Manque, référence et cohérence dans l’ellipse et l’anaphore Sergiu Zagan-Zelter, Diana Zagan-Zelter Université « Babeş-Bolyai » Cluj-Napoca, Roumanie [email protected] Abstract: In this paper, we argue that ellipsis and anaphora are two factors of coherence that are in direct connection with their referent. We provide a wide range of examples from two different domains (economics and literature) in order to show the universality of the theories debated here. We focus on some particular situations of ellipsis, some of them already discussed by famous linguists, the others introduced by us on a corpus from Tahar Ben Jelloun. Key words: ellipsis, anaphora, antecedent, referent, coherence, cohesion. 1. Introduction L’anaphore (élément des liages du signifiant) et l’éllipse (élément des implicitations) constituent deux facteurs de cohérence qui peuvent être étudiés en parallèle, l’un faisant appel à une reprise explicite et l’autre à une renonciation implicite. De manière générale, on entend par phénomènes anaphoriques les relations de reprise d’un élément par un autre dans la chaîne textuelle. L’anaphore est mentioné au II-ème siècle quand Appolonius Discolos, qui s’occupait des pronoms, oppsait les déictiques (des formes verbales qui se réfèrent à des choses du monde) aux anaphoriques (des formes verbales qui envoient vers des segments de discours). Les éléments communs de l’anaphore et de la cataphore sont l’espace textuel (où il y a la relation anaphorique antécédent et cataphorique – subséquent), les contraintes linguistiques, morpho-syntaxiques ou lexico-sémantiques (par exemple, l’accord en genre et en nombre de l’anaphorique avec l’antécédent). Et l’ellipse et l’anaphore sont considérées incomplètes, étant dépendantes d’un référent dont l’identification correcte implique la cohérence textuelle. Dans cet article, notre intention n’est pas seulement d’établir les points communs et différents pour les deux phénomènes, mais de voir comment le comblement du manque assure la cohérence. 2. Ellipse et anaphore Sag et Hankamer (Sag&Hankamer : 1984) considèrent que les processus anaphoriques doivent être divisés en processus syntaxiques et processus pragmatiques. Le problème des déictiques et la possibilité de faire référence aux antécédents qui ne sont pas parallèles du point de vue syntaxique font que cette division soit possible. A la différence de l’anaphore fidèle, quand l’anaphorique (pronominal ou lexical) conduit directement et, par des opérations grammaticales vers l’antécédent avec lequel il devient coréférent, l’anaphore associative ou indirecte prétend un traitement par un calcul sémantique et pragmatique rigoureux. Par des associations de la mémoire discursive ou encyclopédique, on doit faire appel à une information qui n’a pas été verbalement exprimée en avant mais qui est disponible pour les interlocuteurs en vertu des stéréotypes culturelles d’une certaine communauté (ReichlerBéguélin 1989). Dans ce cas, l’interprétation des anaphoriques par la récupération de l’antécédent se réalise au niveau pragmatique, par des processus inférentiels. La différence entre ellipse et anaphore correspond aux différences distributionnels qui peuvent être observées entre l’ellipse du syntagme verbal (VP – ellipsis) 1.a et l’anaphore verbale ( VP – Anaphora) 1.b 1. a. Someone had to clean the house but I didn’t want to ____. VP - Ellipsis b. Someone had to clean the house but I didn’t want to do it. VP – Anaphore La littérature de spécialité a montré que l’ellipse verbale n’est pas préférée dans les cas où l’antécédent n’est pas parallèle du point de vue syntaxique avec les éléments effacés. L’omission d’une suite verbale à la forme active ayant comme antécédent une forme passive (2.a) ou nominale (2.c) n’est pas admise, mais dans les mêmes conditions, l’anaphore verbale l’est. (2.b, 2.d) 2. a. ?? The house had to be cleaned but I didn’t want to ____. b. The house had to be cleaned but I didn’t want to do it. c. ?