mémoire LE PATRIOTE RÉSISTANT N° 910 - juillet-août 2016 11 Fêtes du 14 juillet… A la conquête du droit de vivre De l’institution de la fête nationale au serment du Front populaire de 1936, de la Résistance clandestine à la victoire sur le fascisme, les 14 juillet n’ont cessé d’affirmer la vitalité de la démocratie républicaine. Un nouveau mot, le fascisme En Europe, un nouveau mot s’affirme trois ans plus tard. Fin octobre 1922, Mussolini a marché sur Rome avec ses chemises noires. Le fascisme a installé un régime d’exception, interdit tous les partis politiques autres que lui-même, déchu tous les députés, pourchassant démocrates et syndicalistes avec sa police secrète, transformant l’Albanie en une sorte de protectorat avant de l’occuper en 1939, après avoir envahi l’Éthiopie. En Pologne, après le coup d’État de 1926, le ministre de la guerre Pilsudski règne sur le gouvernement nationaliste autoritaire. En Lituanie, un autre coup d’Etat a nouveau média, la TSF, et obtient vite les pleins pouvoirs, ouvrant les premiers camps de concentration pour ses opposants réels ou supposés, sous la garde des SA et des SS… Venus de partout, nombre de juifs et de démocrates pourchassés se réfugient au « pays des droits de l’homme », où le crash boursier se fait déjà sentir. Ici, la SFIO et les communistes ont fait scission en 1920. Le Cartel des gauches asso­ cie bien socialistes et radicaux, mais les socialistes, toujours marxistes, n’entrent pas au gouvernement (3). Les congrès pour la paix et le désarmement se multiplient sans s’unir. Fin mai 1932, Henri Barbusse et Romain Rolland lancent dans L’Humanité un « Appel pour un Congrès mondial contre la guerre impérialiste ». Il s’adresse « à tous les hommes et toutes les femmes sans tenir compte de leurs affiliations politiques et toutes les organisations ouvrières, culturelles, sociales, syndicales ». L’appel sollicite aussi les syndicats, qu’ils soient affiliés à la Section Internationale Rouge ou à la Fédération Syndicale Internationale d’Amsterdam. Un comité de préparation de 26 membres est fondé, qui réunit toutes les tendances, du monde universitaire aux ouvriers et paysans. Les 27 et 28 août suivants, à Amsterdam, le Congrès mondial de lutte La journée du serment. Manifestation du contre la guerre rassemble 53 % 14 juillet 1935 de la Bastille à Vincennes. de personnes non syndiquées. choisi pour premier ministre Augustinas Il fusionnera avec le Congrès européen Voldemaras, chef du groupuscule fasciste contre le fascisme et la guerre, tenu Salle « Les Loups de fer ». En Roumanie, le roi Pleyel à Paris du 4 au 6 juin 1933. Carol, dictateur depuis 1930, finance « La L’époque est divisée, instable, incerGarde de fer ». En Yougoslavie, monarchie taine. En 1933, des néo-socialistes comme absolue depuis 1920, les oustachis, ouver- Marcel Déat, ont fait scission avec la SFIO. tement fascistes, attendent leur heure, Ils veulent un socialisme national. Blum tandis qu’en Hongrie, règne la « terreur réagit : « je vous dirai simplement que la blanche »… L’Espagne a vécu la dictature propagande socialiste n’est pas une promilitaire de Diégo de Rivera entre 1923 pagande d’autorité, qu’elle n’est même pas et la proclamation de la République en une propagande d’ordre au sens où vous 1931. En 1933, une coalition formée par l’entendez, mais qu’elle est une propagande des catholiques conservateurs proches de liberté et une propagande de justice. » des fascismes montants, muselle dans le Député-maire communiste de Saint-Denis, Jacques Doriot clame : « Devant le fascisme sang les mouvements sociaux. Dès 1921, les Sections d’Assaut sèment la qui nous menace, c’est dans nos rangs que terreur dans les rues d’Allemagne. Le parti se trouve votre place. En avant, Saint-Denis, nazi, financé par l’anticommunisme des en avant ! ». Mis