobiles place de
la Concorde. La police tire. Plus de quinze
morts seront comptés au matin. Daladier a
démissionné dans la nuit pour former un
gouvernement d’union nationale, essentiellement composé de figures de droite,
parmi lesquelles Pétain au m
­ inistère de
la Guerre.
Après la contre-manifestation du
9 ­février, où l’on déplore cinq morts, la
CGT et la CGTU appellent ensemble
à la grève générale dans tout le pays le
12 février. Chacun de son côté, la SFIO
et les communistes appellent à manifester à Paris. Spontanément, les cortèges
se rassemblent et fusionnent aux cris de
« Unité, Unité ». Pressée par les arguments de Maurice Thorez et Eugène Fried,
l’Inter­nationale de Dimitrov finira par lll
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LE PATRIOTE RÉSISTANT
N° 910 - juillet-août 2016
© Photographie de Robert Capa / Magnum photos
© Photographie de Gaston Paris / Roger-Viollet
Zay à l’Éducation nationale, dont dépend
le secrétariat d’Etat
de Léo Lagrange aux
Sports et aux Loisirs,
qui appelle Auguste
Delaune, s­ ecrétaire général de la FSGT, au
Conseil supérieur de
l’Éducation physique
et des sports. A l’Air,
Pierre Cot a pris à ses
côtés un certain Jean
Moulin… Tout en lui
assurant son total soutien, le Parti communiste refuse d’entrer au
gouvernement.
Trois jours de fête
mémorable s’ouvrent
après les bals de la
veille, par le défilé militaire aux ChampsÉlysées, complétés de
manifestations dans
A gauche : Fête du Front populaire. Stade Buffalo. Montrouge (Hauts-de-Seine), 14 juin 1936.
tout le pays. Partout,
A droite : Manifestation du Front populaire, le 14 juillet 1936, place de la Bastille.
la joie salue le serment
lll
­accepter l’union. Le 27 juillet 1934,
de rester unis pour défendre la démocraprononcé un an plus tôt. La plupart ont
le pacte d’unité d’action est signé avec la
vécu, occupant les usines, l’expérience
tie, pour désarmer et dissoudre les ligues
SFIO. Trois jours plus tard, les deux partis
dont témoigne Simone Weil : « Une joie
factieuses, pour mettre nos libertés hors
commémorent ensemble l'assassinat de
d’atteinte du fascisme. Nous jurons, en
pure. (…) Joie de vivre parmi les macette journée qui fait revivre la première
chines muettes, au rythme de la vie huJaurès. En octobre 1934, le Parti ­radical
finit par rejoindre le pacte. Un élan popu­
victoire de la République, de défendre les
maine – le rythme qui correspond à la
laire sans précédent se prépare. La perlibertés démocratiques conquises par le
respiration, aux battements de cœur, aux
ception d’un danger fasciste menaçant la
peuple de France, de donner du pain aux
mouvements naturels de l’organisme huRépublique, a dépassé les « chapelles ».
travailleurs, du travail à la jeunesse et au
main – et non à la cadence imposée par
En Allemagne, la date choisie pour voter
monde entier, la grande paix humaine. »
le chronométreur ». (7)
les lois sur l’eugénisme et le parti unique,
La foule scelle l’engagement, entonnant
La victoire du Front populaire est
le 14 juillet 1933, permet à Goebbels
confortée par des acquis jusqu’alors
la Marseillaise et l’Internationale.
d’annoncer : «  Nous avons effacé 1789 de
Jusque-là, les communistes avaient perimpensables. Le peuple s’est emparé de
l’Histoire ». Le Duce n’avait-il pas écrit
çu le 14 juillet comme une parade des
son histoire, imposant avec les accords
du fascisme : « il est contraire à toutes les
forces armées de la bourgeoisie. Cette
de Matignon des augmentations de sautopies et innovations jacobines. Il ne croit
fois, le peuple s’empare des symboles rélaires de 7 à 15 %, l’élection de délépas à la possibilité du “bonheur” sur la
publicains. Jacques Duclos déclare : « Et
gués du personnel dans les entreprises,
si l’immense foule chante non seulement
y compris par les femmes, la signature
terre, comme le v­ oulait la littérature des
notre hymne d’espérance et de lutte l’Inde conventions collectives dans toutes
économistes du 18e siècle  » ?
