Le syndrome de Marfan - John Libbey Eurotext

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Mini-revue
Sang Thrombose Vaisseaux 2008 ;
20, n° 10 : 511-20
Le syndrome de Marfan
Guillaume Jondeau, Delphine Detaint, Florence Arnoult, Mathieu Gauthier, Gabriel Delorme,
Catherine Boileau
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Département de cardiologie, centre de référence sur le syndrome de Marfan et apparentés, hôpital Bichat,
46, rue Henri-Huchard, 75018 Paris, France
<[email protected]>
Résumé. Le syndrome de Marfan associe des signes cliniques de différents
appareils : cardiovasculaires (dilatation aortique, risque de dissection,
prolapsus valvulaire mitral), ophtalmologiques pouvant conduire à la
cécité, rhumatologiques, dermatologiques, neurologiques. Il est d’origine
génétique, lié le plus souvent à une mutation du gène codant pour la
fibrilline de type 1. Ces dernières années, la physiopathologie s’est enrichie
de l’implication de la voie de signalisation TGF-bêta. Le récepteur spécifique peut être anormal dans certains cas, cette voie semble paradoxalement
activée dans la paroi aortique. Son blocage chez la souris limite la
dilatation aortique, et les études chez l’homme sont en cours. En attendant
ces progrès, l’attitude actuelle reste basée sur les bêtabloquants, la surveillance régulière du diamètre aortique et la chirurgie préventive, le plus
souvent, maintenant, avec préservation de la valve aortique. L’espérance
de vie des patients a déjà gagné 30 ans et pourrait encore gagner
beaucoup, ainsi qu’en qualité de vie, dans les années à venir.
Mots clés : syndrome de Marfan, TGF-bêta, mutation génétique, paroi aortique
doi: 10.1684/stv.2008.0338
Abstract
Marfan’s syndrome
Marfan’s syndrome is characterised by clinical signs of different systems:
cardiovascular (aortic dilatation, risk of dissection, mitral valve prolapse),
ophthalmological with risk of blindness, rheumatological, dermatological
and neurological. It is a genetic disorder, usually related to a mutation of
the gene coding for type 1 fibrillin. The physiopathology has been clarified
over the last few years by the implication of the TGF-beta signalling
pathway. The specific receptors may be abnormal in some cases; this
pathway seems paradoxically activated in the aortic wall. Its blockade in
the mouse limits aortic dilatation and clinical studies are underway. While
waiting for these results, present management is based on beta blocker
therapy, regular checks of the aortic diameter and preventive surgery,
usually with preservation of the aortic valve. The life expectancy of these
patients has already increased by 30 years and this could continue in the
future with an improved quality of life.
Key words: Marfan’s syndrome, TGF-beta, aortic valve, genetic mutation
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511
L
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e syndrome de Marfan est une maladie génétique
dominante autosomique, généralement en rapport avec une mutation du gène de la fibrilline de
type 1. C’est la plus fréquente des maladies
monogéniques responsables d’anévrisme de l’aorte ascendante. La compréhension de sa physiopathologie a beaucoup évolué ces dernières années, ainsi que sa prise en
charge et son pronostic. Une étude débute, qui évalue le
bénéfice du losartan chez les patients présentant un syndrome de Marfan à la suite des avancées obtenues dans le
modèle animal (souris KI).
Sur le plan cardiovasculaire, elle se traduit par une faiblesse
de la paroi aortique qui se dilate progressivement au cours
de la vie et risque de se disséquer : avant que la chirurgie de
remplacement de la racine de l’aorte ne soit réalisée (intervention de Bentall), les patients mourraient à 80 % des
conséquences de la dilatation aortique (dissection ou fuite
aortique avec insuffisance cardiaque), et la moitié des patients décédaient avant l’âge de 40 ans. Depuis que la prise
en charge médicale et chirurgicale a été optimisée, l’espérance de vie des patients a augmenté de plus de 30 ans. Un
volet fondamental est donc la chirurgie de remplacement de
la racine de l’aorte qu’il va falloir proposer à temps pour
éviter que les complications ne surviennent, mais pas trop
précocement afin d’éviter au patient de prendre un risque
inutile (certains patients présentant un syndrome de Marfan
ne sont jamais opérés et s’en trouvent très bien). On tend
actuellement à préserver les valves natives et ainsi éviter le
traitement anticoagulant au long cours et les complications
des valves mécaniques.