* Mary requested a kiss but John refused to ____. d. Mary requested a kiss but John refused to do it. 3. Cas particuliers : ellipse d’anaphore fidèle / ellipse de l’antécédent d’une anaphore fidèle Une anaphore fidèle est un syntagme nominal dont le noyau au moins est à la fois coréférentiel et lexicalement identique à l’antécédent, comme dans :« La Bourse est une source de financement. La Bourse permet aux entreprises privées et aux collectivités publiques de procurer des capitaux ». L’anaphore infidèle est elle aussi co-référentielle à l’antécédent, mais elle est lexicalement et sémantiquement différente de lui, comme dans :« La Bourse est une source de financement. Ce lieu où s’échangent des valeurs permet aux entreprises privées et aux collectivités publiques de procurer des capitaux ». Quant aux anaphores associatives, elles ne sont ni coréférentielles, ni lexicalement et sémantiquement identiques à l’antécédent, comme dans :Cette société est cotée en Bourse et va réaliser d’énormes plusvalues du seul fait de la variation du cours. Voyons la relation entre l’anaphore et l’ellipse. Dans la construction : Apprenez ! Cette unité est indispensable pour l’examen, la première phrase de ce discours est une ellipse de Apprenez cette unité !; le syntagme effacé est récupérable au sein du contexte proche. La notion d’ellipse récupérable sert à distinguer deux grandes catégories d’anaphores associatives : celles qui résultent d’un effacement d’anaphore fidèle et celles qui résultent d’un effacement d’antécédent d’anaphore fidèle : 1. ellipse d’anaphore fidèle : 1. a. Source :« Il est actionnaire à Paris Bas. Il reconnaît que les intérêts à Paribas sont très grands. » 1.b. Ellipse :Il est actionnaire à Paris Bas. Il reconnaît que les intérêts sont très grands. 2. ellipse de l’antécédent d’une anaphore fidèle : 2.a. Source :Il regarde les cours de la Bourse. La Bourse a été bouleversée par les derniers événements. 2.b. Ellipse :Il regarde les cours. La Bourse a été bouleversée par les derniers événements. En rappellant Fontanier et Bally, Adam (Adam 2006) reprend l’idée que l’ellipse est l’une des formes les plus communes au monde. Elle permet, par exemple, de ne pas répéter un pronom personnel anaphorique ayant la fonction de sujet :Trois banquiers se procurent des crédits documentaires. Ils demandent à leurs secrétaires de leur apporter les dossiers et étudient les papiers. Ils se précipitent hors de leurs bureaux et leur téléphonent encore une fois. Dans le discours narratif de Tahar Ben Jelloun il y a ellipse d’anaphore avec l’anaphorisé en fonction de sujet :« Toi qui n’as pas de nom, tu es venu cette fois-ci au monde à l’insu du temps. _Seul être à avoir échappé à la tyrannie des astres. Tu es un homme et ton âme est pure. » (Ben Jelloun 1981 : 74) = Toi qui n’as pas de nom, tu es venu cette fois-ci au monde à l’insu du temps. [Tu es le] Seul être à avoir échappé à la tyrannie des astres. Tu es un homme et ton âme est pure. 3. Ellipse de deux anaphores : 3. a Source :« Ils ont déposé sur ton ventr nu une dalle de marbre. » (Ben Jelloun 1978 : 14) 3. b Ellipse :Ils ont déposé sur ton ventre une dalle de marbre. Ton ventre nu. 4. Ellipse d’anaphore infidèle : 4.1 Source :« D’ailleurs tout s’éloigne, l’olivier, le verger, le ruisseau, la voix. [Ils sont] Recouverts d’une brume légère ou d’un voile. » (Ben Jelloun 1978 : 11) 4.2 Ellipse :D’ailleurs tout s’éloigne, l’olivier, le verger, le ruisseau, la voix. _Recouverts d’une brume légère ou d’un voile. 