Disposer de droits, non par commuternationale, mais aussi La Marseillaise,
les branches industrielles, la semaine de
nauté de castes, mais par libre choix
nous n’oublions pas que La Marseillaise
travail fixée à 40 heures au lieu de 48,
de faire société ? Pour l’extrême droite
est un chant révolutionnaire dont nous
la création d’au moins quinze jours de
comme pour l’ensemble des dictatures,
reprenons l’appel vibrant. »
congés payés par an.
1789 représente un symbole à abattre, inDans la manifestation qui suit, près
A la Banque de France, le Conseil de
surrection de la « racaille » contre l’arisde 500 000 personnes empruntent symrégence, dominé par les 200 familles
tocratie de « race ».
boliquement le même parcours que le
laissera place, dans les dix jours, à une
12 février 1934. Dirigé par Victor Basch,
assemblée générale élargie, dirigée par
Un symbole retrouvé
son Comité d’organisation se prolonge
des membres nommés par l’État. Mais
14 juillet 1935. Au vélodrome du stade
en Comité national pour le rassemblele Sénat opposera son véto à sa natioBuffalo de Montrouge, se prépare une
ment populaire chargé d’élaborer un
nalisation, de même qu’il refusera la réétape décisive. Victor Basch, président de
programme commun et des accords
forme du fermage et du métayage, ainsi
la Ligue des Droits de l’Homme, ouvre
de désistement, en vue des élections du
que l’extension des conventions collectives aux ouvriers agricoles. Jean Monnet,
le meeting réunissant 48 organisations,
­printemps à venir.
ministre de l’Agriculture, réussira pourdont les radicaux-socialistes, la SFIO et
la section française de l’Internationale
« Une joie pure »
tant au mois d’août, à fonder un Office
communiste, l’Association des Écrivains
14 juillet 1936. Léon Blum, désormais
national interprofessionnel du blé, souet Artistes Révolutionnaires fondée en
président du Conseil, a échappé de peu
lageant les paysans après des années de
1932 par Paul Vaillant-Couturier et Léon
à un lynchage antisémite le 13 février (6).
baisse des prix. Dans un mois, la natioMoussinac, alors dirigée par Louis Aragon,
Il se consacre tout entier à la direction
nalisation des industries de l’armement
la Fédération Sportive et Gymnique du
d’un gouvernement de Front populaire,
sera acquise. La scolarisation obligatoire
Travail, née en décembre 1934 de l’union
où siègent trois secrétaires d’Etat priest prolongée à 14 ans.
de la FST à tendance communiste, et de
vées du droit de vote : Suzanne Lacore
Sur les 36 635 communes d’alors, 35 490
ne disposent d’aucun stade ni terrain
l’USGT à tendance socialiste, le Comité
à la Santé publique, chargée de la prode vigilance des intellectuels antifascistes
de sport. Qu’à cela ne tienne ! Les clubs
tection de l’enfance, Irène Joliot-Curie
ainsi que la CGT et la CGTU qui s’uniront
à la Recherche scientifique et Cécile
sportifs et l’armée seront mis à contrien mars 1936… Jean Perrin, Prix Nobel
Kahn-Brunschvicg à l’Éducation natiobution pour que, dès l’école primaire,
de physique (5), donne ­lecture du serment
nale, chargée de l’hygiène et de la santé
l’Éducation physique et sportive soit
unitaire : « Nous faisons le ­serment solennel
­scolaire. De jeunes ministres tels Jean
obligatoire. De nombreux lycées de filles
Images
Dans les pages de publications aux
graphismes novateurs, héritiers du
constructivisme et du Bauhaus, Vu,
fondé par Lucien Vogel, Regards,
mis en pages par le peintre Edouard
Pignon, Voilà, dirigé par les frères
Kessel, serviront la photographie
avec brio.