La deuxième complication cardiovasculaire classique de la
maladie est le prolapsus valvulaire mitral qui peut également relever d’une intervention chirurgicale.
Le syndrome de Marfan peut également se compliquer sur
le plan ophtalmologique (décollement de rétine, cécité,
glaucome) et orthopédique ou rhumatologique : en dehors
de la scoliose qui peut justifier une intervention chirurgicale, les complications articulaires, notamment douloureuses, viennent maintenant au premier plan du tableau depuis
que l’on voit des patients plus âgés.
Critères diagnostiques
Le syndrome de Marfan est, à ce jour, défini par des critères
essentiellement cliniques (établis à Ghent) publiés en 1996
et qui font toujours référence [1]. Ces critères sont complexes et témoignent de la difficulté diagnostique (figure 1A).
Pour parler de syndrome de Marfan, il faut retrouver une
atteinte de 3 systèmes avec au moins 2 signes majeurs. Cela
illustre la nécessité de la collaboration de multiples spécialistes pour porter le diagnostic (tableau I).
512
L’importance des critères cliniques dans la définition de la
pathologie illustre les limites floues de ce syndrome : des
mutations de la fibrilline, mais également du gène codant
pour le récepteur 2 et peut-être du récepteur de type 1 du
TGF-bêta peuvent donner des tableaux plus ou moins complets. Parfois, aucune mutation n’est retrouvée.
La fréquence des différents signes cliniques est donnée à
titre d’illustration pour les patients qui se sont présentés au
centre de référence et chez lesquels un diagnostic de certitude a été porté. L’atteinte rhumatologique est la plus
fréquente : l’arachnodactylie est présente chez 80 % des
patients (signe du poignet ou signe du pouce), un pectus
chez plus de 50 %, la dolichosténomélie chez 1/3 (rapport
envergure/taille > 1,05). Les autres signes sont plus rares.
Les douleurs rachidiennes sont les complaintes les plus
fréquentes qui justifient en règle un simple traitement phytothérapique et symptomatique. La surveillance est dictée
par les symptômes.
L’atteinte ophtalmologique est dominée par l’ectopie du
cristallin (65 % des patients) et la cornée plate (40 % des
patients). La myopie forte est plus rare. La surveillance doit
être annuelle du fait du risque de déplacement du cristallin
qui peut se compliquer de cécité. On peut proposer alors
une intervention préventive d’ablation du cristallin.
L’atteinte cutanée est présente surtout dans les formes
complètes, et l’atteinte pulmonaire (pneumothorax) est
rare.
La multiplicité des signes cliniques et des systèmes atteints
souligne l’importance, pour porter le diagnostic, de la réunion de l’avis de différents spécialistes. Du fait de la grande
variabilité des signes cliniques, l’évocation du diagnostic
devrait être systématique devant tout anévrisme ou dissection de l’aorte, et ce, d’autant plus que l’origine athéromateuse est moins probable. On devrait donc faire un bilan à la
recherche d’une atteinte des différents appareils et une
enquête familiale pour rechercher d’autres anévrismes dans
la famille.
Atteinte cardiaque
La gravité du syndrome de Marfan vient du risque de
dissection aortique qui lui est associé. La dissection aortique est, ici, précédée d’une dilatation aortique, si bien que
le diamètre aortique est le meilleur marqueur du risque de
dissection que présente un patient.