en minorité par sa secgrands industriels, se développe jusqu’à tion, il démissionne de ses mandats avant remporter les élections. Nommé chance- d’être exclu par son parti en juillet 1934 (4). lier en janvier 1933, Hitler tire parti d’un Entre mai 1932 et février 1934, la France © Photographie de Fred Stein. fredstein.com M essieurs, le 14 juillet, c’est la fête humaine. Cette gloire est donnée à la France, que la grande fête française, c’est la fête de toutes les nations. Fête unique. Ce jour-là, le 14 juillet, au-dessus de l’Assemblée nationale, au-dessus de Paris victorieux, s’est dressée, dans un resplendissement suprême, une figure plus grande que toi, Peuple, plus grande que toi, l’Humanité ! » (1) Entre l’Assemblée nationale et le Sénat, les débats furent âpres, à l’issue desquels fut promulguée la loi du 6 juillet 1880 instituant le 14 juillet, fête nationale de la République française. Fallait-il célébrer le 14 juillet 1789, prise de la Bastille, symbole de l’arbitraire, par le peuple de Paris ? Constitué en milices sous la menace de troupes étrangères, manifestant pour du blé les jours précédents, il incendiait les barrières de l’octroi, pillant le couvent Saint-Lazare ! Fallait-il glorifier cette multitude victorieuse, qualifiée par Chateaubriand d’« ivrognes heureux, ­déclarés conquérants au cabaret » (2) ? Ou le 14 juillet 1790, fête de la Fédération proposée par Lafayette pour commémorer l’unité de tous les Français, à l’occasion de ce premier anniversaire ? Cette fête grandiose précédée d’une messe, ne vitelle pas les fédérations de gardes nationaux monter des provinces au Champ de Mars pour entendre le roi prêter ­serment, s’engageant solennellement devant la Nation à maintenir la Constitution et la loi ? Ne futelle pas l’occasion d’embrassades remplies d’espoir ? Le symbole resta double : à la fois celui d’un peuple émancipé de l’arbitraire, citoyen conscient d’être acteur de sa propre Histoire, et celui d’une Nation fédérée. Les débats n’étaient pas clos le 14 juillet 1919. La veille du « défilé de la victoire », Joffre, Foch et Pétain recevaient leur épée de maréchal avant de conduire un cortège de militaires comptant symboliquement 1 000 mutilés et gueules cassées. Une photo prise ce jour-là place de la Concorde témoigne de l’hécatombe : une foule noire du deuil des veuves, orphelines, sœurs ou fiancées… Les socialistes, critiques sur le Traité de Versailles, dénoncent alors le mot « victoire », appelant à une morale publique fondée sur le respect des disparus, tandis que les catholiques dénoncent une fête laïque et que les anarchosyndicalistes fustigent son militarisme. L’heure est à la conquête de la loi des 8 heures, arrachée fin avril après nombre de grèves engagées dès le XIXe siècle. « a connu 6 gouvernements. Conclu en ­octobre 1932, le traité franco-soviétique de non-agression sera suivi d’un traité d’assistance mutuelle s­ igné en mai 1935. La République en danger L’antiparlementarisme est attisé par les nombreux scandales politico-­fi nanciers, dont l’affaire Stavisky reste emblématique. Les temps sont aux ligues aux allures de plus en plus militaires. Dès début janvier 1934, l’Action française, les ­c amelots du roi, les Jeunesses patriotes et leurs « groupes mobiles », la Ligue des contribuables se rejoignent dans la rue conjuguant royalisme, anticommunisme, antisémitisme et haine des francs-maçons. Le 27 janvier, les communistes, eux aussi dans la rue, scandent « des ­soviets partout ! ». Ce jour-là, sous la présidence d’Albert Lebrun, le gouvernement ­d irigé par Chautemps, radical-socialiste et franc-maçon, se termine. Il convient ­d ’écarter tous ceux qui ont pu sembler mêlés à ­l ’affaire Stavisky. Le 6 février, le nouveau gouvernement doit être présenté à la Chambre lors de l’investiture de Daladier, autre