4. Anaphore et référent Parmi les unités référentielles du langage, il y en a unes qui se remarquent et qui servent pour référer sans posséder une référence virtuelle (référence virtuelle = l’ensemble de références qu’un mot peut avoir). L’anaphore est un terme polysémantique :du point de vue traditionnel, l’anaphore stylistique signifie la répétition sysématique, en position initiale, d’un mot ou d’une expression :« Rome, l’unique objet de mon ressentiment! / Rome, à qui vient ton bras d’immoler mon amant! / Rome qui t’a vu naître, et que ton coeur adore! / Rome enfin que je hais parce qu’elle t’honore! » (Baylon 1995 : 78); du point de vue grammatical, il s’agit, bien sûr, comme dans le cas de l’anaphore stylistique, d’une répétition d’un mot, mais seulement du sens et du référent, et non pas de la forme : Le médecin est venu. Il a diagnostiqué une angine. Ce procédé qui, contrairement à l’anaphore stylistique, permet l’évitement de la répétition formelle, vise à l’économie. L’économie est donc un point commun de l’anaphore et de l’ellipse. Dans l’exemple ci-dessus, l’anaphore il peut être considérée ellipse si elle est vidée du sens morphologique et garde seulement le référent médecin, récupérant ainsi le sens que ce mot a. Les anaphores se présentent comme des mots qui ont un sens propre mais qui se chargent de sens du mot qu’elles reprennent. Il est ainsi elliptique avant le chargement de sens. D’après Milner (Milner, 1982: 9), entre les deux termes (l’anaphorique et le mot/les mots qu’il reprend) on établit une coréférence qui peut inclure ou non la référence actuelle. Si dans l’exemple cidessus, médecin et il dénote la même personne, dans le cas du pronom adverbial en les choses sont différentes. Dans :« J’ai vu dix lions et toi, tu en as vu quinze. » (Baylon, 1995 : 79) les lions dénotés (lions) sont plus nombreux pour la proposition qui contient ce pronom ; il ne reprend que la référence virtuelle du mot lions, c’est-à-dire le sens. S’il ne s’agit que de la coréférence virtuelle, l’antécédent est le substantif commun seul (lions), sans son déterminant (dix). Dans « J’ai vu dix lions et toi,_ quinze » nous pouvons étudier un cas d’ellipse, plus précisément de gapping. Dans « J’ai vu dix lions et toi, tu as vu quinze_. », la grammaire française demande l’utilisation de en. Qu’est-ce qui se passe si la situation est inverse ? Ex: J’ai vu dix_, et toi, tu as vu quinze lions. ? Alors, l’ellipse de la première proposition est évidente. Exemple : I saw ten lions and you saw fifteen_ (NP ellipsis / ellipse de SN) J’ai vu dix lions et toi, tu en as vu quinze. (anaphore) I saw ten lions and you, you saw fifteen. (ellipse de syntagme nominale) Eu am văzut zece lei şi tu, tu ai văzut cincisprezece. (elipsă de sintagme nominale) En français on a de l’anaphore tandis que dans les deux autres exemples on a de l’ellipse Georges Kleiber (Kleiber 1991) a mentionné qu’entre un déictique et un référent, le rapport est direct, tandis que l’anaphorique ne réfère que par l’intermédiaire du mot qu’il reprend, le rapporte étant indirect. Dans l’exemple Luc m’a dit: Je reviendrai il y a deux univers de discours : dans le premier, il y a le tout de l’énoncé ; le deuxième, à l’intérieur du précédent, est ouvert par l’utilisation du verbe dire. Il s’agit de l’univers du dit, distinct de l’univers de celui qui dit. Dans le deuxième univers, auquel on doit se rapporter, on ne comprend je que comme déictique :son référent est celui qui prononce les mots Je reviendrai. L’anaphore ne conduit pas à la liaison entre Luc et je mais à la liaison entre les deux univers et elle est déclenchée par le sens du mot dire : ce verbe, par la description d’un univers du mot, évoque un univers de discours différent de celui dans lequel il est énoncé. Il y a des verbes qui ont une utilisation quasi-anaphorique, par exemple le verbe faire. Ils fonctionnent comme pro-verbes ou verbes vicaires sans avoir un caractère grammatical aussi prononcé comme le pronom :Il répondit comme les autres (l’) avait fait. Fait se substitue ici à répondre. Cela ne signifie pas qu’il peut se substituer à n’importe quel verbe. Il est indispensable que le verbe remplacé soit un verbe d’action ou d’événement :Il a plu comme il avait toujours fait. La phrase Il souffre comme il fait toujours semble bizarre. 