Histologie
Sur le plan histologique (figure 1B), la paroi d’un patient
présentant un syndrome de Marfan est identique à la paroi
aortique d’un patient présentant un anévrisme de l’aorte
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Tableau I. Critères diagnostiques du syndrome de Marfan selon De Paepe et al. [1]
Système
Squelettique
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Oculaire
Cardiovasculaire
Signes cliniques majeurs
– Pectus carinatum ou excavatum
nécessitant la chirurgie
– Rapport segment supérieur sur segment
inférieur bas ou envergure sur taille
> 1,05
– Signe du poignet ou du pouce
– Scoliose > 20 ou spondylolisthésis
– Extension maximale des coudes < 170
– Pied plat
– Protrusion acétabulaire
Ectopie cristalline
– Dilatation de l’aorte ascendante
intéressant les sinus de Valsalva
– Dissection aortique
Pulmonaire
Cutané
Dure-mère
Génétique
Signes cliniques mineurs
– Pectus excavatum modéré
– Hyperlaxité ligamentaire
– Palais ogival avec chevauchement
des dents
– Faciès
– Cornée plate
– Globe oculaire allongé
– Iris hypoplasique ou hypoplasie du
muscle ciliaire
– Insuffisance aortique
– Prolapsus valvulaire mitral avec ou sans
fuite
– Dilatation de l’artère pulmonaire avant
l’âge de 40 ans
– Calcifications de l’anneau mitral avant
l’âge de 40 ans
– Anévrisme ou dissection de l’aorte
abdominale avant l’âge de 50 ans
– Pneumothorax spontané
– Bulle apicale
– Vergetures (à l’exclusion de : grossesse,
perte de poids)
– Hernies récidivantes
Ectasie de la dure-mère lombosacrée
– Un parent direct ayant les critères
diagnostiques
– Mutation de FBN1 déjà connue pour
provoquer un MFS
– Présence d’un marqueur génétique
proche du gène de la fibrilline de type I,
se transmettant avec la maladie dans la
famille
Définition de l’atteinte
du système
Majeure : si au moins
4 signes cliniques majeurs
sont présents
Présence d’au moins
2 signes mineurs
Présence d’au moins
1 signe mineur
Présence d’au moins
1 signe mineur
Présence d’au moins
1 signe mineur
Présence d’1 signe majeur
ascendante d’autre origine. La disparition des cellules musculaires lisses, la fragmentation des fibres d’élastine, l’apparition de zones acellulaires riches en polysaccharides ne
permettent pas d’orienter le diagnostic. L’aspect histologique est également identique en cas d’anévrisme associé à
une bicuspidie de la valve aortique ou est observé en cas
d’anévrisme sur valve tricuspide, sans facteur familial,
chez les sujets plus âgés. Ainsi, le diagnostic de maladie de
Marfan ne peut pas être porté sur l’histologie.
directement une anomalie des fibres d’élastine. L’anomalie
des fibres d’élastine explique la fragilité de la paroi aortique
des patients, qui est également « rigide » avec perte de son
élasticité. Cela reste vrai aujourd’hui.
On a également proposé que l’anomalie de la fibrilline soit
responsable d’une anomalie de la transmission des forces à
la cellule musculaire lisse, qui, de ce fait, libère des métalloprotéases qui détruisent la paroi. Cette théorie reste d’actualité.
Physiopathologie
Importance de la voie du TGF-bêta
De grandes ouvertures ont été obtenues grâce à un modèle
de souris KI pour une mutation humaine de la fibrilline de
type 1. Cette souris développe des anomalies proches des
anomalies observées chez les patients présentant un syndrome de Marfan (figure 2A et B). Notamment, une dilatation aortique survient avec une désorganisation de la struc-
Elle a beaucoup évolué ces dernières années [2].
Conception classique
La fibrilline de type 1 intervient lors de la mise en place des
fibres d’élastine, pour lesquelles elle pourrait jouer un rôle
de « tuteur ». L’anomalie de la fibrilline entraînerait donc
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513
les, où il va modifier l’expression de certains gènes, notamment ceux codant pour des protéines de la matrice extracellulaire.
Dans le modèle de souris Marfan, KI pour une mutation
humaine de la fibrilline de type 1, le taux de smad-2
phosphorylé est élevé dans les cellules musculaires lisses
de la paroi aortique notamment. Plus intéressant, le blocage
de la voie du TGF-bêta par un anticorps anti-TGF-bêta
permet de limiter la dilatation aortique chez les souriceaux.
Enfin, le même résultat peut être obtenu en donnant aux
souriceaux du losartan. Cette molécule bloque la dilatation
aortique, diminue le nombre de cellules dans lesquelles le
smad-2 est phosphorylé. Pour expliquer ces résultats, on
imagine que la fibrilline anormale ne permet plus le stockage du TGF-bêta. Celui-ci est libéré et peut alors se fixer
sur ses récepteurs [3].
La grande question est de savoir si les patients présentant un
syndrome de Marfan pourraient bénéficier de cette thérapeutique. Diverses études sont en cours à travers le monde,
qui donneront une réponse dans quelques années. Une
étude a lieu en France comparant le placebo et le losartan en
double insu, en plus du traitement classique. Pour l’instant,
les données préliminaires, rapportées par les promoteurs de
la théorie, sont encourageantes.
