Troubles anormaux de voisinage : extension de la notion de voisin

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Troubles anormaux de voisinage : extension de la
notion de voisin occasionnel
le 16 mai 2011
CIVIL | Bien - Propriété | Responsabilité
IMMOBILIER | Construction
L’absence d’occupation matérielle d’un fonds voisin par des architectes et des bureaux d’études ne
suffit pas à exclure l’existence d’une relation de cause directe entre les troubles subis et les
missions respectivement confiées à ces professionnels.
Civ. 3e, 28 avr. 2011, FS-P+B, n° 10-14.516
L’extension exponentielle de l’application de la théorie des troubles anormaux de voisinage touche
tant à son domaine d’application (V. dern. Steff, Les voisins et les exploitations d’énergies
renouvelables, Envir. 2011. dossier 6), qu’aux personnes susceptibles d’engager leur
responsabilité. À l’égard de ces dernières, la jurisprudence avait déjà innové en reconnaissant la
responsabilité des constructeurs, prenant appui sur la notion de voisin occasionnel (V. Civ. 3e, 30
juin 1998, Bull. civ. III, n° 144 ; D. 1998. IR 220 ; RDI 1998. 647, obs. P. Malinvaud et B. Boubli ;
ibid. 664, obs. G. Leguay et P. Dubois ; RTD civ. 1999. 114, obs. P. Jourdain ; Defrénois 1999. 549,
obs. Périnet-Marquet ; 18 mars 2003, Bull. civ. III, n° 77 ; RDI 2003. 284, obs. P. Malinvaud ; 22 juin
2005, Bull. civ. III, n° 136 ; RTD civ. 2005. 788, obs. P. Jourdain ). La présente décision en prolonge
la notion : le voisin occasionnel peut désormais s’entendre des participants à la construction qui
n’ont pas occupé matériellement le fonds à l’origine des nuisances.
Alors que la doctrine poursuit sa lutte contre l’absurdité de la notion de voisin occasionnel, la Cour
de cassation n’a pas manqué d’en étendre les contours. Ce sont désormais les architectes, les
techniciens et ingénieurs des bureaux d’étude qui, dans l’exécution de leurs missions respectives,
peuvent être responsables de troubles subis par les fonds voisins des chantiers sur lesquels ils
travaillent en amont de l’édification, c’est-à-dire au niveau de la conception des ouvrages et de
l’étude géotechnique des sols qui vont les accueillir.
Or, si l’on peut admettre que les techniciens des bureaux d’étude puissent être de véritables
voisins occasionnels, au sens matériel du terme (alors qu’ils interviennent de façon très ponctuelle
et sans participer directement à la construction), la situation est sensiblement différente pour
l’architecte investi d’une mission de conception (qui est plus un acteur « intellectuel » de
l’opération immobilière).
En l’espèce, l’assureur d’un maître d’ouvrage a indemnisé les propriétaires d’un fonds voisin qui se
plaignaient de fissures affectant leur bien, prétendument consécutives aux premiers travaux de
terrassement. L’assureur a alors exercé un recours subrogatoire à l’encontre de la dizaine
d’intervenants à l’opération immobilière. La cour d’appel de Paris rejeta sa demande à l’encontre
des architectes et du bureau d’études, en raison de l’absence d’occupation matérielle du fonds
voisin par ces derniers. Or, selon la Cour de cassation, ce critère ne suffit pas à exclure la relation
causale entre les troubles subis et les missions du concepteur de l’ouvrage et des géotechniciens.
Partant, la responsabilité de ces professionnels ne saurait être écartée.
Si l’objectif visé par les magistrats – mise en œuvre de la responsabilité – se conçoit aisément, le
fondement utilisé en l’espèce pourrait, en revanche, être critiqué. La responsabilité des auteurs «
intellectuels » du dommage se justifierait davantage au regard de la faute dans l’exécution
contractuelle (dans la conception de l’ouvrage, dans les préconisations résultant de l’étude du sol,
en particulier). Le fondement visé dans cet arrêt (« nul ne doit causer à autrui un trouble anormal
de voisinage ») paraît moins indiqué, plus artificiel. Il l’est d’autant plus que dans un second temps,
la Cour de cassation revient à la logique contractuelle.
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Elle rappelle que l’assureur subrogé dans les droits de la victime n’a pas à sa charge la preuve du
manquement à l’obligation d’information des différents intervenants à l’acte de construire. En vertu
de l’article 1315 du code civil, il appartenait aux architectes, au bureau d’études et à l’entrepreneur
principal de prouver l’exécution de leur obligation d’information au regard des techniques
employées. Sans doute faut-il comprendre ici que les professionnels auraient dû informer le maître
d’ouvrage des risques de nuisance aux fonds voisins que les techniques employées étaient
susceptibles de générer. La jurisprudence avait déjà eu l’occasion de le juger (V. à propos
d’ouvertures, Civ. 3e, 14 févr. 2007, n° 05-22.107, RDI 2007. 272, obs. B. Boubli ).
Nul besoin désormais d’avoir été présent sur le chantier pour endosser la responsabilité de troubles
anormaux de voisinage : la protection du voisin grandit, l’artifice du raisonnement aussi. L’heure
est d’autant plus venue de mettre de l’ordre dans ces troubles. Dans l’immédiat, les constructeurs
ayant qualité de voisins occasionnels dits « intellectuels » ou « intermittents »
(V. Périnet-Marquet, Droit des biens, JCP 2007. I. 117) pourront tenter d’échapper à leur
responsabilité en invoquant l’absence de causalité entre leurs interventions respectives et le
trouble causé au fonds voisin (V. en ce sens, un récent arrêt, Civ. 3e, 9 févr. 2011, nos 09-71.570 et
09-72.494, RDI 2011. 227, obs. P. Malinvaud ; Constr.-Urb. 2011, n° 57, obs. Pagès-de Varenne).
Le trouble anormal de voisinage ne leur sera ainsi plus imputable (V. Civ. 3e, 28 janv. 2009, nos
07-20.997 et 07-21.174, Dalloz jurisprudence ; 21 mai 2008, Bull. civ. III, n° 90 ; D. 2008. AJ 1550,
obs. S. Bigot de la Touanne ; ibid. Pan. 2458, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ; ibid.
Pan. 2894, obs. P. Brun et P. Jourdain ; RDI 2008. 345, obs. P. Malinvaud ; ibid. 546, obs. E.
Gavin-Millan-Oosterlynck ; RTD civ. 2008. 496, obs. P. Jourdain ) … à condition qu’ils parviennent
à surmonter les affres de la probatio diabolica.
Il reste à s’interroger sur l’éventuelle résistance des juges du fond restreignant la notion de voisin
occasionnel aux acteurs matériels de la construction (V. Paris, 25 mars 2009, RG n° 07/08487,
Dalloz jurisprudence ; 26 nov. 2008, RDI 2009. 255, obs. P. Malinvaud ). De façon plus prospective,
seule l’adoption de l’Avant-projet de réforme du droit des obligations (C. civ., art. 1101 à 1386) et
de la prescription (V. C. civ., art. 1361) ou de l’Avant-projet de réforme du droit des biens pourrait
mettre définitivement à l’abri l’ensemble des locateurs d’ouvrage (V. C. civ., art. 629 et 630).
par F. Garcia
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