Le photographe des années 30 saisit
la haine glaciale des saluts fascistes
dans les défilés d’extrême droite ;
la misère de la grande dépression
et la dignité conquise. Avec CinéLiberté, la classe ouvrière entre au
cinéma. Jean Renoir pourra tourner
La Marseillaise avec les visages du
peuple, grâce à une souscription
sans précédent, lancée en 1936 par
la CGT.
Parmi ces jeunes qui révèlent
leurs contemporains, nombre
de militants à l’Association
des Écrivains et Artistes
Révolutionnaires, tel David
Seymour, dit Chim, exilé de
Pologne en 1932, de son vrai nom
Dawid Szymin, qui travaille comme
beaucoup au magazine Regards
avec Marie-Claude VaillantCouturier. Il sera en Espagne,
reporter de guerre avant d’émigrer
aux USA. André Kertesz, arrivé de
Hongrie en 1925, parti pour NewYork en 1936 ; le photojournaliste
Fred Stein venu d’Allemagne
en 1933. Interné avec sa famille
dans un camp pour « étrangers
ennemis », il réussira à s’enfuir avec
elle vers les États-Unis en 1941.
Robert Capa, arrivé de Hongrie par
Berlin en 1933, couvrira après la
guerre d’Espagne le débarquement
en Normandie ; France Demay,
ouvrier métallurgiste, membre de
la FSGT, saisit les entraînements
de ses camarades pour les
Olympiades de Barcelone, avant
de les y accompagner. Marcel Cerf,
membre de Camping et Culture,
deviendra après la Résistance,
un spécialiste et militant de la
Commune. Pierre Jamet chante
pour les ouvriers en grève dans
une chorale de l’AEAR. Lié au
groupe Octobre et à Prévert, il
va fonder celle des Auberges de
Jeunesse et devenir après guerre
un des piliers des « Quatre Barbus »
A 24 ans, Willy Ronis ne rate pas
une manifestation et participe aux
expositions La photographie qui
accuse et Regards sur la vie sociale
avec Henri Cartier-Bresson, lui aussi
photographe à Regards, qui adhère
à Ciné-Liberté, devenant assistant
de Jean Renoir…
n Un univers à redécouvrir à l’Hôtel
de Ville de Paris jusqu’au 27 juillet,
à la bibliothèque Marguerite Duras,
115 rue de Bagnolet, 75020 Paris
jusqu’au 25 septembre et au Musée
d’Histoire vivante de Montreuil,
Parc Montereau, jusqu’au
31 décembre.
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LE PATRIOTE RÉSISTANT
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Depuis mai 1943, la colonie d'Izieu accueille des enfants juifs originaires
de toute l'Europe. Eux aussi fêtent le 14 juillet. Raflés le 6 avril 1944 par la
Gestapo, aucun des 44 enfants ne reviendra de déportation.
adhérents. Sur les décors de Picasso,
le Théâtre de l’Alhambra a­ ccueille
les représentations du « 14 juillet », de
Romain Rolland.
L’Espagne républicaine prépare les
contre-Jeux olympiques de Barcelone,
face à l’imminence des Jeux de Berlin.
Parmi les militants qui défilent, nombre
de sportifs ne savent pas encore qu’ils
rejoindront les Brigades internationales
pour tenter, malgré « la non-intervention raisonnée », de se dresser contre
les fascismes en Espagne.
Certes, pour la première fois, un Noir,
Félix Éboué, sera nommé gouverneur en
Guadeloupe. Mais pour les peuples colonisés qui défilent, eux aussi, ce 14 juillet
1936 en France comme à Oran ou Dakar,
le bilan sera différent. 5 jours de congés
payés, le travail forcé et l’usure théoriquement interdits, le bagne de Cayenne
fermé, la journée de 9 heures, ne leur
donneront en rien le statut de citoyens.
Fin mai, Hitler et Mussolini ont scellé
leur pacte d’Acier. En août, suit le pacte
germano-soviétique. Début septembre,
l’Angleterre et la France entreront en
guerre contre l’Allemagne.
De la Résistance
à la reconstruction
14 juillet 1940. Un symbole ? Depuis
exactement un mois, les troupes nazies
sont entrées dans Paris. Le maréchal
Pétain, investi des pleins pouvoirs par
le Parlement depuis le 10 juillet, a transformé la République en « État français ».