Se pose tout de même la question de la spécificité de cette
observation : le taux de smad-2 phosphorylé est augmenté
dans des parois aortiques de patients présentant une mutation de la fibrilline, mais également chez les patients porteurs d’une mutation du récepteur 2 du TGF-bêta, dont on
sait qu’elle bloque la transmission du signal. Chez ces
patients, la stimulation de la voie du TGF-bêta est inattendue et actuellement complètement inexpliquée.
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A
Clinique
Figure 1A. Forme typique de Marfan.
ture de la paroi. Les fibres d’élastine sont rompues,
l’épaisseur de la paroi est augmentée. Dans ce modèle, dans
lequel surviennent également un prolapsus valvulaire mitral avec épaississement des valves, un emphysème pulmonaire et une myopathie squelettique, la voie du TGF-bêta
semble être activée de façon inappropriée.
Le TGF-bêta est une cytokine, synthétisée par les cellules
musculaires lisses sous forme de dimère (figure 3). Cette
molécule est stockée au niveau des microfibrilles, et
notamment de la fibrilline 1. Elle se fixe sur des récepteurs
de type 2 (TGFBR2) qui s’associent aux récepteurs de
type 1 (TGFBR1). Ces derniers se phosphorylent et phosphorylent la smad-2 intracellulaire. Smad-2 est un intermédiaire intracellulaire qui va être transloqué dans le noyau
une fois phosphorylé, en association avec d’autres molécu-
514
L’atteinte aortique prédomine sur la partie initiale de
l’aorte : la dilatation est généralement maximale au niveau
des sinus de Valsalva. Cela est vrai lorsque la mutation en
cause est une mutation du gène de la fibrilline, mais également une mutation des récepteurs du TGF-bêta. A l’inverse,
en cas de bicuspidie, la dilatation aortique est maximale
au-dessus de la jonction sinotubulaire et prédomine sur la
convexité. Les raisons en sont mal connues.
La dilatation aortique est un des critères majeurs du diagnostic de la maladie, et la reconnaître est donc fondamental. Il faut donc que cette mesure soit standardisée pour que
la reproductibilité soit maximale (figure 4). Les normes les
plus utilisées sont celles publiées par Roman et al. en 1989,
même si elles sont établies à partir d’une petite population.
Elles sont probablement imparfaites, surtout chez les enfants pour lesquels on peut conclure à tort à une dilatation
aortique. La figure 4 montre la technique de mesure à
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B
Figure 1B. Aspect histologique de la paroi aortique normale (à gauche) et chez un patient présentant un syndrome de Marfan (à droite) :
les fibres d’élastine, en vert sont fragmentées et désorganisées. Des zones acellulaires sont présentes. Sur la coloration en éosine et bleu
alcian (en bas), les zones acellulaires riches en mucchopolysaccharides sont bien visibles et expliquent la fragilité de la paroi aortique
(U698 Bichat).
utiliser, en voie parasternale, en incluant la paroi antérieure
et non la paroi postérieure, en s’assurant de mesurer le
diamètre perpendiculairement à l’axe de l’aorte. Cette mesure généralement réalisée par échographie (et fiable) peut
parfois être difficile, et il faut alors la réaliser avec une autre
technique en appliquant les mêmes règles. Notamment, la
mesure effectuée sur des coupes de scanner horizontales,
sans reconstruction conduit à des mesures de diamètres
erronées.
On doit garder en tête qu’une dilatation aortique modérée
est compatible avec un diamètre aortique restant dans les
valeurs normales : si l’aorte a un diamètre avant toute
dilatation exactement à la valeur moyenne de la population
générale, elle ne sera considérée comme dilatée que si elle
dépasse 2 écarts-types. Cela est surtout important pour ne
pas considérer que l’atteinte aortique est absente, si le
patient présente d’autres signes, et ne pas, à tort, le priver du
traitement préventif de la dissection.
Dissection de l’aorte
La dissection aortique survient très généralement au niveau
de l’aorte ascendante, mais peut s’étendre au niveau de la
crosse, des vaisseaux du cou et de l’aorte descendante. La
dissection de l’aorte descendante sans dissection de l’aorte
ascendante est plus rare. Elle risque de se compliquer d’une
dilatation progressive qui imposera une intervention. En
revanche, la dissection des vaisseaux du cou, des artères
digestives, rénales, des membres inférieurs est l’extension
d’une dissection aortique, et la maladie ne prédispose pas à
la dissection des vaisseaux cérébraux.