5.Anaphore, référent et coréférence Jean-François Jeandillou (Jeandillou 2006) considère qu’il est préférable que l’anaphore ne soit pas confondue avec la coréférence. Ces deux phénomènes caractérisent la propriété des éléments linguistiques de viser un même référent, dans un contexte précis. La coréférence s’appuye sur une relation symétrique répérable entre des termes qui, sans dépendre l’un de l’autre, peuvent être interprétés d’une manière autonome :un nom propre et une expression descriptive : Napoléon / le vainqueur d’Austerlitz; Marie-Laurel et / l’élue de mon Coeur. L’anaphore crée une relation sissymétrique entre des éléments de statut différent, dont l’un (le représentant) dépend de l’autre (le représenté) dans un environnement limité : Napoléon ← ce farouche conquérant. On peut parler d’une représentation stricte quand l’anaphorique renvoie à un segment figurant dans l’environnement textuel. L’anaphorique peut être de nature nominale: Un homme très âgé entra dans le hall…Peu après, cet / notre / l’homme (très âgé) se dirigea vers la sortie. Comme elle s’accompagne d’une substitution de déterminant (l’article indéfini est remplacé par un démonstratif, un possessif ou un article défini), la reprise du groupe précédent peut se limiter au seul noyau (homme). L’anaphorique peut être de nature pronominale :Je lirai le livre que tu as acheté. Un homme âgé entra…Il / Celui-ci se dirigea… La représentation est totale puisque chaque pronom renvoie à la globalité du groupe nominal. Ayant terrassé l’afficheur Achille, ils le tirèrent sur toute la longueur de la passerelle d’Alfortville, puis le précipitèrent. Les éléments soulignés permettent de voir que la continuité référentielle des désignations de la victime (l’afficheur Achille), est garantie par une même anaphore pronominale fidèle en le. En revanche, le pronom ils dépourvu de référent textuel doit être réconstruit par inférence sur la base de connaissances encyclopédiques. Ce ils prend l’identité mystérieuse d’un agent agresseur collectif non identifié. Dans : le lac d’Annecy, trios jeunes gens nageaient. L’un, Janinetti, disparut. Plongeon des autres. Ils le ramenèrent, mais mort la continuité référentielle est assurée par la division explicite d’un hyperthème trois jeunes gens en deux groupes anaphoriques :l’un, la victime, qui acquiert un nom propre Janinetti, repris par le pronom le à la fin ;les deux autres, désignés aussi par le pronom ils, restent anonymes. L’anaphore pronominale est, par définition, fidèle, car elle n’indique généralement aucune nouvelle propriété de l’objet. Toutefois, en reprenant un nom propre, les pronoms ils ou elles précisent le sexe de la personne ou du personnage. Cette chose n’est pas toujours valable. Dans L’Enfant de Sable (Ben Jelloun 1985), nous rencontrons le pronom il mais la personne dont on fait référence n’entre pas dans le paire masculin/féminin. M.