La journée, déclarée de « deuil national », interdit bals et manifestations, en
ces temps de débâcle. « Le 14 juillet ne
marque pas seulement la grande douleur
de la patrie. C’est aussi le jour d’une promesse que doivent se faire tous les Français
par tous les moyens dont chacun dispose
pour résister à l’ennemi, moment triomphant afin que la France, la vraie France,
puisse être ­présente à la victoire », rétorque
survivants, les orphelins et les familles
le général de Gaulle sur les ondes de la
décimées sont-ils vraiment de la fête ?
BBC. A Londres où est placardé l’­Appel
Etonnés d’être en vie, les rescapés des
Maisons de la Culture se retrouvent à
du 18 juin, il dépose une couronne à la
la Maison de la Pensée Française et se
statue du maréchal Foch, avant de passer en ­revue les 800 premiers volontaires
mettent à rêver d’une Renaissance cultude la France Libre. A Paris, Les Amis
relle, où voisineraient « le pain et les
d’Alain Fournier fondent le jour-même
roses »…
leur mouvement
Adopté en 1944, il
de Résistance
était titré Les Jours
dans la biblioheureux. Dans une
thèque ­t enue
République reconquise, l’application
p a r Yvon ne
Oddon. Ce moudu Programme du
vement maquillé
Conseil National
en ­société littéde la Résistance
est à l’ordre du
raire, sera plus
connu sous le nom
jour, complétant
de ­réseau du Musée
celui du Front
de l’Homme.
populaire avec
14 juillet 1941.
notamment la
nationalisaDa ns toute la
France, en zone dite
tion de l’Éner« libre » comme en
gie et le Statut
zone occupée, des
des électriciens
et ­g a ziers ,
initiatives bravent
l’interdiction.
construits
Jusqu’au fond des priavec Marcel
sons et des camps, on
Paul. Bientôt,
chante la Marseillaise.
les C om ités
A Paris, un groupe
d’entreprises
Un tract typographié des MUR :
« Le 14 juillet 1943 sera le dernier
­s eront ­réalité,
d’étudiants autour
14 juillet d'esclavage ! ».
de Philippe Viannay,
avec leur ­projet
Hélène Mordkovitch et
­social et cultuRobert Salmon sort le journal ­clandestin
rel. La Sécurité sociale ­naîtra, elle ausDéfense de la France.
si, pour fonder une vraie santé publique.
14 juillet 1942. Presse clandestine,
Le pays tout entier est à reconstruire.
­papillons, tracts et graffitis célèbrent la
Hélène Amblard
Révolution française et ses symboles.
Radio Londres a donné consigne de
se promener dans les grandes avenues
1) Victor Hugo, troisième discours au Sénat
jusqu’au moment de la manifestation.
pour l’amnistie, séance du 3 juillet 1880.
2) Mémoires d’Outre-Tombe (écrit entre 1809A Marseille, zone encore dite « libre »,
1841).
l’affiche du peintre Antoine Serra ar3) La section française de l’Internationale combore un bonnet phrygien. Elle appelle
muniste (futur PCF) est née en 1920 de la scisà ­manifester « pour le peuple de France,
sion de la Section Française de l’Internationale
pour la République, pour la Liberté contre
les ennemis de la République Pétain,
Ouvrière (SFIO), dont la minorité refuse d’adhéLaval et tous les Hitlériens pour l’indérer à la IIIe Internationale, issue de la Révolution
pendance de la France ». Les promeneurs
soviétique. Cette scission entraîne celle de la
se rendent au siège du PPF, qui tire sur la
CGT et de la CGTU.
foule. Deux femmes sont tuées.