La dissection de l’aorte ascendante a d’autant plus de risque
de survenir que :
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515
A
NonTg
Tg (mut3)
C1039G/+
B
VVG
A
Wild-type
Médical : limitation des sports, traitement
bêtabloquant, prévention de l’endocardite
éventuellement
Aortic wall thickness
115
Wall Thickness (µm)
95
85
75
65
55
45
35
4
F
Wild-type Placebo Propranolol Losartan
n=6
n = 14
n = 12
n = 10
C1039G/+
Aortic wall architecture
C
C1039G/+
Propranolol
3.5
3
2.5
D
C1039G/+
Losartan
2
1.5
1
Le traitement de la dissection de l’aorte doit être préventif.
Il repose sur l’éducation du patient, les bêtabloquants, la
surveillance échocardiographique régulière et la chirurgie
de remplacement de l’aorte préventive.
E
105
C1039G/+ B
Placebo
Traitement
Wild-type Placebo Propranolol Losartan
n = 12
n=6
n = 10
n = 14
C1039G/+
Figure 2. A) Modèle animal de syndrome de Marfan : souris KI
pour une mutation humaine pathogène. Une des 2 mutations
(souris du bas) entraîne des signes squelettiques chez les souris
porteuses (scoliose et arachnodactylie, ici), alors que l’autre
mutation ne s’accompagne pas de modification du phénotype
(souris du centre). La souris du haut est la souris normale témoin
[8] ; B) Effet du traitement bêtabloquant et du losartan sur la paroi
aortique de souris KI pour la mutation de la fibrilline humaine qui
entraîne une pathologie chez la souris [3].
Le patient doit éviter les efforts au cours desquels la pression artérielle systolique, et donc la contrainte appliquée
516
125
Score
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– la dilatation est importante : on considère que le risque est
faible (bien que non nul) lorsque le diamètre aortique au
niveau des sinus de Valsalva reste en dessous de 50 mm.
Une dissection est exceptionnelle en l’absence de dilatation. Le diamètre aortique est considéré comme le facteur
prédictif le plus puissant de dissection aortique ;
– la dilatation est rapide : cela doit faire répéter l’examen
afin de confirmer la valeur par une autre technique d’imagerie ;
– la dilatation aortique est diffuse et s’étend au-delà de la
jonction sinotubulaire ;
– un parent a présenté une dissection aortique sans dilatation importante ;
– le patient réalise des efforts isométriques qui s’accompagnent d’une augmentation importante de la pression artérielle systolique et augmentent ainsi la contrainte appliquée
à l’aorte initiale. Il faut donc déconseiller les sports qui
impliquent ce type d’effort, tels le basket-ball, le tennis, le
hand-ball, le volley-ball... et bien sûr la musculation que ces
patients pourraient être désireux de la pratiquer du fait de la
diminution de la masse musculaire qui accompagne parfois
le syndrome ;
– le patient est hypertendu ;
– le patient ne prend pas de traitement bêtabloquant ;
– la patiente est enceinte (d’où l’importance de ne pas
arrêter le traitement bêtabloquant pendant cette période ni
lors de l’accouchement ni en post-partum : l’allaitement est
moins important que la vie de la mère !).
La dilatation aortique peut également être responsable
d’une fuite aortique : l’altération de la géométrie de la
racine aortique modifie la position des valves et peut faire
apparaître une fuite. C’est ce mécanisme qui est en cause le
plus souvent lorsqu’une fuite est présente, et la fuite est
grossièrement proportionnelle à la dilatation aortique, rare
avant 50 mm. Un prolapsus d’une des valves aortiques peut
également s’observer, et enfin une endocardite peut aggraver une fuite. En pratique, de nos jours, les fuites aortiques
observées chez les patients sont généralement modérées.
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TGFβ
Betaglycan
Sol-Endo
Sol-Endo
BMP
Endoglin
Plasma membrane
ALK5
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TGFBR2
ALK1,2,3,6
SMAD2/3
BMPR2
SMAD1/5/8
SMAD6
SMAD7
P
P
SMAD4
P
P
P
P
P
P
P
P
Gene
expression
Gene
expression
Nucleus
Figure 3. Voie du TGF-bêta : l’activation du récepteur TGF-bêta R2 par le TGF-bêta entraîne une phosphorylation du TGFBR1 qui va à
son tour phosphoryler smad-2, lequel va aller dans le noyau en se combinant à d’autres molécules. Dans le noyau, le complexe
moléculaire va modifier l’expression génique.
sur la racine de l’aorte, s’élève brutalement et de façon
importante ; il existe une classification des sports par
l’American College of Cardiology qui peut être utilisée
pour guider les patients.