- E. Conte a proposé la notion d’anaphore emphatique : Les pronoms anaphoriques nous font acquérir de nouvelles connaissances spécifiques, qui ne concernent pas les référents en tant que tels, mais les sentiments, les passions, les attitudes psychologiques et axiologiques du sujet parlant à l’égard d’un référent. (dans Charolles 2003) Souvent, un seul adjectif fait l’objet d’une reprise : Pierre est courageux, mais son frère ne l’est guerre. Idiot que tu es! Le pronom le et en, comme les démonstratifs ceci / cela / ce / ça,peuvent représenter un énoncé direct : Marie viendra, je le garantis! / j’en suis sûr / cela est certain. L’anaphorique peut être de nature verbale : Si Pierre range sa chambre, je n’aurai pas à le faire. Le verbe faire reçoit sa valeur du verbe ranger. Associé à un pronom qui est luimême anaphorique, il représente l’intégralité du groupe verbal. L’anaphorique peut être aussi de nature adverbiale : Je viens d’acheter une maison; c’est là que je passerai l’été. Il parla d’un ton sec et elle lui répondit pareillement ou adjectivale: Voi veţi fi graţiaţi, căci aceasta este plăcerea mea. Quand le terme anaphorique entre en relation indirecte avec son antécédent, on parle d’une représentation détournée. Cette chose est possible avec les pronoms possessifs ou démonstratifs : J’ai perdu mon livre, prête-moi le tien / celui-ci, ou avec les pronoms adverbiaux : Paul a mangé deux gâteaux, Sylvie en a mangé plus. Si le signifié de l’antécédent est bien représenté différent. partielle seulement anaphoriquement, le référent visé est L’anaphore peut être seulement quand l’anaphorique représente une partie du référent initial : Tous les étudiants sont là, mais certains sont arrivés en retard. En ce qui concerne ce deuxième exemple, on doit faire la remarque que l’autre partie du référent initial se constitue obligatoirement comme ellipse : si quelques étudiants sont arrivés en retard et tous les étudiants sont présents, cela signifie que les autres sont arrivés plus tôt, ce qui signifie que l’ellipse récupère du référent seulement l’opposé exprimé par l’anaphore partielle : on sait certainement que les autres étudiants ne sont pas arrivés en retard, mais on ne sait pas depuis quand ils sont là. Dans Il a beaucoup d’argent, mais il en gaspille aujourd’hui l’adverbe indique une période temporelle limitée, donc l’anaphore est partielle et ce qu’on comprend par ellipse est le fait que dans cette période, l’autre partie n’est pas gaspillée. Dans Il a beaucoup d’argent, mais il en gaspille de plus en plus la locution adverbiale de plus en plus indique le fait que quelle que soit la somme d’argent, il y a une somme xy gaspillée dans un moment T qui, rapportée à une somme y gaspillée en avant dans un temps T’, contient la somme x qui se constitue comme ellipse de somme gaspillée dans la période de temps précédente (T’) La représentation détournée a lieu quand les éléments lexicaux font référence à l’antécédent. L’anaphore repose sur une équivalence synonymique : Jacques repeint les volets…ce labeur le fatigue ou sur un rapport d’inclusion (une voiture ← le véhicule; Marcel Proust ← ce grand prosateur. On parle d’anaphore conceptuelle lorsqu’un groupe nominal résume toute une séquence textuelle (phrase, paragraphe, chapitre entier) Pierre a préféré partir avant minuit; cette décision est regrettable. Jean Michel Adam nomme ce type d’anaphore anaphore résomptive (Adam, 2006: 87) On appelle anaphore associative la relation synecdochique (de la partie au tout) qui unit le représentant à son antécédent : Ma voiture est trop vieille; le moteur est fragile. Au niveau conceptuel, Ma voiture est trop vieille implique le fait que la somme de toutes les parties qui constituent la voiture indiquent sa vieillesse. Toutes les parties de la voiture sont vieilles. Le moteur est une partie de la voiture. Il résulte que le moteur est vieux. Le mot fragile entre dans le même champ sémantique avec vieille. Donc toutes les parties de la voiture qui sont ellipsées sont vieilles. Voilà d’autres types d’anaphore : la Madame Bovary prit le bras de Rodolphe ; il reconduisit chez elle. (anaphore avec récupération de référent) Le livre de Paul est broché, le mien a une couverture cartonnée. (anaphore avec récupération de signifié) Nous fûmes du siècle de la lumière. Ce singulier nous