radical, futur initiateur au Congrès de Nantes du slogan des 200 familles : « 200 familles sont maîtresses de l’économie française, et de fait, de la politique française ». La droite cherche une occasion de se débarrasser du Cartel des gauches, majoritaire depuis 1932. Les phalanges universitaires pensent qu’une révolution d’extrême gauche se prépare à l’Assemblée. L’Action française et les Camelots du roi veulent « renverser la gueuse ». Ceux de Solidarité française, financée par le parfumeur Coty et les membres de la francisque se joignent à eux. Ce 6 février, aux cris de « A bas les ­voleurs », 50 000 manifestants et émeutiers font face aux gardes-mobiles place de la Concorde. La police tire. Plus de quinze morts seront comptés au matin. Daladier a démissionné dans la nuit pour former un gouvernement d’union nationale, essentiellement composé de figures de droite, parmi lesquelles Pétain au m ­ inistère de la Guerre. Après la contre-manifestation du 9 ­février, où l’on déplore cinq morts, la CGT et la CGTU appellent ensemble à la grève générale dans tout le pays le 12 février. Chacun de son côté, la SFIO et les communistes appellent à manifester à Paris. Spontanément, les cortèges se rassemblent et fusionnent aux cris de « Unité, Unité ». Pressée par les arguments de Maurice Thorez et Eugène Fried, l’Inter­nationale de Dimitrov finira par lll 12 mémoire LE PATRIOTE RÉSISTANT N° 910 - juillet-août 2016 © Photographie de Robert Capa / Magnum photos © Photographie de Gaston Paris / Roger-Viollet Zay à l’Éducation nationale, dont dépend le secrétariat d’Etat de Léo Lagrange aux Sports et aux Loisirs, qui appelle Auguste Delaune, s­ ecrétaire général de la FSGT, au Conseil supérieur de l’Éducation physique et des sports. A l’Air, Pierre Cot a pris à ses côtés un certain Jean Moulin… Tout en lui assurant son total soutien, le Parti communiste refuse d’entrer au gouvernement. Trois jours de fête mémorable s’ouvrent après les bals de la veille, par le défilé militaire aux ChampsÉlysées, complétés de manifestations dans A gauche : Fête du Front populaire. Stade Buffalo. Montrouge (Hauts-de-Seine), 14 juin 1936. tout le pays. Partout, A droite : Manifestation du Front populaire, le 14 juillet 1936, place de la Bastille. la joie salue le serment lll ­accepter l’union. Le 27 juillet 1934, de rester unis pour défendre la démocraprononcé un an plus tôt. La plupart ont le pacte d’unité d’action est signé avec la vécu, occupant les usines, l’expérience tie, pour désarmer et dissoudre les ligues SFIO. Trois jours plus tard, les deux partis dont témoigne Simone Weil : « Une joie factieuses, pour mettre nos libertés hors commémorent ensemble l'assassinat de d’atteinte du fascisme. Nous jurons, en pure. (…) Joie de vivre parmi les macette journée qui fait revivre la première chines muettes, au rythme de la vie huJaurès. En octobre 1934, le Parti ­radical finit par rejoindre le pacte. Un élan popu­ victoire de la République, de défendre les maine – le rythme qui correspond à la laire sans précédent se prépare. La perlibertés démocratiques conquises par le respiration, aux battements de cœur, aux ception d’un danger fasciste menaçant la peuple de France, de donner du pain aux mouvements naturels de l’organisme huRépublique, a dépassé les « chapelles ». travailleurs, du travail à la jeunesse et au main – et non à la cadence imposée par En Allemagne, la date choisie pour voter monde entier, la grande paix humaine. » le chronométreur ». (7) les lois sur l’eugénisme et le parti unique, La foule scelle l’engagement, entonnant La victoire du Front populaire est le 14 juillet 1933, permet à Goebbels confortée par des acquis jusqu’alors la Marseillaise et l’Internationale. d’annoncer : « Nous avons effacé 1789 de Jusque-là, les communistes avaient perimpensables. Le peuple s’est