Il faut également éviter les sports comportant des accélérations et des décélérations brutales, ainsi que les sports de
contact pour limiter les risques oculaires.
Les bêtabloquants diminuent la vitesse d’éjection aortique
et ainsi la vitesse de distension de l’aorte, et probablement
surtout la fréquence cardiaque. Leur bénéfice a été confirmé
par une étude randomisée contre placebo en simple insu,
réalisée par l’équipe de l’hôpital John Hopkins, chez 70
patients de plus de 12 ans (figure 5). Dans le groupe de
patients recevant le bêtabloquant (32 patients), la dilatation
aortique était moins rapide, la survenue d’une dissection
aortique plus rare (2 contre 4 dans le groupe placebo) et le
taux global de complications (décès, dissection, diamètre
supérieur à 60 mm, insuffisance aortique chirurgicale)
4
Ao
3
2
1
VG
OG
Figure 4. Mesure du diamètre aortique pour la surveillance de la
racine de l’aorte chez les patients présentant un syndrome de
Marfan [5].
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517
Diam2
45
Control Group (N = 38)
Diam2 = f(âge) droites prédites, groupe fixe
40
35
3
Aortic Ratio
30
25
20
15
2
10
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0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18
Âge
Groupe
Non traité
Traité
1
0
50
100
150
Months of Follow-up
Treatment Group (N = 32)
Aortic Ratio
2
1
0
50
100
100
Months of Follow-up
Figure 5. La dilatation aortique est ralentie par le traitement
bêtabloquant. Soixante-dix patients présentant un syndrome de
Marfan ont été répartis en 2 groupes : le groupe témoin ne prenait
pas de bêtabloquant alors que le groupe traitement recevait du
propranolol à une dose suffisante pour limiter la fréquence cardiaque à moins de 110 à l’effort. L’aortic ratio, sur l’axe des x
correspond au rapport du diamètre aortique mesuré sur le diamètre aortique théorique, et l’axe des y représente les mois de suivi
[6].
moindre (5/32 patients recevant un bêtabloquant et 9/38
patients recevant un placebo). Chez les enfants, aucune
étude n’a définitivement établi un bénéfice équivalent, en
partie au moins à cause de la difficulté de réalisation d’une
étude de ce type (le diagnostic est difficile chez les enfants
du fait de l’apparition progressive des signes au cours de la
vie). Diverses études rétrospectives suggèrent néanmoins
un bénéfice identique (figure 6). Il semble logique de
protéger l’aorte avant qu’une dilatation (qui témoigne déjà
d’un remaniement important de l’aorte) ne soit survenue,
dès que la fragilité de l’aorte est établie. Le bénéfice des
bêtabloquants est établi y compris pour les patients dont le
diamètre aortique est initialement normal. La molécule
518
Figure 6. Intérêt du traitement bêtabloquant chez les enfants.
Comparaison de la dilatation aortique observée chez des enfants
de moins de 12 ans ayant ou non reçu au moins une fois un
traitement bêtabloquant : la prise du traitement est associée à une
moindre dilatation aortique, alors que le diamètre aortique était
plus élevé au départ (30 vs 27 mm). Cette différence est d’autant
plus nette que le traitement a été pris longtemps [7].
généralement utilisée est l’aténolol, à la dose de 100 mg si
possible.
Le traitement bêtabloquant doit être poursuivi après chirurgie de remplacement de l’aorte ascendante, car l’ensemble
de l’aorte est modifié par la maladie et une dissection de
l’aorte descendante reste possible.
Les alternatives au traitement bêtabloquant ne doivent s’envisager aujourd’hui qu’en cas d’intolérance. Les inhibiteurs calciques ralentisseurs sont les alternatives les plus
acceptées. L’inhibition du système rénine angiotensine par
un IEC ou un sartan peut être proposée, mais le bénéfice de
cette attitude n’est pas validé chez l’homme. On ne dispose
que de peu d’études rétrospectives, non randomisées portant sur de petits effectifs. Une étude récente suggère qu’un
IEC est bénéfique sur l’évolution du diamètre aortique,
mais 10 patients ont été comparés à 7 témoins dans une
étude monocentrique, et la nature des résultats impose une
confirmation par d’autres études multicentriques plus importantes qui sont en cours ou sur le point de débuter. Il est
clair, au vu des données récentes de physiopathologie observées chez les souris, que les résultats des études réalisées
chez l’homme sont attendues avec impatience [4].