tint lieu de pluriel… (anaphore avec récupération de signifiant) Il semble que les procédés anaphoriques ne se limitent pas à la reprise des éléments insérés dans le discours. Ils participent à la progression textuelle chaque fois qu’ils apportent des informations nouvelles. Orientant la théorie vers un référent distinct (le pronom possessif) Orientând teoria spre un referent distinct, şi anume pronumele posesiv, présuppose que l’allocutaire en connaît l’existence, ce qui n’est pas toujours le cas ; quand on dit : Ta maison est charmante, mais la mienne est plus vaste, on fait allusion à un objet du monde dont l’existence, qui pouvait être ignorée de l’allocutaire, se déduit automatiquement de la qualité énoncée. De même, les anaphores englobantes (un chat ← le félin) les anaphores associatives (un volier ← le grand hunier) font appel, au fil du texte, à une active contribution du lecteur : ce dernier doit convoquer les connaissances qu’il a sur le monde pour en comprendre la logique. L’univers auquel le texte fait référence n’est donc pas immédiatement donné dans son intégralité, il est toujours reconstruit par le lecteur. On peut parler de progression textuelle quand l’anaphorique apporte des informations nouvelles, nécessaires pour la cohérence du texte. Il y a des cas où l’information apportée par l’anaphorique n’est pas nouvelle : Un homme très âgé (a) entra dans le hall…Peu après, il (b) se dirigea vers la sortie. Il (c) paricipait pour la troisième fois à une conférence en Australie. Il (d) voulait à tout prix montrer qu’il était innocent. Il y a plusieurs niveaux de la représentation du discours qui ont été identifiés dans des textes linguistiques, sociolinguistiques et des études littéraires. La plupart des psychologues acceptent la classification de Van Dijk&Kintsch (Van Dijk&Kintsch 1983) et de Kintsch (Kintsch 1998): la structure de surfaces (surface structure), la base assertionnelle du texte(text base) et le modèle situationnel (situational model). En ce qui concerne la structure de surface, Mih (Mih 2004) considère qu’en général, les lecteurs retiennent la structure de surface, mais dans le cas des plus récentes propositions lues ; l’exception est représentée par les cas où les éléments de cette structure ont des conséquences sur tout le sens du texte. Dans le cas de la coréférence, le lecteur insistera plus sur un mot / une expression qui apparaît plus rarement. Dans le texte : Un homme très âgé (a) entra dans le hall…Peu après, ce chimiste renommé (b) se dirigea vers la sortie…Le génie de l’étude moléculaire (c) paricipait pour la troisième fois à une conférence en Australie. L’accusé d’il y a trois ans (d) voulait à tout prix montrer qu’il était innocent. Il est probable que le lecteur insiste plus sur le syntagme (d), parce qu’il est différent de (a), (b), et (c) par le sensationnel et non pas pour le fait qu’il est lu le dernier. Dans Un accusé d’il y a trois ans (a) voulait à tout prix montrer qu’il était innocent. L’ homme très âgé (b) entra dans le hall…Peu après, ce chimiste renommé (c) se dirigea vers la sortie…Le génie de l’étude moléculaire (d) paricipait pour la troisième fois à une conférence en Australie. Le lecteur récupérera, en lisant (d) une partie de (a). 