emparé de l’Histoire ». Le Duce n’avait-il pas écrit çu le 14 juillet comme une parade des son histoire, imposant avec les accords du fascisme : « il est contraire à toutes les forces armées de la bourgeoisie. Cette de Matignon des augmentations de sautopies et innovations jacobines. Il ne croit fois, le peuple s’empare des symboles rélaires de 7 à 15 %, l’élection de délépas à la possibilité du “bonheur” sur la publicains. Jacques Duclos déclare : « Et gués du personnel dans les entreprises, si l’immense foule chante non seulement y compris par les femmes, la signature terre, comme le v­ oulait la littérature des notre hymne d’espérance et de lutte l’Inde conventions collectives dans toutes économistes du 18e siècle » ? Disposer de droits, non par commuternationale, mais aussi La Marseillaise, les branches industrielles, la semaine de nauté de castes, mais par libre choix nous n’oublions pas que La Marseillaise travail fixée à 40 heures au lieu de 48, de faire société ? Pour l’extrême droite est un chant révolutionnaire dont nous la création d’au moins quinze jours de comme pour l’ensemble des dictatures, reprenons l’appel vibrant. » congés payés par an. 1789 représente un symbole à abattre, inDans la manifestation qui suit, près A la Banque de France, le Conseil de surrection de la « racaille » contre l’arisde 500 000 personnes empruntent symrégence, dominé par les 200 familles tocratie de « race ». boliquement le même parcours que le laissera place, dans les dix jours, à une 12 février 1934. Dirigé par Victor Basch, assemblée générale élargie, dirigée par Un symbole retrouvé son Comité d’organisation se prolonge des membres nommés par l’État. Mais 14 juillet 1935. Au vélodrome du stade en Comité national pour le rassemblele Sénat opposera son véto à sa natioBuffalo de Montrouge, se prépare une ment populaire chargé d’élaborer un nalisation, de même qu’il refusera la réétape décisive. Victor Basch, président de programme commun et des accords forme du fermage et du métayage, ainsi la Ligue des Droits de l’Homme, ouvre de désistement, en vue des élections du que l’extension des conventions collectives aux ouvriers agricoles. Jean Monnet, le meeting réunissant 48 organisations, ­printemps à venir. ministre de l’Agriculture, réussira pourdont les radicaux-socialistes, la SFIO et la section française de l’Internationale « Une joie pure » tant au mois d’août, à fonder un Office communiste, l’Association des Écrivains 14 juillet 1936. Léon Blum, désormais national interprofessionnel du blé, souet Artistes Révolutionnaires fondée en président du Conseil, a échappé de peu lageant les paysans après des années de 1932 par Paul Vaillant-Couturier et Léon à un lynchage antisémite le 13 février (6). baisse des prix. Dans un mois, la natioMoussinac, alors dirigée par Louis Aragon, Il se consacre tout entier à la direction nalisation des industries de l’armement la Fédération Sportive et Gymnique du d’un gouvernement de Front populaire, sera acquise. La scolarisation obligatoire Travail, née en décembre 1934 de l’union où siègent trois secrétaires d’Etat priest prolongée à 14 ans. de la FST à tendance communiste, et de vées du droit de vote : Suzanne Lacore Sur les 36 635 communes d’alors, 35 490 ne disposent d’aucun stade ni terrain l’USGT à tendance socialiste, le Comité à la Santé publique, chargée de la prode vigilance des intellectuels antifascistes de sport. Qu’à cela ne tienne ! Les clubs tection de l’enfance, Irène Joliot-Curie ainsi que la CGT et la CGTU qui s’uniront à la Recherche scientifique et Cécile sportifs et l’armée seront mis à contrien mars 1936… Jean Perrin, Prix Nobel Kahn-Brunschvicg à l’Éducation natiobution pour que, dès l’école primaire, de physique (5), donne ­lecture du serment nale, chargée de l’hygiène et de la santé l’Éducation