Traitement chirurgical :
remplacement de l’aorte ascendante
Le traitement chirurgical repose sur le remplacement de
l’aorte ascendante. L’ensemble de la paroi est fragile ;
l’ensemble de l’aorte ascendante doit être remplacé, et il ne
doit pas persister de collerette de tissu aortique natif au-
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dessus des valves : le tube sus-coronaire est à bannir. On
peut ou non y associer un remplacement valvulaire.
Intervention de Bentall
L’intervention de Bentall a réellement transformé le pronostic des patients présentant un anévrisme ou une dissection de l’aorte ascendante. Elle consiste à remplacer l’aorte
ascendante et la valve aortique par un tube en dacron dans
lequel a été cousue une valve prothétique généralement
mécanique. Les coronaires sont réimplantées ensuite dans
le tube en dacron aortique de préférence directement. Le
chirurgien peut ou non refermer la paroi aortique native
autour du tube en dacron pour favoriser l’hémostase.
Préservation de la valve aortique
On peut tenter de conserver la valve aortique native lors du
replacement de l’aorte ascendante en dehors du contexte
d’urgences (intervention de Yacoub ou de Tyrone David).
Ces interventions comprennent une résection complète de
l’aorte ascendante, et ne laissent aucune collerette aortique
au-dessus des valves. Elles nécessitent une grande expertise
de la part du chirurgien et l’acceptation de la part du patient
de 2 risques : tout d’abord, que le résultat de la plastie soit
mauvais. Cela doit être dépisté par l’évaluation peropératoire par échographie transœsophagienne, et que cela
conduise à remplacer la valve (et il faut qu’un accord ait été
obtenu sur le type de valve à mettre en place dans cette
éventualité) ; il faut également être conscient du risque de
l’apparition d’une fuite secondairement ou de l’aggravation
d’une fuite initialement minime qui nécessitera une réintervention dont le risque est donc plus élevé. Les fuites
précoces importantes sont souvent le fait de problèmes
techniques et théoriquement dépistés par l’ETO peropératoire. L’existence d’une fuite excentrée, témoin d’un
prolapsus d’une valve aortique, serait un facteur indiquant
un plus grand risque d’aggravation d’une fuite précoce.
Indication opératoire
L’indication opératoire est portée du fait de la dilatation
aortique sur un faisceau d’arguments :
– le diamètre aortique maximal, généralement au niveau
des sinus de Valsalva : on propose généralement une intervention lorsque le diamètre aortique est de 50 mm avec
l’idée de limiter le risque de dissection, mais surtout de
permettre une chirurgie de remplacement de l’aorte ascendante qui préserve les valves aortiques natives et évite ainsi
au patient (ou à la patiente, notamment en cas de désir de
grossesse) les problèmes liés aux valves mécaniques et au
traitement anticoagulant. Les recommandations de l’ESC
récentes parlent même d’une indication opératoire à porter
à 45 mm, mais de nombreuses équipes préfèrent attendre
50 mm (dans notre population de plus de 800 patients, âgée
en moyenne de 35 ans, la première cause de mortalité dans
cette population jeune est la chirurgie cardiaque préventive,
bien qu’elle soit très faible et que l’indication opératoire ait
été portée à 50 mm) ;
– l’augmentation du diamètre aortique, ce qui ne saurait
trop souligner l’importance d’une surveillance régulière,
annuelle et semestrielle, lorsque l’on s’approche des diamètres où la chirurgie, est recommandée.
Il faut apporter le plus grand soin à la réalisation de l’examen (généralement échocardiographique), standardiser les
méthodes de mesure (figure 4) et comparer les résultats
obtenus aux valeurs normales compte tenu de l’âge, du
poids, du sexe et de la taille. Des valeurs normales du
diamètre au niveau du sinus de Valsalva ont été publiées par
Roman et sont largement utilisées pour les adultes.
La dilatation aortique peut également être responsable
d’une incontinence valvulaire : en effet, les valves aortiques sont appuyées sur la paroi aortique, et une modification de la géométrie de la racine aortique modifie la géométrie des valves et peut faire perdre la continence valvulaire.