6.Ellipse – facteur de cohérence D’après Jean – François Jeandillou (Jeandillou : 2006), la cohérence n’est pas directement soumise aux propriétés linguistiques du texte : seul le jugement du récepteur permet d’évaluer l’adéquation de ce dernier par rapport à la situation d’énonciation. L’acte de parole sera estimé cohérent ou non en fonction d’une attente, d’une demande d’information plus ou moins précise. La cohérence est considérée pour le texte ce que la grammaticalité est pour la phrase : le critère qui permet de déterminer si une séquence de phrases ou d’énoncés est ou non texte. L’anaphore, les connecteurs pragmatiques ou discursives et l’ellipse sont les marqueurs de cohésion d’un texte et elles imposent de la cohérence dans le texte où elles apparaissent. Il y a des textes cohérents qui sont dépourvus des marqueur de cohésion : In timpul cinei, Matei s-a ars la limbă. Supa a fost fierbinte et des textes qui ont des marqueurs de cohésion mais sont dépourvus de cohérence : Jean a acheté une vache. D’ailleurs elle est rousse comme un écureuil. Il vit dans la forêt et hiberne l’hiver. Mais il est très froid dans la région. (Reboul, 2006: 5) Reboul considère que les relations de cohérence ne s’appliquent guère ou seulement isolement pour les premières phrases d’un roman : « Il y avait d’abord ce visage allongé par quelques rides verticals, telles des cicatrices creusées par de lointaines insomnies, un visage mal rasé, travaillé par le temps ». (Ben Jelloun, 1985: 7). Maingueneau (Maingueneau 1993) considère que ce ce cataphorique permet à l’auteur de faire deux choses : caractériser un objet (le visage) en le présentant comme l’exemplaire d’une classe qu’il reconstruit. 7. Conclusions La cohésion implique des liaisons linguistiques formelles entre les sections d’un texte – des choses qui peuvent être classifiées. La cohérence se réfère à la progression thématique, Culler (Culler 1975) utilisant le terme pour parler de la manière dans laquelle les lecteurs trouvent des sens dans un texte en faisant appel aux ressemblances avec d’autres textes. Le texte lui-même a été défini comme une séquence cohérente de signes linguistiques (Bertinetto, 1979 : 154) et la narration comme un ordre textuel cohérent (Jonnes 1990: 9). L’ellipse et l’anaphore se constituent comme facteurs de cohérence textuelle qui ne peuvent pas être ignorés. Qu’on parle du domaine économique ou du discours narratif, l’ellipse et l’anaphore sont gouvernées par les mêmes règles. Bibliographie : Adam, J-M, La linguistique textuelle, Armand Colin, Paris, 2006. Baylon, C., Mignot, X., Sémantique du langage, Nathan, Paris, 1995. Ben Jelloun, T., L’enfant de sable, Seuil, Paris, 1985. Ben Jelloun, T., Moha le fou Moha le sage, Seuil, Paris, 1978. Bertinetto P. M., « Alcune ipotesi sul nostro futuro. » Rivista di Grammatica Generativa 4 / 1-2, 77 – 138, 1979. Charolles, M., « Cohésion, cohérence et pertinence du discours », in Revue Internationale de Linguistique française, 29, 125-151, 2003. Culler, J., Structuralist poetics. Ithaca, Cornell University Press, 1975. Jeandillou, J-F, L’Analyse textuelle, Armand Colin, Paris, 2006 Jonnes, D., « The Matrix of Narrative: Family Systems and the Semiotics of Story », Approaches to Semiotics 91, Mouton de Gruyter, Berlin and New York, 1990. Kintsch, W., « The role of knowledge in discourse comprehension construction-integration model » Psychological Review, 95, 163-182, 1988. Kleiber G., « Anaphore-deixis : Où en sommesnous? », L’information grammaticale, n° 51, 1991. Maingueneau, D., Le contexte de l’oeuvre littéraire – Enonciation, écrivain, société., Dunod, Paris, 1993. Mih, V. Inţelegerea textelor : Strategii şi mecanisme cognitive ; aplicaţii în domeniul educaţional, ASCR, Cluj-Napoca, 2004. Reichler-Beguelin M.-J. (et al.) Ecrire en français, Delachaux et Niestlé, Neuchâtel, 1988. Sag, I.&Hankamer, J. « Toward a theory of anaphoric processing » Linguistics and Philosophy 7:325-345, 1984. Van Dijk, T. A.&Kintsch W., Strategies of discourse comprehension, New York, Academic. xi, 418 pages, 1983. Sergiu ZAGAN-ZELTER Doctorant à l’Université « Ştefan cel Mare » Suceava, Faculté de Lettres et Sciences de la Communications, Titre de la thèse de doctorat : Elliptical Structures in the narrative discourse at Tahar Ben Jelloun, Professeur coordinateur : Prof. univ. dr. Vasile DOSPINESCU.