physique et sportive soit unitaire : « Nous faisons le ­serment solennel ­scolaire. De jeunes ministres tels Jean obligatoire. De nombreux lycées de filles Images Dans les pages de publications aux graphismes novateurs, héritiers du constructivisme et du Bauhaus, Vu, fondé par Lucien Vogel, Regards, mis en pages par le peintre Edouard Pignon, Voilà, dirigé par les frères Kessel, serviront la photographie avec brio. Le photographe des années 30 saisit la haine glaciale des saluts fascistes dans les défilés d’extrême droite ; la misère de la grande dépression et la dignité conquise. Avec CinéLiberté, la classe ouvrière entre au cinéma. Jean Renoir pourra tourner La Marseillaise avec les visages du peuple, grâce à une souscription sans précédent, lancée en 1936 par la CGT. Parmi ces jeunes qui révèlent leurs contemporains, nombre de militants à l’Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires, tel David Seymour, dit Chim, exilé de Pologne en 1932, de son vrai nom Dawid Szymin, qui travaille comme beaucoup au magazine Regards avec Marie-Claude VaillantCouturier. Il sera en Espagne, reporter de guerre avant d’émigrer aux USA. André Kertesz, arrivé de Hongrie en 1925, parti pour NewYork en 1936 ; le photojournaliste Fred Stein venu d’Allemagne en 1933. Interné avec sa famille dans un camp pour « étrangers ennemis », il réussira à s’enfuir avec elle vers les États-Unis en 1941. Robert Capa, arrivé de Hongrie par Berlin en 1933, couvrira après la guerre d’Espagne le débarquement en Normandie ; France Demay, ouvrier métallurgiste, membre de la FSGT, saisit les entraînements de ses camarades pour les Olympiades de Barcelone, avant de les y accompagner. Marcel Cerf, membre de Camping et Culture, deviendra après la Résistance, un spécialiste et militant de la Commune. Pierre Jamet chante pour les ouvriers en grève dans une chorale de l’AEAR. Lié au groupe Octobre et à Prévert, il va fonder celle des Auberges de Jeunesse et devenir après guerre un des piliers des « Quatre Barbus » A 24 ans, Willy Ronis ne rate pas une manifestation et participe aux expositions La photographie qui accuse et Regards sur la vie sociale avec Henri Cartier-Bresson, lui aussi photographe à Regards, qui adhère à Ciné-Liberté, devenant assistant de Jean Renoir… n Un univers à redécouvrir à l’Hôtel de Ville de Paris jusqu’au 27 juillet, à la bibliothèque Marguerite Duras, 115 rue de Bagnolet, 75020 Paris jusqu’au 25 septembre et au Musée d’Histoire vivante de Montreuil, Parc Montereau, jusqu’au 31 décembre. mémoire LE PATRIOTE RÉSISTANT N° 910 - juillet-août 2016 Depuis mai 1943, la colonie d'Izieu accueille des enfants juifs originaires de toute l'Europe. Eux aussi fêtent le 14 juillet. Raflés le 6 avril 1944 par la Gestapo, aucun des 44 enfants ne reviendra de déportation. adhérents. Sur les décors de Picasso, le Théâtre de l’Alhambra a­ ccueille les représentations du « 14 juillet », de Romain Rolland. L’Espagne républicaine prépare les contre-Jeux olympiques de Barcelone, face à l’imminence des Jeux de Berlin. Parmi les militants qui défilent, nombre de sportifs ne savent pas encore qu’ils rejoindront les Brigades internationales pour tenter, malgré « la non-intervention raisonnée », de se dresser contre les fascismes en Espagne. Certes, pour la première fois, un Noir, Félix Éboué, sera nommé gouverneur en Guadeloupe. Mais pour les peuples colonisés qui défilent, eux aussi, ce 14 juillet 1936 en France comme à Oran ou Dakar, le bilan sera différent. 