C’est ce mécanisme qui est en cause le plus souvent, et la
fuite est grossièrement proportionnelle à la dilatation aortique, rare avant 50 mm. Le deuxième mécanisme qui peut
également être en cause, moins fréquemment, est le prolapsus d’une des valves aortiques, et enfin une endocardite
peut aggraver une fuite. En pratique, de nos jours, les fuites
aortiques observées chez les patients sont généralement
modérées et l’indication est portée sur le diamètre aortique
ou son évolution.
Surveillance après intervention
Après remplacement de l’aorte ascendante, les patients
justifient toujours d’une surveillance régulière : comme il
est souligné plus haut, c’est l’ensemble de l’aorte qui est
fragile chez les patients présentant un syndrome de Marfan.
En conséquence :
– le traitement bêtabloquant doit être poursuivi après l’intervention. Ce traitement est encore plus impératif
lorsqu’une dissection de l’aorte a touché l’aorte descendante qui n’a très généralement pas été remplacée, au moins
d’emblée ;
– l’aorte doit être surveillée par un examen permettant de la
visualiser dans son intégralité, tel que le scanner spiralé
synchronisé à l’ECG ou la RMN, à réaliser dans des centres
habitués à la mesure des paramètres aortiques. On peut
proposer une surveillance, tous les 2 ans, en l’absence de
dissection ou de dilatation importante, surveillance à renforcer en cas de complication.
Dissection aortique
Le traitement de la dissection aortique est le même chez les
patients Marfan que dans la population générale : la dissec-
STV, vol. 20, n° 10, décembre 2008
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tion de l’aorte ascendante justifie une intervention en urgence, et la dissection de l’aorte descendante relève initialement d’un traitement médical sous surveillance régulière
du diamètre par IRM ou scanner. L’indication opératoire
est généralement posée au niveau de l’aorte descendante
pour des diamètres de l’ordre de 60 mm, et la pose de
prothèse endovasculaire est tout à fait expérimentale dans
cette indication à ce jour. On considère généralement que le
risque d’expansion est rédhibitoire.
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Atteinte mitrale
L’atteinte mitrale est fréquente, mais se limite généralement à un prolapsus avec fuite minime ou modérée. Le
remaniement de la valve est souvent moins marqué que lors
d’une maladie de Barlow habituelle, même s’il arrive qu’un
aspect franchement myxoïde soit retrouvé. Son traitement
repose surtout sur la prévention de l’endocardite d’Osler.
Cela étant, une fuite importante peut survenir en cas de
rupture de cordage.
Intervention sur la valve mitrale
L’intervention sur la valve mitrale n’est nécessaire que
chez une minorité des patients présentant un syndrome de
Marfan et un prolapsus valvulaire. Cela étant, les indications sont les mêmes que dans la population non Marfan,
avec 2 particularités :
– il est souvent possible de faire une plastie valvulaire, dont
les bons résultats sont maintenus dans le temps, même si le
prolapsus est volontiers bivalvulaire. Parfois, la dilatation
importante de l’anneau complique le geste ;
– il est parfois difficile de décider que faire sur une aorte un
peu dilatée chez un patient chez lequel on réalise une plastie
mitrale ou, inversement, chez un patient qui va avoir une
intervention de remplacement de l’aorte ascendante et qui
présente un prolapsus avec une fuite dont on a l’impression
qu’elle augmente.
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vant tout anévrisme de l’aorte ascendante chez un sujet
jeune (moins de 50 ans). Son diagnostic conduit à une
limitation des efforts violents, la mise en route d’un traitement bêtabloquant, et à une surveillance régulière du diamètre de l’aorte ascendante par échocardiographie, qui
permet de porter l’indication opératoire avant que la dissection ne survienne, en permettant parfois de conserver les
valves natives. Cette prise en charge a permis un allongement de l’espérance de vie des patients de l’ordre de
30 ans ! Peut-être les progrès médicaux futurs permettrontils de retarder, voire d’éviter la chirurgie cardiaque. Cette
pathologie est en pleine évolution et l’étude randomisée
avec le losartan, maintenant débutée, devrait permettre de
savoir si cette molécule pourra améliorer encore la prise en
charge. ■
Références
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Conclusion
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syndrome. Am J Cardiol 2007 ; 99(3) : 406-9.
Le syndrome de Marfan est une maladie génétique sousdiagnostiquée. Sa recherche devrait être systématique de-
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haploinsufficiency in the complex pathogenesis of Marfan syndrome. J
Clin Invest 2004 ; 114 : 172.
STV, vol. 20, n° 10, décembre 2008
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