4) Après avoir fondé le Parti Populaire Français,
En ces 14 juillet 1943 et 1944, les ciDoriot mourra sous l’uniforme nazi de la Légion
toyens, glorifiant Valmy, rivalisent d’indes Volontaires Français en Allemagne en 1945.
géniosité pour s’afficher tricolores. A
5) Militant dreyfusard dès la fondation de la
Londres puis à Alger, les revues des Forces
LDH avec Émile Borel, Marie Curie et Paul
Françaises Libres complètent une maniLangevin, Jean Perrin est, comme eux, ­acteur
festation républicaine qui ne peut encore
des premières universités populaires. Il sera fonêtre une fête.
dateur du Palais de la découverte à l’occa­sion de
Mais un an plus tard, un 14 juillet 1945
l’Exposition universelle de 1937.
consacré à l’Humanité entière, célèbre
6) « un détritus humain (…) un homme à ­fusiller…
la victoire trois jours durant. Parties de
mais dans le dos », a écrit de lui Charles Maurras
Vincennes, les troupes défilent à travers
en 1935 dans L’Action française, tiré à des milliers d’exemplaires.
une tempête d’acclamations avant d’être
passées en revue place de la Nation par
7) Article paru le 10 juin 1936 dans La Révolution
le général de Gaulle. L’après-midi, les
prolétarienne. Simone Weil, normalienne, agrégée
membres de toutes les organisations de
de philosophie, a travaillé chez Alsthom et Renault
résistance sont ovationnés de la Concorde
pour étudier la condition ouvrière. Brigadiste, puis
à la Bastille. Dans les cortèges, des groupes
résistante en France et en Angleterre, elle meurt
de jeunes en costumes de sans-culottes.
tuberculeuse au sanatorium d’Ashford en 1943.
Partout en France, bals et fêtes expri8) En août 1937, la fondation de la Société
ment la joie retrouvée. Dans les villes
Nationale des Chemins de Fer sauvera de la
d’Alsace et de Lorraine, un office à la
ruine les Compagnies privées minées par la
mémoire des victimes de la guerre ouvre
concurrence, accordant aux cheminots un ­statut
les cérémonies. Les déportés, prisonniers
national.
DR
En Algérie, le projet Blum-Violette, qui
espérait le droit de vote pour une minorité d’indigènes, avortera devant la
levée de boucliers des colons.
14 juillet 1939. On l’attendait, ce centcinquantième anniversaire de 1789 ! On
le préparait. Il sera, lui aussi, l’occasion
de trois jours de fête. Bien sûr, les bals,
la revue militaire ; bien sûr, le défilé à
la Bastille. Ils n’effacent ni les morts
de la place Clichy, ni les licenciements
pour faits de grève, ni, après l’Anschluss
de mars 1938, le « lâche soulagement »
des accords de Munich, abandonnant
la Tchécoslovaquie aux troupes hitlériennes. Et si, comme à Montreuil au
Parc Montereau après l’ouverture du
Musée d’Histoire vivante, l’élan des tréteaux populaires redonne vie aux héros
républicains, les spectacles donnés au
Palais de Chaillot, le sont sous l’égide
d’une fête de l’empire colonial. Il faudra attendre 1946, pour que le travail
­forcé soit supprimé de fait dans les colonies. Depuis les hauts de Belleville, des
spectateurs du feu d’artifice pensent à
un ­b ombardement…
DR
se construisent. Et même si la droite
l’appelle « ministre de la paresse », Léo
Lagrange défend le « droit au temps
libre », construisant son contenu. Il peut
compter sur la richesse d’un mouvement
associatif unissant intellectuels, artistes,
sportifs et ouvriers, pour une culture
revendiquée universelle dès l’enfance.
Conjuguant sport populaire, arts plastiques, photographie, cinéma, littérature
et partage de tous les savoirs, l’expérience des occupations, marquées par les
spectacles du groupe Octobre, les bals
improvisés, les chorales, a transformé
les usines en écoles de la vie. L’AEAR
est devenue Association des Maisons
de la culture, dirigée par Aragon. Dans
les cortèges savamment scénographiés,
s’affirme la diversité des formes d’expression d’un vrai mouvement culturel. Bénéficiaires de billets à tarifs
réduits (8), les premiers « Congés payés »
entonnent, sur les paroles de Jeannette
Perrin, « Allons au ­d evant de la vie ».
Les associations, telles Camping et
Culture, comme les plus de 200 Auberges
de Jeunesse s’ouvrent à leurs jeunes
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