5 jours de congés payés, le travail forcé et l’usure théoriquement interdits, le bagne de Cayenne fermé, la journée de 9 heures, ne leur donneront en rien le statut de citoyens. Fin mai, Hitler et Mussolini ont scellé leur pacte d’Acier. En août, suit le pacte germano-soviétique. Début septembre, l’Angleterre et la France entreront en guerre contre l’Allemagne. De la Résistance à la reconstruction 14 juillet 1940. Un symbole ? Depuis exactement un mois, les troupes nazies sont entrées dans Paris. Le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par le Parlement depuis le 10 juillet, a transformé la République en « État français ». La journée, déclarée de « deuil national », interdit bals et manifestations, en ces temps de débâcle. « Le 14 juillet ne marque pas seulement la grande douleur de la patrie. C’est aussi le jour d’une promesse que doivent se faire tous les Français par tous les moyens dont chacun dispose pour résister à l’ennemi, moment triomphant afin que la France, la vraie France, puisse être ­présente à la victoire », rétorque survivants, les orphelins et les familles le général de Gaulle sur les ondes de la décimées sont-ils vraiment de la fête ? BBC. A Londres où est placardé l’­Appel Etonnés d’être en vie, les rescapés des Maisons de la Culture se retrouvent à du 18 juin, il dépose une couronne à la la Maison de la Pensée Française et se statue du maréchal Foch, avant de passer en ­revue les 800 premiers volontaires mettent à rêver d’une Renaissance cultude la France Libre. A Paris, Les Amis relle, où voisineraient « le pain et les d’Alain Fournier fondent le jour-même roses »… leur mouvement Adopté en 1944, il de Résistance était titré Les Jours dans la biblioheureux. Dans une thèque ­t enue République reconquise, l’application p a r Yvon ne Oddon. Ce moudu Programme du vement maquillé Conseil National en ­société littéde la Résistance est à l’ordre du raire, sera plus connu sous le nom jour, complétant de ­réseau du Musée celui du Front de l’Homme. populaire avec 14 juillet 1941. notamment la nationalisaDa ns toute la France, en zone dite tion de l’Éner« libre » comme en gie et le Statut zone occupée, des des électriciens et ­g a ziers , initiatives bravent l’interdiction. construits Jusqu’au fond des priavec Marcel sons et des camps, on Paul. Bientôt, chante la Marseillaise. les C om ités A Paris, un groupe d’entreprises Un tract typographié des MUR : « Le 14 juillet 1943 sera le dernier ­s eront ­réalité, d’étudiants autour 14 juillet d'esclavage ! ». de Philippe Viannay, avec leur ­projet Hélène Mordkovitch et ­social et cultuRobert Salmon sort le journal ­clandestin rel. La Sécurité sociale ­naîtra, elle ausDéfense de la France. si, pour fonder une vraie santé publique. 14 juillet 1942. Presse clandestine, Le pays tout entier est à reconstruire. ­papillons, tracts et graffitis célèbrent la Hélène Amblard Révolution française et ses symboles. Radio Londres a donné consigne de se promener dans les grandes avenues 1) Victor Hugo, troisième discours au Sénat jusqu’au moment de la manifestation. pour l’amnistie, séance du 3 juillet 1880. 2) Mémoires d’Outre-Tombe (écrit entre 1809A Marseille, zone encore dite « libre », 1841). l’affiche du peintre Antoine Serra ar3) La section française de l’Internationale combore un bonnet phrygien. Elle appelle muniste (futur PCF) est née en 1920 de la scisà ­manifester « pour le peuple de France, sion de la Section Française de l’Internationale pour la République, pour la Liberté contre les ennemis de la République Pétain, Ouvrière (SFIO), dont la minorité refuse d’adhéLaval et tous les Hitlériens pour l’indérer à la IIIe Internationale, issue de la Révolution pendance de la France ». Les promeneurs soviétique. Cette scission entraîne celle de la se rendent au siège du PPF, qui tire sur la CGT et de la CGTU. foule. Deux femmes sont tuées. 4) Après avoir fondé le Parti Populaire Français, En ces 14 juillet 1943 et 1944, les ciDoriot mourra sous l’uniforme nazi de la Légion toyens, glorifiant Valmy, rivalisent d’indes Volontaires Français en Allemagne en 1945. géniosité pour s’afficher tricolores. A 5) Militant dreyfusard dès la fondation de la Londres puis à Alger, les revues des Forces LDH avec Émile Borel, Marie Curie et Paul Françaises Libres complètent une maniLangevin, Jean Perrin est, comme eux, ­acteur festation républicaine qui ne peut encore des premières universités populaires. Il sera fonêtre une fête. dateur du Palais de la découverte à l’occa­sion de Mais un an plus tard, un 14 juillet 1945 l’Exposition universelle de 1937. consacré à l’Humanité entière, célèbre 6) « un détritus humain (…) un homme à ­fusiller… la victoire trois jours durant. Parties de mais dans le dos », a écrit de lui Charles Maurras Vincennes, les troupes défilent à travers en 1935 dans L’Action française, tiré à des milliers d’exemplaires. une tempête d’acclamations avant d’être passées en revue place de la Nation par 7) Article paru le 10 juin 1936 dans La Révolution le général de Gaulle. L’après-midi, les prolétarienne. Simone Weil, normalienne, agrégée membres de toutes les organisations de de philosophie, a travaillé chez Alsthom et Renault résistance sont ovationnés de la Concorde pour étudier la condition ouvrière. Brigadiste, puis à la Bastille. Dans les cortèges, des groupes résistante en France et en Angleterre, elle meurt de jeunes en costumes de sans-culottes. tuberculeuse au sanatorium d’Ashford en 1943. Partout en France, bals et fêtes expri8) En août 1937, la fondation de la Société ment la joie retrouvée. Dans les villes Nationale des Chemins de Fer sauvera de la d’Alsace et de Lorraine, un office à la ruine les Compagnies privées minées par la mémoire des victimes de la guerre ouvre concurrence, accordant aux cheminots un ­statut les cérémonies. Les déportés, prisonniers national. DR En Algérie, le projet Blum-Violette, qui espérait le droit de vote pour une minorité d’indigènes, avortera devant la levée de boucliers des colons. 14 juillet 1939. On l’attendait, ce centcinquantième anniversaire de 1789 ! On le préparait. Il sera, lui aussi, l’occasion de trois jours de fête. Bien sûr, les bals, la revue militaire ; bien sûr, le défilé à la Bastille. Ils n’effacent ni les morts de la place Clichy, ni les licenciements pour faits de grève, ni, après l’Anschluss de mars 1938, le « lâche soulagement » des accords de Munich, abandonnant la Tchécoslovaquie aux troupes hitlériennes. Et si, comme à Montreuil au Parc Montereau après l’ouverture du Musée d’Histoire vivante, l’élan des tréteaux populaires redonne vie aux héros républicains, les spectacles donnés au Palais de Chaillot, le sont sous l’égide d’une fête de l’empire colonial. Il faudra attendre 1946, pour que le travail ­forcé soit supprimé de fait dans les colonies. Depuis les hauts de Belleville, des spectateurs du feu d’artifice pensent à un ­b ombardement… DR se construisent. Et même si la droite l’appelle « ministre de la paresse », Léo Lagrange défend le « droit au temps libre », construisant son contenu. Il peut compter sur la richesse d’un mouvement associatif unissant intellectuels, artistes, sportifs et ouvriers, pour une culture revendiquée universelle dès l’enfance. Conjuguant sport populaire, arts plastiques, photographie, cinéma, littérature et partage de tous les savoirs, l’expérience des occupations, marquées par les spectacles du groupe Octobre, les bals improvisés, les chorales, a transformé les usines en écoles de la vie. L’AEAR est devenue Association des Maisons de la culture, dirigée par Aragon. Dans les cortèges savamment scénographiés, s’affirme la diversité des formes d’expression d’un vrai mouvement culturel. Bénéficiaires de billets à tarifs réduits (8), les premiers « Congés payés » entonnent, sur les paroles de Jeannette Perrin, « Allons au ­d evant de la vie ». Les associations, telles Camping et Culture, comme les plus de 200 Auberges de Jeunesse s’ouvrent à leurs jeunes 13